[ {"source_document": "", "creation_year": 1713, "culture": " French\n", "content": "Produced by Chuck Greif and the Online Distributed\nproduced from images generously made available by the\nBiblioth\u00e8que nationale de France (BnF/Gallica) at\n[Notes au lecteur de ce ficher digital: Les erreurs clairement\nintroduites par le typographe ont \u00e9t\u00e9 corrig\u00e9es. L'orthographe\nd'origine a \u00e9t\u00e9 conserv\u00e9e.]\nLETTRES\nDE\nMMES. DE VILLARS,\nDE COULANGES,\nET DE LA FAYETTE;\nDE NINON DE L'ENCLOS,\nET DE\nMADEMOISELLE A\u00cfSS\u00c9;\nAccompagn\u00e9es de Notices biographiques,\nde Notes explicatives, et de LA COQUETTE\nVENG\u00c9E, par NINON DE L'ENCLOS.\nSECONDE \u00c9DITION.\nTOME PREMIER. ET TOME SECOND.\nA PARIS,\nChez L\u00c9OPOLD COLLIN, Libraire,\nRue G\u00eet-le-c\u0153ur, N\u00ba. 18.\nAN XIII.--1805.\nAVERTISSEMENT DE L'\u00c9DITEUR.\nLa rapidit\u00e9 avec laquelle a \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9e la premi\u00e8re \u00e9dition du recueil\ndes Lettres de _mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de\nmademoiselle A\u00efss\u00e9_, nous a d\u00e9termin\u00e9s \u00e0 en donner une seconde. Nous\navons fait \u00e0 ce recueil plusieurs changemens dont il est \u00e0 propos de\nrendre compte.\nOn a remarqu\u00e9 dans un journal tr\u00e8s-r\u00e9pandu[1] que les Lettres de\nmadame _de Tencin_ d\u00e9paroient la collection. Nous \u00e9tions parfaitement de\nl'avis du journaliste sur le m\u00e9rite de ces Lettres: nous avions dit\nnous-m\u00eames dans la notice qui les pr\u00e9c\u00e8de, qu'elles \u00e9toient de madame\n_de Tencin_, intrigante, et non point de madame _de Tencin_, auteur des\njolis romans du _Comte de Comminges_, du _Si\u00e9ge de Calais_, etc.; mais\nnous avions consid\u00e9r\u00e9 qu'elles \u00e9toient en petit nombre; qu'il \u00e9toit fort\nsouvent question de celle qui les a \u00e9crites, dans une autre\ncorrespondance qui fait partie du recueil, c'est-\u00e0-dire, dans les\nLettres de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_; et qu'enfin, puisque notre dessein\n\u00e9toit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame _de Tencin_\nrendroient la r\u00e9union plus compl\u00e8te. Ces consid\u00e9rations nous ont bient\u00f4t\nparu d'un moindre poids que l'observation qui nous a \u00e9t\u00e9 faite; et nous\navons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le\npublic, \u00e9tant de lui procurer de l'agr\u00e9ment ou de l'instruction, les\nLettres de madame _de Tencin_ devoient \u00eatre exclues de notre recueil,\npuisqu'elles ne sont ni instructives, ni agr\u00e9ables.\nNous les avons remplac\u00e9es par les Lettres de _Ninon de l'Enclos_ et par\ncelles de madame _de Coulanges_. Ce que nous avons ajout\u00e9 \u00e9tant beaucoup\nplus consid\u00e9rable que ce que nous avons retranch\u00e9, nous nous sommes vus\nforc\u00e9s de faire deux volumes, au lieu d'un.\nLe m\u00e9rite des Lettres de mesdames _de Villars_ et _de la Fayette_, et\nde mademoiselle _A\u00efss\u00e9_, est aujourd'hui trop bien constat\u00e9 par les\n\u00e9loges que leur ont donn\u00e9s les journaux, et par l'empressement que le\npublic a mis \u00e0 se les procurer, pour que nous croyions n\u00e9cessaire d'en\nrien dire ici. Il est \u00e9galement inutile de s'\u00e9tendre sur celles de\nmadame _de Coulanges_. On sait qu'il n'en est pas de plus enjou\u00e9es et de\nplus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans,\nque l'on appeloit _les \u00e9pigrammes_ de madame _de Coulanges_; et, en les\nlisant, on con\u00e7oit tr\u00e8s-bien comment la femme qui les a \u00e9crites, faisoit\nles d\u00e9lices de la soci\u00e9t\u00e9, dans un si\u00e8cle o\u00f9 l'on \u00e9toit si sensible aux\ngr\u00e2ces de l'esprit et du bon ton[2].\nQuant aux Lettres de _Ninon_, elles exigent de nous une explication\nparticuli\u00e8re. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'apr\u00e8s le\nsimple \u00e9nonc\u00e9 du titre, avec les _Lettres de Ninon de l'Enclos au\nmarquis de S\u00e9vign\u00e9_, ouvrage suppos\u00e9, dont l'auteur est M. _Damours_,\navocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit\npas d'une grande estime aupr\u00e8s des gens de go\u00fbt. Voici ce que _Voltaire_\nen \u00e9crivoit en 1771, \u00e0 M. ******, ministre du Saint \u00c9vangile, qui lui\navoit demand\u00e9 des d\u00e9tails sur _Ninon_. \u00abQuelqu'un a imprim\u00e9, il y a deux\nans, des Lettres sous le nom de mademoiselle _de l'Enclos_, \u00e0 peu pr\u00e8s\ncomme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orl\u00e9ans pour du Bourgogne. Si\nelle avoit eu le malheur d'\u00e9crire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas\ndemand\u00e9 une sur ce qui la regarde.\u00bb On a publi\u00e9 depuis un autre livre du\nm\u00eame genre, intitul\u00e9 _Correspondance secr\u00e8te entre Ninon de l'Enclos, M.\nde Villarceaux et madame de Maintenon_. Nous ne porterons aucun jugement\nsur cette derni\u00e8re production, que nous n'avons point lue, et avec\nlaquelle d'ailleurs nous n'avons rien \u00e0 d\u00e9m\u00ealer, non plus qu'avec celle\nde M. _Damours_, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les\nLettres que nous donnons, sont les v\u00e9ritables Lettres de _Ninon_,\nadress\u00e9es \u00e0 _Saint-Evremont_, dans les \u0153uvres duquel elles sont comme\nensevelies. On les en a d\u00e9j\u00e0 extraites une fois. Elles ont paru en 1751,\npr\u00e9c\u00e9d\u00e9es _de M\u00e9moires_ sur _Ninon_, que quelques-uns ont attribu\u00e9s \u00e0 M.\nl'abb\u00e9 _Raynal_. Ce volume se trouve aujourd'hui tr\u00e8s-difficilement. Les\nLettres qui nous restent de _Ninon_, sont au nombre de dix seulement;\ncelles de _Saint-Evremont_, qui y correspondent, sont au m\u00eame nombre, et\nnous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne\npeut que perdre du c\u00f4t\u00e9 de l'int\u00e9r\u00eat, lorsqu'il n'offre que l'une des\ndeux parties de la correspondance.\nA la suite des Lettres de _Ninon_, nous avons mis _la Coquette\nveng\u00e9e_, petit \u00e9crit attribu\u00e9 \u00e0 cette fille c\u00e9l\u00e8bre par MM. _Mercier_,\nabb\u00e9 de Saint-L\u00e9ger et _Jamet_ le jeune, deux des hommes du si\u00e8cle\ndernier, qui ont \u00e9t\u00e9 le plus profond\u00e9ment vers\u00e9s dans la bibliographie.\nL'assertion de tels \u00e9rudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas\nque nous avons cru reconno\u00eetre dans _la Coquette veng\u00e9e_, le style de\n_Ninon_: on n'en pourroit juger que d'apr\u00e8s ses Lettres; et des Lettres,\nqui sont une conversation \u00e9crite, n'ont presque rien de commun avec un\nouvrage expr\u00e8s; mais nous dirons, sans craindre de trouver des\ncontradicteurs, que cet opuscule, rempli de gr\u00e2ce et de finesse, ne peut\ngu\u00e8re \u00eatre sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne\nde cette _Ninon_, dont l'esprit et la raison n'ont pas \u00e9t\u00e9 moins\nc\u00e9l\u00e8bres que l'\u00e9clat et la dur\u00e9e de ses charmes. Nous allons dire \u00e0\nquelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitul\u00e9:\n_le Portrait de la Coquette_ ou _la Lettre d'Aristandre \u00e0 Timag\u00e8ne_.\n_Aristandre_ apprenant que _Timag\u00e8ne_, son neveu, se dispose \u00e0 faire le\nvoyage de Paris, veut le pr\u00e9munir contre les dangers que son innocence\ncourra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, \u00e0 son\navis, ce sont les coquettes, dont il d\u00e9crit \u00e0 son neveu les diff\u00e9rentes\nesp\u00e8ces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs,\net notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, o\u00f9 la\nmalignit\u00e9 des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de\n_Ninon_; et il n'est gu\u00e8re douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise\npour mod\u00e8le. Il appartenoit \u00e0 une femme de venger la plus grande partie\nde son sexe outrag\u00e9e dans la Lettre d'_Aristandre_; et ce soin regardoit\nsur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaqu\u00e9e. Cette\ncirconstance, suivant nous, donne un grand poids au t\u00e9moignage de nos\ndeux bibliographes; et, \u00e0 d\u00e9faut d'autres indices, elle auroit pu servir\nde base \u00e0 leur opinion. _Ninon_ (car nous croyons fermement que c'est\nelle qui est l'auteur de l'\u00e9crit) _Ninon_ fit donc _la Coquette veng\u00e9e_,\ndont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette d\u00e9fense, ou\nplut\u00f4t cette r\u00e9crimination est dirig\u00e9e contre certains _philosophes_,\nnomm\u00e9s _p\u00e9dans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent\ndans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir\nrien de raisonnable pour se faire aimer._ Pour expliquer l'emploi\ninjurieux que _Ninon_ fait ici du titre de _philosophe_, il faut dire\nque l'auteur du _Portrait de la Coquette_ affiche de grandes pr\u00e9tentions\n\u00e0 ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion\ninsurmontable. Nous avouerons sans peine que _la Lettre d'Aristandre_\nnous a paru elle-m\u00eame un ouvrage agr\u00e9ablement \u00e9crit, et vraiment digne\nde la col\u00e8re de _Ninon_. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il\nfut r\u00e9imprim\u00e9 en 1685, c'est-\u00e0-dire, plus de vingt-cinq ans apr\u00e8s sa\npremi\u00e8re publication. Nous ignorons si l'\u00e9crit de _Ninon_ a eu aussi les\nhonneurs de la r\u00e9impression; en tout cas, nous pensons qu'il les\nm\u00e9ritoit pour le moins autant.\nDans la premi\u00e8re, \u00e9dition de ce recueil, les notices biographiques\navoient \u00e9t\u00e9 plac\u00e9es toutes ensemble, au commencement du volume. Mais\ncette fois nous les avons dispos\u00e9es plus convenablement; chacune se\ntrouve en t\u00eate de la correspondance \u00e0 laquelle elle a rapport.\nDans l'avertissement qui pr\u00e9c\u00e9doit ces notices, nous disions \u00e0 quel\npoint la seule \u00e9dition qu'on e\u00fbt eue jusqu'alors des Lettres de\nmademoiselle _A\u00efss\u00e9_, \u00e9toit incorrecte, et quels efforts nous avions eu\n\u00e0 faire pour restituer le sens alt\u00e9r\u00e9 \u00e0 chaque page par des omissions ou\npar des changemens de mots, et r\u00e9tablir les noms propres, presque\ntoujours d\u00e9figur\u00e9s \u00e0 n'\u00eatre pas reconnoissables. Nous avons fait, dans\nles \u00e9crits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et\nnous avons r\u00e9int\u00e9gr\u00e9 dans leur v\u00e9ritable orthographe tous ceux qui n'ont\npas appartenu \u00e0 des personnages totalement ignor\u00e9s. Nous avons aussi\najout\u00e9 quelques notes explicatives \u00e0 celles que nous avions trouv\u00e9es ou\nque nous avions faites nous-m\u00eames.\nNous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en\nrapportant un passage de _La Bruy\u00e8re_, o\u00f9 ce moraliste ing\u00e9nieux et\nprofond reconno\u00eet et explique la sup\u00e9riorit\u00e9 que les femmes ont sur les\nhommes dans le genre \u00e9pistolaire. \u00abLes Lettres de _Balzac_, de\n_Voiture_, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont r\u00e9gn\u00e9 que depuis\nleur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus\nloin que le n\u00f4tre dans ce genre d'\u00e9crire: elles trouvent sous leur\nplume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont\nl'effet que d'un long travail et d'une p\u00e9nible recherche: elles sont\nheureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout\nconnus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveaut\u00e9, et semblent \u00eatre\nfaits seulement pour l'usage o\u00f9 elles les mettent. Il n'appartient qu'\u00e0\nelles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre\nd\u00e9licatement une pens\u00e9e d\u00e9licate. Elles ont un encha\u00eenement de discours\ninimitable, qui se suit naturellement et qui n'est li\u00e9 que par le sens.\nSi les femmes \u00e9toient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres\nde quelques-unes d'entr'elles seroient peut-\u00eatre ce que nous avons dans\nnotre langue de mieux \u00e9crit[3].\u00bb Il n'est pas inutile de remarquer que\n_La Bruy\u00e8re_ proclamoit ainsi la pr\u00e9\u00e9minence des femmes dans l'art\nd'\u00e9crire des Lettres, \u00e0 une \u00e9poque o\u00f9 celles de madame _de S\u00e9vign\u00e9_\nn'\u00e9toient point connues du public, et ne l'\u00e9toient probablement pas de\n_La Bruy\u00e8re_ lui-m\u00eame. Elles ont \u00e9t\u00e9 imprim\u00e9es pour la premi\u00e8re fois\nplus de 30 ans apr\u00e8s la publication des _Caract\u00e9res_.\nNOTICE\nSUR\nMADAME DE VILLARS.\nMarie de Bellefonds, fille de Bernardin _Gigault de Bellefonds_, a\u00efeul\ndu mar\u00e9chal de ce nom, fut mari\u00e9e au marquis _de Villars_. Le vainqueur\nde D\u00e9nain, le c\u00e9l\u00e8bre mar\u00e9chal _de Villars_, fut le fruit de ce mariage.\nM. le marquis _de Villars_ fut envoy\u00e9 ambassadeur aupr\u00e8s de _Charles\nII_, roi d'Espagne, au moment o\u00f9 ce prince \u00e9pousa Marie-Louise\n_d'Orl\u00e9ans_, fille de _Monsieur_, fr\u00e8re de _Louis XIV_ et de\nHenriette-Anne _d'Angleterre_, sa premi\u00e8re femme.\nMadame _de Villars_ suivit son mari dans cette ambassade, qui ne\ndura gu\u00e8re plus de dix-huit mois. Pendant son s\u00e9jour \u00e0 Madrid, elle\n\u00e9crivit \u00e0 madame _de Coulanges_. Il ne nous est parvenu que trente-sept\nLettres de cette correspondance; elles commencent au 2 novembre 1679, et\nfinissent au 15 mai 1681. Elles contiennent des d\u00e9tails tr\u00e8s-curieux sur\nle caract\u00e8re du roi et de la reine, sur leur mani\u00e8re de vivre, sur les\nintrigues et l'\u00e9tiquette de leur cour, enfin sur les m\u0153urs et les usages\nde l'Espagne. Une preuve de la confiance qu'elles m\u00e9ritent, c'est que le\npr\u00e9sident _H\u00e9nault_, \u00e9crivain s\u00e9v\u00e8re dans le choix de ses autorit\u00e9s, les\ncite, en parlant du pouvoir absolu que les ministres de l'Empereur\nexer\u00e7oient \u00e0 la cour de _Charles II_[4]. Du reste, elles sont \u00e9crites\nd'un style simple, facile et agr\u00e9able; c'est celui d'une femme, qui \u00e0\nbeaucoup de sens et d'esprit naturel joignoit ce ton d\u00e9licat et fin qui\ndistingue la bonne compagnie. Ces Lettres \u00e9toient lues avec beaucoup de\nplaisir par les personnes les plus spirituelles de la plus aimable\nsoci\u00e9t\u00e9 qui ait peut-\u00eatre jamais exist\u00e9. Qui pourroit se piquer d'\u00eatre\nplus difficile qu'elles? Voici ce que madame _de S\u00e9vign\u00e9_ \u00e9crivoit \u00e0 sa\nfille, au sujet des Lettres de madame _de Villars_. \u00abMadame _de Villars_\nmande mille choses agr\u00e9ables \u00e0 madame _de Coulanges_, chez qui on vient\napprendre les nouvelles. Ce sont des relations qui font la joie de\nbeaucoup de personnes; M. _de la Rochefoucault_ en est curieux; madame\n_de Vins_ et moi, nous en attrapons ce que nous pouvons. Nous comprenons\nles raisons qui font que tout est r\u00e9duit \u00e0 ce bureau d'adresse; mais\ncela est m\u00eal\u00e9 de tant d'amiti\u00e9 et de tendresse, qu'il semble que son\ntemp\u00e9rament soit chang\u00e9 en Espagne. Cette reine d'Espagne est belle et\ngrasse; le roi amoureux, et jaloux sans savoir de quoi, ni de qui; les\ncombats de taureaux affreux; deux grands pens\u00e8rent y p\u00e9rir; leurs\nchevaux tu\u00e9s sous eux; tr\u00e8s-souvent la sc\u00e8ne est ensanglant\u00e9e. Voil\u00e0 les\ndivertissemens d'un royaume chr\u00e9tien; les n\u00f4tres sont bien oppos\u00e9s \u00e0\ncette destruction et bien plus ais\u00e9s \u00e0 comprendre[5]\u00bb. Madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_, dans une autre lettre \u00e0 madame _de Grignan_, avoit d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9\nainsi de celles de madame _de Villars_. \u00abMadame _de Villars_ n'a \u00e9crit\nuniquement, en arrivant \u00e0 Madrid, qu'\u00e0 madame _de Coulanges_; et, dans\ncette lettre, elle nous fait des complimens \u00e0 toutes nous autre vieilles\namies. Madame _de Schomberg_, mademoiselle _de Lestrange_, madame _de la\nFayette_, tout est en un paquet. Madame _de Villars_ dit qu'_il n'y a\nqu'\u00e0 \u00eatre en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y b\u00e2tir des\nch\u00e2teaux_[6]. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa\nlettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse[7]\u00bb.\nMadame _de Villars_ mourut le 24 juin 1706, \u00e2g\u00e9e de 82 ans.\nSes Lettres \u00e9toient entre les mains de M. le chevalier _de Perrin_,\n\u00e9diteur de celles de madame _de S\u00e9vign\u00e9_, qui se disposoit \u00e0 les faire\nimprimer, lorsqu'il mourut en 1754. Elles l'ont \u00e9t\u00e9 depuis sur le\nmanuscrit que l'on a trouv\u00e9 dans ses papiers.\nLETTRES\nDE\nMADAME DE VILLARS,\nA MADAME DE COULANGES.\nLETTRE PREMI\u00c8RE.\n_Madrid, 2 novembre 1679._\nMe voici enfin \u00e0 Madrid, o\u00f9 je suis r\u00e9solue d'attendre tranquillement\nle retour du roi, et l'arriv\u00e9e de la reine, sa femme. Je n'ai pas eu le\ncourage d'aller \u00e0 Burgos. M. _de Villars_, qui m'attendoit ici, est\nparti pour rejoindre le roi, qui va chercher la reine d'une telle\nimp\u00e9tuosit\u00e9, qu'on ne peut le suivre; et si elle n'est pas encore\narriv\u00e9e \u00e0 Burgos, il est r\u00e9solu d'emmener avec lui l'archev\u00eaque de cette\nville-l\u00e0, et d'aller jusqu'\u00e0 Vittoria, ou sur la fronti\u00e8re, pour \u00e9pouser\ncette princesse. Il n'a voulu \u00e9couter aucun conseil contraire \u00e0 cette\ndiligence. Il est transport\u00e9 d'amour et d'impatience. Ainsi, avec de\ntelles dispositions, il ne faut pas douter que cette jeune reine ne soit\nheureuse. La reine douairi\u00e8re, qui est tr\u00e8s-bonne et tr\u00e8s-raisonnable,\nsouhaite passionn\u00e9ment qu'elle soit contente. Je trouvai, en venant,\ntoutes les dames, et tous les officiers de sa maison, qui est\ntr\u00e8s-nombreuse, aupr\u00e8s de Burgos. La duchesse _de Terranova_, sa\n_camarera mayor_, fit arr\u00eater sa liti\u00e8re aupr\u00e8s de la mienne. Elle me\nparut spirituelle et tr\u00e8s-honn\u00eate, point aussi vieille que je me l'\u00e9tois\nfigur\u00e9e. Toutes les dames et filles d'honneur me montroient de loin\nleurs mouchoirs que l'on met en l'air en signe d'amiti\u00e9. Je pensai\noublier d'en faire autant; et, si ma fille ne m'en e\u00fbt fait aviser,\nj'allois d\u00e9buter par une grande sottise. Vous ne sauriez vous imaginer\nquelles honn\u00eatet\u00e9s je re\u00e7ois ici. La reine m\u00e8re m'a envoy\u00e9 son majordome\npour savoir comment je me trouvois des fatigues de mon voyage, et me\ndonner beaucoup de marques de bont\u00e9. On dit qu'elle n'a pas accoutum\u00e9\nd'en user de la sorte avec les autres ambassadrices; ce n'est pas \u00e0 mon\nm\u00e9diocre m\u00e9rite que j'attribue cet honneur.\nJe n'ai pas encore voulu recevoir de visites. J'attends le retour de M.\n_de Villars_. Il y a tant de mani\u00e8res et tant de c\u00e9r\u00e9monies \u00e0 observer,\nqu'il faut qu'il m'instruise de tout, depuis les moindres choses jusques\naux plus importantes. Rien ne ressemble ici \u00e0 ce qui se pratique en\nFrance.\nDon _Juan_ est mort de chagrin; le roi commen\u00e7oit \u00e0 lui en donner, en\nrappelant, sans lui en parler, plusieurs grands qu'il avoit exil\u00e9s.\nJe ne sais si la princesse _d'Harcourt_ entrera dans le carrosse de la\nreine.\nLa conn\u00e9table _Colonne_ m'a envoy\u00e9 visiter. Elle est toujours dans son\ncouvent, dont elle s'ennuie fort; elle esp\u00e8re en sortir quand la reine\nsera ici, et loger chez sa belle-s\u0153ur, la marquise _de los Balbas\u00e8s_.\nL'abb\u00e9 _de Villars_, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouv\u00e9e tr\u00e8s-bien\nfaite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnoissable de ce qu'elle\n\u00e9toit en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de\nbeaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre\nde sa vie, qui est d\u00e9j\u00e0 traduit en trois langues, afin que personne\nn'ignore ses aventures: il est fort divertissant. Elle est habill\u00e9e \u00e0\nl'espagnole d'un fort bon air, mais ayant retranch\u00e9 et augment\u00e9, ce qui\nen effet est mieux.\nLETTRE II.\n_Madrid, 30 novembre 1679._\nOn ne peut mener une plus plaisante vie, que celle que je m\u00e8ne ici\ndepuis mon arriv\u00e9e, ne faisant aucune visite, et n'en voulant recevoir\nqu'apr\u00e8s le retour de M. _de Villars_. Je sors quelquefois, quand il\nfait beau, pour aller, ce qu'on appelle _tomar el sol_[8], hors des\nportes. Le soleil est tr\u00e8s-agr\u00e9able en cette saison. Il faut\nsoigneusement tirer tous les rideaux du carrosse dans la ville;\nautrement on passeroit pour n'\u00eatre pas honn\u00eate femme, et par tout pays\nil seroit f\u00e2cheux de se d\u00e9crier pour un si petit sujet.\nLes ducs _d'Ossone_ et _d'Astorga_ se sont fort querell\u00e9s devant la\nreine. L'on a jug\u00e9 que le premier avoit tort, et on l'a envoy\u00e9 ici\nattendre les ordres du roi. Je ne sais plus quelle charge il a[9]; mais\nles bruits de Madrid sont que le marquis _de los Balbas\u00e8s_ la pourroit\nbien avoir. Je n'ai point encore vu de beaut\u00e9s Espagnoles.\nM. _de Villars_ vient d'arriver de Burgos. Il m'a cont\u00e9 beaucoup de\nd\u00e9tails de tout ce qu'il vient de voir. Il se flatte que le prince et la\nprincesse _d'Harcourt_ auront \u00e9t\u00e9 contens de lui. Il m'a parl\u00e9 de la\nplus belle robe du monde qu'avoit la princesse. Madame _de Grancey_ a\ntr\u00e8s-bien fait, et s'est fort bien servie de son temps de faveur aupr\u00e8s\nde la reine, pour ne lui donner que de tr\u00e8s-bons conseils. On croit\nqu'elle aura du roi Catholique une pension de deux mille \u00e9cus. On ne\nsait point encore si elle viendra jusques ici. Elle paroissoit fort\ntent\u00e9e de s'en retourner avec la princesse _d'Harcourt_. Le roi et la\nreine viennent seuls dans un grand carrosse sans glaces, \u00e0 la mode du\npays. Il sera fort heureux pour eux qu'ils soient comme leur carrosse.\nOn dit que la reine fait tr\u00e8s-bien: pour le roi, comme il \u00e9toit fort\namoureux avant que de l'avoir vue, sa pr\u00e9sence ne peut qu'avoir augment\u00e9\nsa passion. Elle re\u00e7ut le roi avec un tr\u00e8s-bel habit \u00e0 la fran\u00e7oise, et\nune quantit\u00e9 surprenante de pierreries; mais elle le quitta le lendemain\npour s'habiller \u00e0 l'espagnole; et le roi la trouva beaucoup mieux.\nMadame _de Grancey_ en mit un aussi, que la reine lui donna, et se\ncoiffa \u00e0 l'espagnole; ce qui lui sied fort bien. Elle \u00e9toit avec les\ndames d'honneur, qui sont proprement les filles de la reine. Elles\npassent toutes deux \u00e0 deux, apr\u00e8s la com\u00e9die, devant le roi et la reine,\nfaisant leurs r\u00e9v\u00e9rences: madame _de Grancey_ figuroit avec une qui\n\u00e9toit de fort bonne gr\u00e2ce. Je n'ai point entendu dire que la mar\u00e9chale\n_de Cl\u00e9rembault_ figur\u00e2t avec personne, mais qu'elle parloit fort bien\nespagnol. Le roi et la reine seront ici dans trois jours, et viendront\ndemeurer \u00e0 Buen-Retiro, maison royale aux portes de Madrid, jusqu'\u00e0 ce\nque tout soit pr\u00eat pour l'entr\u00e9e de la reine. Que j'appr\u00e9hende de\nm'habiller, et de commencer \u00e0 sortir! Je ne suis point du tout n\u00e9e pour\nrepr\u00e9senter.\nJe viens d'apprendre que madame _de Grancey_ est partie de Burgos pour\nParis avec le prince et la princesse _d'Harcourt_. Elle a eu mille\nlouis, deux mille \u00e9cus de pension, et un pr\u00e9sent de diamans de dix-huit\ncents ou deux mille pistoles, tout pareil \u00e0 celui qu'on a donn\u00e9 \u00e0 la\nmar\u00e9chale _de Cl\u00e9rembault_. Il y en a eu deux autres de trois mille\npistoles pour le prince et la princesse _d'Harcourt_. Toutes les femmes,\nhors les deux nourrices de la reine, et deux autres filles, ont \u00e9t\u00e9\nrenvoy\u00e9es. Une vieille sous-gouvernante, nomm\u00e9e mademoiselle _Fauvelet_,\nest morte en chemin; mais si bien en chemin, que son \u00e2me est partie de\nce monde pour l'autre de dedans sa liti\u00e8re, ayant toujours voulu suivre,\nquelque malade qu'elle f\u00fbt. Elle mourut peu d'heures avant que d'arriver\nau lieu o\u00f9 le roi vint trouver la reine, et o\u00f9 ils se sont mari\u00e9s.\nLa reine avoit perdu en chemin mille pistoles contre le prince et la\nprincesse _d'Harcourt_, et autres personnes qui l'accompagnoient. Quand\nleurs majest\u00e9s furent parties, les joueurs eurent grand'peur de n'\u00eatre\npas pay\u00e9s; mais ils furent agr\u00e9ablement surpris par l'arriv\u00e9e d'une\nbourse o\u00f9 \u00e9toit cette somme.\nNe trouvez-vous pas que madame _de Grancey_ a fait un agr\u00e9able voyage?\nTout le monde dans cette cour est fort content d'elle. Le prince et la\nprincesse _d'Harcourt_ avoient un tr\u00e8s-beau train, une grande table, et\nse sont fort bien acquitt\u00e9s de leur emploi. Leur entr\u00e9e \u00e0 Burgos fut\ntrouv\u00e9e fort belle. Le prince _d'Harcourt_ s'est tr\u00e8s-bien gouvern\u00e9, et\nl'on est ici tr\u00e8s-satisfait de l'un et de l'autre. Vous pouvez en\nassurer M. _de Brancas_[10].\nLETTRE III.\n_Madrid, 14 d\u00e9cembre 1679._\nPeu apr\u00e8s que la reine a \u00e9t\u00e9 ici, elle a t\u00e9moign\u00e9 beaucoup d'envie de\nme voir, et me l'envoya dire. Je r\u00e9pondis que j'\u00e9tois fort sensible \u00e0\nl'honneur qu'elle me faisoit. Elle me fit dire pour la seconde fois\nqu'elle avoit pri\u00e9 le roi que j'y allasse _incognito_, parce que,\njusqu'\u00e0 ce qu'elle ait fait son entr\u00e9e, et qu'elle soit log\u00e9e dans le\npalais, personne, homme ni femme, ne la verra. On envoya \u00e0 la _camarera\nmayor_, pour lui dire ce que la reine avoit mand\u00e9, et la permission que\nle roi lui avoit donn\u00e9e de me voir _incognito_. La _camarera_ r\u00e9pondit\nqu'elle ne savoit point cela. Le gentilhomme espagnol, que nous lui\navions envoy\u00e9, la supplia de vouloir s'en informer; elle r\u00e9pondit\nqu'elle n'en feroit rien, et que la reine ne verroit personne, tant\nqu'elle seroit au Retiro. Nous f\u00eemes savoir \u00e0 la reine la diligence que\nnous avions faite: on ne pouvoit pas moins apr\u00e8s l'envie qu'elle avoit\nt\u00e9moign\u00e9e que j'eusse l'honneur de la voir. Apr\u00e8s cela, nous nous sommes\ntenus en repos. Je n'ai pas m\u00eame voulu aller \u00e0 l'\u00e9glise, o\u00f9 l'on peut la\nvoir d'une tribune, de peur qu'on ne m'accus\u00e2t de trop d'empressement.\nLe roi en a un tr\u00e8s-grand pour elle. Il ne voudroit jamais la perdre de\nvue. Cela est tr\u00e8s-obligeant. Mais, pour en revenir \u00e0 cette envie de me\nvoir, je fus dimanche, pour la premi\u00e8re fois, rendre mes devoirs \u00e0 la\nreine m\u00e8re, qui est bonne, obligeante, disant tout ce qu'elle peut et\ntout ce qu'il faut pour plaire. Elle me demanda si je n'avois pas encore\nvu la reine, sa belle-fille. Je lui dis que non. Elle me r\u00e9pondit: Elle\na fort envie de vous voir; vous la verrez d\u00e8s que vous le voudrez, et\nd\u00e8s demain. Ce demain est aujourd'hui. Je vous ai \u00e9crit tout ceci par\navance. Ce sera sur les quatre heures que je me rendrai \u00e0 cette audience\nde la reine. Je vous rendrai compte comme tout cela m'aura paru. On dit\nqu'elle se conduit fort bien: j'en suis persuad\u00e9e. Aucun Fran\u00e7ois ne l'a\nvue. Il y a deux jours que la marquise _de los Balbas\u00e8s_ la voulut voir:\nelle alla dans l'appartement de la _camarera_, qui touche \u00e0 celui de la\nreine. D\u00e8s que la jeune princesse le sut, elle y vint tout aussit\u00f4t;\nmais comme elle voulut parler \u00e0 la marquise, la _camarera_ prit la reine\npar le bras, et la fit entrer dans sa chambre. Ce sont des usages qui ne\nsont pas si extraordinaires ici qu'ils le seroient ailleurs.\nLETTRE IV.\n_Madrid, 15 d\u00e9cembre 1679._\nJe fus hier au Retiro, cette maison o\u00f9 le roi et la reine sont\npr\u00e9sentement. J'entrai par l'appartement de la _camarera mayor_, qui me\nvint recevoir avec toutes sortes d'honn\u00eatet\u00e9s; elle me conduisit par de\npetits passages dans une galerie o\u00f9 je croyois ne trouver que la reine;\nmais je fus bien \u00e9tonn\u00e9e quand je me vis avec toute la famille royale;\nle roi \u00e9toit assis dans un grand fauteuil, et les reines sur des\ncarreaux. La _camarera_ me tenoit toujours par la main, m'avertissant du\nnombre de r\u00e9v\u00e9rences que j'avois \u00e0 faire, et qu'il falloit commencer par\nle roi. Elle me fit approcher si pr\u00e8s du fauteuil de sa majest\u00e9\nCatholique, que je ne comprenois point ce qu'elle vouloit que je fisse.\nPour moi, je crus n'avoir rien \u00e0 faire qu'une profonde r\u00e9v\u00e9rence; sans\nvanit\u00e9, il ne me la rendit pas, quoiqu'il ne me par\u00fbt pas chagrin de me\nvoir. Quand je contai cela \u00e0 M. _de Villars_, il me dit que sans doute\nla _camarera_ vouloit que je baisasse la main \u00e0 sa majest\u00e9. Je m'en\ndoutai bien; mais je ne m'y sentis pas port\u00e9e. Il m'ajouta qu'elle avoit\npropos\u00e9 \u00e0 la princesse _d'Harcourt_ de baiser cette main, et que, sur\nl'avis que cette princesse lui en avoit demand\u00e9, il lui avoit r\u00e9pondu de\nn'en rien faire.\nMe voil\u00e0 donc au milieu de ces trois majest\u00e9s; la reine m\u00e8re me disant,\ncomme la veille, beaucoup de choses obligeantes, et la jeune reine me\nparoissant fort aise de me voir. Je fis ce que je pus pour qu'elle ne le\nt\u00e9moign\u00e2t que de bonne sorte. Le roi a un petit nain flamand qui entend\net qui parle tr\u00e8s-bien fran\u00e7ois. Il n'aidoit pas peu \u00e0 la conversation.\nOn fit venir une des filles d'honneur en _guarda-infante_[11], pour me\nfaire voir cette machine. Le roi me fit demander comment je la trouvois,\net je r\u00e9pondis au nain que je ne croyois pas qu'elle e\u00fbt jamais \u00e9t\u00e9\ninvent\u00e9e pour un corps humain. Il me parut assez de mon avis. On m'avoit\nfait donner une _almoada_[12]. Je m'assis seulement un instant pour\nob\u00e9ir, et je pris aussit\u00f4t une l\u00e9g\u00e8re occasion de me tenir debout, parce\nque je vis beaucoup de _segnoras de honor_ qui n'\u00e9toient point assises,\net que je crus leur faire plaisir de faire comme elles: je me tins donc\ntoujours debout, quoique les reines me dissent souvent de m'asseoir. La\njeune fit une l\u00e9g\u00e8re collation servie \u00e0 genoux par ses dames, qui ont\ndes noms admirables, et qui ne pr\u00e9tendent pas moins \u00eatre que des maisons\nd'Arragon, de Portugal, de Castille, et autres des plus grandes. La\nreine m\u00e8re prit du chocolat: le roi ne prit rien.\nLa jeune reine, comme vous pouvez penser, \u00e9toit habill\u00e9e \u00e0 l'espagnole,\nde ces belles \u00e9toffes qu'elle a apport\u00e9es de France; tr\u00e8s-bien coiff\u00e9e,\nses cheveux de travers sur le front, et le reste \u00e9pars sur les \u00e9paules.\nElle a le teint admirable, de beaux yeux, la bouche tr\u00e8s-agr\u00e9able quand\nelle rit. Que c'est une belle chose de rire en Espagne! Mais il est\nplaisant que je vous fasse le portrait de la reine.\nCette galerie est assez longue, tapiss\u00e9e de damas ou de velours\ncramoisi, chamarr\u00e9 fort pr\u00e8s \u00e0 pr\u00e8s de larges passemens d'or. Depuis un\nbout jusqu'\u00e0 l'autre, est le plus beau tapis de pied que j'aie jamais\nvu; des tables, cabinets et br\u00e2siers, des flambeaux sur les tables: et\nde temps en temps, on voit des menines tr\u00e8s-par\u00e9es, qui entrent avec\ndeux flambeaux d'argent pour changer, quand il faut moucher les bougies.\nElles font de grandes et longues r\u00e9v\u00e9rences de bonne gr\u00e2ce. Assez loin\ndes reines, il y avoit quelques filles d'honneur assises \u00e0 bas, et\nplusieurs dames d'un \u00e2ge avanc\u00e9, avec leurs habits de veuves, debout,\nappuy\u00e9es contre la muraille. Le roi et la reine s'en all\u00e8rent apr\u00e8s\ntrois quarts d'heure, le roi marchant le premier. La jeune reine prit sa\nbelle-m\u00e8re par la main, passant devant \u00e0 la porte de la galerie, apr\u00e8s\nquoi elle revint plus v\u00eete que le pas me retrouver. La _camarera mayor_\nne revint point, et il parut assez qu'on lui donnoit toutes sortes de\nlibert\u00e9s de m'entretenir. Il ne demeura qu'une vieille dame fort loin.\nElle me dit que, si la dame n'y \u00e9toit pas, elle m'embrasseroit bien. Il\nn'\u00e9toit que quatre heures quand j'arrivai l\u00e0; il en \u00e9toit sept et demie\navant que j'en sortisse; et ce fut moi qui voulus sortir.\nJe vous assure, madame, que je voudrois que le roi, la reine m\u00e8re et la\n_camarera mayor_ eussent pu entendre tout ce que je dis \u00e0 la princesse.\nJe voudrois que vous le sussiez aussi, et que vous nous eussiez pu voir\nnous promener dans cette galerie que les flambeaux rendoient\ntr\u00e8s-agr\u00e9able. Cette jeune reine, dans la nouveaut\u00e9 et la beaut\u00e9 de ses\nhabits avec une infinit\u00e9 de diamans, \u00e9toit ravissante.\nImaginez-vous une fois pour toutes, que le noir et le blanc ne sont pas\nplus diff\u00e9rens que la vie d'Espagne et celle de France. Il me semble que\ncette jeune princesse fait tr\u00e8s-bien. Elle voudroit que j'eusse\nl'honneur de la voir tous les jours; je l'assurai que j'en serois\ncharm\u00e9e; mais je la suppliai de m'en dispenser, \u00e0 moins qu'on ne me f\u00eet\nvoir clair comme le jour que le roi et la reine m\u00e8re le souhaitoient\npresqu'autant qu'elle. La _camarera mayor_ me vint prendre \u00e0 la porte de\nla galerie pour me reconduire. Je trouvai l\u00e0 des femmes fran\u00e7oises de la\nreine, auxquelles je dis qu'il falloit apprendre l'espagnol, et\ns'emp\u00eacher, autant qu'il leur seroit possible, de dire un mot de\nfran\u00e7ois \u00e0 la reine. Je savois qu'on les grondoit un peu, quand elles\nlui parloient trop souvent. Je dis en espagnol \u00e0 la _camarera mayor_, ce\nque je disois \u00e0 ces Fran\u00e7oises: elle m'en sut un tr\u00e8s-bon gr\u00e9. Voil\u00e0, \u00e0\npeu pr\u00e8s, madame, tout ce que je puis vous mander de cette premi\u00e8re\nvisite.\nSi vous aviez \u00e9t\u00e9 aujourd'hui ici, vous auriez eu le plaisir de voir au\ntravers d'une porte le plus beau nonce du monde et le mieux disant. Il\nparle un espagnol tout-\u00e0-fait ais\u00e9. Je l'ai re\u00e7u en c\u00e9r\u00e9monie tout \u00e0 mon\naise sur des carreaux, et lui dans un fauteuil. Il m'a fort parl\u00e9 de\n_Charles-Quint_. J'\u00e9tois un peu honteuse d'en \u00eatre si peu instruite; je\nn'en ai pas fait semblant; je disois quelques mots par-ci, par-l\u00e0,\nrappelant dans ma m\u00e9moire beaucoup de beaux endroits, dont mon fils a\u00een\u00e9\nm'a entretenue quelquefois. Mon fils l'abb\u00e9, qui m'assistoit en cette\noccasion, a beaucoup brill\u00e9 dans cette conversation, et n'y a pas moins\nparu que sur les bancs de Sorbonne.\nM. _de Villars_, qui revient de la ville, se met \u00e0 vos pieds, pour\nparler en termes espagnols. Il me vient d'avouer qu'il a pass\u00e9 son\napr\u00e8s-din\u00e9e chez cette femme dont vous lui avez vu le portrait. Il dit\nqu'elle n'a plus de beaut\u00e9, mais bien de l'esprit. J'en jugerai\nincessamment; car il veut que ce soit une des premi\u00e8res dont je re\u00e7oive\nvisite.\nAdieu, madame: si ma lettre ne vous prouve le plaisir que je prends \u00e0\npenser \u00e0 vous, et \u00e0 vous entretenir, je ne sais pas ce qu'il faut faire\npour vous le persuader. Peut-\u00eatre aimeriez-vous mieux en douter; car\ncette lettre est bien longue pour une personne comme vous, au milieu de\nla bonne compagnie et des plaisirs. Telle cependant que vous voyez cette\nlettre, il y a mille choses que je ne vous mande point, et que je vous\ndirois bien. Je ne pense point, quand tout le monde verroit ceci, que je\npusse en recevoir ni reproche ni bl\u00e2me. Cependant usez-en avec prudence.\nLETTRE V.\n_Madrid, 27 d\u00e9cembre 1679._\nJ'ai re\u00e7u depuis peu mes visites. La mani\u00e8re dont se passe cette\nc\u00e9r\u00e9monie, est une chose assez singuli\u00e8re. Premi\u00e8rement, d\u00e8s que j'ai\n\u00e9t\u00e9 arriv\u00e9e, toutes les dames, princesses, duchesses, Grandes, ont\nenvoy\u00e9 plusieurs fois me complimenter, et s'informer avec soin quand\nelles me pouroient voir, chacune voulant \u00eatre avertie des premi\u00e8res.\nEnfin ce temps est venu; il y a quelques jours qu'on leur fit savoir que\nje recevrois le monde trois jours de suite. On envoie un page chez\ntoutes celles qui ont envoy\u00e9, avec des billets qu'on nomme _nudillos_,\nparce qu'en effet ce sont des billets nou\u00e9s. Ce fut la marquise\n_d'Assera_, veuve du duc _de Lerme_, que j'ai vue en France, et qui\ncroit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours\nles honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu'a M. _de Villars_,\nles a faits aussi. Je crois qu'elle a \u00e9t\u00e9 belle, et m\u00eame qu'elle le\nseroit encore passablement, sans cette \u00e9pouvantable coiffure de veuve\nqu'elle porte. Il n'est pas possible, \u00e0 quelque belle personne que ce\nsoit, de le paro\u00eetre avec cet accoutrement; et je ne sais pas comment\nune veuve qui seroit un peu galante, et qui compte sur sa beaut\u00e9, ne se\nremarie pas tout au plus tard au bout de l'an. Cette dame a bien de\nl'esprit, et est honn\u00eate et polie. Je ne vous dirai point les pas\ncompt\u00e9s que l'on fait pour aller recevoir les dames, les unes \u00e0 la\npremi\u00e8re estrade, les autres \u00e0 la seconde ou \u00e0 la troisi\u00e8me; car, par\nparenth\u00e8se, j'ai un tr\u00e8s-grand appartement. Tirez de l\u00e0, en soupirant\npour moi, la cons\u00e9quence de ce qu'il m'en co\u00fbte \u00e0 le meubler. Il faut,\nen entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me\nconduisoit avoit assez d'affaire \u00e0 me redresser; car j'oubliois souvent\nle c\u00e9r\u00e9monial. Ces visites durent tout le jour. On les conduit dans une\nchambre couverte de tapis de pied, un grand br\u00e2sier d'argent au milieu.\nJe n'oublierai pas de vous dire que, dans ce br\u00e2sier; il n'y a point de\ncharbon, mais de petits noyaux d'olives qui s'allument, et qui font le\nplus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la\njourn\u00e9e. La mani\u00e8re de s'entretenir et de se faire des amiti\u00e9s, seroit\ntrop longue \u00e0 vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies\nd\u00e9nich\u00e9es; tr\u00e8s-par\u00e9es en beaux habits et pierreries, hors celles qui\nont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans\ncomparaison[13], \u00e9toit v\u00eatue de gris par cette raison. Pendant l'absence\nde leurs maris, elles se vouent \u00e0 quelque saint, et portent, avec leur\nhabit gris ou blanc, de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne\npuis vous d\u00e9peindre aucune beaut\u00e9; car je n'en ai point vu. La\nconn\u00e9table de Castille est des mieux faites; mais revenons \u00e0 notre\nbr\u00e2sier; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis; car, quoiqu'il y\nait quantit\u00e9 _d'almohadas_, ou carreaux, elles n'en veulent point. D\u00e8s\nqu'il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une\ninfinit\u00e9 de fois. On pr\u00e9sente d'abord de grands bassins de confitures\ns\u00e8ches; ce sont des filles qui servent, apr\u00e8s cela quantit\u00e9 de toutes\nsortes d'eaux glac\u00e9es, et puis du chocolat; ce qu'elles ont mang\u00e9 ou\nemport\u00e9 de marons glac\u00e9s, qu'elles nomment _castagnas_, ne se peut\ncomprendre, tant elles les trouvent bons. Il r\u00e8gne une grande honn\u00eatet\u00e9\nparmi elles; touch\u00e9es de plaire et de faire plaisir; avec tout cela,\nmadame, que je fus aise de me trouver \u00e0 la fin de mes trois jours! La\nplupart me sont venu voir deux fois; trois ou quatre entendent et\nparlent un peu le fran\u00e7ois, et moi tr\u00e8s-peu l'espagnol. Si ce r\u00e9cit vous\nparo\u00eet trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que\nvous faites quelquefois les soirs. Il n'a tenu qu'\u00e0 moi de vous faire\nencore un d\u00e9tail des com\u00e9dies et de leurs machines. La reine, avec qui\nje me suis trouv\u00e9e deux fois, comme elle y alloit, m'y a voulu mener;\nmais jusqu'ici je m'en suis exempt\u00e9e par m'y figurer un ennui mortel, et\nje lui ai dit que j'irois quand elle seroit au palais. Cette jeune reine\nest assur\u00e9ment plus belle et plus aimable que toutes les dames de sa\ncour. Elle n'a point encore fait son entr\u00e9e; on dit que le deux du mois\nprochain on saura le jour destin\u00e9 \u00e0 cette c\u00e9r\u00e9monie; il y a des soup\u00e7ons\nsur une grossesse. A l'\u00e9gard de ne la pas voir aussi souvent qu'elle me\nt\u00e9moigne le souhaiter, ce que je fais jusqu'\u00e0 la dur\u00e9t\u00e9, ce n'est pas\nque je m\u00e9prise cet honneur, et que je n'en sache faire tout le cas que\nje dois; mais je crains plus que je ne puis vous le dire, qu'on ne me\npuisse accuser de trop d'empressement. Ce que la princesse fera de bien\nou moins bien, ne me doit point \u00eatre attribu\u00e9; elle se conduit fort\nprudemment; il n'auroit pas \u00e9t\u00e9 plus mal qu'on lui e\u00fbt donn\u00e9 en France\nquelque bonne t\u00eate en qui elle e\u00fbt confiance; cette cour est remplie de\nplusieurs personnes, qui peuvent indirectement se m\u00ealer de lui donner\ndes conseils; il y a bien peu qu'elle y est, pour savoir choisir les\nbons et rejeter les mauvais; ce ne sont nullement mes affaires; et, si\nla reine m\u00e8re n'avoit souhait\u00e9 que je visse plus souvent la reine que je\nne me l'\u00e9tois propos\u00e9, je n'y aurois \u00e9t\u00e9 qu'une seule fois. Je vous\nassure, madame, que, quand il faut m'habiller, quoiqu'il me soit permis\nd'aller avec toutes sortes de manteaux, et qu'il me faut sortir de ma\nchambre, je suis triste et pein\u00e9e par avance, d'aller repr\u00e9senter en\npublic. On pr\u00e9pare, pour l'entr\u00e9e de la reine, cinq ou six beaux arcs de\ntriomphe. J'en ai vu un qui m'a paru tel. Si le deux du mois prochain on\nla croit encore grosse, elle fera son entr\u00e9e dans une esp\u00e8ce de chaise\nd\u00e9couverte, que des hommes porteront sur leurs \u00e9paules; sinon elle la\nfera \u00e0 cheval. J'\u00e9tois, il y a peu de jours, avec elle; le roi vient\nfaire de petites _comparanzas[14]_ et puis s'en reva. Elle me montroit\nun fort beau pr\u00e9sent d'une parure de pierreries, que le roi lui avoit\nfait le matin. Ils se couchent tous les jours \u00e0 huit heures et demie,\nc'est-\u00e0-dire, le moment d'apr\u00e8s qu'ils sont sortis de table, ayant\nencore le morceau au bec.\nLe prince de _Ligne_ mourut, il y a trois jours; il \u00e9toit assez vieux;\nsa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux th\u00e9atin,\nnomm\u00e9 le P. _Vintimille_, fut chass\u00e9; il \u00e9toit intrigant, \u00e0 ce qu'on\ndit, des amis de feu don _Juan_, et ennemi d\u00e9clar\u00e9 de la reine m\u00e8re; il\ne\u00fbt fort souhait\u00e9 d'\u00eatre confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit\npas fait des scrupules de rien; il est ami de la conn\u00e9table _Colonne_\nque je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je\nles commencerai bient\u00f4t, et la verrai des premi\u00e8res. Elle ne sort point\nde son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise _de los\nBalbas\u00e8s_, sa belle-s\u0153ur; mais cela ne sera pas.\nLe duc _d'Ossone_ continue de ne pas aller \u00e0 la cour.\nIl y a tr\u00e8s-souvent, ce qu'on appelle des c\u00e9r\u00e9monies de chapelle, dans\nl'\u00e9glise qui touche la maison o\u00f9 leurs majest\u00e9s sont \u00e0 pr\u00e9sent; on voit\nla reine \u00e0 travers les barreaux d'une tribune; elle est\ntr\u00e8s-magnifiquement par\u00e9e, aussi bien que toutes les dames: ce lieu\nd'oraison n'est pas moins ch\u00e9ri d'elles. La f\u00eate de No\u00ebl est solemnis\u00e9e\ndans le palais par des parures extraordinaires, et la com\u00e9die sur les\nquatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame,\nqu'il n'y a lieu au monde o\u00f9 je voulusse \u00eatre qu'en Espagne, tant que M.\n_de Villars_ y sera, cela s'entend; voil\u00e0 la pure v\u00e9rit\u00e9.\nLETTRE VI.\n_Madrid, 12 janvier 1680._\nJe vous rendis compte par ma derni\u00e8re lettre des visites que j'avais\nre\u00e7ues; je n'entrerai point dans le d\u00e9tail de celles que je rends.\nJ'oubliai de vous dire que toutes ces grandes dames ne se parlent que\npar _tu_ et _toi_; c'est une marque d'amiti\u00e9. Nous commen\u00e7ons \u00e0 nous\ntutoyer. Le roi et la reine usent de ces termes entr'eux. La reine n'est\nplus grosse. D\u00e8s le lendemain qu'elle ne le fut plus, le roi et la reine\nall\u00e8rent au Pardo, jolie maison \u00e0 deux lieues d'ici; elle eut le plaisir\nde monter un peu \u00e0 cheval, et de voir tuer un sanglier par le roi, son\nmari. Son entr\u00e9e se fera samedi prochain; on dit qu'il s'y verra des\nmagnificences extraordinaires. Leurs majest\u00e9s quitteront le Retiro, et\niront demeurer au palais; l'appartement de la reine est fort dor\u00e9 et\ntr\u00e8s-bien meubl\u00e9; nous l'all\u00e2mes voir l'autre jour. Quand elle y sera,\net qu'elle recevra mille visites, je me propose, sans en rien dire, de\nlui en rendre moins. Toutes les dames, qui sans vanit\u00e9 m'aiment assez,\ncroient et s'attendent que j'y serai tous les jours, et que je puis un\npeu contribuer \u00e0 leur faire faire leur cour; mais, ma ch\u00e8re madame,\nentre vous et moi, non-seulement je ne veux entrer en rien, mais je\nvoudrois me mettre enti\u00e8rement hors de port\u00e9e d'aucun soup\u00e7on. Je vous\nprie d'avoir quelque application pour entrevoir au lieu o\u00f9 vous \u00eates, si\nl'on ne trouvera pas que ce soit le meilleur parti. Il se peut fort bien\nqu'on ne prendra pas la peine de songer \u00e0 ce que je fais ou ne fais pas,\n\u00e0 moins que vous ne le mettiez sur le tapis. Il n'y a presque pas de\nmilieu entre voir la reine tr\u00e8s-souvent, ou ne la voir que\ntr\u00e8s-rarement, en cherchant, pour le public et pour elle, des raisons\nqui ne seront gu\u00e8re vraisemblables, puisque le roi, la reine m\u00e8re, et la\n_camarera mayor_ font paro\u00eetre qu'ils sont tr\u00e8s-aises que je sois\nsouvent avec elle, et tout le monde disant que l'ambassadrice\nd'Allemagne \u00e9toit tous les jours avec la reine m\u00e8re, ne parlant ensemble\nqu'allemand. Vous voyez donc que, du c\u00f4t\u00e9 de cette cour, tout veut que\nje sois souvent avec la reine; mais si je ne sais que la cour de France\nl'approuve, rien ne me peut emp\u00eacher de retirer mes troupes, et de\nlaisser penser ici tout ce qu'on voudra: c'est pourquoi je vous supplie\nencore une fois de t\u00e2cher de savoir ce que vous pourrez l\u00e0-dessus. Cette\njeune reine se conduit jusqu'ici avec beaucoup de douceur et de\nsoumission pour le roi; on dit qu'il l'aime fort: chacun a sa mani\u00e8re\nd'aimer; je le vois assez souvent venir dans une galerie o\u00f9 est la\nreine. Vous avez apparemment vu de ses portraits.\nLe lendemain de l'entr\u00e9e, il y aura une f\u00eate le soir, que l'on nomme\nmascarade, o\u00f9 tous les grands de la cour courent deux \u00e0 deux dans une\nlice avec un flambeau \u00e0 la main. Le roi court avec son grand \u00e9cuyer. Ce\nsont des habits extraordinaires; je crois que cela sera plus beau \u00e0\nd\u00e9peindre qu'\u00e0 voir. Un autre jour, ce sera _juego de cagnas_; je ne\nsais pas trop ce que c'est; on jette des cannes en l'air. Mais la grande\nf\u00eate, ce sera celle de la course des taureaux. Pour celle-l\u00e0, je crois\nque ce sera une tr\u00e8s-belle chose. Des Grands, des fils de Grands\n_tauricideront_. La magnificence du train et des livr\u00e9es sera, \u00e0 ce\nqu'on dit, surprenante. Pourvu qu'il ne s'y tue personne, j'y prendrai\npeut-\u00eatre quelque plaisir. Si cela est, je vous souhaiterai souvent sur\nmon balcon. H\u00e9las! madame, si j'osois, je vous y souhaiterois, m\u00eame\nquand la f\u00eate seroit ennuyeuse.\nJe ne me suis point encore habill\u00e9e \u00e0 l'espagnole, quoique j'aie fait\nfaire deux habits. La reine m\u00e8re aime tout-\u00e0-fait l'habit \u00e0 la\nfran\u00e7oise, et toutes les dames aussi; c'est-\u00e0-dire, les manteaux\nprincipalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur\nne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.\nIl fait aussi froid ici qu'\u00e0 Paris; j'esp\u00e8re qu'il n'y fera pas plus\nchaud.\nLe marquis de _Flamarens_ est \u00e0 Madrid avec l'habit espagnol et la\n_honille_. Je croirois sans peine qu'il s'y ennuiera bient\u00f4t. Le comte\n_de Charni_, pr\u00e9tendu fils naturel de feu _Monsieur_ (duc _d'Orl\u00e9ans_),\ny passe une vie bien triste. C'est un honn\u00eate homme; et s'il est vrai,\ncomme on n'en doute pas, qu'il ait l'honneur d'\u00eatre fr\u00e8re de tant de\nprincesses, celles qui sont en \u00e9tat de lui faire du bien, devroient bien\nlui en faire un peu, et lui procurer quelque moyen de subsister. Nous ne\nle voyons pas souvent, ni _Flamarens_ non plus; il faut qu'ils aient des\n\u00e9gards.\nJe n'ai \u00e9t\u00e9 qu'une seule fois chez la reine m\u00e8re depuis que je suis ici.\nLa reine m'a express\u00e9ment charg\u00e9e de vous faire ses complimens. Je vous\nm\u00e8ne au palais toutes les fois que j'y vais; et votre nom, sans que je\nme le propose, est toujours dans toutes nos conversations. _La\nphilosophie en-dehors, et les pieds en-dedans_, la pens\u00e8rent faire\nmourir de rire. Ce que les Fran\u00e7ois et Fran\u00e7oises trouvent ici de\ntriste, ne l'est nullement, et la reine m'a avou\u00e9 de tr\u00e8s-bonne foi\nqu'elle n'avoit jamais cru s'accoutumer aussit\u00f4t. Vous pouvez penser que\nje ne lui tiens gu\u00e8re de propos qui soient propres \u00e0 faire soupirer\nincessamment apr\u00e8s la France. Enfin jusqu'ici j'ai fait de mon mieux par\nle seul plaisir de bien faire.\nLETTRE VII.\n_Madrid, 26 janvier 1680._\nJe ne vous entretiendrai gu\u00e8re de l'entr\u00e9e de la reine d'Espagne.\nElle en \u00e9toit le plus grand et le plus agr\u00e9able ornement; \u00e0 cheval sous\nun grand dais, fort par\u00e9e, un chapeau de plumes blanches, un habillement\nfait expr\u00e8s pour ce jour de c\u00e9r\u00e9monie; pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e de plusieurs Grands fort\nbrod\u00e9s, et quantit\u00e9 de livr\u00e9es riches et mal entendues, aussi-bien que\nles habits des ma\u00eetres. La reine avoit tr\u00e8s-bonne gr\u00e2ce. Elle quitta un\npeu sa gravit\u00e9 devant le balcon o\u00f9 nous \u00e9tions, et je la lui vis\nreprendre. Il y a eu deux jours de suite des feux d'artifice devant le\npalais, o\u00f9 je me dispensai d'aller. Jusqu'ici il n'y a point eu d'autre\nf\u00eate. Le roi m\u00e8ne souvent la reine dans des couvens, et ce n'est point\ndu tout une f\u00eate pour elle. Elle a voulu absolument que je l'y suivisse\nces deux derniers jours. Comme je n'y connois personne, je m'y suis\nbeaucoup ennuy\u00e9e; et je crois qu'elle ne vouloit que j'y fusse, qu'afin\nde lui tenir compagnie. Le roi et et la reine sont assis, chacun dans un\nfauteuil; des religieuses \u00e0 leurs pieds, et beaucoup de dames qui\nviennent leur baiser les mains. On apporte la collation; la reine fait\ntoujours ce repas d'un chapon r\u00f4ti. Le roi la regarde manger, et trouve\nqu'elle mange beaucoup. Il y a deux nains qui soutiennent toujours la\nconversation. Je croyois hier au soir, au sortir du couvent, m'en\nretourner chez moi; mais la conn\u00e9table de Castille me pria que nous\nallassions ensemble au palais; car vous saurez que, sans l'avoir m\u00e9rit\u00e9,\nil ne tiendroit qu'\u00e0 moi de me donner un grand air ici, les dames\ncroyant que c'est assez qu'une ambassadrice soit de la m\u00eame nation que\nleur reine, pour leur \u00eatre de quelque agr\u00e9ment. Je fais aussi de mon\nmieux pour ne pas tromper leur attente. Voil\u00e0 toutes les affaires que je\nveux avoir au palais. La reine m\u00e8re est toujours une tr\u00e8s-bonne\nprincesse; je n'en puis dire autre chose. Je n'abuse point des bont\u00e9s\nqu'elle m'a fait paro\u00eetre; car, depuis que je suis \u00e0 Madrid, je n'ai \u00e9t\u00e9\nque deux fois chez elle. Il y a, depuis deux jours, un ambassadeur\nd'Espagne nomm\u00e9 pour la France. L'on a r\u00e9voqu\u00e9 celui que vous aviez.\nC'est le marquis _de la Fuente_, fils de celui que vous avez vu\nambassadeur. Sa femme partira bient\u00f4t. Elle ne vous paro\u00eetra ni jeune ni\nbelle; elle est peut-\u00eatre l'un et l'autre en ce pays. C'est une bonne\nfemme.\nJe ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce\nsera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai \u00e0 y\nfaire. Tout ce que j'y ai de plus agr\u00e9able, c'est la commodit\u00e9 des\nhabits. La reine m\u00e8re et toutes les dames approuvent toujours si fort\nceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec\nquel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir d\u00e9j\u00e0\nmand\u00e9, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.\nJe ne vois pas qu'on se presse trop ici d'exp\u00e9dier le brevet de cette\npension de deux mille \u00e9cus pour madame de _Grancey_; M. _de Villars_\nvoudroit bien lui \u00eatre utile; mais avec tout l'or qui vient des Indes,\nl'Espagne ne paro\u00eet pas opulente. Ce que j'ai vu de plus riche, de plus\ndor\u00e9, de plus magnifique, est l'appartement de la reine. Il y a entre\nautres meubles dans sa chambre, une tapisserie, dont ce qu'on y voit de\nfond, est de perles. Ce ne sont point des personnages; on ne peut pas\ndire que l'or y soit massif, mais il est employ\u00e9 d'une mani\u00e8re et d'une\nabondance extraordinaires. Il y a quelques fleurs: ce sont des bandes de\ncompartimens; mais il faudroit \u00eatre plus habile que je ne suis \u00e0\nrepr\u00e9senter les choses, pour vous faire comprendre la beaut\u00e9 que compose\nle corail employ\u00e9 dans cet ouvrage. Ce n'est point une mati\u00e8re assez\npr\u00e9cieuse pour en vanter la quantit\u00e9; mais la couleur et l'or qui paro\u00eet\ndans cette broderie, sont assur\u00e9ment ce qu'on auroit peine \u00e0 vous\nd\u00e9crire; mais il ne vous importe gu\u00e8re. Cette tapisserie m'est demeur\u00e9e\ndans la t\u00eate; c'est ce qui m'a fait \u00e9crire ceci, qui vise assez au\ngalimatias. Adieu, madame: ce que je sens bien distinctement, c'est que\nje vous aime. Aimez-moi aussi, je vous en prie; et ne consentez jamais\nen vous-m\u00eame que je sois en Espagne et vous en France.\n_Madrid, 27 janvier 1680._\nComme le courrier ne partit point hier au soir, et qu'il me reste\nun peu de temps, je veux vous conter, si je puis, en peu de mots, une\nbelle aventure. Nous arrivions hier, M. _de Villars_ et moi, sur les dix\nheures du matin, quand nous v\u00eemes entrer dans ma chambre une _tapada_,\nsuivie d'une autre qui paroissoit sa suivante. Je fis signe \u00e0 M. _de\nVillars_ que c'\u00e9toit \u00e0 lui \u00e0 se mettre en devoir de faire les honneurs;\nla suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle vouloit que quelques\ngens qui \u00e9toient dans l'antichambre, se retirassent aussi. Elle\ns'approcha d'une fen\u00eatre avec M. _de Villars_, me faisant signe en m\u00eame\ntemps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en \u00e9tois gu\u00e8re plus\nsavante. Je me souvenois un peu d'avoir vu quelque personne qui lui\nressembloit; M. _de Villars_ s'\u00e9cria: c'est madame la conn\u00e9table\n_Colonne_! Sur cela je me mis \u00e0 lui faire quelques complimens. Comme ce\nn'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on e\u00fbt\npiti\u00e9 d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus\nbelles. Un corps \u00e0 l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les\n\u00e9paules. Ce qu'elle en montre, est tr\u00e8s-bien fait: deux grosses tresses\nde cheveux noirs, renou\u00e9es par le haut d'un beau ruban couleur de feu:\nle reste de ses cheveux en d\u00e9sordre et mal peign\u00e9; de tr\u00e8s-belles perles\n\u00e0 son cou; un air agit\u00e9 qui ne si\u00e9roit pas bien \u00e0 une autre, et qui pour\nlui \u00eatre assez naturel, ne g\u00e2te rien; de belles dents. Je voudrois bien\nvous faire entendre tout ceci en peu de mots. La conn\u00e9table est dans un\ncouvent royal, nomm\u00e9 _San-Domingo_. Elle en est d\u00e9j\u00e0 sortie quatre ou\ncinq fois; et la derni\u00e8re qu'elle y entra, le nonce fit semblant de\nvouloir parler \u00e0 une religieuse \u00e0 la porte; et quand elle fut ouverte,\nla conn\u00e9table que l'on croyoit bien loin, rentra promptement; car en\nEspagne, dans ces sortes de couvens, il y a d'extraordinaires\nr\u00e9gularit\u00e9s sur les entr\u00e9es et les sorties. Quand elle y fut, les parens\ndu conn\u00e9table exig\u00e8rent d'elle qu'elle signeroit entre les mains du roi\nun papier, par lequel elle s'engageroit de ne plus sortir sans la\npermission de son mari, promettant que, si elle en sortoit, on pourroit\nla renvoyer \u00e0 Saragosse, ou en tel autre lieu que son mari souhaiteroit.\nLa voil\u00e0 donc avec de doubles liens. Quand le marquis _de los Balbas\u00e8s_\nrevint avec sa femme, elle crut qu'ils la recevroient dans leur maison;\nmais ils s'en excus\u00e8rent, disant qu'elle \u00e9toit trop petite. Le bruit de\nl'entr\u00e9e de la reine a fait prendre la r\u00e9solution \u00e0 madame _Colonne_ de\nsortir encore de son couvent. Aussit\u00f4t pens\u00e9, aussit\u00f4t fait. Elle envoie\nemprunter un carrosse, et s'en va droit chez la marquise _de los\nBalbas\u00e8s_. Elle fut bien re\u00e7ue, malgr\u00e9 leur surprise. Au bout de\nquelques jours, quelqu'un vint lui dire que _los Balbas\u00e8s_ l'alloit\nenvoyer \u00e0 Saragosse trouver son mari. Sur cela elle demande un carrosse\npour aller prendre l'air; on lui en donne un. Elle fait quelques tours\npar la ville, et se fait descendre \u00e0 notre porte; la voil\u00e0 chez nous\ndisant qu'elle n'en vouloit plus sortir, et que l'on ne voudroit pas la\nmettre dans la rue. Il parut qu'elle seroit bien aise de voir le nonce.\nNous la f\u00eemes d\u00eener; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle\nfait tr\u00e8s-grande piti\u00e9 d'\u00eatre de l'humeur qu'elle est. Le marquis _de\nlos Balbas\u00e8s_ envoie un de ses parens pour essayer de la r\u00e9soudre \u00e0\nretourner, et \u00e0 ne pas donner une nouvelle sc\u00e8ne au public. Elle dit\nqu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse\nrentrer dans son couvent. Il r\u00e9pond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une\ndame de qualit\u00e9 de nos amies, qui est la comtesse _de Villombrosa_, dont\nle fils a \u00e9pous\u00e9 la fille de _los Balbas\u00e8s_, vint ici. M. _de Villars_\net le nonce firent plusieurs all\u00e9es et venues chez _los Balbas\u00e8s_, qui\npromit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne feroit nulle violence \u00e0\nmadame _Colonne_ pour retourner avec son mari; qu'il la prioit de\nrevenir chez lui, et que l'on t\u00e2cheroit de faire en sorte que le roi qui\navoit l'\u00e9crit de madame _Colonne_, ne sauroit rien, de sa sortie, et\nque, si elle s'opini\u00e2troit \u00e0 ne pas vouloir revenir, elle alloit mettre\ncontre elle le roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, madame, il\n\u00e9toit pr\u00e8s de minuit que nous ne savions tous que faire par les\ncons\u00e9quences que cette pauvre cr\u00e9ature attiroit contre elle en demeurant\nchez nous. Mais enfin elle se r\u00e9solut \u00e0 s'en aller. La comtesse _de\nVillombrosa_, M. _de Villars_ et moi la remmen\u00e2mes chez le marquis _de\nlos Balbas\u00e8s_. Sa femme et lui la re\u00e7urent tr\u00e8s-bien; mille embrassades.\nVraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvemens extraordinaires\nqui se passent dans cette t\u00eate. Elle l'avoue elle-m\u00eame. Si elle ne fait\npas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volont\u00e9. Cependant,\ns'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en\nvouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de\nson mari, nous en serions bien embarrass\u00e9s. Si cette histoire vous\nennuie, madame, prenez-vous-en \u00e0 l'envie et au plaisir que j'ai de vous\nconter tout ce que je sais qui peut vous \u00eatre \u00e9crit.\nLETTRE VIII.\n_Madrid, 9 f\u00e9vrier 1680._\nLa reine d'Espagne, bien loin d'\u00eatre dans un \u00e9tat pitoyable, comme on\nle publie en France, est engraiss\u00e9e au point que, pour peu qu'elle\naugmente, son visage sera rond. Sa gorge, au pied de la lettre, est d\u00e9j\u00e0\ntrop grosse, quoiqu'elle soit une des plus belles que j'aie jamais vues.\nElle dort \u00e0 l'ordinaire dix \u00e0 douze heures. Elle mange quatre fois le\njour de la viande; il est vrai que son d\u00e9je\u00fbner et sa collation sont ses\nmeilleurs repas. Il y a toujours \u00e0 sa collation un chapon bouilli sur un\npotage, et un chapon r\u00f4ti. Je la vois fort rire, quand j'ai l'honneur\nd'\u00eatre avec elle. Je suis persuad\u00e9e que je ne suis ni assez plaisante ni\nassez agr\u00e9able pour la mettre en cette bonne humeur, et qu'il faut\nqu'elle ne soit pas chagrine d'ordinaire. L'on ne peut assur\u00e9ment se\nmieux gouverner, ni avec plus de douceur et de complaisance pour le roi.\nElle avoit vu son portrait; on ne lui avoit pas fait celui de son humeur\npour les mani\u00e8res et la vie solitaire. On n'a pas renvers\u00e9 toutes les\ncoutumes du pays, pour y en mettre de plus agr\u00e9ables. Mais la reine m\u00e8re\nfait tout ce qu'elle peut pour les adoucir. Il paro\u00eet \u00e0 tous les gens de\nbon sens que la jeune reine ne peut mieux faire que de contribuer de son\nc\u00f4t\u00e9 \u00e0 s'attirer la continuation de l'amiti\u00e9 et de la tendresse que ce\nprince lui t\u00e9moigne. Il y a cette duchesse de _Terranova_, _camarera\nmayor_, dont l'humeur passe pour \u00eatre un peu hautaine. La jeune reine\npla\u00eet infiniment \u00e0 toutes les dames. Je fais tout ce que je puis, quand\nj'ai l'honneur d'\u00eatre aupr\u00e8s d'elle, pour la faire souvenir de leur dire\ntout ce qui est le plus propre \u00e0 les gagner. Quand je vous dis qu'elle\nest grasse, qu'elle dort, qu'elle rit, encore une fois, je vous dis\nvrai. Il n'est pas moins vrai aussi, avec tout cela, que la vie qu'elle\nm\u00e8ne, ne lui est gu\u00e8re agr\u00e9able. Enfin, madame, je vous assure qu'elle\nfait \u00e0 merveille; j'en suis tout \u00e9tonn\u00e9e.\nIl y eut hier la plus c\u00e9l\u00e8bre f\u00eate de taureaux qui se soit vue depuis\nplusieurs r\u00e8gnes des rois d'Espagne. Il y eut six Grands ou fils de\nGrands qui furent les _toreadors_. Je pensai mourir dans la premi\u00e8re\nheure: mourir est un peu trop dire; mais j'eus une \u00e9motion et un si\nviolent battement de c\u0153ur, que je crus n'y pouvoir r\u00e9sister, et je me\nlevois pour m'\u00f4ter de dessus le balcon o\u00f9 j'\u00e9tois, si M. _de Villars_ ne\nm'e\u00fbt dit que pour rien du monde il ne falloit faire cette faute. C'est\nune terrible beaut\u00e9 que cette f\u00eate. La bravoure des _toreadors_ est\ngrande. Aucuns taureaux \u00e9pouvantables \u00e9prouv\u00e8rent bien celle des plus\nhardis et des meilleurs. Ils crev\u00e8rent de leurs cornes plusieurs beaux\nchevaux; quand les chevaux sont tu\u00e9s, il faut que les seigneurs\ncombattent \u00e0 pied, l'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main, contre ces b\u00eates furieuses. Je\nn'aurois jamais fait, si je voulois vous conter tout ce qui s'observe\ndans ces combats, qui ont bien des rapports avec ceux des anciens Maures\net Grenadins. Les dames, dont les amans combattent, et qui sont\npr\u00e9sentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu'elles les\naiment v\u00e9ritablement. Les seigneurs, qui doivent combattre, ont chacun\ncent hommes v\u00eatus de leurs livr\u00e9es. C'est une chose qui m\u00e9riteroit de\nvous \u00eatre cont\u00e9e plus en d\u00e9tail. Si j'\u00e9tois roi d'Espagne, jamais on\nn'en reverroit.\nJe crois vous avoir d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9 de la d\u00e9votion de ce pays. Nous avons \u00e9t\u00e9\noblig\u00e9s, de peur d'y scandaliser s\u00e9culiers et religieux, de manger de la\nviande le samedi. Nous ne mangeons point ce jour-l\u00e0 ce qu'on appelle\n_petits pieds_. C'est une m\u00e9diocre mortification. Cela est partout, en\nEspagne.\nToutes les dames, g\u00e9n\u00e9ralement parlant, sont honn\u00eates et civiles,\nsur-tout celles qui ont un peu voyag\u00e9 avec leurs maris.\nLe roi d'Espagne hait parfaitement Fran\u00e7ois et Fran\u00e7oises.\nIl y a ici un Fran\u00e7ois dont je vous ai parl\u00e9: c'est le comte _de\nCharmy_, qui m\u00e9riteroit de vivre dans son pays, et de ne pas finir ses\njours dans celui-ci. Nous le voyons peu; mais ce que j'en connois est\nd'un homme sage et de bon sens. Nous voyons encore moins le marquis _de\nFlamarens_. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il s'ennuie\nbeaucoup. Adieu, madame.\nLETTRE IX.\n_Madrid, 6 mars 1680._\nNous voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien \u00e0 vous dire du\ncarnaval. Comme le car\u00eame n'est point du tout ici un temps de p\u00e9nitence,\ncelui qui le pr\u00e9c\u00e8de ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous\nne voudriez croire que c'en f\u00fbt un que de jeter sur les passans beaucoup\nd'eau par la fen\u00eatre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la\nreine et les dames se battent \u00e0 coups d'\u0153ufs remplis d'eau de senteur,\nmais en si prodigieuse quantit\u00e9, que l'on ne comprend pas o\u00f9 l'on peut\nen trouver tant. Ils sont tous argent\u00e9s et peints. La reine m'en donna\nun panier dont je r\u00e9galai ma fille. Voil\u00e0, madame, par o\u00f9 l'on marque \u00e0\ncette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et\ndont je t\u00e2che, autant que je le puis, de lui \u00f4ter le souvenir. En\nv\u00e9rit\u00e9, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des\nchoses extraordinaires \u00e0 dix-huit ans. Il entre de tout dans cette\nheureuse composition; et, pour ajouter encore \u00e0 la gloire qu'elle peut\ntirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui\ndonna les plus m\u00e9chans conseils du monde. Elle le conno\u00eet bien\npr\u00e9sentement.\nJ'ai \u00e9t\u00e9 assez souvent \u00e0 la com\u00e9die espagnole avec elle: rien n'est si\nd\u00e9testable. Je m'y amusois \u00e0 voir les amans regarder leurs ma\u00eetresses,\net leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour\nmoi je suis persuad\u00e9e que c'est plut\u00f4t une marque de leur souvenir qu'un\nlangage; car leurs doigts vont si v\u00eete, que, si ces amans s'entendent,\nil faut que l'amour d'Espagne soit un excellent ma\u00eetre dans cet art. Je\npense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se\nsoucie gu\u00e8re de faire plus de chemin.\nIl y a, depuis peu de jours, un premier ministre, qui est le grand duc\n_de Medina Celi_, le plus grand seigneur de cette cour; il n'a que\nquarante ou quarante-cinq ans. Voil\u00e0 tout ce que vous saurez des\naffaires d'Etat. Je n'en sais gu\u00e8re davantage. On n'a point rem\u00e9di\u00e9 \u00e0\ncelle qui me tient assez au c\u0153ur, qui est ce rabais des monnoies. C'est\nune chose bien triste, madame, que le peu d'argent qui nous vient de\nFrance par cette diminution, et qu'il faille sur chaque pistole en\nperdre plus de la moiti\u00e9. La piti\u00e9 que j'ai de nous ne m'emp\u00eache pas\nd'en avoir pour ce pauvre peuple, qui paro\u00eet ne vivre que de ce qu'on\nappelle ici _tomar el sol_; tant il est maigre, abattu et mis\u00e9rable.\nIl y eut dimanche, au Retiro, une com\u00e9die de machines, o\u00f9 les deux\nreines et le roi \u00e9toient. Il y falloit \u00eatre \u00e0 midi. L'on y mouroit de\nfroid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont\ntr\u00e8s-agr\u00e9ables, habill\u00e9e \u00e0 ma commodit\u00e9 comme devant voir cette com\u00e9die\nderri\u00e8re des jalousies, et ne songeant ni \u00e0 roi, ni \u00e0 reine, j'entendis\nnotre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai\ndans le lieu d'o\u00f9 me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu\ncompos\u00e9: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine m\u00e8re. Elle\nn'avoit consult\u00e9, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit\ntout-\u00e0-fait oubli\u00e9 la gravit\u00e9 espagnole. Elle de rire en me voyant. La\nreine m\u00e8re me rassura; elle est toujours aise que la reine sa\nbelle-fille se divertisse. Elle lui donna m\u00eame occasion de me venir\nparler aupr\u00e8s d'une fen\u00eatre; mais je m'en retirai bient\u00f4t. Elle me\ndemanda si je n'avois point re\u00e7u de vos lettres.\nAu reste, madame, toutes les ambassadrices meurent \u00e0 Madrid; en voil\u00e0\ndeux en six semaines, qui \u00e9toient plus jeunes que moi[15]. J'aimerois\nautant que la mort en e\u00fbt pris de quelqu'autre \u00e9tat. On me dit qu'on ne\npeut r\u00e9sister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je\nsonge \u00e0 mesdames _de Schornberg_ et _de la Fayette_, qui cherchent et\nqui trouvent des airs temp\u00e9r\u00e9s dans leurs maisons de la ville, et dans\ncelles qu'elles choisissent \u00e0 la campagne. Elles sont toujours malades,\nsans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me\nporte bien, sans faire aucun rem\u00e8de et sans les croire n\u00e9cessaires.\nMais cela ne peut pas durer. J'observe mon r\u00e9gime de chocolat, auquel\nseul je crois devoir ma sant\u00e9. Je n'en use pas comme une folle et sans\npr\u00e9caution. Mon temp\u00e9rament ne paro\u00eet nullement se pouvoir accommoder de\ncette nourriture. Elle est pourtant admirable et d\u00e9licieuse. J'en ai\nfait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que,\nsi je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre m\u00e9thodiquement, et\nvous faire avouer que rien n'est meilleur pour la sant\u00e9. Voil\u00e0 bien\nparler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque\nmon seul plaisir que d'en prendre.\nLa conn\u00e9table _Colonne_, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours\ndans un couvent \u00e0 cinq lieues d'ici. Son mari est \u00e0 Madrid depuis deux\njours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de\ncette ville, o\u00f9 elle aura beaucoup moins de libert\u00e9 que dans celui d'o\u00f9\nelle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute pr\u00eate le jour\nqu'on l'emmena de Madrid au lieu o\u00f9 elle est pr\u00e9sentement, de s'en\nvenir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.\nJ'ai re\u00e7u par cet ordinaire une lettre de madame _de S\u00e9vign\u00e9_. Je ne\nsaurois lui faire r\u00e9ponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai\nfait lire \u00e0 la reine l'endroit o\u00f9 madame _de S\u00e9vign\u00e9_ parle d'elle et de\nses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne\ngr\u00e2ce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pens\u00e9 que ses\njolis pieds, pour toute fonction, ne vont pr\u00e9sentement qu'\u00e0 faire\nquelques tours de chambre, et \u00e0 huit heures et demie tous les soirs, \u00e0\nla conduire dans son lit. Elle m'a ordonn\u00e9 de vous faire \u00e0 toutes deux\nbien des amiti\u00e9s. Elle \u00e9toit hier belle comme un ange, accabl\u00e9e, sans se\nplaindre, d'une parure d'\u00e9meraudes et de diamans sur la t\u00eate,\nc'est-\u00e0-dire, mille poin\u00e7ons; de furieux pendans d'oreilles; et devant\nelle et autour d'elle en \u00e9charpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez\nque les \u00e9meraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet;\nD\u00e9trompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on\npuisse voir; sa gorge blanche et tr\u00e8s-belle. Elle \u00e9toit un peu plus\npar\u00e9e qu'\u00e0 l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donn\u00e9 audience le\nmatin au conn\u00e9table _Colonne_, et qu'en le voyant et l'entendant parler,\nelle avoit \u00e9t\u00e9 bien persuad\u00e9e de la folie de sa femme. Il est fait \u00e0\npeindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par\nl'air dont il laissoit vivre sa femme \u00e0 Rome. La reine me demanda fort\ndes nouvelles de madame _de Grignan_[16], et si elle ne reviendroit\npoint cet hiver \u00e0 Paris.\nSi trois semaines apr\u00e8s que vous aurez re\u00e7u cette lettre, vous envoyez\nun laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des\nPetits-P\u00e8res, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne\nsont pas arriv\u00e9s d'Espagne. Ces p\u00e8res ont pour vous une petite bo\u00eete o\u00f9\nil y a le plus petit pr\u00e9sent du monde. Faites pourtant cas des tasses de\nboucaro. J'ai, en v\u00e9rit\u00e9, quelque sorte de honte, non du petit pr\u00e9sent,\nmais de cette longue lettre. Il n'appartient pas \u00e0 quelqu'un qui est \u00e0\nMadrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les\njourn\u00e9es sont remplies d'occupations agr\u00e9ables ou soi-disantes.\nLETTRE X.\n_Madrid, 21 mars 1680._\nJe veux vous parler d'une promenade o\u00f9 je fus hier, qui est la plus\nordinaire, quand il fait chaud; et il en fait d\u00e9j\u00e0 beaucoup ici. C'est\ndans cette rivi\u00e8re si vant\u00e9e du Man\u00e7anar\u00e8s: au pied de la lettre, la\npoussi\u00e8re commence \u00e0 y \u00eatre si grande, qu'elle incommode d\u00e9j\u00e0 beaucoup.\nIl y a de petits filets d'eau par-ci, par-l\u00e0, mais pas assez pour qu'on\nen puisse arroser des sables menus, qui s'\u00e9l\u00e8vent sous les pieds des\nchevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est\ndonc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une v\u00e9rit\u00e9 assez\nextraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez\norner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous\nexpose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivi\u00e8re,\nparce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand\net prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait b\u00e2tir sur ce Man\u00e7anar\u00e8s.\nIl est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et\nl'on ne peut s'emp\u00eacher de savoir bon gr\u00e9 \u00e0 celui qui conseilla \u00e0 ce\nprince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivi\u00e8re. Je pensois que je\npourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voil\u00e0 bien\ndavantage.\nLes femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent\nce jour-l\u00e0 chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et\napr\u00e8s-d\u00eener, M. _de Villars_ et moi nous les men\u00e2mes dans mon carrosse\nhors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir \u00e0 la reine\nqu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne\nlui dire point adieu. D\u00e8s les sept heures, elle les demanda; elles n'y\n\u00e9toient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me v\u00eent dire de\nl'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les\ncinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en\nv\u00e9rit\u00e9, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front,\nrenou\u00e9s en grosses boucles; des rubans couleur de rose \u00e0 sa cornette et\ndessus sa t\u00eate, point barbouill\u00e9e de rouge, comme il faut qu'elle le\nsoit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre \u00e0\nla fran\u00e7oise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se\nconsid\u00e9ra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la\nremit. Il paroissoit \u00e0 ses yeux qu'elle avoit bien pleur\u00e9. Comme elle\ncommen\u00e7oit \u00e0 me parler, le roi entra; et c'est ici une loi \u00e9tablie,\nque, quand sa majest\u00e9 entre dans la chambre de la reine, toutes les\ndames qui s'y trouvent, en sortent aussit\u00f4t, si ce n'est la _camarera\nmayor_ et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on\ndemandoit des cartes, et je conjecturai par l\u00e0 que la reine s'alloit\nfort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et o\u00f9 l'on peut perdre une\npistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si\nelle \u00e9toit ravie de cette occupation. Il lui est rest\u00e9 deux des femmes\nqu'elle a amen\u00e9es, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une\nProven\u00e7ale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir\ndiminuer le nombre des Fran\u00e7ois; car il ne peut celer qu'il hait au\ndernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi\nde ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille\nnomm\u00e9e _Martin_, jolie, belle et sage. On ne les a pas chass\u00e9es; mais on\nleur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger\nd'en sortir. Joignez \u00e0 cela les marques que le roi leur donnoit de son\naversion.\nM. _de Villars_ me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure\nqu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on\nappelle en France _fille d'honneur_. Elle en a dix. L'on en prend tous\nles jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc\n_d'Albe_. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de\npierreries. Celle-ci servant la collation \u00e0 la reine, comme les autres,\nreportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au c\u00f4t\u00e9 avec un gros\nn\u0153ud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien\ntu\u00e9 un homme: il \u00e9toit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien\npoli et bien mont\u00e9. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de\nle remarquer; peut-\u00eatre ne fis-je pas ma cour \u00e0 la fille, qui ne portoit\npas cette arme pour la cacher, et pour n'en pr\u00e9tendre pas quelque\nlouange.\nIl y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les clo\u00eetres\ndu palais. Je la vis par une petite fen\u00eatre devant laquelle elle\npassoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande\nrobe de c\u00e9r\u00e9monie, des manches pendantes, une longue queue port\u00e9e par la\n_camarera mayor_. Les filles ou dames d'honneur marchoient ensuite,\npar\u00e9es avec des habits extraordinaires pour ces jours-l\u00e0. La croix, le\npatriarche, les \u00e9v\u00eaques, les pr\u00eatres et religieux marchent devant leurs\nmajest\u00e9s. Mais pour en revenir aux dames qui sont suivies de celle qui\ns'appelle _la guarda mayor_, leurs amans obtiennent ces jours-l\u00e0 ce qui\ns'appelle _dar lugar_[17], c'est-\u00e0-dire, qu'ils ont place et la libert\u00e9\npendant cette procession d'entretenir leurs ma\u00eetresses. Les processions\nsont bien meilleures ici pour les amans que les com\u00e9dies, o\u00f9 ils ne\npeuvent se parler que de loin avec les doigts. Voil\u00e0, madame, tout ce\nqu'on peut vous dire de cette c\u00e9r\u00e9monie. Si la croix n'y \u00e9toit pas\nport\u00e9e, je vous-dirois que c'est une des plus galantes f\u00eates que l'on\nvoie en Espagne.\nJe m'en vais finir cette lettre par quelque chose, qui vous paro\u00eetra\naussi extraordinaire que ce que je vous ait dit au commencement: c'est\nun secret que M. _de Villars_ m'a confi\u00e9. _Le roi, les deux reines et le\npremier ministre n'ont point du tout de cr\u00e9dit._ Ce secret est comme\ncelui de la com\u00e9die. Je m'en suis un peu dout\u00e9e par le peu de pr\u00e9caution\nque M. _de Villars_ a pris en me le confiant.\nLETTRE XI.\n_Madrid, 16 avril 1680._\nJ'ai re\u00e7u deux de vos lettres par ce dernier ordinaire, comme je montois\nen carrosse pour aller \u00e0 l'Escurial. H\u00e9las! madame, quelle nouvelle\nm'avez-vous apprise que celle de la mort de M. _de la\nRochefoucauld_[18]. Je n'ai pas le courage de vous parler de toutes les\nmerveilles que je viens de voir. La tristesse de cette mort dont j'\u00e9tois\np\u00e9n\u00e9tr\u00e9e, m'engagea \u00e0 consid\u00e9rer plus long-temps que je ne l'aurois\npeut-\u00eatre fait dans une autre situation d'esprit, ce magnifique\nPanth\u00e9on, et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte\ncelles que les morts habitent, et o\u00f9 sont d\u00e9j\u00e0 quatre rois[19] et quatre\nreines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien\naujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon c\u0153ur; et c'est tout ce que je\npuis faire, afflig\u00e9e comme je le suis.\nLETTRE XII.\n_Madrid, 27 avril 1680._\nSi j'avois \u00e9t\u00e9 dimanche \u00e0 une belle procession qui se fit encore, je\nvous en rendrois un l\u00e9ger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de\npasser de propos d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 toute la matin\u00e9e du dimanche des Rameaux sans\nprier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine\nqu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un expr\u00e8s pour cette\nc\u00e9r\u00e9monie, o\u00f9 il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond\nde cet habit est de satin noir tout brod\u00e9 de jais blanc et d'acier,\nmais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France.\nC'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit\nbeaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze pliss\u00e9s,\nattach\u00e9s en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on pr\u00e9tend\nmarquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des\npointes de gaze blanche sur leurs t\u00eates, et leurs amans \u00e0 leurs c\u00f4t\u00e9s.\nJe ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints,\nmercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont par\u00e9es, et courent\nd'\u00e9glise en \u00e9glise toute la nuit, hors celles qui ont trouv\u00e9 dans la\npremi\u00e8re o\u00f9 elles ont \u00e9t\u00e9, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a\nplusieurs, qui, de toute l'ann\u00e9e, ne parlent \u00e0 leurs amans que ces trois\njours-l\u00e0.\nJe vous \u00e9cris par un courrier que le roi a envoy\u00e9 \u00e0 M. _de Villars_.\nVous aimeriez peut-\u00eatre davantage cet ambassadeur, si vous saviez \u00e0 quel\npoint il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours\nsur mes gardes pour ne rien \u00e9crire qui vise aux affaires d'\u00e9tat, je ne\nvous ai point inform\u00e9e de plusieurs choses qui se sont pass\u00e9es ici,\nquoique publiques; mais, en g\u00e9n\u00e9ral, vous pouvez dire que M. _de\nVillars_ a fait r\u00e9tablir toutes choses comme le roi le d\u00e9siroit. On lui\na tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans\nson quartier, \u00e0 Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et\nbr\u00fbler notre maison, en animant le peuple. Tout est \u00e0 craindre, quand il\narrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle\n\u00e0 les emp\u00eacher, et m\u00eame, s'il se peut, \u00e0 les pr\u00e9voir, quoique cela soit\nquelquefois bien difficile. Le cardinal _Bonzi_, \u00e9tant ici ambassadeur,\ny a pass\u00e9. Quand ces d\u00e9sordres-l\u00e0 arrivent, les plaintes ne manquent pas\nd'\u00eatre port\u00e9es en France, et un pauvre ambassadeur est condamn\u00e9, sans\navoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel d\u00e9pit que _Juvenozo_,\nleur ambassadeur en France, n'ait pas re\u00e7u les traitemens qu'il vouloit,\nqu'ils auroient achet\u00e9 bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite\nde M. _de Villars_, sur le fait ou le caract\u00e8re de l'ambassade.\nPersonnellement on ne peut \u00eatre plus aim\u00e9, ni plus estim\u00e9 qu'il l'est.\nCe roi a une haine effroyable contre les Fran\u00e7ois; je ne cesse pas de\nvous l'\u00e9crire. La conduite de la reine est toujours tr\u00e8s-bonne. Vous la\nlouez du bon go\u00fbt qu'elle a pour moi; mais savez vous \u00e0 quelle sauce je\nme mets pour \u00eatre trouv\u00e9e de si bon go\u00fbt? Adieu, ma ch\u00e8re madame; M. _de\nVillars_ vous assure de mille v\u00e9ritables respects.\nLETTRE XIII.\n_Madrid, premier mai 1680._\nTout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue \u00e0 bien\nfaire. Le roi fut mercredi \u00e0 l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut\ndes airs ici: la reine eut tous ceux qui \u00e9toient n\u00e9cessaires pour\nmarquer une grande m\u00e9lancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne\ncom\u00e9dienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis \u00e0\npropos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont\nenvoy\u00e9, pendant cette courte absence, des pr\u00e9sens riches et galans.\nJe reviens du palais. C'est aujourd'hui la f\u00eate de _Monsieur_. La reine\n\u00e9toit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut \u00eatre si\nbelle \u00e0 Madrid. Elle \u00e9toit extraordinairement par\u00e9e de tr\u00e8s-grosses\nperles, et de beaucoup de diamans. J'ai \u00e9t\u00e9 quelque temps seule avec\nelle. Nous avons chant\u00e9 quelques airs d'op\u00e9ra: car il n'est pas\nquestion, dans nos conversations, de la gravit\u00e9 que comporteroit mon\n\u00e2ge. En v\u00e9rit\u00e9, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que\nce f\u00fbt une \u0153uvre tr\u00e8s-bonne que de la divertir. La vie du palais de\nMadrid ne se peut gu\u00e8re comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il\nse porte bien aujourd'hui. J'ai laiss\u00e9 toute la maison royale aller \u00e0 la\ncom\u00e9die; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir\nchez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. _de Villars_ voudroit que\nje vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous\nrespecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. _de\nCoulanges_ de tout son c\u0153ur. Adieu, madame.\nLETTRE XIV.\n_Madrid, 26 mai 1680._\nVous dites, madame, que j'attire des louanges \u00e0 la reine par le go\u00fbt\nqu'elle paro\u00eet avoir pour moi, et le d\u00e9sir qu'elle fait voir que je sois\npresque toujours aupr\u00e8s d'elle. Elle en m\u00e9rite, en v\u00e9rit\u00e9, d'autres, par\nla mani\u00e8re dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue\ntrois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du\nroi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des pr\u00e9sens\nqu'elle aime fort, et voil\u00e0 par o\u00f9 il la console.\nLe marquis _de Grana_ et sa femme sont arriv\u00e9s. On dit que cette femme\nparle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple aupr\u00e8s d'elle.\nJe ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous\nserons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et\nd'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres\nfemmes de ministres \u00e9trangers ne les voient que dans un lieu destin\u00e9\npour les c\u00e9r\u00e9monies. Avec cette pr\u00e9rogative, peut-on ne se pas trouver\nheureuse \u00e0 Madrid?\nM. _de Villars_ vous assure de mille tr\u00e8s-humbles respects, et ma fille\naussi. Elle aime un peu mieux M. _de Coulanges_ que vous. Elle porta\nhier \u00e0 la reine la lettre et les chansons de M. _de Coulanges_. Elles\nles chant\u00e8rent long-temps. N'avez-vous pas re\u00e7u une petite bo\u00eete par des\nreligieux?\nLETTRE XV.\n_Madrid, 28 mai 1680._\nJ'ai vu M. et madame _de Grana_; le mari me vint voir il y a deux ou\ntrois jours; il fut toute l'apr\u00e8s-d\u00een\u00e9e avec moi. Il parle mieux\nfran\u00e7ois qu'un Fran\u00e7ois m\u00eame; il est de bonne conversation. Il s'ennuie\n\u00e0 la mort \u00e0 Madrid, quoiqu'il y ait demeur\u00e9 long-temps, et qu'il y ait\nbeaucoup de parens. Il est \u00e9pouvant\u00e9 du gouvernement, quoiqu'il n'en\nparle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, \u00e0 une\nFran\u00e7oise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il\nn'y avoit qu'un ambassadeur de France qui p\u00fbt pr\u00e9sentement trouver\nquelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du m\u00e9chant \u00e9tat o\u00f9\non la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun\nde ces d\u00e9tails.\nJe jouis du beau temps, qui est admirable pr\u00e9sentement. Depuis un mois,\nil est temp\u00e9r\u00e9. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en\nfaut pour r\u00e9jouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie\ninstamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis\nquelquefois \u00e0 cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me\nsemble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est\nr\u00e9pandu \u00e9pais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui\npersuader qu'il faut s'y accoutumer, et t\u00e2cher de le moins sentir\nqu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la g\u00e2ter, en la\nflattant de sottises et de chim\u00e8res, dont beaucoup de gens ne sont que\ntrop prodigues. On a cru deux mois qu'elle \u00e9toit grosse; c'est \u00e0 elle \u00e0\nsavoir s'il y en avoit sujet. On ne peut \u00eatre moins propre \u00e0 questionner\nque je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand\nelle est partie de Paris, je n'\u00e9tois pas beaucoup dans sa confiance, ni\nconnue et consid\u00e9r\u00e9e au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la\nreine a du plaisir \u00e0 voir une Fran\u00e7oise, et \u00e0 parler sa langue\nnaturelle. Nous chantons ensemble des airs d'op\u00e9ra. Je chante\nquelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de\nFontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut \u00e9viter de\nlui en \u00e9crire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que\nses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous\nles rideaux tir\u00e9s. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui\ndis souvent qu'elle n'a pas d\u00fb croire qu'on les changeroit pour elle, ni\npour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne\nlui ait pas cherch\u00e9 par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque\nfemme d'esprit, de m\u00e9rite et de prudence, pour servir \u00e0 cette princesse\nde consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en e\u00fbt pas besoin en\nEspagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance.\nPour des plaisirs, elle n'en voit aucun \u00e0 esp\u00e9rer dans cette cour; mais\ncomme je n'ai aucun personnage \u00e0 faire aupr\u00e8s d'elle, et que je n'ai ni\ncharge ni mission de m'en m\u00ealer, ni de p\u00e9n\u00e9trer rien sur le pr\u00e9sent, le\npass\u00e9 et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je\nsois souvent aupr\u00e8s d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs\npoint d'ennui avec M. _de Villars_, avec qui j'aime bien autant m'aller\npromener. Si je vous disois la continuation, o\u00f9, pour mieux dire,\nl'augmentation des mis\u00e8res de ce pays, cela vous feroit de la peine.\nAdieu, madame; je suis \u00e0 vous de tout mon c\u0153ur.\nLETTRE XVI.\n_Madrid, 13 juin 1680._\nDepuis ma derni\u00e8re lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule\nmaison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps,\nquitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici\npour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus\nbelles; et, si M. _le Nostre_ en trouvoit une pareille, ce qu'il y\npourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est\ngrand, est entour\u00e9 de deux rivi\u00e8res dont l'une est le Tage, et l'autre\nle Guadaran. Voil\u00e0 de grands noms; mais me voil\u00e0, pour toute ma vie,\nd\u00e9tromp\u00e9e de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute id\u00e9e de ce Tage?\net le Man\u00e7anar\u00e8s n'a-t-il pas quelquefois touch\u00e9 votre imagination,\ncomme de quelque agr\u00e9able rivi\u00e8re? Le Tage est plus grand; mais, en\nrevanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la v\u00e9rit\u00e9;\nce jardin, pour l'Espagne, est agr\u00e9able, par la quantit\u00e9 de fontaines et\nd'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par\nla s\u00e9cheresse du climat. Je n'ai rien trouv\u00e9 \u00e0 redire au peu de largeur\ndes all\u00e9es. C'est _Philippe II_ qui les a fait planter; et peut-\u00eatre\nque, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour \u00eatre\nparfaites. La maison serait assez belle, si elle \u00e9toit achev\u00e9e; mais il\ns'en faut plus de la moiti\u00e9, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a\nsept ou huit lieues d'Aranjuez \u00e0 Madrid. Nous y all\u00e2mes le vendredi, et\nnous en rev\u00eenmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui\nen dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra.\nElle fit fort bien son devoir: je lui avois conseill\u00e9 de marquer quelque\nimpatience que sa majest\u00e9 la men\u00e2t voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de\npeine \u00e0 lui persuader que j'en \u00e9tois charm\u00e9e; car il le croit au-dessus\nde tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'\u00eatre propre\nque pour le temps des chaleurs, est mortelle en \u00e9t\u00e9; et le gouverneur a\npermission de n'y \u00eatre jamais en cette saison. Pour toutes b\u00eates rares,\nil y a une infinit\u00e9 d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en\nvoit quelquefois \u00e0 Paris, ne fait pas un effet d\u00e9sagr\u00e9able, comme\nlorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit l\u00e0 ne fait point\ndu tout souvenir de la m\u00e9nagerie de Versailles. Il n'y a m\u00eame point de\nm\u00e9nagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des\ntroupeaux de b\u0153ufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des\npierres ou de la terre, quand on b\u00e2tit. Me voil\u00e0 donc revenue de cette\nmaison royale, dont je ne vous parlerai plus.\nLes Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bient\u00f4t la\nguerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux\nl'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur\nr\u00e9ponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au\npalais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien\nalarm\u00e9e. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux temp\u00e9rament\npour la sant\u00e9; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans\nsa t\u00eate, pour la soutenir si bien; car pour son c\u0153ur, je crois qu'il ne\ns'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le\ntrouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des op\u00e9ras;\nelle joue \u00e0 merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de\nrien, elle a appris \u00e0 jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de\nconsolation dans les livres de d\u00e9votion. Cela n'est point extraordinaire\n\u00e0 son \u00e2ge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle f\u00fbt grosse, et\nqu'elle e\u00fbt un enfant.\nJe n'ai point vu le marquis _de Grana_ depuis que je vous ai \u00e9crit. Je\nserois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit\ndevoir garder en cette cour, le retient peut-\u00eatre et sa femme aussi,\nqui, par politique de son c\u00f4t\u00e9, s'habille \u00e0 l'espagnole. On l'en devroit\nr\u00e9compenser, car elle est bien mieux autrement.\nIl y aura lundi une f\u00eate de taureaux. On s'y attend \u00e0 beaucoup de\nplaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abb\u00e9 _de\nVillars_ vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charm\u00e9\nde celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi,\nc'est une \u00e9pouvantable beaut\u00e9. Il y aura une autre f\u00eate le 31 de ce\nmois, dont je vous ferai \u00e9crire une ample relation. Vous la trouverez\nbien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans.\nOn y br\u00fble beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des\nh\u00e9r\u00e9tiques et des ath\u00e9es. Ce sont des choses horribles.\nLETTRE XVII.\n_Madrid, 25 juillet 1680._\nJe n'ai pas eu le courage d'assister \u00e0 cette horrible ex\u00e9cution des\nJuifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire;\nmais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y \u00eatre, \u00e0 moins de\nbonnes attestations de m\u00e9decins d'\u00eatre \u00e0 l'extr\u00e9mit\u00e9; car autrement on\ne\u00fbt pass\u00e9 pour h\u00e9r\u00e9tique. On trouve m\u00eame tr\u00e8s-mauvais que je ne parusse\npas me divertir tout-\u00e0-fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu\nexercer de cruaut\u00e9s \u00e0 la mort de ces mis\u00e9rables, c'est ce qu'on ne vous\npeut d\u00e9crire.\nLe marquis _de Grana_ fit lundi son entr\u00e9e. Les Espagnols s'attendoient\n\u00e0 voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de\nn'en pas faire davantage. C'est un tr\u00e8s-galant homme, et qui fait toute\nla d\u00e9pense qu'il peut. Il est effray\u00e9 de tout l'argent qu'il faut ici.\nIl en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension,\npay\u00e9es par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison pay\u00e9e, sans\nles appointemens que lui donne l'Empereur, son ma\u00eetre. Il a pour le\nn\u00f4tre une grande estime et un grand respect; mais il m\u00eale parmi cela\ncertaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur\nles conqu\u00eates du roi, qui marquent assez de vivacit\u00e9. Je vois souvent sa\nfemme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez\nelle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la\npeine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis _de\nGrana_ est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de tr\u00e8s-bonne\nmine. Notre jeune reine, pour \u00eatre heureuse, auroit grand besoin d'avoir\ndu go\u00fbt pour la solitude dans son triste palais, o\u00f9 elle veut que\nj'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud\nqu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas\nbeaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, d\u00e9licieux pour cette\nsaison. La reine a \u00e9t\u00e9 ces jours pass\u00e9s deux fois _incognito_ avec le\nroi, se promener \u00e0 dix heures du soir dans cette rivi\u00e8re poudreuse. Elle\nme le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un\nsigne pour reconno\u00eetre son carrosse, et moi un pour reconno\u00eetre le mien.\nSi vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la\nreine en doit de reste. Adieu, ma ch\u00e8re madame, c'en est un bien\nsensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez\nv\u00e9ritablement. Si M. _de Coulanges_, selon les souhaits de M. _de\nSchomberg_, et par les pas qu'il a faits \u00e0 Fontainebleau, e\u00fbt \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9\nambassadeur en Portugal, nous l'aurions gard\u00e9 \u00e0 son passage par Madrid,\ntout autant qu'il nous auroit \u00e9t\u00e9 possible.\nSi vous n'avez encore ni donn\u00e9 ni rompu ces petits boucaro, que je vous\nai envoy\u00e9s, dont le dedans \u00e9toit blanc, conservez-les; car ce blanc est\nune composition de b\u00e9zoard.\nLETTRE XVIII.\n_Madrid, 28 ao\u00fbt 1680._\nJe vous adresse cette lettre \u00e0 Paris, quoique, par votre derni\u00e8re, vous\nm'ayez mand\u00e9 que, dans trois jours, vous partiez pour Lyon. Il me\nrevient par vous et par tout le monde, \u00e0 quel point vous faites valoir\nmes lettres; et, comme je ne suis pas persuad\u00e9e de leur m\u00e9rite, j'ai \u00e9t\u00e9\njusqu'\u00e0 pr\u00e9sent tout \u00e9tonn\u00e9e du cas qu'on en faisoit. Mais je crois en\navoir d\u00e9couvert la raison; c'est que vous ne les donnez pas \u00e0 lire, et\nque vous les lisez vous-m\u00eame; comme cela ne vous co\u00fbte gu\u00e8re, vous y\nmettez tout ce qui leur manque pour les rendre agr\u00e9ables, et pour leur\nattirer des louanges. Je vous prie, ma ch\u00e8re madame, de m'avouer la\nv\u00e9rit\u00e9 l\u00e0-dessus, sans consulter votre modestie. Je lirai avec plus\nd'attention et de sensibilit\u00e9 tout ce que vous m'\u00e9crirez de Lyon, que\ntout ce que vous m'\u00e9crivez de Paris, parce que vous me parlerez plus de\nvous et de tout ce qui vous touche; car je pr\u00e9tends que vous n'omettiez\nrien de tout ce que vous ferez; je voudrois bien aussi tout ce que vous\npenserez. Pour moi, madame, si je voulois ne vous parler que de ce qui\nm'occupe le plus ici pr\u00e9sentement, ce seroit de la cruelle canicule\nqu'on y souffre. Car la peste et la famine, que nous avons d\u00e9j\u00e0 vues\ndeux fois, et la guerre qu'on croit fort proche, ne me paroissent pas\nencore si insupportables que l'horrible chaleur qu'il fait. Encore le\njour se sauve-t-on assez, en se tenant dans un appartement bas; mais la\nnuit on n'y peut coucher, \u00e0 cause des moucherons qui d\u00e9vorent les\npauvres personnes.\nC'est vous, madame, qui pensez et qui \u00e9crivez mieux que personne du\nmonde. H\u00e9las! nous ne savons \u00e0 qui en parler ici. Nous lisons vos\nlettres, M. _de Villars_, ma fille et moi, avec un grand go\u00fbt et un\ngrand plaisir. Elles m'en causent bien plus d'un, par ne me point\nlaisser douter que vous ne m'aimiez; et, quoique ce plaisir r\u00e9veille\nl'ennui que l'on souffre de ne point voir ce que l'on aime, et de qui\nl'on est aim\u00e9, cette peine est bien douce, compar\u00e9e \u00e0 la moindre\ndiminution de votre amiti\u00e9 pour moi. Il y a quatre ou cinq endroits dans\nvotre derni\u00e8re lettre, d'une vivacit\u00e9 et d'une imagination bien ignor\u00e9es\njusqu'\u00e0 vous, madame, et qu'on n'imitera jamais. Je ne pense pas m\u00eame\nqu'on puisse faire aller son ambition jusqu'\u00e0 esp\u00e9rer d'en devenir une\nm\u00e9chante copie.\nPuisque nous sommes sur les copies; voulez-vous bien que je vous fasse\nsouvenir que vous m'avez parl\u00e9 de votre portrait? Je n'aurois os\u00e9 vous\nle demander, quelqu'envie que j'en eusse, si vous ne m'en aviez parl\u00e9 la\npremi\u00e8re.\nJ'aime notre jeune reine du plaisir qu'elle me paro\u00eet avoir, quand je\nlui nomme votre nom, et que je lui dis que vous vous souvenez d'elle.\nElle m'a charg\u00e9e de beaucoup d'amiti\u00e9s pour vous. Je ne saurois vous\nrien dire qui puisse vous instruire sur tout ce qui la regarde. Nous en\nparlerons un jour, si nous nous revoyons. Elle est grasse, belle,\nbuvant, mangeant, dormant, riant tr\u00e8s-souvent, dansant de tout son c\u0153ur,\nquand nous sommes seules; moi chantant le menuet et le passe-pied.\nContentez-vous de cela.\nVous n'avez pas trouv\u00e9 que le marquis _de la Fuente_ f\u00eet souvenir de M.\n_de Villars_. S'il n'y a point de guerre, sa femme partira au mois de\nseptembre pour l'aller trouver. C'est une des plus raisonnables femmes\nd'ici: je vous prie de me mander tout ce que vous savez touchant la\nguerre.\nVous me dites, et cela est vrai, que l'on seroit bien heureux, si les\nlieux d'ennui pouvoient inspirer de solides et s\u00e9rieuses r\u00e9flexions pour\nle salut, nous d\u00e9tacher des choses de ce monde, qui se d\u00e9tachent tous\nles jours de nous: la sant\u00e9, la jeunesse, la beaut\u00e9, les amis.\nIl passera dans peu un \u00e9tranger[20] \u00e0 Lyon, qui vous remettra un\ntr\u00e8s-petit pr\u00e9sent de ma part. J'aime \u00e0 vous marquer le plus souvent que\nje puis que je songe \u00e0 vous, par ces l\u00e9g\u00e8res bagatelles. M. _de Villars_\nen a honte; car il vous croit digne qu'on ne vous pr\u00e9sente que des\ncouronnes. Quand vous en auriez, il ne pourroit pas vous honorer, ni\nvous respecter au-del\u00e0 de ce qu'il fait. Adieu, madame.\nLETTRE XIX.\n_Madrid, 15 ao\u00fbt 1680._\nJ'ai une v\u00e9ritable impatience d'avoir de vos nouvelles; j'en ai beaucoup\naussi d'en apprendre de Paris, puisqu'on y parle sans cesse de guerre,\nsans que je comprenne encore qui commencera \u00e0 la d\u00e9clarer. Les\nEspagnols ne sont pas en \u00e9tat de la soutenir. Leur mis\u00e8re passe tout ce\nqu'on en peut imaginer. Il est vrai qu'ils esp\u00e8rent, ou, pour mieux\ndire, qu'ils croient s\u00fbrement que l'Empereur, l'Angleterre et la\nHollande se joindront \u00e0 eux. Le prince de Parme doit partir aujourd'hui\npour aller commander en Flandre. On dit ici qu'ils n'ont pas voulu\nqu'elle s'achev\u00e2t de perdre, sans un Espagnol naturel. Notre marquis _de\nGrana_ a le c\u0153ur bien envenim\u00e9 contre la France; et, s'il \u00e9toit second\u00e9\npar tout ce qu'il voudroit bien mettre contre nous, il tailleroit ce\nqu'il appelle de la besogne. Il est galant homme, il a de l'esprit;\nmais, dans ses mani\u00e8res de parler, on le prendroit pour \u00eatre n\u00e9 sur les\nbords de la Garonne.\nNous avons \u00e9t\u00e9 ici en v\u00e9ritable p\u00e9ril de mourir des excessives chaleurs.\nLa beaut\u00e9 et la fra\u00eecheur de la reine n'en ont point souffert. Elle m'a\npromis de me donner un petit coffre pour vous. D\u00e8s que je l'aurai, je\nchercherai une voie pour vous le faire tenir. Elle me paro\u00eet fort\nsouhaiter votre amiti\u00e9; je l'assure aussi qu'elle a raison de la\nsouhaiter.\nJe voudrois que l'on cr\u00fbt un peu moins aux horoscopes; je ne me\nreprocherai jamais d'avoir eu, sur ce sujet, de pernicieuse\ncomplaisance, et de n'avoir pas fait mon possible pour d\u00e9sabuser des\nfausset\u00e9s qui s'y trouvent.\nIl y a, dans la bo\u00eete que vous recevrez par le marquis _de Ligneville_,\ndeux paires de bas de soie, des pastilles d'ambre dans une bourse, et un\n\u0153uf d'aventurine avec des pastilles dedans, dont je crois que le go\u00fbt ne\nvous d\u00e9plaira pas. Je vous fais ce d\u00e9tail de peu d'importance, afin que\nvous vous aperceviez si l'on en prenoit quelque chose.\nLa conn\u00e9table _Colonne_ est dans la maison de son mari, assez inqui\u00e8te\nde ce qu'elle deviendra, car elle n'est nullement r\u00e9solue de s'en\nretourner en Italie avec lui. Elle voudroit bien pouvoir rentrer en ce\ntemps-l\u00e0 dans un couvent \u00e0 Madrid; bien entendu d'en sortir peu apr\u00e8s,\net de s'en aller, tant que terre la pourra porter, en Flandre, en\nAngleterre, en Allemagne; car, pour en France, elle a peur qu'on ne l'y\nveuille pas souffrir. Vraiment c'est un original qu'on ne peut assez\nadmirer, \u00e0 le voir de pr\u00e8s, comme je le vois. Elle a ici un amant; elle\nme veut faire avouer qu'il est agr\u00e9able, qu'il a quelque chose de fin et\nde fripon dans les yeux. Il est horrible; mais ce n'est pas ce qui\ndevroit diminuer son inclination et la rebuter, au prix d'une autre\npetite chose qui ne vaut pas la peine d'en parler; c'est que cet amant\nne l'aime point du tout, \u00e0 ce qu'elle m'a dit. Elle se trouve heureuse\ncependant qu'il soit comme cela; parce que, s'il r\u00e9pondoit un peu \u00e0 ses\nsentimens, les choses feroient encore plus d'\u00e9clat. Elle ne d\u00e9pla\u00eet\npoint; elle s'habille \u00e0 l'espagnole, d'un air beaucoup plus agr\u00e9able que\nne font toutes les autres femmes de cette cour. Elle a trois grands fils\nmal \u00e9lev\u00e9s; l'a\u00een\u00e9 va \u00e9pouser une des filles du duc _de Medina Celi_,\npremier ministre; mais vous ne vous souciez gu\u00e8re de tout cela.\nIl est fort question ici que, dans peu, la duchesse _de Terranova_\nquittera sa place de _camarera mayor_ qui sera, \u00e0 ce qu'on dit, donn\u00e9e \u00e0\nla duchesse _d'Albuquerque_. C'est une joie dans cette cour; car cette\npremi\u00e8re n'y est pas aim\u00e9e. Pour moi, il ne m'importe, pourvu que la\nreine s'en trouve bien. Adieu, ma tr\u00e8s-ch\u00e8re madame; dites-vous souvent\nque je vous aime de tout mon c\u0153ur.\nLETTRE XX.\n_Madrid, 29 ao\u00fbt 1680._\nJe ne re\u00e7ois point de lettres, madame; je n'ai point de vos nouvelles,\net j'en voudrois savoir pr\u00e9f\u00e9rablement \u00e0 toutes celles qu'on me peut\nmander de Paris. Comment vous portez-vous? Que faites-vous du matin\njusqu'au soir? Combien serez-vous \u00e0 Lyon? Apr\u00e8s cela, je vais vous dire\ndes miennes, qui ne sont pas des plus agr\u00e9ables. La mis\u00e8re augmente ici\ntous les jours, et les monnoies n'y sont point rehauss\u00e9es. De douze\nmille \u00e9cus que le roi donne \u00e0 M. _de Villars_, ce n'est \u00e0 Madrid\nqu'environ cinq mille cinq cents \u00e9cus. Notre maison nous co\u00fbte neuf\nmille fr. de loyer. Voyez ce qui reste pour toutes sortes d'autres\nd\u00e9penses. M. _de Villars_ veut donc me renvoyer pour se loger moins\nch\u00e8rement, et ne garder que tr\u00e8s-peu de gens apr\u00e8s mon d\u00e9part. C'est une\nchose fort triste pour moi que cette s\u00e9paration, attach\u00e9e comme je le\nsuis \u00e0 M. _de Villars_, et fort triste aussi par ne trouver d'autre\nmoyen de soulager sa d\u00e9pense. J'ai \u00e9t\u00e9 quelque temps sans dire ce projet\n\u00e0 la reine, et quand je le lui ai appris, elle n'a pu le croire, ni s'y\nr\u00e9soudre. Il y a plus d'honneur que de vanit\u00e9 \u00e0 se persuader que cette\npauvre princesse me regretteroit en demeurant en Espagne dans son triste\npalais, et ses tristes petites occupations. On lui a chang\u00e9 de _camarera\nmayor_: c'est, depuis deux jours, que la duchesse _d'Albuquerque_\nremplit cette place. La reine s'en accommodera mieux que de celle\nqu'elle avoit. Quel pays, madame, que celui-ci! Il faut bien aimer M.\n_de Villars_, pour sentir de la peine \u00e0 le quitter; mais, \u00e0 force aussi\nqu'on s'y ennuie, je d\u00e9sire qu'il n'y soit pas sans moi, puisqu'il n'y\npeut trouver mieux. Je sens une grande consolation d'avoir pass\u00e9 cette\nhorrible canicule, dont je vous ai parl\u00e9, sans y avoir succomb\u00e9. Il est\nmort ici une infinit\u00e9 de gens, et j'avois beaucoup de peur pour notre\nmaison. Mais, ma ch\u00e8re madame, quand aurai-je de vos nouvelles? Vous\naurez, par un homme qui partira bient\u00f4t, ce petit coffre de la reine,\nplein de pastilles \u00e0 manger.\nLETTRE XXI.\n_Madrid, 5 septembre 1680._\nJe vous ai mand\u00e9 par ma derni\u00e8re lettre la destitution de la duchesse\n_de Terranova_; qu'on avoit mis \u00e0 sa place la duchesse _d'Albuquerque_;\net que je ne pouvois \u00eatre ni aise ni f\u00e2ch\u00e9e de ce changement, que selon\nque la reine s'en trouveroit bien ou mal. Quoique madame _de Terranova_\nait une grande aversion pour la France et pour les Fran\u00e7ois, elle m'a\ntoujours trait\u00e9e fort honn\u00eatement. On croit que la reine n'aura pas\nsujet de se repentir de ce changement. L'air du palais est d\u00e9j\u00e0 tout\nautre, et le roi aussi. Sa majest\u00e9 a permis \u00e0 la reine de ne se coucher\nplus qu'\u00e0 dix heures et demie, et de monter \u00e0 cheval quand elle voudra,\nquoique cela soit enti\u00e8rement contre l'usage. Il lui a accord\u00e9 encore\nune chose qui lui a donn\u00e9 une grande joie. Il y a trois ou quatre jours\nque me voyant entrer dans sa chambre, elle vint au-devant de moi avec un\nair de ga\u00eet\u00e9 extraordinaire, et me dit: _Ne direz-vous pas oui \u00e0 ce que\nje vais vous demander?_ C'\u00e9toit que le roi vouloit bien que ma fille e\u00fbt\nl'honneur d'\u00eatre une de ses dames. Elle en \u00e9toit transport\u00e9e. Vous jugez\nbien avec quel respect et quel plaisir je re\u00e7us ce qu'elle me disoit;\nmais elle fut un peu mortifi\u00e9e quand je lui r\u00e9pondis que je croyois\nqu'il falloit, avant que d'accepter cet honneur, que M. _de Villars_ en\ne\u00fbt la permission du roi, notre ma\u00eetre. Ma fille ne s'en sent pas de\njoie. A son \u00e2ge, combien ne se figure-t-on point de plaisirs dont, selon\nles apparences, elle ne jouiroit pas long-temps? Elle auroit d'illustres\ncompagnes; car ce ne sont que des filles des maisons de Portugal,\nAragon, Mauriqu\u00e8s, Castille; enfin tout ce qu'il y a de plus grand dans\nle royaume. Elles ont beaucoup de petites fonctions. La plupart\nn'omettent rien de celles qui regardent la galanterie.\nL'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.\nAdieu, madame; je vous quitte pour m'aller parer. La reine vient de me\nmander que c'est aujourd'hui le jour de la naissance de notre roi, et\nque je ne manque pas d'aller au palais avec tout ce que j'ai de diamans.\nSi j'avois pu ce matin \u00eatre \u00e0 sa toilette, je lui aurois conseill\u00e9 de\nn'affecter pas trop de magnificence ce jour-ci; car elle ne fera plaisir\n\u00e0 personne; et je suis assur\u00e9e que le roi, son oncle, l'en dispenseroit\nvolontiers.\nLETTRE XXII.\n_Madrid, 12 septembre 1680._\nJ'ai enfin re\u00e7u deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de\ntemps \u00e0 y r\u00e9pondre, parce que le courrier part ce soir. J'\u00e9tois afflig\u00e9e\nde ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'\u00e9tois point de\nl'appr\u00e9hension que vous m'eussiez oubli\u00e9e. Vous me parlez de la peste,\net de la peine o\u00f9 vous en \u00eates pour moi. Elle ne m'a point approch\u00e9e,\nDieu merci, et il faut esp\u00e9rer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue.\nVous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la\nmis\u00e8re o\u00f9 l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne\nhaussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne\nveux point que vous y fassiez de r\u00e9flexion. Vous \u00eates vive, et vous\nm'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille\n\u00e9cus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents \u00e9cus,\net que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous\nai d\u00e9j\u00e0 mand\u00e9 que M. _de Villars_, ne pouvant plus subsister, prenoit la\nr\u00e9solution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis _de\nGrana_, qui est riche par lui-m\u00eame, par ce que son ma\u00eetre lui donne, et\npar les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut\npas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les\naffaires de France, et sur tout ce que projette et ex\u00e9cute le roi, notre\nma\u00eetre.\nMais votre portrait, que vous me faites esp\u00e9rer, il faut le confier \u00e0\nmes enfans qui seront \u00e0 Paris avant la fin de ce mois. En v\u00e9rit\u00e9, je ne\npuis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus \u00eatre\naussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes\nenfans vous auront vue \u00e0 Lyon. Qu'ils auront \u00e9t\u00e9 aises, s'ils tiennent\nde leur m\u00e8re!\nOn se trouve toujours bien du changement de la _camarera mayor_. L'air\ndu palais en est tout diff\u00e9rent. Nous regardons pr\u00e9sentement la reine et\nmoi, tant que nous voulons, par une fen\u00eatre qui n'a de vue que sur un\ngrand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle _l'Incarnation_,\net qui est attach\u00e9 au palais. Vous aurez peine \u00e0 imaginer qu'une jeune\nprincesse, n\u00e9e en France, et \u00e9lev\u00e9e au Palais-royal, puisse compter\ncela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir\nplus que je ne le compte moi-m\u00eame. Il y a neuf jours qu'on soup\u00e7onnoit\nencore qu'elle \u00e9toit grosse. Pour moi, je ne le soup\u00e7onne pas. Le roi\nl'aime passionn\u00e9ment \u00e0 sa mode, et elle aime le roi \u00e0 la sienne. Elle\nest belle comme le jour, grasse, fra\u00eeche; elle dort, elle mange, elle\nrit; il faut finir l\u00e0; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous\nd\u00e9fie de deviner tout ce que j'aurois \u00e0 vous dire ensuite de tout cela.\nAdieu, ma ch\u00e8re madame; je voudrois bien \u00e9crire encore, si j'en avois le\ntemps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.\nVous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne\nvous co\u00fbtera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce\nseroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous\nl'envoie.\nJe rends mille gr\u00e2ces \u00e0 M. _de Coulanges_, de sa prose et de ses vers.\nLa marquise _d'Uxelles_ m'avoit envoy\u00e9 ceux qu'il avoit faits pour\nelle, en passant \u00e0 Ch\u00e2lons-sur-Sa\u00f4ne.\nLETTRE XXIII.\n_Madrid, 26 septembre 1680._\nJe re\u00e7ois pr\u00e9sentement vos lettres. Je dirai aujourd'hui \u00e0 la reine tout\nce que vous m'\u00e9crivez d'honn\u00eate et d'obligeant pour elle. Que dix-huit\nans et une heureuse disposition \u00e0 croire tout ce qu'on souhaite, sont\nchoses agr\u00e9ables, et conservent bien la sant\u00e9 et la beaut\u00e9! Pour moi, je\nlui dis tous les jours que, par malheur, j'ai toute ma vie \u00e9t\u00e9 oppos\u00e9e \u00e0\ncette heureuse situation.\nCelle de la pauvre conn\u00e9table _Colonne_ est \u00e0 pr\u00e9sent bien d\u00e9testable.\nIl y a plus de deux mois que je lui ai pr\u00e9dit ce qui arriveroit. Mais,\nsans nulle r\u00e9flexion, elle vivoit au jour la journ\u00e9e, comptant qu'on la\nlaisseroit jouir de la libert\u00e9 de sortir de sa maison, de faire des\nvisites, et qu'on ne parleroit de rien qu'apr\u00e8s les noces de son fils\na\u00een\u00e9. Il y a douze ou quinze jours qu'on lui vint signifier, de la part\ndu roi, qu'il ne se m\u00ealoit plus de ses affaires, et qu'elle songe\u00e2t \u00e0\nob\u00e9ir \u00e0 son mari, qui vouloit la mener ou l'envoyer en Italie. Le\nlendemain, elle eut une d\u00e9fense de ne plus sortir de chez elle; le jour\nd'apr\u00e8s, de ne plus voir personne; et, \u00e0 tout moment, elle est dans les\nhorreurs qu'on ne l'entra\u00eene avec violence, et qu'on ne la mette dans\nune liti\u00e8re pour la mener o\u00f9 il plaira \u00e0 son mari. Je ne veux pas\njustifier sa conduite pass\u00e9e, mais il faut convenir, en s'en souvenant,\nqu'elle a bien sujet de ne vouloir pas se confier \u00e0 un mari italien.\nElle fait ce qu'elle peut pour obtenir qu'on l'enferme ici dans le plus\naust\u00e8re couvent qu'il y ait. Je ne sais pas ce qu'on lui accordera: elle\nn'a contre elle que le roi, le premier ministre, son mari, toute la\nfamille _Balbas\u00e8s_. Elle me fait beaucoup de piti\u00e9.\nSi j'en juge par les amples relations de Madame[21] \u00e0 la reine\nd'Espagne, jamais les plaisirs n'ont \u00e9t\u00e9 pareils \u00e0 ceux dont on jouit \u00e0\nVersailles.\nM. _de Villars_ dit toujours qu'il veut me renvoyer, \u00e0 cause que la\nmis\u00e8re augmente \u00e0 Madrid, et que, sans moi, il fera beaucoup moins de\nd\u00e9pense. Je ferai tout ce qu'il voudra, quoiqu'avec peine, si je le\nlaisse dans un lieu aussi triste, et dans un \u00e9tat aussi chagrinant que\nle sien. Jusqu'ici, on ne nous a point encore \u00f4t\u00e9 le bien de la sant\u00e9;\nmais ce bien est fragile et tr\u00e8s-sujet \u00e0 ne point durer, sur-tout quand\non n'est plus jeune[22]. Adieu, madame; tels que nous sommes, c'est\nenti\u00e8rement \u00e0 vous.\nLETTRE XXIV.\n_Madrid, 10 octobre 1680._\nPermettez-moi, madame, de vous parler, avant toute chose, d'une petite\nbagatelle qui arriva hier \u00e0 sept heures du matin. Ce n'est qu'un violent\ntremblement de terre qui dura la longueur d'un _miserere_. M. _de\nVillars_ dans son lit et moi dans le mien, le sent\u00eemes remuer. Il se\nleva, s'imaginant qu'\u00e0 cause des horribles pluies, les fondemens de la\nmaison s'\u00e9crouloient. Pour moi, je m'\u00e9criai, assez effray\u00e9e, que c'\u00e9toit\nla terre qui trembloit. Il vint trois secousses qui donn\u00e8rent un\nmouvement \u00e0 toute la maison, comme pourroit \u00eatre celui d'un arbre agit\u00e9\ndu vent. Les pr\u00eatres dans les \u00e9glises o\u00f9 ils disoient la messe, eurent\nde la peine \u00e0 emp\u00eacher que le calice ne f\u00fbt renvers\u00e9. La plupart des\nhommes et des femmes couroient en chemise dans les places et dans les\nrues, sans savoir o\u00f9 se cacher, pour \u00e9viter l'accablement dont ils se\ncroyoient menac\u00e9s par la ruine des maisons. Je n'avois pas imagin\u00e9 qu'\u00e0\ntous les d\u00e9sagr\u00e9mens d'Espagne, il se f\u00fbt joint celui de s'y voir\nenglouti dans la terre, qui s'est ouverte en quelques endroits, ou\n\u00e9cras\u00e9 sous les ruines des maisons; car jamais on n'a vu ici de ces\ntremblemens. Hier, \u00e0 tout moment, je croyois que cela alloit\nrecommencer. Comme les pluies recommencent, il se pourra bien faire\nqu'il reviendra encore quelque tremblement. Je souhaite avoir cette\nsingularit\u00e9 par-dessus vous, et que vous n'\u00e9prouviez de votre vie ce\nqu'on pense en pareille occasion. Je ne sais point encore si le\ntremblement de terre aura \u00e9t\u00e9 jusqu'\u00e0 l'Escurial, o\u00f9 cette cour est\ndepuis lundi dernier. Je fus, dimanche au soir assez tard, avec la\nreine, qui n'avoit pas beaucoup d'envie d'aller en ce lieu, dont les\nplus grandes beaut\u00e9s sont les magnifiques places qu'on a fabriqu\u00e9es pour\nmettre les corps des rois et des reines apr\u00e8s leur mort. Elle n'a pas\nlaiss\u00e9 de marquer de la joie d'y aller, pour faire voir sa complaisance\npour les volont\u00e9s du roi. Elle m'\u00e9crivit, le lendemain, qu'elle n'avoit\npas trouv\u00e9 tout ce que je lui avois dit de cette maison; car il est vrai\nque je lui en avois parl\u00e9 \u00e0 lui donner de l'envie d'y aller. Je ne vous\ndis point tout ce qu'elle m'a dit, ni tout ce qu'elle m'a \u00e9crit sur la\npeur qu'elle a que je ne m'en aille. Elle ne le peut croire par cette\nheureuse facilit\u00e9 qu'elle a \u00e0 se persuader tout ce qui lui peut \u00f4ter du\nchagrin. Elle me fit savoir, avant que de partir pour l'Escurial, que,\nsans m'en parler, elle avoit \u00e9crit d'une sorte \u00e0 _Monsieur_ sur mon\nsujet, qu'elle ne pouvoit pas croire qu'il n'e\u00fbt assez de cr\u00e9dit pour\nobtenir qu'on m'accord\u00e2t de ne point m'en aller, et qu'elle avoit\nrepr\u00e9sent\u00e9 les raisons et les v\u00e9ritables besoins qu'elle croit avoir que\nje ne parte pas d'ici. Je l'ai suppli\u00e9e de se pr\u00e9parer au peu d'effet\nqu'aura sa lettre; et j'ai ajout\u00e9 que, si elle m'avoit fait l'honneur de\nm'en demander mon avis, je lui aurois dit de marquer simplement le\nbonheur que j'avois de lui plaire, et de n'insister point sur autre\nchose. Quoi qu'il arrive de cette lettre, je lui en aurai autant\nd'obligation que si le succ\u00e8s en \u00e9toit heureux; mais je ne m'y attends\npas.\nJe ne puis finir celle-ci, sans vous parler de quelle mani\u00e8re cette cour\nse pr\u00e9pare pour les voyages, qui ne sont jamais qu'\u00e0 l'Escurial ou\nAranjuez. Il en co\u00fbte au roi des sommes immenses; il n'y a pourtant que\nsept lieues; mais les voleries, sur cela, vont toujours leur chemin. Il\ny a, pour le moins, ce jour-l\u00e0, cent cinquante femmes du palais, soit\n_segnoras de honor_, ou dames qui sont comme les filles d'honneur en\nFrance, ou _camaristes_ ou leurs _criadas_, ou servantes. Pour les\n_segnoras_, ce sont de vieilles veuves, toujours habill\u00e9es et coiff\u00e9es\nde la m\u00eame sorte; les dames sont en leur plus beaux habits, avec des\nchapeaux et des plumes, assez galamment mises, et sur leurs \u00e9paules ce\nqu'elles appellent _mantilles_: ce n'est ni manteau, ni \u00e9charpe; cela\nest de velours en broderie d'or et d'argent; les unes les ont vertes,\nles autres incarnates. Elles les portent d'un air particulier, un bout\nqui passe sous le bras, et l'autre sur l'\u00e9paule, en sorte qu'elles ont\nun bras d\u00e9gag\u00e9. Voil\u00e0 ce qu'elles ont de meilleure gr\u00e2ce. Tous les\ngalans les voient monter en carrosse, et font leur chemin en galopant\napr\u00e8s elles. Plusieurs de ces messieurs, sur de beaux chevaux, suivent\n_incognito_, avec des bonnets qui s'abattent, et qui leur cachent le\nvisage. Ils ne sont pas, pour cela, inconnus \u00e0 leurs dames. La reine\navoit, le jour qu'elle fut \u00e0 l'Escurial, un chapeau avec des plumes\njaunes et noires; mais, pour, ces _mantilles_, il est \u00e9crit qu'il faut\nque les reines n'en portent point, en dussent-elles mourir de froid. Je\nne pourrai vous faire comprendre comme cette princesse est embellie,\ncrue et engraiss\u00e9e; un teint admirable; elle s'aime aussi passionn\u00e9ment.\nL'ordre de ce voyage de l'Escurial est que la cour y s\u00e9journe jusqu'\u00e0\nla Toussaint. Le lendemain, leurs majest\u00e9s font prier Dieu\nsolemnellement pour tous les rois et reines, qui sont l\u00e0 devant leurs\nyeux; et, le jour d'apr\u00e8s, ils reviennent \u00e0 Madrid avec le m\u00eame \u00e9quipage\nqu'ils en sont partis. Mais, si j'\u00e9tois \u00e0 leur place, je n'y reviendrois\npas, et j'\u00e9tablirois ma cour en un autre lieu, o\u00f9 la terre ne\ntrembleroit point.\nSi le courrier n'alloit partir, je crois que je vous \u00e9crirois jusqu'\u00e0\ndemain. Quel signe est-ce, madame? car je n'aime point du tout \u00e0 \u00e9crire.\nLETTRE XXV.\n_Madrid, 31 octobre 1680._\nJ'attends la reine \u00e0 son retour de l'Escurial, pour lui faire voir tout\nce que vous me dites d'elle dans votre lettre. Elle a \u00e9t\u00e9 deux jours\nmalade. J'y envoyai aussit\u00f4t, pour m'offrir de l'aller servir. Ce\nn'\u00e9toit rien, et j'en fus doublement aise; car nous avons souhait\u00e9, M.\n_de Villars_ et moi, qu'elle f\u00fbt un peu sous sa propre conduite, et que\nl'on v\u00eet que je ne suis pas bien empress\u00e9e de la cour. On dit qu'il\ns'est pass\u00e9 plusieurs petites affaires; si j'avois \u00e9t\u00e9 l\u00e0, nous\nn'aurions pas \u00e9t\u00e9 d'accord; car je l'aurois suppli\u00e9e de n'abuser pas de\nla permission qu'on lui donnoit de monter \u00e0 cheval, et de ne s'en servir\nque rarement. Elle m'a souvent honor\u00e9e de ses lettres. Elle est toujours\npersuad\u00e9e qu'il est impossible que je m'en aille. Cependant, si M. _de\nVillars_ avoit eu de l'argent pour me faire partir, je crois que je\nserois d\u00e9j\u00e0 bien loin. Je pense vous avoir \u00e9crit que ma fille ne seroit\npoint dame de la jeune reine. On dit que c'est une loi indispensable\nqu'il faut demeurer dans le palais; qu'il est de toute n\u00e9cessit\u00e9 d'y\nfaire de la d\u00e9pense, et que dix mille francs ne suffiroient pas: au\nmoins quatre ou cinq femmes pour servir; un ordinaire, des meubles, des\nhabits, et, au bout de tout de cela, entre vous et moi, une vie fort\nennuyeuse, et qui ne promet pas une fortune assur\u00e9e. Je ne puis, ma\nch\u00e8re dame, vous en dire davantage; il le faudroit pourtant, si je\nvoulois vous faire comprendre mille choses que, malgr\u00e9 tout l'esprit que\nvous avez, vous ne pouvez p\u00e9n\u00e9trer de si loin. Je vous prie encore que\nvous ne vous amusiez point, s'il se peut, \u00e0 faire des r\u00e9flexions sur\nnotre malheureux \u00e9tat, \u00e9tat dont, par discr\u00e9tion, je vous cache plus de\nla centi\u00e8me partie du d\u00e9sagr\u00e9ment. Pour m'en remettre, j'use du charmant\nrem\u00e8de de songer que je ne suis rien moins que jeune, que la mort\napproche, et qu'il est meilleur qu'elle nous trouve d\u00e9nu\u00e9s de tout ce\nqui compose les plaisirs de la vie. Pour vous, madame[23], qui la pouvez\nenvisager d'une plus longue dur\u00e9e, vous avez de quoi \u00eatre plus vive et\nplus sensible aux injustices de la fortune. Je ne vous dis point tous\nles souhaits que je fais pour qu'elle puisse changer, et \u00e0 quel point,\nsi on le m\u00e9rite, je vous crois digne d'\u00eatre heureuse; mais, madame,\nquel tr\u00e9sor, si nous pouvions d\u00e9couvrir et mettre en usage le secret\nd'\u00eatre v\u00e9ritablement d\u00e9votes, et de nous en servir pour l'autre vie! Je\nne me saurois plaindre de ce que nous souffrons, tant que Dieu me\nconservera mes enfans[24], que j'aime tendrement.\nJe n'ai point encore de nouvelles de votre portrait; j'esp\u00e8re pourtant\nl'avoir bient\u00f4t par un gentilhomme que nous attendons. Que ce portrait\nme fera de plaisir!\nNous f\u00fbmes hier \u00e0 une maison du roi, \u00e0 deux lieues d'ici, qu'on nomme le\nPardo. Il n'y a autour ni bois, ni jardins, ni fontaines; et, dans la\nmaison, ni si\u00e8ges, ni bancs, ni tables, ni carreaux, ni lits; c'est\npourtant la favorite, et celle o\u00f9 leurs majest\u00e9s vont tr\u00e8s-souvent. Je\nne sais pas encore \u00e0 quoi elles s'y peuvent divertir: je le demanderai\n\u00e0 la reine. Toute mon attention fut de regarder tr\u00e8s-long-temps les\nportraits de cette reine _Elisabeth_[25], et de ce mis\u00e9rable don\n_Carlos_[26], en songeant \u00e0 leurs funestes aventures: ils \u00e9toient bien\nfaits l'un et l'autre.\nLETTRE XXVI.\n_Madrid, 14 octobre 1680._\nVotre petit portrait a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-bien re\u00e7u, et trop bien de M. _de\nVillars_, qui en fait son propre. Je n'ai pas laiss\u00e9 de le porter au\npalais, o\u00f9 il a pass\u00e9 par toutes les mains des dames; car, pour les\nhommes, ils ne peuvent ici rien admirer que de bas en haut; par les\nfen\u00eatres. La reine le prit d'abord pour celui de madame _de Nevers_. Ce\nportrait fait souvenir de vous, c'est-\u00e0-dire, qu'il ne vous ressemble\npas parfaitement; et il est impossible, quand on viendroit \u00e0 bout de\npeindre tous vos traits, d'imiter que tr\u00e8s-grossi\u00e8rement ce qu'il y a de\nvif et de spirituel dans tout ce qui compose votre visage. Ce n'est pas\nla faute du peintre, et ce petit portrait est aussi bien et aussi\nagr\u00e9able qu'on le pouvoit faire. Je vous en rends mille gr\u00e2ces, ma ch\u00e8re\nmadame, et de tout ce que vous me dites pour me marquer votre amiti\u00e9 et\nvotre tendresse. Je ne puis pas mieux sentir l'amiti\u00e9 que j'ai pour M.\n_de Villars_, que d'\u00eatre avec lui dans le pays du monde le plus rempli\nd'ennuis. Car, comme dans les lieux de plaisir, on dit ordinairement que\nles semaines passent fort v\u00eete, celles d'ici sont d'une longueur\ninfinie. Je vais souvent au palais; peut-\u00eatre ne trouverais-je pas tant\nd'ennuis, si je n'avois que dix-huit ans. Il y auroit bien des choses \u00e0\nvous dire l\u00e0-dessus.\nIl y a deux ans qu'il mourut une d\u00e8s dames de la maison de la reine[27],\nqui n'avoit que treize ou quatorze ans. On a plus de soin d'elles, quand\nelles sont mortes, que dans leurs maladies; car ce sont des chiens que\ntous ces m\u00e9decins-ci, et leurs rem\u00e8des ridicules. Il y a une grande\nchapelle dans le palais. Elle y fut mise dans un coffre couvert de panne\ncouleur de feu, avec un grand galon d'or, \u00e0 la lueur de quantit\u00e9 de\nflambeaux. Elle \u00e9toit en habit de religieuse, compos\u00e9 de bleu et de\nblanc. On lui avoit mis bien du rouge sur les joues et sur les l\u00e8vres.\nElle \u00e9toit tr\u00e8s-belle dans cet \u00e9tat. Ce coffre ferme \u00e0 clef: la _guarda\nmayor_ le ferma, et puis vint le majordome de la reine, auquel on ouvrit\nce coffre, pour lui faire voir qu'elle \u00e9toit dedans, et il en prit la\nclef. Les gardes du roi port\u00e8rent le corps jusqu'au haut du degr\u00e9, \u00e0\nune porte o\u00f9 les Grands d'Espagne attendoient pour le porter jusqu'au\ncarrosse qui le devoit mener jusqu'au lieu de la s\u00e9pulture. Le\nmajordome, arriv\u00e9 dans cette \u00e9glise, ouvrit encore ce coffre pour faire\nvoir aux religieux le corps de cette pauvre dona _Juana_ de Portugal.\nApr\u00e8s quoi, il fut mis en terre avec les pri\u00e8res ordinaires. Je ne\npensois nullement \u00e0 vous faire ce r\u00e9cit, qui n'est pas divertissant.\nMais il ne faut pas aussi \u00eatre toujours tant sur ses gardes, pour ne\nparler jamais de la mort, qui va indiff\u00e9remment dans tous les pays du\nmonde.\nJ'esp\u00e8re vous envoyer, par la premi\u00e8re commodit\u00e9, deux excellentes\npaires de gants d'ambre, et un \u00e9ventail de la part de la reine, dont la\nsant\u00e9 et la beaut\u00e9 augmentent tous les jours.\nLETTRE XXVII.\n_Madrid, 28 novembre 1680._\nJe n'ai point eu de vos lettres par ce courrier. Je vous ai d\u00e9j\u00e0 mand\u00e9\nque je ne m'en allois plus. Quand jusqu'ici j'aurois dout\u00e9 de l'amiti\u00e9,\nque vous croyez que j'ai pour M. _de Villars_, j'en serois plus que\ncertaine \u00e0 l'heure qu'il est, par la joie que j'ai sentie de ne m'en\npoint aller de cette aimable ville de Madrid; entendez par ce mot\n_aimable_, tout l'oppos\u00e9 de ce qu'il dit en effet. Apr\u00e8s tout cela,\nmalgr\u00e9 la destin\u00e9e, je commence \u00e0 jouir aujourd'hui d'un plaisir. Nous\nquittons notre grande, incommode et ch\u00e8re maison pour aller loger dans\nune autre beaucoup moins ch\u00e8re, et tr\u00e8s-commode. A peine ai-je trouv\u00e9 de\nquoi vous \u00e9crire, n'ayant plus rien dans ma chambre. Notre jeune reine\nm'a fait paro\u00eetre plus de joie de ce que je ne m'en allois point, que\nvraisemblablement cela ne lui en a d\u00fb causer.\nJe ne vous entretiendrai gu\u00e8re aujourd'hui. Il m'en d\u00e9pla\u00eet fort, ma\nch\u00e8re madame; car il me semble que j'aurois bien des choses \u00e0 vous dire.\nLETTRE XXVIII.\n_Madrid, 27 d\u00e9cembre 1680._\nVous m'\u00e9crivez que le marquis _de Ligneville_ a pass\u00e9 par Lyon, et qu'il\nne vous a point vue. Ce n'est pas de quoi je me soucie; et je lui\npardonne de n'avoir pas eu cet esprit, pourvu qu'il vous ait laiss\u00e9 le\npetit pr\u00e9sent que je vous envoyois par lui.\nJe suis beaucoup plus tranquille que je n'\u00e9tois le temps pass\u00e9, quand je\nvous parlois de la peine que me causoit cette vue d'un d\u00e9part prochain.\nLe petit secours, que le roi a eu la bont\u00e9 de donner \u00e0 M. _de Villars_,\nnous fait un peu respirer. Nous avons pay\u00e9 et quitt\u00e9 notre grande\nmaison de huit cents pistoles de loyer, et nous sommes pr\u00e9sentement dans\nune autre la moiti\u00e9 moins ch\u00e8re, et mille fois plus commode. Je ne\nvoudrois pour rien du monde que la guerre recommen\u00e7\u00e2t; car je me\nsouviens trop de la vivacit\u00e9 de mes peines dans ce cruel temps. Mais\nquel plaisir, sans qu'il en f\u00fbt question, de sortir d'Espagne, et de\npouvoir subsister en quelque lieu agr\u00e9able, jouissant du plaisir de voir\net d'entretenir ce qu'on aime! Si vous me revoyez jamais, vous prendrez,\ns'il vous pla\u00eet, la peine de me siffler comme un perroquet; car\nassur\u00e9ment je perds ici l'usage entier d'entendre et de parler, comme on\nfait au coin de votre feu. Il fait ici le m\u00eame froid qu'\u00e0 Paris; mais il\nn'y a point de chemin\u00e9es. Nous en avons fait faire une dans notre\nnouvelle maison, qui est la plus grande consolation que nous ayons \u00e0\nMadrid. Elle n'en donne point aux dames qui me viennent voir; car elles\nne savent point s'asseoir dans une chaise, ou sur quelque autre si\u00e8ge.\nC'est une chose plaisante que l'air qu'elles ont, quand elles sont\nassises: elles paroissent lasses, fatigu\u00e9es, ne pouvant non plus se\ntenir que si on les faisoit danser sur la corde. Voil\u00e0 de belles\nnouvelles; mais jamais Madrid n'en a moins produit. Tout y est dans une\nmani\u00e8re d'assoupissement mis\u00e9rable.\nVous recevrez un paquet, qui en contient trois autres cachet\u00e9s du cachet\nde la reine, et les dessus de sa propre main. Il y a deux paires de\ngants, et un \u00e9ventail dans chacun; vous aurez soin de les envoyer \u00e0 leur\ndestination. La reine ne vouloit pas que je vous mandasse que c'\u00e9toit de\nsa part, trouvant que le pr\u00e9sent \u00e9toit trop petit. Vous le direz \u00e0\nmesdames _de S\u00e9vign\u00e9_ et _de Vins_. On dit que les \u00e9ventails seront\nmeilleurs dans quelque temps. Cette jeune princesse continue d'embellir.\nElle est grasse, le plus beau teint du monde, une gorge admirable, les\nyeux tr\u00e8s-beaux, la bouche agr\u00e9able. Quand je vois qu'elle croit avoir\nsujet de s'ennuyer, je change de discours. Adieu, madame.\nLETTRE XXIX.\n_Madrid, 12 d\u00e9cembre 1680._\nLa conn\u00e9table _Colonne_ est dans un pitoyable \u00e9tat. Je crois que je vous\nai mand\u00e9 que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant\nque la reine \u00e9toit \u00e0 l'Escurial. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle\nest actuellement dans ce qu'on appelle l'Alca\u00e7al[28] de S\u00e9govie,\ntr\u00e8s-mis\u00e9rablement trait\u00e9e. La reine auroit fort souhait\u00e9 qu'on lui e\u00fbt\naccord\u00e9 avant cela ce qu'elle demandait pour toute gr\u00e2ce \u00e0 son mari,\nqu'on la m\u00eet dans un couvent, le plus aust\u00e8re qu'on p\u00fbt choisir \u00e0\nMadrid. Cette pauvre malheureuse \u00e9crit souvent au confesseur de la\nreine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le\nconn\u00e9table \u00e0 vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent. Il y\na douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvoit\nconsentir que sa femme v\u00eent \u00e0 Madrid, si elle ne se faisoit religieuse\ndans le couvent o\u00f9 elle entreroit, et que lui, il prendroit les ordres.\nLe confesseur a \u00e9crit cette proposition \u00e0 la conn\u00e9table, qui l'a\naccept\u00e9e. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne \u00e0\nla religion. Cependant, comme elle a fait dire \u00e0 son mari qu'elle fera\ntout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas\nqu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid. On m'\u00e9crit de\nParis que je me m\u00ealois de ses affaires, et que j'\u00e9tois fort dans ses\nint\u00e9r\u00eats. J'ai r\u00e9pondu sur cela \u00e0 une de mes amies qui m'en \u00e9crivoit,\nque je croyois qu'on avoit jet\u00e9 \u00e0 croix ou pile, duquel il valoit mieux\nm'accuser, ou de trop de duret\u00e9 pour cette infortun\u00e9e, ou de trop de\npiti\u00e9. Car pour elle, elle se sentit tout-\u00e0-fait outrag\u00e9e, quand elle\nvint dans notre maison, pleurant et demandant qu'on l'y souffr\u00eet pour\nune nuit, et qu'on lui pr\u00eat\u00e2t secours pour la faire entrer dans son\ncouvent; on ne put lui accorder ce qu'elle vouloit, et je la r\u00e9solus\navec une peine extr\u00eame \u00e0 retourner chez le marquis _de los Balbas\u00e8s_, o\u00f9\nje la remenai \u00e0 dix heures du soir, M. _de Villars_ ne voulant pas se\nm\u00ealer de ses affaires. Si j'ai eu piti\u00e9 d'elle depuis cette visite-l\u00e0,\ncette piti\u00e9 ne s'est signal\u00e9e en rien; et la reine qui auroit bien voulu\nlui faire le plaisir d'obliger son mari de la mettre ici dans un\ncouvent, dit que _Monsieur_ lui a recommand\u00e9 de lui rendre tous les bons\noffices que raisonnablement elle pourroit d\u00e9sirer d'elle. Celui de la\nfaire enfermer dans un couvent le plus aust\u00e8re, ne paroissoit pas\nindigne \u00e0 cette princesse qu'elle s'y employ\u00e2t.\nM. le prince de Parme est donc amoureux de la comtesse _de Soissons_? Ce\nn'est pas un joli galant. Ce n'est pas aussi que s'il avoit cent mille\n\u00e9cus dans son coffre, il ne les d\u00e9pens\u00e2t en un jour, mieux qu'aucun\nhomme du monde, pour plaire \u00e0 sa dame. Le roi, notre ma\u00eetre, ne peut pas\nsouhaiter un autre gouverneur en Flandre pour sa majest\u00e9 Catholique.\nLa reine ne se divertit pas si bien qu'on pourroit le croire. Elle est\njeune et saine, d'un heureux temp\u00e9rament. Je ne pense pas qu'au reste du\nmonde l'on voie ce que nous avons vu depuis que nous sommes dans ce\nroyaume; la peste, la famine, des ravages d'eaux dont on n'avoit jamais\nentendu parler; un tremblement de terre, qui a presque enti\u00e8rement\nd\u00e9truit cinq ou six villes; sans compter les frayeurs o\u00f9 je fus apr\u00e8s\ncela quinze jours durant. Le moindre mouvement me paroissoit un\ntremblement de terre; mais il nous manquoit encore quelque chose, une\ncom\u00e8te. Assurez-vous que depuis huit jours il en paro\u00eet une des plus\ngrandes et des mieux marqu\u00e9es qu'on ait jamais vues. Elle commence \u00e0 se\nmontrer sur les quatre \u00e0 cinq heures du soir, et dure jusqu'\u00e0 huit ou\nneuf. Comme il ne nous appartient pas d'en avoir peur, c'est une des\nchoses qui me sont le plus indiff\u00e9rentes; car je suis persuad\u00e9e qu'elle\nne signifie rien pour la France.\nLETTRE XXX.\n_Madrid, 26 janvier 1681._\nIl faut vous dire deux mots de la conn\u00e9table _Colonne_. Je trouvai le\nconfesseur de la reine, il y a deux jours, au palais, qui avoit apport\u00e9\nune lettre pour la montrer \u00e0 cette princesse, avant qu'il la ferm\u00e2t. Il\nvenoit de chez le conn\u00e9table _Colonne_, qui l'avoit \u00e9crite \u00e0 sa femme,\nen pr\u00e9sence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle\nvienne \u00e0 Madrid, dans un couvent nomm\u00e9; qu'elle prenne l'habit de\nreligieuse le m\u00eame jour qu'elle y entrera; et, trois mois apr\u00e8s, qu'elle\nfasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour\nquitter le lieu qu'elle habite pr\u00e9sentement. Je ne conseillerois pas \u00e0\nla reine de r\u00e9pondre qu'elle n'en sortira jamais.\nCette princesse continue de se bien porter, et de passer \u00e0 l'\u00e9glise sept\nou huit heures les jours et veilles de grandes f\u00eates. Je ne voudrois\npas vous r\u00e9pondre qu'elle en f\u00fbt plus d\u00e9vote. J'ai toujours l'honneur de\nla voir souvent. Le roi l'aime autant qu'il peut; elle le gouverneroit\nassez; mais d'autres machines, sans beaucoup de force ni de rapidit\u00e9,\ndonnent d'autres mouvemens, et tournent et changent les volont\u00e9s du roi.\nLa jeune princesse n'y est pas trop sensible. Elle parle pr\u00e9sentement\ntr\u00e8s-bien espagnol. Elle conno\u00eet toute la cour, et les diff\u00e9rens\nint\u00e9r\u00eats de ceux qui la composent. La reine, sa belle-m\u00e8re, qui est\ntr\u00e8s-bonne princesse, l'aime toujours fort tendrement.\nLETTRE XXXI.\n_Madrid, 23 janvier 1681._\nLe comte _de Monterei_ a \u00e9t\u00e9 exil\u00e9 de cette cour, il y a quatre ou cinq\njours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est\nqu'il est le plus honn\u00eate homme du monde, et le plus propre \u00e0 bien\nservir son roi. L'on refuse toujours le cong\u00e9 \u00e0 son p\u00e8re, le marquis _de\nLiche_, qui est ambassadeur \u00e0 Rome, malade, ruin\u00e9, par cons\u00e9quent fort\nennuy\u00e9. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en\nlarmes aux pieds du roi, pour obtenir le cong\u00e9. Je ne vous parlerai\npoint de choses plus divertissantes et plus gaies, ma ch\u00e8re madame.\nQu'il est difficile de l'\u00eatre \u00e0 Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes\ndispositions pour la p\u00e9nitence, ce seroit un lieu propre pour la faire!\nLa reine est en parfaite sant\u00e9, et dans une grande fra\u00eecheur. De vous\ndire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.\nLETTRE XXXII.\n_Madrid, 6 f\u00e9vrier 1681._\nVous n'avez donc point re\u00e7u par le marquis _de Ligneville_, le petit\npr\u00e9sent que je croyois qui vous seroit fid\u00e8lement rendu? Les messagers\nordinaires, \u00e0 ce que je vois, ont plus d'honneur et de probit\u00e9 que les\ngens de qualit\u00e9 portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas\npour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu pr\u00e9cieux et\npeu magnifique, \u00e9toit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois \u00e0\nimaginer que tout cela vous plairoit. Ce _Ligneville_ est des amis du\nmarquis _de Grana_, et ma confiance \u00e9toit parfaite. Ne vous fatiguez\nd'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.\nL'on attend, tous les jours ici, la conn\u00e9table _Colonne_, pour prendre\nl'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix\navec le couvent o\u00f9 elle doit entrer. Elle \u00e9crivoit, l'autre jour, que\nsa s\u0153ur _Mazarin_ feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec\nelle.\nJe songe \u00e0 ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas\nde mati\u00e8re; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup\nde sujets. La vie du palais ne convient point \u00e0 des personnes qui n'y\nsont point n\u00e9es, ou du moins qui n'y sont pas venues d\u00e8s l'enfance; il\nfaut pourtant dire la v\u00e9rit\u00e9 en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni\nsi terribles, ni si soup\u00e7onneux qu'on nous les figure. Les reines sont\ntoujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entr\u00e9e en\nEspagne, M. _de Villars_ s'est appliqu\u00e9 \u00e0 la bien persuader qu'il\nfalloit pour son repos, qu'elle f\u00fbt en bonne union avec la reine, sa\nbelle-m\u00e8re, et qu'elle se gard\u00e2t bien d'\u00e9couter des avis contraires. Je\nne fais autre chose aussi que de t\u00e2cher de lui mettre cela dans la t\u00eate.\nElle ne se divertit pas trop \u00e0 raisonner sur la politique. Jusqu'ici\ntout a assez bien \u00e9t\u00e9; et, entre vous et moi, tout auroit \u00e9t\u00e9 encore\nmieux, si, d\u00e8s la fronti\u00e8re, on lui e\u00fbt \u00f4t\u00e9 g\u00e9n\u00e9ralement toutes les\nFran\u00e7oises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint \u00e0 mille\naimables qualit\u00e9s. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie\nquelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si fr\u00e9quentes.\nMa fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.\nJe vous ai mand\u00e9 que le comte _de Monterei_ avoit \u00e9t\u00e9 exil\u00e9. Le duc _de\nVeragas_ le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.\nJe ne vous parle point de la mis\u00e8re de ce royaume. La faim est jusque\ndans le palais. J'\u00e9tois hier avec huit ou dix _Camaristes_ et _la\nMoline_ qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit\nplus ni pain ni viande. Aux \u00e9curies du roi et de la reine, de m\u00eame. Je\nne voudrois pas qu'on s\u00fbt, au pays o\u00f9 vous \u00eates, que je me m\u00ealasse\nseulement d'\u00e9crire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez\npas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on\npourroit se moquer.\nLETTRE XXXIII.\n_Madrid, 19 f\u00e9vrier 1681._\nMe voici \u00e0 mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est\nque le carnaval, comme je vous l'ai d\u00e9j\u00e0 mand\u00e9, ne veut point, en ce\npays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de com\u00e9die\nau palais ni \u00e0 la ville, tout le reste va son m\u00eame train; personne ne\nfait le car\u00eame. Le palais est toujours la m\u00eame chose. On y parle d'aller\n\u00e0 Aranjuez, incontinent apr\u00e8s P\u00e2ques, que la reine fera quelques\nrem\u00e8des, et qu'elle en reviendra s\u00fbrement grosse. Je vais souvent voir\nla marquise _de Grana_, qui est malade, et qui ne sort point depuis\ntrois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisi\u00e8me\nambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la r\u00e9solution de s'en\nretourner, sans qu'elle ne peut se d\u00e9terminer \u00e0 laisser son mari qu'elle\naime fort.\nLa conn\u00e9table arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans\nle couvent; les religieuses la re\u00e7urent \u00e0 la porte avec des cierges, et\ntoutes les c\u00e9r\u00e9monies ordinaires en pareille occasion. De l\u00e0 on la mena\nau ch\u0153ur, o\u00f9 elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol,\nqui \u00e9toit dans l'\u00e9glise, m'a cont\u00e9 tout ce qu'il vit. L'habit est joli\net assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de\nl'esprit et de la p\u00e9n\u00e9tration de messieurs les Italiens et Espagnols, de\ns'\u00eatre persuad\u00e9s que cette femme ait pu accepter de bonne foi la\nproposition de se faire religieuse, et d'esp\u00e9rer par l\u00e0 qu'elle va leur\nassurer tout son bien. La premi\u00e8re fois que j'entendis parler au\nconfesseur de la reine de la commission qu'il avoit du conn\u00e9table,\nd'\u00e9crire \u00e0 sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'\u00e9toit\nune pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me m\u00ealer. Le bon p\u00e8re\n\u00e9crivit, et la dame n'h\u00e9sita pas un moment \u00e0 lui r\u00e9pondre qu'elle y\nconsentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du\ntout \u00e0 cette subite vocation. Je ne me suis pas press\u00e9e de lui aller\nrendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.\nA propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre\njours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualit\u00e9, femme du comte\n_Ernand-Nugu\u00e8s_, depuis un mois ou six semaines \u00e9toit accouch\u00e9e; et,\ncomme elle avoit \u00e9t\u00e9 assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai\nsavoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle\nbien fran\u00e7ois, me manda que je ferois honneur \u00e0 sa femme de l'aller\nvoir. J'y fus donc: je m'assis un moment aupr\u00e8s de son lit; car je ne\nl'eus pas plut\u00f4t envisag\u00e9e, que je me levai. Je tirai son mari \u00e0 part,\net je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant\nd'incommoder madame sa femme. Il me r\u00e9pondit que point du tout; et moi,\nje l'assurai qu'elle \u00e9toit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se\nmouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la\nduchesse _de Patrana_ \u00e9toit une. Je sortis, et, \u00e0 trois heures apr\u00e8s\nminuit, la dame \u00e9toit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voil\u00e0 la\nquatri\u00e8me, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte\n_Ernand-Nugu\u00e8s_ a \u00e9t\u00e9 menin de notre reine, et a \u00e9t\u00e9 assez long-temps en\nFrance. On est tr\u00e8s-mal trait\u00e9 en ce pays-ci de toutes sortes de\nmaladies.\nAdieu, madame; je vais me promener dans un carrosse _incognito_, \u00e0 une\npromenade publique, au milieu de la campagne, o\u00f9 il y a un pr\u00e9dicateur\nqui pr\u00eache quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets \u00e0 tour\nde bras; on entend, d\u00e8s qu'il a commenc\u00e9 \u00e0 se les donner, un bruit\nterrible de tout le peuple qui fait la m\u00eame chose. Comme il n'y a pas\nd'obligation de se ch\u00e2tier de la sorte, nous allons assister \u00e0 ce\nspectacle qui se voit, en car\u00eame, trois fois la semaine. Le d\u00e9tail des\nd\u00e9votions de ce pays seroit une chose divertissante \u00e0 vous faire savoir.\nLETTRE XXXIV.\n_Madrid, 3 avril 1681._\nVous, madame, plusieurs de mes amies, et m\u00eame mes enfans, vous paroissez\n\u00e9tonn\u00e9s et comme f\u00e2ch\u00e9s de n'\u00eatre point inform\u00e9s par mes lettres de tout\nce qui se passe ici touchant le rappel de M. _de Villars_, et ce qui me\nregarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas\nun secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma ch\u00e8re madame,\npuisqu'assur\u00e9ment, dans le nombre de mes d\u00e9fauts, je n'ai point celui de\nmentir. Rien au monde n'est donc venu \u00e0 notre connoissance de ce qu'on a\npu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me\ndites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on\nsavoit ce que c'est que l'int\u00e9rieur de ce palais, et qu'aucune dame ni\nmoi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu\napprendre la langue du pays, on ne diroit pas que \u00e7a \u00e9t\u00e9 avec les\nfemmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout\nl'appartement de la reine. A l'\u00e9gard du jeune roi, et de sa haine pour\nles Fran\u00e7ois, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente\npour moi que pour les femmes fran\u00e7oises de la reine, par la raison\nqu'elles sont plus souvent aupr\u00e8s d'elle que je n'ai cet honneur. Si le\npremier ministre a fait n\u00e9gocier notre retour en France par\nl'ambassadeur d'Espagne, qui est \u00e0 Paris, le roi, leur ma\u00eetre, n'en a\nrien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort \u00e9tonn\u00e9\nquand on la lui apprit, et demanda aussit\u00f4t si ce n'\u00e9toit point une\nmarque qu'on all\u00e2t rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de\nbeaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la\nreine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois\nmois, qu'elle n'a jamais \u00e9t\u00e9. Je ne me vanterai pas de m'\u00eatre m\u00eal\u00e9e de\ndonner des conseils \u00e0 la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en\navoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de\nl'\u00e9tat; c'est ce qui n'est jamais entr\u00e9 dans les conversations que j'ai\neu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en\nv\u00e9rit\u00e9, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce\nqui s'est pass\u00e9 depuis que je suis en ce pays. Avec toute la\ntranquillit\u00e9 que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis\npourtant afflig\u00e9e du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon\nnom n'a jamais \u00e9t\u00e9 prof\u00e9r\u00e9 que bien sinistrement devant tout ce qu'il y\na de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je\nsouffre \u00e0 cet \u00e9gard, me fait porter une v\u00e9ritable envie aux gens dont on\nn'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. _de\nVillars_ re\u00e7ut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne port\u00e2t\naussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en\navoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette\nbont\u00e9 du roi, malgr\u00e9 mon innocence, que n'en ont mille gens pour les\nsolides bienfaits qu'ils re\u00e7oivent tous les jours de sa majest\u00e9. Je ne\nlaisserai point de partir la premi\u00e8re, parce que M. _de Villars_ s'en\nira plus v\u00eete, quand il sera tout seul, d\u00e8s le moment qu'il aura re\u00e7u\nles derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce\nqu'on voudra. Je vous verrai bient\u00f4t; ce me sera une v\u00e9ritable joie.\nQuel voyage ai-je \u00e0 faire, et quelle fatigue \u00e0 essuyer!\nLETTRE XXXV.\n_Madrid, 17 avril 1681._\nJe vous rends gr\u00e2ces de l'impatience que vous me marquez de savoir le\ntemps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses \u00e0 faire\navant que de partir. C'est M. _de Villars_ qui r\u00e8gle tout cela. J'ai\npris cong\u00e9 de la reine ayant son d\u00e9part pour Aranjuez. Elle m'a fort\ncommand\u00e9 de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez\ndes raisons pour all\u00e9guer contre les torts qu'on me donne au pays o\u00f9\nvous \u00eates; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je\nsais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand d\u00e9m\u00eal\u00e9 avec un\nma\u00eetre-d'h\u00f4tel de la jeune reine; mais, comme j'ai d\u00e9j\u00e0 r\u00e9pondu que je\nn'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme\nni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire.\nToutes ces choses seront des nouveaut\u00e9s pour moi, quand j'arriverai \u00e0\nParis. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine.\nSi elle ne l'avoit pas voulu, cela n'e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9; et si, de France, on\navoit ordonn\u00e9 \u00e0 M. _de Villars_ que mes visites fussent moins\nfr\u00e9quentes, on ne se le seroit pas laiss\u00e9 dire deux fois. Je vous\nconterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous\nsupplie instamment encore une fois, ma ch\u00e8re madame, de laisser dire,\nsur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent\npoint d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je d\u00e9sire de\nvous.\nCe que l'on vous mande de Rome de la conn\u00e9table _Colonne_ seroit\nmeilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est\npeut-\u00eatre bien pr\u00e8s d'\u00e9prouver de pires aventures que toutes celles\nqu'elle a eues par le pass\u00e9. Il ne faut rien imputer \u00e0 toutes ces sortes\nde t\u00eates-l\u00e0; mais on ne peut s'emp\u00eacher de la plaindre. C'est la\nmeilleure femme du monde, \u00e0 cela pr\u00e8s qu'il n'est pas au pouvoir humain\nde lui faire prendre les meilleurs partis, ni de r\u00e9sister \u00e0 tout ce qui\nlui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses\nenfans. Il a mari\u00e9 l'a\u00een\u00e9, comme vous savez, avec une fille de _Medina\nCeli_, premier ministre, qu'il emm\u00e8ne aussi \u00e0 Rome. La conn\u00e9table\ndemeure dans son couvent, o\u00f9 apparemment elle va manquer de tout. Elle\ny est d\u00e9j\u00e0 mis\u00e9rablement. Si je n'avois pas autant compati \u00e0 son\nmalheur, je n'aurois pu m'emp\u00eacher de me divertir \u00e0 l'entendre parler\ncomme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle \u00e9crit que cela est surprenant,\navec ses _hauts_ et _bas_. Il \u00e9toit, en quelque sorte, facile \u00e0 M. _de\nNevers_, son fr\u00e8re, de la tirer du malheureux \u00e9tat o\u00f9 elle est, s'il\n\u00e9toit venu ici pour soutenir ses int\u00e9r\u00eats. Elle n'auroit pas \u00e9t\u00e9 r\u00e9duite\n\u00e0 jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur\nde la reine me dit qu'il lui alloit \u00e9crire la proposition de se faire\nreligieuse pour sortir du ch\u00e2teau de S\u00e9govie. Elle n'h\u00e9sita pas un\nmoment, comme je vous l'ai mand\u00e9, \u00e0 trouver qu'elle en avoit la\nvocation. Je crus, au moins, qu'\u00e9tant entr\u00e9e dans le couvent, elle\nd\u00e9clareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis\n\u00e9toit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit\nd\u00e8s l'instant qu'elle a mis le pied dans l'\u00e9glise. Il falloit que son\nfr\u00e8re v\u00eent alors l'enlever de l\u00e0, et t\u00e2cher de la faire aller demeurer\navec la duchesse _de Mod\u00e8ne_, comme on l'avoit propos\u00e9.\nJ'ai fort bien commenc\u00e9 et fini le car\u00eame; je n'en suis pas malade, Dieu\nmerci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point\nprendre?\nOn parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent\nabsolument qu'une certaine \u00eele soit \u00e0 eux. Ils assurent qu'ils vont\nfaire la guerre, si l'on ne la leur c\u00e8de. On est pourtant tout-\u00e0-fait\ntranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon\nc\u0153ur.\nLETTRE XXXVI.\n_Madrid, premier mai 1681._\nJamais rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que\nvous me dites, ma ch\u00e8re madame, sur l'obligeante envie que vous me\nmarquez que j'aille loger chez vous en arrivant \u00e0 Paris. Soyez bien\npersuad\u00e9e que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour\ninspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront\nmille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous\nsouhaitez. Ce sont des excuses bien diff\u00e9rentes de celles que l'on\nemploie pour refuser une gr\u00e2ce ou un service que l'on ne peut rendre.\nMais votre c\u0153ur est fait de mani\u00e8re que je ne puis douter que ce ne soit\nvous faire une esp\u00e8ce d'offense de mettre quelque obstacle aux services\nque vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinit\u00e9 de pardons; je\nm'en demande \u00e0 moi-m\u00eame de m'opposer \u00e0 la joie que j'aurois de me\ntrouver \u00e0 port\u00e9e de vous voir, de vous parler \u00e0 tout moment. Je ne suis\npas destin\u00e9e \u00e0 des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour\nchanger de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis\nmoins empress\u00e9e de mon retour \u00e0 Paris; car vous saurez que M. _de\nVillars_ prit la r\u00e9solution de me faire partir, quand il sut, par la\nlettre du roi, son ma\u00eetre, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus\ngrande commodit\u00e9, qu'il \u00e9toit plus \u00e0 propos que je m'en allasse la\npremi\u00e8re, pour \u00eatre en \u00e9tat de faire plus de diligence, d\u00e9barrass\u00e9 de\nfemmes, de hardes et d'\u00e9quipages; ne doutant point qu'au plus tard,\ntrois semaines ou un mois apr\u00e8s, il n'e\u00fbt ordre du roi pour partir, et\nqu'il n'y e\u00fbt un autre ambassadeur nomm\u00e9. Mais je vois pr\u00e9sentement\nqu'on ne parle de rien, et que M. _de Villars_ peut demeurer encore ici\nlong-temps. Cela \u00e9tant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas\nlaisser mon mari dans cet ennuyeux pays, o\u00f9 je puis \u00eatre compt\u00e9e pour\nquelque chose, par rapport au d\u00e9nuement de toute sorte de plaisirs.\nCependant M. _de Villars_ ne pouvant s'imaginer d'\u00eatre ici pour\nlong-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de\ncela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise\nque le roi ait ordonn\u00e9 que je m'en revinsse en France, dites hardiment,\nmadame, qu'il n'en est rien; sa majest\u00e9 n'en a jamais \u00e9crit un mot \u00e0 M.\n_de Villars_. Si ce que je vous \u00e9cris l\u00e0 n'\u00e9toit pas vrai, vous croyez\nbien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez \u00e0 quoi se\nr\u00e9duisent mes vanteries, qui sont de vouloir \u00e9tablir, parce que cela est\nvrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de\nmes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous\nverrai. Il ne me sera, je crois, gu\u00e8re difficile de vous faire avouer\nque je ne m\u00e9rite pas beaucoup de bl\u00e2me sur ma conduite en cette cour;\net, sans me vanter, peut-\u00eatre n'ai-je fait tort \u00e0 la conduite de\npersonne. Adieu, ma ch\u00e8re madame.\nLETTRE XXXVII.\n_Madrid, 15 mai 1681._\nJe ne suis point encore partie; les pluies ont \u00e9t\u00e9 si excessives et si\ncontinuelles ici, que les carrosses ni les liti\u00e8res ne peuvent se mettre\nen chemin. Pr\u00e9sentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait\nesp\u00e9rer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nomm\u00e9\nle successeur de M. _de Villars_, je partirai plus volontiers avec la\ncertitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici apr\u00e8s moi. Leurs\nmajest\u00e9s Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bont\u00e9\nde me dire qu'elle e\u00fbt \u00e9t\u00e9 au d\u00e9sespoir d'en revenir sit\u00f4t, sans la joie\nqu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraiss\u00e9 dans ce\ncharmant s\u00e9jour. Je l'ai trouv\u00e9e chang\u00e9e. J'ai vu la reine m\u00e8re ces\njours pass\u00e9s, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes\nles choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. _de Villars_ et\nde la mienne, quant \u00e0 l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis\nbien persuad\u00e9e qu'elle en \u00e9crit conform\u00e9ment \u00e0 la reine en France. Je\nsuis \u00e0 vous, ma ch\u00e8re madame, plus que je ne puis vous le dire.\n_Fin des Lettres de Madame de Villars._\nLETTRES\nDE\nMADAME DE COULANGES,\nA MADAME DE S\u00c9VIGN\u00c9.\nNOTICE\nSUR\nMADAME DE COULANGES.\nMadame de Coulanges a laiss\u00e9 d'elle la r\u00e9putation d'une femme\ntr\u00e8s-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres,\npour ainsi dire, aucune particularit\u00e9, aucun d\u00e9tail sur sa personne. Il\nseroit aujourd'hui fort difficile, et peut-\u00eatre m\u00eame impossible, de\nsuppl\u00e9er enti\u00e8rement \u00e0 leur silence. A la distance o\u00f9 nous sommes d\u00e9j\u00e0\ndu si\u00e8cle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des\nrenseignemens certains sur les personnages de ce si\u00e8cle, lorsque les\n\u00e9crivains du temps ont n\u00e9glig\u00e9 de nous en transmettre? Les Lettres de\nmadame _de S\u00e9vign\u00e9_ sont presque le seul \u00e9crit o\u00f9 il soit question de\nmadame _de Coulanges_. Nous allons en extraire le peu de notions\nbiographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.\nMadame _de Coulanges_ naquit en 1631, de M. _du Gu\u00e9-Bagnols_, intendant\nde Lyon.\nElle \u00e9pousa Philippe-Emmanuel _de Coulanges_, conseiller au parlement de\nParis, puis ma\u00eetre des requ\u00eates, mort en 1716, \u00e2g\u00e9 de 85 ans. M. _de\nCoulanges_ \u00e9tait cousin-germain de madame _de S\u00e9vign\u00e9_, dont sa femme\ndevint l'amie intime et presque ins\u00e9parable. Plein d'esprit et sur-tout\nde ga\u00eet\u00e9, tr\u00e8s-agr\u00e9able en soci\u00e9t\u00e9, \u00e0 cause de ses saillies et de ses\nchansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de go\u00fbt pour les\nfonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'\u00e9tant\ncharg\u00e9 de rapporter une affaire, o\u00f9 il s'agissoit d'une marre d'eau que\nse disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit _Grapin_, il\ns'embarrassa tellement dans le d\u00e9tail des faits, qu'il fut oblig\u00e9\nd'interrompre son r\u00e9cit: _Pardon, messieurs_, dit-il aux juges; _je me\nnoie dans la marre \u00e0_ Grapin, _et je suis votre serviteur_. Depuis cette\naventure, il ne voulut plus \u00eatre rapporteur, et il finit par se d\u00e9mettre\nde sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons d\u00eeners.\nMadame _de Coulanges_, fille d'un simple intendant de province, et femme\nd'un homme de robe, qui avoit renonc\u00e9 \u00e0 son \u00e9tat, n'avoit aucun rang \u00e0\nla cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de consid\u00e9ration.\nElle \u00e9toit ni\u00e8ce de la femme de _le Tellier_, ministre d'\u00e9tat, depuis\nchancelier, et cousine du fameux _Louvois_, ministre de la guerre. La\nparent\u00e9 lui donnoit un certain cr\u00e9dit aupr\u00e8s de ces deux hommes\npuissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient\nquelquefois l'occasion d'en faire usage. C'\u00e9toit sur-tout aupr\u00e8s de\n_Louvois_ qu'on r\u00e9clamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres\ncontinuelles, o\u00f9 les emplois de l'arm\u00e9e passoient si rapidement de main\nen main.\nC'\u00e9toit beaucoup, pour avoir des succ\u00e8s \u00e0 la cour, que d'\u00eatre ni\u00e8ce et\ncousine de ministre; mais ceux de madame _de Coulanges_ tenoient encore\n\u00e0 une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_ a exprim\u00e9 d'une mani\u00e8re si vive et si ing\u00e9nieuse, en disant:\n_l'esprit de madame_ de Coulanges _est une dignit\u00e9_. Cet esprit\nconsistoit \u00e0 dire avec gr\u00e2ce, avec aisance, des choses fines et\nimpr\u00e9vues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela _les \u00e9pigrammes\nde madame_ de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame _de Caylus_ dans ses\n_Souvenirs_. \u00abMadame _de Coulanges_, femme de celui qui a fait tant de\nchansons..... avoit une figure et un esprit agr\u00e9ables, une conversation\nremplie de traits vifs et brillans; et ce style lui \u00e9toit si naturel,\nque l'abb\u00e9 _Gobelin_ dit, apr\u00e8s une confession g\u00e9n\u00e9rale qu'elle lui\navoit faite: _Chaque p\u00e9ch\u00e9 de cette dame est une \u00e9pigramme._ Personne en\neffet, apr\u00e8s madame _de Cornuel_, n'a dit plus de bons mots que madame\n_de Coulanges_.\u00bb Madame _de S\u00e9vign\u00e9_, qui, dans ses Lettres, nous a\nconserv\u00e9 plusieurs bons mots de madame _de Cornuel_, que l'on cite\nencore tous les jours, en a rapport\u00e9 aussi quelques-uns de madame _de\nCoulanges_; mais ils n'ont pas fait la m\u00eame fortune. Il semble qu'ils\navoient quelque chose de plus d\u00e9li\u00e9, de plus fugitif, qui tenoit\ndavantage aux circonstances des personnes, des lieux et du temps; aux\nmani\u00e8res et au ton de celle qui les disoit; en un mot, nous pensons\nqu'ils perdroient beaucoup \u00e0 \u00eatre d\u00e9plac\u00e9s; et ce motif nous d\u00e9termine \u00e0\nn'en transporter aucun dans cette Notice.\nMadame _de Coulanges_, dont la malice s'\u00e9gayoit souvent aux d\u00e9pens des\nfemmes que l'on soup\u00e7onnoit de quelque tendre foiblesse, fut \u00e0 son tour\nl'objet des \u00e9pigrammes; elle fut accus\u00e9e d'avoir un peu plus que de\nl'amiti\u00e9 pour le marquis _de la Trousse_, cousin-germain de son mari. Le\nmarquis \u00e9toit follement amoureux; elle, _dure, m\u00e9prisante et am\u00e8re_, \u00e0\nce que dit madame _de S\u00e9vign\u00e9_, qui avouoit bonnement ne rien concevoir\n\u00e0 leur conduite. \u00abIl y auroit, dit-elle ailleurs, \u00e0 parler un an sur\nl'\u00e9tat inconcevable et surprenant des c\u0153urs de M. _de la Trousse_ et de\nmadame _de Coulanges_\u00bb. Tout le monde n'avoit point l\u00e0-dessus la m\u00eame\nincertitude qu'elle. Madame _de la Trousse_ \u00e9toit jalouse avec fureur de\nmadame _de Coulanges_; et _Louvois_ ayant envoy\u00e9 M. _de la Trousse_ sur\nla fronti\u00e8re, demanda publiquement pardon \u00e0 sa cousine de ce qu'il lui\n\u00f4toit, pendant l'hiver, _cette douce soci\u00e9t\u00e9_. \u00abAu milieu de toute la\nFrance, dit madame _de S\u00e9vign\u00e9_, elle soutint fort bien cette attaque;\nelle ne rougit point, et r\u00e9pondit pr\u00e9cis\u00e9ment ce qu'il falloit\u00bb.\nCette intrigue, vraie ou fausse de madame _de Coulanges_ avec M. _de la\nTrousse_, n'emp\u00eacha, point la scrupuleuse et d\u00e9vote madame _de\nMaintenon_ d'avoir toujours le plus vif attachement pour son ancienne\namie de l'h\u00f4tel de Richelieu. Elle vouloit toujours l'avoir aupr\u00e8s\nd'elle \u00e0 Versailles et \u00e0 St.-Cyr, et alloit elle-m\u00eame la voir quand elle\n\u00e9toit malade.\nNous ignorons dans quelle ann\u00e9e est morte madame _de Coulanges_.\nLETTRES\nDE\nMADAME DE COULANGES,\nA MADAME DE S\u00c9VIGN\u00c9.\nLETTRE PREMI\u00c8RE.\n_Lyon, premier ao\u00fbt 1672._\nJ'ai re\u00e7u vos deux lettres, ma belle; et je vous rends mille gr\u00e2ces\nd'avoir song\u00e9 \u00e0 moi dans le lieu o\u00f9 vous \u00eates. Il fait un chaud mortel;\nje n'ai d'esp\u00e9rance qu'en sa violence[29]. Je meurs d'envie d'aller \u00e0\nGrignan; ce mois-ci pass\u00e9, il n'y faudra pas songer; ainsi je vous irai\nvoir assur\u00e9ment, s'il est possible que je puisse arriver en vie; au\nretour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le\nmarquis _de Villeroi_ passe sa vie \u00e0 regretter le malheur qui l'a\nemp\u00each\u00e9 de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour[30];\nje m'y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma m\u00e8re; dans\nl'esp\u00e9rance d'aller \u00e0 Grignan, je fais mon devoir \u00e0 merveille; cela\nm'adoucit l'esprit. Mais quel changement! vous souvient-il de la figure\nque madame _Solus_ faisoit dans le temps que vous \u00e9tiez ici? Elle a fait\nimprudemment ses d\u00e9lices de madame _Carle_; celle-ci avoit, dit-on, ses\ndesseins; pour moi, je n'en crois rien; cependant c'est le bruit de\nLyon; en un mot, c'est de madame _Carle_ que M. le marquis paro\u00eet\namoureux. Madame _Solus_ se d\u00e9sesp\u00e8re, mais elle aime mieux voir M. le\nmarquis infid\u00e8le que de ne le point voir; cela fait croire qu'elle ne\nprendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous\nparo\u00eet-elle avoir la gr\u00e2ce de la nouveaut\u00e9? Continuez \u00e0 m'\u00e9crire, ma\ntr\u00e8s-belle, vos lettres me touchent le c\u0153ur: Madame _de Rochebonne_ est\ntoujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que\nmadame _de Grignan_ e\u00fbt \u00e9t\u00e9 malade; si c'est une maladie sans suite, sa\nbeaut\u00e9 n'en souffrira pas long-temps. Vous savez l'int\u00e9r\u00eat que je prends\n\u00e0 tout ce qui pourroit, cet hiver, vous emp\u00eacher l'une et l'autre de\nrevenir de bonne heure.\nAdieu, ma tr\u00e8s-ch\u00e8re amie; j'oubliois de vous dire que le marquis _de\nVilleroi_ se propose d'aller \u00e0 Grignan avec votre ami le comte _de\nRochebonne_: je vous suis tr\u00e8s-oblig\u00e9e de vouloir bien de moi; il y a\npeu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus v\u00eete\ndans votre ch\u00e2teau; mon impatience, _quoique violente_, dure toujours:\ncela me fait craindre pour le chaud; il doit \u00eatre insupportable, puisque\nje ne m'y expose pas. La rapidit\u00e9 du Rh\u00f4ne convient \u00e0 l'envie que j'ai\nde vous embrasser; ainsi, madame, je ne d\u00e9sesp\u00e8re point du tout de vous\naller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me\npoint dire: _Allez, allez; vous \u00eates une laide_; cela me suffit. J'ai\npeur que vous ne traitiez mal notre gouverneur; vos mani\u00e8res m'ont\ntoujours paru diff\u00e9rentes de celles de madame _Solus_. Vous savez bien\nque l'on dit \u00e0 Paris que _Vardes_ et lui se sont rencontr\u00e9s: devinez o\u00f9?\nLETTRE II.\n_Lyon, 11 septembre 1672._\nJe suis ravie de pouvoir croire que vous m'avez un peu regrett\u00e9e; ce qui\nme persuade que je le m\u00e9rite, c'est le chagrin que j'ai eu de ne vous\nplus voir; j'ai fait vos complimens au _charmant_[31]; il les a re\u00e7us,\ncomme il le devoit, j'en suis contente; si je prenois autant d'int\u00e9r\u00eat\nen lui que M. _de Coulanges_, je serois plus aise de ce qu'il dit de\nvous, pour lui que pour vous. Madame _d'Assigni_ a gagn\u00e9 son proc\u00e8s tout\nd'une voix. Envoyez-moi M. _de Corbinelli_; son appartement est tout\npr\u00eat; je l'attends avec une impatience, qui m\u00e9rite qu'il fasse ce petit\nvoyage; toutes nos beaut\u00e9s attendent, et ne veulent point partir pour la\ncampagne qu'il ne soit arriv\u00e9; s'il abuse de ma simplicit\u00e9, et que tout\nceci se tourne en projets, je romps pour toujours avec lui. Adieu, ma\nvraie amie. C'est \u00e0 madame la comtesse _de Grignan_ que j'en veux.\n_A madame_ DE GRIGNAN.\nJe n'ai plus de go\u00fbt pour l'ouvrage, madame; on ne sait travailler qu'\u00e0\nGrignan; le _charmant_ et moi, nous en commen\u00e7\u00e2mes un, il y a deux\njours; vous y aviez beaucoup de part; vous me trouveriez une grande\nouvri\u00e8re \u00e0 l'heure qu'il est. Il me paro\u00eet que le _charmant_ vous\nvoudroit bien envoyer des patrons; mais le bruit court que vous ne\ntravaillez point \u00e0 patrons, et que ceux que vous donnez sont\ninimitables. Adieu, ma ch\u00e8re madame; je trouve une grande facilit\u00e9 \u00e0 me\nd\u00e9faire de ma s\u00e9cheresse, quand je songe que c'est \u00e0 vous que j'\u00e9cris.\nLETTRE III.\n_Lyon, 30 octobre 1672._\nJe suis tr\u00e8s-en peine de vous, ma belle; aurez-vous toujours la\nfantaisie de faire le bon corps? Falloit-il vous mettre sur ce pied-l\u00e0\napr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 saign\u00e9e? Je meurs d'impatience d'avoir de vos nouvelles,\net il se passera des temps infinis avant que j'en puisse recevoir.\nH\u00e9las! voici un adieu, ma d\u00e9licieuse amie; je m'en vais faire cent\nlieues pour m'\u00e9loigner de vous! quelle extravagance! Depuis que le jour\nest pris pour m'en aller \u00e0 Paris, je suis enrag\u00e9e de penser \u00e0 tout ce\nque je quitte; je laisse ma famille, une pauvre famille d\u00e9sol\u00e9e; et\ncependant je pars le jour m\u00eame de la Toussaint pour Bagnols: de Bagnols\n\u00e0 Rouanne; et puis, _vogue la gal\u00e8re_. N'\u00eates-vous pas ravie du pr\u00e9sent\nque le roi a fait \u00e0 M. _de Marsillac_[32]? n'\u00eates-vous pas charm\u00e9e de la\nlettre que le roi lui a \u00e9crite? Je suis au vingti\u00e8me livre de\nl'_Arioste_; j'en suis ravie. Je vous dirai, sans pr\u00e9tendre abuser de\nvotre cr\u00e9dulit\u00e9, que, si j'\u00e9tois re\u00e7ue dans votre troupe \u00e0 Grignan, je\nme passerois bien mieux de Paris, que je ne me passerai de vous \u00e0 Paris.\nMais, adieu, ma vraie amie, je garde le _charmant_ pour la belle\ncomtesse. Ecoutez, madame, le proc\u00e9d\u00e9 du _charmant_; il y a un mois que\nje ne l'ai vu; il est \u00e0 Neuville[33], outr\u00e9 de tristesse; et quand on\nprend la libert\u00e9 de lui en parler, il dit que son exil est long; et\nvoil\u00e0 les seules paroles qu'il a prof\u00e9r\u00e9es depuis l'infid\u00e9lit\u00e9 de son\n_Alcine_; il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il\nne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de _Solus_, plus\nd'amusement; il a un m\u00e9pris pour les femmes, qui emp\u00eache de croire qu'il\nm\u00e9prise celle qui outrage son amour et sa gloire; le bruit court qu'il\nviendra me dire adieu le jour que je partirai. Je vous manderai le\nchangement qui est arriv\u00e9 en sa personne. Je suis de votre avis, madame,\nje ne comprends point qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais\nqu'il ait tort \u00e9tant pr\u00e9sent, je le comprends mieux; il me paro\u00eet plus\nais\u00e9 de conserver son id\u00e9e sans d\u00e9fauts pendant l'absence. _Alcine_\nn'est pas de ce go\u00fbt; le _charmant_ l'aime de bien bonne foi; c'est la\nseule personne qui m'ait fait croire \u00e0 l'inclination naturelle; j'ai \u00e9t\u00e9\nsurprise de ce que je lui ai entendu dire l\u00e0-dessus; mais que\ndeviendra-t-elle, comme vous dites, cette inclination? Peut-\u00eatre\narrivera-t-il un jour que le _charmant_ croira s'\u00eatre m\u00e9pris, et qu'il\ncontera les appas trompeurs d'_Alcine_. Le bruit de la reconnoissance\nque l'on a pour l'amour de mon gros cousin[34] se confirme; je ne crois\nque m\u00e9diocrement aux m\u00e9chantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il\nest, a \u00e9t\u00e9 pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 \u00e0 des tailles plus fines; et puis, apr\u00e8s un petit, un\ngrand; pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place? Adieu,\nmadame; que je hais de m'\u00e9loigner de vous!\nVenez, mon cher confident[35], que je vous dise adieu; je ne puis me\nconsoler de ne vous avoir point vu; j'ai beau songer au chagrin que\nj'aurois eu de vous quitter, il n'importe; je pr\u00e9f\u00e9rerois ce chagrin \u00e0\ncelui de ne vous avoir point fait conno\u00eetre les sentimens que j'ai pour\nvous. Je suis ravie du talent qu'a M. _de Grignan_ pour la friponnerie;\nce talent est n\u00e9cessaire pour repr\u00e9senter le vraisemblable. Adieu, mon\ncher monsieur: quand vous me promettez d'\u00eatre mon confident, je me\nrepens de n'\u00eatre pas digne d'accepter une pareille offre; mais venez\nvous faire refuser \u00e0 Paris. Adieu, mon amie; adieu, madame la comtesse;\nadieu, M. _de Corbinelli_; je sens le plaisir de ne vous point quitter\nen m'\u00e9loignant, mais je sens bien vivement le chagrin d'\u00eatre assur\u00e9e de\nne trouver aucun de vous o\u00f9 je vais.\nJe ne veux point oublier de vous dire que je suis si aise de l'abbaye\nque le roi a donn\u00e9e \u00e0 M. le coadjuteur, qu'il me semble qu'il y a de\nl'incivilit\u00e9 \u00e0 ne m'en point faire de compliment.\nLETTRE IV.\n_Paris, 26 d\u00e9cembre 1672._\nLe si\u00e9ge de Charleroi est enfin lev\u00e9[36]; je ne vous demande aucun\nd\u00e9tail de ce qui s'y est pass\u00e9, sachant que mademoiselle _de M\u00e9ri_ en\nenvoie une relation \u00e0 madame _de Grignan_. On ignore jusqu'\u00e0 pr\u00e9sent\nquelle route le roi prendra; les uns disent qu'il retournera tout droit\n\u00e0 Saint-Germain; les autres qu'il ira en Flandre; nous serons bient\u00f4t\n\u00e9claircis de sa marche. Sans vanit\u00e9, je sais des nouvelles \u00e0 l'arriv\u00e9e\ndes courriers; c'est chez M. _le Tellier_[37] qu'ils descendent, et j'y\npasse mes journ\u00e9es; il est malade, et il paro\u00eet que je l'amuse; cela me\nsuffit pour m'obliger \u00e0 une grande assiduit\u00e9. Je ne comprends point par\nquelle aventure vous n'avez pas re\u00e7u la lettre de M. _de Coulanges_,\ndans laquelle je vous \u00e9crivois; c'est une m\u00e9diocre perte pour vous; j'ai\ncependant la confiance de croire que vous regrettez cette lettre, parce\nque je vous aime, ma tr\u00e8s-belle, et que vous m'avez toujours paru\nreconnoissante. J'ai \u00e9t\u00e9 \u00e0 la messe de minuit; j'ai mang\u00e9 du petit sal\u00e9\nau retour; en un mot, j'ai un assez bon corps cette ann\u00e9e pour \u00eatre\ndigne du v\u00f4tre. J'ai fait des visites avec madame _de la Fayette_, et je\nme trouve si bien d'elle, que je crois qu'elle s'accommode de moi. Nous\navons encore ici madame _de Richelieu_; j'y soupe ce soir avec madame\n_du Fresnoi_; il y a grande presse de cette derni\u00e8re \u00e0 la cour, il ne se\nfait rien de consid\u00e9rable dans l'\u00e9tat, o\u00f9 elle n'ait part. Pour madame\n_Scarron_, c'est une chose \u00e9tonnante que sa vie: aucun mortel, sans\nexception, n'a commerce avec elle; j'ai re\u00e7u une de ses lettres; mais je\nme garde bien de m'en vanter, de peur des questions infinies que cela\nattire. Le rendez-vous du beau monde est les soirs chez la mar\u00e9chale\n_d'Estr\u00e9es_; _Manicamp_ et ses deux s\u0153urs sont assur\u00e9ment bonne\ncompagnie; madame _de Senneterre_ s'y trouve quelquefois, mais toujours\nsous la figure d'Andromaque. On est ennuy\u00e9 de sa douleur: pour elle, je\ncomprends qu'elle s'en accommode mieux que de son mari; cette raison\ndevroit pourtant lui faire oublier qu'elle est afflig\u00e9e. Je la crois de\nbonne foi; ainsi je la plains. Les gendarmes Dauphin sont dans l'arm\u00e9e\nde M. _le Prince_; il faut esp\u00e9rer qu'on les mettra bient\u00f4t en quartier\nd'hiver, et qu'ils auront un moment pour donner ordre \u00e0 leurs affaires;\nje connois des gens qui en sont accabl\u00e9s. Adieu, ma tr\u00e8s-aimable; je\nvais me pr\u00e9parer pour la grande occasion de ce soir: il faut \u00eatre bien\nmodeste pour se coiffer quand on soupe avec madame _du Fresnoi_.\nPermettez-moi de faire mille complimens \u00e0 madame _de Grignan_; je\nvoudrois bien que ce fussent des amiti\u00e9s, mais vous ne voulez pas.\nLa princesse _d'Harcourt_ a paru \u00e0 la cour sans rouge par pure d\u00e9votion:\nvoil\u00e0 une nouvelle qui efface toutes les autres; on peut dire aussi que\nc'est un grand sacrifice; _Brancas_[38] en est ravi. Il vous adore, mon\namie: ne le d\u00e9sapprouvez donc pas, lorsqu'il censure les plaisirs que\nvous avez sans lui; c'est la jalousie qui l'y oblige; mais vous ne\nvoudriez de la jalousie que de ceux dont vous pourriez \u00eatre jalouse; il\nfaut plaindre _Brancas_.\nLETTRE V.\n_Paris, 24 f\u00e9vrier 1673._\nSi vous \u00e9tiez en lieu o\u00f9 je vous pusse conter mes chagrins, ma\ntr\u00e8s-belle, je suis persuad\u00e9e que je n'en aurois plus. Quand je songe\nque le retour de madame _de Grignan_ d\u00e9pend de la paix, et le v\u00f4tre du\nsien, en faut-il davantage pour me la faire souhaiter bien vivement? Le\ncomte _Tot_ a pass\u00e9 l'apr\u00e8s-din\u00e9e ici; nous avons fort parl\u00e9 de vous; il\nse souvient de tout ce qu'il vous a entendu dire; jugez si sa m\u00e9moire ne\nle rend pas de tr\u00e8s-bonne compagnie. Au reste, ma belle, je ne pars plus\nde Saint-Germain: j'y trouve une dame d'honneur[39] que j'aime, et qui a\nde la bont\u00e9 pour moi; j'y vois peu la reine. Je couche chez madame _du\nFresnoi_ dans une chambre charmante; tout cela me fait r\u00e9soudre \u00e0 y\nfaire de fr\u00e9quens voyages. Nos pauvres amis sont repartis, c'est-\u00e0-dire,\nM. _de la Trousse_[40], sur la nouvelle qu'a eue le roi d'une r\u00e9volte en\nFranche-Comt\u00e9. Comme il n'aimeroit point que les Espagnols envoyassent\ndes troupes qui passeroient sur ses terres, il a nomm\u00e9 _Vaubrun_ et _la\nTrousse_ pour aller commander en ce pays-l\u00e0. _La Trousse_ a beaucoup de\npeine \u00e0 se r\u00e9jouir de cette distinction, cependant c'en est une, qui\npourroit ne pas d\u00e9plaire \u00e0 un homme moins fatigu\u00e9 de voyages; celui-ci\njoindra la campagne; cela est fort triste pour ses amis. Le guidon[41]\nnous demeure; mais ce n'\u00e9toit point trop _de tout_. Je menai ce guidon\navant-hier \u00e0 Saint-Germain; nous d\u00een\u00e2mes chez madame _de Richelieu_; il\nest aim\u00e9 de tout le monde presqu'autant que de moi. _Mithridate_[42] est\nune pi\u00e8ce charmante; on y pleure; on y est dans une continuelle\nadmiration; on la voit trente fois; on la trouve plus belle la trenti\u00e8me\nque la premi\u00e8re. _Pulch\u00e9rie_ n'a point r\u00e9ussi. Notre ami _Brancas_ a la\nfi\u00e8vre et une fluxion sur la poitrine; je l'irai voir demain. Je n'ai\npoint vu votre cardinal[43], j'en ai toujours eu envie; mais il s'est\ntoujours trouv\u00e9 quelque chose qui m'en a emp\u00each\u00e9e. La belle _Ludre_ est\nla meilleure de mes amies; elle me veut toujours mener chez madame\n_Talpon_, quand les _pougies_[44] sont allum\u00e9es. Le marquis _de\nVilleroi_ est si amoureux, qu'on lui fait voir ce que l'on veut; jamais\naveuglement n'a \u00e9t\u00e9 pareil au sien; tout le monde le trouve digne de\npiti\u00e9, et il me paro\u00eet digne d'envie; il est plus charm\u00e9 qu'il n'est\n_charmant_, il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte\n_Caderousse_ pour quelque chose; et puis un autre pour quelque chose\nencore; un, deux, trois, c'est la pure v\u00e9rit\u00e9: fi, je hais les\nm\u00e9disances. J'embrasse madame la comtesse _de Grignan_; je voudrois bien\nqu'elle f\u00fbt heureusement accouch\u00e9e, qu'elle ne f\u00fbt plus grosse, et\nqu'elle v\u00eent ici d\u00e9sabuser de tout ce qu'on y admire. Adieu, ma\nv\u00e9ritable amie; _vos petites entrailles_[45] se portent bien; elles sont\nfarouches, elles ont les cheveux coup\u00e9s; elles sont tr\u00e8s-bien v\u00eatues.\nMadame _Scarron_ ne paro\u00eet point; j'en suis tr\u00e8s-f\u00e2ch\u00e9e. Je n'ai rien\ncette ann\u00e9e de tout ce que j'aime; l'abb\u00e9 _Testu_ et moi, nous sommes\ncontraints de nous aimer. _Mademoiselle_ a song\u00e9 que vous \u00e9tiez\ntr\u00e8s-malade; elle s'\u00e9veilla en pleurant; elle m'a ordonn\u00e9 de vous le\nmander.\nLETTRE VI.\n_Paris, 20 mars 1673._\nJe souhaite trop vos reproches pour les m\u00e9riter; non, ma belle, la\np\u00e9riode ne n'emporte point; je vous dis que je vous aime par la raison\nque je le sens v\u00e9ritablement, et m\u00eame je suis plus vive pour vous que je\nne vous le dis encore. Nous avons enfin retrouv\u00e9 madame _Scarron_,\nc'est-\u00e0-dire que nous savons o\u00f9 elle est; car pour avoir commerce avec\nelle, cela n'est pas ais\u00e9. Il y a chez une de ses amies[46] un certain\nhomme[47] qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu'il\nsouffre impatiemment son absence; elle est cependant plus occup\u00e9e de ses\nanciens amis, qu'elle ne l'a jamais \u00e9t\u00e9; elle leur donne le peu de temps\nqu'elle a avec un plaisir qui fait regretter qu'elle n'en ait pas\ndavantage. Je suis assur\u00e9e que vous trouverez que deux mille \u00e9cus de\npension sont m\u00e9diocres; j'en conviens, mais cela s'est fait d'une\nmani\u00e8re qui peut laisser esp\u00e9rer d'autres gr\u00e2ces. Le roi vit l'\u00e9tat des\npensions, il trouva deux mille francs pour madame _Scarron_, il les\nraya, et mit deux mille \u00e9cus. Tout le monde croit la paix; mais tout le\nmonde est triste d'une parole que le roi a dite, qui est que paix ou\nguerre il n'arriveroit \u00e0 Paris qu'au mois d'octobre. Je viens de\nrecevoir une lettre du jeune guidon[48]; il s'adresse \u00e0 moi[49] pour\ndemander son cong\u00e9, et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas\nque je ne l'obtienne. J'ai vu une lettre admirable que vous avez \u00e9crite\n\u00e0 M. _de Coulanges_; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je\nsuis persuad\u00e9e que ce seroit m\u00e9chant signe pour quelqu'un qui trouveroit\n\u00e0 y r\u00e9pondre. Je promis hier \u00e0 madame _de la Fayette_ qu'elle la\nverroit; je la trouvai t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec _un appel\u00e9_ M. _le Duc_; on\nregretta le temps que vous \u00e9tiez \u00e0 Paris; on vous y souhaita, mais,\nh\u00e9las, qu'ils sont inutiles les souhaits! et cependant on ne sauroit se\ncorriger d'en faire. M. _de Grignan_ ne s'est point du tout rouill\u00e9 en\nprovince, il a un tr\u00e8s-bon air \u00e0 la cour; mais il trouve qu'il lui\nmanque quelque chose. Nous sommes de son avis, nous trouvons qu'il lui\nmanque quelque chose. J'ai mand\u00e9 \u00e0 M. _de la Trousse_ ce que vous\nm'\u00e9crivez de lui. Si ma lettre va jusqu'\u00e0 lui, je ne doute pas qu'il ne\nvous en remercie; je crois que le secret miraculeux qu'il avoit de faire\ncomme les gens les plus riches, lui manque dans cette occasion: il me\nparo\u00eet accabl\u00e9 sans ressource. Madame _du Fresnoi_ fait une figure si\nconsid\u00e9rable, que vous en seriez surpris; elle a effac\u00e9 mademoiselle de\nS.... sans mis\u00e9ricorde. On avoit tant vant\u00e9 la beaut\u00e9 de cette derni\u00e8re,\nqu'elle n'a plus paru belle; elle a les plus beaux traits du monde, elle\na le teint admirable, mais elle est d\u00e9contenanc\u00e9e, et elle ne le veut\npas paro\u00eetre; elle rit toujours, elle a m\u00e9chante gr\u00e2ce. _Madame_ fera\nsouvent voir de nouvelles beaut\u00e9s; l'ombre d'une galanterie l'oblige \u00e0\nse d\u00e9faire de ses filles; ainsi je crois que celles qui lui demeureront,\nse trouveront plus \u00e0 plaindre que les autres. Mademoiselle de L.... la\nquitte. Madame _de Richelieu_ m'a pri\u00e9e de vous faire mille complimens\nde sa part. Adieu, ma tr\u00e8s-aimable belle; j'embrasse, avec votre\npermission et la sienne, madame la comtesse _de Grignan_; n'est-elle\npoint encore accouch\u00e9e? M. _de Coulanges_ m'a assur\u00e9e qu'il vous\nenverroit _Mithridate_. On me peint aujourd'hui pour M. _de Grignan_; je\ncroyois avoir renonc\u00e9 \u00e0 la peinture. L'histoire du _charmant_ est\npitoyable; je la sais.... _Orondate_[50] \u00e9toit peu amoureux aupr\u00e8s de\nlui; il n'y a que lui au monde qui sache aimer. C'est le plus joli\nhomme, et son _Alcine_ la plus indigne femme.\nLETTRE VII.\n_Paris, 10 avril 1673._\nIl est minuit, c'est une raison pour ne vous point \u00e9crire: j'en suis\nenrag\u00e9e. J'avois r\u00e9solu de r\u00e9pondre \u00e0 votre aimable lettre; mais voici,\nma ch\u00e8re amie, ce qui m'en a emp\u00each\u00e9e. M. _de la Rochefoucauld_ a pass\u00e9\nle jour avec moi: je lui ai fait voir madame _du Fresnoi_; il en est\ntout \u00e9perdu. Je suis ravie que madame _de Grignan_ ne soit qu'accabl\u00e9e\nde lassitude; la surprise et l'inqui\u00e9tude que j'ai eues de son mal, me\ndevoient faire attendre \u00e0 toute la joie que j'ai du retour de sa sant\u00e9;\nc'est une barbarie que de souhaiter des enfans. Je ne veux pas oublier\nce qui m'est arriv\u00e9 ce matin; on m'a dit: madame, voil\u00e0 un laquais de\nmadame _de Thianges_; j'ai ordonn\u00e9 qu'on le f\u00eet entrer. Voici ce qu'il\navoit \u00e0 me dire: _Madame, c'est de la part de madame de Thianges, qui\nvous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de S\u00e9vign\u00e9, et\ncelle de la prairie_. J'ai dit au laquais que je les porterois \u00e0 sa\nma\u00eetresse, et je m'en suis d\u00e9faite. Vos lettres font tout le bruit\nqu'elles m\u00e9ritent, comme vous voyez; il est certain qu'elle sont\nd\u00e9licieuses, et vous \u00eates comme vos lettres. Adieu, ma tr\u00e8s-aimable;\nj'embrasse bien doucement cette belle comtesse, de peur de lui faire\nmal: j'ai bien senti, je vous jure, sa f\u00e2cheuse aventure; je souhaite\nplus que je ne l'esp\u00e8re qu'elle ne soit jamais expos\u00e9e \u00e0 de pareils\naccidens. Le roi dit hier qu'il partiroit le 25 sans aucune remise.\nLETTRE VIII.\n_Paris, 29 octobre 1694._\nOn me dit hier que votre mariage \u00e9toit refait, c'est-\u00e0-dire, qu'on avoit\nenvoy\u00e9 des conditions \u00e0 madame _de Grignan_, qu'elle auroit tort de ne\npas accepter; et comme je suppose qu'elle ne peut avoir tort, je conclus\nque vous vous mariez,[51] et je m'en r\u00e9jouis avec vous, ma ch\u00e8re amie.\nLe roi est \u00e0 Choisi pour jusqu'\u00e0 samedi; tout le monde revient en\nfoule; l'arm\u00e9e de Flandre est s\u00e9par\u00e9e. Nous n'aurons madame _de Louvois_\net M. _de Coulanges_ que le 8 du mois qui vient; ils ont M. _de Souvr\u00e9_\net madame _de Courtenvaux_ pour augmentation de bonne compagnie. La\nmar\u00e9chale _de Villeroi_ est partie pour passer tout son hiver \u00e0\nVersailles avec sa belle-fille; nous avons cru \u00eatre fort f\u00e2ch\u00e9es de nous\ns\u00e9parer. Au reste, madame, j'ai vu la plus belle chose qu'on puisse\njamais imaginer; c'est un portrait de madame _de Maintenon_, fait par\n_Mignard_: elle est habill\u00e9e en Sainte Fran\u00e7oise Romaine. _Mignard_ l'a\nembellie; mais, c'est sans fadeur, sans incarnat, sans blanc, sans l'air\nde la jeunesse; et sans toutes ces perfections, il nous fait voir un\nvisage et une physionomie au dessus de tout ce que l'on peut dire; des\nyeux anim\u00e9s, une gr\u00e2ce parfaite, point d'atours; et avec tout cela aucun\nportrait ne tient devant celui-l\u00e0. _Mignard_ en a fait aussi un fort\nbeau du roi; je vous envoie un madrigal que mademoiselle _Bernard_ fit\nimpromptu en voyant ces deux portraits; il a eu beaucoup de succ\u00e8s ici:\nvous jugerez si nous avons raison. Mademoiselle _de Villarceaux_ est\nmorte de la petite v\u00e9role, sans confession, et sans avoir eu le temps de\nd\u00e9sh\u00e9riter ses cousines. Madame _d'\u00c9pinoi_, la princesse, est accouch\u00e9e\nd'un fils; et depuis ce grand jour, on ne cesse de tirer et de boire \u00e0\nla Place Royale. Adieu, ma ch\u00e8re amie.\nLETTRE IX.\n_Paris, 19 novembre 1694._\nIl y a quinze jours, mon amie, que je ne vous ai \u00e9crit; je vous en\navertis, de peur que vous ne vous en aperceviez pas. Je n'avois point\nre\u00e7u de vos lettres, et cela me faisoit craindre que vous ne voulussiez\nplus des miennes. \u00cates-vous \u00e0 la noce? y serez-vous bient\u00f4t? Je veux\nsavoir ce qui vous regarde tous, parce que j'y prends un v\u00e9ritable\nint\u00e9r\u00eat. Toute la troupe de Tonnerre est revenue dans une parfaite\nsant\u00e9. M. _de Coulanges_ a trouv\u00e9 une grande affliction \u00e0 son retour; il\nparo\u00eet dans le monde un livre imprim\u00e9 de ses chansons, et \u00e0 la t\u00eate de\nce livre un \u00e9loge admirable de sa personne; on dit qu'il est n\u00e9 pour les\nchoses solides et pour les frivoles; on montre les preuves des\nderni\u00e8res; il est tr\u00e8s-touch\u00e9 de cette aventure, que j'ai encore\naggrav\u00e9e par ne la pouvoir prendre s\u00e9rieusement; \u00e0 tout cela je r\u00e9ponds:\n_Chansons, Chansons_. Il est all\u00e9 \u00e0 Versailles, et de l\u00e0 \u00e0 Saint-Martin;\nil faut esp\u00e9rer qu'il se consolera d'avoir fait ce livre par en faire un\nsecond, avant que sa jeunesse se passe. Vous voulez que je vous dise des\nnouvelles de ma sant\u00e9; mon amie, elle n'est en v\u00e9rit\u00e9 point bonne.\n_Carette_ me donne tout ce qu'il veut; et j'avale ses rem\u00e8des sans\nconfiance et sans succ\u00e8s; mais je crois que ce seroit encore pis de\nchanger tous les jours de m\u00e9decin; il faut prendre patience, et \u00eatre\nbien persuad\u00e9e qu'on ne meurt que quand il pla\u00eet \u00e0 Dieu. Voil\u00e0 des vers\nque l'abb\u00e9 _T\u00eatu_ m'a pri\u00e9e de vous envoyer; ils sont de sa fa\u00e7on. Le\nbruit court que le marquis _de Moui_ aura la maison de Pipaut: on dit\nqu'il fait habiller un de ses laquais en cerf, et qu'il le court toutes\nles nuits avec un cor; que vous semble de cet \u00e9quipage de chasse? M. _de\nHarlai_ n'est point encore de retour de ses n\u00e9gociations; tout le monde\nd\u00e9sire la paix, et l'esp\u00e8re peu. Voil\u00e0 encore des vers de mademoiselle\n_Bernard_: malgr\u00e9 toute cette po\u00e9sie, la pauvre fille n'a pas de jupe;\nmais il n'importe, elle a du rouge et des mouches. Adieu, ma belle amie,\nne m'oubliez pas, je vous en conjure.\nLETTRE X.\n_Paris, 26 novembre 1694._\nJ'ai envoy\u00e9 \u00e0 Versailles la lettre que vous m'avez adress\u00e9e pour M. _de\nCoulanges_; il y est \u00e9tabli depuis son retour: j'ai \u00e9t\u00e9 bien tent\u00e9e\nd'ouvrir cette lettre; mais la discr\u00e9tion l'a emport\u00e9 sur l'envie que\nj'ai toujours de voir ce que vous \u00e9crivez; tout devient or entre vos\nmains. Je suis tr\u00e8s-oblig\u00e9e \u00e0 M. _de Grignan_ de se souvenir encore de\nmoi; sa chute me met tout-\u00e0-fait en peine; et je vous prie, ma belle, de\nme bien mander de ses nouvelles, parce que j'y prends un tr\u00e8s-sinc\u00e8re\nint\u00e9r\u00eat. Les vers que j'ai envoy\u00e9s \u00e0 la cour ont \u00e9t\u00e9 fort bien re\u00e7us; la\npersonne \u00e0 qui ces vers s'adressoient m'\u00e9crit la plus aimable lettre du\nmonde; vous en jugerez par son effet, puisque, sans ma mauvaise sant\u00e9,\nqui me rend si difficile \u00e0 changer de lieu, je serois partie\nsur-le-champ pour Versailles. J'avale sans fin des gouttes de _Carette_;\net tout ce que je sais, c'est qu'elle ne font point de mal; il y a peu\nde rem\u00e8des dont on en puisse dire autant. Au reste, j'allai voir hier la\nmar\u00e9chale _d'Humi\u00e8res_; elle demeure dans une vilaine maison, au\nfaubourg Saint-Germain, o\u00f9 il n'y a place que dans la cour pour mettre\nson dais. La duchesse _d'Humi\u00e8res_, de son c\u00f4t\u00e9, occupe une autre\nmaisonnette dans l'Isle. Si la mar\u00e9chale avoit un peu de courage, en\nattendant mieux, elle auroit bien donn\u00e9 la pr\u00e9f\u00e9rence \u00e0 un couvent. M.\n_du Maine_ vient coucher aujourd'hui \u00e0 l'Arsenal; il y doit donner \u00e0\nsouper \u00e0 toutes les dames qui l'habitent; la jeune dame _de la Troche_ y\nbrillera; car elle est la beaut\u00e9 de ce lieu. Madame _de Boisfranc_ a la\npetite v\u00e9role; le fils de M. le premier pr\u00e9sident l'a aussi; enfin, tout\nen est rempli. Je vous ai mand\u00e9 l'affliction de M. _de Coulanges_ au\nsujet de ses chansons, qui ont \u00e9t\u00e9 m\u00eame assez mal choisies \u00e0\nl'impression; on a mis son \u00e9loge \u00e0 la t\u00eate du livre. Comme il ne pouvoit\nplus lui arriver que ce malheur, il y a \u00e9t\u00e9 aussi sensible que ce\ncapitaine qui, apr\u00e8s avoir vu mourir son fils, et perdu la bataille de\nsang froid, pleura seulement la mort de son esclave. Madame _de\nMontespan_ est de retour ici: elle a donn\u00e9 un lit de quarante mille \u00e9cus\n\u00e0 M. _du Maine_, et trois autres encore tr\u00e8s-magnifiques. Elle donne ses\nperles \u00e0 madame la duchesse. Adieu, ma ch\u00e8re amie; dites bien des\nchoses pour moi \u00e0 toute votre belle et bonne compagnie, et sur-tout\nm\u00e9nagez-moi bien les bonnes gr\u00e2ces de la charmante _Pauline_[52].\nLETTRE XI.\n_Paris, 10 d\u00e9cembre 1694._\nJe viens de passer encore quinze jours sans vous \u00e9crire; mais je garde\nmes excuses pour quand je vous \u00e9cris; car mes lettres ne peuvent \u00eatre\nque tristes et ennuyeuses; je perds tous mes amis et amies. La mort du\nmar\u00e9chal _de Bellefond_[53] m'a donn\u00e9 une v\u00e9ritable douleur; je suis la\nderni\u00e8re visite qu'il ait faite; je le vis en parfaite sant\u00e9, et six\njours apr\u00e8s il \u00e9toit mort: on dit que c'est d'un abc\u00e8s dans le genou,\net que si l'on le lui avoit perc\u00e9, on lui auroit sauv\u00e9 la vie; mais vous\nn'\u00eates pas la dupe de ces sortes de repentirs: il faut partir quand\nl'heure est venue; sa famille est dans une d\u00e9solation digne de piti\u00e9;\npour moi, je sens tr\u00e8s-vivement cette perte: ajoutez \u00e0 cette mort celle\nde mademoiselle _de Lestranges_, qui \u00e9toit mon amie depuis vingt-cinq\nans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes pens\u00e9es. Ma\nsant\u00e9 est assez mauvaise. _Carette_ exerce son art tr\u00e8s-inutilement sur\nma personne: il me donna, il y a quelques jours, une m\u00e9decine, qui me\nfit de tr\u00e8s-grands maux; mais il dit, comme don _Carlos_: _Tout est pour\nmon bien_. J'ai des journ\u00e9es assez bonnes, et puis des retours de\ncolique plus violens que jamais; je suis r\u00e9solue \u00e0 ne plus faire de\nrem\u00e8des, et \u00e0 vivre avec ce mal tant qu'il plaira \u00e0 Dieu. Le pis qu'il\nen puisse arriver, arrive sit\u00f4t m\u00eame avec une bonne sant\u00e9, que\nl'\u00e9v\u00e9nement ne vaut pas qu'on s'en tourmente; il n'y a que les douleurs\nqui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le r\u00e9cit de tous mes\nennuis, quelle est ma confiance en votre amiti\u00e9. Je sens cependant le\nplaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l'abb\u00e9 _de Marsillac_ me\ndit hier des biens infinis de M. et de madame _de Saint-Amant_, et de\nmadame la marquise _de Grignan_ leur fille; il les \u00e0 vus \u00e0 Vincennes; il\ndit que ce sont les plus honn\u00eates gens qu'il est possible, et qu'ils\nvous ont \u00e9lev\u00e9 un chef-d'\u0153uvre; enfin, il passa bien du temps \u00e0 me\nchanter leurs louanges, et je vous assure qu'il ne m'ennuya pas; car je\nprends un tr\u00e8s-sinc\u00e8re int\u00e9r\u00eat \u00e0 tout ce qui vous touche: je vous\ndemande en gr\u00e2ce de faire bien des complimens de ma part \u00e0 M. et \u00e0\nmadame _de Grignan_: je suis trop triste et trop malade pour \u00e9crire \u00e0\ntout autre que vous; vous vous passeriez peut-\u00eatre bien de cette\npr\u00e9f\u00e9rence. M. _de Coulanges_ est toujours \u00e0 la cour. M. _de Noyon_[54]\ny fait une figure principale; il est le seul pr\u00e9sentement qui y soit,\net la cour a toujours besoin d'un pareil amusement. Il sera re\u00e7u lundi \u00e0\nl'acad\u00e9mie (_fran\u00e7aise_); le roi lui a dit qu'il s'attendoit \u00e0 \u00eatre seul\nce jour-l\u00e0. L'abb\u00e9 _Testu_ se trouva ici lorsque je re\u00e7us votre derni\u00e8re\nlettre; il fut fort touch\u00e9 du bon accueil que vous avez fait \u00e0 ses\nstances[55]: il vous envoie une dissertation sur _Montaigne_. Je ne veux\npas oublier, mon amie, que l'on m'obligea, il y a quelques jours, en\ntr\u00e8s-bonne compagnie, \u00e0 dire tout ce que je savois de la charmante\n_Pauline_; mon c\u0153ur avoit tant de part dans le portrait que j'en fis,\nqu'en v\u00e9rit\u00e9 je crois qu'il lui ressembloit; au moins dit-on qu'une\ntelle personne devoit \u00eatre cherch\u00e9e au bout du monde, par tout ce qu'il\ny avoit de meilleur. Je crois que nous aurons M. et madame _de Chaulnes_\n\u00e0 la fin de ce mois.\nLe mar\u00e9chal _de Choiseul_ a ex\u00e9cut\u00e9 vos ordres; c'est une v\u00e9rit\u00e9, je ne\nle vois plus: il dit qu'on l'a averti qu'il se rendoit ridicule par\naller souvent chez des femmes; je lui ai laiss\u00e9 croire qu'on ne le\ntrompoit pas; et enfin, j'en suis quitte pour une visite la semaine. Il\na fait des merveilles pour le pauvre mar\u00e9chal _de Bellefond_; il n'y a\nque lui qui parle au roi pour toute cette famille. Adieu, ma tr\u00e8s-ch\u00e8re,\nembrassez toujours la belle _Pauline_ pour l'amour de moi: voyez comme\nj'abuse de vous, de vous demander des choses si difficiles.\nLETTRE XII.\n_Madrid, 14 janvier 1695._\nJe vous remercie, mon amie, de m'avoir appris la conclusion de votre\nroman; car tout ce que vous me mandez, est romanesque. L'h\u00e9ro\u00efne est\ncharmante; le h\u00e9ros, nous le connoissons; ce qui me paro\u00eet, c'est que\nvous ne faites point de l\u00e9gers repas, comme faisoient tous ces princes\net princesses. Je suis ravie que M. _de Grignan_ se porte bien; cette\ncirconstance n'a pas \u00e9t\u00e9 inutile pour l'agr\u00e9ment de la f\u00eate. J'appris\nhier votre mariage[56] \u00e0 madame _de Chaulnes_, qui est arriv\u00e9e en\ntr\u00e8s-bonne sant\u00e9, et qui n'en dit pas moins, _J\u00e9sus Dieu! ils sont donc\nmari\u00e9s!_ que si elle n'en avoit jamais entendu parler. Elle avoit couch\u00e9\n\u00e0 Versailles; elle y avoit vu madame _de Chevreuse_ et toutes ses amies.\nOn ne peut \u00eatre plus remplie qu'elle l'est de tout ce qu'on lui a cont\u00e9\nde la mort de M. _de Luxembourg_; si vous \u00e9tiez ici, mon amie, elle vous\ndiroit bien: _Gouvernante, il est mort bien chr\u00e9tiennement_: Monsieur _a\npresque toujours \u00e9t\u00e9 dans sa chambre_. Ce qui est de vrai, c'est que le\nP. _Bourdaloue_ a dit qu'il n'avoit pas v\u00e9cu comme M. _de Luxembourg_,\nmais qu'il voudroit mourir comme lui. Madame _de Maintenon_ se porte\nbien; elle a \u00e9t\u00e9 assez mal; elle sort maintenant tous les jours pour\naller \u00e0 Saint-Cyr. J'eus hier unes des Andromaques de ce temps. La\nmar\u00e9chale _d'Humi\u00e8res_ donna ses rendez-vous dans ma chambre \u00e0 M. _de\nTr\u00e9ville_ et \u00e0 l'abb\u00e9 _Testu_; elle nous apprit qu'elle ne voyoit plus\nla duchesse _d'Humi\u00e8res_; qui l'e\u00fbt cru que les int\u00e9r\u00eats pusseut faire\nune telle d\u00e9sunion? Le bruit court ici que la princesse _d'Orange_[57]\nest morte; mais cette nouvelle auroit besoin d'une plus grande\nconfirmation. La capitation est enfin pass\u00e9e et r\u00e9gl\u00e9e. J'ai toujours\noubli\u00e9 de vous faire les complimens de l'abb\u00e9 _Testu_, et \u00e0 toute la\nmaison de Grignan. Adieu, ma tr\u00e8s-aimable; je vous embrasse, je vous\naime et vous d\u00e9sire toujours. M. _de Coulanges_ n'habite plus que la\ncour; on ne dira pas qu'il est men\u00e9 par l'int\u00e9r\u00eat; quelque pays qu'il\nhabite, c'est toujours son plaisir qui le gouverne, et il est heureux;\nen faut-il davantage?\nLETTRE XIII.\n_Paris, 21 janvier 1695._\nComptez, madame, qu'on ne songe point ici qu'il y ait eu un M. _de\nLuxembourg_[58] dans le monde. Vous ne me faites piti\u00e9 o\u00f9 vous \u00eates, que\npar les r\u00e9flexions que vous vous amusez \u00e0 faire sur des morts, dont on\nne se souvient plus du tout. Les meilleurs amis de M. _de Luxembourg_\ns'assemblent encore souvent; le pr\u00e9texte est de le pleurer, et ils\nboivent, mangent, rient, se trouvent de bonne compagnie, _et de Caron,\npas un mot_. C'est ainsi qu'est fait le monde, ce monde que nous voulons\ntoujours aimer. On parle \u00e0 peine encore de la princesse _d'Orange_[59],\nqui n'avoit que trente-trois ans, qui \u00e9toit belle, qui \u00e9toit reine, qui\ngouvernoit, et qui est morte en trois jours. Mais une grande nouvelle,\nc'est que le prince _d'Orange_ est malade tr\u00e8s-assur\u00e9ment; la maladie de\nla reine, sa femme, \u00e9toit contagieuse; il ne l'a point quitt\u00e9e, et Dieu\nveuille qu'elle ne l'ait pas quitt\u00e9e pour long-temps. Il se passa hier\nune belle et magnifique sc\u00e8ne \u00e0 l'h\u00f4tel de Chaulnes. _Monsieur_ y passa\npresque toute la journ\u00e9e avec ses bont\u00e9s et ses agr\u00e9mens ordinaires pour\nla ma\u00eetresse de la maison. L'appartement de cette duchesse est dans le\npoint de la perfection; depuis le salon jusques au dernier cabinet, tout\nest meubl\u00e9 de ces beaux damas galonn\u00e9s d'or que vous connoissez; on a\nfait dans la chambre du lit une chemin\u00e9e d'une beaut\u00e9 et d'une\nmagnificence qui ne peut se dire; et il y avoit de gros feux partout, et\ndes bougies en si grande quantit\u00e9, qu'elles auroient obscurci le soleil,\ns'ils s'\u00e9toient trouv\u00e9s ensemble. Madame _de Chaulnes_ est all\u00e9e ce\nmatin rendre la visite \u00e0 _Monsieur_, et ensuite \u00e0 Versailles pour\nquelques jours; c'est ce qui l'a emp\u00each\u00e9e de vous \u00e9crire. Il n'y a de\nplaisir qu'\u00e0 Grignan, mon amie; mais ce qui est triste, c'est qu'il n'y\nen a point pour nous \u00e0 Paris, quand vous \u00eates \u00e0 Grignan. Je r\u00e9v\u00e8re et\nestime tout ce qui habite ce beau ch\u00e2teau. M. le marquis _de Grignan_\nm'a \u00e9crit la plus jolie lettre qu'il est possible; elle a \u00e9t\u00e9 trouv\u00e9e\ntelle par les connoisseurs. Rendez-moi de bons offices aupr\u00e8s de madame\nsa femme; mais, mon amie, rendez-m'en de bons aupr\u00e8s de vous, je vous en\nsupplie. On parle ici tous les jours de l'aimable _Pauline_, et toutes\nses amies s'en souviennent si tendrement, qu'elle est une ingrate si\nelle ne s'en soucie plus; mais pourvu qu'elle ne m'oublie pas; je lui\npardonne tout le reste. La petite duchesse _de Sulli_, qui est \u00e0 mon gr\u00e9\nla vieille, vient de m'envoyer prier de vous faire \u00e0 tous mille\ncomplimens de sa part. Aimez-moi toujours, je vous en conjure, ma ch\u00e8re\namie.\nLETTRE XIV.\n_Paris, 4 f\u00e9vrier 1695._\nOn voit bien que vous avez oubli\u00e9 le climat de Paris, mon amie, puisque\nvous croyez avoir plus froid que nous; jamais il n'y a eu un hiver comme\ncelui-ci. Le soleil se fait voir depuis deux jours; mais il ne se laisse\npoint sentir; c'est un privil\u00e9ge dont vous jouissez \u00e0 Grignan, j'en suis\nassur\u00e9e. Je comprends \u00e0 merveille que madame _de Grignan_ se fasse un\nplaisir de ne point faire de visites; c'est un avantage que j'ai au\nmilieu de Paris; mais aussi n'ai-je point de raison pour m'incommoder;\npoint d'enfans, point de famille; gr\u00e2ces \u00e0 Dieu, assez de d\u00e9go\u00fbt pour\nces fatigantes occupations; bien des ann\u00e9es et une assez mauvaise sant\u00e9;\ntout cela fait demeurer au coin de son feu avec un plaisir pour moi, que\nje pr\u00e9f\u00e8re \u00e0 d'autres, qui paroissent plus sensibles; mais une retraite\nque j'admire, c'est celle de mademoiselle _de la Trousse_; Dieu lui fait\nde grandes gr\u00e2ces, et son \u00e9tat est maintenant bien digne d'envie. Madame\n_de Chaulnes_ veut toujours se reposer, et court incessamment. Il y a\nchez elle des d\u00eeners magnifiques; le chevalier _de Lorraine_, M. _de\nMarsan_, M. le cardinal _de Bouillon_; cela se soutient de cette sorte\ntous les jours de la semaine. Madame _de Pontchartrain_ est assez\nmalade. La comtesse _de Grammont_ est retourn\u00e9e \u00e0 la cour en assez bonne\nsant\u00e9. L'on ne se souvient plus ici de madame _de Meckelbourg_, si ce\nn'est pour parler de son avarice. On dit que M. _de Montmorenci_ va\n\u00e9pouser madame _de Seignelai_; j'ai peine \u00e0 croire ce mariage-l\u00e0. M. _de\nCoulanges_ arriva hier de Saint-Martin et de Versailles; mais c'est\nchez madame _de Louvois_[60] qu'il est descendu: _A tout seigneur, tout\nhonneur._ Je comprends fort bien que l'on s'accommode d'un mari qui a\nplusieurs femmes; j'en souhaiterois encore une ou deux, comme madame _de\nLouvois_, \u00e0 M. _de Coulanges_. Le mar\u00e9chal _de Villeroi_ pr\u00eata hier le\nserment[61], et prit le b\u00e2ton ensuite; il fit attendre beaucoup le roi,\nparce qu'il s'ajustoit; il avoit un habit de velours bleu d'une\nmagnificence extraordinaire, et sa bonne mine le paro\u00eet plus que son\nhabit. Madame la duchesse _du Lude_ m'a fait promettre que je vous\nferois mille coinplimens et mille amiti\u00e9s bien tendres de sa part. Le\nroi a donn\u00e9 \u00e0 madame _de Soubise_ l'appartement que le mar\u00e9chal\n_d'Humi\u00e8res_ avoit \u00e0 Versailles; et celui de madame _de Soubise_ aux\nprincesses _d'\u00c9pinoi_; celui de ces princesses \u00e0 M. _de Rasilli_; et de\nla duchesse _d'Humi\u00e8res_, pas un mot. Adieu, ma ch\u00e8re amie; je vous\nembrasse et vous aime beaucoup. J'ai peur que la charmante _Pauline_ ne\nm'oublie \u00e0 la fin; l'absence laisse tout craindre, m\u00eame quand on est\nheureux. Continuez, je vous prie, de faire mes complimens dans le\nch\u00e2teau de Grignan. Je suis fort oblig\u00e9e \u00e0 M. le chevalier (_de\nGrignan_) de l'honneur de son souvenir, et je vous conjure de l'en\nremercier pour moi; je suis v\u00e9ritablement occup\u00e9e de ses maux; son ami,\nle P. _de la Tour_ pr\u00eache \u00e0 St.-Nicolas; et si je suis en \u00e9tat de\npouvoir sortir, ce sera mon pr\u00e9dicateur pour ce car\u00eame. On vous a sans\ndoute envoy\u00e9 tous les sonnets qui ont \u00e9t\u00e9 faits \u00e0 la louange de la\nprincesse _de Conti_.\nLETTRE XV.\n_Paris, 22 f\u00e9vrier 1695._\nJ'ai perdu mon petit secr\u00e9taire, mon amie, et je ne puis me r\u00e9soudre \u00e0\nvous faire voir de ma mauvaise \u00e9criture. J'essaie un secr\u00e9taire\nnouveau[62]; mandez-moi si vous lisez bien son \u00e9criture. La nouvelle qui\nfait ici le plus de bruit, est le mariage de la belle _Pauline_. On dit\nque l'abb\u00e9 _de Simiane_ est parti pour se trouver aux noces. Quand je\ndis que je n'en sais rien, personne ne me veut croire. La duchesse _du\nLude_ dit qu'elle le sait par le chevalier _de Grignan_. Pour moi, je\npardonne tout le secret que vous m'en faites, pourvu que cela soit vrai.\nVous croirez par l\u00e0 que j'aime passionn\u00e9ment M. _de Simiane_. M. le duc\n_de Chaulnes_ donne des d\u00eeners magnifiques; il en a donn\u00e9 un \u00e0 madame\n_de Louvois_, comme il l'auroit donn\u00e9 \u00e0 M. _de Louvois_; un autre au\nchevalier _de Lorraine_, et \u00e0 toute la maison de _Monsieur_. J'\u00e9tois du\npremier; et pour le second, j'y envoyai mon fils, qui s'appelle M. _de\nCoulanges_. A mesure qu'il me vient des ann\u00e9es, les siennes diminuent,\nde fa\u00e7on que je me trouve encore bien vieille pour \u00eatre sa m\u00e8re. Tous\nles courtisans sont devenus po\u00e8tes. L'on ne voit que des bouts-rim\u00e9s,\nles uns aussi remplis de louanges, que les autres de m\u00e9disances. Dieu me\ngarde de vous envoyer ces derniers. Il en court un \u00e0 la louange du\ncardinal _de Bouillon_, qui passe pour une chanson. Qu'en dites-vous,\nmon amie? Que dites-vous aussi du _prince Dauphin_? Je laisse \u00e0 mon\nsecr\u00e9taire le soin de vous mander cette histoire; car il se m\u00eale\nquelquefois d'\u00e9crire de son style. On dit que c'est une affaire r\u00e9solue\nque le mariage de mademoiselle _de Croissi_ avec le comte _de\nTilli\u00e8res_[63]. Madame _de Maintenon_ est encore languissante; mais elle\nse porte beaucoup mieux. Madame _de Grammont_ paro\u00eet \u00e0 la cour sous la\nfigure d'une beaut\u00e9 nouvelle; elle est parfaitement gu\u00e9rie. M. l'abb\u00e9\n_de F\u00e9n\u00e9lon_ a paru surpris du pr\u00e9sent que roi lui a fait[64]. En le\nremerciant, il lui a repr\u00e9sent\u00e9 qu'il ne pouvoit regarder, comme une\nr\u00e9compense, une gr\u00e2ce qui l'\u00e9loignoit de M. le duc _de Bourgogne_. Le\nroi lui a dit qu'il ne pr\u00e9tendoit point qu'il f\u00fbt oblig\u00e9 \u00e0 une r\u00e9sidence\nenti\u00e8re; et, en m\u00eame temps, ce digne archev\u00eaque a fait voir au roi que,\npar le concile de Trente, il n'\u00e9toit permis aux pr\u00e9lats que trois mois\nd'absence de leurs dioc\u00e8ses, encore pour les affaires qui les pouvoient\nregarder. Le roi lui a repr\u00e9sent\u00e9 l'importance de l'\u00e9ducation des\nprinces, et a consenti qu'il demeur\u00e2t neuf mois \u00e0 Cambrai, et trois \u00e0 la\ncour. Il a rendu son unique abbaye. M. _de Reims_ a dit que M. _de\nF\u00e9n\u00e9lon_, pensant comme il faisoit, prenoit le bon parti; et que lui,\npensant comme il fait, il fait bien aussi de garder les siennes. Adieu,\nma ch\u00e8re amie; votre absence m'est toujours insupportable. Ne me laissez\npoint oublier dans ce ch\u00e2teau de Grignan; c'est votre affaire, je vous\nen avertis. J'embrasse bien tendrement la charmante _Pauline_. Les\nfemmes courent apr\u00e8s mademoiselle _de l'Enclos_, comme d'autres gens y\ncouroient autrefois; le moyen de ne point ha\u00efr la vieillesse, apr\u00e8s un\ntel exemple! L'abb\u00e9 et le chevalier _de Sanzei_ partirent hier pour\naller faire car\u00eame-prenant avec leur m\u00e8re. Ce dernier fera son possible\npour aller faire la r\u00e9v\u00e9rence \u00e0 sa marraine[65], en s'en retournant \u00e0\nson vaisseau.\nM. DE COULANGES _continue_.\nPremi\u00e8rement, madame, comment vous accommodez-vous de ce petit\npapier[66]? Ne vous trouble-t-il point quelquefois dans votre lecture?\nPour moi, j'aime mieux les bonnes feuilles de papier de nos p\u00e8res, o\u00f9\nles d\u00e9tails se trouvent \u00e0 l'aise. Il y eut hier huit jours que je revins\nde Saint-Martin et de Versailles, pour passer le reste des jours gras \u00e0\nParis. Il n'y a rien de pareil aux bons et somptueux d\u00eeners de l'h\u00f4tel\nde Chaulnes, \u00e0 la beaut\u00e9 du grand appartement, qui augmente tous les\njours, et au bon air des feux, qui sont dans toutes les chemin\u00e9es; il\nn'y a plus en v\u00e9rit\u00e9 que cette maison, qui repr\u00e9sente la maison d'un\nseigneur. M. _de Marsan_ et le duc _de Villeroi_ furent du d\u00eener du\nchevalier _de Lorraine_. Comme je n'ai point entendu le cardinal _de\nBouillon_ sur le sujet du _prince Dauphin_, je ne puis bien vous dire la\nv\u00e9rit\u00e9 de ce fait; mais on pr\u00e9tend que _Monsieur_, press\u00e9 par le\ncardinal, avoit consenti \u00e0 d\u00e9membrer la principaut\u00e9 dauphine d'Auvergne,\ndu duch\u00e9 de Montpensier, pour les pr\u00e9tentions que la maison de Bouillon\npouvoit avoir sur la succession de _Mademoiselle_; en sorte qu'ils\n\u00e9toient par-l\u00e0 les ma\u00eetres de toute l'Auvergne, car le cardinal en a le\nduch\u00e9, et M. _de Bouillon_ le comt\u00e9; et que dans la suite le duc\n_d'Albert_ se seroit appel\u00e9 le _prince Dauphin_; comme on est persuad\u00e9\nqu'il n'y a rien de trop chaud pour ce cardinal, qui n'est occup\u00e9 que de\nla grandeur de sa maison, que ne dit-on point de cette vision? Ce qui\nest vrai, c'est que _Monsieur_, ayant tout promis, fut parler au roi de\nce d\u00e9membrement, et que le roi s'y opposa. On assure que le cardinal,\nencore afflig\u00e9 de ce refus, a \u00e9crit au chevalier _de Lorraine_ pour lui\ndire qu'il \u00e9toit surpris que _Monsieur_ lui e\u00fbt manqu\u00e9 de parole, et\nqu'il ne pouvoit plus d\u00e9sormais \u00eatre du nombre de ses serviteurs. On\najoute que le chevalier _de Lorraine_ a montr\u00e9 sa lettre \u00e0 _Monsieur_,\nqui l'a gard\u00e9e, et qui a dit que du moins le cardinal devoit lui savoir\ngr\u00e9 de ce qu'il ne la montroit point au roi. Quoi qu'il en soit, madame,\nvoil\u00e0 qui est fort d\u00e9sagr\u00e9able pour notre cardinal; car, comme il n'est\npas universellement aim\u00e9 et approuv\u00e9, tous ses ennemis ne perdent pas\nune si belle occasion de se d\u00e9cha\u00eener, et tous ses amis sont f\u00e2ches\nqu'une bonne fois pour toutes il ne finisse point sur sa maison, et\nqu'il ne s'accommode point au temps pr\u00e9sent. Jugez, apr\u00e8s cela, du\nsucc\u00e8s du bout-rim\u00e9, dont madame _de Coulanges_ vous a parl\u00e9. Il y a des\ntemps infinis que je ne vous ai \u00e9crit; mais je sais toujours de vos\nnouvelles par madame _de Coulanges_, qui veut bien quelquefois me faire\npart de vos lettres. J'ai toujours oubli\u00e9 de vous faire, dans les\nmiennes, les complimens de madame _de Louvois_, et \u00e0 tout le ch\u00e2teau de\nGrignan: elle me gronda tr\u00e8s-s\u00e9rieusement l'autre jour d'y avoir manqu\u00e9.\nLETTRE XVI.\nMes secr\u00e9taires me manquent au besoin; mais, quand c'est \u00e0 vous que\nj'\u00e9cris, ma ch\u00e8re amie, mes deux doigts sont toujours dispos\u00e9s \u00e0 \u00e9crire,\n_ils ne vont plus que pour Clim\u00e8ne_. Que dites-vous de ne plus savoir M.\nle duc _de Chaulnes_ gouverneur de Bretagne? On ne parle que de ce grand\n\u00e9v\u00e9nement; les gens mod\u00e9r\u00e9s croient que ce duc et cette duchesse se\ndoivent trouver heureux de ce changement[67]; les autres les croient\nd\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s. Pour moi, je dis tout ce que l'on veut, et suis\ntr\u00e8s-persuad\u00e9e qu'il ne faut point juger de la mani\u00e8re de penser de nos\namis par la n\u00f4tre. C'est cependant un tort que le monde a toujours, et\nqu'il ne peut pas ne point avoir; il a plut\u00f4t fait de juger par ses\ndispositions, que d'examiner celles des autres. M. _de Chaulnes_ fait\nbonne mine. La duchesse se cache si bien, que je ne l'ai point vue: il\nest vrai qu'il est assez ais\u00e9 de m'\u00e9chapper; car je fais naturellement\npeu de diligence, et j'en fais moins que jamais, dans l'esp\u00e9rance\nd'avancer toujours dans cette parfaite indiff\u00e9rence, dont vous ne vous\napercevrez jamais, ma tr\u00e8s-aimable. Au reste, ma sant\u00e9 n'est pas du tout\nbonne. Il est plus question que jamais de me faire aller \u00e0 Bourbon; il\narrivera ce qu'il plaira \u00e0 Dieu. Quand je songe que dix ou douze ans de\nplus ou de moins font la diff\u00e9rence de cette affaire-l\u00e0, je ne trouve\npas que cela vaille la peine de la traiter si solidement. Peut-\u00eatre\npenserai-je tout d'une autre fa\u00e7on, quand je me trouverai plus proche de\nla mort; il faut trancher le mot, ne f\u00fbt-ce que pour s'y accoutumer.\nJ'attends de vous un compliment qui sera bien sinc\u00e8re, sur l'aventure du\nfeu. Cela a paru une occasion digne de m'attirer le monde entier; mais\nle monde est bien inutile; je l'ai \u00e9vit\u00e9 avec assez de soin. Au reste,\nmadame _de Villars_ m'a fait promettre que je vous dirois des choses\ninfinies de sa part, et sur-tout que j'apprendrois qu'elle ne pardonnera\npoint \u00e0 M. _de Villars_ de n'avoir point parl\u00e9 d'elle \u00e0 madame _de\nGrignan_. Cela pourroit bien aller \u00e0 une s\u00e9paration, si madame votre\nfille ne s'y oppose. Comme j'ach\u00e8ve ma lettre, voil\u00e0 un secr\u00e9taire qui\nm'arrive. Il vous apprendra que je viens de voir M. _de Chaulnes_, qui\nm'a cont\u00e9 tout ce qui s'\u00e9toit pass\u00e9 entre le roi et lui; mais, comme en\nm\u00eame temps, il m'a dit qu'il vous alloit \u00e9crire, je ne m'embarquerai\npoint dans un r\u00e9cit que vous saurez encore mieux par lui-m\u00eame: il me\nparo\u00eet tout plein de raison. Madame sa femme m'a envoy\u00e9 prier qu'elle\np\u00fbt aujourd'hui passer la journ\u00e9e avec moi; je la plains, puisqu'elle\nest f\u00e2ch\u00e9e. Pour moi, qui ne connois point le go\u00fbt de la repr\u00e9sentation,\nou, pour mieux dire, qui ne connois que celui du repos, quand on n'est\nplus jeune, je ne me trouverois pas \u00e0 plaindre \u00e0 la place de madame _de\nChaulnes_. M. _de M\u00eames_ \u00e9pouse mademoiselle _de Broue_, \u00e0 qui on donne\ntrois cent cinquante mille francs en argent, et cinquante mille francs\nen habits et en pierreries. On dit aussi que M. _de Poissi_ \u00e9pouse\nmademoiselle _de Beaumelet_[68], qui aura un jour soixante mille livres\nde rente; _et de ma pauvre ni\u00e8ce, pas un mot_. M. _de Coulanges_ arriva\nhier de Saint-Martin, et il est all\u00e9 aujourd'hui je ne sais o\u00f9. Le\nmar\u00e9chal _de Choiseul_ part dimanche. Il a le commandement de la\nBretagne joint aux autres. Comme il a le commandement beau, je suis\nassez aise qu'il commande loin d'ici. Ce n'est pas que je ne sois une\ningrate cette ann\u00e9e; car je ne l'ai presque pas vu. Adieu, ma vraie\namie; ne me laissez pas oublier \u00e0 Grignan, et sur-tout de l'adorable\n_Pauline_.\nLETTRE XVII.\nJe me porte beaucoup mieux; _Helv\u00e9tius_ ne m'a donn\u00e9 que d'un extrait\nd'absinthe, qui m'a r\u00e9tabli, ce me semble, mon estomac; je vous assure,\nma tr\u00e8s-belle, que je suis bien \u00e9loign\u00e9e d'avoir de l'indiff\u00e9rence pour\nma sant\u00e9, et que je supporte mes maux fort impatiemment: ainsi, je ne\nveux point me parer aupr\u00e8s de vous d'un m\u00e9rite que je n'ai point. Je\ncrois que si j'eusse imagin\u00e9 de passer \u00e0 Grignan le temps d'entre les\ndeux saisons des eaux, je les aurois crues n\u00e9cessaires pour ma sant\u00e9: et\nje pense que si j'y \u00e9tois une fois arriv\u00e9e, j'aurois donn\u00e9 la\npr\u00e9f\u00e9rence aux vins de Grignan sur les eaux de Bourbon. Je plains bien\nM. le chevalier _de Grignan_, et je suis bien honteuse de me plaindre de\nmes petits maux, quand j'en vois souffrir de si grands, et avec tant de\npatience. La pauvre madame _de Carman_ est bien mal; nous verrons la fin\nde sa vie avant celle de sa patience. Mon Dieu! que je me presse de vous\nfaire des complimens de M. _de Tr\u00e9ville_; il me gronde tous les jours de\nl'avoir oubli\u00e9; il souhaite votre retour tr\u00e8s-sinc\u00e8rement. Il nous dit\navant-hier les plus belles choses du monde sur le Qui\u00e9tisme,\nc'est-\u00e0-dire, en nous l'expliquant; il n'y a jamais eu un esprit si\nlumineux que le sien. Monsieur _Duguet_[69], qui n'est pas trop sot,\ncomme vous savez, sur de tels sujets, \u00e9toit transport\u00e9 de l'entendre.\nParlons d'autre chose. Les princesses sont ici, et se divertissent si\nparfaitement bien, qu'on assure qu'elles n'ont nulle impatience du\nretour de la cour; elles se couchent ordinairement vers onze heures ou\nmidi. _Langl\u00e9e_ donna hier un souper \u00e0 M. et \u00e0 madame _de Chartres_,\nmadame _la Princesse_, madame _la Duchesse_, qui \u00e9toit la reine de la\nf\u00eate, madame _de Montespan_, une infinit\u00e9 d'autres dames, dont madame la\nmar\u00e9chale et madame la duchesse _de Villeroi_ \u00e9toient; M. _le Duc_, et\ntous les princes qui sont ici, s'y trouv\u00e8rent; mais une autre f\u00eate, ce\nfut celle que M. _le Duc_ donna, il y a deux jours, dans sa petite\nmaison de madame _de la Sabli\u00e8re_; tous les princes et princesses y\n\u00e9toient; cette maison est devenue un petit palais de cristal; ne\ntrouvez-vous pas que ce sont les lieux saints aux infid\u00e8les[70]? Madame\n_de Montespan_ a achet\u00e9 Petit-Bourg quarante mille \u00e9cus; elle le donne\napr\u00e8s sa mort \u00e0 M. _d'Antin_. M. _de S\u00e9vign\u00e9_ nous quitte apr\u00e8s-demain;\nil m'assure qu'il vous retrouvera cet hiver \u00e0 Paris; cela me fera\nparo\u00eetre l'\u00e9t\u00e9 bien long, malgr\u00e9 la belle saison. M. _de Chaulnes_\nreviendra le dix-sept de ce mois; et notre duchesse ne reviendra\nqu'apr\u00e8s les f\u00eates. M. _de Coulanges_ me mande que plus il a de\nprintemps, plus il sent le printemps; voil\u00e0 un grand prodige; car sans\nl'offenser, il a plus de printemps que madame _de Br\u00e9gi_. Je vous prie,\nma tr\u00e8s-aimable, de dire bien des choses de ma part \u00e0 madame _de\nGrignan_, et d'embrasser pour moi bien tendrement la tranquille\n_Pauline_; on dit que vous nous l'am\u00e8nerez toute mari\u00e9e; je sens d\u00e9j\u00e0\nque je ne l'en aimerai pas moins. L'oraison fun\u00e8bre de M. _de\nLuxembourg_[71] sera achev\u00e9e d'imprimer dans deux jours; l'on d\u00eet qu'on\na retranch\u00e9 quelques traits du portrait du prince _d'Orange_[72].\nMadame _de Grignan_[73] va avoir le plaisir de recevoir des lettres\ntendres de son mari, et de lui en \u00e9crire; il est bien joli que tous ses\nsentimens se d\u00e9veloppent pour lui. Adieu, ma tr\u00e8s-ch\u00e8re.\nLETTRE XVIII.\n_Paris, 3 juin 1695._\nComment vous portez-vous, ma tr\u00e8s-belle? je n'ai point re\u00e7u de vos\nnouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait \u00e9crire par votre joli\nsecr\u00e9taire. J'ai peur que vous n'ayez g\u00e2t\u00e9 votre belle sant\u00e9 par une\nm\u00e9decine. Je vis hier monsieur _de Chaulnes_, qui est le parfait\ncourtisan; il a demeur\u00e9 dix jours \u00e0 Marli, o\u00f9 il a 'pass\u00e9 ses journ\u00e9es \u00e0\njouer aux \u00e9checs avec le cardinal _d'Estr\u00e9es_; et sur ce qu'on lui a\ndit que cela faisoit ici une nouvelle: il a r\u00e9pondu qu'il en \u00e9toit\nsurpris, par la raison qu'il y a long-temps qu'ils cherchoient \u00e0 se\ndonner \u00e9chec et mat. Une autre nouvelle est que madame _de Louvois_ a\nc\u00e9d\u00e9 Meudon au roi, qui l'a pris pour _Monseigneur_, en donnant quatre\ncent mille francs \u00e0 madame _de Louvois_, et la charmante maison de\nChoisi, qui \u00e9toit la chose du monde qu'elle d\u00e9siroit le plus; ainsi je\ncrains qu'elle ne puisse plus avoir de d\u00e9sirs. Elle est fort mal\ncontente de monsieur _de Coulanges_, qui, en arrivant de Chaulnes,\npartit le lendemain pour Pontoise. Quant \u00e0 moi, je ne me sens plus de\ngo\u00fbt que pour le repos; on m'a pri\u00e9e d'aller chez le cardinal _de\nBouillon_ cette semaine; cela me paro\u00eet comme si l'on me proposoit\nd'aller faire un petit tour \u00e0 Rome; je trouve qu'il faut de grandes\nraisons pour quitter son lit; c'est la mauvaise sant\u00e9, qui fait penser\nainsi, il faut bien le croire; la mienne est cependant meilleure qu'elle\nn'a \u00e9t\u00e9. Je ne suis point contente de celle de madame _de Chaulnes_;\nelle a un vilain rhume que je ne n'aime point. Je crois le march\u00e9 du\nM\u00e9nil-Montant absolument rompu, d'autant que, selon toutes les\napparences, le premier pr\u00e9sident ne le veut plus vendre. Adieu, ma\ntr\u00e8s-aimable, ne me laissez point oublier \u00e0 _Grignan_, je vous en prie;\net dites \u00e0 la belle _Pauline_ de songer quelquefois \u00e0 ce que je suis\npour elle.\nLETTRE XIX.\n_Paris, 20 juin 1695._\nVous jouissez pr\u00e9sentement des beaut\u00e9s de la campagne, ma tr\u00e8s-belle; le\nprintemps paro\u00eet dans tout son triomphe. Je m'en vais faire un grand\nexc\u00e8s; car je compte partir dimanche pour aller \u00e0 Saint-Martin avec M.\net madame _de Chaulnes_, et y passer trois jours; les plaisirs que j'y\nesp\u00e8re seront bien troubl\u00e9s par une mauvaise sant\u00e9; je suis arriv\u00e9e \u00e0 un\ntel exc\u00e8s de d\u00e9licatesse, que la vue d'un bon d\u00eener me fait malade;\nainsi je suis intimid\u00e9e, et dans cet \u00e9tat les plus petites choses\nparoissent consid\u00e9rables. Madame _de Louvois_ alla hier remercier le\nroi; il lui donna une audience particuli\u00e8re chez madame _de Maintenon_;\nelle sent plus que jamais la joie d'\u00eatre d\u00e9faite de Meudon. Le roi est\nall\u00e9 \u00e0 Trianon, o\u00f9 il demeurera jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je\ncrois vous avoir mand\u00e9 que M. _de Montchevreuil_ marie son fils \u00e0 la\ncousine-germaine de la mar\u00e9chale _de Lorges_, qui est une petite\npersonne que vous avez souvent vue avec elle; on lui donne trois cent\nquatre vingt mille livres. C'est vous qui me manderez que M. _de\nVend\u00f4me_ va commander en Catalogne, et que M. _de Noailles_ en revient\nmalade. M. _de Coulanges_ a toujours plus d'affaires que jamais, et\ntoutes de la m\u00eame importance; mais elles sont agr\u00e9ables, quand elles le\nrendent heureux; c'est de cela qu'il est question. J'ai trouv\u00e9 les\ncouplets du comte _de Nicci_ fort jolis; c'est un aimable enfant; aussi\nrien ne laisse des id\u00e9es plus agr\u00e9ables que de ne le point voir; ce\npetit comte-l\u00e0 parviendra \u00e0 l'immortalit\u00e9. J'ai remarqu\u00e9, comme vous,\nmon amie, le temps de la mort de notre pauvre madame _de la Fayette_.\nMadame _de Caylus_ se divertit \u00e0 merveille chez elle; la cour ne lui\nparo\u00eet pas un s\u00e9jour de plaisir; elle ne quitte plus madame _de\nLeuville_, qui donne tous les jours les plus jolis soupers qu'il est\npossible. Je ne crois pas le march\u00e9 de M\u00e9nil-Montant rompu sans\nressource; et, n'en d\u00e9plaise \u00e0 madame _de Chaulnes_, c'est la plus jolie\nacquisition que puisse faire M. _de Chaulnes_. La mar\u00e9chale _d'Humi\u00e8res_\nse retire aux Carm\u00e9lites; elle a lou\u00e9 la maison de feue mademoiselle _de\nPorte_; elle gouverne enti\u00e8rement le faubourg Saint-Jacques; et, ce qui\nest le plus \u00e9tonnant, c'est que le P. _de la Tour_ la gouverne. Vous\nsavez que M. _de Lauzun_ a l'appartement de Versailles du mar\u00e9chal\n_d'Humi\u00e8res_: il fait faire pour sa femme un collier de diamans de deux\ncent mille francs. Adieu, ma ch\u00e8re amie; je souhaite bien plus votre\nretour que je ne l'esp\u00e8re. Je vous prie de dire des choses infinies de\nma part \u00e0 madame _de Grignan_. Priez la belle _Pauline_ de ne me point\njeter dans la n\u00e9cessit\u00e9 d'aimer une ingrate. Madame _de M\u00eames_ paro\u00eet\ndans un carrosse de mille louis. Lisez un peu, dans le _Mercure Galant_,\nla g\u00e9n\u00e9alogie de _F***_, et vous verrez qu'il n'y a que cette maison-l\u00e0\nde noble et d'illustre dans le monde, et que le feu grand-ma\u00eetre[74]\ns'est tromp\u00e9, quand il a cru ne pas tirer de l\u00e0 tout son \u00e9clat.\nLETTRE XX.\n_Paris, 24 juin 1695._\nMadame _de Louvois_ n'avoit point attendu l'approbation du monde pour\nd\u00e9sirer Choisi; \u00e7a \u00e9t\u00e9 la seule maison qu'elle ait souhait\u00e9e. Le roi et\nelle ont fait un tr\u00e8s-bon march\u00e9; ils en paroissent fort contens aussi.\nCela se passe, de part et d'autre, avec des honn\u00eatet\u00e9s que l'on voit\nquelquefois entre les particuliers, mais que l'on \u00e9prouve rarement avec\nson ma\u00eetre. Le roi est \u00e0 Marli pour neuf jours; la duchesse _du Lude_\nest de ce grand voyage; et, pour comble de bonheur, elle m\u00e8ne et ram\u00e8ne\ndemain madame _de Maintenon_ de Pontoise, o\u00f9 cette derni\u00e8re va voir une\nfille de Saint-Cyr. Le roi donna une f\u00eate, lundi dernier, \u00e0 Trianon, au\nroi et \u00e0 la reine d'Angleterre. Il y eut un op\u00e9ra o\u00f9 le roi alla; madame\n_de Maintenon_ n'y parut point du tout. Il est grand bruit de la faveur\nde M. _de la Rochefoucauld_. On pr\u00e9tend qu'il s'est rendu ma\u00eetre de\nl'esprit _de Monseigneur_, et qu'il se sert de son cr\u00e9dit, tout comme le\nroi le peut d\u00e9sirer. Sa majest\u00e9 mena, il y a quelques jours, madame _de\nMaintenon_ suivie de ses dames, souper dans une maison de campagne de ce\nnouveau favori, qui se nomme _la Selle_, et je vous le dis ainsi, pour\nne vous point dire qu'il les mena \u00e0 la selle. Il doit, aller (_le roi_)\nun de ces jours \u00e0 l'\u00c9tang, chez M. _de Barbesieux_, afin d'avoir l'air\nde partager ses faveurs. Une autre grande nouvelle: les princesses ont\nmen\u00e9 d\u00eener et souper, \u00e0 Trianon, avec le roi, la comtesse _de la\nChaise_, les marquises _de la Chaise_ et _de la Luzerne_. Je crois que\ncette distinction les a fort touch\u00e9es; car jusqu'alors elles n'en\navoient eu qu'au salut. M. _de Coulanges_ arriva avant-hier de\nSaint-Martin. Il fut tout de suite \u00e0 Choisi, le lendemain \u00e0 Versailles,\net part enfin aujourd'hui pour Evreux, avec M. _de Bouillon_. Je lui\npropose de ne plus tant perdre de temps en chemin, et de se mettre tout\nd'un coup dans une escarpolette, qui le jetera tant\u00f4t d'un c\u00f4t\u00e9, tant\u00f4t\nde l'autre, afin de ne pas mettre au moins les pieds \u00e0 terre. J'attends\naujourd'hui une compagnie qui ne vous d\u00e9plairoit pas, ma tr\u00e8s-belle;\nc'est M. _de Tr\u00e9ville_, qui vient lire \u00e0 deux ou trois personnes un\nouvrage qu'il a compos\u00e9. C'est un pr\u00e9cis des P\u00e8res, qu'on dit \u00eatre la\nplus belle chose qui ait jamais \u00e9t\u00e9. Cet ouvrage ne verra jamais le\njour, et ne sera lu que cette fois seulement de tout ce qui sera chez\nmoi; je suis la seule indigne de l'entendre, c'est un secret que je vous\nconfie au moins:\n ......N'abusez pas, prince, de mon secret;\n Au milieu de ma lettre, il m'\u00e9chappe \u00e0 regret.\nmais enfin, il m'\u00e9chappe. M. _de Bagnols_ est parti pour l'arm\u00e9e; et ma\ns\u0153ur sera, je crois, bient\u00f4t de retour. Cependant elle ne me parle point\nencore du jour de son d\u00e9part. Avez-vous bien chaud \u00e0 Grignan, ma\ntr\u00e8s-belle? Je me souviens d'y avoir \u00e9t\u00e9 par un temps pareil \u00e0 celui-ci.\nL'affaire du M\u00e9nil-Montant paro\u00eet tout-\u00e0-fait rompue; cependant j'ai\ndans la t\u00eate qu'elle se raccommodera. Adieu, ma ch\u00e8re amie.\nLETTRE XXI.\n_Paris, 8 juillet 1695._\nJe puis r\u00e9pondre pour M. _de Tr\u00e9ville_ qu'il auroit \u00e9t\u00e9 ravi que vous\neussiez augment\u00e9 la bonne compagnie qui l'entendit; et je suis assur\u00e9e,\nma ch\u00e8re amie, que vous auriez \u00e9t\u00e9 contente de votre journ\u00e9e; mais vous\nnous regardez du haut en bas de votre ch\u00e2teau de Grignan, et je m'amuse\n\u00e0 vous d\u00e9sirer toujours sans m'en pouvoir emp\u00eacher. On est fort alerte\nici sur le grand \u00e9v\u00e9nement du si\u00e8ge de Namur; car c'est tout de bon, et\napparemment ce si\u00e8ge sera meurtrier; vous savez que le mar\u00e9chal _de\nBoufflers_ s'est jet\u00e9 dedans avec six r\u00e9gimens de dragons \u00e0 pied, et\ncelui du roi \u00e0 cheval; ainsi le pauvre _Sanzei_ est dans Namur tout\ncomme un grand homme. M. le mar\u00e9chal _de Boufflers_ a la fi\u00e8vre\ndouble-tierce; mais il aura bien d'autres affaires qu'\u00e0 l'\u00e9couter. Le\nmar\u00e9chal _de Lorges_ est hors de danger. Tout retentit ici des louanges\ndu mar\u00e9chal _de Villeroi_; il n'y a gu\u00e8re de jours que le roi n'en parle\navec \u00e9loge, et tous les guerriers qui composent son arm\u00e9e, n'\u00e9crivent\nici que pour chanter ses louanges. Je crois qu'\u00e0 la fin M. le duc _de\nChaulnes_ va acheter Putaut, qui est une maison pr\u00e8s du pont de Neuilli,\nsitu\u00e9e sur le bord de la rivi\u00e8re; il y a de quoi faire des merveilles,\net il les fera; car il a une extr\u00eame envie d'une maison de campagne. Le\nroi va \u00e0 Marli pour quinze jours. Si la duchesse _du Lude_ est de ce\nvoyage, ce sera pour la troisi\u00e8me fois de suite; ces distinctions\ncharment quand on est en ces pays-l\u00e0: heureux qui peut voir cela du\npoint de vue o\u00f9 il faut l'envisager! Je n'ai point vu la lettre du P.\n_Quesnel_; on dit qu'il la d\u00e9savoue, et il ne sauroit mieux faire. Vous\nsavez, ma tr\u00e8s-belle, que M. _de la Trappe_[75] a remis son abbaye entre\nles mains de don _Zozime_, sup\u00e9rieur de sa maison, avec la permission du\nroi, et qu'il se va trouver simple religieux; cette fin est bien digne\nde lui, et couronne parfaitement une si belle vie. Pour l'oraison\nfun\u00e8bre du P. _de la Rue_, on n'en parle non plus pr\u00e9sentement, que de\ncelle que l'on fit pour la reine m\u00e8re. On ne sait pas qu'il y ait eu un\nM. _de Luxembourg_ dans le monde. Est bien fou qui compte sur la gloire\nqui suit la mort; ce n'est en v\u00e9rit\u00e9 pas de cela qu'il faut \u00eatre occup\u00e9\ndans cette vie; mais les hommes auront toujours leurs erreurs et les\nch\u00e9riront. M. _de Coulanges_ arriva avant-hier au soir ici, plus charm\u00e9\nde M. _de Bouillon_, de mademoiselle _de Bouillon_ et de Navarre, que de\ntous ses anciens amis; il partit hier pour Choisi, o\u00f9 il sera jusqu'\u00e0 ce\nque notre voyage de Saint-Martin s'accomplisse; je ne me sens pour ces\nsortes de parties que la force du projet; l'ex\u00e9cution est fort au-dessus\nde moi. Ma s\u0153ur monte dimanche sur l'hippogriffe, et arrive lundi \u00e0\nParis. M. _de Bagnols_[76] ne perd pas de vue le mar\u00e9chal _de Villeroi_;\ncela me fait craindre pour sa vie. M. _de Reims_ a achet\u00e9 la maison\nd'Erval deux cent vingt-une mille livres. Adieu, ma tr\u00e8s-aimable;\nn'oubliez pas de m'aimer, je vous en conjure, et ne me laissez point\noublier dans le lieu que vous habitez; mandez-moi si la charmante\n_Pauline_ aura \u00e9t\u00e9 bien contente du portrait myst\u00e9rieux que vous lui\navez donn\u00e9. Madame _de Caylus_ me vint voir hier plus jolie qu'un ange;\nelle me demanda en gr\u00e2ce de venir voir l'arrangement de sa maison;\nj'aurois plus de peine \u00e0 rendre cette visite, que je n'en montrerai; ce\nque je sens l\u00e0-dessus ne peut \u00eatre confi\u00e9 qu'\u00e0 vous, ma ch\u00e8re amie.\nLETTRE XXII.\n_Paris, 29 juillet 1695._\nIl n'est plus question, ma ch\u00e8re amie, ni de M. _Arnauld_ ni du P.\n_Quesnel_; toutes les pens\u00e9es sont d\u00e9tourn\u00e9es du c\u00f4t\u00e9 de Namur. Ces\nderniers tu\u00e9s ont jet\u00e9 une consternation qui ne laisse plus de joie ici.\nMadame _de Morstein_ est inconsolable. La bonne chanceli\u00e8re[77] pleure\nam\u00e8rement son petit-fils _de Vieuxbourg_; et madame _de Maulevrier_\nrenvoie bien loin tous les gens qui lui veulent parler de consolation,\njusqu'au P. _Bourdaloue_. On ne sait point de nouvelles du comte\n_d'Albert_, sinon qu'on le croit tr\u00e9pan\u00e9; et, depuis cela, pas un mot.\nM. et madame _de Chaulnes_ en sont dans une extr\u00eame inqui\u00e9tude. Vous\nsavez que M. le prince _de Conti_ a la petite v\u00e9role; elle est sortie\navec abondance, et commence \u00e0 suppurer sans aucun accident; ainsi on\nesp\u00e8re qu'il s'en tirera heureusement. On fait des d\u00e9tachemens de tous\nc\u00f4t\u00e9s pour envoyer au secours de Namur. _Sanzei_ est dans la place, et\nil n'y a que sa m\u00e8re qui soit plus \u00e0 plaindre que lui. Madame la\nduchesse _du Lude_, qui est de retour de Versailles m'a cont\u00e9 qu'elle\navoit men\u00e9 ma petite ni\u00e8ce _de la Chaise_ d\u00eener \u00e0 Trianon avec le roi.\nS. M. et _Monsieur_ ne parl\u00e8rent que de l'agr\u00e9ment de cette petite\npersonne, et de son peu d'embarras. Pour moi, je crois qu'elle\nconfesseroit[78] fort bien le roi. M. le premier pr\u00e9sident[79] a eu une\nmani\u00e8re d'apoplexie; on l'a saign\u00e9 quatre fois; sa bouche est demeur\u00e9e\nun peu tourn\u00e9e. Il doit partir incessamment pour Bourbon. Voil\u00e0 une\n\u00e9pigramme que l'on a faite sur son mal.\nNe le saignez pas tant; l'\u00e9m\u00e9tique est meilleur.\nPurgez, purgez, purgez; le mal est dans l'humeur.\nJe crois que je ferois bien de prendre le m\u00eame chemin que ce magistrat;\ncar mon estomac ne se r\u00e9tablit point du tout. Au reste, ma tr\u00e8s-belle,\nj'ai consult\u00e9 si l'on pouvoit prendre du caf\u00e9 deux heures apr\u00e8s la\ngermandr\u00e9e. On en peut prendre en toute s\u00fbret\u00e9, et m\u00eame ils s'accordent\nfort bien ensemble. Adieu, ma tr\u00e8s-aimable; je ne vous en dirai pas\ndavantage aujourd'hui; je vous supplie seulement de faire mes complimens\n\u00e0 _tutti quanti_, et sur-tout de vous, faire la violence d'embrasser\npour moi bien tendrement la charmante _Pauline_. Ma s\u0153ur[80] vous rend\nmille gr\u00e2ces de l'honneur de votre souvenir; elle en a \u00e9t\u00e9 fort touch\u00e9e;\nelle est \u00e0 Versailles pour quelques jours.\nLETTRE XXIII.\n_Paris, 13 ao\u00fbt 1695._\nLa mort de M. _de Paris_[81], ma tr\u00e8s-belle, vous aura infailliblement\nsurprise; il n'y en eut jamais de si prompte. Madame _de Lesdigui\u00e8res_ a\n\u00e9t\u00e9 pr\u00e9sente \u00e0 ce spectacle; on assure qu'elle est m\u00e9diocrement\nafflig\u00e9e. L'on ne parle point encore du successeur; mais bien des gens\ncroient que ce sera M. _de Cambrai_[82], et ce sera certainement un bon\nchoix; d'autres disent M. le cardinal _de Janson_. Nous saurons lundi ce\ngrand \u00e9v\u00e9nement; la chose m\u00e9rite bien qu'on y pense. Il s'agit\nmaintenant de trouver quelqu'un qui se charge de l'oraison fun\u00e8bre du\nmort. On pr\u00e9tend qu'il n'y a que deux petites bagatelles qui rendent la\nchose difficile; c'est la vie et la mort. On vous aura sans doute envoy\u00e9\nles articles de la capitulation de Namur; vous aurez vu qu'on fait la\nguerre fort poliment, et qu'on se tue avec beaucoup d'honn\u00eatet\u00e9. Nous\nbombardons Bruxelles[83] \u00e0 l'heure qu'il est; les chansons, les\nmadrigaux, les bons mots pleuvent sur le mar\u00e9chal _de Villeroi_, qui\npeut-\u00eatre n'a aucun tort: c'est le malheur des places; heureux qui n'en\na point; mais peu de gens sentent ce bonheur-l\u00e0. La comtesse _de\nGrammont_ est de retour; je la vis hier si fatigu\u00e9e des eaux de Bourbon,\nqu'elle me confirma plus que jamais dans ma paresse; elle est revenue\ndans une liti\u00e8re, et elle dit qu'elle aimeroit mieux \u00eatre revenue \u00e0\npied. Le roi doit aller samedi \u00e0 Meudon pour deux jours; les\ndistinctions vont rouler pr\u00e9sentement sur Meudon, et point sur Marli.\nTout y a \u00e9t\u00e9 cette semaine, jusqu'\u00e0 M. _de Busenval_ et M. _de\nSaint-Germain_. Comme je me sens incapable de prendre la r\u00e9solution\nd'aller \u00e0 Bourbon, je m'en vais essayer \u00e0 Paris des eaux de Forges. Cela\ns'appelle aller du chaud au froid. Depuis que madame _de\nFontevrault_[84] est ici; Saint-Joseph, o\u00f9 elle est presque toujours,\nest le rendez-vous du beau monde, mais non pas de la galanterie[85].\nAdieu, ma tr\u00e8s-aimable. Tous les march\u00e9s de M. _de Chaulnes_ sont\nrompus. Madame _de Chaulnes_ se console de tout avec madame _de\nSaint-Germain_; elle ne se peut passer d'elle, et cela apprend \u00e0 se\npasser de madame _de Chaulnes_.\nLETTRE XXIV.\n_Paris, 2 septembre 1695._\nH\u00e9las! mon amie, il n'est non plus question de M. l'archev\u00eaque, que s'il\nn'avoit jamais \u00e9t\u00e9; on a dit bien du mal de lui apr\u00e8s sa mort; on a\nparl\u00e9 du successeur[86]; depuis qu'il est nomm\u00e9, on ne parle plus ni de\nl'un ni de l'autre; ceci est un tourbillon qui ne permet pas les\nr\u00e9flexions. Tout le monde \u00e9toit fou hier \u00e0 Paris; on ne voyoit que des\nfemmes d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9es; les unes couroient les rues, les autres se faisoient\nenfermer dans les \u00e9glises; on entendoit: \u00abje n'ai plus de mari, je n'ai\nplus de fils\u00bb; d'autres ne disoient pas ce qu'elles n'avoient plus, mais\nelles ne s'en d\u00e9sesp\u00e9roient pas moins. La comtesse _de Fiesque_ disoit\nque la bataille \u00e9toit donn\u00e9e, et par cons\u00e9quent gagn\u00e9e; elle ajoutoit\nque le prince _d'Orange_ \u00e9toit prisonnier; je me trouvai le soir chez\nmadame _de Carman_, o\u00f9 \u00e9toit madame _de Sulli_, la duchesse _du Lude_,\nmadame _de Chaulnes_, et une douzaine d'autres femmes, dont \u00e9toit la\ncomtesse _de Fiesque_. Quand elles eurent bien discouru, j'entrepris de\nleur remettre l'esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement,\nqui concluoit qu'il n'y auroit point de bataille; elles se moquoient\ntoutes de moi; aujourd'hui que l'\u00e9v\u00e9nement justifie mes raisons, elles\ncroient que d'ici je conduis l'arm\u00e9e: on ne parle que de ma p\u00e9n\u00e9tration;\net sur cela je conclus qu'on ne sait presque jamais pourquoi on loue ni\npourquoi on bl\u00e2me. J'\u00e9tois hier folle, et aujourd'hui je suis la plus\nhabile personne du monde; et la v\u00e9rit\u00e9 est que je ne suis ni folle ni\nhabile; mais que par un courrier qui \u00e9toit arriv\u00e9, on avoit appris qu'il\n\u00e9toit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l'arm\u00e9e. M.\n_de Conti_ l'a mand\u00e9 au roi, aussi bien que monsieur le duc _du Maine_,\net tout ce qu'il y a de principal dans l'arm\u00e9e.\nM. _de Coulanges_ est toujours \u00e0 Navarre, il me prie par toutes ses\nlettres de vous dire des choses infinies de sa part. Le roi doit partir\nle 24 de ce mois pour aller \u00e0 Fontainebleau. M. et madame _de Chaulnes_\npartent incessamment pour Chaulnes, et le bruit court que je vais avec\neux. Je prends des eaux de Forges, dont je me trouve assez bien. Je suis\nravie que la sant\u00e9 de madame _de Grignan_ soit bonne; je m'en r\u00e9jouis\navec vous et avec elle. Faites-vous la violence d'embrasser la charmante\n_Pauline_ pour l'amour de moi; je vous en conjure, ma tr\u00e8s-aimable.\nLETTRE XXV.\n_Paris, 9 septembre 1695._\nQue d'\u00e9v\u00e9nemens, madame! que de discours! que de chansons! que\nd'\u00e9pigrammes! que de dignit\u00e9s! Le mar\u00e9chal _de Boufflers_ est duc; vous\nle savez d\u00e9j\u00e0. Le m\u00eame courrier, qui a apport\u00e9 la r\u00e9duction de Namur,\nlui a \u00e9t\u00e9 renvoy\u00e9 pour lui apprendre que le roi le faisoit duc, et lui\ndire en m\u00eame temps qu'il pouvoit prendre le chemin de la cour. Quand il\ns'est trouv\u00e9 press\u00e9 par sa reconnoissance de venir remercier le roi, le\nprince _d'Orange_ lui a dit qu'il le faisoit son prisonnier. On pr\u00e9tend\nqu'il a pris cette conduite sur celle que nous avons eue \u00e0 Dixmude. Il a\nbien voulu cependant le laisser revenir \u00e0 la cour sur sa parole; mais le\nmar\u00e9chal a cru devoir attendre les ordres du roi. La mar\u00e9chale _de\nBoufflers_ est transport\u00e9e de joie de sa nouvelle dignit\u00e9, et ne sait\npoint encore ce malheur, qui, selon les apparences, ne sera pas long.\nRevenons aux \u00e9pigrammes. Le mar\u00e9chal _de Villeroi_ en est chamarr\u00e9; il a\npourtant la consolation de savoir que le roi est persuad\u00e9 qu'il n'a\naucun tort; et je sais bien ce que je dis. Mais le monde veut juger de\nce qu'il ignore; et, comme on juge par l'opinion des autres, on est\nassez fou pour se croire malheureux, malgr\u00e9 sa bonne conduite. Le roi va\naujourd'hui \u00e0 Marli pour dix jours. M. et madame _de Chaulnes_ partiront\ndans peu pour Chaulnes, et moi-avec eux. Que dites-vous de cette\nr\u00e9solution? Ne me trouvez-vous pas grande femme tout-\u00e0-fait? M. _de\nCoulanges_ est toujours \u00e0 Evreux; madame _de Louvois_ le boude;\nmademoiselle _de Bouillon_ l'aime de passion, et le retient malgr\u00e9 lui.\nMoi, je lui \u00e9cris r\u00e9guli\u00e8rement, et lui mande toutes les nouvelles. A\nqui donneriez-vous la pr\u00e9f\u00e9rence? Les passions sont horribles; je ne les\nai jamais tant ha\u00efes que depuis qu'elles ne sont plus \u00e0 mon usage: cela\nest heureux. Notre dragon[87] est sorti tout couvert de gloire, et tout\nnourri de cheval. Il a \u00e9crit une tr\u00e8s-plaisante lettre \u00e0 sa s\u0153ur. Dans\ntoutes les relations, il a \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9 au roi avec distinction; et, pour\ndire plus, c'est de madame _de Montchevreuil_ que je le sais. Vous jugez\nbien, ma tr\u00e8s-aimable, de la joie de madame _de Sanzei_, qui sait a\ncette heure que son fils se porte bien. Songez que, de douze mille\nhommes qu'ils \u00e9toient dans Namur, il n'en est rest\u00e9 que trois mille\ntrois cents. J'oubliois de vous dire que c'est M. _de Guiscard_ qui\n\u00e9toit venu apprendre \u00e0 la cour que le mar\u00e9chal _de Boufflers_ est\nprisonnier. Madame _de Sulli_ a la m\u00eame maladie que madame _de Grignan_.\nElle prend des eaux de Forges, dont elle se trouve \u00e0 merveille. Mais\nForges est un peu trop loin de Grignan: il faudroit s'en approcher, mon\namie. Je pardonne \u00e0 madame _de Sulli_ cette maladie; mais madame _de\nGrignan_ est trop avanc\u00e9e pour son \u00e2ge. On pr\u00e9tend que, de toutes les\nfa\u00e7ons d'\u00eatre malade, c'est la moins f\u00e2cheuse. Je vous demande toujours\ndes nouvelles de madame _de Grignan_, dont je suis tr\u00e8s-sinc\u00e8rement en\npeine. Ne me laissez point oublier dans le ch\u00e2teau que vous habitez, et\nbaisez, pour l'amour de moi, la charmante _Pauline_. Vous m'avouerez que\nj'exige des choses bien difficiles de votre amiti\u00e9.\nLETTRE XXVI.\n_Paris, 16 septembre 1695._\nCe n'est que pour marquer la cadence que je vous \u00e9cris aujourd'hui,\nmadame; car je n'ai point re\u00e7u de vos lettres, cette semaine, et je suis\ntoute honteuse de n'avoir pas de grands \u00e9v\u00e9nemens \u00e0 vous mander; depuis\nquelque temps, ils ne nous ont pas manqu\u00e9; de vous dire que le roi est\n\u00e0 Marli depuis huit jours, voil\u00e0 une belle affaire; la duchesse _du\nLude_ y est; le roi en revient demain, et doit partir jeudi 22 de ce\nmois pour aller \u00e0 Fontainebleau. Une assez grande nouvelle; c'est que je\ncrois que j'irai dimanche \u00e0 Versailles pour deux ou trois jours: Il sera\nquestion incessamment du voyage de Chaulnes; j'esp\u00e8re encore que j'en\nserai; mais j'ai une sant\u00e9 qui me d\u00e9range si ais\u00e9ment, que je n'ose plus\nfaire de projets. M. _de Coulanges_ doit revenir aujourd'hui d'Evreux\npour rompre avec madame _de Louvois_, et aller \u00e0 Chaulnes. Encore\nfaut-il bien vous apprendre, mon amie, que c'est le P. _Gaillard_, qui\nne doit point faire l'oraison fun\u00e8bre de feu M. l'archev\u00eaque (_de\nParis_). Voici ce que je veux dire. M. le pr\u00e9sident et le P. _de la\nChaise_ se sont adress\u00e9s au P. _Gaillard_ pour ce grand ouvrage; le P.\n_Gaillard_ a r\u00e9pondu qu'il y trouvoit de grandes difficult\u00e9s; il a\nimagin\u00e9 de faire un sermon sur la mort au milieu de la c\u00e9r\u00e9monie, de\ntourner tout en morale, d'\u00e9viter les louanges et la satire, qui sont des\n\u00e9cueils bien dangereux. Tout le pr\u00e9lude des oraisons fun\u00e8bres n'y sera\npoint. Il se jetera sur les auditeurs pour les exhorter; il parlera de\nla surprise de la mort, peu du mort; et puis, Dieu vous conduise \u00e0 la\nvie \u00e9ternelle. Adieu, ma belle amie; ne me laissez jamais oublier \u00e0\nGrignan, je vous en conjure; et sur-tout de la charmante _Pauline_. Je\ncrois que M. _de Chaulnes_ va acheter Villeflit de M. _de Fiaubet_, dont\nmadame _de Chaulnes_ paro\u00eet peu contente. Le confesseur extraordinaire\nde madame _de Grignan_ me doit demain lire l'oraison fun\u00e8bre qu'il a\nfaite de ce saint homme.\nLETTRE XXVII.\n_Paris, 30 septembre 1695._\nJe m'en vais vous parler bien habilement du mal de madame _de Grignan_,\nc'est-\u00e0-dire du mal d'estomac, qui n'est autre chose, mon amie, que le\nmien. J'ai \u00e9prouv\u00e9, par mon impatience, toute sorte de rem\u00e8des; trop\nheureuse si ces exp\u00e9riences lui peuvent \u00eatre utiles. _Carette_ m'a\ndonn\u00e9, pendant neuf mois, de ses gouttes, qui ne m'ont point fait un mal\nsensible, mais qui m'avoient gr\u00e9sill\u00e9e \u00e0 un tel point sans me\nraccommoder l'estomac, que je vous avouerai confidemment qu'elles m'ont\nfait une seconde maladie. Venons \u00e0 _Helv\u00e9tius_: il m'a donn\u00e9 une\npr\u00e9paration d'absinthe, qui m'a tout-\u00e0-fait r\u00e9tabli l'estomac. Comme\ncela fait quelqu'impression de chaleur, tr\u00e8s-l\u00e9g\u00e8re pourtant, il m'a\nfait prendre des eaux de Forges, dont je me trouve \u00e0 merveille. Je\ncommence \u00e0 engraisser; je mange du fruit, je d\u00eene et je soupe; en un\nmot, mon amie, je ne suis plus la m\u00eame personne que j'\u00e9tois il y a deux\nmois. Vous voyez bien pourquoi je vous conte tous ces d\u00e9tails.\nRamenez-nous donc madame _de Grignan_ \u00e0 Paris; je vous promets qu'en\ntrois semaines, _Helv\u00e9tius_ et moi lui r\u00e9tablirons l'estomac. C'est la\ncause de presque tous les maux. Je me suis m\u00eame raccommod\u00e9e avec le\ncaf\u00e9; et, comme je ne sais point user d'une chose que je n'en abuse,\nj'en prends dans l'exc\u00e8s. Ma petite absinthe est le rem\u00e8de \u00e0 tous maux.\nVous me demanderez, mon amie, pourquoi me portant aussi-bien que je vous\nle dis l\u00e0, je ne suis point all\u00e9e \u00e0 Chaulnes? Et je vous r\u00e9pondrai que\nje me trouve comme les personnes qui deviennent avares par \u00eatre riches.\nDepuis que j'ai un peu de sant\u00e9, je la m\u00e9nage beaucoup. Le vilain temps\nm'avoit alarm\u00e9e; si j'avois pr\u00e9vu qu'il p\u00fbt faire aussi beau qu'il fait\npr\u00e9sentement, je crois que je me serois embarqu\u00e9e pour ce grand voyage;\nmais je me garde pour Dampierre, et je fais tr\u00e8s-facilement de ma maison\nune maison de campagne. Je me prom\u00e8ne les matins sur mon rempart, et je\npasse les apr\u00e8s-d\u00een\u00e9es assez solitairement. La cour d'Angleterre est \u00e0\nFontainebleau. Ils ont des com\u00e9dies, des f\u00eates, et s'ennuient, \u00e0 ce\nqu'ils disent; et tant pis pour eux. Madame la marquise _de Grignan_ ne\nveut voir personne; c'est ce qui m'a emp\u00each\u00e9e de me pr\u00e9senter \u00e0 sa porte\naussi souvent que j'aurois fait. M. _de Chaulnes_, qui sait forcer les\nportes, dit qu'elle est tr\u00e8s-aimable. M. _de Coulanges_ est all\u00e9 \u00e0\nChaulnes; ils reviendront tous dans un mois, et c'est tout-\u00e0-l'heure.\nL'abb\u00e9 et moi ne laisserons point ignorer \u00e0 madame _de Sanzei_ tout ce\nque vous dites pour elle. Je vous demande mille complimens pour madame\n_de Grignan_, ma tr\u00e8s-aimable: je vous demande aussi d'embrasser la\nbelle _Pauline_ pour l'amour de moi, tout comme si vous n'aviez point\nde sujet de vous plaindre d'elle.\nLETTRE XXVIII.\n_Paris, 28 octobre 1695._\nVous avez eu la colique, ma ch\u00e8re amie; et quoique je sache que vous\nvous en portez bien pr\u00e9sentement, je ne saurois \u00eatre rassur\u00e9e que je ne\nle sois par vous-m\u00eame. Je vous demande aussi des nouvelles de madame _de\nGrignan_; si vous saviez combien l'air subtil est contraire \u00e0 ses maux,\nvous l'obligeriez de se mettre dans une liti\u00e8re bien faite et bien\ncommode, et vous gagneriez Paris; l'air de Lyon lui feroit conno\u00eetre\nqu'il n'y a point de meilleur rem\u00e8de pour elle que de changer de climat;\nc'est l'avis de mon oracle (_Helv\u00e9tius_). La mar\u00e9chale _de Boufflers_ a\n\u00e9t\u00e9 fort malade d'une pareille maladie, elle se-porte tr\u00e8s-bien\naujourd'hui. Le roi est de retour dans une parfaite sant\u00e9. Je vis hier\nla duchesse _du Lude_, qui est venue \u00e0 Paris pour se faire saigner et\npurger, sans autre raison, je crois, que d'avoir trop de sant\u00e9. Il s'est\nfait de grands changemens \u00e0 Chaulnes. M. _de Chaulnes_ aime son ch\u00e2teau\ncomme sa vie, et ne le peut quitter. Madame _de Chaulnes_ passe les\njours, et peut-\u00eatre une bonne partie des nuits \u00e0 jouer. M. _de\nCoulanges_ est devenu d\u00e9licat et pr\u00e9cieux; les visites de province\nl'ennuient. Je vois souvent notre petite accouch\u00e9e (_la duchesse de\nVilleroi_)[88]; elle a un fils un peu plus grand que son p\u00e8re, et un peu\nmoins grand que le mar\u00e9chal (_de Villeroi_); il n'y a point de jour\nqu'elle ne me demande des nouvelles de mademoiselle _de Grignan_, et\nqu'elle ne lui souhaite tous les biens et les maux qu'elle a. L'on dit\nque le mar\u00e9chal _de Lorges_ se porte mieux, et on n'appelle plus sa\nmaladie une apoplexie; la mar\u00e9chale, qui l'est all\u00e9 trouver, va avec lui\naux eaux de Plombi\u00e8res. Tout le monde croit le mariage de M. _de\nLesdigui\u00e8res_ fait avec mademoiselle _de Cl\u00e9rembault_[89]; le charme que\nmadame _de Lesdigui\u00e8res_ trouve dans ce mariage, c'est qu'elle n'aura\npoint son fils avec elle. Le monde dit aussi celui de mademoiselle\n_d'Aubign\u00e9_ avec le fils[90] de M. _de Noailles_; et je crois qu'en\ncette occasion le monde dit vrai. Au reste, ma tr\u00e8s-belle, j'ai \u00e0 vous\napprendre que l'abb\u00e9 _Testu_ est charm\u00e9 de madame _de Carman_, et qu'il\nse plaint hautement de toutes ses amies de ne lui avoir pas fait\nconno\u00eetre ce m\u00e9rite-l\u00e0 plut\u00f4t. On parle fort ici de la solitude de\nmadame la marquise _de Grignan_; on dit que sa vie n'est pas\nsoutenable, parce qu'il ne faut voir personne, ou voir bonne compagnie.\nVous voyez combien votre retour et celui de _sa belle-m\u00e8re_[91] sont\nn\u00e9cessaires; mes conseils sur cela vous paro\u00eetront bien int\u00e9ress\u00e9s; je\nsouhaite que cette raison ne vous emp\u00eache pas de les suivre, et que vous\nme croyez aussi tendrement \u00e0 vous que j'y suis. Je vous demande en gr\u00e2ce\nde dire bien des choses de ma part \u00e0 madame _de Grignan_, et de ne pas\noublier la belle et charmante _Pauline_.\nLETTRE XXIX.\n_Paris, 7 novembre 1695._\nApr\u00e8s avoir r\u00e9fl\u00e9chi avec toute l'application possible sur tout ce que\nvous me mandiez, ma ch\u00e8re amie, _Helv\u00e9tius_ a encore voulu emporter\nvotre lettre afin d'y penser \u00e0 loisir; il ne me rapporta qu'hier ce que\nje vous envoie; il est persuad\u00e9 que l'air subtil est fort contraire \u00e0\nmadame _de Grignan_, et que s'il \u00e9toit possible qu'elle se m\u00eet dans une\nliti\u00e8re bien commode, et quelle fit de petites journ\u00e9es, elle ne seroit\npas plut\u00f4t arriv\u00e9e \u00e0 Lyon qu'elle se trouveroit fort soulag\u00e9e; c'est un\nrem\u00e8de que nous approuvons fort ici. Notre oracle _Helv\u00e9tius_ a sauv\u00e9 la\nvie \u00e0 la pauvre _Tourte_; il a un rem\u00e8de s\u00fbr pour arr\u00eater le sang, de\nquelque c\u00f4t\u00e9 qu'il vienne; c'est un tr\u00e8s joli homme et tr\u00e8s-sage. Sa\nphysionomie ne promet pas tant de sagesse; car il ressemble \u00e0 _Dupr\u00e9_\ncomme deux gouttes d'eau. Je vous demande des nouvelles de madame _de\nGrignan_, ma tr\u00e8s-aimable, pour me r\u00e9compenser de toutes mes\nconsultations. M. le marquis _de Grignan_ m'est venu voir; il est\nassur\u00e9ment moins gras qu'il n'\u00e9toit; je lui en ai fait des complimens\ntr\u00e8s-sinc\u00e8res: madame sa femme me fit l'honneur de venir ici hier; je la\ntrouvai si consid\u00e9rablement embellie, qu'elle me parut une autre\npersonne que celle que j'avois vue; c'est qu'elle est engraiss\u00e9e, et\nqu'elle a bien meilleur visage, de beaux yeux si brillans, que j'en fus\n\u00e9blouie; elle vint ici sur les deux heures avec madame sa m\u00e8re et\nmademoiselle sa s\u0153ur. Malheureusement pour moi, madame _de Nevers_\ns'\u00e9toit lev\u00e9e aussi matin qu'elles; elle arriva un moment apr\u00e8s ces\ndames, qui s'en all\u00e8rent quand elle entra; et madame _de Nevers_ qui me\nparla tr\u00e8s-sinc\u00e8rement, trouva madame la marquise _de Grignan_ toute des\nplus jolies. M. et madame _de Chaulnes_ et M. _de Coulanges_ arrivent\nmercredi pour d\u00eener \u00e0 Paris; je me dois trouver \u00e0 l'h\u00f4tel de Chaulnes\npour les y recevoir. Le roi est \u00e0 Marli pour jusqu'\u00e0 lundi; la comtesse\n_de Grammont_ y est aussi; mais quoiqu'elle ait rattrap\u00e9 \u00e0 la cour les\ngr\u00e2ces de la nouveaut\u00e9, la pauvre femme ne s'en porte pas mieux. Tous\nses maux sont revenus; elle les soutient avec un courage et une gaiet\u00e9\nqui m'\u00e9tonnent, ayant perdu, je crois, jusqu'\u00e0 l'esp\u00e9rance de gu\u00e9rir. La\nduchesse _de Villeroi_ re\u00e7oit ses visites dans son lit, jolie tout ce\nqu'on peut l'\u00eatre; je fis, il y a deux jours, les honneurs de sa chambre\navec la mar\u00e9chale _de Villeroi_; j'ai d\u00e9couvert \u00e0 cette petite duchesse\nun m\u00e9rite qui lui fait bien de l'honneur dans mon esprit, c'est qu'elle\na un go\u00fbt si naturel pour mademoiselle _de Grignan_[92], qu'elle en est\nsinc\u00e8rement occup\u00e9e; elle m'en demande continuellement des nouvelles.\nElle lui souhaite tout le bonheur qu'elle m\u00e9rite; mais elle ne veut\nconsentir \u00e0 aucun mariage, qu'elle ne soit assur\u00e9e de la revoir ici.\nEnfin, elle a des sentimens, elle a des pens\u00e9es; c'est un des miracles\nde _Pauline_. Je sais de ses nouvelles; on dit que vous vous allez\nencore marier[93]; j'en suis ravie, mon amie; revenez donc toutes; la\nvie est trop courte pour de si longues absences. Par rapport \u00e0 la vie,\nles plus longues ne devroient \u00eatre que de deux heures. Je vous envoie\nune lettre de M. _de Vannes_, qu'il y a en v\u00e9rit\u00e9 trois mois qui est\ndans mon \u00e9critoire. Je lui en demande pardon; car pour vous, je suis\nassur\u00e9e que vous l'aimez autant \u00e0 l'heure qu'il est, que quand elle a\n\u00e9t\u00e9 \u00e9crite. Adieu, ma tr\u00e8s-aimable; mandez-moi v\u00eetement que vous allez\nrevenir, et que vous ne pouvez plus souffrir la solitude de cette jeune\nmarquise, qui, comme moi, soupire apr\u00e8s votre retour.\nLETTRE XXX.\n_Paris, 18 septembre 1695._\nMonsieur _de Lamoignon_ me montra hier une lettre de M. le chevalier _de\nGrignan_, qui m'apprit que madame votre fille se portoit bien mieux;\nj'en ai une joie tr\u00e8s-sinc\u00e8re, et je souhaite de tout mon c\u0153ur, ma\ntr\u00e8s-ch\u00e8re, d'apprendre la continuation de ce mieux; j'ai la confiance\nde croire que vous me le ferez savoir; cela me donne aussi des\nesp\u00e9rances que nous vous reverrons bient\u00f4t; il n'y a rien, en v\u00e9rit\u00e9,\nque je d\u00e9sire si vivement: votre retour est n\u00e9cessaire \u00e0 bien des\nchoses, dont le changement d'air est une des principales pour madame _de\nGrignan_. Madame sa belle-fille est trop abandonn\u00e9e ici; le retour de M.\n_de S\u00e9vign\u00e9_ qui approche; que de raisons, ma tr\u00e8s-belle, pour nous\nrevenir voir! Paris est fort rempli \u00e0 l'heure qu'il est; mais il ne le\nsera point \u00e0 ma fantaisie, tant que vous ne serez point avec nous. J'ai\nbien envie d'apprendre si madame _de Grignan_ a fait usage des bouillons\nd'\u00e9crevisse, et si elle s'en est bien trouv\u00e9e. Il y a tous les jours de\nbon d\u00eeners \u00e0 l'h\u00f4tel de Chaulnes, et une tr\u00e8s-bonne compagnie, o\u00f9 vous\n\u00eates toujours d\u00e9sir\u00e9e. M. le marquis _de Grignan_ me fit l'honneur de me\nvenir voir il y a deux jours. Je le remerciai de n'\u00eatre point grossi; il\nme paro\u00eet fort content du palais qu'il habite. On me mande de Lyon que\nla charmante _Pauline_ va changer de nom; ne nous l'amenez-vous pas? Il\nn'y a que madame _de Simiane_ que je puisse jamais autant aimer que\nmademoiselle _de Grignan_. H\u00e9las! \u00e0 propos _de Simiane_; le pauvre\nmonsieur _de Langres_[94] est \u00e0 l'extr\u00e9mit\u00e9; j'en suis tout-\u00e0-fait en\npeine. Je crois M. _Nicole_ mort; il tomba en apoplexie il y a deux\njours. _Racine_ vint en diligence de Versailles lui apporter des gouttes\nd'Angleterre, qui le ressuscit\u00e8rent; mais on vient de me dire qu'il est\nretomb\u00e9; c'est une grande perte. Il s'est trop \u00e9puis\u00e9 \u00e0 \u00e9crire: on\npr\u00e9tend qu'il s'est cass\u00e9 la t\u00eate \u00e0 ce dernier livre contre les\nQui\u00e9tistes; ils n'en valoient, en v\u00e9rit\u00e9, pas la peine. Adieu, ma\ntr\u00e8s-aimable; j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience, mais\nencore plus \u00e0 pr\u00e9sent, \u00e0 cause de l'\u00e9tat o\u00f9 est madame _de Grignan_.\nLETTRE XXXI.\n_Paris, 6 avril 1696._\nJe ferai voir votre lettre \u00e0 la mar\u00e9chale _de Cr\u00e9qui_[95], madame; le\nseul plaisir qui lui reste, c'est d'entendre louer on pauvre fils[96]:\nelle me paro\u00eet plus afflig\u00e9e que le premier jour; je n'en passe gu\u00e8re\nsans la voir. Je l'ai cependant envoy\u00e9e \u00e0 M. _de Coulanges_ cette\naimable et tendre lettre; il est \u00e0 Saint-Martin d'o\u00f9 il doit revenir\nmardi. Madame _de Saint-G\u00e9ran_ a re\u00e7u deux visites de madame _de\nMaintenon_; vous jugez bien qu'il n'en falloit pas tant pour la\nconsoler: madame _de Mornai_ ne quitte point madame _de Maintenon_; plus\ncette petite femme paro\u00eet insensible aux honneurs qu'elle re\u00e7oit, plus\non est occup\u00e9 d'elle. Je suis \u00e9tonn\u00e9e de ces sortes de conduites. Le\nmariage de ma ni\u00e8ce est absolument rompu avec M. _de Poissi_[97]; elle\npart dans huit jours pour aller en Flandre. M. et madame _de Bagnols_\nn'ont aucun tort: madame _de Maisons_[98] a fait aussi ce qu'elle a pu,\net nous lui en serons toujours tr\u00e8s-sensiblement oblig\u00e9es: je suis ravie\nde la conno\u00eetre; elle a un tr\u00e8s bon c\u0153ur, et une v\u00e9ritable g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9.\nIl faut esp\u00e9rer que notre grande fille sera bien mari\u00e9e[99]; mais ce ne\npeut plus \u00eatre qu'au retour de la campagne, car rien ne nous convient\nplus dans la robe. Je m'en vais v\u00eete finir ce petit billet; car madame\n_de Montespan_ me vient prendre d\u00e8s la pointe du jour, pour aller\nentendre le P. _de la Fert\u00e9_ (_j\u00e9suite_), qui pr\u00eache comme un\n_Bourdaloue_, et qui ressemble si fort au duc son fr\u00e8re, qu'on ne se\npeut emp\u00eacher de rire des discours qu'ils tiennent tous deux: madame _de\nFontevrault_[100] vient aussi: voil\u00e0 bien des sermons que j'entends avec\ncette bonne compagnie, qui part dans huit jours pour aller \u00e0 Bourbon.\nMoins madame _de Grignan_ se r\u00e9tablira o\u00f9 elle est, plus elle se devroit\npresser de changer d'air. S\u00e9par\u00e9ment de l'int\u00e9r\u00eat que j'ai \u00e0 donner ce\nconseil, c'est l'avis de tous les gens habiles. Quand reverrons-nous\naussi madame _de Simiane_? elle ne s'en soucie gu\u00e8re; elle a de quoi\ns'amuser, pendant que nous soupirons ici apr\u00e8s elle. Je ferai vos\ncomplimens \u00e0 la mar\u00e9chale _de Cr\u00e9qui_, et ceux de M. et de madame _de\nGrignan_, je vous en assure, ma tr\u00e8s-aimable. Le roi a donn\u00e9 deux mille\nlouis au mar\u00e9chal _de Choiseul_ pour l'aider \u00e0 faire son \u00e9quipage; je ne\nsais si le marquis _de Grignan_ ira avec lui. Adieu, ma vraie amie, et\nv\u00eete adieu; on me presse de sortir.\nLETTRE XXXII.\n_A Madame_DE SIMIANE[101].\n_Paris, 2 mai 1696._\nJe vous suis sensiblement oblig\u00e9e, madame, de songer encore \u00e0 moi; je\nconnoissois toutes vos perfections; mais la tendresse de votre c\u0153ur, et\nl'amiti\u00e9 que vous avez su avoir pour une personne[102] aussi digne\nd'\u00eatre aim\u00e9e que celle que vous regrettez, c'est ce qui me paro\u00eet fort\nau dessus de tout ce qu'on en peut dire. Ah! madame, que vous avez\nraison, de me croire infiniment touch\u00e9e! Je ne pense \u00e0 autre chose; je\nne parle d'autre chose; j'ignore tous les d\u00e9tails de cette funeste\nmaladie, je les cherche avec un empressement qui fait voir que je ne\nsonge point \u00e0 me m\u00e9nager. Je passai hier toute la journ\u00e9e avec le prieur\nde Sainte-Catherine; vous jugez bien sur quoi roula notre conversation;\nje lui fis voir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'\u00e9crire;\nelle lui fit un vrai plaisir; car ces sortes de gens-l\u00e0 sont si\npersuad\u00e9s que cette vie-ci ne doit servir qu'\u00e0 s'assurer l'autre, que\nles dispositions dans lesquelles on quitte le monde sont les seules\ndignes d'attention pour eux; mais on songe \u00e0 ce que l'on perd, et on le\npleure. Pour moi, il ne me reste plus d'amie; mon tour viendra bient\u00f4t,\ncela est raisonnable: ce qui ne l'est gu\u00e8re, c'est d'entretenir une\npersonne de votre \u00e2ge de si tristes et de si noires pens\u00e9es; votre\nraison fait oublier votre jeunesse, madame; et cela, joint \u00e0\nl'inclination naturelle que j'ai pour vous, m'autorise, ce me semble, \u00e0\nvous parler comme je fais.\nLETTRE XXXIII.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 8 juin 1696._\nIl me paro\u00eet qu'il y a bien du temps que vous n'avez re\u00e7u de mes\nlettres; vous ne serez peut-\u00eatre pas de cet avis: il n'y a pas moyen\ncependant de pousser ma discr\u00e9tion plus loin; c'est un bien qui m'est\ndevenu n\u00e9cessaire, d'avoir de vos nouvelles; et, quelque in\u00e9galit\u00e9 qu'il\ny ait de votre \u00e2ge au mien, j'\u00e9prouve que l'on vous aime\ntr\u00e8s-solidement. Il y a des endroits dans votre c\u0153ur, qui font oublier\nvotre jeunesse, sans qu'il y en ait aucun dans votre figure, qui ne\npr\u00e9sente toute la fleur de ce bel \u00e2ge.\nJe ne m'accoutume point \u00e0 la perte que nous avons faite[103]; et\nlorsque j'apprends le retour de la sant\u00e9 de madame votre m\u00e8re, je ne\npuis m'emp\u00eacher d'\u00eatre vivement touch\u00e9e que cette joie n ait point \u00e9t\u00e9\nsentie par une personne qui en e\u00fbt \u00e9t\u00e9 si digne[104]. Je vous prie,\nmadame, que je sois inform\u00e9e de la continuation de cette sant\u00e9, \u00e0\nlaquelle je prends plus d'int\u00e9r\u00eat que je ne puis vous le dire.\nJe vis avant-hier M. _de Coulanges_ dans la belle maison de Choisi:\nmadame _de Louvois_ et lui y sont \u00e9tablis pour tout l'\u00e9t\u00e9; on est oblig\u00e9\ntous les jours d'y avoir deux tables par la quantit\u00e9 de monde qui s'y\ntrouve; un lansquenet ensuite, et puis des promenades d\u00e9licieuses;\njoignez \u00e0 tout cela les plaisirs qui suivent l'abondance, et vous\ntrouverez que Choisi est un s\u00e9jour enchant\u00e9: il y a trop de ces plaisirs\npour moi, et je ne saurois me r\u00e9soudre \u00e0 y passer plusieurs jours: mon\ngo\u00fbt augmente pour la solitude, ou du moins pour une tr\u00e8s-petite\ncompagnie. Madame _de Mornai_ ne quitte plus madame _de Maintenon_: elle\nva \u00e0 Marli; enfin, madame, je ne trouve rien de si extraordinaire que de\nla voir de tous les plaisirs, pendant que vous \u00eates \u00e9loign\u00e9e du monde et\ndu bruit; il est vrai que vous avez de grandes ressources dans\nvous-m\u00eame. Adieu, madame, je vous demande en gr\u00e2ce de ne pas n\u00e9gliger\nl'occasion de dire \u00e0 M. le comte _de Grignan_ combien je l'honore; mais\nsur-tout rendez-moi de bons offices aupr\u00e8s de vous, je vous en supplie.\nLETTRE XXXIV.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 20 juillet 1696._\nIl y a long-temps, madame, que je n'ai eu l'honneur de vous \u00e9crire; mais\nje ne suis point seule \u00e0 m'en apercevoir? En v\u00e9rit\u00e9, c'est pure\ndiscr\u00e9tion qui m'emp\u00eache de vous dire plus souvent ce que je sais\npenser de vous; il y a une telle disproportion de votre \u00e2ge au mien,\nqu'il me paro\u00eet de la cruaut\u00e9 \u00e0 moi de vous aimer comme je fais, et\nsur-tout de vous en entretenir. Je suis tr\u00e8s-persuad\u00e9e que vous n'enviez\npoint les extr\u00eames distinctions dont jouit madame _de Mornai_; mais,\nmadame, n'est-ce point \u00eatre trop avanc\u00e9e pour votre \u00e2ge, de vous savoir\npasser du monde et de la cour? Il me semble qu'il n'y a que l'exp\u00e9rience\nqui en puisse d\u00e9tromper, et voil\u00e0 ce que vous n'avez pas jusqu'\u00e0\npr\u00e9sent. Madame _de Mornai_ est de tous les voyages de Marli, sans \u00eatre\nnomm\u00e9e de toutes les promenades du roi; en un mot, madame _de Maintenon_\nla traite comme sa fille; et pensez-vous qu'on puisse \u00eatre insensible \u00e0\nces honneurs? ma ni\u00e8ce _de Bagnols_ voit tout cela d'un grand\nsang-froid. La tr\u00eave d'Italie donne ici de grandes esp\u00e9rances de la paix\ng\u00e9n\u00e9rale; je suis assur\u00e9e, madame, que cette grande nouvelle ne vous\nsera pas indiff\u00e9rente. On se tourmente d\u00e9j\u00e0 pour \u00eatre des dames de\nmadame _de Bourgogne_; car on dit qu'elle n'aura point de filles, et\nqu'on lui donnera \u00e0 peu pr\u00e8s les dames qu'avoit la reine, except\u00e9 madame\n_de Beauvilliers_, qui, selon toutes les apparences, sera dame\nd'honneur. Nous craign\u00eemes beaucoup ayant-hier pour madame _de\nChaulnes_, qui, \u00e0 la suite d'une mauvaise sant\u00e9, eut une si grande\nfoiblesse, qu'elle perdit connoissance. On envoya qu\u00e9rir des m\u00e9decins,\nun confesseur, enfin un appareil tr\u00e8s-propre \u00e0 \u00e9pouvanter; elle se porte\nbeaucoup mieux; elle a pris aujourd'hui un peu d'\u00e9m\u00e9tique. J'aime cette\nduchesse de la vraie douleur qu'elle a eue de la perte de madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_. Pour moi, madame, je vous avoue avec une sinc\u00e9rit\u00e9 que j'ai\npour vous, malgr\u00e9 mon \u00e2ge, que je ne m'en consolerai jamais; j'y pense\nsans fin et sans cesse; et quand je songe que tous les retours ne la\nram\u00e8neront point, je ne puis soutenir une telle id\u00e9e. Je vous demande\ndes nouvelles de votre sant\u00e9, madame; on m'a dit qu'elle n'\u00e9toit pas\nabsolument bonne, et que vous preniez des eaux: je vous croyois une\nsorte de maladie, o\u00f9 les eaux n'\u00e9toient point propres. La mar\u00e9chale _de\nCastelnau_ est morte d'un tr\u00e8s-douloureux cancer: les petites-filles\nesp\u00e8rent la pension de quatre mille livres, que le roi lui faisoit. Je\nvous demande pardon, madame, de vous \u00e9crire une si longue lettre; mais\nle go\u00fbt que j'y trouve, me doit faire esp\u00e9rer que vous ne vous en\nplaindrez pas.\nLETTRE XXXV.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 14 septembre 1696._\nJ'ai \u00e9t\u00e9 fort aise, madame, d'apprendre par vous le r\u00e9tablissement de la\nsant\u00e9 de madame votre m\u00e8re; mais je ne puis m'\u00f4ter la pens\u00e9e que la\npersonne du monde, qui s'int\u00e9ressoit le plus \u00e0 cette sant\u00e9, n'ait point\npartag\u00e9 notre joie. Ah! madame, je ne m'accoutume point \u00e0 ne plus\nesp\u00e9rer qu'aucun retour nous am\u00e8ne ce que nous regrettons avec tant de\nraison. Je comprends ce que ce sera pour madame _de Grignan_, de se\ntrouver en ce pays-ci au milieu de ces tristes souvenirs. Je suis fort\noccup\u00e9e de ce que vous nous privez de l'esp\u00e9rance de votre retour. Il me\nsemble que vous seriez bien n\u00e9cessaire \u00e0 madame votre m\u00e8re; et je vous\navoue que j'aurois plus de joie de vous revoir qu'il ne convient \u00e0 une\npersonne de mon \u00e2ge. Vous \u00eates faite pour charmer tout ce qui est\naimable et jeune comme vous; et c'est vous offenser que de vous aimer\naussi v\u00e9ritablement que je fais; mais qu'importe? Je ne sens point que\nje puisse m'emp\u00eacher de vous offenser, ni d'esp\u00e9rer que vous me\npardonnerez. Que dites-vous, madame, de notre duchesse _du Lude_? Je\nl'embarquai mardi avec les dames du palais, dans une sant\u00e9 parfaite:\njamais on n'a marqu\u00e9 tant de confiance en une personne, que le roi et\nmadame _de Maintenon_ ont fait pour elle dans cette occasion; et je vous\nassure qu'elle n'y est pas insensible. On dit qu'il sera question encore\nde quatre dames du palais, et de deux autres, quand la jeune princesse\nse mariera. Je ne comprendrai jamais qu'on ne vous aille pas chercher au\nbout du monde pour cela. J'ai assez bonne opinion de votre\n_voisine_[105], pour croire que vous seriez sa favorite. Enfin, je fais\nde tout ceci un petit ch\u00e2teau qui vous regarde uniquement, et je ne\nm'accommoderai jamais que ce ch\u00e2teau soit en Espagne. A propos\nd'Espagne, savez-vous que toute l'histoire de cette reine est fausse?\nElle n'est point grosse, elle se porte fort bien; le roi en a re\u00e7u des\nnouvelles. On est ici dans les _Te Deum_, dans les feux de joie de la\npaix de Savoie. Gr\u00e2ces \u00e0 Dieu, le roi continue de se porter de mieux en\nmieux. On croit que la cour ira \u00e0 Fontainebleau vers la fin de ce mois,\npour y recevoir la princesse. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes\ngr\u00e2ces, madame; j'esp\u00e8re que vous voudrez bien vous souvenir de moi\naupr\u00e8s de madame la comtesse _de Grignan_ et de M. _le Chevalier_. Je\nvous demande pardon de la libert\u00e9 que je prends; mais tout est permis \u00e0\nune personne qui a la confiance de vous \u00e9crire, et que vous honorez de\nvos aimables lettres. M. _de Coulanges_ est \u00e0 Vichi avec sa femme _de\nLouvois_[106].\nLETTRE XXXVI.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 25 octobre 1696._\nJe suis fort aise, madame, que vous nous fassiez esp\u00e9rer le retour de\nmadame votre m\u00e8re; mais, en v\u00e9rit\u00e9, pour que la joie f\u00fbt compl\u00e8te, le\nv\u00f4tre nous seroit bien n\u00e9cessaire. J'admire que l'on ait pu faire des\ndames du palais pour madame la duchesse _de Bourgogne_, sans avoir song\u00e9\n\u00e0 vous envoyer chercher au bout du monde. Je fis part, il y a quelques\njours, de mon \u00e9tonnement \u00e0 madame _de Montchevreuil_. A propos de madame\n_de Montchevreuil_, madame _de Mornai_ est accouch\u00e9e d'un fils. Cet\n\u00e9v\u00e9nement donne beaucoup de joie \u00e0 toute sa maison. O\u00f9 avez-vous pris,\nmadame, que madame la duchesse _de Bourgogne_ a eu la rougeole? Est-il\npossible qu'une de _ses voisines_ soit si peu instruite?[107] Je re\u00e7us\nhier une lettre de madame la duchesse _du Lude_[108], qui me paro\u00eet\ncharm\u00e9e de sa princesse. Elle me mande qu'elle est gr\u00e2cieuse, qu'elle a\nun tr\u00e8s-bon air, et que, sans beaut\u00e9, on ne peut \u00eatre plus agr\u00e9able\nqu'elle est. Le roi et _Monsieur_ iront coucher \u00e0 Montargis, pour la\nrecevoir, et M. le duc _de Bourgogne_ ira jusqu'\u00e0 Nemours. _Madame_,\ntoutes les princesses et les femmes de la cour l'attendront toutes\npar\u00e9es dans l'appartement qu'on lui destine \u00e0 Fontainebleau, qui est le\nm\u00eame qu'occupoit madame _la Dauphine_. On dit que l'on nommera encore\nsix dames au mariage de la princesse. Le roi, madame _de Maintenon_,\ntout est charm\u00e9 de madame _du Lude_. Elle s'est surpass\u00e9e elle-m\u00eame dans\ntoute la bonne conduite qu'elle a eue: j'en suis aussi peu surprise que\nj'en suis aise. Le pauvre abb\u00e9 _Pelletier_ est mort d'apoplexie. Il y a\nquatre ou cinq jours que je vois un spectacle bien triste, mais qui\ncommence \u00e0 le devenir moins. M. _d'Harrouis_ tomba dimanche dernier en\napoplexie: je volai \u00e0 son secours; et nous avons si bien fait par nos\nrem\u00e8des et par nos soins, que je le crois hors d'affaire; mais le pauvre\nhomme demeurera paralytique. Tout ce qu'il nous a dit dans son agonie,\nne se peut ni croire ni imaginer; je n'ai jamais vu envisager la mort\navec tant de courage, ni revenir \u00e0 la vie avec tant de docilit\u00e9. Ce\npauvre mourant parloit toujours de madame _de S\u00e9vign\u00e9_. Il disoit: \u00absi\nelle \u00e9toit au monde, elle seroit de celles qui ne m'abandonneroient\npas.\u00bb Nous fondions toutes en larmes, et puis il nous disoit des choses\nqui nous faisoient rire, malgr\u00e9 que nous en eussions. J'ai une vraie\nimpatience de recevoir l'honneur que vous dites que doit me faire un\nhomme, qui a \u00e9t\u00e9 assez heureux pour vous plaire. J'avoue que cela me\npr\u00e9vient en sa faveur; mais, madame, pourquoi le laissez-vous venir tout\nseul? En v\u00e9rit\u00e9, vous \u00eates trop raisonnable, et nous souffrons trop de\nvotre raison. J'esp\u00e8re que mademoiselle _de Bagnols_ aura un beau palais\nsans l'aller chercher \u00e0 Turin, ou, pour parler plus juste, un beau\nch\u00e2teau; j'ai une grande envie qu'elle soit bien \u00e9tablie. Conservez-moi\nl'honneur de vos bonnes gr\u00e2ces, madame; et, si vous n'\u00eates point\nhonteuse d'avoir un commerce avec une vieille comme moi, comptez qu'il\nne finira point par ma faute. Je vous serai sensiblement oblig\u00e9e, si\nvous voulez bien me faire la gr\u00e2ce d'assurer madame la comtesse _de\nGrignan_ et M. _le Chevalier_ que j'attends leur retour avec toute\nl'impatience qu'ils m\u00e9ritent.\nLETTRE XXXVII.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 7 mars 1697._\nJe suis charm\u00e9e de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'\u00e9crire,\nmadame. Comme il y a long-temps qu'on n'a eu celui de vous voir, on est\n\u00e9tonn\u00e9 de trouver tant de sagesse, de raison et de bon sens, avec tous\nles charmes de la jeunesse. Il n'y a que vous qui ayez pu accorder des\nchoses si oppos\u00e9es. Je suis tr\u00e8s-f\u00e2ch\u00e9e d'avoir ignor\u00e9 si long-temps le\ns\u00e9jour de M. _de Simiane_ en ce pays-ci. Le hasard me l'a fait trouver \u00e0\nd\u00eener chez M. _de Saint-Amant_; il m'a ensuite fait l'honneur de me\nvenir voir deux fois. Il m'a paru tout comme il vous paro\u00eet; je ne crois\npas peu dire. Il a bien raison d'\u00eatre pour vous, comme il est. J'avoue\nque cela m'a fait un sensible plaisir; je n'aime point qu'on ignore de\ntels bonheurs. Ah! madame, que ne feroit point notre pauvre madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_ dans une pareille occasion? Le malheur de ne la plus voir m'est\ntoujours nouveau; il manque trop de choses \u00e0 l'h\u00f4tel de Carnavalet. Je\nne saurois m'emp\u00eacher de vous d\u00e9sirer; et toute votre indiff\u00e9rence pour\nce pays-ci ne m'en peut inspirer pour votre retour. Je le souhaite comme\nsi j'\u00e9tois d'\u00e2ge \u00e0 en profiter; mais il me semble que mon inclination si\nnaturelle pour vous, vous fait souffrir mon \u00e2ge avec quelque bont\u00e9. J'ai\neu la conduite que vous m'avez prescrite au sujet de votre lettre;\ncependant je vous avouerai, madame, que je l'ai montr\u00e9e \u00e0 madame _de\nChaulnes_, qui m'a fait promettre de vous dire de sa part qu'elle vous\napprouve autant qu'elle d\u00e9sapprouve, je ne dirai pas qui. Savez-vous\nque madame _de Chaulnes_ a un nouveau m\u00e9rite \u00e0 mon \u00e9gard? C'est celui de\nne se point du tout consoler de la perte de madame _de S\u00e9vign\u00e9_. Nous en\nparlons sans cesse; car, pour moi, c'est ma mani\u00e8re; j'aime \u00e0 parler de\nce que j'ai aim\u00e9, et \u00e0 ne me point m\u00e9nager sur les souvenirs qui me sont\nchers.\nJe fis une longue r\u00e9ponse \u00e0 une lettre, que vous m'avez fait l'honneur\nde m'\u00e9crire avant la derni\u00e8re; je la donnai \u00e0 madame votre m\u00e8re, et ma\nlettre s'est trouv\u00e9e perdue. Je vous le dis, madame, afin que vous ne me\nsoup\u00e7onniez pas d'une grossi\u00e8ret\u00e9 pareille \u00e0 celle d'y avoir, manqu\u00e9. Au\nreste, le mariage de ma ni\u00e8ce avec M. _de Poissi_ est rompu. Si j'\u00e9tois\n\u00e0 sa place, j'en serois aussi aise qu'elle en est peut-\u00eatre f\u00e2ch\u00e9e. Il\nne la d\u00e9siroit point autant qu'il convenait pour surmonter les plus\npetites difficult\u00e9s: quand cela est ainsi, il me paro\u00eet qu'on se doit\ntrouver heureuse de ne point entrer dans une maison o\u00f9 l'on est si peu\nsouhait\u00e9e: je suis assur\u00e9e que c'est l\u00e0 votre avis. Quel bon sens,\nmadame, que le v\u00f4tre, de n'\u00eatre point ent\u00eat\u00e9e de la cour! Songez que\nmadame _du Lude_, qui avoit une si bonne sant\u00e9, est accabl\u00e9e de\nrhumatismes. Songez qu'il faut qu'elle couche dans la chambre de la\nprincesse; qu'elle se fatigue jour et nuit, et pour qui[109]? Cependant\nje sais une personne du monde, qui admire les agr\u00e9mens de la place, et\nla trouve pr\u00e9f\u00e9rable \u00e0 tout le repos, dont madame _du Lude_ pouvoit\njouir. J'ai eu quelque escarmouche avec cette personne sur une telle\nfa\u00e7on de penser, que je vous avoue que je ne comprends point.\nContinuez-moi toujours un peu de part dans votre amiti\u00e9, madame. Il\nfaudroit que vous pussiez bien savoir comme je suis pour vous, afin de\nvous persuader que je n'en suis pas indigne. Permettez-moi de prendre\npart \u00e0 la joie de M. le marquis _de Simiane_ de se trouver aupr\u00e8s de\nvous. Sa joie est d'autant plus raisonnable, qu'il n'est pas aise tout\nseul. J'ai eu assez l'honneur de le voir, pour d\u00e9sirer beaucoup de le\nvoir davantage.\nLETTRE XXXVIII.\n_A madame_ DE GRIGNAN.\n_Paris, 19 avril 1700._\nIl y a si long-temps, madame, que je ne fais rien de ce que je d\u00e9sire,\nque je n'ai pu trouver le moment de vous remercier de la derni\u00e8re lettre\nque vous m'avez fait l'honneur de m'\u00e9crire. Ma m\u00e8re a depuis quinze\njours la fi\u00e8vre continue avec des redoublemens; et moins elle est en\n\u00e9tat de penser, plus je suis attach\u00e9e aupr\u00e8s d'elle: c'est un terrible\nspectacle. Ce qui se passe en moi dans cette cruelle occasion, ne se\npeut concevoir; mais en voil\u00e0 trop sur un si triste sujet. Il vaut mieux\nvous faire de tr\u00e8s-sinc\u00e8res complimens sur le voyage que M. le marquis\n_de Grignan_ va faire en Lorraine. Toutes les distinctions sont\nagr\u00e9ables \u00e0 son \u00e2ge; et vous ne sauriez croire, madame, combien celle-l\u00e0\na \u00e9t\u00e9 recherch\u00e9e. Je me pr\u00e9sentai hier \u00e0 la porte de _son excellence_;\nelle \u00e9toit \u00e0 Versailles. Je vis madame votre belle-fille chez madame _de\nSimiane_, qui est en v\u00e9rit\u00e9 bien incommod\u00e9e de sa grossesse. Je rendis\nmes devoirs en votre appartement; il est tr\u00e8s-beau; la vue m'en paro\u00eet\ncharmante. Je le regardai avec un air d'int\u00e9r\u00eat, qui me le fit bien\nexaminer pour la premi\u00e8re fois. Vous serez bien log\u00e9e, madame; mais vous\nnous ferez trop languir apr\u00e8s votre retour. C'est l\u00e0 votre unique\nd\u00e9faut; nous aurions besoin que vous en eussiez d'autres pour nous\nconsoler. On commence aujourd'hui \u00e0 tirer la loterie de madame _de\nBourgogne_. J'ai eu trente pistoles \u00e0 la grande, qui s'est faite \u00e0\nl'H\u00f4pital; se peut-il un plus grand malheur dans une pareille occasion?\nCependant j'ai eu l'\u00e2me assez int\u00e9ress\u00e9e pour pr\u00e9f\u00e9rer ce vilain petit\nbillet noir \u00e0 un billet blanc; ma s\u0153ur a trouv\u00e9 ce sentiment\ntr\u00e8s-indigne d'elle. M. _de Bagnols_ est ici. Je ne d\u00e9sesp\u00e8re point\nqu'il n'aille \u00e0 Grignan rendre \u00e0 M. _de Grignan_ tout ce qu'il lui doit;\ncar pour Paris, ce n'auroit \u00e9t\u00e9 que la conduite des autres. Madame la\nduchesse _du Lude_ a eu un mal assez consid\u00e9rable au pied. Elle a\nquelquefois un rhumatisme; mais elle ne sent point ses maux dans la\nchaleur du combat. Je pense toujours de la m\u00eame fa\u00e7on sur ce qui la\nregarde; et, Dieu merci pour elle, sa fa\u00e7on de penser n'est point\nchang\u00e9e aussi. La pauvre petite madame _d'Aunai_, fille de madame _de\nMorangis_, est morte \u00e0 vingt-un ans; les _Villeroi_ sont tr\u00e8s-afflig\u00e9s\navec raison. On assure que M. _de Rochebonne_ et M. _de Saint-Germain_\nont des raisons d'esp\u00e9rer; je souhaite de tout mon c\u0153ur pour la chose en\nelle-m\u00eame, et par l'int\u00e9r\u00eat sensible que vous y avez tous, que leurs\nesp\u00e9rances soient fond\u00e9es. J'ai appris \u00e0 l'abb\u00e9 _Testu_ que vous\nl'honoriez de votre souvenir; mais je vous avouerai que, quoiqu'il ait\nre\u00e7u cette marque de votre bont\u00e9 avec beaucoup de reconnoissance, il a\nvoulu voir si je ne le trompois point, car il lui faut des\nd\u00e9monstrations; et apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 convaincu de la v\u00e9rit\u00e9 de ce que je\nlui disois, il a tir\u00e9 des cons\u00e9quences qu'il falloit qu'il f\u00fbt charm\u00e9,\net il a conclu qu'il l'\u00e9toit.\nLETTRE XXXIX.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 30 juillet 1700._\nTout ce que vous me faites la gr\u00e2ce de me dire est vrai, madame;\ncependant on ne sauroit s'imaginer ce que la nature soutenue du\nspectacle m'a fait souffrir. L'impression qui m'en est rest\u00e9e est si\nvive, que je n'en puis revenir, malgr\u00e9 tout ce que la raison peut\nfournir de consolation. J'esp\u00e8re en la diversion que je n'ai point\nencore \u00e9prouv\u00e9e; car je n'ai vu personne dans cette triste conjoncture.\nJe ne vous fais point d'excuses de n'avoir pas fait r\u00e9ponse \u00e0 votre\nlettre; vous jugez ais\u00e9ment, madame, de ce qui m'en a emp\u00each\u00e9e, et\ncombien j'avois renonc\u00e9 \u00e0 mes plaisirs, puisque je m'\u00e9tois retranch\u00e9\ncelui de vous entretenir. M. _de Coulanges_ est \u00e0 Versailles; on vient\nde me dire qu'il vit hier madame _de Maintenon_ chez madame _de\nSaint-G\u00e9ran_, et qu'il en avoit re\u00e7u des amiti\u00e9s infinies. Il a mand\u00e9\ncette heureuse rencontre \u00e0 madame _de Louvois_. C'est une chose\nraisonnable que les _secondes femmes_ soient mieux trait\u00e9es que les\npremi\u00e8res; et je suis assez juste pour ne me point plaindre de la\npr\u00e9f\u00e9rence que M. _de Coulanges_ donne \u00e0 madame _de Louvois_. Que\ndites-vous de la mort de la duchesse _d'U***_? Pour moi, je voudrois\nqu'on f\u00eet un exemple de tels assassinats. On dit cependant que la presse\nest grande \u00e0 qui \u00e9pousera ce joli h\u00e9ros. O grand pouvoir du tabouret! Le\nroi est \u00e0 Marli pour dix jours. Je donnai \u00e0 d\u00eener \u00e0 madame _de Simiane_\nen plein r\u00e9fectoire le jour de la Madeleine. Nous avions la comtesse _de\nGrammont_ \u00e0 notre d\u00eener, et ensuite il fut question d'un sermon tout\nneuf du p\u00e8re _Massillon_. La seule visite que je me suis permise, a \u00e9t\u00e9\ncelle de la mar\u00e9chale _d'Humi\u00e8res_. En v\u00e9rit\u00e9, il n'y a qu'\u00e0 habiter le\nfaubourg Saint-Jacques pour \u00eatre une personne au dessus des autres. On\nne peut assez admirer la parfaite patience de cette mar\u00e9chale, sa\nr\u00e9signation \u00e0 la mort, sa pi\u00e9t\u00e9, son courage; enfin, rien n'est tel que\nle faubourg Saint-Jacques. Madame _de Guitaut_ l'habite aussi; je vous\nassure que ce quartier fournit une tr\u00e8s-bonne compagnie. Je voudrois\nbien, pour nous venger de la joie que vous avez eue de nous quitter, que\nvotre s\u00e9jour \u00e0 Grignan vous ennuy\u00e2t autant que nous. Si cela \u00e9toit,\nmadame, il nous seroit permis d'esp\u00e9rer bient\u00f4t votre retour. Une des\ngrandes nouvelles du monde, c'est que madame _de Bourgogne_ changera de\nconfesseur aussi souvent qu'elle voudra, pourvu qu'il soit j\u00e9suite.\nLETTRE XL.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 18 d\u00e9cembre 1700._\nVous n'avez pas eu de peine, madame, \u00e0 imaginer la raison, je ne dis pas\nde mon oubli, mais de mon silence, puisque vous m'avez fait la gr\u00e2ce de\nle remarquer. Votre vie est plus remplie que la mienne; ainsi c'est \u00e0\nmoi qu'il convient d'\u00eatre discr\u00e8te. Je suis plus solitaire que jamais,\net ne le suis pas encore assez \u00e0 mon gr\u00e9. Il n'a pas \u00e9t\u00e9 au pouvoir des\ngrands et prodigieux \u00e9v\u00e9nemens qui sont arriv\u00e9s[110], de m'obliger \u00e0\nquitter ma chambre. Les ann\u00e9es m'ont tellement mise \u00e0 la raison, que si\nj'en avois encore beaucoup \u00e0 passer, je crois que je me retirerois dans\nquelque petit d\u00e9sert; mais l'avenir est court pour moi. Vous jugez bien\nqu'avec de telles dispositions je ne suis pas assez inform\u00e9e des\nnouvelles du monde, pour avoir la confiance d'esp\u00e9rer vous divertir; et\nje ne dois pas avoir celle de croire que de ne vous apprendre que des\nmiennes, cela vous suffise. Ce n'est pas que je n'aie v\u00e9ritablement\nsouffert d'ignorer ce qui se passoit dans les lieux que vous habitez,\net que je n'en aie \u00e9t\u00e9 instruite, autant que je l'ai pu, par madame _de\nSimiane_. Il faut avouer cependant que les nouvelles consid\u00e9rables n'ont\npas manqu\u00e9 depuis quelque temps; mais _quiconque ne voit gu\u00e8re, n'a\ngu\u00e8re \u00e0 dire aussi_. Vous allez avoir bien des affaires, madame, pour\nrecevoir les princes[111]; je suis assur\u00e9e que vous n'en serez point du\ntout embarrass\u00e9e. Madame _de Simiane_ trouva hier au soir ici madame la\nduchesse _du Lude_, qui est venu passer deux ou trois jours \u00e0 Paris, et\nlui demanda de quelle mani\u00e8re il convenoit que vous fussiez habill\u00e9e\npour recevoir cette belle et grande compagnie. Elle lui r\u00e9pondit que ce\nn'\u00e9toit pas une question; qu'il falloit un grand habit, une coiffure\nnoire, en un mot, comme vous seriez au souper du roi. Je ne vous parle\npoint de plusieurs mariages dont il est question, et dont je suis s\u00fbre\nque vous ne vous souciez gu\u00e8re. Madame _de Simiane_ s'embarqua hier au\nsoir pour aller souper chez ma ni\u00e8ce _de Tilli\u00e8res_, o\u00f9 est le\nrendez-vous du beau monde tous les jours. Vous voyez bien, madame, qu'on\na du monde, quand on en veut avoir. M. _de Coulanges_ veut r\u00e9pondre\nlui-m\u00eame aux aimables reproches que vous lui faites; il est cause que\nl'on a fait des chansons sur tous les grands directeurs: il a eu la\ngoutte comme un grand homme. Je le plains, si jamais il est oblig\u00e9 de se\ncroire vieux.\nLETTRE XLI.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 17 juin 1701._\nJe vous rends mille gr\u00e2ces, madame, de l'attention que vous avez eue \u00e0\nla subite et violente maladie, dont par les soins de _Chambon_ j'ai \u00e9t\u00e9\nd\u00e9livr\u00e9e en vingt-quatre heures. Je suis ravie de vous devoir ce\nm\u00e9decin; car j'aime fort \u00e0 \u00eatre oblig\u00e9e aux personnes pour qui j'ai un\nsinc\u00e8re attachement; j'esp\u00e8re vivre et mourir de sa fa\u00e7on. Vous aurez\n\u00e9t\u00e9 f\u00e2ch\u00e9e et surprise de la mort de _Monsieur_[112], j'en suis assur\u00e9e.\nLa derni\u00e8re fois que j'eus l'honneur de le voir, il me demanda tant de\nvos nouvelles, que je lui fis tr\u00e8s-bien ma cour par \u00eatre en \u00e9tat de lui\nr\u00e9pondre sur ce qui vous regardoit. En v\u00e9rit\u00e9, la mort est un \u00e9v\u00e9nement\ntrop ordinaire pour pouvoir compter sur cette vie; pour moi, j'avoue que\nje ris quand je vois traiter solidement quelque chose d'aussi court et\nd'aussi fragile; c'est ma raison qui a cette conduite; car si c'\u00e9toit le\nsentiment, eh! mon Dieu, on ne feroit rien de tout ce que l'on fait, et\non feroit tout ce que l'on ne fait point. On vous aura sans doute mand\u00e9,\nmadame, que le roi conserve \u00e0 M. le duc _d'Orl\u00e9ans_ tous les honneurs\net privil\u00e8ges _de Monsieur_; des gardes, tous les grands officiers, et\nm\u00eame un chancelier. Le roi est tr\u00e8s-v\u00e9ritablement afflig\u00e9. Toutes les\nfemmes ont paru en mante devant S. M., et les cours souveraines vont\nlundi la haranguer. Les personnes, dont la mort devroit faire le plus\nd'impression, sont celles qui paroissent le moins regrett\u00e9es, par la\nraison que l'on se tourne tout d'un coup \u00e0 ce qui remplit leurs places.\nJ'avoue, madame, que mon go\u00fbt ne diminue point pour le repos, et qu'\u00e0\nl'heure qu'il est, je n'y pr\u00e9f\u00e9rerois que ce qui se doit pr\u00e9f\u00e9rer \u00e0\ntout; mais je n'aime point le repos que vous avez; il est trop loin de\nmoi. Ce n'est pas que le s\u00e9jour de Grignan ne me pl\u00fbt infiniment, si j'y\npouvois aller. Au reste, madame, \u00e0 propos de beau ch\u00e2teau, je vais avoir\ncelui d'Ormesson; et je suis assez mod\u00e9r\u00e9e pour n'en point d\u00e9sirer\nd'autres, ne voyant rien au-dessus que le s\u00e9jour de Grignan. Nous avons\neu ici la duchesse _du Lude_ cinq ou six jours avant la funeste mort de\n_Monsieur_. J'ai vu l'abb\u00e9 _de Polignac_ depuis son retour, dont il se\ncroit redevable au P. _de la Chaise_; il est plus aimable que jamais, je\ndis l'abb\u00e9 _de Polignac_. M. _de Coulanges_ est ravi de la fin de cette\ndisgr\u00e2ce; mais comme il court toujours les champs, je crois qu'il ne l'a\npoint encore vu. M. le cardinal _de Bouillon_ est tranquille dans son\nabbaye, chose \u00e9tonnante et difficile \u00e0 croire? mais, madame, vous n'en\nserez point surprise, quand vous saurez qu'il est dans une extr\u00eame\nd\u00e9votion. Le roi lui a fait la gr\u00e2ce de lui accorder une main-lev\u00e9e pour\nla jouissance de tous ses revenus; cela fait esp\u00e9rer bien des\nadoucissemens dans ses malheurs. Il faut que je vous remercie beaucoup\nde vous \u00eatre souvenue de mon amie la marquise, dont je ne sais seulement\npas le nom, mais qui m'a \u00e9t\u00e9 recommand\u00e9e par une de mes v\u00e9ritables\namies. On me l'amena hier. Elle dit qu'elle connoissoit fort toute ma\nfamille \u00e0 Lyon; je ne me souviens point de l'y avoir vue. Tout ce que je\nsais, c'est que c'est une femme de bonne maison, et que je vous suis\ntr\u00e8s-oblig\u00e9e, madame, et \u00e0 M. _de Grignan_, de la bont\u00e9 que vous avez\neue l'un et l'autre d'avoir \u00e9gard \u00e0 la tr\u00e8s-humble pri\u00e8re que je vous ai\nfaite. Madame _de Sulli_ est assez malade; elle est dans toutes les\nr\u00e8gles des mauvais m\u00e9decins, _du lait_, _saignare_, _purgare_, etc. Il\nn'y a pas moyen de lui faire entendre raison sur cela, quoiqu'elle\nl'entende si bien sur toute chose. Continuez-moi l'honneur de vos bonnes\ngr\u00e2ces, madame, et croyez, s'il vous pla\u00eet, qu'on ne peut vous honorer\nplus que je fais. Ma s\u0153ur brille \u00e0 Bruxelles; elle a tous les soirs\nmadame la comtesse _de Soissons_ \u00e0 souper chez elle. Il me prend\nquelquefois envie d'aller \u00e0 Bruxelles repr\u00e9senter madame _de\nB\u00e9thune_[113] en Pologne. Vous ne sauriez comprendre \u00e0 quel point je\nd\u00e9sire votre retour, madame. Plus je suis indiff\u00e9rente pour tout ce qui\nvient, plus je m'attache \u00e0 ce qu'il y a quelque temps que je connois.\nM. _de Coulanges_ s'en va en Bourgogne avec madame _de Louvois_, et moi\n\u00e0 Choisi toute seule prendre patience de ne pouvoir \u00eatre \u00e0 Ormesson que\nl'ann\u00e9e qui vient; mais le moyen de faire encore des projets avec les\nexemples qu'on a chaque jour sous les yeux.\nLETTRE XLII.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 12 septembre 1701._\nJe suis dans le monde, madame, et si peu instruite de ce qui s'y passe,\nque je n'oserois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre\nsouvenir, j'y r\u00e9ponds avec un empressement, qui vous doit faire\nconno\u00eetre la sensible joie que j'en ai, et juger en m\u00eame temps que mon\nsilence doit s'appeler de la discr\u00e9tion toute pure. Il est vrai, madame,\nque vous \u00eates bien expos\u00e9e aux grandeurs de ce monde. Vous r\u00e9ussissez\nsi bien, qu'il seroit malheureux que vos talens ne parussent point. Vous\nne payez pas seulement d'invention; on n'a parl\u00e9 ici que de la\nmagnificence avec laquelle vous avez re\u00e7u les princes; ce n'\u00e9toit qu'en\nattendant la reine d'Espagne. Madame _de Bracciane_ sera ravie de vous\npr\u00e9senter \u00e0 sa jeune reine. Je la trouve, comme vous, bien digne de\nl'emploi qu'elle a; mais la fa\u00e7on de penser de quelqu'un qui n'est plus\njeune, ne laisse rien imaginer d'agr\u00e9able[114]. J'ai d\u00e9j\u00e0 tant v\u00e9cu,\nqu'il me paro\u00eet peu possible d'envisager un long avenir; ainsi ce peu\nqui me reste, j'aimerois \u00e0 le passer dans le repos. Je n'ai jamais eu de\ngo\u00fbt pour les personnages, qui n'\u00e9toient point les jeunes dans les\ncom\u00e9dies. Cela m'est demeur\u00e9 pour le th\u00e9\u00e2tre du monde. Ma paresse\nnaturelle, une foible sant\u00e9 sans doute, me donnent de telles pens\u00e9es,\nqui s'accommodent si bien avec ma m\u00e9diocre fortune, que je n'en puis\nassez remercier Dieu. J'ai trop aim\u00e9 le monde. Il me semble cependant\nque je n'ai pas perdu le temps que j'ai pass\u00e9 \u00e0 m'en d\u00e9tromper; car il\nest certain que je pr\u00e9f\u00e8re la vieillesse aux belles ann\u00e9es, par la\ngrande tranquillit\u00e9 dont elle me laisse jouir: mais je veux r\u00e9pondre \u00e0\nvos questions, madame. Le voyage que madame _de Louvois_ devoit faire en\nBourgogne, est rompu; elle est \u00e0 Choisi pour toute l'automne: monsieur\n_de Coulanges_ y est avec elle, et je compte y aller dans sept ou huit\njours. Comme je n'ai point encore de maison de campagne, je prends\npatience \u00e0 Paris. Si je vis jusqu'\u00e0 l'ann\u00e9e qui vient, j'aurai Ormesson,\nqui n'est plus reconnoissable que par le bois. La maison est aussi\nblanche qu'elle \u00e9toit noire. Les fen\u00eatres sont coup\u00e9es jusques en bas;\nenfin, il y aura pour se coucher, pour se promener; et, gr\u00e2ce \u00e0 Dieu, je\nn'en d\u00e9sire pas davantage. Pardonnez-moi, je d\u00e9sire passionn\u00e9ment de\nvous y recevoir; les cabarets plaisent quelquefois, quand on est\naccoutum\u00e9 aux d\u00e9lices des grands palais. Oui, madame, M. _de Coulanges_\nira voir M. le cardinal _de Bouillon_, lequel, \u00e0 ce que j'apprends, est\nbien plus heureux qu'il n'a jamais \u00e9t\u00e9. Je suis tout-\u00e0-fait sensible au\nmalheur qui vient d'arriver \u00e0 madame _de Chatelux_. Son fils, bien fait,\nbien riche, qu'elle alloit marier \u00e0 une h\u00e9riti\u00e8re de Bourgogne, a \u00e9t\u00e9\ntu\u00e9 \u00e0 cette derni\u00e8re occasion[115]. Je crois que le mar\u00e9chal _de\nVilleroi_ justifiera tout-\u00e0-fait la conduite de M. le mar\u00e9chal _de\nCatinat_. Il est si honn\u00eate, qu'il ne dira que des v\u00e9rit\u00e9s. Votre amie\nmadame _de Lesdigui\u00e8res_ a \u00e9t\u00e9 bien heureuse. Vous ne m'aviez jamais\nconfi\u00e9 que ce qu'elle a pour vous, madame, est une passion tr\u00e8s-vive.\nMadame _de Louvois_ et moi, pass\u00e2mes avec elle, il y a quelques jours,\nune partie de l'apr\u00e8s-din\u00e9e. Elle nous montra un assortiment pour\nprendre du caf\u00e9 d'une magnificence et d'une perfection comme il n'y en a\npoint. On proposa d'en faire usage; elle nous assura que personne ne\ns'en serviroit avant votre retour. Elle l'attend avec une impatience que\nje comprends mieux que personne; en un mot, madame, vous lui avez\ninspir\u00e9 des sentimens qui lui seroient inconnus sans vous. Son palais\nest plus beau et plus tranquille que jamais. Je m'y trouve \u00e0 merveille;\nil me paro\u00eet qu'on ne se peut ennuyer dans un lieu o\u00f9 vous \u00eates si\nch\u00e9rie. L'abb\u00e9 _Testu_ a \u00e9t\u00e9 ravi de l'honneur de votre souvenir, aussi\nbien que madame _Frontenac_ et mademoiselle _d'Outrelaise_. Ce premier\nest plus jeune que jamais; il seroit tout pr\u00eat \u00e0 conduire le roi\nd'Espagne[116]. Chaque ann\u00e9e lui en \u00f4te deux, de fa\u00e7on qu'il est\nassur\u00e9ment trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre\nbelle-s\u0153ur. Elle a des vapeurs; et quand cela est ainsi, elle est seule\nsur son lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. _de S\u00e9vign\u00e9_\nreviendra bient\u00f4t de Bretagne. A propos de Bretagne, personne ne doute\nque M. _de Beaumanoir_ n'\u00e9pouse mademoiselle _de Noailles_. Madame _de\nSimiane_ accouchera bient\u00f4t. Je voudrais bien pouvoir lui \u00eatre bonne \u00e0\nquelque chose; mais je suis tr\u00e8s-peu habile sur les accouchemens; et\ncomme vous savez que je ne joue point, vous voyez bien qu'il m'arrive\nencore de lui \u00eatre inutile, quand elle se porte bien. J'aurai cependant\nl'honneur de la voir, et de vous mander de ses nouvelles, quand elle ne\nsera point en \u00e9tat de vous \u00e9crire. Madame _de Sanzei_ est \u00e0 Autri. La\ncour est \u00e0 Marli jusqu'\u00e0 samedi. Elle partira mardi pour Fontainebleau;\nelle s\u00e9journera deux jours \u00e0 Sceaux; Meudon, Chaville, Sceaux, Lestang,\nadmirez; madame, comme tout cela a chang\u00e9 en peu de temps: il n'y a que\nmadame _de Bracciane_ et l'abb\u00e9 _Testu_ qui ne changent point. Je vous\ndemande pardon de la longueur de ma lettre. Je me laisse aller au\nplaisir de vous entretenir; je crains qu'il ne m'en co\u00fbte d'\u00eatre\nlong-temps sans recevoir de vos nouvelles. Seroit-il possible, madame,\nque je vous pusse recevoir \u00e0 Ormesson? Vous ne me parlez jamais de votre\nretour, et cela m'afflige. Madame _de Lesdigui\u00e8res_ assure qu'il est\nd\u00e9cid\u00e9 pour le printemps. Je la verrai aujourd'hui, et ce ne sera pas\nsans qu'il soit bien parl\u00e9 de vous. J'aime fort \u00e0 lui plaire; mais il\nn'est pas ais\u00e9 de d\u00e9m\u00ealer qui est la complaisante de nous deux, quand il\nest question de vous, madame.\nLETTRE XLIII.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 4 avril 1702._\nJe suis bien r\u00e9compens\u00e9e du soin que j'ai pris pour le chocolat de M.\n_de Grignan_, madame, puisque cela m'a attir\u00e9 une marque d'honneur de\nvotre souvenir. Il me semble que je vous aurois importun\u00e9e, si je vous\navois \u00e9crit dans toutes les occasions o\u00f9 il a \u00e9t\u00e9 question de vous en ce\npays-ci. Vous avez fait les honneurs de la France avec une telle\nmagnificence et une telle profusion que l'on en parle encore tous les\njours. Vous allez avoir le roi d'Espagne. J'avoue que tous ces honneurs\nne me laissent point oublier mes int\u00e9r\u00eats, et je crains toujours que\ncela ne retarde votre retour, que je ne puis m'emp\u00eacher de d\u00e9sirer\ntr\u00e8s-vivement. Je ne doute point que vous n'ayez \u00e9t\u00e9 fort sensible \u00e0 la\nperte de notre pauvre duchesse _de Sulli_[117]. Elle vous aimoit\nv\u00e9ritablement, et c'\u00e9toit une tr\u00e8s-aimable femme. Ah! madame, je la vis\nla veille de sa mort. Elle se croyoit bien malade; mais elle \u00e9toit bien\n\u00e9loign\u00e9e de penser que le terme f\u00fbt aussi court. Sa docilit\u00e9 pour les\nm\u00e9decins l'a tu\u00e9e; cependant s'il est vrai que nos jours sont compt\u00e9s,\npourquoi ne nous pas d\u00e9saccoutumer de nos ridicules raisonnemens? Quant\n\u00e0 moi, qui me trouve seule de toutes les personnes avec qui j'ai pass\u00e9\nma vie, je demeure dans ma solitude sans vouloir faire aucune nouvelle\nconnoissance; cela n'en vaut pas en v\u00e9rit\u00e9 la peine. Ma vie est\ntr\u00e8s-\u00e9loign\u00e9e de celle du monde. Je ne m'y trouve plus du tout propre.\nCes nouveaut\u00e9s qu'il me pr\u00e9sente ne sont plus \u00e0 mon usage; et mon\nantiquit\u00e9 n'est plus au sien. Ainsi, gr\u00e2ce \u00e0 Dieu, nous nous passons \u00e0\nmerveille l'un de l'autre. Vous jugez bien, madame, que cela me rend\npeu digne du commerce que je pourrois avoir avec madame _de Simiane_.\nSon \u00e2ge[118] et le mien sont trop disproportionn\u00e9s. Je sais cependant\nqu'elle va habiter notre quartier, et je la plains beaucoup. Je suis\nassur\u00e9e que quand elle auroit tort \u00e0 votre \u00e9gard, vous chercheriez\ntoujours \u00e0 la justifier. Ainsi, j'esp\u00e8re que vous l'aimerez toujours par\nla raison qu'elle vous est fort attach\u00e9e, et que vous l'aimez\nnaturellement. Elle est aussi tr\u00e8s-aimable; cela est constant. Mais,\nmadame, savez-vous bien que votre amie, madame _de Lesdigui\u00e8res_, n'est\npoint du tout en bonne sant\u00e9? elle a une jambe qu'elle ne sent point, et\nqui est enfl\u00e9e. Elle n'imagine point d'autre rem\u00e8de que la saign\u00e9e, qui\nest le seul, je crois, qui peut rendre son mal dangereux. Il faudroit\nfournir des esprits, et elle se veut \u00e9puiser, ce qui n'est assur\u00e9ment\npas raisonnable. Je vous en avertis comme la seule personne qui peut lui\nfaire entendre raison. La mar\u00e9chale _de Villeroi_ a commenc\u00e9 \u00e0 \u00eatre\nafflig\u00e9e du jour que le mar\u00e9chal partit pour l'Italie. L'\u00e9v\u00e9nement n'a\nque trop justifi\u00e9 sa douleur; il \u00e9toit plus heureux, \u00e9tant le marquis\n_de Villeroi_. Mais, madame, vous nous avez envoy\u00e9 un prisonnier, qui\nl'est, je crois, pr\u00e9sentement de mademoiselle _de Bellefond_. Il soupa\navec elle le jour de son arriv\u00e9e \u00e0 Vincennes; il fut charm\u00e9 avec raison\nde sa beaut\u00e9. Il a gagn\u00e9 le donjon depuis, avec l'id\u00e9e de cette jolie\nfille, qui est toute des plus aimables. Enfin, elle n'a des _Mancini_\nque la beaut\u00e9. J'ai si peu de commerce avec M. _de Richelieu_[119], que\nje ne l'ai point vu depuis son mariage. Si on le voyoit toutes les fois\nqu'il se marie, on passeroit sa vie avec lui. Il est trop jeune pour\nmoi; je ne sais pas si madame _de Richelieu_ lui trouvera ce d\u00e9faut. On\nne peut trop louer sa mod\u00e9ration; elle n'a pas encore pris son tabouret.\nL'h\u00f4tel _de Richelieu_ est \u00e0 vendre. Pour l'abb\u00e9 _Testu_, je le crois\ntr\u00e8s-f\u00e2ch\u00e9 de ne pouvoir suivre l'exemple de M. _de Richelieu_. Sa\njeunesse augmente tous les ans; et vous croyez bien, madame, qu'avec un\ntel privil\u00e8ge il est assur\u00e9ment trop jeune pour se marier. Il m'a pri\u00e9e\nde vous dire des choses tr\u00e8s-passionn\u00e9es de sa part. La princesse de _la\nCisterne_[120], \u00e0 qui j'ai appris que vous vous \u00e9tiez souvenue d'elle,\nm'a fait promettre, madame, que je vous dirois combien elle est\nv\u00e9ritablement afflig\u00e9e de ne vous avoir point trouv\u00e9e en ce pays-ci.\nElle y a r\u00e9ussi \u00e0 merveilles; la cour lui en a fait. Elle a tourn\u00e9\nl'esprit de sa m\u00e8re \u00e0 tout ce qu'elle a d\u00e9sir\u00e9. Sa petite fille est\nmorte; et c'est un bien pour faire r\u00e9ussir ses projets. Elle a un fils\na\u00een\u00e9, qui est fort grand seigneur dans son pays; et un petit, beau comme\nle jour, qu'elle pr\u00e9tend \u00e9tablir en France sous le nom de marquis _de la\nTrousse_ avec ses deux belles terres de la Trousse et de Lisi. Elle ne\ntrouve nul obstacle du c\u00f4t\u00e9 de sa m\u00e8re, qui lui a, je crois, assur\u00e9 tout\nson bien. C'est une tr\u00e8s-habile femme que madame _de la Cisterne_. Je la\nregrette; elle nous quitte apr\u00e8s un voyage de huit jours qu'elle va\nfaire \u00e0 la Trousse. Elle vous plairoit, madame; elle a un esprit bon et\nnaturel: je pense qu'elle pourra bien se venir \u00e9tablir en France dans\nquelques ann\u00e9es; mais je ne prends plus aucune part dans les projets\n\u00e9loign\u00e9s. Nous sommes ici dans l'agitation du Jubil\u00e9. Cette d\u00e9votion\nn'est point dans les principes du Qui\u00e9tisme; car il se faut donner bien\ndu mouvement. Le roi viendra trois jours de suite \u00e0 Notre-Dame, \u00e0\ncommencer jeudi, et s'en retournera \u00e0 Meudon; _Monseigneur_ y est venu\nces jours-ci. Enfin, madame, tout le monde est dans la ferveur, jusqu'\u00e0\nM. _de Coulanges_, qui, avant que d'aller courir les rues, m'a fort\npri\u00e9e de vous assurer de ses respects. Je ne puis vous dire, madame, \u00e0\nquel point je sais vous honorer et vous aimer; mais les absences sont\ntrop longues. Je ne les trouve point proportionn\u00e9es \u00e0 la bri\u00e8vet\u00e9 de la\nvie; et vous jugez bien, madame, par la tristesse de cette r\u00e9flexion, de\ntout l'ennui que me cause votre \u00e9loignement.\nLETTRE XLIV.\nA LA M\u00caME.\nJ'esp\u00e9rois n'avoir aujourd'hui qu'\u00e0 vous rendre mille tr\u00e8s-humbles\ngr\u00e2ces d'une tr\u00e8s-aimable lettre que je re\u00e7us hier de vous, madame, et\nje me trouve oblig\u00e9e de vous faire un triste compliment sur la mort du\npetit marquis _de Simiane_. La jeunesse et la fertilit\u00e9 du p\u00e8re et de la\nm\u00e8re doivent donner de grandes esp\u00e9rances de voir bient\u00f4t cette perte\nr\u00e9par\u00e9e; mais enfin il \u00e9toit tout venu, et je prends un v\u00e9ritable\nint\u00e9r\u00eat \u00e0 tout ce qui vous regarde. Je suis ravie, madame, que vous\napprouviez les derni\u00e8res connoissances que j'ai faites; car je n'ose\nencore traiter d'amis des personnes avec qui j'ai eu aussi peu de\ncommerce. J'ai bien de quoi m'annoncer aupr\u00e8s d'eux par leur conter\ncomme vous parlez de leur m\u00e9rite; c'est par-l\u00e0 que je suis bien s\u00fbre de\nleur plaire. Ils m'ont d\u00e9j\u00e0 confi\u00e9 ce qu'ils pensoient de vous et de\ntout ce qui s'appelle Grignan. M. _de Marsin_ est malade; il attend le\nretour de sa sant\u00e9 pour aller o\u00f9 son devoir l'appelle. Le mar\u00e9chal (_de\nCatinat_) est dans sa campagne plus philosophe qu'on ne peut vous le\ndire. Il a raison de se plaindre que je le fais trop attendre. Nous\nn'avons plus de temps \u00e0 perdre tous deux; mais aussi nous sommes trop\navanc\u00e9s, pour que le temps nous puisse faire tort ni \u00e0 l'un ni \u00e0\nl'autre. Ma s\u0153ur doit partir pour Bruxelles le lendemain des f\u00eates; et\nvoil\u00e0-ce qui m'a emp\u00each\u00e9e jusqu'\u00e0 pr\u00e9sent de m'aller \u00e9tablir \u00e0 Ormesson,\no\u00f9 je compte passer une partie de l'\u00e9t\u00e9; mais je serai bien honteuse, si\nj'y re\u00e7ois jamais M. _de Grignan_, de ne lui pr\u00e9senter qu'un grand bois,\nlui qui est accoutum\u00e9, comme vous dites, madame, aux d\u00e9lices de Capoue.\nIl n'importe, je d\u00e9sire tr\u00e8s-vivement d'avoir cette honte; car si je ne\nlui pr\u00e9sente point les objets charmans, dont il jouit \u00e0 Mazargues[121],\net les belles eaux que je crois qui surpassent en beaut\u00e9 celles de\nVersailles, je lui pr\u00e9senterai une antique personne tr\u00e8s-touch\u00e9e des\ncharmes de la solitude, et qui, sans avoir aucune aigreur contre le\nmonde, en est fort d\u00e9go\u00fbt\u00e9e. J'esp\u00e8re que, par ses conversations, il me\ntiendra moins de rigueur, et qu'il me pardonnera mes bois tr\u00e8s-d\u00e9nu\u00e9s\nde vue. Pour vous, madame, j'ose dire que vous serez surprise de\nl'arrangement de cette vieille maison, si vous pouvez faire un assez\ngrand effort de m\u00e9moire pour vous en souvenir. Que dites-vous du parfait\nbonheur de M. le mar\u00e9chal _de Villars_? Il est bien heureux de n'\u00eatre\npas d\u00e9sabus\u00e9 du monde; car assur\u00e9ment le monde est tourn\u00e9 bien\nagr\u00e9ablement pour lui; et le moyen alors de penser qu'il n'y ait pas de\nplaisir dans cette vie? On dit qu'il a des inqui\u00e9tudes qui le troublent,\net que je crois cependant tr\u00e8s-peu fond\u00e9es. Si ma ni\u00e8ce avoit bien voulu\nme croire, le mar\u00e9chal seroit heureux, et elle grande dame. Son\ninsensibilit\u00e9 va jusqu'\u00e0 n'\u00eatre pas touch\u00e9e de la conduite qu'elle a\neue. J'avoue que je ne reconnois point mon sang \u00e0 cette indolence. M.\n_de Coulanges_ arriva hier de Versailles avec un portrait qu'il tenoit\nde la lib\u00e9ralit\u00e9 de M. le duc _de Bourgogne_. Il est aussi content que\nle peut \u00eatre le mar\u00e9chal _de Villars_. Tout Paris dit qu'il va \u00eatre\nduc, je ne dis pas M. _de Coulanges_. Je conterai \u00e0 _Sanzei_ que vous\nsavez de ses nouvelles; il est si discret, qu'il ne nous a point parl\u00e9\nde ses bonnes fortunes. Il est aide de camp de M. le duc _de Bourgogne_;\net il me paro\u00eet encore plus attach\u00e9 \u00e0 son ma\u00eetre qu'\u00e0 sa ma\u00eetresse. Je\nne vous puis rien dire de _Chambon_; j'en suis d\u00e9sol\u00e9e. Moins il est\ncoupable, plus sa prison sera longue. Il n'oseroit dire ce qui pourroit\nle justifier: cela vous paro\u00eetra un peu \u00e9nigme; mais je n'ose en dire\ndavantage, de peur d'\u00eatre \u00e0 la Bastille. Je vis, il y a deux jours,\nmadame la duchesse _de Lesdigui\u00e8res_. La mani\u00e8re dont je d\u00e9sire votre\nretour, me fait un m\u00e9rite aupr\u00e8s d'elle; mais je ne suis point contente\nque vous me parliez de ce retour avec si peu de certitude. Nous\nattendons la Saint-Jean avec autant de crainte que d'impatience; car si\nvous ne donnez point cong\u00e9 \u00e0 M. _de Rez\u00e9_, nous ne tenons rien. Ainsi\ncet \u00e9v\u00e9nement-l\u00e0 ne nous est pas assur\u00e9ment indiff\u00e9rent. Si Vous saviez\nce que c'est que la cal\u00e8che de velours jaune que madame _de\nLesdigui\u00e8res_ vient de faire paro\u00eetre, vous ne pourriez pas r\u00e9sister au\nplaisir de vous promener dedans; on ne parle d'autre chose. Elle est\nsinguli\u00e8re, magnifique, mais tr\u00e8s-\u00e9loign\u00e9e d'\u00eatre ridicule, comme on\nl'avoit dit. On me l'avoit faite sem\u00e9e de _mores_; et cela est faux. Les\nroues sont bleues, et paroissent de lapis. Cela fait un effet charmant\navec ce jaune. Il y a trois mois que je n'ai vu madame votre\nbelle-s\u0153ur[122]; elle n'a plus aucun commerce avec les profanes. J'ai\n\u00e9t\u00e9 des derni\u00e8res avec qui elle a rompu; mais elle ne veut plus de moi,\nil ne faut point s'en faire accroire: la maison qu'elle va habiter est\nlaide; mais son jardin, qui est triste par la hauteur des murailles, ne\nlaisse pas d'\u00eatre grand. Vraiment, madame, une maison de campagne n'est\npas une retraite digne d'une d\u00e9vote. On ne trouve point le P.\n_Gaffarel_[123] \u00e0 la campagne; et il est vis-\u00e0-vis de la porte o\u00f9\nhabitera M. _de S\u00e9vign\u00e9_. Je suis en peine de ce dernier. Sans sa\ndocilit\u00e9, ce seroit un homme perdu; mais aussi, sans sa docilit\u00e9,\nn'iroit-il point habiter le faubourg Saint-Jacques. Pardonnez, madame,\nla longueur de cette lettre en faveur de la joie que j'ai de vous\nentretenir, et croyez, s'il vous pla\u00eet, qu'on ne peut \u00eatre plus sensible\nque je le suis aux bont\u00e9s dont vous m'honorez. Ne laissez plus aller M.\nle chevalier _de Grignan_ dans sa solitude, et entretenez M. le comte\ndans l'envie qu'il a de venir faire sa cour. Je ne crois personne plus\npropre que lui \u00e0 convertir les Huguenots; il a bien de la douceur, bien\nde la raison, et n'est point du tout h\u00e9r\u00e9tique. Voil\u00e0, de grands talens\npour _Orange_; mais il en a aussi pour le monde, qui le font bien\nd\u00e9sirer ici. Ne savez-vous pas, madame, que M. le mar\u00e9chal _de Villeroi_\na \u00e9t\u00e9 voir madame la comtesse _de Soissons_ \u00e0 Bruxelles? Il lui a men\u00e9\nson fils; et madame la comtesse _de Soissons_ avoue qu'il y a long-temps\nqu'elle n'a eu une si grande joie. J'ai lu le _Trait\u00e9 de l'Amiti\u00e9_[124],\nqui m'a paru rempli d'esprit; mais je ne l'aime point. Je donne ce go\u00fbt\npour le mien, et point du tout pour bon. Je hais les r\u00e8gles dans\nl'amiti\u00e9, et je ne laisserai jamais mourir mon ami. J'aime cent fois\nmieux manquer \u00e0 mon serment.\nLETTRE XLV.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 17 juin 1703._\nJ'ai eu la m\u00eame conduite pour vous, madame, que j'ai eue pour moi; c'est\ncelle aussi qu'ont observ\u00e9e toutes les personnes qui, par discr\u00e9tion,\nn'ont pas cru devoir \u00e9crire \u00e0 madame _de Maintenon_. Elles ont fait\npasser leurs complimens par madame la duchesse _du Lude_. J'ai \u00e9crit \u00e0\ncette derni\u00e8re, et je me suis charg\u00e9e de tout. Vous verrez par sa\nr\u00e9ponse que je dis vrai; et je suis m\u00eame assur\u00e9e que vous me croiriez,\nquand je ne vous l'enverrois point. Il est impossible d'\u00eatre plus\ntouch\u00e9e que madame _de Maintenon_ l'a \u00e9t\u00e9 de la mort de M.\n_d'Aubign\u00e9_[125]. Pour moi, je le suis fort de celle de _Gourville_,\navec lequel j'avois renouvel\u00e9 un commerce tr\u00e8s-vif. J'y ajouterai que\nson esprit \u00e9toit si parfaitement revenu, que jamais lumi\u00e8re n'a tant\nbrill\u00e9 avant que de s'\u00e9teindre. Je n'ai point \u00e9t\u00e9 \u00e0 la campagne, comme\nje l'avois esp\u00e9r\u00e9; je me suis amus\u00e9e \u00e0 marier le fr\u00e8re de madame _de\nMornai_ avec mademoiselle _de Menars_. Cette pens\u00e9e-l\u00e0 me vint; je la\nproposai \u00e0 M. l'abb\u00e9 _Duguet_, qui voulut bien entrer dans cette\naffaire. Elle est enfin conclue, et les noces se sont pass\u00e9es avec toute\nla magnificence possible. Nous esp\u00e9rons de la bont\u00e9 du roi l'agr\u00e9ment\npour la charge de pr\u00e9sident \u00e0 mortier. Mademoiselle _de Menars_ a tant\nde parens consid\u00e9rables, qu'il y a lieu de croire que cette esp\u00e9rance\nn'est pas chim\u00e9rique. On pr\u00e9senta hier la nouvelle mari\u00e9e au roi et \u00e0\ntoute la cour. Madame _de Maintenon_ lui fit des prodiges. Ma\ncomplaisance n'a point \u00e9t\u00e9 jusqu'\u00e0 aller \u00e0 Versailles, quoiqu'on l'e\u00fbt\nd\u00e9sir\u00e9. J'ai renonc\u00e9 au monde, et je n'ai pas l'humilit\u00e9 d'aller dans un\npays o\u00f9 je n'ai que faire, et o\u00f9 je n'ai rien d'agr\u00e9able, ni de nouveau\n\u00e0 montrer. Je cours ce soir \u00e0 Ormesson, o\u00f9 M. le mar\u00e9chal _de Catinat_\net M. _de Coulanges_ m'attendent. Je vous manderai des nouvelles de la\nvie que nous allons faire ce mar\u00e9chal et moi. Je suis ravie d'apprendre\nque vous avez enfin donn\u00e9 cong\u00e9 \u00e0 M. _de Rez\u00e9_; j'en tire la cons\u00e9quence\nque vous revenez cet hiver. Je vous assure qu'il y a long-temps qu'aucun\n\u00e9v\u00e8nement ne m'a fait un plaisir si sensible. Je vous prie, madame, que\nje sois rassur\u00e9e sur votre rhumatisme, dont je suis tr\u00e8s en peine. Vous\nvous traitez si durement, que je ne vous trouve point bien entre vos\nmains. Je vis avant-hier madame _de Simiane_, que je trouvai consol\u00e9e de\nla perte qu'elle a faite. Elle l'a r\u00e9par\u00e9e, car elle est grosse; mais il\nen co\u00fbte quelque chose \u00e0 sa jolie figure. M. _de S\u00e9vign\u00e9_ nous a quitt\u00e9s\npour sa Bretagne; et madame votre belle-s\u0153ur va jeudi habiter la maison\nde ma grand'm\u00e8re. Je me suis trouv\u00e9e attendrie en leur disant adieu; il\nme paro\u00eet qu'ils vont changer et de vie et d'amis. C'est, en v\u00e9rit\u00e9, une\nvraie sainte que madame votre belle-s\u0153ur, plus ais\u00e9e \u00e0 admirer qu'a\nimiter. Je me plains, madame, de n'avoir point appris par vous votre\nretour; mais j'en pardonnerons bien d'autres, si vous reveniez, comme je\nle veux esp\u00e9rer.\nLETTRE XLVI.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 7 juillet 1703._\nJe ne suis point contente, madame, de la mani\u00e8re dont vous me parlez de\nvotre retour. Il me paro\u00eet que la saison de No\u00ebl vous fait peur; pour\nmoi, je suis persuad\u00e9e que le printemps et l'\u00e9t\u00e9 n'arriveront qu'alors.\nDepuis trois semaines que j'habite ma solitude, je n'ai eu qu'un seul\nbeau jour. Les vents sont d\u00e9cha\u00een\u00e9s; les pluies continuelles; tous les\nbiens de la terre perdus; voil\u00e0 les \u00e9v\u00e9nemens qui nous occupent le plus.\nCependant celui de la petite victoire[126] de M. le mar\u00e9chal _de\nBoufflers_ est venu jusques \u00e0 nous. Il \u00e9toit temps qu'il fit parler de\nlui, et que l'on se souv\u00eent que le mar\u00e9chal _de Villars_ n'est pas le\nseul conqu\u00e9rant que nous ayons. Nul bonheur sans m\u00e9lange dans ce monde.\nLa passion de ce dernier pour sa femme est au dessus de celle qu'il a\npour la gloire, et sa d\u00e9licatesse lui persuade que la gloire le traite\nmieux. Sa m\u00e8re est charmante par ses mines, et par les petits discours\nqu'elle commence, et qui ne sont entendus que des personnes qui la\nconnoissent. Mais, madame, je m'amuse \u00e0 vous parler des mar\u00e9chaux de\nFrance employ\u00e9s, et je ne vous dis rien de celui[127] dont le loisir et\nla sagesse sont au dessus de tout ce que l'on en peut dire. Il me\nparo\u00eet avoir bien de l'esprit, une modestie charmante; il ne me parle\njamais de lui, et c'est par l\u00e0 qu'il me fait souvenir du mar\u00e9chal _de\nChoiseul_. Tout cela me fait trouver bien partag\u00e9e \u00e0 Ormesson[128];\nc'est un parfait philosophe, et philosophe chr\u00e9tien; enfin, si j'avois\neu un voisin \u00e0 choisir, ne pouvant m'approcher de Grignan, j'aurois\nchoisi celui-l\u00e0. Il vous honore beaucoup, et nous parlons souvent de\nvous et de M. _de Grignan_. Il ne lui arrive point aussi d'oublier M. le\nchevalier.\nMadame votre belle-s\u0153ur est \u00e9tablie au faubourg Saint-Jacques; et M.\nvotre fr\u00e8re ira y descendre en arrivant de Bretagne. Je suis persuad\u00e9e\nqu'il va \u00eatre compagnon du P. _Massillon_[129]; c'est son premier m\u00e9tier\nque celui d'\u00eatre d\u00e9vot. Les d\u00e9vots sont en v\u00e9rit\u00e9 plus heureux que les\nautres. Je les envie, et je voudrois bien les imiter. Une des premi\u00e8res\nvisites que je ferai, sera celle d'aller dans la maison de ma\ngrand'm\u00e8re; car c'est la m\u00eame qu'occupe madame votre belle-s\u0153ur.\nL'esprit de _Gourville_ \u00e9toit plus solide et plus aimable qu'il n'avoit\njamais \u00e9t\u00e9. Il \u00e9toit revenu d'une mani\u00e8re, qui a fait sentir bien\nvivement le regret de le perdre. Ses m\u00e9moires sont charmans; ce sont\ndeux assez gros manuscrits de toutes les affaires de notre temps, qui\nsont \u00e9crits, non pas avec la derni\u00e8re politesse, mais avec un naturel\nadmirable. Vous voyez _Gourville_ pendu en effigie, et gouverner le\nmonde. Tout ce qui m'en a d\u00e9plu (car je les ai enti\u00e8rement lus), c'est\nun portrait, ou plut\u00f4t un caract\u00e8re de madame _de la Fayette_,\ntr\u00e8s-offensant par la tourner tr\u00e8s-finement en ridicule. Je le trouvai\nquatre jours avant sa mort avec la comtesse _de Grammont_; et je\nl'assurai que je passois toujours cet endroit de ses m\u00e9moires. Les\ncaract\u00e8res de tous les ministres y sont merveilleux; l'histoire de\nmadame _de Saint-Loup_ et _de la Croix_ y est narr\u00e9e dans le point de la\nperfection. Vous m'allez demander si l'on ne peut point avoir un aussi\naimable ouvrage[130]; non, madame, on ne le verra plus, et en voici la\nraison: _Gourville_ y parle de sa naissance avec une sinc\u00e9rit\u00e9 parfaite;\net son neveu n'est pas un assez grand homme pour soutenir une chose\naussi estimable \u00e0 mon gr\u00e9.\nMa s\u0153ur est pr\u00e9sentement \u00e0 Bruxelles. Je lui manderai que vous lui\nfaites l'honneur de vous souvenir d'elle. Notre nouvelle mari\u00e9e me vint\nvoir hier. C'est une femme tr\u00e8s-vertueuse, et qui donne de\ntr\u00e8s-agr\u00e9ables alliances \u00e0 son mari, et une charge de pr\u00e9sident \u00e0\nmortier apr\u00e8s la mort de M. _de Menars_. Je vous r\u00e9ponds sur toutes les\nquestions que vous me faites, madame, \u00e0 mesure qu'il m'en souvient, et\nje n'y cherche point de liaison. On ne vous a pas bien inform\u00e9e de la\nsant\u00e9, ou plut\u00f4t de la maladie de madame _de Maintenon_. Depuis cette\nfi\u00e8vre de l'hiver pass\u00e9, elle en a toujours eu des acc\u00e8s pr\u00e9c\u00e9d\u00e9s de\ngrands frissons, sans marquer aucune r\u00e8gle; mais quand ses acc\u00e8s sont\npass\u00e9s, elle se porte \u00e0 merveille. Point de d\u00e9go\u00fbt, point d'insomnie,\ntr\u00e8s-peu de changement; voil\u00e0 de bonnes marques, et qui font esp\u00e9rer\nqu'elle aura assez de force pour supporter cette bizarre fi\u00e8vre. Madame\nla duchesse de Bourgogne s'est baign\u00e9e \u00e0 Marli; il faut esp\u00e9rer au\nretour de M. le duc de _Bourgogne_. Je suis persuad\u00e9e que M. le comte\n_de Grignan_ est enti\u00e8rement d\u00e9livr\u00e9 de sa fi\u00e8vre tierce. C'est une\npetite maladie faite pour le quinquina; et il me paro\u00eet qu'il n'a rien \u00e0\nhasarder \u00e0 le continuer. Ma galerie est bien honor\u00e9e d'\u00eatre le mod\u00e8le de\nla belle et magnifique galerie du ch\u00e2teau de Grignan; mais la mienne\nest aupr\u00e8s de vos palais; comme ces petits trous par o\u00f9 l'on fait voir\nVersailles. Telle qu'elle est, je voudrois bien vous y tenir, madame.\nQuant \u00e0 M. le chevalier, j'esp\u00e8re que _Saint-Gratien_[131] l'attirera\ndans nos bois, et je le d\u00e9sire beaucoup. Je ne puis souffrir que madame\nde _Sal..._ ait des gar\u00e7ons tous les ans, toujours _Gar...._ et jamais\n_Grignan_; on n'y peut r\u00e9sister.\nLETTRE XLVII.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 5 ao\u00fbt 1703._\nJe suis ravie, madame, que la bonne sant\u00e9 de monsieur le comte _de\nGrignan_ continue; le quinquina l'a bien mieux servi que madame _de\nMaintenon_, qui, malgr\u00e9 tout l'usage qu'elle en a fait, a toujours la\nfi\u00e8vre. On l'en avoit crue gu\u00e9rie pendant quelques jours; mais la est\nrevenue avec assez de violence, et peu de r\u00e8gle. Son \u00e9tat rend le voyage\nde Fontainebleau fort incertain. Elle est cependant \u00e0 Marli; mais elle\nne s'en porte pas mieux.\nL'affaire du pauvre _Chambon_ n'avance point. J'allai hier \u00e0 la\nBastille; je fis tout mon possible pour le voir. Jamais mon ami\n_Joncas_[132] n'y voulut consentir. Je le regarde comme un homme ruin\u00e9\nsans ressource, d'autant qu'on ne voit point la fin de ses malheurs: sa\npetite femme me fait une extr\u00eame piti\u00e9.\nJe crois que vous regrettez pr\u00e9sentement l'hiver du mois de juillet; car\nvoici un \u00e9t\u00e9 bien chaud. Cependant il ne faut pas s'en plaindre; je\ncrois ce temps-l\u00e0 bon pour M. le chevalier _de Grignan_ et pour les\nvignes. J'allai, il y a deux jours, \u00e0 Choisi. J'y laissai M. _de\nCoulanges_, qui doit incessamment venir voir votre maison pour y\nex\u00e9cuter vos ordres. Madame _de Lesdigui\u00e8res_, que je vis hier, ne parle\nque de la joie que lui donne votre retour; et c'est moi qu'elle choisit\npour en parler. Elle a, en v\u00e9rit\u00e9, raison; car je ne le d\u00e9sire pas moins\nvivement qu'elle. Nous all\u00e2mes hier, madame _de Simiane_ et moi,\nchercher le mar\u00e9chal _de Catinat_. Il \u00e9toit d\u00e9j\u00e0 reparti. Il a pass\u00e9\nquelques jours \u00e0 Paris, o\u00f9 il m'avoit cherch\u00e9e aussi; mais on ne se voit\npoint \u00e0 Paris. Je retourne incessamment dans la maison _de Pol\u00e9mon_, o\u00f9\nje serai ravie de le trouver; un h\u00e9ros chr\u00e9tien est bien plus \u00e0 mon\nusage maintenant qu'un h\u00e9ros romanesque. La maison que je vais habiter\nm'a vue dans ces deux go\u00fbts; car, en v\u00e9rit\u00e9, je n'y \u00e9tois soutenue dans\nma jeunesse que par des id\u00e9es tr\u00e8s-romanesques. Ce temps-l\u00e0 est bien\n\u00e9loign\u00e9. Les pens\u00e9es solides sont assur\u00e9ment plus raisonnables; et c'est\npar-l\u00e0 qu'elles sont assez tristes. Au reste, madame, le bel air de la\ncour est d'aller \u00e0 la jolie maison que le roi a donn\u00e9e \u00e0 la comtesse _de\nGrammont_ dans le parc de Versailles. Le comte dit que cela jette dans\nune si grande d\u00e9pense, qu'il est r\u00e9solu de pr\u00e9senter au roi des parties\nde tous les d\u00eeners qu'il y donne. C'est tellement la mode, que c'est une\nhonte de n'y avoir pas \u00e9t\u00e9. La comtesse va tous les jours d\u00eener \u00e0 Marli,\net le soir revient dans sa jolie maison vaquer \u00e0 sa famille.\nMadame votre belle-s\u0153ur[133] est fort joliment log\u00e9e. J'allai chez elle\nen dernier lieu; je la trouvai dans une tr\u00e8s-parfaite sant\u00e9,\nmademoiselle _de Grignan_ et le P. _Gaffarel_ avec elle; charm\u00e9e de la\nvie qu'elle m\u00e8ne; bien des pri\u00e8res, bien des lectures, et une soci\u00e9t\u00e9 de\npersonnes qui sont toutes occup\u00e9es de l'\u00e9ternit\u00e9, indiff\u00e9rentes pour les\nnouvelles du monde, peu sensibles \u00e0 tout ce qui passe. En v\u00e9rit\u00e9,\nmadame, ce ne sont pas eux qui ont tort.\nLa comtesse _de Grammont_ se porte tr\u00e8s-bien. Il est certain que le roi\nla traite, \u00e0 merveille; et c'en est assez pour que le monde se tourne\nfort de son c\u00f4t\u00e9. Mais, comme vous savez, madame, le monde est bien\nplaisant. Permettez-moi de vous supplier de me conserver l'honneur de\nvos bonnes gr\u00e2ces, et d'assurer M. le comte _de Grignan_ et M. le\nchevalier de mes tr\u00e8s-humbles services. Je conterai \u00e0 notre mar\u00e9chal\ntout ce que vous pensez de son m\u00e9rite, et c'est par-l\u00e0 que je pr\u00e9tends\nme faire valoir aupr\u00e8s de lui.\nLETTRE LXVIII.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 25 septembre 1703._\nJ'entends fort bien parler, madame, de la sagesse _de Chambon_; ainsi,\nj'esp\u00e8re que son ressentiment ne l'obligera point \u00e0 quitter Paris, o\u00f9 il\nr\u00e9tablira mieux le tort que sa prison a fait \u00e0 ses affaires qu'en lieu\ndu monde. Vous ne connoissez plus la cour, de croire qu'on a pu lire sa\njustification. On ne liroit pas un billet de deux lignes, de quelque\nimportance qu'il p\u00fbt \u00eatre. Vous avez \u00e9t\u00e9 instruite du beau proc\u00e9d\u00e9 de M.\n_de Chamillard_, \u00e0 l'\u00e9gard de M. _Desmarest_, et des raisonnemens du\npublic. Ainsi, madame, je ne vous parlerai plus de cette vieille\nnouvelle; mais je ne veux pas perdre un moment \u00e0 vous dire l'\u00e9tat o\u00f9 est\nMadame _de Lesdigui\u00e8res_, dont je vous croyois bien inform\u00e9e. Son mal a\n\u00e9t\u00e9 une dyssenterie tr\u00e8s-violente; et son m\u00e9decin, un suisse qui a tu\u00e9,\nou du moins avanc\u00e9 la mort de M. _de Chaulnes_, par un breuvage qu'il\nlui donna. Cependant madame _de Lesdigui\u00e8res_ ne vouloit voir aucun\nautre m\u00e9decin; enfin, il y a six jours que madame la mar\u00e9chale _de\nVilleroi_ lui mena de son autorit\u00e9 _Helv\u00e9tius_, qui ne la trouva point\nen \u00e9tat de prendre son rem\u00e8de. Il crut voir des indices certains qu'elle\navoit un abc\u00e8s. Il craignit la gangr\u00e8ne; il lui fait prendre des\nlavemens d'herbes vuln\u00e9raires avec de l'eau d'arquebusade. Elle en est\n\u00e0 fendre du pus. Ainsi, on esp\u00e8re qu'elle reviendra de cette maladie;\nmais on ne la croit pas encore hors de p\u00e9ril. Son mal est trop grand\npour s'en prendre au caf\u00e9. Notre mar\u00e9chal ([134]) l'a abandonn\u00e9 pour le\nchocolat. Je lui ferai assur\u00e9ment voir ce que vous dites de lui; il me\nparo\u00eet fort touch\u00e9 de votre approbation, madame, et de celle de M. le\nchevalier _de Grignan_. C'est le plus aimable homme du monde; nous ne\npassons pas un jour sans le voir. Je le trouve seul au bout, d'une de\nnos all\u00e9es; il y est sans \u00e9p\u00e9e, il ne croit pas en avoir jamais port\u00e9.\nIl voit le roi tous les quinze jours, et puis revient dans sa solitude\navec un go\u00fbt qui paro\u00eet naturel. Vous avez raison, madame, de me trouver\n\u00e0 plaindre, quand je retournerai \u00e0 Paris. J'ai promis \u00e0 madame _de\nLouvois_ d'aller passer quinze jours \u00e0 Choisi; mais je vous avoue que\nj'ai bien de la peine \u00e0 m'y r\u00e9soudre. M. et madame _de Simiane_ me\nfirent hier l'honneur de venir d\u00eener ici avec notre fille d'honneur de\nla reine _Marguerite_; et madame votre fille me promit qu'elle y\nreviendroit passer encore quelques jours. C'est en v\u00e9rit\u00e9 une jolie\nfemme. On ne peut avoir plus d'esprit, ni un esprit plus aimable que le\nsien; une charmante humeur: il n'est pas possible de se d\u00e9p\u00eatrer d'elle;\nmais c'est bien \u00e0 moi d'aimer une personne de son \u00e2ge. Cependant je\ntomberois infailliblement dans cet inconv\u00e9nient, si je la voyois trop\nsouvent. J'ai bien de l'impatience de vous voir ex\u00e9cuter le projet que\nvous avez fait de revenir \u00e0 Paris. Si j'\u00e9tois en commerce avec les f\u00e9es,\nvous me verriez voler \u00e0 _Grignan_. Tant que cela ne sera point, croyez\nque je ne vais que terre \u00e0 terre.\nLETTRE XLIX.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 5 f\u00e9vrier 1704._\nLa comtesse _de Grammont_, madame, ne se porte pas bien; aussi je la\ncrois moins soutenue que le comte par les charmes de la cour,\nquoiqu'elle y soit trait\u00e9e avec toutes les distinctions possibles. M.\n_de l'H\u00f4pital_ est mort[135]; c'\u00e9toit une de vos conqu\u00eates. Sa\nfemme[136] demeure avec quarante mille \u00e9cus de rente. Cela change fort\nson \u00e9tat; car on ne la faisoit vivre que des _infiniment petits_[137].\nL'abb\u00e9 _Testu_ est dans un \u00e9tat tr\u00e8s-digne de piti\u00e9. Ses vapeurs\naugmentent; au lieu de diminuer. Il y a trois mois qu'il n'a dormi. Il\nne mange plus, et son imagination se sent des d\u00e9sordres de son corps.\nAjoutez \u00e0 tous ses maux soixante-dix-huit ans, et vous jugerez que nous\naurons bien de la peine \u00e0 le tirer de l'\u00e9tat o\u00f9 il est. Quelle\ntristesse, madame, de voir disparo\u00eetre toutes les personnes avec qui\nl'on a v\u00e9cu! j'apprends dans ce moment la mort de madame _de\nBoisdauphin_. Je vous quitte avec regret, madame, pour aller au secours\nde madame _de Louvois_. Ce ne sera pourtant, qu'apr\u00e8s vous avoir\nsuppli\u00e9e de ne point oublier la mani\u00e8re dont je vous honore, j'ose dire\nplus, celle dont je vous aime. Je vois quelquefois madame _de\nLesdigui\u00e8res_; j'ai m\u00eame \u00e9t\u00e9 chez elle avec madame _de Simiane_, qui ne\nl'avoit point vue depuis la perte de son fils[138]. Cette derni\u00e8re\npr\u00e9tend que ce n'\u00e9toit point sa faute; mais il \u00e9toit un peu tard, je\nl'avoue. Elle vous adore (_madame de Lesdigui\u00e8res_); mais elle soutient,\net je suis de son avis, que ce n'est pas vous voir que de se souvenir de\nvous. Je crois le printemps revenu \u00e0 Marseille; car il se laisse\nentrevoir dans ce pays ci. J'oubliois de vous dire que l'abb\u00e9 _Testu_ a\n\u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-sensible \u00e0 l'honneur de votre souvenir, malgr\u00e9 la cruaut\u00e9 de\ntous ses maux.\nLETTRE L.\nA LA M\u00caME.\n_Paris, 3 mars 1704._\nJe me suis acquitt\u00e9e des ordres que vous m'avez donn\u00e9s, madame, et j'ai\nmille et mille remerc\u00eemens \u00e0 vous faire de madame _de Louvois_, qui m'a\nparu fort touch\u00e9e de votre attention \u00e0 son \u00e9gard. La pauvre femme a\nh\u00e9rit\u00e9 de cinquante-quatre mille livres de rente. Je ne l'en, crois pas\nplus heureuse, et je sais bien que je me sens tr\u00e8s-\u00e9loign\u00e9e de\nl'envier. Nous avons eu la duchesse _du Lude_ quatre jours ici. Cela\ndevient ridicule d'\u00eatre aussi belle qu'elle l'est; les ann\u00e9es coulent\nsur elle, comme l'eau sur la toile cir\u00e9e. Sa joie est tr\u00e8s-grande de\nl'heureuse grossesse de sa jeune princesse. Le P. _Massillon_ r\u00e9ussit \u00e0\nla cour, comme il a r\u00e9ussi \u00e0 Paris; mais on s\u00e8me souvent dans une terre\ningrate, quand on s\u00e8me \u00e0 la cour; c'est-\u00e0-dire que les personnes qui\nsont fort touch\u00e9es de sermons, sont d\u00e9j\u00e0 converties, et les autres\nattendent la gr\u00e2ce, souvent sans impatience; l'impatience seroit d\u00e9j\u00e0\nune grande gr\u00e2ce. En v\u00e9rit\u00e9, madame, M. le marquis _de Grignan_ est ce\nqui s'appelle un homme de bien, sans qu'il lui en co\u00fbte de d\u00e9plaire au\nmonde: au contraire, on, l'en aime davantage. Pour moi, j'avoue que je\nl'honore au dernier point. Madame _de Simiane_ se porte \u00e0 merveille;\nelle se dispose \u00e0 vous aller trouver ce printemps, puisque le duc de\nSavoie ajoute \u00e0 tous les maux qu'il nous fait, celui de vous obliger \u00e0\ndemeurer en Provence. Nous avons ici un voisin qui vous d\u00e9sire beaucoup\n\u00e0 Paris, madame: c'est M. le cardinal _d'Estr\u00e9es_. Il s'adonne fort \u00e0\nvenir ici les soirs; et j'ai \u00e9t\u00e9 assez peu polie pour le prier de ne les\npas pousser aussi loin qu'il faisoit. Mon antiquit\u00e9 ne me permet plus\nd'entretenir la compagnie au-del\u00e0 de neuf heures; et notre cardinal, qui\nest plus vif et plus jeune que jamais, ne s'amuse point \u00e0 savoir l'heure\nqu'il est. Je compte m'aller \u00e9tablir dans ma solitude[139] vers les\npremiers jours de mai. J'y verrai le mar\u00e9chal _de Catinat_, qui se\ntrouve toujours \u00e0 Saint-Gratien, pour y recevoir le premier rossignol.\nLe mar\u00e9chal _de Villars_ nous quitte pour aller habiter le quartier de\nRichelieu: il est si amoureux de sa belle mar\u00e9chale, qu'il est difficile\nqu'il soit heureux. Cette passion est ordinairement suivie d'une autre\nqui trouble le repos, lors m\u00eame qu'on a tout lieu de ne se point\ninqui\u00e9ter. Le mar\u00e9chal est souvent plus aise que s'il avoit \u00e9pous\u00e9 ma\nni\u00e8ce; mais il est bien moins tranquille qu'il ne l'auroit \u00e9t\u00e9. La\nbelle-m\u00e8re de ma ni\u00e8ce se meurt, et le pauvre _Termes_ mourut hier \u00e0 six\nheures du matin. L'abb\u00e9 _Testu_ a des maladies bien r\u00e9elles; il est \u00e0\ncraindre maintenant qu'on ne soit oblig\u00e9 de lui faire une op\u00e9ration.\nAjoutez \u00e0 ce mal un cruel rhumatisme, et vous jugerez, madame, que ses\nvapeurs ne sont pas le plus grand de tous ses maux. Il est comme _Job_\nsur son fumier, \u00e0 la patience pr\u00e8s; je suis tr\u00e8s-f\u00e2ch\u00e9e de son \u00e9tat.\nC'est, pour ainsi dire, demeurer seule sur la terre, que de voir\ndisparo\u00eetre tout ce que l'on a connu; ce qui est de certain, c'est que\nl'on n'y sera pas long-temps. Votre amie, madame _de Lesdigui\u00e8res_, fait\ndes merveilles pour la duchesse _de Lesdigui\u00e8res_, jadis madame _de\nCanaples_.\nVous savez, madame, que notre _Sanzei_ a \u00e9t\u00e9 fait brigadier.\nFIN.\nLETTRES\nDE\nMMES. DE VILLARS,\nDE COULANGES,\nET DE LA FAYETTE;\nDE NINON DE L'ENCLOS,\nET DE\nMADEMOISELLE A\u00cfSS\u00c9;\nAccompagn\u00e9es de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de LA\nCOQUETTE VENG\u00c9E, par NINON DE L'ENCLOS.\nSECONDE \u00c9DITION.\nTOME SECOND.\nA PARIS, Chez L\u00c9OPOLD COLLIN, Libraire, Rue G\u00eet-le-c\u0153ur, N\u00ba. 18.\nAN XIII.--1805.\nLETTRES\nDE\nMADAME DE LA FAYETTE.\nNOTICE\nSUR\nMme. DE LA FAYETTE.\nMarie-Magdeleine Pioche de la Vergne, comtesse _de la Fayette_, naquit,\nen 1632, d'Aymar _de la Vergne_, mar\u00e9chal de camp et gouverneur du\nH\u00e2vre-de-Gr\u00e2ce, et de Marie _de P\u00e9na_, d'une ancienne famille de\nProvence.\nMademoiselle _de la Vergne_ eut le bonheur d'avoir un p\u00e8re en qui le\nm\u00e9rite \u00e9galoit la tendresse. Il prit soin lui-m\u00eame de l'\u00e9ducation de sa\nfille, et cette \u00e9ducation fut \u00e0 la fois solide et brillante. Les lettres\net les arts concoururent \u00e0 embellir un heureux naturel. _M\u00e9nage_ et le\np\u00e8re _Rapin_ se charg\u00e8rent d'enseigner le latin \u00e0 mademoiselle _de la\nVergne_. Introduite de bonne heure dans la soci\u00e9t\u00e9 de l'h\u00f4tel de\nRambouillet, la justesse et la solidit\u00e9 naturelle de son esprit\nn'auroient peut-\u00eatre pas r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 la contagion du mauvais go\u00fbt, dont\ncet h\u00f4tel \u00e9toit le centre, si la lecture des auteurs latins ne lui e\u00fbt\noffert un pr\u00e9servatif, qu'\u00e0 cette \u00e9poque elle ne pouvoit encore trouver\ndans notre litt\u00e9rature. Du reste, elle mit autant de soin \u00e0 cacher son\nsavoir que d'autres en mettent \u00e0 l'\u00e9taler.\nEn 1655, \u00e2g\u00e9e de 22 ans, elle \u00e9pousa Fran\u00e7ois, comte _de la Fayette_,\nfr\u00e8re de mademoiselle _de la Fayette_, fille d'honneur d'Anne\n_d'Autriche_, connue par ses chastes amours avec _Louis XIII_. Madame\n_de la Fayette_ eut de son mari deux fils, dont l'un suivit la carri\u00e8re\ndes armes, et l'autre embrassa l'\u00e9tat eccl\u00e9siastique.\nDou\u00e9e d'un esprit cultiv\u00e9 et du talent d'\u00e9crire, madame _de la Fayette_\nne pouvoit manquer d'avoir une estime particuli\u00e8re pour ceux en qui les\nm\u00eames avantages se faisoient remarquer. Plusieurs gens de lettres furent\nadmis dans sa familiarit\u00e9. De ce nombre \u00e9toit _la Fontaine_, dont la\ndestin\u00e9e sembloit \u00eatre d'avoir les femmes les plus distingu\u00e9es pour\namies et pour bienfaitrices.\n_Segrais_ avoit d\u00e9plu \u00e0 _Mademoiselle_, au service de laquelle il \u00e9toit\nen qualit\u00e9 de gentilhomme ordinaire, pour avoir bl\u00e2m\u00e9 son projet de\nmariage avec _Lauzun_. Il fut oblig\u00e9 de quitter la maison de cette\nprincesse. Madame _de la Fayette_ le re\u00e7ut dans la sienne. Ce fut\npendant le s\u00e9jour qu'il y fit qu'elle composa _Zayde_ et _la princesse\nde Cl\u00e8ves_. Elle fit paro\u00eetre le premier de ces romans sous le nom de\n_Segrais_. Le succ\u00e8s en fut si prodigieux, que madame _de la Fayette_,\ntoute modeste qu'elle \u00e9toit, dut regretter de n'en pouvoir jouir qu'en\nsecret, et que _Segrais_, sur-tout, dut d\u00e9sirer de ne pas rester plus\nlong-temps charg\u00e9 d'une gloire, qui, croissant chaque jour, devenoit un\nfardeau \u00e9galement incommode pour sa d\u00e9licatesse et pour son\namour-propre. Il en rendit la jouissance \u00e0 celle qui en avoit la\npropri\u00e9t\u00e9, sans en rien retenir que l'honneur d'avoir donn\u00e9 quelques\navis pour la disposition de l'ouvrage. Sa renonciation fut sinc\u00e8re, et\nl'on y crut.\nLe docte _Huet_, depuis \u00e9v\u00eaque d'Avranches, fut li\u00e9 d'une amiti\u00e9\ntr\u00e8s-tendre avec madame _de la Fayette_. Il composa pour elle son\n_Trait\u00e9 de l'origine des Romans_, qui fut imprim\u00e9 en t\u00eate de _Zayde_.\nC'est \u00e0 ce sujet que madame _de la Fayette_ disoit \u00e0 _Huet: Nous avons\nmari\u00e9 nos enfans ensemble_.\nRien n'est plus connu que l'amiti\u00e9 de madame _de la Fayette_ et du duc\n_de la Rochefoucauld_, l'auteur des _Maximes_. Elle dura plus de\nvingt-cinq ans, et la mort seule en rompit les n\u0153uds. Ce ne seroit point\nassez de dire que M. _de la Rochefoucauld_ et madame _de la Fayette_ se\nvoyoient tous les jours; ils \u00e9toient continuellement ensemble; ils ne se\nquittoient pas. Le duc _de la Rochefoucauld_, apr\u00e8s l'\u00e9clat et les\nagitations de sa jeunesse, condamn\u00e9 \u00e0 la retraite et au repos, \u00e9loign\u00e9\ndes places et des honneurs, abandonn\u00e9 de ceux qui ne s'attachent qu'\u00e0 la\nfaveur, et de plus obs\u00e9d\u00e9 de maux tr\u00e8s-douloureux, se livroit trop\nsouvent aux acc\u00e8s d'une injuste misantropie. Dans cette position, quelle\nsoci\u00e9t\u00e9 pouvoit lui \u00eatre plus n\u00e9cessaire que celle d'une femme aimable\net bonne, qui embell\u00eet sa solitude, rempl\u00eet le vide de son \u00e2me, adouc\u00eet\nson humeur et ses chagrins, dont l'attachement d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9 f\u00fbt une\ncontinuelle r\u00e9futation de son triste syst\u00e8me, dont l'entretien f\u00eet une\nagr\u00e9able diversion aux maux qu'elle ne parviendroit pas \u00e0 soulager par\nses soins, qui attir\u00e2t chez lui, aupr\u00e8s de qui il p\u00fbt trouver ce choix\nd'hommes instruits et de femmes spirituelles, si pr\u00e9f\u00e9rable \u00e0 la foule\ndes courtisans frivoles et perfides? Telle \u00e9toit madame _de la Fayette_\npour M. _de la Rochefoucauld_. Son ami mourut; elle fut inconsolable.\nAccabl\u00e9e par le chagrin et les infirmit\u00e9s, ayant perdu ce qui\nl'attachoit le plus au monde, elle se jeta toute enti\u00e8re dans le sein de\nDieu. Les derni\u00e8res ann\u00e9es de sa vie furent consacr\u00e9es aux pratiques de\nla pi\u00e9t\u00e9 la plus aust\u00e8re; elle mourut en 1693, dans sa soixanti\u00e8me\nann\u00e9e.\nLe trait le plus marqu\u00e9 de son caract\u00e8re, \u00e9toit la franchise. M. _de la\nRochefoucauld_ lui avoit dit qu'elle \u00e9toit _vraie_. Ce mot qui n'avoit\npoint encore \u00e9t\u00e9 employ\u00e9 dans cette acception, parut la peindre\nparfaitement, et d\u00e8s lors chacun le lui appliqua.\nSon caract\u00e8re et sa conduite ont \u00e9t\u00e9 attaqu\u00e9s; mais la malignit\u00e9 connue\nde ses d\u00e9tracteurs suffit presque seule pour r\u00e9futer leurs accusations.\nIl suffit de nommer _la Beaumelle_, historien infid\u00e8le, qui presque\ntoujours mettoit \u00e0 la place de la v\u00e9rit\u00e9 les caprices de son humeur ou\nles saillies de son imagination; et _Bussy-Rabutin_, ce satirique\nimpitoyable qui n'\u00e9pargna ni le roi ni madame _de S\u00e9vign\u00e9_, sa cousine,\nc'est-\u00e0-dire, ce qu'il y avoit de plus puissant et de plus aimable. Aux\ncalomnies de pareils hommes, opposons un t\u00e9moignage, qui, pour \u00eatre\nfavorable, n'en est pas moins digne de foi. C'est celui de madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_. \u00abMadame _de la Fayette_, \u00e9crivoit-elle \u00e0 sa fille, est une\nfemme aimable et estimable, que vous aimiez d\u00e8s que vous aviez le temps\nd'\u00eatre avec elle, et de faire usage de son esprit et de sa raison. Plus\non la conno\u00eet, plus on s'y attache.\u00bb\nMadame _de la Fayette_ avoit l'esprit \u00e9minemment juste. _Segrais_ lui\navoit dit: _Votre jugement est sup\u00e9rieur \u00e0 votre esprit._ Cette opinion\nlui avoit paru tr\u00e8s-flatteuse. On sent que pour bien go\u00fbter une pareille\nlouange, il faut la m\u00e9riter. Elle ne portoit dans la conversation ni les\nsaillies \u00e9tincelantes et caustiques de madame _Cornuel_, ni la vivacit\u00e9\nspirituelle de madame _de Coulanges_, ni l'aimable abandon de madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_; mais ses discours \u00e9toient d'une pr\u00e9cision \u00e9l\u00e9gante et\ning\u00e9nieuse. On a retenu d'elle plusieurs mots, entr'autres celui-ci:\n_Les sots traducteurs ressemblent \u00e0 des laquais ignorans qui changent en\nsottises les complimens dont on les charge._\nIl est inutile de s'\u00e9tendre ici sur ses ouvrages que tout le monde\nconno\u00eet. _Zayde, la princesse de Cl\u00e8ves, la comt\u00e8sse de Tende_ et _la\nprincesse de Montpensier_, seront lues avec plaisir aussi long-temps\nqu'on sera sensible \u00e0 la d\u00e9licatesse des sentimens, aux gr\u00e2ces et au\nnaturel du style. Outre ses romans, elle avoit compos\u00e9 un assez grand\nnombre d'ouvrages historiques; mais les manuscrits se sont perdus par la\nn\u00e9gligence de l'abb\u00e9 _de la Fayette_, son fils, qui les pr\u00eatoit \u00e0 tout\nle monde, et ne les redemandoit pas. On n'a conserv\u00e9 que deux de ces\n\u00e9crits; l'un est intitul\u00e9: _M\u00e9moires de la cour de France, pour les\nann\u00e9es 1688 et 1689_; l'autre est l'histoire de madame Henriette-Anne\n_d'Angleterre_, premi\u00e8re femme de _Monsieur_.\nOn a encore de madame _de la Fayette_ un portrait de madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_, l'un des meilleurs qu'on ait faits dans ce si\u00e8cle o\u00f9 l'on en\nfit tant. L'amiti\u00e9 retra\u00e7a fid\u00e8lement les traits d'un mod\u00e8le qu'elle\nn'avoit pas besoin d'embellir. Ce portrait a \u00e9t\u00e9 plac\u00e9 dans le volume\nque nous publions \u00e0 la suite des lettres de madame _de la Fayette_.\nCes lettres, qui sont au nombre de quatorze, sont adress\u00e9es \u00e0 cette m\u00eame\nmadame _de S\u00e9vign\u00e9_, dont elles ne d\u00e9pareroient pas le recueil. On peut\ncroire que, si madame _de la Fayette_ se f\u00fbt livr\u00e9e davantage au\ncommerce \u00e9pistolaire, elle e\u00fbt approch\u00e9 en ce genre du talent et de la\nr\u00e9putation de son amie; \u00abmais, lui \u00e9crivoit-elle un jour, le go\u00fbt\nd'\u00e9crire m'est pass\u00e9 pour tout le monde; et, si j'avois un amant qui\nvoul\u00fbt de mes lettres tous les patins, je romprois avec lui.\u00bb\nLETTRES\nDE\nMADAME DE LA FAYETTE,\nA MADAME DE S\u00c9VIGN\u00c9.\nLETTRE PREMI\u00c8RE.\nParis, 30 d\u00e9cembre 1672.\nJ'ai vu votre grande lettre \u00e0 _d'Hacqueville_: je comprends fort bien\ntout ce que vous lui mandez sur l'\u00e9v\u00eaque de Marseille; il faut que le\npr\u00e9lat ait tort, puisque vous vous en plaignez. Je montrerai votre\nlettre \u00e0 _Langlade_, et j'ai bien envie encore de la faire voir \u00e0 madame\n_du Plessis_; car elle est tr\u00e8s-pr\u00e9venue en faveur de l'\u00e9v\u00eaque. Les\nProven\u00e7aux sont des gens d'un caract\u00e8re tout particulier.\nVoil\u00e0 un paquet que je vous envoie pour madame _de Northumberland_. Vous\nne comprendrez pas ais\u00e9ment pourquoi je suis charg\u00e9e de ce paquet; il\nvient du comte _de Sunderland_, qui est pr\u00e9sentement ambassadeur ici. Il\nest fort de ses amis; il lui a \u00e9crit plusieurs fois; mais n'ayant point\nde r\u00e9ponse, il croit qu'on arr\u00eate ses lettres, et M. _de la\nRochefoucauld_, qu'il voit tr\u00e8s-souvent, s'est charg\u00e9 de faire tenir le\npaquet dont il s'agit. Je vous supplie donc, comme vous n'\u00eates plus \u00e0\nAix, de le renvoyer par quelqu'un de confiance, et d'\u00e9crire un mot \u00e0\nmadame _de Northumberland_, afin qu'elle vous fasse r\u00e9ponse, et qu'elle\nvous mande qu'elle l'a re\u00e7u; vous m'enverrez sa r\u00e9ponse. On dit ici que\nsi M. _de Montaigu_ n'a pas un heureux succ\u00e8s dans son voyage, il\npassera en Italie pour faire voir que ce n'est pas pour les beaux yeux\nde madame _de Northumberland_ qu'il court le pays: mandez-nous un peu ce\nque vous verrez de cette affaire, et comment il sera trait\u00e9.\nLa _Marans_ est dans une d\u00e9votion et dans un esprit de douceur et de\np\u00e9nitence qui ne se peuvent comprendre: sa s\u0153ur[140], qui ne l'aime pas,\nen est surprise et charm\u00e9e; sa personne est chang\u00e9e \u00e0 n'\u00eatre pas\nreconnoissable: elle paro\u00eet soixante ans. Elle trouva mauvais que sa\ns\u0153ur m'e\u00fbt cont\u00e9 ce qu'elle lui avoit dit sur cet enfant de M. _de\nLongueville_, et elle se plaignit aussi de moi de ce que je l'avois\nredonn\u00e9 au public; mais ses plaintes \u00e9toient si douces, que _Montalais_\nen \u00e9toit confondue pour elle et pour moi; en sorte que, pour m'excuser,\nelle lui dit que j'\u00e9tois inform\u00e9e de la belle opinion qu'elle avoit que\nj'aimois M. _de Longueville_. La _Marans_, avec un esprit admirable,\nr\u00e9pondit que puisque je savois cela, elle s'\u00e9tonnoit que je n'en eusse\npas dit davantage, et que j'avois raison de me plaindre d'elle. On\nparla de madame _de Grignan_; elle en dit beaucoup de bien, mais sans\naucune affectation. Elle ne voit plus qui que ce soit au monde, sans\nexception; si Dieu fixe cette bonne t\u00eate-l\u00e0, ce sera un des grands\nmiracles que j'aurai jamais vus.\nJ'allai hier au Palais-Royal avec madame _de Monaco_; je m'y enrhumai \u00e0\nmourir: j'y pleurai _Madame_[141] de tout mon c\u0153ur. Je fus surprise de\nl'esprit de celle-ci[142]; non pas de son esprit agr\u00e9able, mais de son\nesprit de bon sens: elle se mit sur le ridicule de M. _de Meckelbourg_\nd'\u00eatre \u00e0 Paris pr\u00e9sentement; et je vous assure que l'on ne peut mieux\ndire. C'est une personne tr\u00e8s-opini\u00e2tre et tr\u00e8s-r\u00e9solue, et assur\u00e9ment\nde bon go\u00fbt; car elle hait madame _de Gourdon_ \u00e0 ne la pouvoir\nsouffrir. _Monsieur_ me fit toutes les caresses du monde au nez de la\nmar\u00e9chale _de Cl\u00e9rembault_[143]; j'\u00e9tois soutenue _de la Fienne_, qui la\nhait mortellement, et \u00e0 qui j'avois donn\u00e9 \u00e0 d\u00eener il n'y a que deux\njours. Tout le monde croit que la comtesse _du Plessis_[144] va \u00e9pouser\n_Cl\u00e9rembault_.\nM. _de la Rochefoucauld_ vous fait cent mille complimens; il y a quatre\nou cinq jours qu'il ne sort point; il a la goutte en miniature. J'ai\nmand\u00e9 \u00e0 madame _du Plessis_ que vous m'aviez \u00e9crit des merveilles de son\nfils. Adieu, ma belle, vous savez combien je vous aime.\nLETTRE II.\nParis, 27 f\u00e9vrier 1673.\nMadame _Bayard_ et M. _de la Fayette_ arrivent dans ce moment; cela\nfait, ma belle, que je ne vous puis dire que deux mots de votre fils: il\nsort d'ici, et m'est venu dire adieu, et me prier de vous \u00e9crire ses\nraisons sur l'argent: elles sont si bonnes que je n'ai pas besoin de\nvous les expliquer fort au long; car vous voyez, d'o\u00f9 vous \u00eates, la\nd\u00e9pense d'une campagne qui ne finit point. Tout le monde est au\nd\u00e9sespoir et se ruine. Il est impossible que votre fils ne fasse pas un\npeu comme les autres, et, de plus, la grande amiti\u00e9 que vous avez pour\nmadame _de Grignan_, fait qu'il en faut t\u00e9moigner \u00e0 son fr\u00e8re. Je laisse\nau grand _d'Hacqueville_ \u00e0 vous en dire davantage. Adieu, ma\ntr\u00e8s-ch\u00e8re.\nLETTRE III.\nParis, 15 avril, 1673.\nMadame _de Northumberland_ me vint voir hier; j'avois \u00e9t\u00e9 la chercher\navec madame _de Coulanges_: elle me parut une femme qui a \u00e9t\u00e9 fort\nbelle, mais qui n'a plus un seul trait de visage qui se soutienne, ni o\u00f9\nil soit rest\u00e9 le moindre air de jeunesse; j'en fus surprise: elle est,\navec cela, mal habill\u00e9e; point de gr\u00e2ce; enfin, je n'en fus point du\ntout \u00e9blouie; elle me parut entendre fort bien tout ce qu'on dit, ou,\npour mieux dire, ce que je dis; car j'\u00e9tois seule. M. _de la\nRochefoucauld_ et madame _de Thianges_, qui avoient envie de la voir, ne\nvinrent que comme elle sortoit. _Montaigu_ m'avoit mand\u00e9 qu'elle\nviendroit me voir; je lui ai fort parl\u00e9 d'elle; il ne fait aucune fa\u00e7on\nd'\u00eatre embarqu\u00e9 \u00e0 son service, et paro\u00eet tr\u00e8s-rempli d'esp\u00e9rance. M.\n_de Chaulnes_ partit hier, et le comte _Tot_ aussi; ce dernier est\ntr\u00e8s-afflig\u00e9 de quitter la France: je l'ai vu quasi tous les jours,\npendant qu'il a \u00e9t\u00e9 ici; nous avons trait\u00e9 votre chapitre plusieurs\nfois. La mar\u00e9chale _de Grammont_ s'est trouv\u00e9e mal; _d'Hacqueville_ y a\n\u00e9t\u00e9, toujours courant, lui mener un m\u00e9decin: il est, en v\u00e9rit\u00e9, un peu\n\u00e9tendu dans ses soins. Adieu, mon amie: j'ai le sang si \u00e9chauff\u00e9, et\nj'ai tant eu de tracas ces jours pass\u00e9s, que je n'en puis plus; je\nvoudrois bien vous voir pour me rafra\u00eechir le sang.\nLETTRE IV.\nParis, 19 mai 1673.\nJe vais demain \u00e0 Chantilli: c'est ce m\u00eame voyage que j'avois commenc\u00e9\nl'ann\u00e9e pass\u00e9e jusque sur le Pont-neuf, o\u00f9 la fi\u00e8vre me prit; je ne sais\npas s'il arrivera quelque chose d'aussi bizarre, qui m'emp\u00eache encore de\nl'ex\u00e9cuter: nous y allons, la m\u00eame compagnie, et rien de plus.\nMadame _du Plessis_ \u00e9toit si charm\u00e9e de votre lettre, qu'elle me l'a\nenvoy\u00e9e; elle est enfin partie pour sa Bretagne. J'ai donn\u00e9 vos lettres\n\u00e0 _Langlade_, qui m'en a paru tr\u00e8s-content; il honore toujours beaucoup\nmadame _de Grignan_. _Montaigu_ s'en va: on dit que ses esp\u00e9rances sont\nrenvers\u00e9es; je crois qu'il y a quelque chose de travers dans l'esprit de\nla nymphe[145]. Votre fils est amoureux, comme un perdu, de\nmademoiselle _de Poussai_; il n'aspire qu'\u00e0 \u00eatre aussi transi que _la\nFare_. M. _de la Rochefoucauld_ dit que l'ambition de _S\u00e9vign\u00e9_ est de\nmourir d'un amour qu'il n'a pas; car nous ne le tenons pas du bois dont\non fait les fortes passions. Je suis d\u00e9go\u00fbt\u00e9e de celle de _la Fare_:\nelle est trop grande et trop esclave; sa ma\u00eetresse ne r\u00e9pond pas au plus\npetit de ses sentimens: elle soupa chez _Longueil_ et assista \u00e0 une\nmusique le soir m\u00eame qu'il partit. Souper en compagnie quand son amant\npart, et qu'il part pour l'arm\u00e9e, me paro\u00eet un crime capital; je ne sais\npas si je m'y connois. Adieu, ma belle.\nLETTRE V.\nParis, 26 mai 1673.\nSi je n'avois la migraine, je vous rendrois compte de mon voyage de\nChantilli, et je vous dirois que de tous les lieux que le soleil \u00e9clair,\nil n'y en a point un pareil \u00e0 celui-l\u00e0. Nous n'y avons pas eu un trop\nbeau temps; mais la beaut\u00e9 de la chasse dans les carosses vitr\u00e9s a\nsuppl\u00e9\u00e9 \u00e0 ce qui nous manquoit. Nous y avons \u00e9t\u00e9 cinq ou six jours; nous\nvous y avons extr\u00eamement souhait\u00e9e, non-seulement par amiti\u00e9, mais parce\nque vous \u00eates plus digne que personne du monde d'admirer ces beaut\u00e9s-l\u00e0.\nJ'ai trouv\u00e9 ici, \u00e0 mon retour, deux de vos lettres. Je ne pus faire\nachever celle-ci vendredi, et je ne puis l'achever moi-m\u00eame aujourd'hui,\ndont je suis bien f\u00e2ch\u00e9e; car il me semble qu'il y a long-temps que je\nn'ai caus\u00e9 avec vous. Pour r\u00e9pondre \u00e0 vos questions, je vous dirai que\nmadame _de Brissac_[146] est toujours \u00e0 l'h\u00f4tel de Conti, environn\u00e9e de\npeu d'amans, et d'amans peu propres \u00e0 faire du bruit; de sorte qu'elle\nn'a pas grand besoin du _manteau de sainte Ursule_. Le premier pr\u00e9sident\nde Bordeaux est amoureux d'elle comme un fou; il est vrai que ce n'est\npas d'ailleurs une t\u00eate bien timbr\u00e9e. _Monsieur_ le Premier et ses\nenfans sont aussi fort assidus aupr\u00e8s d'elle; M. _de Montaigu_ ne l'a,\nje crois, point vue de ce voyage-ci, de peur de d\u00e9plaire \u00e0 madame _de\nNorthumberland_, qui part aujourd'hui; _Montaigu_ l'a devanc\u00e9e de deux\njours; tout cela ne laisse pas douter qu'il ne l'\u00e9pouse. Madame _de\nBrissac_ joue toujours la d\u00e9sol\u00e9e, et affecte une tr\u00e8s-grande\nn\u00e9gligence. La comtesse du _Plessis_ a servi de dame d'honneur deux\njours avant que _Monsieur_ soit parti; sa belle-m\u00e8re[147] n'y avoit pas\nvoulu consentir auparavant. Elle n'\u00e9gratigne point M. _de Monaco_; je\ncrois qu'elle se fait justice, et qu'elle trouve que la seconde place de\nchez _Madame_ est assez bonne pour la femme de _Cl\u00e9rembault_; elle le\nsera assur\u00e9ment dans un mois, si elle ne l'est d\u00e9j\u00e0.\nNous allons d\u00eener \u00e0 Livri; M. _de la Rochefoucauld_, _Morangis_,\n_Coulanges_ et moi; c'est une chose qui me paro\u00eet bien \u00e9trange, d'aller\nd\u00eener \u00e0 Livri, et que ce ne soit pas avec vous. L'abb\u00e9 _Testu_[148] est\nall\u00e9 \u00e0 Fontevrault; je suis tromp\u00e9e, s'il n'e\u00fbt mieux fait de n'y pas\naller, et si ce voyage-l\u00e0 ne d\u00e9pla\u00eet \u00e0 des gens \u00e0 qui il est bon de ne\npas d\u00e9plaire.\nL'on dit que madame _de Montespan_ est demeur\u00e9e \u00e0 Courtrai. Je re\u00e7ois\nune petite lettre de vous: si vous n'avez pas re\u00e7u des miennes, c'est\nque j'ai bien eu des tracas; je vous conterai mes raisons quand vous\nserez ici. M. _le Duc_ s'ennuie beaucoup \u00e0 Utrecht; les femmes y sont\nhorribles: voici un petit conte sur son sujet. Il se familiarisoit avec\nune jeune femme de ce pays-l\u00e0, pour se d\u00e9sennuyer apparemment, et, comme\nles familiarit\u00e9s \u00e9toient sans doute un peu grandes, elle lui dit: _Pour\nDieu! Monseigneur, votre altesse a la bont\u00e9 d'\u00eatre trop insolente._\nC'est _Briole_ qui m'a \u00e9crit cela; j'ai jug\u00e9 que vous en seriez charm\u00e9e,\ncomme moi. Adieu, ma belle; je suis toute \u00e0 vous assur\u00e9ment.\nLETTRE VI.\nParis, 30 juin 1673.\nH\u00e9 bien! h\u00e9 bien! ma belle, qu'avez-vous \u00e0 crier comme un aigle? Je vous\ndemande que vous attendiez \u00e0 juger de moi quand vous serez ici; qu'y\na-t-il de si terrible \u00e0 ces paroles: _Mes journ\u00e9es sont remplies?_ Il\nest vrai que _Bayard_ est ici, et qu'il fait mes affaires; mais quand il\na couru tout le jour pour mon service, \u00e9crirai-je? Encore faut-il lui\nparler. Quand j'ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. _de la\nRochefoucauld_ que je n'ai point vu de tout le jour; \u00e9crirai-je? M. _de\nla Rochefoucauld_ et _Gourville_ sont ici; \u00e9crirai-je? Mais quand ils\nsont sortis? Ah! quand ils sont sortis! il est onze heures, et je sors,\nmoi; je couche chez nos voisins, \u00e0 cause qu'on b\u00e2tit devant mes\nfen\u00eatres. Mais l'apr\u00e8s-d\u00een\u00e9e? J'ai mal \u00e0 la t\u00eate. Mais le matin? J'y ai\nmal encore, et je prends des bouillons d'herbes qui m'enivrent. Vous\n\u00eates en Provence, ma belle, vos heures sont libres, et votre t\u00eate encore\nplus; le go\u00fbt d'\u00e9crire vous dure encore pour tout le monde; il m'est\npass\u00e9 pour tout le monde, et si j'avois un amant qui voul\u00fbt de mes\nlettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point\nnotre amiti\u00e9 sur l'\u00e9criture; je vous aimerai autant, en ne vous \u00e9crivant\nqu'une page en un mois, que vous, en m'en \u00e9crivant dix en huit jours.\nQuand je suis \u00e0 St.-Maur, je puis \u00e9crire, parce que j'ai plus de t\u00eate et\nplus de loisir; mais je n'ai pas celui d'y \u00eatre: je n'y ai pass\u00e9 que\nhuit jours de cette ann\u00e9e. Paris me tue. Si vous saviez comme je ferois\nma cour \u00e0 des gens \u00e0 qui il est tr\u00e8s-bon de la faire, d'\u00e9crire souvent\ntoutes sortes de folies, et combien je leur en \u00e9cris peu, vous jugeriez\nais\u00e9ment que je ne fais pas ce que je veux l\u00e0-dessus. Il y a aujourd'hui\ntrois ans que je vis mourir _Madame_: je relus hier plusieurs de ses\nlettres; je suis toute pleine d'elle. Adieu, ma tr\u00e8s-ch\u00e8re: vos\nd\u00e9fiances seules composent votre unique d\u00e9faut, et la seule chose qui\npeut me d\u00e9plaire en vous. M. _de la Rochefoucauld_ vous \u00e9crira.\nLETTRE VII.\nParis, 14 juillet 1673.\nVoici ce que j'ai fait depuis que je ne vous ai \u00e9crit: j'ai eu deux\nacc\u00e8s de fi\u00e8vre: il y a six mois que je n'ai \u00e9t\u00e9 purg\u00e9e; on me purge une\nfois, on me purge deux; le lendemain de la deuxi\u00e8me, je me mets \u00e0 table:\nah! ah! j'ai mal au c\u0153ur, je ne veux point de potage: mangez donc un peu\nde viande; non, je n'en veux point; mais vous mangerez du fruit; je\ncrois qu'oui: h\u00e9 bien! mangez-en donc; je ne saurois, je mangerai\ntant\u00f4t: que l'on m'ait ce soir un potage et un poulet. Voici le soir,\nvoil\u00e0 un potage et un poulet; je n'en veux point, je suis d\u00e9go\u00fbt\u00e9e, je\nm'en vais me coucher; j'aime mieux dormir que de manger. Je me couche,\nje me tourne, je me retourne, je n'ai point de mal, mais je n'ai point\nde sommeil aussi; j'appelle, je prends un livre, je le referme; le jour\nvient, je me l\u00e8ve, je vais \u00e0 la fen\u00eatre; quatre heures sonnent, cinq\nheures, six heures; je me recouche, je m'endors jusqu'\u00e0 sept: je me l\u00e8ve\n\u00e0 huit, je me mets \u00e0 table \u00e0 douze inutilement, comme la veille; je me\nremets dans mon lit le soir inutilement, comme l'autre nuit. \u00cates-vous\nmalade? nenni. \u00cates-vous plus foible? nenni. Je suis dans cet \u00e9tat trois\njours et trois nuits: je redors pr\u00e9sentement; mais je ne mange encore\nque par machine, comme les chevaux, en me frottant la bouche de\nvinaigre: du reste, je me porte bien, et je n'ai pas m\u00eame si mal \u00e0 la\nt\u00eate. Je viens d'\u00e9crire des folies \u00e0 _M. le Duc._ Si je puis, j'irai\ndimanche \u00e0 Livri pour un jour ou deux. Je suis tr\u00e8s-aise d'aimer madame\n_de Coulanges_ \u00e0 cause de vous. R\u00e9solvez-vous, ma belle, de me voir\nsoutenir toute ma vie, \u00e0 la pointe de mon \u00e9loquence, que je vous aime\nplus encore que vous ne m'aimez: j'en ferois convenir _Corbinelli_ en un\ndemi-quart d'heure: au reste, mandez-moi bien de ses nouvelles; tant de\nbonnes volont\u00e9s seront-elles toujours inutiles \u00e0 ce pauvre homme? Pour\nmoi, je crois que c'est son m\u00e9rite qui leur porte malheur. _Segrais_\nporte aussi guignon; madame _de Thianges_ est des amies de _Corbinelli_,\nmadame _Scarron_, mille personnes, et je ne lui vois plus aucune\nesp\u00e9rance de quoi que ce puisse \u00eatre. On donne des pensions aux beaux\nesprits; c'est un fonds abandonn\u00e9 \u00e0 cela; il en m\u00e9rite mieux que tous\nceux qui en ont; point de nouvelles, on ne peut rien obtenir pour lui.\nJe dois voir demain madame _de Vill......_; c'est une certaine ridicule\n\u00e0 qui M. _d'Ambre_ a fait un enfant. Elle l'a plaid\u00e9, et a perdu son\nproc\u00e8s. Elle conte toutes les circonstances de son aventure; il n'y a\nrien au monde de pareil. Elle pr\u00e9tend avoir \u00e9t\u00e9 forc\u00e9e: vous jugez bien\nque cela-conduit \u00e0 de beaux d\u00e9tails. La _Marans_ est une sainte; il n'y\na point de raillerie: cela me paro\u00eet un miracle. La _Bonnetot_ est\nd\u00e9vote aussi; elle a \u00f4t\u00e9 son \u0153il de verre; elle ne met plus de rouge, ni\nde boucles. Madame _de Monaco_ ne fait pas de m\u00eame; elle me vint voir\nl'autre jour, bien blanche: elle est favorite et engou\u00e9e de cette\n_Madame_-ci tout comme de l'autre: cela est bizarre. _Langlade_ s'en va\ndemain en Poitou pour deux ou trois mois. M. _de Marsillac_ est ici: il\npart lundi pour aller \u00e0 Bar\u00e8ge; il ne s'aide pas de son bras. Madame la\ncomtesse _du Plessis_ va se marier: elle a pens\u00e9 acheter _Fr\u00eane_. M. _de\nla Rochefoucauld_ se porte tr\u00e8s-bien: il vous fait mille et mille\ncomplimens et \u00e0 _Corbinelli_. Voici une question entre deux maximes:\n_On pardonne les infid\u00e9lit\u00e9s; mais on ne les oublie point._\n_On oublie les infid\u00e9lit\u00e9s; mais on ne les pardonne point._\n\u00abAimez-vous mieux avoir fait une infid\u00e9lit\u00e9 \u00e0 votre amant, que vous\naimez pourtant toujours; ou qu'il vous en ait fait une, et qu'il vous\naime aussi toujours?\u00bb On n'entend pas par infid\u00e9lit\u00e9, avoir quitt\u00e9 pour\nun autre; mais avoir fait une faute consid\u00e9rable. Adieu: je suis bien en\ntrain de jaser; voil\u00e0 ce que c'est que de ne point manger et ne point\ndormir. J'embrasse madame _de Grignan_ et toutes ses perfections.\nLETTRE VIII.\nParis, 4 septembre 1673.\nJe suis \u00e0 St.-Maur; j'ai quitt\u00e9 toutes mes affaires et tous mes amis.\nJ'ai mes enfans et le beau temps, cela me suffit. Je prends des eaux de\nForges; je songe \u00e0 ma sant\u00e9: je ne vois personne, je ne m'en soucie\npoint du tout. Tout le monde me paro\u00eet si attach\u00e9 \u00e0 ses plaisirs, et \u00e0\ndes plaisirs qui d\u00e9pendent enti\u00e8rement des autres, que je me trouve\navoir un don des f\u00e9es, d'\u00eatre de l'humeur dont je suis. Je ne sais si\nmadame _de Coulanges_ ne vous aura point mand\u00e9 une conversation d'une\napr\u00e8s-d\u00een\u00e9e de chez _Gourville_, o\u00f9 \u00e9toient madame _Scarron_ et l'abb\u00e9\n_Testu_, sur les personnes _qui ont le go\u00fbt au-dessus ou au-dessous de\nleur esprit_; nous nous jet\u00e2mes dans des subtilit\u00e9s, o\u00f9 nous\nn'entendions plus rien. Si l'air de la Provence, qui subtilise encore\ntoutes choses, vous augmente, nos visions l\u00e0-dessus, vous serez dans les\nnues. _Vous avez le go\u00fbt au-dessus de votre esprit, et M._ de la\nRochefoucauld _aussi, et moi encore; mais pas tant que vous deux._ Voil\u00e0\ndes exemples qui vous guideront. M. _de Coulanges_ m'a dit que votre\nvoyage \u00e9toit encore retard\u00e9: pourvu que vous rameniez madame _de\nGrignan_, je n'en murmure pas: si vous ne la ramenez point, c'est une\ntrop longue absence. Mon go\u00fbt augmente \u00e0 vue d'\u0153il pour la sup\u00e9rieure\ndu Calvaire; j'esp\u00e8re qu'elle me rendra bonne. Le cardinal _de Retz_ est\nbrouill\u00e9 pour jamais avec moi, de m'avoir refus\u00e9 la permission d'entrer\nchez elle; je la vois quasi tous les jours; j'ai vu enfin son\nvisage[149]: il est agr\u00e9able, et l'on s'aper\u00e7oit bien qu'il a \u00e9t\u00e9 beau.\nElle n'a que quarante ans; mais l'aust\u00e9rit\u00e9 de la r\u00e8gle l'a fort\nchang\u00e9e. Madame _de Grignan_ a fait des merveilles d'avoir \u00e9crit \u00e0 la\n_Marans_. Je n'ai pas \u00e9t\u00e9 si sage; car je fus, l'autre jour, chercher\nmadame de _Schomberg_[150], et je ne la demandai point. Adieu, ma belle;\nje souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amiti\u00e9.\nJ'ai re\u00e7u les cinq cents livres, il y a long-temps. Il me semble que\nl'argent est si rare, qu'on n'en devroit point prendre de ses amis.\nFaites mes excuses \u00e0 M. l'abb\u00e9 (_de Coulanges_), de ce que je l'ai re\u00e7u.\nLETTRE IX.\nParis, 8 octobre 1689.\nMon style sera laconique, je n'ai point de t\u00eate: j'ai eu la fi\u00e8vre, j'ai\ncharg\u00e9 M. _du Bois_ de vous le mander.\nVotre affaire est manqu\u00e9e et sans rem\u00e8de; l'on y a fait des merveilles\nde toutes parts: je doute que M. _de Chaulnes_ en personne l'e\u00fbt pu\nfaire. Le roi n'a t\u00e9moign\u00e9 nulle r\u00e9pugnance pour M. _de S\u00e9vign\u00e9_; mais\nil \u00e9toit engag\u00e9, il y a long-temps: il l'a dit \u00e0 tous ceux qui pensoient\n\u00e0 la d\u00e9putation; il faut laisser nos esp\u00e9rances jusqu'aux \u00e9tats\nprochains. Ce n'est pas de quoi il est question pr\u00e9sentement: il est\nquestion, ma belle, qu'il ne faut point que vous passiez l'hiver en\nBretagne \u00e0 quelque prix que ce soit. Vous \u00eates vieille; les Rochers[151]\nsont pleins de bois; les catarrhes et les fluxions vous accableront.\nVous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera: tout\ncela est s\u00fbr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout\nce que je vous dis. Ne me parlez point d'argent ni de dettes: je vous\nferme la bouche sur tout. M. _de S\u00e9vign\u00e9_ vous donne son \u00e9quipage. Vous\nvenez \u00e0 Malicorne: vous y trouvez les chevaux et la cal\u00e8che de M. _de\nChaulnes_. Vous voil\u00e0 \u00e0 Paris: vous allez descendre \u00e0 l'h\u00f4tel de\nChaulnes; votre maison n'est pas pr\u00eate, vous n'avez point de chevaux,\nc'est en attendant: \u00e0 votre loisir, vous vous remettrez chez vous.\nVenons au fait: vous payez une pension \u00e0 M. _de S\u00e9vign\u00e9_; vous avez ici\nun m\u00e9nage: mettez le tout ensemble, cela fait de l'argent; car votre\nlouage de maison va toujours. Vous direz: Mais je dois, et je paierai\navec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille \u00e9cus, dont vous payez\nce qui vous presse; qu'on vous les pr\u00eate sans int\u00e9r\u00eat, et que vous les\nrembourserez petit \u00e0 petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d'o\u00f9\nils viennent, ni de qui c'est: on ne vous le dira pas; mais ce sont gens\nqui sont bien assur\u00e9s qu'ils ne les perdront pas. Point de raisonnemens\nl\u00e0-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues; il faut venir: tout\nce que vous m'\u00e9crirez, je ne le lirai seulement pas; et en un mot, ma\nbelle, il faut venir, ou renoncer \u00e0 mon amiti\u00e9, \u00e0 celle de madame _de\nChaulnes_ et \u00e0 celle de madame _de Lavardin_. Nous ne voulons point\nd'une amie, qui veut vieillir et mourir par sa faute; il y a de la\nmis\u00e8re et de la pauvret\u00e9 \u00e0 votre conduite; il faut venir d\u00e8s qu'il fera\nbeau.\nLETTRE X.\nParis, 20 septembre 1690.\nVous avez re\u00e7u ma r\u00e9ponse avant que j'aie re\u00e7u votre lettre. Vous aurez\nvu, par celle de madame _de Lavardin_ et par la mienne, que nous\nvoulions vous faire aller en Provence, puisque vous ne veniez point \u00e0\nParis; c'est tout ce qu'il y a de meilleur \u00e0 faire: le soleil est plus\nbeau, vous aurez compagnie; je dis m\u00eame, s\u00e9par\u00e9e de madame _de Grignan_,\nqui n'est pas peu; un gros ch\u00e2teau, bien des gens; enfin, c'est vivre\nque d'\u00eatre l\u00e0. Je loue extr\u00eamement monsieur votre fils de consentir \u00e0\nvous perdre pour votre int\u00e9r\u00eat; si j'\u00e9tois en train d'\u00e9crire, je lui en\nferois des complimens: partez tout le plut\u00f4t qu'il vous sera possible.\nMandez-nous par quelles villes vous passerez, et \u00e0 peu pr\u00e8s le temps:\nvous y trouverez de nos lettres. Je suis dans des vapeurs les plus\ntristes et les plus cruelles o\u00f9 l'on puisse \u00eatre; il n'y a qu'\u00e0\nsouffrir, quand c'est la volont\u00e9 de Dieu.\nC'est du meilleur de mon c\u0153ur que j'approuve votre voyage de Provence:\nje vous le dis sans flatterie, et nous l'avions pens\u00e9, madame _de\nLavardin_ et moi, sans savoir en aucune fa\u00e7on que ce f\u00fbt votre\ndessein[152].\nLETTRE XI.\nParis, 20 septembre 1691.\nMa sant\u00e9 est un peu meilleure qu'elle n'a \u00e9t\u00e9, c'est-\u00e0-dire que j'ai un\npeu moins de vapeurs; je ne connois point d'autre mal; ne vous inqui\u00e9tez\npas de ma sant\u00e9; mes maux ne sont pas dangereux; et quand ils le\ndeviendroient, ce ne seroit que par une grande langueur et par un grand\ndess\u00e9chement, ce qui n'est pas l'affaire d'un jour: ainsi, ma belle,\nsoyez en repos sur la vie de votre pauvre amie; vous aurez le loisir\nd'\u00eatre pr\u00e9par\u00e9e \u00e0 tout ce qui arrivera, si ce n'est \u00e0 des accidens\nimpr\u00e9vus, \u00e0 quoi sont sujettes toutes les mortelles, et moi plus qu'une\nautre, parce que je suis plus mortelle qu'une autre; une personne en\nsant\u00e9 me paro\u00eet un prodige. M. le chevalier _de Grignan_ a soin de moi;\nj'en ai une reconnoissance parfaite, et je l'aime de tout mon c\u0153ur.\nMadame la duchesse _de Chaulnes_ me vint voir hier; elle a mille bont\u00e9s\npour moi; mon \u00e9tat lui fait piti\u00e9. Ma belle-fille a eu une fausse couche\nhuit jours apr\u00e8s \u00eatre accouch\u00e9e; il y a assez de femmes \u00e0 qui cela\narrive; c'est avoir \u00e9t\u00e9 bien pr\u00e8s d'avoir deux enfans; sa fille se porte\nbien; ils n'en auront que trop. Notre pauvre ami _Croisilles_[153] est\ntoujours \u00e0 Saint-Gratien: il me mande qu'il se porte fort bien \u00e0 la\ncampagne; il faudroit que vous vissiez comme il est fait, pour admirer\nqu'il se vante de se porter fort bien; nous en sommes v\u00e9ritablement en\npeine, le chevalier _de Grignan_ et moi. L'abb\u00e9 _Testu_ est all\u00e9 faire\nun voyage \u00e0 la campagne; nous le soup\u00e7onnons, M. _de Chaulnes_ et moi,\nd'\u00eatre all\u00e9 \u00e0 la Trappe. La bonne femme, madame _Lavocat_, est bien\nmalade; il y a aussi bien long-temps qu'elle est au monde. Je suis toute\n\u00e0 vous, ma ch\u00e8re amie, et \u00e0 toute votre aimable et bonne compagnie.\nL'on vient de me dire que M. _de la Feuillade_[154] \u00e9toit mort cette\nnuit; si cela est v\u00e9ritable, voil\u00e0 un bel exemple pour se tourmenter des\nbiens de ce monde.\nLETTRE XII.\nParis, 26 septembre 1691.\nVenir \u00e0 Paris pour l'amour de moi, ma ch\u00e8re amie! la seule pens\u00e9e m'en\nfait peur. Dieu me garde de vous d\u00e9ranger ainsi! et, quoique je souhaite\nardemment le plaisir de vous voir, je l'acheterois trop cher, si c'\u00e9toit\n\u00e0 vos d\u00e9pens. Je vous mandai, il y a huit jours, la v\u00e9rit\u00e9 de mon \u00e9tat;\nj'\u00e9tois parfaitement bien, et j'ai \u00e9t\u00e9 comme par miracle, quinze jours\nsans vapeurs, c'est-\u00e0-dire, gu\u00e9rie de tous maux. Je ne suis plus si bien\ndepuis trois ou quatre jours, et c'est la seule vue d'une lettre\ncachet\u00e9e, que je n'ai point ouverte, qui a \u00e9mu mes vapeurs. Je\nressemble, comme deux gouttes d'eau, \u00e0 une femme ensorcel\u00e9e; mais,\nl'apr\u00e8s-d\u00een\u00e9e, je suis assez comme une autre personne; je vous \u00e9crivis,\nil y a un mois ou deux, que c'\u00e9toit ma m\u00e9chante heure, et c'est \u00e0\npr\u00e9sent la bonne. J'esp\u00e8re que mon mal, apr\u00e8s avoir tourn\u00e9 et chang\u00e9, me\nquittera peut-\u00eatre; mais je demeurerai toujours une tr\u00e8s-sotte femme; et\nvous ne sauriez croire comme je suis \u00e9tonn\u00e9e de l'\u00eatre; je n'avois point\n\u00e9t\u00e9 nourrie dans l'opinion que je le pusse devenir. Je reviens \u00e0 votre\nvoyage, ma belle, comptez que c'est un ch\u00e2teau en Espagne pour moi, que\nde m'imaginer le plaisir de vous voir, mais mon plaisir seroit troubl\u00e9,\nsi votre voyage ne s'accordoit pas avec les affaires de madame _de\nGrignan_ et avec les v\u00f4tres. Il me paro\u00eet cependant, tout int\u00e9r\u00eat \u00e0\npart, que vous feriez fort bien de venir l'une et l'autre; mais je ne\npuis assez vous dire \u00e0 quel point je suis touch\u00e9e de la pens\u00e9e de\nrevenir uniquement \u00e0 cause de moi. Je vous \u00e9crirai plus au long au\npremier jour.\nLETTRE XIII.\nParis, mercredi 10 octobre 1691.\nJ'ai eu des vapeurs cruelles qui me durent encore, et qui me durent\ncomme un point de fi\u00e8vre qui m'afflige. En un mot, je suis folle,\nquoique je sois assur\u00e9ment une femme assez sage. Je veux remercier\nmadame _de Grignan_ pour me calmer l'esprit; elle a \u00e9crit des merveilles\npour moi \u00e0 monsieur le chevalier _de Grignan_.\n_A madame_ DE GRIGNAN.\nJe vous en remercie, Madame, et je vous prie d'ordonner \u00e0 M. le\nchevalier _de Grignan_ de m'aimer; je l'aime de tout mon c\u0153ur: c'est un\nhomme que cet homme-l\u00e0. Ramenez madame votre m\u00e8re; vous avez mille\naffaires ici; prenez garde de voir vos affaires domestiques de trop\npr\u00e8s, et que les maisons ne vous emp\u00eachent de voir la ville. Il y a plus\nd'une sorte d'int\u00e9r\u00eat en ce monde. Venez, Madame, venez ici pour l'amour\ndes personnes qui vous aiment, et songez qu'en travaillant pour vous,\nc'est me donner en m\u00eame temps la joie de voir madame votre m\u00e8re.\n_A Madame_ DE S\u00c9VIGN\u00c9.\nMon dieu! ma ch\u00e8re amie, que je serai aise de vous voir! vraiment je\npleurerai bien; tout me fait fondre en larmes. J'ai re\u00e7u ce matin des\nlettres de mon fils l'abb\u00e9, qui \u00e9toit en Poitou, \u00e0 deux lieues de madame\n_de la Troche_. Un gentilhomme d'importance; gendre de madame _de la\nRochebardon_, chez qui madame _de la Troche_ est actuellement, vint dire\nadieu \u00e0 mon fils, et c'est l\u00e0 qu'il apprit la mort de _la Troche_[155],\npar la gazette, s'il vous pla\u00eet; car je n'en avois point parl\u00e9 \u00e0 mon\nfils, qui me fait une peinture de la d\u00e9solation de ce gentilhomme\nd'avoir \u00e0 donner chez lui une telle nouvelle, ce qui m'a rejet\u00e9e dans\nles larmes: j'y retombe bien toute seule. M. _de Pomponne_ croyoit\nmadame _de la Troche_ riche, je lui ai \u00e9crit, et il m'a mand\u00e9 que la\nduchesse _du Lude_ l'avoit d\u00e9tromp\u00e9, et qu'ils avoient pr\u00e9sent\u00e9 un\nplacet pour elle. _Croisilles_ sort d'ici; il m'est venu voir de\nSaint-Gratien; je lui ai fait vos complimens; il est fort bien. Ma\npetite fille est louche comme un chien: il n'importe; madame _de\nGrignan_ l'a bien \u00e9t\u00e9; c'est tout dire. Me voil\u00e0 \u00e0 bout de mon \u00e9criture,\net toute \u00e0 vous plus que jamais, s'il est possible.\nLETTRE XIV.\nParis, 24, janvier 1692.\nH\u00e9las! ma belle, tout ce que j'ai \u00e0 vous dire de ma sant\u00e9 est bien\nmauvais; en un mot, je n'ai repos ni nuit ni jour, ni dans le corps ni\ndans l'esprit; je ne suis une personne, ni par l'un ni par l'autre; je\np\u00e9ris \u00e0 vue d'\u0153il; il faut finir quand il pla\u00eet \u00e0 Dieu, et j'y suis\nsoumise. L'horrible froid qu'il fait m'emp\u00eache de voir madame _de\nLavardin_. Croyez, ma tr\u00e8s-ch\u00e8re, que vous \u00eates la personne du monde que\nj'ai le plus v\u00e9ritablement aim\u00e9e.\nEXTRAITS DE LETTRES DIVERSES.\n_Madame_ de la Fayette _se moque des ridicules mani\u00e8res de parler de\nquelques personnes de son temps. Elle fait parler un amant jaloux \u00e0 sa\nma\u00eetresse._\nPREMIER EXTRAIT.\nCe sont de ces sortes de choses qu'on ne pardonne pas en mille ans, que\nle trait que vous me f\u00eetes hier. Vous \u00e9tiez belle comme un petit ange.\nVous savez que je suis alerte sur le compte de _Dangeau_; je vous\nl'avois dit de bonne foi; et cependant vous me quitt\u00e2tes franc et net\npour le galoper; cela s'appelle rompre de couronne \u00e0 couronne; c'est\nn'avoir aucun m\u00e9nagement et manquer \u00e0 toutes sortes d'\u00e9gards. Vous\nsentez que cette mani\u00e8re de peindre m'a tir\u00e9 de grands rideaux. Vous\navez oubli\u00e9 qu'il y a des choses dont je ne t\u00e2te jamais, et que je suis\nune esp\u00e8ce d'homme que l'on ne trouve pas ais\u00e9ment sur un certain pied.\nS\u00fbrement ce n'est point mon caract\u00e8re que d'\u00eatre dupe et de donner dans\nle panneau t\u00eate baiss\u00e9e. Je me le tiens pour dit; j'entends le fran\u00e7ois.\nA la v\u00e9rit\u00e9, je ne ferai point de fracas; j'en userai fort honn\u00eatement;\nje n'afficherai point; je ne donnerai rien au public; je retirerai mes\ntroupes; mais comptez que vous n'avez point oblig\u00e9 un ingrat.\nSECOND EXTRAIT,\n_Compos\u00e9 de phrases o\u00f9 il n'y a point de sens_, _et que bien des gens de\nla cour mettent dans leurs discours._\nJe vous assure, Monseigneur, qu'on est bien chagrin de ne pouvoir faire\nson devoir, et il est fort honn\u00eate de le pardonner. Je vous \u00e9cris cette\nmissive pour vous donner des nouvelles de M. _Domdtel_; j'esp\u00e8re qu'il\nsera bient\u00f4t hors d'affaire, et que sa maladie ne sera pas longue. Je me\nsuis trouv\u00e9 depuis peu \u00e0 un grand repas o\u00f9 l'on a mang\u00e9 une bonne soupe,\net o\u00f9 vous avez \u00e9t\u00e9 bien c\u00e9l\u00e9br\u00e9. Vous savez, Monseigneur, que vous\ninspirez la joie. L'on fit mille plaisanteries; vous me ferez bien la\njustice de croire que l'on a eu le dernier d\u00e9plaisir de ne vous y avoir\npas. J'ai bien envie d'avoir l'honneur de vous voit pour vous entretenir\nsur mon gazon. Mes fermiers sont cause que je ne puis m'aller rabattre\nchez _Fredole_; mais je vas souvent en un lieu o\u00f9 l'on aime \u00e0 se\nr\u00e9jouir, et o\u00f9 l'on met les plats en bataille. Il y a une personne qui\nd\u00e9sire fort le t\u00eate-\u00e0-t\u00eate avec vous. Vous conno\u00eetrez dans son dialogue\nqu'elle a du savoir-faire, et que l'on vous trouve furieusement aimable;\nje vous dis tout ceci, parce que je suis engou\u00e9 de vous; car votre\ncaract\u00e8re me r\u00e9jouit; et, de bonne foi, il est vrai que je me suis coul\u00e9\nde mon pied en un lieu o\u00f9 j'ai vu de beaux esprits qui ne peuvent se\npasser de vous \u00e0 cause de votre g\u00e9nie. Je m'\u00e9tonne que vous ne veniez\npas dialoguer avec les demoiselles; c'est \u00e0 coup s\u00fbr que vous les\nr\u00e9jouissez quand elles vous voient; car, assur\u00e9ment, vous \u00eates du bel\nair, et vous distinguez bien dans le beau monde, o\u00f9 l'on vous rend\njustice. Il est vrai que je m'en allai hier au bal dans un grand\nembarras, dont j'eus bien de la peine de me tirer; il est vrai que je\nn'y demeurai pas long-temps; j'ou\u00efs la bonne femme qui me parla bien de\nvous, qui me dit que vous faisiez figure. Elle vous aime autant que les\ndemoiselles; s\u00fbrement vous \u00eates aujourd'hui la coqueluche de tout le\nmonde; il est vrai que votre m\u00e9rite n'est pas postiche. Les demoiselles\nen rendent s\u00fbrement de bons t\u00e9moignages.\nPORTRAIT\nDE\nLA MARQUISE DE S\u00c9VIGN\u00c9,\nPAR MADAME\nLA COMTESSE DE LA FAYETTE,\nSOUS LE NOM D'UN INCONNU.\nTous ceux qui se m\u00ealent de peindre des belles, se tuent de les embellir\npour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul de leurs d\u00e9fauts;\nmais pour moi, Madame, gr\u00e2ce au privil\u00e8ge d'inconnu que j'ai aupr\u00e8s de\nvous, je m'en vais vous peindre bien hardiment, et vous dire toutes vos\nv\u00e9rit\u00e9s tout \u00e0 mon aise, sans craindre de m'attirer votre col\u00e8re; je\nsuis au d\u00e9sespoir de n'en avoir que d'agr\u00e9ables \u00e0 vous conter; car ce me\nseroit un grand d\u00e9plaisir si, apr\u00e8s vous avoir reproch\u00e9 mille d\u00e9fauts,\nje voyois cet inconnu aussi bien re\u00e7u de vous, que mille gens qui n'ont\nfait toute leur vie que de vous louer. Je ne veux point vous accabler de\nlouanges, et m'amuser \u00e0 vous dire que votre taille est admirable, que\nvotre teint a une beaut\u00e9 et une fleur qui assurent que vous n'avez que\nvingt ans, que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont\nincomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses; votre\nmiroir vous les dit assez; mais comme vous ne vous amusez pas \u00e0 lui\nparler, il ne peut vous dire combien vous \u00eates aimable et charmante\nquand vous parlez; et c'est ce que je veux vous apprendre.\nSachez donc, Madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre\nesprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point au\nmonde de si agr\u00e9able. Lorsque vous \u00eates anim\u00e9e dans une conversation\ndont la contrainte est bannie, tout ce que vous dites a un tel charme,\net vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les gr\u00e2ces\nautour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand \u00e9clat\n\u00e0 votre teint et \u00e0 vos yeux, que, quoiqu'il semble que l'esprit ne d\u00fbt\ntoucher que les oreilles, il est pourtant certain que le v\u00f4tre \u00e9blouit\nles yeux, et que, lorsqu'on vous \u00e9coute, l'on ne voit plus qu'il manque\nquelque chose \u00e0 la r\u00e9gularit\u00e9 de vos traits, et l'on vous croit la\nbeaut\u00e9 du monde la plus achev\u00e9e. Vous pouvez juger, par ce que je viens\nde vous dire, que, si je vous suis inconnu, vous ne m'\u00eates pas inconnue,\net qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de\nvous entretenir, pour avoir d\u00e9m\u00eal\u00e9 ce qui fait en vous cet agr\u00e9ment dont\ntout le monde est surpris; mais je veux encore vous faire voir, Madame,\nque je ne connois pas moins les qualit\u00e9s solides qui sont en vous, que\nje sais les agr\u00e9ables dont on est touch\u00e9. Votre \u00e2me est grande, noble,\npropre \u00e0 dispenser des tr\u00e9sors, et incapable de s'abaisser au soin d'en\namasser. Vous \u00eates sensible \u00e0 la gloire et \u00e0 l'ambition, et vous ne\nl'\u00eates pas moins au plaisir. Vous paroissez n\u00e9e pour eux, et il semble\nqu'ils soient faits pour vous. Votre pr\u00e9sence augmente les\ndivertissemens, et les divertissemens augmentent votre beaut\u00e9 lorsqu'ils\nvous environnent; enfin la joie est l'\u00e9a\u00e2t v\u00e9ritable de votre \u00e2me, et le\nchagrin vous est plus contraire qu'\u00e0 personne du monde. Vous \u00eates\nnaturellement tendre et passionn\u00e9e; mais, \u00e0 la honte de notre sexe,\ncette tendresse nous a \u00e9t\u00e9 inutile, et vous l'avez renferm\u00e9e dans le\nv\u00f4tre, en la donnant \u00e0 madame _de la Fayette_. Ah! Madame, s'il y avoit\nquelqu'un au monde assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouv\u00e9\nindigne de ce tr\u00e9sor dont elle jouit, et qu'il n'e\u00fbt pas tout mis en\nusage pour le poss\u00e9der, il m\u00e9riteroit toutes les disgr\u00e2ces dont l'amour\npeut accabler ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'\u00eatre le\nma\u00eetre d'un c\u0153ur comme le v\u00f4tre, dont les sentimens fussent expliqu\u00e9s\npar cet esprit galant et agr\u00e9able que les dieux vous ont donn\u00e9! et votre\nc\u0153ur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut m\u00e9riter; jamais il\nn'y en eut un si g\u00e9n\u00e9reux, si bien fait et si fid\u00e8le. Il y a des gens\nqui vous soup\u00e7onnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est; mais,\nau contraire, vous \u00eates si accoutum\u00e9e \u00e0 n'y rien sentir qu'il ne vous\nsoit honorable de montrer, que m\u00eame vous y laissez voir quelquefois ce\nque la prudence du si\u00e8cle vous obligeroit de cacher. Vous \u00eates n\u00e9e la\nplus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais \u00e9t\u00e9, et, par\nun air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples\ncomplimens de biens\u00e9ance paroissent, en votre bouche, des protestations\nd'amiti\u00e9, et tous ceux qui sortent d'aupr\u00e8s de vous s'en vont persuad\u00e9s\nde votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils se puissent dire\n\u00e0 eux-m\u00eames quelle marque vous leur avez donn\u00e9e de l'une et de l'autre.\nEnfin, vous avez re\u00e7u des gr\u00e2ces du ciel qui n'ont jamais \u00e9t\u00e9 donn\u00e9es\nqu'\u00e0 vous; et le monde vous est oblig\u00e9 de lui \u00eatre venu montrer mille\nagr\u00e9ables qualit\u00e9s qui, jusqu'ici, lui avoient \u00e9t\u00e9 inconnues. Je ne\nveux point m'embarquer \u00e0 vous les d\u00e9peindre toutes; car je romprois le\ndessein que j'ai de ne vous pas accabler de louanges, et, de plus,\nMadame, pour vous en donner qui fussent\n Dignes de vous et de paro\u00eetre,\n Il faudroit \u00eatre votre amant,\n Et je n'ai pas l'honneur de l'\u00eatre[156].\n_Fin des lettres de Madame de la Fayette._\nLETTRES\nDE\nNINON DE L'ENCLOS.\nNOTICE\nSUR\nNINON DE L'ENCLOS.\nAnne de l'Enclos naquit \u00e0 Paris le 15 mai 1616 de M. _de l'Enclos_,\ngentilhomme de Touraine, et de mademoiselle _de Raconis_, son \u00e9pouse,\nd'une famille noble de l'Orl\u00e9anois.\nMadame _de l'Enclos_ vouloit faire de Ninon une d\u00e9vote; mais M. _de\nl'Enclos_, homme d'esprit et de plaisir, se chargea lui-m\u00eame de\nl'\u00e9ducation de sa fille, et donna une direction toute diff\u00e9rente \u00e0 ses\ninclinations.\n_Ninon_ perdit ses parens de bonne heure: d\u00e8s l'\u00e2ge de quinze ans, elle\nse trouva ma\u00eetresse d'elle-m\u00eame, et d'une fortune que les dissipations\nde son p\u00e8re avoient consid\u00e9rablement r\u00e9duite. Elle mit son bien \u00e0 fonds\nperdu, et se fit, par ce moyen, un revenu suffisant pour vivre dans\nl'aisance, et m\u00eame obliger ses amis au besoin. Elle sut \u00e9conomiser sans\navarice, et d\u00e9penser sans profusion.\nPlusieurs fois elle fut recherch\u00e9e en mariage; mais elle ch\u00e9rissoit trop\nl'ind\u00e9pendance pour contracter un pareil engagement.\n\u00c9lev\u00e9e dans les principes les moins s\u00e9v\u00e8res, et n\u00e9e avec des sens fort\nvifs, elle se livra toute enti\u00e8re aux plaisirs de l'amour. Nous\nn'entreprendrons point de faire l'apologie d'une conduite aussi peu\nretenue; en renon\u00e7ant \u00e0 la principale vertu de son sexe, Ninon a sans\ndoute perdu une grande partie de ses droits \u00e0 l'estime; mais s'il n'est\npas permis de chercher \u00e0 excuser ses torts, il doit l'\u00eatre au moins de\nmettre sous les yeux du lecteur tout ce qui peut contribuer \u00e0 les faire\njuger moins rigoureusement. M. _de l'Enclos_, professant ouvertement\nl'\u00e9picur\u00e9isme le plus rel\u00e2ch\u00e9, avoit donn\u00e9 \u00e0 sa fille des pr\u00e9ceptes de\nvolupt\u00e9 qu'il ne confirmoit que trop par sa mani\u00e8re de vivre; et l'on\nsait quelle influence exercent sur nos id\u00e9es et nos actions de toute la\nvie, les discours et l'exemple des personnes qui ont pr\u00e9sid\u00e9 \u00e0 notre\n\u00e9ducation, sur-tout lorsque ces personnes nous ont \u00e9t\u00e9 ch\u00e8res, et que\nleur doctrine a flatt\u00e9 nos go\u00fbts, au lieu de les contrarier. Abandonn\u00e9e\nfort jeune \u00e0 sa propre volont\u00e9, entour\u00e9e de mille adorateurs que lui\nattiroient ses charmes, flatt\u00e9e d'inspirer de l'amour, ne pouvant\ns'emp\u00eacher d'en ressentir elle-m\u00eame pour des hommes qui r\u00e9unissoient\npresque tous aux gr\u00e2ces de l'esprit et du corps l'\u00e9clat d'une grande\nfortune ou d'un grand nom, comment _Ninon_ se seroit-elle d\u00e9fendue\ncontre tant de s\u00e9ductions? Elle y c\u00e9da sans r\u00e9sistance; mais si elle fut\nfoible, elle ne fut point vile. Quoiqu'elle eut le tort tr\u00e8s-grand de ne\nconsid\u00e9rer l'amour que comme une sensation et non point comme un\nsentiment, on ne voit pas que ce travers d'opinion, qui auroit pu\nl'entra\u00eener aux choix les plus honteux, lui en ait jamais fait faire un\nseul que la d\u00e9licatesse la plus platonique e\u00fbt pu d\u00e9savouer. La liste de\nses amans est nombreuse; mais il n'y figure aucun nom que, pour son\nhonneur, on soit f\u00e2ch\u00e9 d'y trouver inscrit; ce sont les _Cond\u00e9_, les _la\nRochefoucauld_, les _Longueville_, les _Coligni_, les _Villarceaux_,\nles _S\u00e9vign\u00e9_, les _d'Albret_, les _d'Estr\u00e9es_, les _Gersey_, les\n_d'Effiat_, les _Cl\u00e9rembault_, les _la Ch\u00e2tre_, les _Bannier_, les\n_Gourville_, etc. Mais ce qui \u00e9tablit sur-tout une prodigieuse\ndiff\u00e9rence entre _Ninon_ et les autres femmes qui, comme elle, ont fait\nde l'amour une sorte de profession, c'est qu'elle ne trafiqua point de\nses faveurs. Par inclination, par caprice ou m\u00eame par vanit\u00e9, elle les\naccordoit en pur don \u00e0 l'amabilit\u00e9, au m\u00e9rite, \u00e0 la c\u00e9l\u00e9brit\u00e9; mais\njamais elle ne les vendit \u00e0 la richesse. Elle poussoit, dit-on, les\nscrupules du d\u00e9sint\u00e9ressement jusque-l\u00e0, que ceux dont elle avoit\nsatisfait les d\u00e9sirs, en perdoient le droit de lui faire accepter les\ndons les plus l\u00e9gers.\nCelle qui rejetoit les pr\u00e9sens de l'amour comme un salaire offensant,\nn'\u00e9toit pas faite pour retenir les d\u00e9p\u00f4ts de l'amiti\u00e9. _Gourville_,\noblig\u00e9 de fuir du royaume, avoit confi\u00e9 vingt mille \u00e9cus en or \u00e0\n_Ninon_, dont il \u00e9toit alors l'amant, et remis pareille somme entre les\nmains d'un personnage fameux par l'aust\u00e9rit\u00e9 de ses m\u0153urs. _Gourville_\nrevint. L'eccl\u00e9siastique (c'en \u00e9toit un) nia le d\u00e9p\u00f4t. _Gourville_, \u00e0\nqui _Ninon_ dans l'intervalle avoit donn\u00e9 un successeur, lui fit\nl'injure de la croire aussi peu fid\u00e8le en affaires qu'en amour, et il\ndoutoit si peu de son malheur qu'il s'\u00e9pargnoit jusqu'\u00e0 la peine d'aller\ns'en assurer. _Ninon_ l'envoya chercher. \u00abMon cher _Gourville_, lui\ndit-elle, il m'est arriv\u00e9 un grand malheur pendant votre absence. J'ai\nperdu le go\u00fbt que j'avois pour vous; mais je n'ai pas perdu la m\u00e9moire.\nVoici les vingt mille \u00e9cus que vous m'avez confi\u00e9s \u00e0 votre d\u00e9part de\nParis. Ils sont encore dans la cassette o\u00f9 vous les avez serr\u00e9s\nvous-m\u00eame.\u00bb\n_Ninon_ ne trahissoit point ses amans; elle cessoit de les aimer et le\nleur disoit. Ce ne fut que pour se soustraire aux fatigantes\nimportunit\u00e9s de _la Ch\u00e2tre_, qu'elle lui signa ce fameux billet, o\u00f9 elle\nfaisoit de tous les sermens celui qu'elle \u00e9toit le moins en \u00e9tat de\ntenir, le serment de n'en aimer jamais d'autre de sa vie; et elle ne se\ncrut pas li\u00e9e un seul instant par un engagement aussi t\u00e9m\u00e9raire. Au\nreste il est certain, d'apr\u00e8s son caract\u00e8re, que si le porteur de cette\nrisible c\u00e9dule e\u00fbt \u00e9t\u00e9 de retour aupr\u00e8s d'elle, quand il lui vint en\nfantaisie de manquer \u00e0 la foi jur\u00e9e, elle lui auroit ing\u00e9nument confi\u00e9 \u00e0\nlui-m\u00eame que son billet ne valoit plus rien.\nVolage en amour, mais non point perfide, _Ninon_ \u00e9toit en amiti\u00e9 d'une\nconstance \u00e0 toute \u00e9preuve. Ses amans, en cessant de l'\u00eatre, devenoient\nses amis, et c'\u00e9toit pour toujours. L'amiti\u00e9 \u00e9toit le seul sentiment\nrespectable \u00e0 ses yeux, et elle en remplissoit religieusement tous les\ndevoirs. J. J. _Rousseau_ a dit: \u00abJe n'aurois pas plus voulu d'elle pour\nmon ami que pour ma ma\u00eetresse.\u00bb On ne voit pas trop par quel motif il\ne\u00fbt r\u00e9pugn\u00e9 si fort \u00e0 \u00eatre l'ami de _Ninon_; on expliqueroit plus\nfacilement encore pourquoi il e\u00fbt refus\u00e9 d'\u00eatre son amant, quoiqu'\u00e0 dire\nvrai, _Rousseau_ lui-m\u00eame e\u00fbt peut-\u00eatre eu bien de la peine \u00e0 se\nd\u00e9fendre de ses charmes, si elle se f\u00fbt mis en t\u00eate de venir \u00e0 bout de\nsa philosophie.\nTous ses contemporains s'accordent \u00e0 la peindre comme la plus\ns\u00e9duisante des femmes. Sa taille, disent-ils, \u00e9toit pleine de gr\u00e2ce et\nde noblesse; sa figure n'\u00e9toit pas parfaitement r\u00e9guli\u00e8re, et n'avoit\npoint ce grand \u00e9clat de beaut\u00e9 qui frappe d'abord; mais l'examen y\nfaisoit d\u00e9couvrir une foule d'agr\u00e9mens et de finesses qui la faisoient\npr\u00e9f\u00e9rer aux figures les plus correctes et les plus \u00e9blouissantes. Elle\nd\u00e9daignoit le luxe des habits, ou plut\u00f4t, par une coquetterie mieux\nentendue, elle le rejetoit comme contraire aux int\u00e9r\u00eats de sa beaut\u00e9.\nUne propret\u00e9 recherch\u00e9e, une simplicit\u00e9 \u00e9l\u00e9gante faisoient tous les\nfrais de sa parure. Les charmes de sa personne se conserv\u00e8rent si\nlong-temps, ils diminu\u00e8rent d'une mani\u00e8re si lente et si peu sensible,\nqu'elle prolongea le don de plaire et d'exciter le d\u00e9sir, jusqu'\u00e0 un \u00e2ge\no\u00f9 toutes les autres femmes sont trop heureuses de ne pas exciter le\nd\u00e9go\u00fbt. On pr\u00e9tend qu'\u00e0 quatre-vingts ans elle inspira une vive passion\n\u00e0 l'abb\u00e9 _Gedoyn_. _Voltaire_ ne rejette point enti\u00e8rement cette\nanecdote, comme quelques autres ont fait; mais \u00e0 l'abb\u00e9 _Gedoyn_ il\nsubstitue l'abb\u00e9 _de Ch\u00e2teau-Neuf_, et il rabat dix ann\u00e9es de l'\u00e2ge\nattribu\u00e9 \u00e0 _Ninon_ quand elle fit sa derni\u00e8re folie. Au compte m\u00eame de\n_Voltaire_, c'est encore avoir pouss\u00e9 bien loin sa carri\u00e8re amoureuse.\nL'abb\u00e9 _Fraguier_, qui n'avoit connu _Ninon_ que dans un \u00e2ge d\u00e9j\u00e0\ntr\u00e8s-avanc\u00e9, disoit que _quiconque vouloit faire attention \u00e0 ses yeux,\npouvoit y lire encore toute son histoire_. _Chaulieu_ exprimoit\nautrement la m\u00eame id\u00e9e: _L'amour_, disoit-il, _s'\u00e9toit retir\u00e9 jusque\ndans les rides de son front._\nL'esprit de _Ninon_ n'\u00e9toit pas moins c\u00e9l\u00e8bre que ses charmes. Elle\nl'avoit tout \u00e0 la fois agr\u00e9able et solide. Elle se l'\u00e9toit form\u00e9 de\nbonne heure par la lecture de nos meilleurs \u00e9crivains. A l'\u00e2ge de dix\nans, _Montaigne_ et _Charron_ \u00e9toient ses livres favoris. Elle parloit\navec facilit\u00e9 l'italien et l'espagnol. Elle \u00e9vitoit avec un soin extr\u00eame\nle ridicule si commun parmi les femmes qui se croient ou sont en effet\nplus instruites que les autres, celui de faire parade de leur savoir.\n_Mignard_ se plaignoit de ce que sa fille, depuis madame la comtesse _de\nFeuqui\u00e8res_, manquoit de m\u00e9moire: _Vous \u00eates trop heureux, Monsieur_,\nlui dit _Ninon_, _elle ne citera point_. \u00abSon entretien \u00e9toit doux et\nl\u00e9ger, dit l'abb\u00e9 _Fraguier_: le contraire la blessoit, mais il n'y\nparoissoit point.\u00bb Elle n'avoit pas n\u00e9glig\u00e9 les arts agr\u00e9ables; elle\ndansoit avec gr\u00e2ce, chantoit avec go\u00fbt, et jouoit tr\u00e8s-bien du\nclavecin, du luth, du tuorbe et de la guitare.\nTant d'agr\u00e9mens r\u00e9unis ne pouvoient manquer d'attirer chez elle l'\u00e9lite\nde la cour et de la ville. Les hommes les plus distingu\u00e9s par la\nnaissance, l'esprit et les talens, lui faisoient une cour assidue. Les\nm\u00e8res ambitionnoient pour leurs fils l'avantage d'\u00eatre admis chez\n_Ninon_, aupr\u00e8s de qui ils se formoient aux mani\u00e8res et au ton de la\nbonne compagnie. Cette faveur n'\u00e9toit point accord\u00e9e indistinctement \u00e0\ntous ceux qui la sollicitoient. Un m\u00e9rite reconnu, ou d'heureuses\ndispositions pour en acqu\u00e9rir, \u00e9toient, avec la probit\u00e9, les seuls\ntitres qui pussent la faire obtenir. _Ninon_ n'y fut tromp\u00e9e qu'une\nfois. A la sollicitation d'un de ses meilleurs amis, elle avoit\nconsenti \u00e0 recevoir chez elle un M. _R\u00e9mond_, dont l'\u00e9ducation ne lui\nfit point d'honneur. Il se signala bient\u00f4t dans le monde par toutes\nsortes de ridicules. On apprit \u00e0 _Ninon_ qu'il alloit se vantant partout\nd'avoir \u00e9t\u00e9 form\u00e9 par elle. _Je suis comme Dieu, dit-elle, qui s'est\nrepenti d'avoir form\u00e9 l'homme._ _Chapelle_ fut exclus de sa maison, \u00e0\ncause de son ivrognerie, quoique ce d\u00e9faut, qui est devenu le partage de\nla derni\u00e8re classe du peuple, f\u00fbt encore de mode alors parmi les plus\nhonn\u00eates gens. _Chapelle_, offens\u00e9, jura que pendant un mois il ne se\ncoucheroit pas sans \u00eatre ivre, et sans avoir fait une chanson contre\n_Ninon_. Il tint parole, dit _Voltaire_.\nOn con\u00e7oit sans peine que les hommes, moins scrupuleux dans leurs\nliaisons de tout genre, aient recherch\u00e9 avec empressement la soci\u00e9t\u00e9\nd'une femme, disons le mot, d'une courtisane charmante, et se soient, en\nquelque sorte, fait un honneur d'y \u00eatre admis; mais que des femmes, \u00e0\nqui le soin de leur r\u00e9putation commandoit \u00e0 cet \u00e9gard la plus grande\nr\u00e9serve, n'aient point rougi d'\u00eatre ouvertement les amies de _Ninon_,\nvoil\u00e0 ce qui \u00e9tonne avec raison, voil\u00e0 ce qu'on ne peut expliquer que\npar un m\u00e9rite vraiment extraordinaire dans la personne qui les faisoit\nainsi passer par-dessus les conseils du plus sage pr\u00e9jug\u00e9. Cela fait\nsupposer aussi, que _Ninon_ mettoit dans sa conduite autant de d\u00e9cence\next\u00e9rieure qu'il en falloit, pour que des femmes honn\u00eates ne fussent\npoint embarrass\u00e9es chez elle de leur contenance. Mesdames _de la Suze_,\n_de Castelnau_, _de la Fert\u00e9_, _de Sulli_, _de Fiesque_, _de la\nFayette_, _de Choisi_, _de Lambert_, _de Bouillon-Mancini_, _de\nSandwich_, etc., furent li\u00e9es avec elle d'une amiti\u00e9 tr\u00e8s-\u00e9troite. Elle\nen avoit contract\u00e9 une plus intime encore avec madame _de Maintenon_,\nlorsque celle-ci n'\u00e9toit que mademoiselle _d'Aubign\u00e9_ ou madame\n_Scarron_; elles couch\u00e8rent plusieurs mois ensemble dans le m\u00eame lit, et\nl'on assure que mademoiselle _d'Aubign\u00e9_ enleva \u00e0 _Ninon_,\n_Villarceaux_, son amant, sans que _Ninon_ en s\u00fbt plus mauvais gr\u00e9 \u00e0\nl'un et \u00e0 l'autre. Madame _de Maintenon_, parvenue au comble de la\nfaveur, fit proposer \u00e0 son ancienne amie de se faire d\u00e9vote, et de venir\naupr\u00e8s d'elle \u00e0 la cour. _Ninon_ refusa. Ce ne fut pas la seule fois\nqu'elle sacrifia la fortune et la faveur \u00e0 son amour pour le repos et la\nlibert\u00e9. La reine _Christine_ fit en vain mille efforts pour l'emmener\navec elle \u00e0 Rome. _Christine_ dit en partant qu'elle n'avoit trouv\u00e9\naucune femme en France qui lui pl\u00fbt autant que _l'illustre Ninon_. C'est\ndans une conversation avec cette reine que _Ninon_ qualifia les\npr\u00e9cieuses de _jans\u00e9nistes de l'amour_. Madame _de S\u00e9vign\u00e9_ n'aimoit\npoint _Ninon_. Dans plusieurs de ses lettres, elle parle d'elle avec\ntr\u00e8s-peu de consid\u00e9ration. Sa pr\u00e9vention est excusable; le marquis _de\nS\u00e9vign\u00e9_ s'occupoit peu de son avancement, mais en revanche il\ntravailloit assez efficacement \u00e0 d\u00e9ranger une fortune que sa m\u00e8re\nmettoit tous ses soins \u00e0 conserver. Madame _de S\u00e9vign\u00e9_ crut voir dans\nl'amour de son fils pour _Ninon_ la cause de son indolence et de ses\ndissipations. La _Champm\u00eal\u00e9_, qui succ\u00e9da \u00e0 _Ninon_ dans le c\u0153ur du\nmarquis _de S\u00e9vign\u00e9_, eut aussi sa part de la mauvaise humeur et des\nressentimens de cette m\u00e8re tendre et inqui\u00e8te. En g\u00e9n\u00e9ral, elle ne\nm\u00e9nageoit aucun de ceux qu'elle croyoit pouvoir accuser du d\u00e9rangement\nde son fils. Pour un ou deux soupers que celui-ci fit accepter \u00e0\n_Racine_ et \u00e0 _Boileau_, elle parle quelque part d'eux, comme de po\u00ebtes\nfam\u00e9liques, pour qui un repas pris en ville est une bonne fortune. Or,\non sait que _Boileau_ recevoit chez lui les plus grands seigneurs, et\nque _Racine_ refusoit de d\u00eener avec M. le duc _de Bourbon_, pour manger\nune carpe en famille.\nRevenons \u00e0 _Ninon_. Plusieurs beaux esprits du temps, plusieurs\n\u00e9crivains assez distingu\u00e9s la c\u00e9l\u00e9br\u00e8rent en prose et en vers. De ce\nnombre furent _Scarron_, _Regnier-Desmarais_, l'abb\u00e9 _de Ch\u00e2teauneuf_ et\n_Saint-Evremont_. Ce dernier partageoit ses adorations entre elle et la\nfameuse duchesse _de Mazarin_. Tout le monde conno\u00eet le joli quatrain\nqu'il fit pour _Ninon_:\n L'indulgente et sage nature\n A form\u00e9 l'\u00e2me de _Ninon_,\n De la volupt\u00e9 d'\u00c9picure,\n Et de la vertu de Caton.\nUn hommage plus flatteur encore pour elle, c'est le cas que _Moli\u00e8re_\nfaisoit de son go\u00fbt et de son esprit; il la consultoit, dit-on, sur tous\nses ouvrages. Comme il lui avoit lu un jour son _Tartuffe_, elle lui fit\nle r\u00e9cit d'une aventure qui lui \u00e9toit arriv\u00e9e avec un sc\u00e9l\u00e9rat \u00e0 peu\npr\u00e8s de la m\u00eame esp\u00e8ce. _Moli\u00e8re_ rapporta qu'elle lui en avoit fait le\nportrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que, si sa pi\u00e8ce\nn'e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9 faite, il ne l'auroit jamais entreprise, tant il se\nseroit cru incapable de rien mettre sur le th\u00e9\u00e2tre d'aussi parfait que\nle _Tartuffe_ de mademoiselle _de l'Enclos_. _Voltaire_ trouve\nl'anecdote peu vraisemblable, quoiqu'on en ait pour garant l'abb\u00e9 _de\nCh\u00e2teauneuf_, qui disoit la tenir de _Moli\u00e8re_ lui-m\u00eame. On peut\nl'adopter, en admettant que _Moli\u00e8re_ a parl\u00e9 avec un peu trop de\nmodestie sur son propre compte, et d'exag\u00e9ration sur celui de _Ninon_,\nqui l'avoit frapp\u00e9 d'admiration par son talent pour saisir et peindre le\nridicule.\nSes contes et ses bons mots lui avoient fait de bonne heure une\nr\u00e9putation. On cite d'elle une foule de r\u00e9flexions profondes ou\ning\u00e9nieuses. Nous n'en rapporterons que quelques-unes. Elle eut, \u00e0 l'\u00e2ge\nde vingt-deux ans, une maladie qui la mit au bord du tombeau. Ses amis\nd\u00e9ploroient sa destin\u00e9e qui l'enlevoit \u00e0 la fleur de son \u00e2ge. _Ah!_\ndit-elle, _je ne laisse au monde que des mourans._ Ce mot est bien\nphilosophique. _La beaut\u00e9 sans les gr\u00e2ces_, disoit-elle souvent, _est un\nhame\u00e7on sans app\u00e2t_. Elle disoit un jour \u00e0 _Saint-Evremont_ qu'_elle\nrendoit gr\u00e2ces \u00e0 Dieu tous les soirs de son esprit, et qu'elle le prioit\ntous les matins de la pr\u00e9server des sottises de son c\u0153ur._ Elle\npr\u00e9tendoit qu'_une femme sens\u00e9e ne devroit jamais prendre d'amant sans\nl'aveu de son c\u0153ur, ni de mari sans le consentement de sa raison._\n_Ninon_ avoit le talent des vers; mais elle en faisoit rarement usage.\nLe Grand-Prieur _de Vend\u00f4me_ avoit essay\u00e9 inutilement de se faire aimer\nd'elle; indign\u00e9 de ses refus, il mit un jour sur sa toilette ce\nquatrain:\n Indigne de mes feux, indigne de mes larmes,\n Je renonce sans peine \u00e0 tes foibles appas:\n Mon amour te pr\u00eatoit des charmes,\n Ingrate, que tu n'avois pas.\nElle y r\u00e9pondit par cette plaisante parodie:\n Insensible \u00e0 tes feux, insensible \u00e0 tes larmes,\n Je te vois renoncer \u00e0 mes foibles appas;\n Mais si l'amour pr\u00eate des charmes,\n Pourquoi n'en empruntois-tu pas?\nLe bonheur dont jouissoit _Ninon_ ne fut troubl\u00e9 qu'une fois, mais ce\nfut par l'accident le plus affreux. L'un des deux fils qu'elle avoit eus\nde _Villarceaux_, ignorant qu'elle \u00e9toit sa m\u00e8re, devint \u00e9perdument\namoureux d'elle, et lorsque voulant mettre fin \u00e0 cette fatale passion,\nelle lui e\u00fbt r\u00e9v\u00e9l\u00e9 le secret de sa naissance, l'infortun\u00e9 jeune homme\nalla se poignarder de d\u00e9sespoir. Son autre fils, nomm\u00e9 _la Boissi\u00e8re_,\nfit une esp\u00e8ce de fortune; il devint capitaine de vaisseau, et mourut \u00e0\nToulon, en 1732, \u00e2g\u00e9 de 75 ans.\nTout le monde sait que _Voltaire_ fut pr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 _Ninon_ au sortir du\ncoll\u00e9ge par l'abb\u00e9 de _Ch\u00e2teauneuf_, et qu'elle lui laissa par son\ntestament deux mille francs pour acheter des livres.\n_Ninon_ mourut \u00e0 Paris dans sa maison de la rue des Tournelles, au\nMarais, le 17 octobre 1706, sur les cinq heures du soir, \u00e0 l'\u00e2ge de\nquatre-vingt-dix ans et cinq mois.\nOn a \u00e9crit plusieurs fois sa vie. _Voltaire_ impatient\u00e9 de voir paro\u00eetre\ntant de _m\u00e9moires_ sur elle, disoit: _Si cette mode continue, il y aura\nbient\u00f4t autant d'histoires de Ninon que de Louis XIV._\nLETTRES\nDE\nMLLE. DE L'ENCLOS;\nA M. DE ST.-EVREMONT,\nET\nDE M. DE ST.-EVREMONT\nA MLLE. DE L'ENCLOS.\nLETTRE PREMI\u00c8RE.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nVotre vie, ma tr\u00e8s-ch\u00e8re, a \u00e9t\u00e9 trop illustre pour n'\u00eatre pas continu\u00e9e\nde la m\u00eame mani\u00e8re jusqu'\u00e0 la fin. Que l'_enfer de_ M. _de la\nRochefoucauld_[157] ne vous \u00e9pouvante pas; c'\u00e9toit un _enfer_ m\u00e9dit\u00e9,\ndont il vouloit faire une maxime. Prononcez donc le mot d'amour\nhardiment, et que celui de vieille ne sorte jamais de votre bouche. Il y\na tant d'esprit dans votre lettre, que vous ne laissez pas m\u00eame imaginer\nle commencement du retour. Quelle ingratitude d'avoir honte de nommer\nl'amour \u00e0 qui vous devez votre m\u00e9rite et vos plaisirs! Car enfin, ma\nbelle gardeuse de cassette, la r\u00e9putation de votre probit\u00e9 est\nparticuli\u00e8rement \u00e9tablie sur ce que vous avez r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 des amans qui se\nfussent accommod\u00e9s volontiers de l'argent de vos amis. Avouez toutes vos\npassions pour faire valoir toutes vos vertus. Cependant, vous n'avez\nexprim\u00e9 que la moiti\u00e9 du caract\u00e8re. Il n'y a rien de mieux que la part\nqui regarde vos amis; rien de plus sec que ce qui regarde vos amans. En\npeu de vers, je veux faire le caract\u00e8re entier; et le voici form\u00e9 de\ntoutes les qualit\u00e9s que vous avez, ou que vous avez eues.\n Dans vos amours on vous trouvoit l\u00e9g\u00e8re,\n En amiti\u00e9 toujours s\u00fbre et sinc\u00e8re;\n Pour vos amans les humeurs de V\u00e9nus,\n Pour vos amis les solides vertus.\n Quand les premiers vous nommoient infidelle,\n Et qu'asservis encore \u00e0 votre loi,\n Ils reprochoient une flamme nouvelle,\n Les autres se louoient de votre bonne foi.\n Tant\u00f4t c'\u00e9toit le naturel d'H\u00e9l\u00e8ne,\n Ses app\u00e9tits, comme tous ses appas;\n Tant\u00f4t c'\u00e9toit la probit\u00e9 romaine,\n C'\u00e9toit d'honneur la r\u00e8gle et le compas.\n Dans un couvent, en s\u0153ur d\u00e9positaire,\n Vous auriez bien m\u00e9nag\u00e9 quelqu'affaire;\n Et dans le monde, \u00e0 garder les d\u00e9p\u00f4ts,\n On vous e\u00fbt justement pr\u00e9f\u00e9r\u00e9e aux d\u00e9vots.\nQue cette diversit\u00e9 ne vous surprenne point.\n L'indulgente et sage nature,\n A form\u00e9 l'\u00e2me de _Ninon_,\n De la volupt\u00e9 d'\u00c9picure,\n Et de la vertu de Caton.\nLETTRE II.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nJ'\u00e9tois dans ma chambre, toute seule, et tr\u00e8s-lasse de lecture, lorsque\nl'on me dit: voil\u00e0 un homme de la part de M. _de Saint-Evremont_. Jugez\nsi tout mon ennui ne s'est pas dissip\u00e9 dans le moment. J'ai eu le\nplaisir de parler de vous, et j'en ai appris des choses que les lettres\nne disent point: votre sant\u00e9 parfaite et vos occupations. La joie de\nl'esprit en marque la force; et votre lettre, comme du temps que M.\n_d'Olonne_ vous faisoit suivre, m'assure que l'Angleterre vous promet\nencore quarante ans de vie; car il me semble que ce n'est qu'en\nAngleterre que l'on parle de ceux qui ont v\u00e9cu au del\u00e0 de l'\u00e2ge de\nl'homme. J'aurois souhait\u00e9 de passer ce qui me reste de vie avec vous:\nsi vous aviez pens\u00e9 comme moi, vous seriez ici. Il est pourtant assez\nbeau de se souvenir toujours des personnes que l'on a aim\u00e9es; et c'est\npeut-\u00eatre pour embellir mon \u00e9pitaphe que cette s\u00e9paration du corps s'est\nfaite. Je souhaiterois que le jeune[158] pr\u00e9dicateur m'e\u00fbt trouv\u00e9e dans\nla _gloire de Niqu\u00e9e_, o\u00f9 l'on ne change point; car il me paro\u00eet que\nvous m'y croyez des premi\u00e8res enchant\u00e9es. Ne changez point vos id\u00e9es sur\ncela; elles m'ont toujours \u00e9t\u00e9 favorables, et que cette communication,\nque quelques philosophes croyoient au-dessus de la pr\u00e9sence, dure\ntoujours.\nJ'ai t\u00e9moign\u00e9 \u00e0 M. _Turretin_ la joie que j'aurois de lui \u00eatre bonne \u00e0\nquelque chose. Il a trouv\u00e9 ici de mes amis qui l'ont jug\u00e9 digne des\nlouanges que vous lui donnez. S'il veut profiter de ce qui nous reste\nd'honn\u00eates abb\u00e9s en l'absence de la cour, il sera trait\u00e9 comme un homme\nque vous estimez. J'ai lu devant lui votre lettre avec des lunettes,\nmais elles ne me si\u00e9ent pas mal; j'ai toujours eu la mine grave. S'il\nest amoureux du m\u00e9rite que l'on appelle ici _distingu\u00e9_, peut-\u00eatre que\nvotre souhait sera accompli; car tous les jours on me veut consoler de\nmes pertes par ce beau mot.\nJ'ai su que vous souhaitiez _la Fontaine_ en Angleterre. On n'en jouit\ngu\u00e8re \u00e0 Paris. Sa t\u00eate est bien affoiblie: c'est le destin des po\u00ebtes;\nle Tasse et Lucr\u00e8ce l'ont \u00e9prouv\u00e9. Je doute qu'il y ait eu du philtre\namoureux pour _la Fontaine_. Il n'a gu\u00e8re aim\u00e9 de femmes qui en eussent\npu faire la d\u00e9pense.\nLETTRE III.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nM. _Turretin_ m'a une grande obligation de lui avoir donn\u00e9 votre\nconnoissance. Je ne lui en ai pas une m\u00e9diocre d'avoir servi de sujet \u00e0\nla belle lettre que je viens de recevoir. Je ne doute point qu'il ne\nvous ait trouv\u00e9e avec les m\u00eames yeux que je vous ai vue: ces yeux, par\nqui je connoissois toujours la nouvelle conqu\u00eate d'un amant, quand ils\nbrilloient un peu plus que de coutume, et qui nous faisoient dire:\n Telle n'est point la Cyth\u00e9r\u00e9e[159],\n Quand d'un nouveau feu s'allumant,\n Elle soit pompeuse et par\u00e9e\n Pour la conqu\u00eate d'un amant;\n Telle ne luit en sa carri\u00e8re\n Des mois l'in\u00e9gale courri\u00e8re;\n Et telle dessus l'horizon,\n L'Aurore au matin ne s'\u00e9tale,\n Quand les yeux m\u00eame de C\u00e9phalo\n En feroient la comparaison.\nVous \u00eates encore la m\u00eame pour moi; et quand la nature, qui n'a jamais\npardonn\u00e9 \u00e0 personne, auroit \u00e9puis\u00e9 son pouvoir \u00e0 produire une petite\nalt\u00e9ration aux traits de votre visage, mon imagination sera toujours\npour vous cette _gloire de Niqu\u00e9e_, o\u00f9 vous savez qu'on ne changeoit\npoint. Vous n'en avez pas affaire pour vos yeux et pour vos dents, j'en\nsuis assur\u00e9. Le plus grand besoin que vous ayez, c'est de mon jugement,\npour bien conno\u00eetre les avantages de votre esprit, qui se perfectionne\ntous les jours. Vous \u00eates plus spirituelle que n'\u00e9toit la jeune et vive\n_Ninon_.\n Telle n'\u00e9toit point _Ninon_,\n Quand le gagneur[160] de batailles,\n Apr\u00e8s l'exp\u00e9dition\n Oppos\u00e9e aux fun\u00e9railles,\nAttendoit avec vous en conversation\nLe m\u00e9rite nouveau d'une autre impulsion.\n Votre esprit, \u00e0 son courage\n Qui paroissoit abattu,\n Faisoit retrouver l'usage\n De sa premi\u00e8re vertu.\n Le charme de vos paroles\n Passoit ceux des Espagnoles,\n A ranimer tous les sens\n Des amoureux languissans.\n Tant qu'on vit \u00e0 votre service\n Un jeune, un aimable gar\u00e7on[161],\n A qui V\u00e9nus fut rarement propice,\n _Bussi_ n'en fit point de chanson.\n Vous \u00e9tiez m\u00eame regard\u00e9e\n Comme une nouvelle M\u00e9d\u00e9e;\nQui pourroit en amour rajeunir un \u00c9son.\nQue votre art seroit beau, qu'il seroit admirable,\n S'il me rendoit un Jason,\n Un Argonaute capable\n De conqu\u00e9rir la toison!\nLETTRE IV.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nJ'ai re\u00e7u la seconde lettre que vous m'avez \u00e9crite, obligeante,\nagr\u00e9able, spirituelle, o\u00f9 je reconnois les enjouemens de _Ninon_ et le\nbon sens de mademoiselle _de Lenclos_. Je savois comment la premi\u00e8re a\nv\u00e9cu; vous m'apprenez de quelle mani\u00e8re vit l'autre. Tout contribue \u00e0 me\nfaire regretter le temps heureux que j'ai pass\u00e9 dans votre commerce, et\n\u00e0 d\u00e9sirer inutilement de vous voir encore. Je n'ai pas la force de me\ntransporter en France, et vous y avez des agr\u00e9mens qui ne vous\nlaisseront pas venir en Angleterre. Madame _de Bouillon_ vous peut dire\nque l'Angleterre a ses charmes; et je serois un ingrat, si je n'avouois\nmoi-m\u00eame que j'y ai trouv\u00e9 des douceurs. J'ai appris avec beaucoup de\nplaisir que M. le comte _de Grammont_ a recouvr\u00e9 sa premi\u00e8re sant\u00e9, et\nacquis une nouvelle d\u00e9votion. Jusqu'ici je me suis content\u00e9\ngrossi\u00e8rement d'\u00eatre homme de bien. Il faut faire quelque chose de plus,\net je n'attends que votre exemple pour \u00eatre d\u00e9v\u00f4t. Vous vivez dans un\npays o\u00f9 l'on a de merveilleux avantages pour se sauver. Le vice n'y est\ngu\u00e8re moins oppos\u00e9 \u00e0 la mode qu'\u00e0 la vertu. P\u00e9cher, c'est ne savoir pas\nvivre, et choquer la biens\u00e9ance autant que la religion. Il ne falloit\nautrefois qu'\u00eatre m\u00e9chant; il faut \u00eatre de plus malhonn\u00eate homme pour se\ndamner en France pr\u00e9sentement. Ceux qui n'ont pas assez de consid\u00e9ration\npour l'autre vie, sont conduits au salut par les \u00e9gards et les devoirs\nde celle-ci. C'en est assez sur une mati\u00e8re o\u00f9 la conversion de M. le\ncomte _de Grammont_ m'a engag\u00e9. Je la crois sinc\u00e8re et honn\u00eate. Il sied\nbien \u00e0 un homme qui n'est pas jeune, d'oublier qu'il l'a \u00e9t\u00e9. Je ne l'ai\npu faire jusqu'ici. Au contraire, du souvenir de mes jeunes ans, de la\nm\u00e9moire de ma vivacit\u00e9 pass\u00e9e, je t\u00e2che d'animer la langueur de mes\nvieux jours. Ce que je trouve de plus f\u00e2cheux \u00e0 mon \u00e2ge, c'est que\nl'esp\u00e9rance est perdue: l'esp\u00e9rance, qui est la plus douce des passions,\net celle qui contribue davantage \u00e0 nous faire vivre agr\u00e9ablement.\nD\u00e9sesp\u00e9rer de vous voir jamais, est ce qui me fait le plus de peine. Il\nfaut se contenter de vous \u00e9crire quelquefois, pour entretenir une amiti\u00e9\nqui r\u00e9siste \u00e0 la longueur du temps, \u00e0 l'\u00e9loignement des lieux, et \u00e0 la\nfroideur ordinaire de la vieillesse[162]. Ce dernier mot me regarde. La\nnature commencera par vous, \u00e0 faire voir qu'il est possible de ne\nvieillir pas. Je vous prie de faire assurer M. le duc _de Lauzun_, de\nmes tr\u00e8s-humbles services, et de savoir si madame la mar\u00e9chale _de\nCr\u00e9qui_ lui a fait payer cinq cents \u00e9cus qu'il m'avoit pr\u00eat\u00e9s. On me l'a\n\u00e9crit, il y a long-temps; mais je n'en suis pas trop assur\u00e9.\nLETTRE V.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nIl y a plus d'un an que je demande de vos nouvelles \u00e0 tout le monde, et\npersonne ne m'en apprend.\nM. _de la Bastide_ m'a dit que vous vous portiez fort bien; mais il\najoute, que si vous n'avez plus tant d'amans, vous \u00eates contente d'avoir\nbeaucoup d'amis. La fausset\u00e9 de la derni\u00e8re nouvelle me fait douter de\nla v\u00e9rit\u00e9 de la premi\u00e8re. Vous \u00eates n\u00e9e pour aimer toute votre vie. Les\namans et les joueurs ont quelque chose de semblable. Qui a aim\u00e9,\naimera. Si l'on m'avoit dit que vous \u00e9tiez d\u00e9vote, je l'aurois pu\ncroire. C'est passer d'une passion humaine \u00e0 l'amour de Dieu, et donner\n\u00e0 son \u00e2me de l'occupation; mais ne pas aimer est une esp\u00e8ce de n\u00e9ant qui\nne peut convenir \u00e0 votre c\u0153ur.\n Ce repos languissant ne fut jamais un bien,\n C'est trouver, sans mourir, l'\u00e9tat o\u00f9 l'on n'est rien.\nJe vous demande des nouvelles de votre sant\u00e9, de vos occupations, de\nvotre humeur, et que ce soit dans une assez longue lettre, o\u00f9 il y ait\npeu de morale, et beaucoup d'affection pour votre ancien ami. L'on dit\nici que le comte _de Grammont_ est mort, ce qui me donne un d\u00e9plaisir\nfort sensible. Si vous connoissez _Barbin_, faites-lui demander pourquoi\nil imprime tant de choses sous mon nom, qui ne sont point de moi. J'ai\nassez de mes sottises, sans me charger de celles des autres. On me donne\nune pi\u00e8ce contre le p\u00e8re _Bouhours_, o\u00f9 je ne pensai jamais. Il n'y a\npas d'\u00e9crivain que j'estime plus que lui. Notre langue lui doit plus\nqu'\u00e0 aucun auteur, sans excepter _Vaugelas_. Dieu veuille que la\nnouvelle de la mort du comte _de Grammont_ soit fausse[163], et celle de\nvotre sant\u00e9 v\u00e9ritable!\nLa gazette de Hollande dit que _M. le comte de Lauzun se marie_; si cela\n\u00e9toit vrai, on l'auroit mand\u00e9 de Paris: outre cela, M. _de Lauzun_ est\n_duc_, et le nom de _comte_ ne lui convient point. Si vous avez la bont\u00e9\nde m'en \u00e9crire quelque chose, vous m'obligerez, et de faire bien des\ncomplimens \u00e0 M. _de Gourville_ de ma part, en cas que vous le voyiez\ntoujours. Pour des nouvelles de paix et de guerre, je ne vous en demande\npas. Je n'en \u00e9cris point, et je n'en re\u00e7ois pas davantage. Adieu. C'est\nle plus v\u00e9ritable de vos serviteurs qui gagneroit beaucoup si vous\nn'aviez point d'amans; car il seroit le premier de vos amis, malgr\u00e9 une\nabsence qu'on peut nommer \u00e9ternelle.\nLETTRE VI.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nJe d\u00e9fie Dulcin\u00e9e de sentir avec plus de joie le souvenir de son\nchevalier. Votre lettre a \u00e9t\u00e9 re\u00e7ue comme elle le m\u00e9rite, et _la triste\nfigure_ n'a point diminu\u00e9 le m\u00e9rite des sentimens. Je suis touch\u00e9e de\nleur force et de leur pers\u00e9v\u00e9rance. Conservez-les \u00e0 la honte de ceux qui\nse m\u00ealent d'en juger. Je crois, comme vous, que les rides sont les\nmarques de la sagesse. Je suis ravie que vos vertus ext\u00e9rieures ne vous\nattristent point. Je t\u00e2che d'en user de m\u00eame. Vous avez un ami[164],\ngouverneur de province, qui doit sa fortune \u00e0 ses agr\u00e9mens. C'est le\nseul vieillard qui ne soit pas ridicule \u00e0 la cour. M. _de Turenne_ ne\nvouloit vivre que pour le voir vieux. Il le verroit p\u00e8re de famille,\nriche et plaisant. Il a plus dit de plaisanteries sur sa nouvelle\ndignit\u00e9, que les autres n'en ont pens\u00e9. M. _d'Elbene_, que vous appeliez\n_le Cunctator_, est mort \u00e0 l'h\u00f4pital. Qu'est-ce que les jugemens des\nhommes! Si M. _d'Olonne_ vivoit, et qu'il e\u00fbt lu la lettre que vous\nm'\u00e9crivez, il vous auroit continu\u00e9 votre qualit\u00e9 de _son philosophe_. M.\n_de Lauzun_ est mon voisin. Il recevra vos complimens. Je vous rends\ntr\u00e8s-tendrement ceux de M. _de Charleval_. Je vous demande instamment de\nfaire souvenir M. _de Ruvigny_ de son amie de la rue des Tournelles.\nLETTRE VII.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nM. _de Charleval_ vient de mourir, et j'en suis si afflig\u00e9e, que je\ncherche \u00e0 me consoler par la part que je sais que vous y prendrez. Je le\nvoyois tous les jours. Son esprit avoit tous les charmes de la jeunesse,\net son c\u0153ur toute la bont\u00e9 et la tendresse d\u00e9sirable dans les v\u00e9ritables\namis. Nous parlions souvent de vous, et de tous les originaux de notre\ntems. Sa vie et celle que je m\u00e8ne pr\u00e9sentement avoient beaucoup de\nrapport. Enfin, c'est plus que de mourir soi-m\u00eame qu'une pareille perte.\nMandez-moi de vos nouvelles. Je m'int\u00e9resse \u00e0 votre vie \u00e0 Londres, comme\nsi vous \u00e9tiez ici, et les anciens amis ont des charmes que l'on ne\nconno\u00eet jamais si bien que lorsqu'on en est priv\u00e9.\nLETTRE VIII.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nJ'apprends avec plaisir que mon \u00e2me vous est plus ch\u00e8re que mon corps,\net que votre bon sens vous conduit toujours au meilleur. Le corps, \u00e0 la\nv\u00e9rit\u00e9, n'est plus digne d'attention, et l'\u00e2me a encore quelque lueur\nqui la soutient, et qui la rend sensible au souvenir d'un ami dont\nl'absence n'a point effac\u00e9 les traits. Je fais souvent de vieux contes\no\u00f9 M. _d'Elbene_, M. _de Charleval_ et le chevalier _de la Rivi\u00e8re_\nr\u00e9jouissent les modernes. Vous avez part aux beaux endroits. Mais comme\nvous \u00eates moderne aussi, j'observe de ne vous pas louer devant les\nacad\u00e9miciens qui se sont d\u00e9clar\u00e9s pour les anciens. Il m'est revenu un\nprologue en musique que je voudrois bien voir sur le th\u00e9\u00e2tre de Paris.\nLa beaut\u00e9, qui en fait le sujet, donneroit de l'envie \u00e0 toutes celles\nqui l'entendroient. Toutes nos H\u00e9l\u00e8nes n'ont pas le droit de trouver un\nHom\u00e8re, et d'\u00eatre toujours les D\u00e9esses de la beaut\u00e9. Me voici bien haut;\ncomment en descendre? Mon tr\u00e8s-cher ami, ne falloit-il pas mettre le\nc\u0153ur \u00e0 son langage? Je vous assure que je vous aime toujours plus\ntendrement que ne le permet la philosophie. Madame la duchesse _de\nBouillon_ est comme \u00e0 dix-huit ans. La source des charmes est dans le\nsang Mazarin. A cette heure que nos rois sont amis, ne devriez-vous pas\nvenir faire un tour ici? ce seroit pour moi le plus grand succ\u00e8s de la\npaix.\nLETTRE IX.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nJe prends un plaisir sensible \u00e0 voir de jeunes personnes, belles,\nfleuries, capables de plaire, propres \u00e0 toucher sinc\u00e8rement un vieux\nc\u0153ur comme le mien. Comme il y a toujours eu beaucoup de rapport entre\nvotre go\u00fbt, entre votre humeur, entre vos sentimens et les miens, je\ncrois que vous ne serez pas f\u00e2ch\u00e9e de voir un jeune cavalier qui sait\nplaire \u00e0 toutes nos dames. C'est M. le duc _de Saint-Albans_, que j'ai\npri\u00e9, autant pour son int\u00e9r\u00eat que pour le v\u00f4tre, de vous visiter. S'il y\na quelqu'un de vos amis avec M. _de Tallard_, du m\u00e9rite de notre temps,\n\u00e0 qui je puisse rendre quelque service, ordonnez. Faites-moi savoir\ncomment se porte notre ancien ami M. _de Gourville_. Je ne doute point\nqu'il ne soit bien dans ses affaires. S'il est mal dans sa sant\u00e9, je le\nplains.\nLe docteur _Morelli_, mon ami particulier, accompagne madame la comtesse\n_de Sandwich_, qui va en France pour sa sant\u00e9. Feu M. le comte _de\nRochester_, p\u00e8re de madame _Sandwich_, avoit plus d'esprit qu'homme\nd'Angleterre. Madame _Sandwich_ en a plus que n'avoit M. son p\u00e8re. Aussi\ng\u00e9n\u00e9reuse que spirituelle, aussi aimable que spirituelle et g\u00e9n\u00e9reuse:\nvoil\u00e0 une partie de ses qualit\u00e9s. Je m'\u00e9tendrai plus sur le m\u00e9decin que\nsur la malade.\nSept villes, comme vous savez, se disput\u00e8rent la naissance d'Hom\u00e8re.\nSept grandes nations se disputent celle du _Morelli_. L'Inde, l'\u00c9gypte,\nl'Arabie, la Perse, la Turquie, l'Italie, l'Espagne; les pays froids,\nles pays temp\u00e9r\u00e9s m\u00eame, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, n'y ont\naucune pr\u00e9tention. Il sait toutes les langues, il en parle la plupart.\nSon style haut, grand, figur\u00e9, me fait croire qu'il est n\u00e9 chez les\nOrientaux, et qu'il a pris ce qu'il y a de bon chez les Europ\u00e9ens. Il\naime la musique passionn\u00e9ment. Il est fou de la po\u00e9sie. Curieux en\npeinture, pour le moins; connoisseur, je ne le sais pas. Sur\nl'architecture, il a des amis qui la savent. C\u00e9l\u00e8bre, s\u00e9rieusement, dans\nsa profession; capable d'exercer celle des autres. Je vous prie de lui\nfaciliter la connoissance de tous vos illustres. S'il a bien la v\u00f4tre,\nje le tiens assez heureux. Vous ne lui sauriez faire conno\u00eetre personne\nqui ait un m\u00e9rite si singulier que vous. Il me semble qu'\u00c9picure faisoit\nune partie de son souverain bien, du souvenir des choses pass\u00e9es. Il n'y\na plus de souverain bien pour un homme de cent ans comme moi; mais il\nest encore des consolations. Celle de me souvenir de vous, et de tout ce\nque je vous ai ou\u00ef dire, est une des plus grandes. Je vous \u00e9cris bien\ndes choses dont vous ne vous souciez gu\u00e8re; je ne songe pas qu'elle vous\nennuieront: il me suffit qu'elles me plaisent. Il ne faut pas, \u00e0 mon\n\u00e2ge, croire qu'on puisse plaire aux autres. Mon m\u00e9rite est de me\ncontenter. Trop heureux de le pouvoir faire en vous \u00e9crivant! Songez \u00e0\nme m\u00e9nager du vin avec M. _de Gourville_. Je suis log\u00e9 avec M. _de\nl'Hermitage_, un de ses parens, fort honn\u00eate homme, r\u00e9fugi\u00e9 en\nAngleterre pour sa religion. Je suis f\u00e2ch\u00e9 que la conscience des\ncatholiques fran\u00e7ois ne l'ait pu souffrir \u00e0 Paris, ou que la d\u00e9licatesse\nde la sienne l'en ait fait sortir. Il m\u00e9rite l'approbation de son\ncousin, assur\u00e9ment.\nLETTRE X.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nA quoi songez-vous de croire que la vue d'un jeune homme soit un plaisir\npour moi? Vos sens vous trompent sur ceux des autres. J'ai tout oubli\u00e9\nhors mes amis. Si le nom de _docteur_ ne m'avoit rassur\u00e9e, je vous\naurois fait r\u00e9ponse par l'abb\u00e9 _de Hautefeuille_, et vos Anglois\nn'auroient pas entendu parler de moi. On leur a dit \u00e0 ma porte que je\nn'y \u00e9tois pas, et on y re\u00e7ut votre lettre qui m'a autant r\u00e9jouie\nqu'aucune que j'aie jamais re\u00e7ue de vous. Quelle envie d'avoir de bon\nvin! et que je suis malheureuse de ne pouvoir vous r\u00e9pondre du succ\u00e8s!\nM. _de l'Hermitage_ vous diroit aussi bien que moi que M. _de Gourville_\nne sort plus de sa chambre. Assez indiff\u00e9rent pour toutes sortes de\ngo\u00fbts, bon ami toujours, mais que ses amis ne songent pas d'employer, de\npeur de lui donner des soins. Apr\u00e8s cela, si par quelque insinuation que\nje ne pr\u00e9vois pas encore, je puis employer mon savoir-faire pour le vin,\nne doutez pas que je ne le fasse. M. _de Tallard_ a \u00e9t\u00e9 de mes amis\nautrefois, mais les grandes affaires d\u00e9tournent les grands hommes des\ninutilit\u00e9s. On m'a dit que M. l'abb\u00e9 _Dubois_[165] iroit avec lui.\nC'est un petit homme d\u00e9li\u00e9, qui vous plaira, je crois. Il y a vingt de\nvos lettres entre mes mains: on les lit ici avec admiration; vous voyez\nque le bon go\u00fbt n'est pas fini en France. J'ai \u00e9t\u00e9 charm\u00e9e de l'endroit\no\u00f9 vous ne craignez pas d'ennuyer; et que vous \u00eates sage, si vous ne\nvous souciez plus que de vous! non pas que le principe ne soit faux pour\nvous, de ne pouvoir plus plaire aux autres. J'ai \u00e9crit \u00e0 M. _Morelli_;\nsi je trouve en lui toutes les sciences dont vous me parlez, je le\nregarderai comme un vrai _docteur_.\nLETTRE XI.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nJ'ai envoy\u00e9 une r\u00e9ponse \u00e0 votre derni\u00e8re lettre, Monsieur, au\ncorrespondant de M. l'abb\u00e9 _Dubois_; et je crains, comme il \u00e9toit \u00e0\nVersailles, qu'elle ne lui ait pas \u00e9t\u00e9 rendue. Je serois fort en peine\nde votre sant\u00e9, sans la visite du bon petit biblioth\u00e9caire de madame _de\nBouillon_[166], qui me combla de joie, en me montrant une lettre d'une\npersonne qui songe \u00e0 moi \u00e0 cause de vous. Quelque sujet que j'aie eu\ndans ma maladie de me louer du monde et de mes amis, je n'ai rien\nressenti de plus vif que cette marque de bont\u00e9. Faites sur cela tout ce\nque vous \u00eates oblig\u00e9 de faire, puisque c'est vous qui me l'avez attir\u00e9e.\nJe vous prie que je sache, par vous-m\u00eame, si vous avez rattrap\u00e9 ce\nbonheur dont on jouit si peu en de certains temps. La source ne sauroit\ntarir tant que vous aurez l'amiti\u00e9 de l'aimable personne qui soutient\nvotre vie[167]. Que j'envie ceux qui passent en Angleterre! et que\nj'aurois de plaisir de d\u00eener encore une fois avec vous! n'est-ce point\nune grossi\u00e8ret\u00e9 que le souhait d'un d\u00eener? L'esprit a de grands\navantages sur le corps: cependant ce corps fournit souvent de petits\ngo\u00fbts qui se r\u00e9it\u00e8rent, et qui soulagent l'\u00e2me de ses tristes\nr\u00e9flexions. Vous vous \u00eates souvent moqu\u00e9 de celles que je faisois: je\nles ai toutes bannies. Il n'est plus temps quand on est arriv\u00e9 au\ndernier p\u00e9riode de la vie: il faut se contenter du jour o\u00f9 l'on vit. Les\nesp\u00e9rances prochaines, quoique vous en disiez, valent bien autant que\ncelles qu'on \u00e9tend plus loin: elles sont plus s\u00fbres. Voici une belle\nmorale. Portez-vous bien, voil\u00e0 \u00e0 quoi tout doit aboutir.\nLETTRE XII.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nAvril 1698.\nM. l'abb\u00e9 _Dubois_ m'a rendu votre lettre, Monsieur, et m'a dit autant\nde bien de votre estomac que de votre esprit. Il vient des temps o\u00f9 l'on\nfait bien plus de cas de l'estomac que de l'esprit; et j'avoue \u00e0 ma\nhonte que je vous trouve plus heureux de jouir de l'un que de l'autre.\nJ'ai toujours cru que votre esprit dureroit autant que vous. On n'est\npas si s\u00fbr de la sant\u00e9 du corps, sans quoi il ne reste que de tristes\nr\u00e9flexions. Insensiblement je m'embarquerois \u00e0 en faire: voici un autre\nchapitre; il regarde un joli gar\u00e7on qu'un d\u00e9sir de voir les honn\u00eates\ngens de toute sorte de pays a fait quitter une maison opulente, sans\ncong\u00e9. Peut-\u00eatre bl\u00e2merez-vous sa curiosit\u00e9; mais l'affaire est faite.\nIl sait beaucoup de choses; il en ignore d'autres qu'il faut ignorer \u00e0\nson \u00e2ge. Je l'ai cru digne de vous voir, pour lui faire commencer \u00e0\nsentir qu'il n'a pas perdu son temps d'aller en Angleterre. Traitez-le\nbien pour l'amour de moi. Je l'ai fait prier par son fr\u00e8re a\u00een\u00e9, qui est\nparticuli\u00e8rement mon ami, d'aller savoir des nouvelles de madame la\nduchesse _Mazarin_ et de madame _Hervey_, puisqu'elles ont bien voulu se\nsouvenir de moi.\nLETTRE XIII.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nJe n'ai jamais vu de lettre o\u00f9 il y e\u00fbt tant de bon sens que dans la\nv\u00f4tre. Vous faites l'\u00e9loge de l'estomac si avantageusement qu'il y aura\nde la honte \u00e0 avoir bon esprit, \u00e0 moins que d'avoir bon estomac. Je\nsuis oblig\u00e9 \u00e0 M. l'abb\u00e9 _Dubois_ de m'avoir fait valoir aupr\u00e8s de vous\npar ce bel endroit. A quatre-vingt-huit ans, je mange des hu\u00eetres tous\nles matins, je d\u00eene bien, je ne soupe pas mal; on fait des h\u00e9ros pour un\nmoindre m\u00e9rite que le mien.\n Qu'on ait plus de bien, de cr\u00e9dit,\n Plus de vertu, plus de conduite,\n Je n'en aurai point de d\u00e9pit;\n Qu'un autre me passe en m\u00e9rite\n Sur le go\u00fbt et sur l'app\u00e9tit,\n C'est l'avantage qui m'irrite.\n L'estomac est le plus grand bien,\n Sans lui les autres ne sont rien.\n Un grand c\u0153ur veut tout entreprendre,\n Un grand esprit veut tout comprendre:\nLes droits de l'estomac sont de bien dig\u00e9rer:\nEt dans les sentimens que me donne mon \u00e2ge,\nLa beaut\u00e9 de l'esprit, la grandeur du courage,\nN'ont rien qu'\u00e0 sa vertu l'on puisse comparer.\n\u00c9tant jeune, je n'admirois que l'esprit, moins attach\u00e9 aux int\u00e9r\u00eats du\ncorps que je ne devois l'\u00eatre. Aujourd'hui je r\u00e9pare autant qu'il m'est\npossible le tort que j'ai eu, ou par l'usage que j'en fais, ou par\nl'estime et l'amiti\u00e9 que j'ai pour lui. Vous en avez us\u00e9 autrement. Le\ncorps vous a \u00e9t\u00e9 quelque chose dans votre jeunesse; pr\u00e9sentement vous\nn'\u00eates occup\u00e9e que de ce qui regarde l'esprit. Je ne sais pas si vous\navez raison de l'estimer tant. On ne lit presque rien qui vaille la\npeine d'\u00eatre retenu. On ne dit presque rien qui m\u00e9rite d'\u00eatre \u00e9cout\u00e9.\nQuelque mis\u00e9rables que soient les sens \u00e0 l'\u00e2ge o\u00f9 je suis, les\nimpressions que font sur eux les objets qui plaisent, me trouvent bien\nplus sensible, et nous avons grand tort de les vouloir mortifier. C'est\npeut-\u00eatre une jalousie de l'esprit, qui trouve leur partage meilleur que\nle sien. M. _Bernier_, le plus joli philosophe que j'aie connu. (Joli\nphilosophe ne se dit gu\u00e8re; mais sa figure, sa taille, sa mani\u00e8re, sa\nconversation, l'ont rendu digne de cette \u00e9pith\u00e8te-l\u00e0.) M. _Bernier_, en\nparlant de la mortification des sens, me dit un jour: \u00abJe vais vous\nfaire une confidence que je ne ferois pas \u00e0 madame _de la Sabli\u00e8re_, \u00e0\nmademoiselle _de l'Enclos_ m\u00eame, que je tiens d'un ordre sup\u00e9rieur; je\nvous dirai en confidence que l'abstinence des plaisirs me paro\u00eet un\ngrand p\u00e9ch\u00e9\u00bb. Je fus surpris de la nouveaut\u00e9 du syst\u00e8me. Il ne laissa\npas de faire quelqu'impression sur moi. S'il e\u00fbt continu\u00e9 son discours,\npeut-\u00eatre m'auroit-il fait go\u00fbter sa doctrine. Continuez-moi votre\namiti\u00e9, qui n'a jamais \u00e9t\u00e9 alt\u00e9r\u00e9e; ce qui est rare dans un aussi long\ncommerce que le n\u00f4tre.\nLETTRE XIV.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nAo\u00fbt 1698.\nM. _de Cl\u00e9rembault_ m'a fait un sensible plaisir en me disant que vous\nsongiez \u00e0 moi: j'en suis digne par l'attachement que je conserve pour\nvous. Nous allons m\u00e9riter des louanges de la post\u00e9rit\u00e9 par la dur\u00e9e de\nnotre vie, et par celle de notre amiti\u00e9. Je crois que je vivrai autant\nque vous. Je suis lasse quelquefois de faire toujours la m\u00eame chose; et\nje loue le Suisse qui se jeta dans la rivi\u00e8re par cette raison. Mes amis\nme reprennent souvent sur cela, et m'assurent que la vie est bonne, tant\nque l'on est tranquille et que l'esprit est sain. La force du corps\ndonne d'autres pens\u00e9es. L'on pr\u00e9f\u00e9reroit sa force \u00e0 celle de l'esprit;\nmais tout est inutile quand on ne sauroit rien changer. Il vaut autant\ns'\u00e9loigner des r\u00e9flexions, que d'en faire qui ne servent \u00e0 rien. Madame\n_Sandwich_ m'a donn\u00e9 mille plaisirs, par le bonheur que j'ai eu de lui\nplaire. Je ne croyois pas sur mon d\u00e9clin pouvoir \u00eatre propre \u00e0 une femme\nde son \u00e2ge. Elle a plus d'esprit que toutes les femmes de France, et\nplus de v\u00e9ritable m\u00e9rite. Elle nous quitte; c'est un regret pour tout ce\nqui la conno\u00eet, et pour moi particuli\u00e8rement. Si vous aviez \u00e9t\u00e9 ici,\nnous aurions fait des repas dignes du temps pass\u00e9. Aimez-moi toujours.\nMadame _de Coulanges_ a pris la commission de faire vos complimens \u00e0 M.\nle comte _de Grammont_ par madame la comtesse _de Grammont_. Il est si\njeune, que je le crois aussi l\u00e9ger, que du temps qu'il ha\u00efssoit les\nmalades, et qu'il les aimoit d\u00e8s qu'ils \u00e9toient revenus en sant\u00e9. Tout\nce qui revient d'Angleterre parle de la beaut\u00e9 de madame la duchesse\n_Mazarin_, comme on parle ici de celle de mademoiselle _de Bellefond_\nqui commence. Vous m'avez attach\u00e9e \u00e0 madame _Mazarin_, et je n'en\nentends point dire de bien sans plaisir. Adieu, Monsieur; pourquoi\nn'est-ce pas un bon jour? Il ne faudroit pas mourir sans se voir.\nLETTRE XV.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT[168].\nLe 3 juillet 1699.\nQuelle perte pour vous, Monsieur! Si on n'avoit pas \u00e0 se perdre\nsoi-m\u00eame, on ne se consoleroit jamais. Je vous plains sensiblement; vous\nvenez de perdre un commerce aimable, qui vous a soutenu dans un pays\n\u00e9tranger. Que peut-on faire pour remplacer un tel malheur? Ceux qui\nvivent long-temps, sont sujets \u00e0 voir mourir leurs amis. Apr\u00e8s cela\nvotre esprit, votre philosophie vous servira \u00e0 vous soutenir. J'ai senti\ncette mort comme si j'avois eu l'honneur de conno\u00eetre madame _Mazarin_.\nElle a song\u00e9 \u00e0 moi dans mes maux: j'ai \u00e9t\u00e9 touch\u00e9e de cette bont\u00e9; et\nce qu'elle \u00e9toit pour vous m'avoit attach\u00e9e \u00e0 elle. Il n'y a plus de\nrem\u00e8de, et il n'y en a nul \u00e0 ce qui arrive \u00e0 nos pauvres corps.\nConservez le v\u00f4tre. Vos amis aiment \u00e0 vous voir si sain et si sage; car\nje tiens pour sages ceux qui savent se rendre heureux. Je vous rends\nmille gr\u00e2ces du th\u00e9 que vous m'avez envoy\u00e9. La ga\u00eet\u00e9 de votre lettre m'a\nautant plu que votre pr\u00e9sent. Vous allez ravoir madame _Sandwich_, que\nnous voyons partir avec beaucoup de regret. Je voudrois que la situation\nde sa vie vous p\u00fbt servir de quelque consolation. J'ignore les mani\u00e8res\nangloises: cette dame a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-fran\u00e7oise ici. Adieu mille fois,\nMonsieur. Si l'on pouvoit penser comme madame _de Chevreuse_, qui\ncroyoit en mourant qu'elle alloit causer avec tous ses amis en l'autre\nmonde, il seroit doux de le penser.\nLETTRE XVI.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\nVotre lettre m'a remplie de d\u00e9sirs inutiles dont je ne me croyois plus\ncapable. Les jours se passent, comme disoit le bon homme _des Yveteaux_,\ndans l'ignorance et la paresse; et ces jours nous d\u00e9truisent, et nous\nfont perdre les choses \u00e0 quoi nous sommes attach\u00e9s. Vous l'\u00e9prouverez\ncruellement. Vous disiez autrefois que je ne mourrois que de r\u00e9flexion:\nje t\u00e2che \u00e0 n'en plus faire et \u00e0 oublier le lendemain le jour que je vis\naujourd'hui. Tout le monde me dit que j'ai moins \u00e0 me plaindre du temps\nqu'un autre. De quelque sorte que cela soit, qui m'auroit propos\u00e9 une\ntelle vie, je me serois pendue. Cependant on tient \u00e0 un vilain corps\ncomme \u00e0 un corps agr\u00e9able. On aime \u00e0 sentir l'aise et le repos.\nL'app\u00e9tit est quelque chose dont je jouis encore. Pl\u00fbt \u00e0 Dieu de pouvoir\n\u00e9prouver mon estomac avec le v\u00f4tre, et parler de tous les originaux que\nnous avons connus, dont le souvenir me r\u00e9jouit plus que la pr\u00e9sence de\nbeaucoup de gens que je vois, quoiqu'il y ait du bon dans tout cela,\nmais, \u00e0 dire le vrai, nul rapport! M. _de Cl\u00e9rembault_ me demande\nsouvent, s'il ressemble par l'esprit \u00e0 son p\u00e8re: non, lui dis-je; mais\nj'esp\u00e8re de sa pr\u00e9somption qu'il croit ce _non_ avantageux, et peut-\u00eatre\nqu'il y a des gens qui le trouveroient. Quelle comparaison du si\u00e8cle\npr\u00e9sent avec celui que nous avons vu! Vous allez voir madame _Sandwich_;\nmais je crains qu'elle n'aille \u00e0 la campagne. Elle sait tout ce que vous\npensez d'elle. Madame _Sandwich_ vous dira plus de nouvelles de ce\npays-ci que moi. Elle a tout approfondi et tout p\u00e9n\u00e9tr\u00e9. Elle conno\u00eet\nparfaitement tout ce que je hante, et a trouv\u00e9 le moyen de n'\u00eatre point\n\u00e9trang\u00e8re ici.\nLETTRE XVII.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nLa derni\u00e8re lettre que je re\u00e7ois de mademoiselle _de l'Enclos_ me semble\ntoujours la meilleure; et ce n'est point que le sentiment du plaisir\npr\u00e9sent l'emporte sur le souvenir du pass\u00e9: la v\u00e9ritable raison est que\nvotre esprit se fortifie tous les jours. S'il en est du corps comme de\nl'esprit, je soutiendrois mal ce combat d'estomac dont vous me parlez.\nJ'ai voulu faire un essai du mien contre celui de madame _Sandwich_, \u00e0\nun grand repas, chez milord _Jersey_; je ne fus pas vaincu. Tout le\nmonde conno\u00eet l'esprit de madame _Sandwich_: je vois son bon go\u00fbt par\nl'estime extraordinaire qu'elle a pour vous. Je ne fus pas vaincu sur\nles louanges qu'elle vous donna, non plus que sur l'app\u00e9tit. Vous \u00eates\nde tous les pays; aussi estim\u00e9e \u00e0 Londres qu'\u00e0 Paris. Vous \u00eates de tous\nles temps; et quand je vous all\u00e8gue pour faire honneur au mien, les\njeunes gens vous nomment aussit\u00f4t pour donner l'avantage au leur. Vous\nvoil\u00e0 ma\u00eetresse du pr\u00e9sent et du pass\u00e9; puissiez-vous avoir des droits\nconsid\u00e9rables sur l'avenir! je n'ai pas en vue la r\u00e9putation; elle vous\nest assur\u00e9e dans tous les temps. Je regarde une chose plus essentielle;\nc'est la vie, dont huit jours valent mieux que huit si\u00e8cles de gloire\napr\u00e8s la mort. _Qui vous auroit propos\u00e9 autrefois de vivre comme vous\nvivez, vous vous seriez pendue_; l'expression me charme; cependant vous\nvous contentez de l'aise, et du repos, apr\u00e8s avoir senti ce qu'il y a de\nplus vif.\n L'esprit vous satisfait, ou du moins vous console;\n Mais on pr\u00e9f\u00e9reroit de vivre jeune et folle,\n Et laisser aux vieillards, exempts de passions,\n La triste gravit\u00e9 de leurs r\u00e9flexions.\nIl n'y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi. Comme\nje n'y tiens que par le souvenir, je suis votre exemple, et m'accommode\ndu pr\u00e9sent le mieux qu'il m'est possible. Pl\u00fbt \u00e0 Dieu que madame\n_Mazarin_ e\u00fbt \u00e9t\u00e9 de notre sentiment! elle vivroit encore; mais elle a\nvoulu mourir la plus belle du monde. Madame _Sandwich_ va \u00e0 la campagne.\nElle part d'ici admir\u00e9e \u00e0 Londres comme elle l'a \u00e9t\u00e9 \u00e0 Paris. Vivez; la\nvie est bonne quand elle est sans douleur. Je vous prie de faire tenir\nce billet \u00e0 M. l'abb\u00e9 _de Hautefeuille_, chez madame la duchesse _de\nBouillon_. Je vois quelquefois les amis de M. l'abb\u00e9 _Dubois_, qui se\nplaignent d'\u00eatre oubli\u00e9s. Assurez-le de mes tr\u00e8s-humbles respects.\nLETTRE XVIII.\n_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _\u00e0 M._ DE SAINT-EVREMONT.\n14 octobre, 1700.\nLe bel esprit est bien dangereux dans l'amiti\u00e9! Votre lettre en auroit\ng\u00e2t\u00e9 une autre que moi. Je connois votre imagination vive et \u00e9tonnante,\net j'ai m\u00eame eu besoin de me souvenir que _Lucien_ a \u00e9crit \u00e0 la louange\nde la Mouche, pour m'accoutumer \u00e0 votre style. Pl\u00fbt \u00e0 Dieu que vous\npussiez penser de moi ce que vous en dites! je me passerois de toutes\nles nations. Aussi est-ce \u00e0 vous que la gloire en demeure. C'est un\nchef-d'\u0153uvre que votre derni\u00e8re lettre. Elle a fait le sujet de toutes\nles conversations que l'on a eues dans ma chambre depuis un mois. Vous\nretournez \u00e0 la jeunesse: vous faites bien de l'aimer. La philosophie\nsied bien avec les agr\u00e9mens de l'esprit. Ce n'est pas assez d'\u00eatre\nsage, il faut plaire; et je vois bien que vous plairez toujours tant que\nvous penserez comme vous pensez. Peu de gens r\u00e9sistent aux ann\u00e9es. Je\ncrois ne m'en \u00eatre pas encore laiss\u00e9 accabler. Je souhaiterois, comme\nvous, que madame _Mazarin_ e\u00fbt regard\u00e9 la vie en elle-m\u00eame sans songer \u00e0\nson visage, qui e\u00fbt toujours \u00e9t\u00e9 aimable, quand le bon sens auroit tenu\nla place de quelque \u00e9clat de moins. Madame _Sandwich_ conservera la\nforce de l'esprit en perdant la jeunesse, au moins le pense-je ainsi.\nAdieu, Monsieur, quand vous verrez madame la comtesse de _Sandwich_,\nfaites-la souvenir de moi; je serois tr\u00e8s-f\u00e2ch\u00e9e d'en \u00eatre oubli\u00e9e.\nLETTRE XIX.\n_M._ DE SAINT-EVREMONT _\u00e0 mademoiselle_ DE L'ENCLOS.\nLe premier janvier 1701.\nOn m'a rendu dans le mois de d\u00e9cembre la lettre que vous m'avez \u00e9crite\nle 14 octobre 1700. Elle est un peu vieille; mais les bonnes choses sont\nagr\u00e9ablement re\u00e7ues, quelque tard qu'elles arrivent. Vous \u00eates s\u00e9rieuse,\net vous plaisez. Vous donnez de l'agr\u00e9ment \u00e0 _S\u00e9n\u00e8que_, qui n'est pas\naccoutum\u00e9 d'en avoir. Vous vous dites vieille avec toutes les gr\u00e2ces de\nl'humeur et de l'esprit des jeunes gens. J'ai une curiosit\u00e9 que vous\npouvez satisfaire: quand il vous souvient de votre jeunesse, le souvenir\ndu pass\u00e9 ne vous donne-t-il point de certaines id\u00e9es aussi \u00e9loign\u00e9es de\nla langueur de l'indolence que du trouble de la passion? Ne sentez-vous\npoint dans votre c\u0153ur une opposition secr\u00e8te \u00e0 la tranquillit\u00e9 que vous\npensez avoir donn\u00e9e \u00e0 votre esprit?\n Mais aimer et vous voir aim\u00e9e,\n Est une douce illusion,\n Qui dans votre c\u0153ur s'est form\u00e9e\n De concert avec la raison.\n D'une amoureuse sympathie\n Il faut pour arr\u00eater le cours,\n Arr\u00eater celui de nos jours;\n Sa fin est celle de la vie.\n Puissent les destins complaisans\n Vous donner encore trente ans\n D'amour et de philosophie!\nC'est ce que je vous souhaite le premier jour de l'ann\u00e9e 1701, jour o\u00f9\nceux qui n'ont rien \u00e0 donner, donnent pour \u00e9trennes des souhaits.\n_Fin des lettres de mademoiselle de l'Enclos et de M. de\nSaint-Evremont._\nLA COQUETTE VENG\u00c9E;\nPAR MLLE. DE L'ENCLOS.\nMa ni\u00e8ce, disoit _\u00c9l\u00e9onore_ \u00e0 _Philim\u00e8ne_, quand vous serez \u00e0 Paris, ne\nfaites point amiti\u00e9 ni conversation avec toute sorte d'hommes; il y a\nbien du choix \u00e0 faire parmi eux; mais sur-tout \u00e9vitez les philosophes.\nVoil\u00e0 un mot que vous n'entendez pas, je le vois bien; un peu de\npatience, vous allez bient\u00f4t savoir ce que c'est. Quand _Dorilas_, votre\nfr\u00e8re, alloit au coll\u00e9ge, vous avez vu souvent d\u00eener chez vous un\ncertain homme qui faisoit tant de r\u00e9v\u00e9rences et tant de gestes en\nentrant, qui rioit au nez \u00e0 tout le monde, qui parloit toute sorte de\nlangues hormis la n\u00f4tre, qui avoit toujours les cheveux mal peign\u00e9s, la\nbarbe sale, et le collet entr'ouvert, toujours crott\u00e9, toujours la\nsoutane grasse et le long manteau d\u00e9chir\u00e9. Ne vous souvient-il pas d'un\n\u00e9clat de rire qui vous prit \u00e0 table un jour, quand il disoit au laquais\nqui lui donnoit \u00e0 boire qu'il se couvrit, autrement qu'il n'accepteroit\njamais le verre de sa main, avec des complimens si longs et si\nopini\u00e2tres, qu'il f\u00fbt mort de soif, si votre p\u00e8re n'e\u00fbt eu piti\u00e9 de lui?\nVous le connoissez; c'\u00e9toit le ma\u00eetre qui enseignoit la philosophie \u00e0\n_Dorilas_, c'\u00e9toit un philosophe; mais il n'\u00e9toit pas de ceux dont je\nvous veux parler.\nVous avez encore ou\u00ef parler cent fois d'un certain abb\u00e9 qui est dans\nnotre voisinage, dont la vie est toute retir\u00e9e, qui ne songe qu'\u00e0 lui,\nqui ne veut point faire d'amis de peur de s'engager \u00e0 \u00eatre le leur, qui\nse cache au grand monde pour en \u00e9viter l'embarras, qui fuit les\ncompagnies comme autant d'occasions d'intrigues et de soucis, qui n'aime\nque ses livres et ses chiens, et encore plus ses chiens que ses livres;\net autant de fois que nous en avons parl\u00e9, vous nous avez toujours ou\u00ef\ndire que c'\u00e9toit un philosophe; ce n'est point encore l\u00e0 ce que\nj'entends.\nIl y a d'autres philosophes qui aiment la compagnie, mais celle de leurs\nsemblables, o\u00f9 ils ont leurs coud\u00e9es franches et la libert\u00e9 enti\u00e8re de\ntout dire et de tout faire, des philosophes goinfres qui courent le\ncabaret, qui ivrognent sans cesse, parce qu'ils disent qu'ils n'ont\njamais tant de plaisir que quand ils ont noy\u00e9 ou endormi leur raison,\nqui leur joue cent mauvais tours quand elle veille, qui les contraint de\nfaire cent r\u00e9flexions f\u00e2cheuses, et qu'ils appellent l'ennemie capitale\nde leur repos. Ces philosophes-l\u00e0 portent leur reproche avec eux.\nQuand je dis donc que vous devez \u00e9viter les philosophes, je n'entends\npoint parler, ni d'un docteur, ni d'un solitaire, ni d'un libertin dont\nla profession est ouverte et d\u00e9clar\u00e9e. J'entends certains p\u00e9dans\nd\u00e9guis\u00e9s, p\u00e9dans de robe courte, des philosophes de chambre qui ont le\nteint un peu plus frais que les autres, parce qu'ils se nourrissent \u00e0\nl'ombre, et qu'ils ne s'exposent jamais \u00e0 la poussi\u00e8re et au soleil; des\nphilosophes de ruelles qui dogmatisent dans des fauteuils; des\nphilosophes galans qui raisonnent sans cesse sur l'amour, et qui n'ont\nrien de raisonnable pour se faire aimer. Vous ne sauriez croire combien\nces gens-l\u00e0 sont incommodes.\nAu commencement que j'\u00e9tois \u00e0 Paris, encore toute pleine de l'air de nos\nprovinces, lorsque le premier venu m'\u00e9toit bon, pourvu qu'il me d\u00eet\nquelque chose, je fis connoissance avec un de ces gens-l\u00e0. Il vint par\nhasard dans une maison o\u00f9 j'\u00e9tois en visite avec une de mes cousines; il\n\u00e9toit habill\u00e9 fort uniment, il n'avoit ni ruban, ni dentelle, il ne me\nsouvient pas m\u00eame s'il avoit des glands; son chapeau \u00e9toit un peu lustr\u00e9\navec un petit cr\u00eape, son bas de soie ne faisoit pas le moindre pli, le\nmanteau sur ses deux \u00e9paules, le pourpoint ferm\u00e9, la petite manchette au\nbout, le gand de Grenoble \u00e0 la main, il n'y avoit rien de superflu; un\nclin-d'\u0153il, un souris, un petit mouvement de t\u00eate suppl\u00e9eoient \u00e0 toutes\nces r\u00e9v\u00e9rences \u00e9tudi\u00e9es qui ne sont bonnes \u00e0 rien. Le fils de la maison\nlui fit grand accueil. Voil\u00e0 mon fils qui est ravi de vous voir, lui dit\nsa m\u00e8re; c'est Monsieur tel, dit-elle \u00e0 toute la compagnie; et dans la\ncompagnie il y avoit force dames. Je ne vis pas qu'elles s'en \u00e9murent\nbeaucoup. Je crus que le sujet de l'entretien qu'il avoit interrompu par\nson arriv\u00e9e, les attachoit si fort qu'elles ne pens\u00e8rent point \u00e0 lui\nfaire compliment. Son nom ne m'\u00e9toit pas inconnu; des jeunes gens qui\nrevenoient de Paris m'en avoient parl\u00e9 dans la province. Il prit un\nsi\u00e9ge aupr\u00e8s de moi. On continua l'entretien d'un certain mariage qui\ns'\u00e9toit fait \u00e0 la cour. Ni lui, ni moi ne disions pas un mot; moi, parce\nque je ne savois rien; lui, parce que le sujet ne lui plaisoit pas. Il\ns'imagina que la m\u00eame raison nous faisoit taire tous deux. Apr\u00e8s avoir\nattendu quelque temps: nous ne sommes, ni vous, ni moi, me dit-il tout\nbas, du grand entretien; nous en pouvons faire un second entre nous sans\ntroubler le leur: aussi bien elles parlent si haut qu'elles\ns'\u00e9tourdissent elles-m\u00eames, et par cons\u00e9quent, il est impossible, dans\nle bruit qu'elles font, qu'elles nous entendent. Je lui r\u00e9pondis; il me\ndit encore quelqu'autre chose; je lui fis aussi quelque autre r\u00e9ponse,\nmais j'affectois toujours de mettre dans ce que je disois quelque pointe\net quelque mot extraordinaire. Il me reconnut provinciale; il me fit\nalors cent questions sur mon pays, sur ma naissance, sur mon nom, sur ma\ndemeure, sur les livres que je lisois. Que ne dit-il point contre\n_Balzac_, _Voiture_ et tous les faiseurs de lettres, de com\u00e9dies et de\nromans! On abandonne l\u00e2chement la connoissance des choses solides pour\ns'attacher aux mots. Il me tint un grand discours l\u00e0-dessus avec tant de\nchaleur, que souvent il en roidissoit le bras et fermoit le poing.\nTrouvez bon, me dit-il \u00e0 la fin, que j'aie l'honneur de vous aller voir,\net vous en saurez plus en un mois que tous ces conteurs de bagatelles ne\npourroient vous en apprendre en toute votre vie. Il n'y aura point de\ngrand sujet, dont vous ne puissiez parler sur-le-champ; d'une ligne que\nje vous dirai, vous pourrez tirer mille conclusions et former mille\ndiscours.\nIl me vint voir quelque temps apr\u00e8s, comme il m'avoit promis. J'achetai\ncertains livres qu'on appelle des tables. Il me les expliquoit toutes\nles fois qu'il venoit au logis. C'\u00e9toit toute mon occupation; je\nn\u00e9gligeois toute autre chose. Ses visites et mon \u00e9tude dur\u00e8rent un an et\nquelques mois: j'avois du loisir, je ne connoissois pas encore le grand\nmonde; mais enfin je fus oblig\u00e9e de recevoir tant de visites tous les\njours et \u00e0 tous momens, que je ne pouvois plus le voir qu'en compagnie.\nIl entra dans ma chambre, un jour que _Polix\u00e8ne_ y \u00e9toit avec\n_Philidor_, son fr\u00e8re, qui est un gentilhomme aussi adroit et aussi\nspirituel que j'en connoisse. Monsieur, lui dit _Philidor_, vous \u00eates\nvenu bien \u00e0 propos; vous avez appris tant de philosophie \u00e0 _\u00c9l\u00e9onore_\nqu'elle nous fait enrager; je lui disois qu'un amour constant \u00e9toit la\nplus belle de toutes les vertus. Elle m'a r\u00e9pondu fi\u00e8rement que je\nconfondois les vertus avec les passions, que l'amour \u00e9toit une passion\net non pas une vertu, et qu'une passion ne devient pas vertu par sa\ndur\u00e9e, mais seulement une plus longue passion. Elle m'a dit cent choses\nde la m\u00eame force; je suis \u00e0 bout, je vous demande secours. Comment vous\npourrois-je secourir r\u00e9pondit-il \u00e0 _Philidor_, _\u00c9l\u00e9onore_ a toutes mes\nforces de son c\u00f4t\u00e9. Elle vous a d\u00e9couvert la source d'une erreur, qui\nest commune parmi les hommes, de prendre pour une passion ce qui est\nsouvent ou une vertu, ou un vice, faute de savoir la nature et le nombre\ndes passions. Tout cela, ajouta-t-il, est expliqu\u00e9 en deux tables. Il\nprit le livre qui \u00e9toit sur un gu\u00e9ridon, et ayant cherch\u00e9 la table des\npassions, il la donna \u00e0 lire \u00e0 _Philidor_. Comment! dit _Philidor_,\nest-ce l\u00e0 tout ce qu'on peut dire des passions, de tous ces mouvemens\nimp\u00e9tueux qui nous agitent dans la vie? Certainement voil\u00e0 une grande\nmer renferm\u00e9e dans un espace bien \u00e9troit. Vous travaillez admirablement\nen petit. Quoi! il n'y a qu'une ligne pour l'amour! voil\u00e0 une divinit\u00e9\nbien serr\u00e9e. Si c'est assez d'une ligne pour fournir \u00e0 tous les amans,\nil faut qu'elle soit bien longue. Qui veut devenir savant avec cela a\nbesoin d'un grand naturel. _L'amour est une inclination de l'app\u00e9tit au\nbien sensible consid\u00e9r\u00e9 absolument._ J'en serai bien plus galant quand\nje saurai cela! j'aurai bien plus de quoi me faire aimer! j'en aurai de\nbien plus belles id\u00e9es pour remplir la conversation! Il n'y a rien de si\nbeau, ni de si plein que l'amour, et cependant ce livre nous en fait un\nsquelette tout sec, sans embonpoint et sans couleur. Si toute la\nphilosophie de cet homme-l\u00e0 est de m\u00eame, savez-vous ce que j'en pense?\nc'est une reine bien pauvre et bien maigre, dont les tables sont bien\nmal servies.\nMon philosophe vouloit s'\u00e9chauffer contre _Philidor_; mais pour finir le\nsujet d'un entretien qui alloit s'aigrir, je pris mon luth, je touchai\nquelques sarabandes. _Philidor_, avec son d\u00e9gagement ordinaire, les\ndansa toutes. Nous parl\u00e2mes ensuite de la danse. Je croyois avoir \u00f4t\u00e9\npar ce moyen toute occasion de dispute, quand _Polix\u00e8ne_, par une belle\nmalice, s'avisa de me demander si dans mon livre il n'y avoit pas une\ntable de la danse, Monsieur, dit _Polix\u00e8ne_ au philosophe, il faut que\nvous en fassiez une pour l'amour de moi. Cela est fort ais\u00e9, dit\n_Philidor_, je lui en sauverai la peine. Je mettrai premi\u00e8rement\nquelques propositions g\u00e9n\u00e9rales pour montrer la n\u00e9cessit\u00e9 ou utilit\u00e9 de\nla danse. J'en ferai apr\u00e8s la d\u00e9finition. _La danse est un mouvement\nmesur\u00e9 du corps au son de la voix ou de l'instrument. Elle est ou\nsimple, ou figur\u00e9e, ou par bas, ou par haut._ Ensuite, j'en remarquerai\nla diff\u00e9rence; les sarabandes, les branles, les courantes, les ballets;\nj'en distinguerai les pas; le pas coul\u00e9, le grav\u00e9, le coup\u00e9,\nl'entrechat. Adieu, les ma\u00eetres \u00e0 danser; quand ma table sera faite,\nquiconque la lira sera un habile sauteur.\n_Polix\u00e8ne_ se mit \u00e0 rire de tout son c\u0153ur. Mon philosophe sortit de\nd\u00e9pit. Je courus apr\u00e8s lui; je lui fis des excuses dans mon antichambre\nle mieux que je pus. Il me dit que tout cela ne le choquoit point; que\n_Philidor_ \u00e9toit un jeune homme sorti fra\u00eechement de l'acad\u00e9mie, qui\nvouloit s'\u00e9gayer; qu'il \u00e9toit bien tromp\u00e9 si sa s\u0153ur n'\u00e9toit une franche\ncoquette; qu'il voyoit bien qu'il ne pourroit plus me gouverner \u00e0\nl'avenir; qu'il me supplioit de l'en dispenser; qu'il m'enverroit \u00e0 sa\nplace un de ses anciens \u00e9coliers, qui savoit sa m\u00e9thode aussi bien que\nlui. Je lui fis mille remerc\u00eemens des bont\u00e9s qu'il avoit pour moi. Nous\nnous s\u00e9par\u00e2mes. Voici le commencement d'une histoire bien plus\nplaisante.\nMon philosophe, encore qu'il ne parl\u00e2t que par tables, par d\u00e9finitions\net divisions, \u00e9toit pourtant commode en ce point, qu'il \u00e9toit content\npourvu qu'on l'\u00e9cout\u00e2t, et n'exigeoit rien autre chose ni de moi, ni des\nfemmes qu'il voyoit, qu'un peu d'attention qui \u00e9toit bien d\u00fb \u00e0 ses\ndiscours.\nCe n'\u00e9toit point l\u00e0 l'humeur de son ami, que _Philidor_ appeloit son\npr\u00e9v\u00f4t de salle. Il faisoit le galant; il vouloit persuader l'amour dont\nil parloit; il soupiroit quelquefois; il chantoit m\u00eame des airs dont il\nse disoit l'auteur, aussi bien que des paroles. Il \u00e9toit jaloux\ng\u00e9n\u00e9ralement de tous les hommes; il censuroit tout ce qu'ils disoient;\nil n'en trouvoit pas un qui raisonn\u00e2t \u00e0 son gr\u00e9; ils \u00e9toient tous ou des\nignorans on des \u00e9tourdis. Notre sexe m\u00eame, qui est sacr\u00e9 et inviolable\nparmi les honn\u00eates gens, n'\u00e9toit point pour lui plus privil\u00e9gi\u00e9 que tout\nle reste; il s'\u00e9rigeoit en censeur de toutes les beaut\u00e9s; il se m\u00ealoit\nde juger du caract\u00e8re et du tour d'esprit que chacune avoit, avec une\npr\u00e9somption si grande, qu'il sembloit, \u00e0 l'entendre, que nous n'eussions\nde gr\u00e2ce que ce qu'il lui plaisoit de nous en distribuer.\nCela attira sur lui une conjuration universelle de toutes les femmes et\nde tous les hommes qui venoient chez moi. On ne m'en dit rien, parce\nqu'on savoit bien que j'eusse eu piti\u00e9 de lui, et que j'eusse rendu le\ncomplot inutile en le d\u00e9couvrant.\nComme ils \u00e9pioient sans cesse quand il me viendroit voir, il leur fut\nais\u00e9 de le surprendre dans ma chambre. Ils y arriv\u00e8rent tous en un\nmoment. Jamais assembl\u00e9e ne fut plus grande. Tout le monde lui fit\nd'abord cent civilit\u00e9s. J'en \u00e9tois \u00e9tonn\u00e9e. L'incomparable,\nl'inimitable, le plus galant, le plus spirituel, le plus propre \u00e0 tout,\nle plus poli de tous les hommes, lui disoit-on. Il ne se reconnoissoit\npas. On le pria de faire un petit discours; il expliqua les huit\nb\u00e9atitudes. On s'\u00e9crioit de temps en temps: sans mentir cela est\nadmirable! On le pria de chanter, et bien qu'il le f\u00eet avec des efforts\neffroyables, des convulsions et des contorsions de poss\u00e9d\u00e9; bien que sa\nvoix f\u00fbt aussi pitoyable et lugubre, que son visage est basan\u00e9 et\nm\u00e9lancolique, on disoit tout haut qu'on n'avoit plus besoin de _Lambert_\nni de sa s\u0153ur. C'\u00e9toient des applaudissemens perp\u00e9tuels. _Polix\u00e8ne_ lui\nmontra un billet doux qu'elle avoit re\u00e7u; il ne voulut pas seulement le\nlire. C'\u00e9toient des bagatelles qui ne pouvoient amuser que des esprits\nmal faits; chacun lui dit qu'il avoit bien raison, et que l'homme \u00e9toit\nn\u00e9 pour des choses plus grandes. Jamais homme ne fut plus satisfait, ni\nplus content de lui-m\u00eame; et parce que c'\u00e9toit _Polix\u00e8ne_ qui le\ncaressoit le plus, cela lui donna la hardiesse de venir aupr\u00e8s d'elle,\net de lui dire quelques douceurs. Elle les recevoit avec un tel\ntemp\u00e9rament, qu'elle l'embarquoit toujours de plus en plus; il lui\nprenoit m\u00eame la main, lui touchoit le bras, et feignant de lui vouloir\ndire un mot \u00e0 l'oreille, il la baisa. Alors Polix\u00e8ne lui appuya un grand\nsoufflet.\nC'\u00e9toit le signal des conjur\u00e9s. Chacun se rua sur lui; l'un lui donnoit\nune nasarde: voil\u00e0 pour le philosophe amoureux. L'autre, de grands coups\nd'\u00e9pingle: voil\u00e0 pour le musicien amoureux. L'autre, de grands coups de\nbusc sur les oreilles: voil\u00e0 pour le po\u00ebte amoureux. Je fis ce que je\npus pour secourir sa philosophie, sa musique et sa po\u00e9sie attaqu\u00e9es de\ntoutes parts; et tout ce que je pus, fut de le tirer de la presse, et de\nlui ouvrir la porte pour s'enfuir.\nIl crioit de toute sa force, en s'en allant: _coquettes_, _coquettes_,\nje saurai bien me venger; et on m'a dit qu'\u00e9tant mort, ou de ses\nblessures, ou de d\u00e9sespoir, on a trouv\u00e9 parmi ses papiers, une grande\ninvective contre les femmes, sous le nom d'_Aristandre_, que ses\nh\u00e9ritiers ont fait imprimer \u00e0 leurs d\u00e9pens.\nJ'\u00e9tois assez f\u00e2ch\u00e9e que ce malheur lui f\u00fbt arriv\u00e9 chez moi; mais je\nm'en dois accuser moi-m\u00eame pour avoir \u00e9t\u00e9 si facile que de donner acc\u00e8s\nchez moi \u00e0 des philosophes, c'est-\u00e0-dire, \u00e0 des gens qui portent la\ncensure, la m\u00e9disance et le d\u00e9sordre dans les plus belles, les plus\ndouces et les plus agr\u00e9ables compagnies. Ma ni\u00e8ce, soyez sage par mon\nexemple, et donnez-vous-en de garde.\nAinsi parloit _\u00c9l\u00e9onore_ \u00e0 _Philim\u00e8ne_, qui en entendoit une partie et\ndevinoit le reste.\nLETTRES\nDE\nMADEMOISELLE A\u00cfSS\u00c9.\nNOTICE\nSUR\nMADEMOISELLE A\u00cfSS\u00c9.\nM. _de Ferriol_, ambassadeur de France \u00e0 Constantinople, acheta d'un\nmarchand d'esclaves, en 1698, une petite fille \u00e2g\u00e9e d'environ quatre\nans. Elle avoit \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9e avec beaucoup d'autres enfans dans une ville\nde Circassie que les Turcs avoient pill\u00e9e. Ses gr\u00e2ces enfantines lui\nattir\u00e8rent la pr\u00e9f\u00e9rence de l'ambassadeur, et la lui firent choisir\nparmi ses compagnes d'infortune. Le marchand, peut-\u00eatre pour accro\u00eetre\nl'int\u00e9r\u00eat qu'elle inspiroit et obtenir de M. _de Ferriol_ un prix plus\nconsid\u00e9rable, assura qu'elle avoit \u00e9t\u00e9 trouv\u00e9e dans un palais, et\nqu'elle \u00e9toit fille d'un prince circassien. L'ambassadeur, touch\u00e9 de\ncommis\u00e9ration, acheta 1,500 livres la petite _A\u00efss\u00e9_. Il \u00e9toit gar\u00e7on et\nne pouvoit donner \u00e0 sa jeune orpheline une \u00e9ducation proportionn\u00e9e \u00e0\nl'int\u00e9r\u00eat qu'elle lui avoit inspir\u00e9, int\u00e9r\u00eat que la piti\u00e9 sans doute\navoit d'abord excit\u00e9, et auquel se m\u00eal\u00e8rent bient\u00f4t des vues et des\nesp\u00e9rances moins pures. Il confia mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ \u00e0 sa belle-s\u0153ur,\nmadame _de Ferriol_, s\u0153ur de madame _de Tencin_: l'\u00e9ducation de la jeune\nfille fut tr\u00e8s-soign\u00e9e; elle acquit des talens agr\u00e9ables et de\nl'instruction. M. _d'Argental_ et M. _de Pont-de-Vesle_, fils de madame\n_de Ferriol_, qui tous deux eurent d\u00e8s leur jeune \u00e2ge le go\u00fbt des\nplaisirs de l'esprit, se li\u00e8rent d'une tendre amiti\u00e9 avec la pupille de\nleur m\u00e8re; et cette liaison eut sans doute les plus heureux effets sur\nson esprit. Elle eut le bonheur plus grand encore, au milieu de cette\nimmoralit\u00e9 qui accompagna les derni\u00e8res ann\u00e9es de Louis XIV et la\nr\u00e9gence de Louis XV, d'acqu\u00e9rir et de conserver un c\u0153ur honn\u00eate, et une\n\u00e2me d\u00e9licate et sensible, qui devoient la rendre plus estimable et plus\nmalheureuse dans la situation d\u00e9pendante et presque subalterne o\u00f9 le\nsort l'avoit plac\u00e9e.\nSon d\u00e9go\u00fbt pour les vices qui l'entouroient fut bient\u00f4t mis \u00e0 de rudes\n\u00e9preuves. Au sortir de l'enfance, elle entra dans la maison de M. _de\nFerriol_. C'\u00e9toit un vieux libertin qui, apr\u00e8s s'\u00eatre livr\u00e9 dans sa\njeunesse \u00e0 tous ses go\u00fbts, avoit fortifi\u00e9 ses habitudes de d\u00e9pravation\npar un long s\u00e9jour en Turquie, o\u00f9 il avoit v\u00e9cu tout \u00e0 fait \u00e0 la\nmani\u00e8re du pays. Ses d\u00e9sirs se port\u00e8rent bient\u00f4t sur sa jeune prot\u00e9g\u00e9e,\net l'attachement qu'il avoit pour elle, ne fut pas assez fort pour les\nvaincre. Les personnes qui ont v\u00e9cu avec l'un et avec l'autre, ont dout\u00e9\nlong-temps qu'il e\u00fbt triomph\u00e9 de la vertu, et sans doute de la\nr\u00e9pugnance de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_. En effet, l'esprit repousse cette\nimage d'une vertueuse, belle et int\u00e9ressante personne, fl\u00e9trie par un\nvieux d\u00e9bauch\u00e9, qui d\u00e9truisoit en elle le sentiment de la\nreconnoissance, en en exigeant un autre. Des lettres trouv\u00e9es dans les\npapiers de M. _d'Argental_ constatent malheureusement cette circonstance\np\u00e9nible et humiliante de la vie de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_.\n\u00abQuand je vous achetai, lui \u00e9crit M. _de Ferriol_, je vous destinai \u00e0\n\u00eatre ou ma fille ou ma ma\u00eetresse: vous avez \u00e9t\u00e9 l'une et l'autre.\u00bb Si\nquelque chose peut inspirer plus de d\u00e9go\u00fbt pour la conduite de M. _de\nFerriol_, c'est sans doute une semblable mani\u00e8re de s'exprimer: en\nassociant ainsi la tendresse paternelle avec les d\u00e9sirs d'un libertin,\nil semble vouloir rappeler que rien ne ressemble plus \u00e0 l'inceste qu'une\naffection de cette nature. Mais tel est le c\u0153ur humain, que l'on con\u00e7oit\ncomment ces deux sentimens \u00e9toient \u00e9galement vrais dans la m\u00eame\npersonne. Quant \u00e0 mademoiselle _A\u00efss\u00e9_, il est douteux que sa\nreconnoissance pour M. _de Ferriol_ ait surv\u00e9cu \u00e0 la crainte et au\nd\u00e9go\u00fbt que dut inspirer \u00e0 son \u00e2me d\u00e9licate un pr\u00e9tendu bienfaiteur qui\nne l'avoit achet\u00e9e d'un marchand d'esclaves que pour la rendre \u00e0 sa\npremi\u00e8re destination, apr\u00e8s lui avoir donn\u00e9 une \u00e9ducation qui devoit lui\nfaire regarder cet abaissement comme le plus grand des malheurs.\nCependant M. _de Ferriol_ \u00e9tant tomb\u00e9 dangereusement malade, elle le\nsoigna avec tout le d\u00e9vouement d'une fille. Il mourut en lui laissant\nune rente de 4,000 liv., et un capital assez consid\u00e9rable qu'il\nchargeoit ses h\u00e9ritiers de lui payer.\nApr\u00e8s sa mort, mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ rentra chez madame _de Ferriol_, \u00e0\nqui l'ambassadeur l'avoit recommand\u00e9e sp\u00e9cialement. Madame _de Ferriol_,\nquoiqu'au fond du c\u0153ur elle aim\u00e2t assez son ancienne pupille, manqua\ntoujours pour elle de cette d\u00e9licatesse de sentiment, si n\u00e9cessaire pour\nle bonheur de ceux qui passent leur vie ensemble, et que les sup\u00e9rieurs\nont si peu avec leurs inf\u00e9rieurs, quoique jamais de semblables\nm\u00e9nagemens ne soient plus n\u00e9cessaires, que lorsqu'ils doivent d\u00e9guiser\ndes rapports de d\u00e9pendance. C'est cette absence d'attentions, de soin \u00e0\nne jamais blesser une \u00e2me fi\u00e8re et d\u00e9licate, que mademoiselle _A\u00efss\u00e9_\nreproche souvent \u00e0 madame _de Ferriol_, dans les lettres que nous\npublions. Elle ne m\u00e9conno\u00eet point les grandes obligations qu'elle a \u00e0\nmadame _de Ferriol_, et elle montre pourtant comment, dans le d\u00e9tail de\nla vie, sa bienfaitrice la rendoit fort malheureuse.\nElle commen\u00e7a par lui faire sentir que les dons de son beau-fr\u00e8re lui\nparoissoient trop consid\u00e9rables. Mademoiselle _A\u00efss\u00e9_, trop fi\u00e8re pour\nse laisser reprocher des bienfaits, jeta au feu, devant madame _de\nFerriol_, le billet que lui avoit laiss\u00e9 M. _de Ferriol_. Un pareil\nd\u00e9sint\u00e9ressement n'inspira point \u00e0 madame _de Ferriol_ plus de\nd\u00e9licatesse, et elle ne laissa pas de profiter du sacrifice.\nCependant mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ jeune, aimable et r\u00e9pandue, avoit d'assez\ngrands succ\u00e8s dans le monde; et au milieu de la galanterie et de la\ncorruption qui signal\u00e8rent la r\u00e9gence et le syst\u00e8me, elle ne c\u00e9da jamais\nni \u00e0 la vanit\u00e9, ni \u00e0 l'int\u00e9r\u00eat qui faisoient alors oublier \u00e0 tant de\nfemmes des devoirs que mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ n'avoit point \u00e0 remplir.\nElle eut l'honneur bien extraordinaire de donner quelqu'id\u00e9e de la vertu\net de la pudeur au r\u00e9gent, qui fit gloire toute sa vie de douter de leur\nexistence; opinion qui, chez un prince, est presque toujours fond\u00e9e,\npuisqu'il fait disparo\u00eetre les vertus d'autour de lui, d\u00e8s qu'il ne les\nrespecte pas. Ce fut chez madame _de Parab\u00e8re_ que le duc _d'Orl\u00e9ans_\nvit mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ et lui fit des propositions qu'il ne\ns'attendoit pas \u00e0 voir refuser, sur-tout en pareil lieu. Il ne perdit\npoint l'espoir de r\u00e9ussir, et chargea madame _de Ferriol_ de ses\nint\u00e9r\u00eats. Madame _de Ferriol_ accepta sans r\u00e9pugnance des fonctions\nmoins honorables encore que celles que le R\u00e9gent destinoit \u00e0\nmademoiselle _A\u00efss\u00e9_. Ses efforts furent vains. Comme elle revenoit sans\ncesse \u00e0 la charge et d\u00e9veloppoit \u00e0 mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ tous les\navantages d'une semblable conqu\u00eate, mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ se jeta \u00e0 ses\npieds pour la conjurer de ne plus lui en parler, assurant qu'elle se\njeteroit dans un couvent si l'on continuoit \u00e0 la pers\u00e9cuter. Madame _de\nFerriol_, qui ne cherchoit qu'\u00e0 obtenir du cr\u00e9dit et de la faveur,\ncraignit de perdre tout moyen d'y parvenir en se s\u00e9parant de\nmademoiselle _A\u00efss\u00e9_, et cessa ses exhortations.\nMademoiselle _A\u00efss\u00e9_, qui avoit r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 l'app\u00e2t de la faveur et de la\nfortune, ne trouva pas les m\u00eames forces quand il lui fallut d\u00e9fendre sa\nvertu contre l'amour et l'estime. Elle vit chez madame _du Deffant_ le\nchevalier _d'Aydie_; il con\u00e7ut pour elle la plus vive passion; il se fit\npr\u00e9senter chez madame _de Ferriol_, et bient\u00f4t abandonnant\npresqu'enti\u00e8rement le monde, il ne quitta plus cette maison. Le\nchevalier _d'Aydie_ joignoit \u00e0 la plus noble figure et au caract\u00e8re le\nplus aimable, une \u00e2me fort tendre. Jusqu'alors son c\u0153ur n'avoit point\n\u00e9prouv\u00e9 de sentimens profonds; il avoit eu plusieurs intrigues, mais\naucun attachement durable. _Rioms_, son oncle, l'avoit pr\u00e9sent\u00e9 chez la\nduchesse _de Berri_, qui prit du go\u00fbt pour lui, et cette princesse ne\ndiff\u00e9roit gu\u00e8re d'ordinaire \u00e0 satisfaire ses go\u00fbts et m\u00eame ses\nfantaisies.\nVoir \u00e0 ses pieds un homme brillant et spirituel, que les femmes de la\ncour s'\u00e9toient disput\u00e9, que les princesses avoient honor\u00e9 de leurs\nfaveurs, et le voir anim\u00e9 par un amour tendre, d\u00e9licat et timide, quelle\ns\u00e9duction pour l'amour-propre et pour le c\u0153ur de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_!\nCe qui rendoit le chevalier plus dangereux pour elle, c'est qu'il\nn'avoit que des vues honorables. Il vouloit \u00e9pouser celle qu'il aimoit,\net cherchoit \u00e0 se faire relever des v\u0153ux qui l'engageoient dans l'ordre\nde Malte. Mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ se sentoit bien assez de vertu pour ne\npoint se pr\u00eater \u00e0 un projet dont l'ex\u00e9cution e\u00fbt d\u00e9grad\u00e9 son amant aux\nyeux du monde; mais elle ne se croyoit pas assez de force pour r\u00e9sister\n\u00e0 des d\u00e9sirs dont la satisfaction ne pouvoit nuire qu'\u00e0 sa propre\ngloire. Dans la d\u00e9fiance qu'elle avoit d'elle-m\u00eame, elle eut recours \u00e0\nmadame _de Ferriol_, qui comprit encore moins ses scrupules que la\npremi\u00e8re fois, et qui travailla \u00e0 les d\u00e9truire. Ne pouvant trouver aucun\nsecours ext\u00e9rieur, voyant tous les jours le chevalier qu'on ne lui\npermettoit pas de fuir comme elle l'auroit voulu, elle finit par lui\navouer qu'elle partageoit ses sentimens, et, en s'abandonnant \u00e0 lui,\nelle eut la satisfaction de voir qu'elle en \u00e9toit aim\u00e9e encore\ndavantage. Il redoubla ses instances pour l'\u00e9pouser; elle n'y voulut\njamais consentir; et m\u00eame, lorsqu'elle s'aper\u00e7ut qu'elle alloit devenir\nm\u00e8re, l'int\u00e9r\u00eat de son enfant et la perte de sa r\u00e9putation ne la\nrendirent pas moins inflexible.\nCe ne fut point \u00e0 madame _de Ferriol_ qu'elle confia sa situation; elle\nlui connoissoit trop peu de discr\u00e9tion et de d\u00e9licatesse. Elle avoua\ntout \u00e0 lady _Bolingbrocke_, avec qui elle \u00e9toit tr\u00e8s-li\u00e9e. C'\u00e9toit une\nfemme sensible et estimable. On sait qu'elle \u00e9toit ni\u00e8ce de madame _de\nMaintenon_, et que son premier mari avoit \u00e9t\u00e9 M. _de Villette_. Elle\npria madame _de Ferriol_ de lui confier pour quelque temps mademoiselle\n_A\u00efss\u00e9_ pour la mener en Angleterre. Madame _de Ferriol_ consentit \u00e0 ce\nvoyage. Lady _Bolingbrocke_ et le chevalier _d'Aydie_ log\u00e8rent\nmademoiselle _A\u00efss\u00e9_ dans un quartier retir\u00e9 de Paris. Elle y accoucha\nd'une fille, et y re\u00e7ut tous les soins d'une amie tendre et d'un amant\npassionn\u00e9. L'enfant fut conduit en Angleterre par lady _Bolingbrocke_,\net, apr\u00e8s sa premi\u00e8re \u00e9ducation, elle fut ramen\u00e9e en France, et plac\u00e9e\ndans un couvent \u00e0 Sens, sous le nom de miss _Black_, ni\u00e8ce de lord\n_Bolingbrocke_.\nC'est d'une \u00e9poque un peu post\u00e9rieure que sont dat\u00e9es les lettres que\nnous publions, et qui se continuant presque jusqu'aux derniers jours de\nla vie de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_, nous dispensent de prolonger cette\nnotice[169]. Elles sont adress\u00e9es \u00e0 madame _Saladin_ qui pendant qu'elle\nhabitoit Paris o\u00f9 son mari \u00e9toit r\u00e9sident de la r\u00e9publique de Gen\u00e8ve,\ns'\u00e9toit li\u00e9e d'une tendre amiti\u00e9 avec mademoiselle _A\u00efss\u00e9_. Il paro\u00eet\nque cette dame dont les principes \u00e9toient plus s\u00e9v\u00e8res que ceux des\nfemmes qui entouroient sa jeune amie, sans que son c\u0153ur f\u00fbt moins\nsensible, contribua par ses conseils et son exemple \u00e0 lui donner assez\nde force pour ne plus s'\u00e9carter de ses devoirs. Du moins voyons-nous\nqu'\u00e0 l'\u00e9poque o\u00f9 commen\u00e7a cette correspondance, mademoiselle _A\u00efss\u00e9_,\nquoique le chevalier _d'Aydie_ qui f\u00fbt plus cher que jamais, quoique\nlui-m\u00eame l'aim\u00e2t toujours davantage, avoit rendu cette passion plus\npure. Ce combat continuel contre un amour qui acqu\u00e9roit tous les jours\nplus de force, le manque absolu d'esp\u00e9rance, le repentir de sa\nfoiblesse, le chagrin de ne pouvoir se livrer sans rougir \u00e0 la tendresse\nmaternelle, donnent \u00e0 ses lettres un caract\u00e8re de m\u00e9lancolie tout-\u00e0-fait\ntouchant. Ce triste sentiment, auquel venoit peut-\u00eatre se m\u00ealer le\nsouvenir de fautes plus anciennes et plus humiliantes, prend plus de\nforce \u00e0 mesure que la sant\u00e9 de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ s'affoiblit: les\nconsolations de la religion, refuge des \u00e2mes tendres et malheureuses,\ndonnent sur la fin un caract\u00e8re plus r\u00e9sign\u00e9 et moins amer \u00e0 sa douleur,\nmais la rendent plus int\u00e9ressante encore. Mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ mourut en\n1733. Sa mort qui termina une vie malheureuse, le d\u00e9sespoir o\u00f9 fut\nd'abord plong\u00e9 le chevalier _d'Aydie_, la tristesse profonde o\u00f9 il v\u00e9cut\nencore pendant quinze ans, donnent \u00e0 ceux qui lisent leur histoire, la\ntentation de reprocher \u00e0 mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ une d\u00e9licatesse\nscrupuleuse qui priva son amant et elle d'un bonheur dont ils \u00e9toient\ndignes de jouir.\nLes scrupules peut-\u00eatre exag\u00e9r\u00e9s qui s'oppos\u00e8rent \u00e0 ce bonheur, peuvent\nbien avoir rendu mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ plus malheureuse; mais ils\ndonnent une sorte d'admiration pour une vertu si d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9e. Le\nchevalier _d'Aydie_ eut toujours pour sa fille une tendresse et des\nsoins auxquels ses regrets donnoient plus de force encore.\nIl la maria \u00e0 un gentilhomme de sa province, et lui laissa sa fortune.\nIl existe des lettres qu'il \u00e9crivit \u00e0 M. _de Pont-de-Vesle_,\nrelativement \u00e0 ce mariage. Elles sont pleines de la douleur la plus\nvive, quoique l'\u00e9poque de la mort de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ f\u00fbt d\u00e9j\u00e0 assez\n\u00e9loign\u00e9e. Elles paro\u00eetront bient\u00f4t dans un recueil de lettres trouv\u00e9es\nchez M. _d'Argental_, qui est maintenant sous presse. L'\u00e9diteur a bien\nvoulu nous les communiquer, ainsi que celle de M. _de Ferriol_ \u00e0\nmademoiselle _A\u00efss\u00e9_, dont nous avons cit\u00e9 un passage.\nLes lettres de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ \u00e0 madame _Saladin_, ont \u00e9t\u00e9\nrecueillies et publi\u00e9es par mademoiselle _Rieu_, petite-fille de madame\n_Saladin_. Elle les avoit, long-temps avant, communiqu\u00e9es \u00e0 _Voltaire_,\nqui y avoit mis de sa main quelques notes que nous avons conserv\u00e9es. Il\nparo\u00eet que la notice que mademoiselle _Rieu_ a mise \u00e0 la t\u00eate de son\n\u00e9dition, existoit d\u00e9j\u00e0 quand le manuscrit des lettres fut montr\u00e9 \u00e0\n_Voltaire_; car il atteste dans une note plac\u00e9e au bas de cette notice,\nque le chevalier _d'Aydie_ avoit offert plusieurs fois \u00e0 mademoiselle\n_A\u00efss\u00e9_ de l'\u00e9pouser. Les d\u00e9tails que nous avons ajout\u00e9s \u00e0 ceux que\ncontient la notice de mademoiselle _Rieu_, nous ont \u00e9t\u00e9 fournis par des\npersonnes qui ont beaucoup vu d'anciens amis de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ et\ndu chevalier _d'Aydie_.\nLETTRES\nDE\nMADEMOISELLE A\u00cfSS\u00c9,\nA MADAME SALADIN.\nLETTRE PREMI\u00c8RE.\nJe n'ai pu me r\u00e9soudre \u00e0 vous \u00e9crire plut\u00f4t: j'ai envisag\u00e9 avec chagrin\nque l'on ne vous laisseroit pas lire mes lettres; ainsi j'ai mieux aim\u00e9\nlaisser passer les premiers empressemens. Mandez-moi, Madame, de vos\nnouvelles. \u00cates-vous remise de la fatigue du voyage? J'ai plus fait de\nv\u0153ux pour que vous eussiez le beau temps, qu'un amant n'en auroit fait;\nil ne seroit assur\u00e9ment pas plus occup\u00e9 et afflig\u00e9 que moi, de votre\nd\u00e9part. Le soleil, la pluie, les vents, me paroissent des embr\u00e2semens,\ndes inondations, des ouragans: enfin, j'ai respir\u00e9, quand j'ai vu\narriver le jour bienheureux pour vos parens et vos amis, o\u00f9 ils vous ont\nenfin revue. Vous me manderez, s'il vous pla\u00eet, quelques d\u00e9tails de\nvotre r\u00e9ception. Je partage toutes les amiti\u00e9s que vous recevez. H\u00e9las!\nje ne puis passer dans la rue o\u00f9 vous avez demeur\u00e9, sans avoir le c\u0153ur\nserr\u00e9 et les larmes aux yeux. Je reviens d'Ablons[170], o\u00f9 j'ai pass\u00e9\nquelques jours t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec madame _de Ferriol_; j'y ai toujours\npens\u00e9 \u00e0 vous, et je dis \u00e0 ma compagne le regret que j'avois que vous\nn'eussiez pas vu cette guinguette. Dans l'instant, je vois entrer dans\nle salon madame votre fille; jugez de ma joie: elle passa ici pour aller\n\u00e0 la Jaquini\u00e8re; elle venoit de je ne sais o\u00f9, aux environs. Notre dame\nprenoit du caf\u00e9; elle vouloit se lever; madame votre fille se pr\u00e9cipita\npour l'en emp\u00eacher. Le chien noir, qui est mal morig\u00e9n\u00e9, saute sur la\ntasse de caf\u00e9 pour japper, la renverse sur sa ma\u00eetresse: le d\u00e9sespoir\ns'empare de ladite dame; fichu sali, robe unie tach\u00e9e. Vous jugez de\nl'embarras de madame _Rieu_, qui auroit voulu \u00eatre \u00e0 cent lieues de l\u00e0.\nPour moi je vous l'avoue, j'eus tant envie de rire, que madame votre\nfille se remit. Cependant, pass\u00e9 ces premiers momens, on lui fit toutes\nsortes de politesses. Elle la trouva tr\u00e8s-belle; en effet, elle l'\u00e9toit\naussi, quoique dans un grand n\u00e9glig\u00e9.\nJe parle toujours du voyage de Pont-de-Vesle[171], qui me procurera le\nbonheur d'aller vous voir. J'esp\u00e8re qu'\u00e0 force d'en parler, je forcerai\nd'y aller. Je suis occup\u00e9e de ce projet: les hommes ne peuvent \u00eatre sans\nquelques d\u00e9sirs; je me flattois d'\u00eatre une petite philosophe; mais je ne\nle serai, jamais sur ce qui touche le sentiment.\nPont-de-Vesle[172] se porte un peu mieux, il vous assure de ses\nrespects. _D'Argental_[173] est dans l'\u00eele enchant\u00e9e, chez son amie, qui\na h\u00e9rit\u00e9 consid\u00e9rablement; il revient \u00e0 la St.-Martin. _Le Grand_ donna,\nl'autre jour, une com\u00e9die qui tomba de la plus belle chute que j'aie\njamais vue; il n'en a pas \u00e9t\u00e9 de m\u00eame d'un op\u00e9ra que deux violons ont\ndonn\u00e9: le sujet est Pyrame et Thisb\u00e9; il y eut une tr\u00e8s-jolie\nd\u00e9coration; ils re\u00e7urent bien des applaudissemens.\nJe passe mes jours \u00e0 chasser aux petits oiseaux; cela me fait grand\nbien. L'exercice et la dissipation sont de tr\u00e8s-bons rem\u00e8des pour les\nvapeurs et les chagrins; je reviens de mes courses avec app\u00e9tit et\nsommeil. L'ardeur de la chasse me fait marcher, quoique j'aie les pieds\nmoulus: la transpiration que cet exercice m'occasionne, me convient. Je\nsuis h\u00e2l\u00e9e comme un corbeau; je vous ferois peur, si vous me voyiez. Je\nvoudrois bien en \u00eatre \u00e0 la peine. Que je serois heureuse si j'\u00e9tois\nencore avec vous, Madame! Avouez que vous ne seriez point f\u00e2ch\u00e9e d'\u00eatre\nencore \u00e0 Paris. Pour moi, je donnerois bien une pinte de mon sang pour\nque nous fussions ensemble actuellement; je vous rendrois compte de\nmille choses, je go\u00fbterois le plaisir de vous revoir; au lieu de ce\nbien, j'ai des regrets; que cela est diff\u00e9rent! Le chevalier est en\nP\u00e9rigord, o\u00f9 je crois qu'il s'ennuie: sa sant\u00e9 est toujours d\u00e9licate,\nson c\u0153ur toujours plus tendre. Je vous enverrois avec plaisir des copies\nde ses lettres; mais non: il y a des choses qui vous d\u00e9plairoient, et\nj'aurois honte que vous les vissiez. L'abb\u00e9, fr\u00e8re du chevalier, vit\nl'autre jour madame _Rieu_ chez moi; ce fut un coup de foudre. Il revint\nle lendemain \u00e0 Ablons, il me dit qu'il n'avoit jamais rien vu de si beau\n\u00e0 son gr\u00e9: les lis et les roses ne sont pas si fra\u00eeches qu'elle \u00e9toit ce\njour-l\u00e0; son air de modestie et de douceur plut si fort \u00e0 ce pauvre\nabb\u00e9, qu'il m'en parle toutes les fois qu'il me voit: cependant il avoit\n\u00e9t\u00e9 pr\u00e9venu; on l'avoit annonc\u00e9e, et je lui dis: vous allez voir une des\nbelles femmes de Paris: malgr\u00e9 cela, il fut surpris. M. _Bertie_ vous\naime toujours de m\u00eame, quoiqu'il ait chang\u00e9 son go\u00fbt pour moi en amiti\u00e9.\nOn vous aime pour vous, et non pas pour les autres. Vous le savez bien;\net quand vous dites le contraire, vous parlez contre votre pens\u00e9e. En\nbonne foi, peut-on vous conno\u00eetre sans vous aimer? J'en laisse juge\nvotre c\u0153ur. Adieu, Madame, aimez-moi, et soyez assur\u00e9e que personne dans\nle monde ne vous aime, ne vous estime, et ne vous respecte autant\nqu'_A\u00efss\u00e9_.\nLETTRE II.\nParis, 1726.\nJ'ai re\u00e7u la lettre que vous avez eu la bont\u00e9 de m'\u00e9crire de votre\ncampagne: je ne doute point que vous n'ayez eu un plaisir bien vif de\nvous \u00eatre vu recevoir avec tant d'amiti\u00e9: les d\u00e9monstrations de joie que\nl'on a eues de votre retour ne peuvent \u00eatre feintes. Ainsi, Madame, vous\navez joui d'un bonheur que les rois m\u00eames ne go\u00fbtent pas. Vous me direz\nqu'il n'\u00e9toit point n\u00e9cessaire que vous fussiez malheureuse pour \u00eatre\naim\u00e9e; que vous le seriez tout autant, et m\u00eame davantage, si vous \u00e9tiez\ndans une fortune riante. L'exp\u00e9rience, il est vrai, fait voir que\nl'adversit\u00e9 et la mauvaise fortune d\u00e9plaisent aux hommes; et que le\nplus-souvent les bonnes qualit\u00e9s, le m\u00e9rite, sont les z\u00e9ro, et le bien,\nle chiffre qui les fait valoir; mais cependant on se rend toujours \u00e0 la\nvertu; je conviens qu'il faut en avoir beaucoup pour qu'elle suppl\u00e9e au\nmanque de richesses: ainsi, Madame, rien n'est plus flatteur que\nl'accueil obligeant que vous avez re\u00e7u. Vous \u00eates amplement d\u00e9dommag\u00e9e\ndes injustices du sort. Je suis charm\u00e9e que vous vous portiez mieux;\nrien ne contribue \u00e0 la sant\u00e9, comme d'avoir sujet d'\u00eatre content de soi.\nJe fais tous mes efforts pour d\u00e9terminer M. et madame _de Ferriol_ \u00e0\naller \u00e0 Pont-de-Vesle; ils disent que c'est bien leur dessein, mais je\nne le croirai que lorsque nous partirons: il n'y a pas de jour que je ne\nleur fasse sentir le besoin de leur pr\u00e9sence dans leurs terres, et celui\nde quitter quelque temps Paris. M. _de Bonac_ va \u00e0 Soleure; je lui ai\nparl\u00e9 de madame votre s\u0153ur; madame _de Bonac_ esp\u00e8re la voir souvent\npendant son s\u00e9jour dans ce pays-l\u00e0. Comme il n'y a pas loin de Gen\u00e8ve,\nnous irons, vous et moi, les voir; me d\u00e9direz-vous? M. et madame _de\nFerriol_ et _Pont-de-Vesle_ vous font mille tendres complimens et\nrespects. Pour _d'Argental_, il est dans l'\u00eele enchant\u00e9e; on ne sait\nplus quand il en sortira. J'occupe sa chambre, parce que je fais\nraccommoder la mienne, qui sera charmante; je suis bien f\u00e2ch\u00e9e que vous\nne la voyiez pas; mes r\u00e9parations me reviendront \u00e0 cent pistoles. J'ai\nvu M. _Saladin_ le cadet; je me suis senti une tendresse pour lui, dont\nje ne me serois pas dout\u00e9e, il y a six mois; et je crois que je l'aurois\neue pour M. _Buisson_, s'il avoit v\u00e9cu. Les gens que j'ai connus chez\nvous, me sont chers. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre\nfille; elle a \u00e9t\u00e9 \u00e0 la campagne, et moi, de mon c\u00f4t\u00e9; nous sommes all\u00e9s\npasser les f\u00eates \u00e0 Ablons, mademoiselle _de Villefranche_, madame _de\nServigni_, M. et madame _de Ferriol_, MM. _de Fontenai_, _La\nM\u00e9sang\u00e8res_, le chevalier et _Cl\u00e9mence_: nous avons fait grand feu et\nbonne ch\u00e8re: vous en \u00eates \u00e9tonn\u00e9e; mais c'est pour long-temps; la\nma\u00eetresse de la maison craignoit _La M\u00e9sang\u00e8res_. Elle n'a jamais os\u00e9\nappeler _Cl\u00e9ment_, son chien noir, ni _Champagne_; elle a \u00e9t\u00e9 de\ntr\u00e8s-bonne humeur, malgr\u00e9 sa contrainte, et la partie s'est tr\u00e8s-bien\npass\u00e9e. _La M\u00e9sang\u00e8res_ fut charmant. M. _de Fontenai_ m'a charg\u00e9e de\nvous assurer de ses respects.\nIl faut un peu vous parler des spectacles. Les deux petits violons\n_Franc\u0153ur_ et _Rebel_ ont fait un op\u00e9ra; le sujet est Pyrame et Thisb\u00e9;\nil est fort joli, quant \u00e0 la musique; car pour le po\u00ebme, il est mauvais:\nil y a une d\u00e9coration nouvelle. Le premier acte repr\u00e9sente une place\npublique, avec des arcades et des colonnes, ce qui est admirable: la\nperspective est parfaitement bien suivie et les proportions bien\ngard\u00e9es. Le pauvre _Thevenard_ tombe si fort, que je ne doute pas qu'il\nne soit siffl\u00e9 dans six mois. Pour _Chass\u00e9_, c'est son triomphe; il est\nacteur dans cet op\u00e9ra; son r\u00f4le est tr\u00e8s-beau, il fait deux octaves\npleins. La _Entie_ en est folle. Mademoiselle _Le Maure_ est rentr\u00e9e; et\n_Murer_, qui a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-mal, se porte bien; le bruit avoit couru qu'il\nse faisoit moine, mais le m\u00e9tier est trop bon, et il ne quitte point\nl'op\u00e9ra. Il y a une nouvelle actrice nomm\u00e9e _Pellissier_, qui partage\nl'approbation du public avec la _Le Maure_: pour moi, je suis pour la\n_Le Maure_; sa voix, son jeu me plaisent plus que celui de mademoiselle\n_Pellissier_. Cette derni\u00e8re a la voix tr\u00e8s-petite, et elle l'a toujours\nforc\u00e9e sur le th\u00e9\u00e2tre; elle est tr\u00e8s-bonne pantomime; tous ses gestes\nsont justes et nobles; mais elle en a tant, que mademoiselle _Entie_\nparo\u00eet tout d'une pi\u00e8ce aupr\u00e8s d'elle. Il me semble que dans le r\u00f4le\nd'amoureuse, quelque violente que soit la situation, la modestie et la\nretenue sont choses n\u00e9cessaires; toute passion doit \u00eatre dans les\ninflexions de la voix et dans les accens. Il faut laisser aux hommes et\naux magiciens les gestes violens et hors de mesure; une jeune princesse\ndoit \u00eatre plus modeste. Voil\u00e0 mes r\u00e9flexions. En \u00eates-vous contente? Le\npublic rend justice \u00e0 mademoiselle _Le Maure_; et quand on l'a revue sur\nle th\u00e9\u00e2tre, elle parut premi\u00e8rement \u00e0 l'amphith\u00e9\u00e2tre, tout le parterre\nse retourna, et battit des mains pendant un quart-d'heure; elle re\u00e7ut\nses applaudissemens avec une grande joie, et fit des r\u00e9v\u00e9rences pour\nremercier le parterre. Madame la duchesse _de Duras_, qui prot\u00e8ge la\n_Pellissier_, \u00e9toit furieuse, et me fit signe que c'\u00e9toit moi et madame\n_de Parab\u00e8re_ qui avions pay\u00e9 des gens pour battre des mains. Le\nlendemain, la m\u00eame chose arriva, et mademoiselle _Pellissier_ en pensa\ncrever de d\u00e9pit. La com\u00e9die est de retour de Fontainebleau o\u00f9 il y a\njubil\u00e9: nous ne l'avons pas ici, \u00e0 cause de M. le cardinal _de\nNoailles_. On est affam\u00e9 de trag\u00e9dies, parce que depuis Fontainebleau on\nne joue que des farces. Pour la com\u00e9die italienne, on y joue la critique\nde l'op\u00e9ra qui, \u00e0 ce qu'on dit, est fort jolie. La pauvre _Silvia_[174]\na pens\u00e9 mourir: on pr\u00e9tend qu'elle a un petit amant qu'elle aime\nbeaucoup; que son mari, de jalousie, l'a battue outr\u00e9ment, et qu'elle a\nfait une fausse couche de deux enfans, \u00e0 trois mois; elle a \u00e9t\u00e9\ntr\u00e8s-mal, elle est mieux \u00e0 pr\u00e9sent. Mademoiselle _Flaminia_ avoit eu la\nm\u00e9chancet\u00e9 d'instruire le mari des galanteries de sa femme. Vous jugez\nbien, \u00e0 l'amour que le parterre avoit pour _Flaminia_, combien il l'a\nmaltrait\u00e9e. Les bals vont commencer; mais ils seront s\u00fbrement aussi\nd\u00e9serts que l'ann\u00e9e pass\u00e9e.\nPermettez que je fasse ici quelques petites coquetteries \u00e0 M. votre\nmari. Je suis extr\u00eamement touch\u00e9e du petit mot qu'il a mis dans votre\nlettre; et dussiez-vous le battre de jalousie, je lui dirai que je\nl'aime beaucoup.\n_A mademoiselle votre fille._\nJe suis persuad\u00e9e, Mademoiselle, que vous avez un peu d'amiti\u00e9 pour moi:\nvotre extr\u00eame v\u00e9rit\u00e9 m'en assure; le retour est naturel \u00e0 tous les c\u0153urs\nbien faits, d'aimer qui nous aime. Continuez, je vous prie, de parler\nun peu de moi \u00e0 madame votre m\u00e8re: choisissez, s'il vous pla\u00eet, le\nmoment o\u00f9 vous vous mettez \u00e0 table, pour que je puisse avoir part \u00e0\nvotre conversation; pl\u00fbt \u00e0 Dieu que j'en fusse t\u00e9moin! Adieu, Mesdames,\nrecevez mes tendres embrassades. Voici une lettre d'un officier des\nInvalides \u00e0 M. _du Voisin_, pour obtenir la permission de se marier.\nMONSEIGNEUR,\n\u00abJ'aurois cru que le pr\u00e9cepte de Saint Paul \u00e9toit bon \u00e0 suivre, sur-tout\nquand il dit, qu'_il vaut mieux se marier que br\u00fbler_. C'est ce qui m'a\nfait prendre la libert\u00e9 de demander \u00e0 votre Grandeur la permission\nd'\u00e9pouser mademoiselle _d'Auval_, fille d'un m\u00e9rite et d'une sagesse\nconsomm\u00e9e. C'est ce que tous ceux qui la connoissent certifieront \u00e0\nvotre Grandeur. Cependant M. notre gouverneur m'a d\u00e9fendu de voir cette\ndemoiselle, si je ne voulois \u00eatre d\u00e9mis de mon emploi. J'ai ob\u00e9i \u00e0 cette\nd\u00e9fense; et si votre Grandeur ne trouve pas \u00e0 propos ce mariage, je la\nsupplie tr\u00e8s-instamment, pour le salut de mon \u00e2me, de m'en pr\u00e9senter une\nautre, ou bien d'envoyer ordre au p\u00e8re _Pascal_, mon confesseur, de\nm'absoudre quand je vais \u00e0 confesse, ce qu'il m'a refus\u00e9: je fais tous\nmes efforts pour contenter ce bon p\u00e8re, mais en vain, Dieu ne m'ayant\npoint donn\u00e9 \u00e0 trente-huit ans le don de continence. Enfin, Monseigneur,\nsi vous me procurez le paradis sans femmes, et que je vienne \u00e0 mourir\nplut\u00f4t que votre Grandeur, je ne laisserai point Dieu en repos, qu'il ne\nvous ait marqu\u00e9 une place digne de votre m\u00e9rite, dans son paradis\u00bb.\n\u00bbJe suis, etc.\u00bb\nLETTRE III.\nParis, 1726.\nJe n'ai pas de plus grand plaisir que de causer avec vous; et, comme je\nvoudrois rendre mes lettres un peu moins s\u00e8ches et plus int\u00e9ressantes,\nj'\u00e9cris les nouvelles que je sais bien: je n'aimerois pas \u00e0 vous mander\ntout ce qui se dit \u00e0 Paris. Vous savez, Madame, que je hais les\nfausset\u00e9s et les exag\u00e9rations: ainsi tout ce que j'\u00e9crirai, sera\ns\u00fbrement vrai. J'ai re\u00e7u hier des lettres d'Angleterre o\u00f9 on m'apprend\nle mariage de mademoiselle _de St.-Jean_ avec M. _Knight_, fils du\ntr\u00e9sorier[175] de la compagnie des Indes: on pr\u00e9tend qu'il a des biens\nimmenses. Argent, argent, que de vanit\u00e9s vous \u00e9touffez! que d'orgueils\nvous soumettez! que de pens\u00e9es honn\u00eates vous faites \u00e9vanouir!\nAuriez-vous jamais cru que milord, ent\u00eat\u00e9 de sa noblesse, comme il\nl'est, fort riche, et ayant une seule fille, la mari\u00e2t \u00e0 un gentill\u00e2tre,\nelle qui devoit \u00eatre mari\u00e9e \u00e0 un pair[176]? Elle va venir \u00e0 Paris voir\nla famille de son mari, qui sont de bonnes gens, mais sur un ton bien\ndiff\u00e9rent du sien: elle verra tous les petits Anglichons qui sont en\nFrance. Je crois qu'elle s'ennuiera et s'impatientera souvent.\nLe chevalier est beaucoup mieux, il revient ici. Voici une petite\nhistoire assez plaisante[177]. Un chanoine de Notre-Dame, fameux\njans\u00e9niste, homme de beaucoup d'esprit, et de r\u00e9putation pour ses m\u0153urs,\nqui a profess\u00e9 dans plusieurs universit\u00e9s, fort craint des molinistes,\net tr\u00e8s-aim\u00e9 de M. l'archev\u00eaque de Paris, \u00e2g\u00e9 de soixante-dix ans, a\nsuccomb\u00e9 \u00e0 l'envie de voir la com\u00e9die. Il avoit souvent dit \u00e0 ses amis,\nqu'il ne mourroit pas avant d'y aller, ayant une tr\u00e8s-grande passion de\nvoir une chose dont il entendoit parler sans cesse. On prenoit ce\ndiscours pour une plaisanterie. Son laquais lui avoit demand\u00e9 plusieurs\nfois ce qu'il vouloit faire des vieilles nippes de sa grand'm\u00e8re qu'il\ngardoit depuis long-temps. Il lui avoit r\u00e9pondu qu'elles pouvoient lui\n\u00eatre n\u00e9cessaires. Enfin, ne pouvant r\u00e9sister davantage, il communiqua\nson dessein \u00e0 son laquais, qui \u00e9toit un vieux domestique dans lequel il\navoit beaucoup de confiance, et lui dit, qu'il vouloit s'habiller en\nfemme avec les hardes de sa grand'm\u00e8re. Le laquais fut tr\u00e8s-surpris; il\nchercha \u00e0 dissuader son ma\u00eetre d'ex\u00e9cuter cet insens\u00e9 d\u00e9guisement, en\nl'assurant que les nippes \u00e9toient si antiques, qu'il seroit s\u00fbrement\nremarqu\u00e9, au lieu que restant avec son habit, on pourroit tr\u00e8s-bien n'y\npas faire attention, le spectacle \u00e9tant rempli d'abb\u00e9s. Le chanoine ne\nse rendit point \u00e0 ses raisons; il craignoit d'\u00eatre reconnu par ses\n\u00e9coliers: il lui dit que comme il \u00e9toit vieux, on ne seroit point\nsurpris de le voir avec des hardes \u00e0 la vieille mode. Il s'ajuste avec\nla cornette haute, l'habit trouss\u00e9, et tous les falbalas imagin\u00e9s en ce\ntemps-l\u00e0, pour suppl\u00e9er aux paniers. Il arrive \u00e0 la com\u00e9die et se place\n\u00e0 l'amphith\u00e9\u00e2tre. Cette figure \u00e9tonna, comme vous pouvez bien le penser.\nLes voisins commenc\u00e8rent \u00e0 en parler; le murmure augmenta. _Armand_,\nacteur qui faisoit le r\u00f4le d'arlequin, aper\u00e7ut le chanoine, alla dans\nl'amphith\u00e9\u00e2tre, et examina le personnage; il s'en approcha, et lui dit:\nMonsieur, je vous conseille de d\u00e9camper: vous \u00eates reconnu, et votre\nhabit grotesque fait rire le parterre, au point que je crains quelque\nscandale. Le pauvre homme bien troubl\u00e9, remercie le com\u00e9dien, et le prie\nde l'aider \u00e0 sortir. _Armand_ lui dit de le suivre, et press\u00e9 par la\nsc\u00e8ne qu'il falloit jouer, il va tr\u00e8s-v\u00eete, le chanoine le perd de vue\nau sortir de l'amphith\u00e9\u00e2tre. Il entend les hu\u00e9es du parterre; il trouve\nl'escalier qui se partage en deux, dont l'un conduit \u00e0 la rue, et\nl'autre dans la salle des comptes. Comme il ne connoissoit point les\nlieux, son malheur voulut qu'il se m\u00e9pr\u00eet; il descend dans cette salle\no\u00f9 l'exempt se tient ordinairement. Il y \u00e9toit alors. Il fut frapp\u00e9 de\ncette figure de femme singuli\u00e8re, qui avoit l'air troubl\u00e9e et interdite;\nil l'arr\u00eata, ne doutant point que ce ne f\u00fbt quelqu'aventurier d\u00e9guis\u00e9,\net conduisit \u00e0 M. _H\u00e9rault_, lieutenant de police, notre pauvre docteur\nqui fondoit en larmes, et qui offrit cent louis \u00e0 l'exempt pour le\nlaisser aller. Il lui conta son histoire, lui dit son nom; mais ce\ncoquin fut inexorable; c'est la premi\u00e8re fois qu'il a refus\u00e9 de l'argent\npour faire un scandale affreux. Le lieutenant de police vit avec plaisir\nnotre chanoine; et, comme il \u00e9toit courtisan moliniste, il lui fit une\ntr\u00e8s-grande r\u00e9primande, et le nomma devant beaucoup de monde. Le\njans\u00e9niste pleura: on lui a envoy\u00e9 une lettre de cachet pour aller \u00e0 60\nlieues d'ici, je ne sais pas bien o\u00f9.\nM. _de Prie_[178] \u00e9toit l'autre jour dans la chambre du roi, appuy\u00e9 sur\nune table; la bougie alluma sa perruque; il fit ce que bien d'autres\nauroient fait en pareil cas, il l'\u00e9teignit avec les pieds: l'incendie\nfini, il la remit sur sa t\u00eate. Cela r\u00e9pandit une odeur tr\u00e8s-forte. Le\nroi entra dans ce moment; il fut frapp\u00e9 du parfum, et, ignorant ce que\nc'\u00e9toit, il dit sans aucune malice: il sent bien mauvais ici; je crois\nqu'il sent la corne br\u00fbl\u00e9e. A ce discours, vous comprenez bien que l'on\nrit; le roi et la noble assembl\u00e9e firent des \u00e9clats de rire d\u00e9sordonn\u00e9s.\nLe pauvre cocu n'eut point d'autre ressource que ses jambes, et il\ns'enfuit bien vite.\nVoici une \u00e9pigramme de _Rousseau_ contre _Fontenelle_.\n Depuis trente ans, un vieux berger normand\n Aux beaux esprits s'est donn\u00e9 pour mod\u00e8le;\n Il leur apprend \u00e0 traiter galamment\n Les grands sujets en style de ruelle.\n Ce n'est le tout; chez l'esp\u00e8ce femelle,\n Il brille encor, malgr\u00e9 son poil grison;\n Et n'est caillette, en honn\u00eate maison,\n Qui ne se p\u00e2me \u00e0 sa douce faconde.\n En v\u00e9rit\u00e9, caillettes ont raison,\n C'est le p\u00e9dant le plus joli du monde.\nMadame _de Parab\u00e8re_ a quitt\u00e9 M. le premier, et M. _d'Alincourt_ ne la\nquitte pas, quoique je sois persuad\u00e9e qu'il ne sera jamais son amant.\nElle a des fa\u00e7ons charmantes avec moi; elle sait bien que je crains\nd'avoir l'air d'\u00eatre sa complaisante, et comme elle n'ignore point que\ntous les yeux sont sur elle, elle ne me propose plus de parties; elle\nm'a dit cent fois qu'elle ne pouvoit avoir de plus grand plaisir que de\nme voir; que toutes les fois que je voudrois, elle en seroit charm\u00e9e.\nSon carrosse est toujours \u00e0 mon service. Ne croyez-vous pas qu'il seroit\nridicule de ne la point voir du tout? d'ailleurs, je n'ai aucune raison\nde m'en plaindre, bien au contraire; n'ai-je pas re\u00e7u de sa part mille\namiti\u00e9s dans toutes les occasions. On ne me peut soup\u00e7onner d'\u00eatre sa\nconfidente, ne la voyant que de temps en temps: enfin, je me conduirai\nde mon mieux. Mais, en v\u00e9rit\u00e9, Madame, je n'ai rien vu qui me confirme\nles bruits qui courent sur son nouvel engagement; elle est avec lui\ntr\u00e8s-polie, tr\u00e8s-modeste, a l'air indiff\u00e9rente: la seule chose qui\ndonneroit des soup\u00e7ons, c'est que sachant les discours du public, elle\nauroit d\u00fb peut-\u00eatre ne pas le recevoir chez elle; mais elle dit qu'elle\nn'a pas le dessein de s'enterrer; que si elle refuse sa porte \u00e0 M.\n_d'Alincourt_, le lendemain il faudra qu'elle la refuse \u00e0 un autre, et\nque tour \u00e0 tour elle chasseroit tout le monde, et qu'elle n'en seroit\npas quitte encore pour \u00eatre dans la solitude; que l'on diroit qu'elle ne\nles cong\u00e9die que pour que le public en soit instruit: elle aime mieux,\najoute-t-elle, attendre du temps pour \u00eatre justifi\u00e9e. Adieu, ma ch\u00e8re\ndame, c'est toujours avec un regret infini que je vous quitte; mais la\nposte va partir.\nLETTRE IV.\nParis, 1726.\nVous \u00eates surprise que j'aie rest\u00e9 si long-temps sans vous \u00e9crire; mais,\nMadame, je vous suis trop attach\u00e9e, pour ne pas me flatter que vous ne\ndoutez point que, malgr\u00e9 mon silence, j'aie pens\u00e9 tr\u00e8s-souvent \u00e0 vous,\net qu'il a fallu que je n'eusse pas un moment pour vous le dire, puisque\nje ne l'ai pas fait: mon c\u0153ur est sans cesse occup\u00e9 de vous, et mes\nregrets sont aussi vifs que le jour o\u00f9 vous quitt\u00e2tes Paris; tous les\ninstans, je sens tout ce que j'ai perdu; rien n'est plus douloureux que\nd'avoir une amie de votre caract\u00e8re, et d'en \u00eatre s\u00e9par\u00e9e. Ces id\u00e9es\nsont trop cruelles, parlons d'autre chose.\nLe prince _de Bournonville_ est mort hier, il ne pouvoit vivre: il est\nmort bien jeune, et bien vieux; on le regrette, sans \u00eatre afflig\u00e9; car\nil \u00e9toit dans une si triste situation, qu'il valoit mieux pour lui de\nfinir, que de continuer \u00e0 vivre pour souffrir; il ne pouvoit presque ni\nparler, ni respirer. Je crois que son \u00e2me a bien eu de la peine \u00e0\nquitter son corps; elle y \u00e9toit toute enti\u00e8re. Il avoit fait un\ntestament, il y a quatre ans, o\u00f9 il me donnoit deux mille \u00e9cus; je suis\nenchant\u00e9e qu'il n'ait pas subsist\u00e9. Le public qui ignoroit l'amiti\u00e9\nqu'il avoit eue pour moi, dans le temps qu'il venoit souvent chez M. _de\nFerriol_, auroit soup\u00e7onn\u00e9 mille choses. Il a nomm\u00e9 pour h\u00e9riti\u00e8re\nmadame la duchesse _de Duras_; il a donn\u00e9 tr\u00e8s-amplement \u00e0 tous ses\ndomestiques, sans en oublier un. Ce qui vous surprendra, Madame, c'est\nqu'un quart-d'heure apr\u00e8s sa mort, le mariage de sa femme avec le duc de\n_Rouvroi_ a \u00e9t\u00e9 arr\u00eat\u00e9 et publi\u00e9; et, ce qui vous \u00e9tonnera le plus,\nc'est que ce manque de biens\u00e9ance part du cardinal _de Noailles_ et de\nla mar\u00e9chale _de Grammont_ qui est Noailles, et m\u00e8re de madame _de\nBournonville_. M. le duc _de Rouvroi_ est fils de M. _de St.-Simon_, \u00e2g\u00e9\nde 25 ans. Il n'a actuellement que 25,000 livres de rente, et vous voyez\nbien que sa naissance n'est pas bien merveilleuse; et madame de\n_Bournonville_ jouit de 33,000 livres de rente. Elle est jeune et belle,\nd'une grande maison par elle et son mari. Madame _de St.-Simon_ est amie\ndu cardinal _de Noailles_. Elle parloit souvent du prince _de\nBournonville_, comme d'un homme confisqu\u00e9, et qu'elle se trouveroit bien\nheureuse, si sa veuve vouloit \u00e9pouser son fils. Au moment que ce prince\nexpiroit, elle va chez le cardinal, ne le laisse pas achever de d\u00eener,\npour qu'il all\u00e2t demander madame _de Bournonville_. La mar\u00e9chale _de\nGrammont_ accepta la proposition, et dit au cardinal qu'elle en \u00e9toit\ncharm\u00e9e, mais qu'il falloit cacher pour quelque temps ce mariage. Le\ncardinal dit qu'il ne pouvoit se taire, et qu'il le diroit \u00e0 tout ce\nqui se rencontreroit, de mani\u00e8re qu'avant que M. _de Bournonville_ f\u00fbt\nenterr\u00e9, tout Paris a su ce mariage. Il est mort le 5; et le 9, on a \u00e9t\u00e9\nfaire part du mariage \u00e0 tous les parens et amis. Tout le monde est\nr\u00e9volt\u00e9. Au bout de quarante jours, la c\u00e9r\u00e9monie se fera. Madame la\nduchesse _de Duras_ et madame _de Maill\u00e9_, s\u0153urs du d\u00e9funt, sont all\u00e9es\nrendre visite le surlendemain \u00e0 la veuve; elle avoit un pied de rouge\ndans l'habillement de veuve, et son pr\u00e9tendu \u00e9toit \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d'elle, qui\nvenoit de se pr\u00e9senter comme futur \u00e9poux. Ce n'est point un mariage\nd'inclination; il n'y a aucun amour: cela fait tenir bien des discours.\nLes partis sur mademoiselle _Le Maure_ et mademoiselle _Pellissier_\ndeviennent tous les jours plus vifs. L'\u00e9mulation entre ces deux actrices\nest extr\u00eame, et a rendu la _Le Maure_ tr\u00e8s-bonne actrice. Il y a des\ndisputes dans le parterre, si vives, que l'on a vu le moment o\u00f9 l'on en\nviendroit \u00e0 tirer l'\u00e9p\u00e9e. Elles se ha\u00efssent toutes deux comme des\ncrapauds, et les propos de l'une et de l'autre sont charmans.\nMademoiselle _Pellissier_ est tr\u00e8s-impertinente et tr\u00e8s-\u00e9tourdie.\nL'autre jour, \u00e0 l'h\u00f4tel de Bouillon, \u00e0 table, devant des personnes\ntr\u00e8s-suspectes, elle dit que M. _Pellissier_, son cher mari, pouvoit\ncompter d'\u00eatre le seul \u00e0 Paris, qui ne f\u00fbt pas cocu. Pour la _Le Maure_,\nelle est b\u00eate comme un pot; mais elle a la plus belle et la plus\nsurprenante voix qu'il y ait dans le monde; elle a beaucoup\nd'entrailles, et la _Pellissier_, beaucoup d'art. On fit l'anagramme du\nnom de cette derni\u00e8re, qui \u00e9toit _Pilleresse_. _Murer_ a quitt\u00e9 tout de\nbon la fi\u00e8vre depuis trois mois, et la d\u00e9votion s'est empar\u00e9e de lui. On\njoue _Proserpine_ le 14 de ce mois. La _Entie_ fait _C\u00e9r\u00e8s_; la _Le\nMaure_, _Proserpine_; la _Pellissier_, _Ar\u00e9thuse_; _Thevenard_,\n_Pluton_; _Chass\u00e9_, _Ascalaphe_. Voil\u00e0 la distribution qu'on dit \u00eatre \u00e0\nmerveille. Je doute pourtant que cet op\u00e9ra r\u00e9ussisse: toute l'intrigue\nest une vieille ma\u00eetresse qui raconte ses vieilles amours, une petite\nfille qui cueille des fleurs et qui fait des guirlandes, un vieux\ncocher amoureux et brutal. Il n'y a donc qu'un \u00e9pisode, _Alph\u00e9e et\nAr\u00e9thuse_, qui fasse une sc\u00e8ne assez touchante: tout le reste est froid,\nlanguissant et insipide. M. _de Noc\u00e9_ me soutint, l'autre jour, que\nc'\u00e9toit le plus bel op\u00e9ra du monde, et qu'il y avoit une all\u00e9gorie qui\nle rendoit charmant. Je l'assurai qu'il pouvoit \u00eatre agr\u00e9able pour le\npersonnage pour lequel il avoit \u00e9t\u00e9 fait: mais que pour moi, qui\nm\u00e9prisois souverainement madame _de Montespan_, et qui ne l'avois jamais\nconnue, sa rupture avec le roi, ses regrets, tout cela ne pouvoit\nm'\u00e9mouvoir. La com\u00e9die tombe, tous les bons acteurs vont quitter; les\nmauvais sont d\u00e9testables, et ne donnent aucune esp\u00e9rance.\nLe roi est \u00e0 Marli, o\u00f9 il tient table le soir, la reine le matin. C'est\nune chose nouvelle; cela n'\u00e9toit pas encore arriv\u00e9, que la reine e\u00fbt\nmang\u00e9 en public avec les dames. On parle de guerre; nos cavaliers la\nsouhaitent beaucoup, et nos dames s'en affligent m\u00e9diocrement: il y a\nlong-temps qu'elles n'ont go\u00fbt\u00e9 l'assaisonnement des craintes et des\nplaisirs des campagnes; elles d\u00e9sirent de voir comme elles seront\nafflig\u00e9es de l'absence de leurs amans. M. _de Nesle_ a fait des\nplaisanteries tr\u00e8s-fortes \u00e0 M. le prince _de Carignan_, sur ce qu'il\nparloit mal fran\u00e7ois. Le prince, impatient\u00e9, lui dit qu'il seroit forc\u00e9\nde lui donner des coups de b\u00e2ton, parce qu'on ne savoit pas en Su\u00e8de\nqu'il \u00e9toit un grand poltron. M. _de Nesle_ a fait mille excuses et\nmille bassesses: choses qui lui arrivent trop souvent pour sa\nr\u00e9putation.\nJ'apprends, dans l'instant, qu'on va retrancher les rentes perp\u00e9tuelles.\nComme nous n'en avons ni l'une ni l'autre, je m'en console. Ma sant\u00e9 est\nmauvaise depuis quelque temps. Je me fis saigner hier; je prends de la\nlimaille, je suis maigre; je me flatte que cela n'aura pas de suite.\nAdieu, Madame; honorez-moi toujours un peu de vos bont\u00e9s: c'est une\nconsolation \u00e0 tous mes maux, tant du corps que de l'esprit. A propos,\nil y a une vilaine affaire qui fait dresser les cheveux \u00e0 la t\u00eate: elle\nest trop inf\u00e2me pour l'\u00e9crire; mais tout ce qui arrive dans cette\nmonarchie, annonce bien sa destruction. Que vous \u00eates sages, vous\nautres, de maintenir les lois et d'\u00eatre s\u00e9v\u00e8res! Il s'ensuit de l\u00e0\nl'innocence. Je suis tous les jours surprise de mille m\u00e9chancet\u00e9s qui se\nfont, et dont je n'ai pu croire le c\u0153ur humain capable. Je m'imagine\nquelquefois que la derni\u00e8re surprise m'emp\u00eachera d'en avoir \u00e0 l'avenir;\nmais j'y suis toujours tromp\u00e9e.\nLETTRE V.\nD'Ablons, 1726.\nComment vous portez-vous, Madame? ne me donnerez-vous point de vos\nnouvelles? voulez-vous me punir de mon silence? La punition est trop\nforte, et, pour une personne aussi juste que vous, elle n'est pas\nproportionn\u00e9e \u00e0 l'offense. Jamais vous ne pouvez soup\u00e7onner mon c\u0153ur;\nvous le connoissez trop. Votre silence ressemble \u00e0 l'oubli et \u00e0\nl'ingratitude. Au nom de Dieu! souvenez-vous que vous \u00eates la personne\ndu monde que j'aime et que j'estime davantage. Vous \u00eates oblig\u00e9e de\nm'aimer, \u00e0 cause de mon discernement, si ce n'est pas par go\u00fbt. Madame\nvotre fille m'a fait l'honneur de me venir voir plusieurs fois: si je\nn'\u00e9tois pas extr\u00eamement occup\u00e9e, j'aurois le plaisir de la voir souvent;\nje l'ai toujours beaucoup aim\u00e9e; mais j'avoue que je l'aime encore\ndavantage. Des esprits mal faits pourroient vous soup\u00e7onner sur cette\nphrase d'\u00eatre tracassi\u00e8re, et d'avoir voulu me donner de l'\u00e9loignement\npour elle; mais les bons esprits, et qui connoissent les entrailles,\nimagineront ais\u00e9ment que tout ce qui appartient \u00e0 ce qu'on aime, devient\nplus cher, lorsque l'on en est \u00e9loign\u00e9.\nJe me suis flatt\u00e9e, jusqu'\u00e0 pr\u00e9sent, que je ferois le voyage de\nPont-de-Vesle, qui me procureroit le plaisir de vous aller voir; mais je\nvois avec douleur que le temps en est bien \u00e9loign\u00e9. On me flatte, et je\ncrois deviner qu'il y a une r\u00e9solution marqu\u00e9e de ne point faire ce\nvoyage; j'en suis tr\u00e8s-piqu\u00e9e; on se pla\u00eet \u00e0 me donner des esp\u00e9rances,\net ensuite \u00e0 les d\u00e9truire, je prends souvent la r\u00e9solution de paro\u00eetre\nindiff\u00e9rente sur l'\u00e9v\u00e9nement; mais, malgr\u00e9 moi, le chagrin et la joie se\nmanifestent tour \u00e0 tour.\nOn parle plus de guerre que jamais: nos guerriers craignent fort de\ncamper. Ils voudroient se battre, prendre \u00e0 la h\u00e2te quelques villes, et\nrevenir, au bout de huit jours, \u00e0 Paris. M. le prince _de Conti_ est\nmort, hier matin, d'une fluxion de poitrine; il a dit les choses du\nmonde les plus tendres et les plus obligeantes \u00e0 sa femme; il lui a\ndemand\u00e9 pardon des soup\u00e7ons mal fond\u00e9s qu'il avoit eus sur sa conduite,\nlui a nomm\u00e9 son valet de chambre qui \u00e9toit son espion et son\ncalomniateur, et l'a assur\u00e9e qu'il \u00e9toit bien \u00e9loign\u00e9 d'ajouter aucune\nfoi \u00e0 tout ce qu'il avoit rapport\u00e9. Il a fait ordonner \u00e0 madame _La\nRoche_, sa ma\u00eetresse, qui, en partie, \u00e9toit la cause du peu d'union\nqu'il avoit avec sa femme, de sortir au moment m\u00eame de sa maison, o\u00f9\nelle demeuroit. Il a donn\u00e9 2,000 livres de pension \u00e0 quatre personnes:\nje ne m'en ressouviens que de deux, MM. _de Montmorenci_ et _du Bellai_;\n\u00e0 M. _Maton_, qu'il a toujours aim\u00e9, un diamant de 10,000 livres; au\npr\u00e9sident _de Lub\u00e8re_, son portrait en grand; \u00e0 ses deux filles, chacune\nune tabati\u00e8re d'or avec son portrait. A l'\u00e9gard de ses domestiques, il\nlaisse madame la princesse _de Conti_ ma\u00eetresse de les r\u00e9compenser comme\nelle le jugera \u00e0 propos. La princesse a beaucoup pleur\u00e9, quand il est\ntomb\u00e9 malade, quoiqu'ils fussent brouill\u00e9s, et m\u00eame sur le point de se\ns\u00e9parer. Il a donn\u00e9 tant de marques de tendresse et de repentir, qu'elle\na oubli\u00e9, pour le pr\u00e9sent, tous les chagrins qu'il lui a caus\u00e9s. Je\ncrois cependant que, pass\u00e9 les premiers jours, elle s'en consolera bien\nais\u00e9ment. M. le duc a eu une attaque d'apoplexie dont il r\u00e9chappe. A la\nhalle, les harang\u00e8res disent que le borgne n'avoit garde de mourir,\nparce qu'il est trop m\u00e9chant, et que le prince est mort, parce qu'il\n\u00e9toit bon. Ces pauvres gens d\u00e9cident de sa bont\u00e9, sans savoir pourquoi,\nsi ce n'est qu'il n'avoit jamais \u00e9t\u00e9 \u00e0 port\u00e9e de leur faire ni mal ni\nbien.\nJe vous enverrai, par la premi\u00e8re occasion, un livre fort \u00e0 la mode ici,\nle _Voyage de Gulliver_; il est traduit de l'anglois; l'auteur est le\ndocteur _Swift_; il est fort amusant; il y a beaucoup d'esprit,\nd'imagination et une fine plaisanterie. _Destouches_ a donn\u00e9 le\n_Philosophe mari\u00e9_; c'est une tr\u00e8s-jolie com\u00e9die: il y a du sentiment,\nde l\u00e0 d\u00e9licatesse; mais ce n'est pas le g\u00e9nie de _Moli\u00e8re_: il y a la\n_Critique_ qui est du m\u00eame auteur, c'est le pan\u00e9gyrique du _Philosophe\nmari\u00e9_; on la trouve assez mauvaise. Votre commission sera faite au\nplut\u00f4t. Vous me faites tort, quand vous croyez que je peux m'impatienter\nen la faisant. Non, Madame, soyez persuad\u00e9e, \u00e0 moins que vous ne vouliez\nm'affliger mortellement, que si vous m'ordonniez de marcher sur la t\u00eate\npour l'amour de vous, j'irois avec joie. L'article de votre lettre o\u00f9\nvous me dites que vous ne me verrez plus, m'a serr\u00e9 le c\u0153ur \u00e0 en\npleurer. Pourquoi voulez-vous m'affliger? Oui, je vous verrai, quelque\nchose qu'il arrive, \u00e0 moins que je ne meure bient\u00f4t: ma sant\u00e9 est assez\nbonne; ainsi laissez-moi l'esp\u00e9rance de vous embrasser encore souvent,\navant que je meure. Vous me demandez des nouvelles du chevalier; il est\nen P\u00e9rigord, o\u00f9 sa sant\u00e9 est toujours assez mauvaise. Cependant il\nm'assure qu'il n'y a nul danger; il est plus tendre que jamais: ses\nlettres sont toutes comme celles que je vous montrois dans le carrosse,\nquelque temps avant votre d\u00e9part: si j'osois, je vous en enverrois des\ncopies; elles sont trop pleines de louanges; mais elles sont si bien\n\u00e9crites, que, si l'on ne connoissoit pas l'objet, on les trouveroit\ncharmantes. Je ne sais aucune nouvelle de Paris; je suis ici comme au\nbout du monde; je vendange, je file beaucoup pour me faire des\nchemises, et je tire aux oiseaux. J'ai re\u00e7u des lettres de madame\n_Knight_; elle me dit qu'elle est mari\u00e9e et heureuse; elle est \u00e0\nBettersea depuis son mariage; M. _de Bolingbrocke_ ne paro\u00eet pas trop\ncontent. La t\u00eate a tourn\u00e9 apparemment \u00e0 milord, de marier sa fille de\ncette fa\u00e7on. Vous auriez mieux fait; il falloit vous laisser faire, sans\nvous contraindre. Adieu, Madame, continuez-moi vos bont\u00e9s.\nLETTRE VI.\nParis, 1726.\nVous avez tort, Madame, de m'accuser d'oubli \u00e0 votre \u00e9gard; ayez\nmeilleure opinion de vos amis, et sur-tout de moi qui sens bien tout le\nprix de votre amiti\u00e9: je puis jurer qu'il n'y a pas de jour que je ne\npense \u00e0 vous, que je ne vous regrette, et que je ne fasse des projets\npour aller vous voir; je mettrai tout en usage pour ex\u00e9cuter ce que je\nsouhaite si vivement: je quitte tout sans regret pour vous; je suis\naccabl\u00e9e de chagrin, mon corps s'en ressent; je suis maigrie \u00e0 en \u00eatre\nalarm\u00e9e. J'ai eu tout \u00e0 la fois la mort de mon bienfaiteur M. _de\nFerriol_, l'asthme du chevalier qui dure depuis trois mois, et la\nr\u00e9duction des rentes viag\u00e8res. Voici une lettre qu'il m'a faite pour le\ncardinal _de Fleuri_; je ne doute point que vous ne la trouviez bien.\nMONSEIGNEUR,\n\u00abJe n'oserois me flatter que votre \u00c9minence se ressouv\u00eent que j'ai eu\nl'honneur de la voir; mais je crois pouvoir esp\u00e9rer que la singularit\u00e9\nde mon \u00e9tat excitera sa compassion, et qu'elle me pardonnera la libert\u00e9\nque je prends de lui en exposer les circonstances. M. _de Ferriol_ m'a\namen\u00e9e de Turquie en ce pays-ci, \u00e0 4 ans; et apr\u00e8s m'avoir \u00e9lev\u00e9e comme\nsa fille, il a voulu, pour comble de g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, me laisser une fortune\nqui sout\u00eent l'\u00e9ducation qu'il m'avoit donn\u00e9e. Toute la famille _de\nFerriol_ concourant \u00e0 ses desseins, il m'avoit donn\u00e9 4,000 liv. de\nrentes viag\u00e8res. Aujourd'hui, Monseigneur, on m'en \u00f4te plus de la\nmoiti\u00e9; et par l\u00e0 je perds ce qui faisoit ma tranquillit\u00e9,\nl'ind\u00e9pendance que l'on a voulu m'assurer. J'ose supplier votre\n\u00c9minence, que l'on ne me traite point \u00e0 la rigueur; ne souffrez pas que\nl'on d\u00e9truise une fortune qui est un t\u00e9moignage de la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 des\nFran\u00e7ois. Si vous vous informez de moi, on vous dira que je n'ai ni\ngo\u00fbt, ni talent pour acqu\u00e9rir. Ordonnez donc qu'on me laisse ce que je\nposs\u00e9dois par des voies si l\u00e9gitimes. Vous aurez part \u00e0 la\nreconnoissance que j'ai pour ceux \u00e0 qui je dois tout ce que je poss\u00e8de,\net je ne cesserai jamais d'\u00eatre avec le plus profond respect, etc.\u00bb\n_Lettre de madame_ DE FERRIOL.\n_A\u00efss\u00e9_ ne cesseroit de vous \u00e9crire, si je la laissois faire; je n'en ai\npas la patience, et je l'interromps pour vous parler aussi \u00e0 mon tour.\nGardez-vous bien de m'oublier; je ne cesse point de me ressouvenir de\nvous, et de vous regretter. Les courses que j'ai faites, et les maladies\nque j'ai essuy\u00e9es, ne m'ont pas distraite un moment de ce souvenir;\nj'esp\u00e8re que tous mes voyages ne sont pas faits, et que j'en ferai un \u00e0\nPont-de-Vesle, qui me procurera le bonheur de vous voir. J'ai besoin de\ncette esp\u00e9rance pour adoucir la peine que me cause votre absence.\nJ'esp\u00e8re qu'en attendant, vous voudrez bien me donner de vos nouvelles,\net que vous ne doutez pas de la tr\u00e8s-tendre amiti\u00e9 que je conserverai\ntoute ma vie pour vous.\n_Suite de la Lettre de mademoiselle_ A\u00cfSS\u00c9.\nOn me rend la plume, je vais en profiter pour conter quelques\nravauderies. Madame _de Tencin_ est toujours malade: les savans et les\npr\u00eatres sont, presque les seules personnes qui lui fassent leur cour.\n_D'Argental_ n'est plus amoureux; ses assiduit\u00e9s sont r\u00e9fl\u00e9chies\nactuellement. Il y a eu des tracasseries \u00e0 la cour; les dames du palais\nont voulu jouer des com\u00e9dies pour amuser la reine. MM. _de Nesle_, _de\nla Trimouille_, _Graisi_, _Gontault_, _Tallard_, _Villars_, _Matignon_\n\u00e9toient les acteurs. Il manquoit une actrice pour de certains r\u00f4les, et\nil \u00e9toit n\u00e9cessaire d'avoir quelqu'un qui p\u00fbt former les autres: on\nproposa la _Desmarest_, qui ne monte plus sur le th\u00e9\u00e2tre; madame _de\nTallard_ s'y opposa, et assura qu'elle ne joueroit pas avec une\ncom\u00e9dienne, \u00e0 moins que la reine ne f\u00fbt une des actrices. La petite\nmarquise _de Villars_ dit que madame _de Tallard_ avoit raison, et\nqu'elle ne vouloit point jouer aussi, \u00e0 moins que l'Empereur ne f\u00eet\nCrispin. Cette grande affaire finit par des \u00e9clats de rire. Madame _de\nTallard_ a \u00e9t\u00e9 si piqu\u00e9e, qu'elle a quitt\u00e9 la troupe, La _Desmarest_ a\njou\u00e9, et les com\u00e9dies ont tr\u00e8s-bien r\u00e9ussi.\nMilord _Bolingbrocke_ nie hautement les lettres que l'on pr\u00e9tend qu'il a\n\u00e9crites \u00e0 M. _Walpole_. Je ne doute pas que vous n'en ayez ou\u00ef parler:\nil dit qu'on peut l'attaquer, mais qu'il ne r\u00e9pondra jamais; que ce sont\ndes lettres suppos\u00e9es; qu'il est r\u00e9solu de demeurer en repos, malgr\u00e9\ntoute la malice du public. Madame sa femme est toujours malade. L'air de\nLondres l'incommode: on avoit fait courir le bruit que le mari et la\nfemme \u00e9toient mal ensemble; rien n'est plus faux: je re\u00e7ois des lettres,\npresque tous les ordinaires, de l'un et de l'autre; ils me paroissent\ndans une grande union: les inqui\u00e9tudes qu'il a de la sant\u00e9 de sa femme,\net celles qu'elle a de la sienne, ne ressemblent point \u00e0 des gens\nm\u00e9contens. Adieu, Madame. La certitude que j'ai de vos bont\u00e9s, me fait\ntrop de plaisir pour vouloir en douter.\nLETTRE VII.\nParis, 1727.\nJ'ai re\u00e7u la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'\u00e9crire; je ne\npuis vous dire assez tout le plaisir qu'elle m'a fait. Je les montre \u00e0\nune seule personne, qui est tr\u00e8s-curieuse de les voir, et qui partage le\nplaisir que j'ai de les lire: les bont\u00e9s d'une personne comme vous la\nflattent comme moi-m\u00eame, et elle partage mes inqui\u00e9tudes sur ce qui vous\nregarde. Vous \u00eates la premi\u00e8re qu'elle a plainte dans ce maudit\narrangement du retranchement des rentes viag\u00e8res. Je n'ai point \u00e9t\u00e9\nconsol\u00e9e de n'\u00eatre pas la seule mis\u00e9rable dans cette occasion; il est\ntoujours fort douloureux de voir ses amis malheureux. J'aurois, je vous\njure, pris mon parti plus ais\u00e9ment, si vous aviez \u00e9t\u00e9 privil\u00e9gi\u00e9e. Mon\nvoyage de Pont-de-Vesle se confirme, et sera beaucoup plus long; mais\ndans quelque pauvret\u00e9 que je sois, je vous promets d'aller vous voir; ce\nsera un des bonheurs les plus vifs de ma vie; et si jamais je me marie,\nje mettrai dans le contrat, que je veux \u00eatre libre d'aller \u00e0 Gen\u00e8ve,\nquand il me plaira, et le temps que je voudrai. Madame _de Tencin_ est\ntoujours malade; mais j'ai grand'peur que madame sa s\u0153ur ne parte avant\nelle; sa cupidit\u00e9 augmente tous les jours. Ma sant\u00e9 est m\u00e9diocre, et je\nmaigris beaucoup; c'est pourtant le premier bien; elle nous fait\nsupporter toutes nos peines; les chagrins l'alt\u00e9rent, comme vous le\nprouvez, et ne font pas changer la fortune. D'ailleurs, il n'y a point\nde honte d'\u00eatre pauvre, quand c'est la faute du destin et de la vertu.\nJe vois tous les jours qu'il n'y a que la vertu qui soit bonne en ce\nmonde et en l'autre. Pour moi qui n'ai pas le bonheur de m'\u00eatre bien\nconduite, mais qui respecte et admire les gens vertueux, la simple envie\nd'\u00eatre du nombre m'attire toutes sortes de choses flatteuses: la piti\u00e9\nque tout le monde a de moi, fait que je ne me trouve presque pas\nmalheureuse; il me reste deux mille francs de rente, tout au plus;\nj'envisage sans peine de me retrancher les choses qui me faisoient le\nplus de plaisir. Mes bijoux et mes diamans sont vendus; pour vous,\nMadame, il y a long-temps que vous vous \u00eates d\u00e9tach\u00e9e de tout cela. Si\nvous avez plus de chagrins, et que vous soyez plus \u00e0 plaindre que bien\nd'autres, vous en \u00eates bien d\u00e9dommag\u00e9e par la satisfaction de n'avoir\nrien \u00e0 vous reprocher: vous avez de la vertu, vous \u00eates aim\u00e9e et\nestim\u00e9e, et, par cons\u00e9quent, vous avez plus d'amis. Conservez-les,\nMadame, et votre sant\u00e9; ce sont l\u00e0 les v\u00e9ritables tr\u00e9sors.\nMadame _de Parab\u00e8re_ ayant quitt\u00e9 son amant, a donn\u00e9 cette charge \u00e0\n_d'Alincourt_. M. _de Nesle_ a plaisant\u00e9 M. le prince _de Conti_ assez\nmal \u00e0 propos; et, quoique le prince l'e\u00fbt fait prier de se taire, il a\ncontinu\u00e9; ce qui a mis en col\u00e8re son altesse, qui a voulu lui jeter une\nassiette \u00e0 la t\u00eate. M. _de Nesle_ a fait des excuses, qui ont \u00e9t\u00e9 assez\nmal re\u00e7ues, puisqu'on lui a r\u00e9pondu que l'on avoit eu tort de se mettre\nen col\u00e8re contre un poltron; que l'on devoit en agir avec lui comme avec\nun chien qui importunoit, et \u00e0 qui l'on donnoit des coups de pied; que\ns'il n'\u00e9toit pas content, il \u00e9toit partout, et le trouveroit. Madame _de\nNesle_ avoit pour amant M. _de Montmorenci_: c'\u00e9toit _Riom_ qui avoit\nfait cette liaison; il a jug\u00e9 \u00e0 propos de la rompre, et a donn\u00e9 \u00e0 son\nami madame _de Boufflers_; madame _de Nesle_, pour se venger, a donn\u00e9 le\nridicule \u00e0 _Riom_, de lorgner la reine; ce dernier a \u00e9t\u00e9 si piqu\u00e9, qu'il\nest all\u00e9 au cardinal pour se justifier. Vous voyez \u00e0 quoi nos belles\ndames et nos agr\u00e9ables s'amusent. M. le duc se divertit comme un ange, \u00e0\nson tour, \u00e0 Chantilli. Madame _de Prie_ est rel\u00e9gu\u00e9e dans ses terres, o\u00f9\nelle perd les yeux; elle se console en lisant le bel \u00e9dit des rentes.\nNotre roi est toujours constant pour la chasse. La reine est grosse.\nVoil\u00e0 les nouvelles de ce monde. Quelle diff\u00e9rence de votre ville \u00e0\nParis! L'innocence des m\u0153urs, le bon esprit y r\u00e8gnent: ici on ne les\nconno\u00eet pas. Il est arriv\u00e9, depuis quelque tems, une petite aventure qui\na fait beaucoup de bruit; je veux vous la mander. Il y a six semaines,\nqu'_Isess\u00e9_, le chirurgien, re\u00e7ut un billet, par lequel on le prioit de\nse rendre l'apr\u00e8s-midi, \u00e0 six heures, dans la rue _Pot-de-fer_, pr\u00e8s du\nLuxembourg. Il n'y manqua pas; il trouva un homme qui l'attendoit, et le\nconduisit \u00e0 quelques pas de l\u00e0, le fit entrer dans une maison, ferma la\nporte sur le chirurgien, et resta dans la rue. _Isess\u00e9_ fut surpris que\ncet homme ne l'emmen\u00e2t pas tout de suite o\u00f9 on le souhaitoit. Mais le\nportier de la maison par\u00fbt, qui lui dit qu'on l'attendoit au premier\n\u00e9tage et qu'il mont\u00e2t; ce qu'il fit: il ouvrit une antichambre toute\ntendue de blanc; un laquais fait \u00e0 peindre, v\u00eatu de blanc, bien fris\u00e9,\nbien poudr\u00e9, et avec une bourse de cheveux blanche, et deux torchons \u00e0\nla main, vint au-devant de lui, et lui dit qu'il falloit qu'il lui\nessuy\u00e2t ses souliers. _Isess\u00e9_ lui dit que cela n'\u00e9toit pas n\u00e9cessaire,\nqu'il sortoit de sa chaise, et n'\u00e9toit point crott\u00e9. Malgr\u00e9 cela, le\nlaquais lui r\u00e9pondit que l'on \u00e9toit trop propre dans cette maison, pour\nne pas user de pr\u00e9caution. Apr\u00e8s cette c\u00e9r\u00e9monie, on le conduisit dans\nune chambre tendue aussi de blanc. Un autre laquais, v\u00eatu de m\u00eame que le\npremier, refit la m\u00eame c\u00e9r\u00e9monie des souliers: on le mena ensuite dans\nune chambre toute blanche, lit, tapisseries, fauteuils, chaises, tables\net plancher. Une grande figure en bonnet de nuit et en robe de chambre\ntoute blanche, et un masque blanc, \u00e9toit assise aupr\u00e8s du feu. Quand\ncette esp\u00e8ce de fant\u00f4me aper\u00e7ut _Isess\u00e9_, il lui dit: _j'ai le diable\ndans le corps_, et ne parla plus; il ne fit pendant trois quarts d'heure\nque mettre et \u00f4ter six paires de gants blancs, qu'il avoit sur une\ntable, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui. _Isess\u00e9_ fut effray\u00e9; mais il le fut encore\ndavantage, quand parcourant des yeux la chambre, il aper\u00e7ut plusieurs\narmes \u00e0 feu; il lui prit un si grand tremblement, qu'il fut oblig\u00e9 de\ns'asseoir, de peur de tomber. Enfin craignant ce silence, il dit \u00e0 la\nfigure blanche, ce que l'on vouloit faire de lui, qu'il le prioit de lui\ndonner ses ordres, parce qu'il \u00e9toit attendu, et que son temps \u00e9toit au\npublic: la figure blanche r\u00e9pondit s\u00e8chement: _que vous importe, si vous\n\u00eates bien pay\u00e9?_ et ne dit plus mot. Un quart d'heure s'\u00e9coula encore\ndans le silence: le fant\u00f4me enfin tire un cordon blanc de sonnettes. Les\ndeux laquais blancs arrivent; il leur demande des bandes, et dit \u00e0\n_Isess\u00e9_ de le saigner et de lui tirer cinq livres de sang. Le\nchirurgien, \u00e9tonn\u00e9 de la quantit\u00e9, lui demanda quel m\u00e9decin lui avoit\nordonn\u00e9 une pareille saign\u00e9e? _Moi_, r\u00e9pondit la figure blanche,\n_Isess\u00e9_ se sentant trop \u00e9mu pour ne pas craindre d'estropier, pr\u00e9f\u00e9ra\nde saigner au pied, o\u00f9 il y a moins de risque qu'au bras. On apporta de\nl'eau chaude; le fant\u00f4me blanc \u00f4te une paire de bas de fil blanc d'une\ngrande beaut\u00e9, puis une autre, encore une autre; enfin jusqu'\u00e0 six\npaires, et un chausson de castor doubl\u00e9 de blanc; alors _Isess\u00e9_ vit la\nplus jolie jambe et le plus joli pied du monde; il n'est point \u00e9loign\u00e9\nde croire que ce soit celui d'une femme: il saigne; \u00e0 la seconde palette\nle saign\u00e9 se trouve mal. _Isess\u00e9_ voulut lui \u00f4ter son masque pour lui\ndonner de l'air, les laquais s'y oppos\u00e8rent: on l'\u00e9tendit \u00e0 terre; le\nchirurgien banda le pied pendant l'\u00e9vanouissement. La figure blanche, en\nreprenant ses esprits, ordonna que l'on chauff\u00e2t son lit; ce que l'on\nfit, et ensuite il s'y mit. _Isess\u00e9_ lui t\u00e2ta le pouls, et les\ndomestiques sortirent; il alla pr\u00e8s de la chemin\u00e9e pour nettoyer sa\nlancette, faisant bien des r\u00e9flexions sur la singularit\u00e9 de cette\naventure: tout \u00e0 coup il entend quelque chose derri\u00e8re lui, il tourne la\nt\u00eate, et voit dans le miroir de la chemin\u00e9e, la figure blanche qui vient\n\u00e0 cloche-pied, et qui ne fait presque qu'un saut pour venir \u00e0 lui; il\nfut saisi de frayeur; elle prit sur la chemin\u00e9e cinq \u00e9cus, les lui\ndonna, et lui demanda s'il \u00e9toit content. _Isess\u00e9_, tout tremblant,\nr\u00e9pondit que oui.--_Eh bien! allez-vous-en._ Le chirurgien ne se le fit\npas dire deux fois; il prit ses jambes \u00e0 son cou, et s'en alla bien\nvite; il trouva les laquais qui l'\u00e9clair\u00e8rent, et qui de fois \u00e0 autre se\ntournoient et rioient. _Isess\u00e9_, impatient\u00e9, leur demanda ce que c'\u00e9toit\nque cette plaisanterie. _Monsieur_, lui r\u00e9pondirent-ils, _avez-vous \u00e0\nvous plaindre? Ne vous a-t-on pas bien pay\u00e9? Vous a-t-on fait quelque\nmal?_ Ils le reconduisirent \u00e0 sa chaise, et il fut transport\u00e9 de joie\nd'\u00eatre sorti de l\u00e0. Il prit la r\u00e9solution de ne point raconter ce qui\nlui venoit d'arriver; mais, le lendemain, on vint s'informer comment il\nse portoit de la saign\u00e9e qu'il avoit faite \u00e0 un homme blanc; alors il\nraconta son aventure, et n'en fit plus myst\u00e8re: elle a fait beaucoup de\nbruit; le roi l'a sue, et le cardinal se l'est fait raconter par\n_Isess\u00e9_. On a fait mille conjectures qui ne signifient rien: je crois\nque c'est quelque badinage de jeunes gens qui se sont amus\u00e9s \u00e0 faire\npeur au chirurgien. Je suis bien sinc\u00e8rement, ma ch\u00e8re madame, toute \u00e0\nvous.\nLETTRE VIII.\nParis, 1727.\nJ'ai re\u00e7u avant-hier la lettre que vous m'avez fait l'amiti\u00e9 de\nm'\u00e9crire; vous trouverez dans celle-ci tout ce que vous me demandez. Je\nvais commencer par les nouvelles de Paris. La reine est accouch\u00e9e de\ndeux princesses: il est bien f\u00e2cheux, Madame, que dans le nombre il n'y\nait pas un gar\u00e7on. Tout Paris \u00e9toit dans une grande joie, quand on sut\nqu'elle \u00e9toit en travail; la joie fut bien mod\u00e9r\u00e9e, quand on apprit la\nnaissance de deux filles: on s'\u00e9toit tromp\u00e9 de six semaines. Le\nchancelier arrive de son exil; il n'a pas encore les sceaux. M. le\nprince _de Carignan_ est toujours amoureux de la _Entie_, danseuse \u00e0\nl'op\u00e9ra; cette cr\u00e9ature s'est engou\u00e9e de M. _de la Poplini\u00e8re_, fermier\ng\u00e9n\u00e9ral, homme d'esprit, faiseur de chansons, et d'ailleurs assez laid.\nM. _de Carignan_ s'\u00e9toit li\u00e9 d'amiti\u00e9 avec lui, comme les maris font\navec les amans de leurs femmes; mais le prince est italien, par\ncons\u00e9quent clairvoyant, et jaloux outre mesure. Il y a quelques jours\nqu'il alla prier la _Entie_ de venir \u00e0 une petite maison qu'il a au bois\nde Boulogne; elle y consentit, mais elle voulut que M. _de la\nPoplini\u00e8re_ f\u00fbt de la partie; ce dernier ne vouloit point; il se fit\nlong-temps prier par le prince, qui le persuada enfin d'y venir; il y\neut pendant le souper plusieurs lorgneries qui furent aper\u00e7ues du\nprince, et qui le mirent de tr\u00e8s-mauvaise humeur. On alla bient\u00f4t apr\u00e8s\nse coucher; et comme la maison est tr\u00e8s-petite, et qu'il n'y avoit que\ndeux lits, la _Entie_ coucha avec le prince, et _la Poplini\u00e8re_ dans une\nchambre \u00e0 c\u00f4t\u00e9. La demoiselle voulut bien faire les honneurs de chez\nelle, et alla trouver son voisin, quand le prince fut endormi. M. _de\nCarignan_ s'\u00e9tant r\u00e9veill\u00e9, et voyant que sa tourterelle s'\u00e9toit\nenvol\u00e9e, ne fit pas grand chemin pour la retrouver; il eut la constance\nde s'entendre dire les choses du monde les plus outrageantes; on le\ntraita de sot. Bien des gens pr\u00e9tendent que le greluchon _la Poplini\u00e8re_\n\u00e9toit muni de deux pistolets dont il se servoit pour tenir en respect le\npauvre abandonn\u00e9, qui, furieux, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, retourna \u00e0 Paris, et d\u00e9barqua\nchez sa femme; et comme il avoit le c\u0153ur tr\u00e8s-ulc\u00e9r\u00e9, il lui raconta ce\nqui venoit de lui arriver. Elle lui dit qu'il y avoit long-temps que\ncette cr\u00e9ature le rendoit malheureux, et qu'il falloit faire un exemple\npour ch\u00e2tier de pareilles gens, qu'elle lui demandoit la permission d'en\nfaire des plaintes, et d'avoir une lettre de cachet pour la faire\nenfermer dans une maison de force. Le prince \u00e9toit trop en col\u00e8re pour\nn'y pas consentir. La princesse ne perdit point de temps; elle partit\npour Versailles, et obtint du cardinal la lettre de cachet, envoya\nl\u00e0-dessus arr\u00eater la donzelle, qui fut dans un d\u00e9sespoir inconcevable.\nElle avoit 40,000 livres en or chez elle, qu'elle vouloit emporter;\nmais on ne lui laissa prendre que 300 livres, et on la mena \u00e0\nSainte-P\u00e9lagie, maison de force, o\u00f9 elle est actuellement. Le prince est\nd\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 de ne la plus voir; il a fait tout au monde pour la faire\nsortir de l\u00e0, et pour se venger de _la Poplini\u00e8re_ et le faire mettre \u00e0\nla Bastille; mais il n'en a pas eu le cr\u00e9dit: on l'a seulement engag\u00e9 \u00e0\naller faire un petit tour dans son d\u00e9partement, qui est la Provence.\nVoici encore une aventure, mais qui est plus tragique. Un gentilhomme,\ndu c\u00f4t\u00e9 de Villers-Coterets, allant d'un endroit \u00e0 un autre \u00e0 cheval\navec son valet, fut attaqu\u00e9 dans un bois, par un jeune homme qui lui\ndemanda sa bourse o\u00f9 il y avoit cinquante louis, sa montre, avec un\ncachet d'or, lui prit ses deux chevaux, et le laissa aller \u00e0 pied, assez\nembarrass\u00e9 de ce qu'il feroit. En marchant, il aper\u00e7ut une maison qui\navoit une belle apparence; il envoya son laquais pour s'informer qui\nl'habitoit; il apprit avec joie que c'\u00e9toit un officier avec lequel il\navoit long-temps servi, et qui \u00e9toit son bon ami; il se trouva heureux\ndans sa disgr\u00e2ce, de rencontrer justement son camarade qu'il connoissoit\npour un parfait honn\u00eate homme; il en fut tr\u00e8s-bien re\u00e7u: ils parl\u00e8rent\nde la malheureuse aventure qui leur avoit procur\u00e9 le plaisir de se\nrevoir; le ma\u00eetre de la maison offrit sa bourse et sa personne \u00e0 son\nami. Quelques momens avant le souper, un jeune homme entra, que le\ngentilhomme reconnut pour \u00eatre celui qui l'avoit d\u00e9valis\u00e9, et il fut\nbien surpris, quand l'officier le lui pr\u00e9senta comme son fils; il ne dit\nmot, et se retira d'abord apr\u00e8s souper dans sa chambre. Son laquais\ntr\u00e8s-effray\u00e9, lui dit: _Monsieur, nous sommes dans un coupe-gorge; le\nfils de la maison est notre voleur, et nos chevaux sont dans l'\u00e9curie._\nLe gentilhomme lui d\u00e9fendit de parler, et avant que personne f\u00fbt lev\u00e9\ndans la maison, il alla \u00e0 la chambre de son ami, et le r\u00e9veilla, en lui\ndisant que c'\u00e9toit avec une grande douleur qu'il se trouvoit oblig\u00e9 de\nlui apprendre que son fils \u00e9toit le m\u00eame homme qui l'avoit d\u00e9valis\u00e9 la\nveille; qu'il avoit cru, apr\u00e8s s'\u00eatre consult\u00e9, qu'il valoit mieux lui\napprendre le d\u00e9testable m\u00e9tier de son fils, que s'il venoit \u00e0 en \u00eatre\ninform\u00e9 par la justice: ce qui ne pouvoit manquer t\u00f4t ou tard d'arriver.\nLe d\u00e9sespoir du p\u00e8re fut inconcevable; la surprise, la douleur, lui\ndonn\u00e8rent un si violent saisissement, qu'il s'\u00e9vanouit; ensuite\nl'emportement, la fureur succ\u00e9dant, il monte \u00e0 la chambre de son fils,\nqui dormoit, ou feignoit de dormir; il trouve sur sa table la montre et\nle cachet o\u00f9 \u00e9toient les armes de son ami: le fils entend le bruit;\neffray\u00e9, il se l\u00e8ve, veut s'enfuir. Des pistolets se trouvent sur la\ntable; le p\u00e8re, troubl\u00e9 par la col\u00e8re, en prend un, tire, et tue son\nmalheureux fils. Il est venu tout de suite demander sa gr\u00e2ce: tout le\nmonde a \u00e9t\u00e9 d'avis qu'on la lui donn\u00e2t. Le cas est excusable dans le\npremier mouvement d'une col\u00e8re aussi l\u00e9gitime. Un honn\u00eate homme trouvant\ndans son fils un voleur de grand chemin, \u00e9prouve un chagrin si vif, que\nla t\u00eate lui en peut bien tourner.\nMadame _de Ferriol_ compte toujours aller \u00e0 Pont-de-Vesle; mais, comme\nelle ne veut y rester que six semaines, je ne l'accompagnerai pas; cela\nn'en vaut pas la peine. Il y a cinq ou six mariages pour notre ami[179];\nmais l'on voudroit fort avoir la dot, et point avoir de femme. Je ne\nvois plus _Bertie_; l'ambition le poignarde; il poursuit l'ambassade de\nConstantinople; les Turcs sont trop simples, pour go\u00fbter l'air empes\u00e9 de\nnotre ami.\nLe chevalier est parti pour le P\u00e9rigord, o\u00f9 il compte \u00eatre cinq mois.\nVous serez bien \u00e9tonn\u00e9e, Madame, quand je vous dirai, qu'il m'a offert\nde m'\u00e9pouser. Il s'expliqua hier tr\u00e8s-clairement devant une dame de mes\namies; c'est la passion la plus singuli\u00e8re du monde; cet homme ne me\nvoit qu'une fois tous les trois mois; je ne fais rien pour lui plaire;\nj'ai trop de d\u00e9licatesse pour me pr\u00e9valoir de l'ascendant que j'ai sur\nson c\u0153ur; et, quelque bonheur que ce f\u00fbt pour moi de l'\u00e9pouser, je dois\naimer le chevalier pour lui-m\u00eame. Jugez, Madame, comme sa d\u00e9marche\nseroit regard\u00e9e dans le monde, s'il \u00e9pousait une inconnue, et qui n'a de\nressource que la famille de M. _de Ferriol_. Non, j'aime trop sa gloire,\net j'ai en m\u00eame temps trop de hauteur pour lui laisser faire cette\nsottise. Quelle confusion pour moi d'apercevoir tous les discours que\nl'on tiendroit! Pourrois-je me flatter que le chevalier pens\u00e2t toujours\nde m\u00eame \u00e0 mon \u00e9gard? Il se repentiroit assur\u00e9ment d'avoir suivi sa folle\npassion; et moi je ne pourrois survivre \u00e0 la douleur d'avoir fait son\nmalheur, et de n'en \u00eatre plus aim\u00e9e. Il me tint les propos du monde les\nplus tendres, les plus passionn\u00e9s et les plus extravagans; il finit par\nme dire qu'il avoit dans la t\u00eate, que d'une fa\u00e7on ou d'une autre, nous\nv\u00e9cussions ensemble. Je parus \u00e9tonn\u00e9e de ce propos, et lui en dis mon\nsentiment; il se f\u00e2cha, et m'assura que, quand il disoit cela, il ne\npr\u00e9tendoit pas m'offenser, ni avoir des desseins malhonn\u00eates sur moi;\nqu'il vouloit dire, que si je voulois l'\u00e9pouser, j'en \u00e9tois la\nma\u00eetresse; mais qu'autrement, il croyoit que nous pouvions bien, quand\nnous serions sans cons\u00e9quence l'un et l'autre, passer le reste de nos\njours ensemble; qu'il m'assureroit une grande partie de son bien; qu'il\n\u00e9toit m\u00e9content de ses parens, \u00e0 l'exception de son fr\u00e8re, \u00e0 qui il\ndonneroit honn\u00eatement, pour qu'il f\u00fbt content; et pour me faciliter\nd'accepter sa proposition, il me dit que nous ferions cession au dernier\nvivant de nos biens. Je badinai beaucoup sur mes vieux cotillons qui\nsont tout l'h\u00e9ritage que je pouvois assurer. Notre conversation finit\npar des plaisanteries. Adieu, Madame, je suis lasse d'\u00e9crire; je vous\nsuis d\u00e9vou\u00e9e bien tendrement.\nLETTRE IX.\nJe ne vous ai point justifi\u00e9 le silence de M. _d'Argental_, \u00e0 cause de\nvos craintes; \u00e0 pr\u00e9sent qu'il est gu\u00e9ri, je vous dirai qu'il vient\nd'avoir la petite v\u00e9role le plus heureusement du monde: c'est un grand\nplaisir pour lui et ses amis, qu'il se soit d\u00e9barrass\u00e9 de cette vilaine\nmaladie. Je vis hier madame votre fille qui est, comme vous l'avez\nlaiss\u00e9e, belle comme un ange, mais d'une vertu \u00e0 battre; elle est bien\nvotre digne fille. Madame _Knight_ est grosse, elle retourne \u00e0 Londres\npour accoucher. Miladi _Bolingbrocke_ a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-mal; elle s'est mise au\nlit tout-\u00e0-fait; elle se trouve mieux de ce r\u00e9gime. Le public, qui veut\ntoujours parler, assure que son mari en agit mal avec elle; je vous\nassure que rien n'est plus faux. M. le duc _de Bouillon_ a \u00e9t\u00e9 \u00e0\nl'extr\u00e9mit\u00e9. Il a envoy\u00e9 au roi la d\u00e9mission de sa charge de grand\nchambellan; il l'a fait supplier de la donner \u00e0 son fils, ce qui lui a\n\u00e9t\u00e9 accord\u00e9: il est mieux; mais il n'y a aucune esp\u00e9rance que ce mieux\ncontinue. Pour parler de la vie que je m\u00e8ne, et dont vous avez la bont\u00e9\nde me demander les d\u00e9tails, je vous dirai que la ma\u00eetresse de cette\nmaison est bien plus difficile \u00e0 vivre, que le pauvre ambassadeur. Je ne\nsais jamais sur quel pied danser. Si je reste, on me fait la mine de ce\nque l'on croit que l'on me contraint: si je sors, on me fait des sorties\naffreuses: on me contrarie sans fin, on me caresse apr\u00e8s, jusqu'\u00e0\nimpatienter un ange. Une certaine demoiselle qui vient dans la maison,\nm'a fait l'honneur d'\u00eatre jalouse de moi; elle travaille \u00e0 me d\u00e9truire\ndans l'esprit de madame _de Ferriol_ qui avale le poison, sans qu'elle\ns'en aper\u00e7oive: je m'en suis dout\u00e9e, et j'y ai mis bon ordre. J'ai parl\u00e9\n\u00e0 madame avec beaucoup de force, de franchise et de respect. La\ntracassi\u00e8re ignore que je la connoisse, et je ne veux aucun\n\u00e9claircissement avec des gens faux et m\u00e9chans; je les laisse dans leur\ncrasse. Je m'appuie sur la nettet\u00e9 de ma conduite, qui est de faire mon\ndevoir de bon c\u0153ur, et ne point faire de tort aux autres: elle a d\u00e9j\u00e0 le\nfruit que recueillent les mauvais esprits, madame ne la peut plus\nsouffrir. Pour la _Tencin_, je continue \u00e0 ne la point voir: elle a plus\nde man\u00e9ge que jamais. L'archev\u00eaque _de Tencin_ a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-mal: nous\navons \u00e9t\u00e9 bien en peine. Il \u00e9toit cruel de mourir \u00e0 la veille d'avoir le\nchapeau; il est mieux, et nous le verrons, j'esp\u00e8re, cardinal.\nNous avons une nouvelle princesse, la femme de M. le Duc, qui est\ntr\u00e8s-jolie, mais fort petite: elle n'a que quatorze ans. Sa taille est\ncharmante; elle a bonne gr\u00e2ce; elle a dit des ing\u00e9nuit\u00e9s plaisantes sur\nson mariage. On lui pr\u00e9senta ses deux beaux-fr\u00e8res, et on lui demanda\nlequel des trois fr\u00e8res elle pr\u00e9f\u00e9roit. Elle r\u00e9pondit que ses deux\nbeaux-fr\u00e8res avoient de tr\u00e8s-beaux visages, mais que M. le Duc avoit\nl'air d'un prince. On la mena \u00e0 Versailles, o\u00f9 elle r\u00e9ussit tr\u00e8s-bien.\nLe roi ne causa point avec elle; mais, quand elle fut partie, il dit\nqu'il la trouvoit bien. Tous les gens de la cour lui firent la\nr\u00e9v\u00e9rence; elle re\u00e7ut leurs complimens sans aucun embarras. M. le duc\n_d'Orl\u00e9ans_ est d'une d\u00e9votion aussi outr\u00e9e que son p\u00e8re \u00e9toit pervers.\nMadame _de Parab\u00e8re_ a \u00e9t\u00e9, comme je vous l'ai d\u00e9j\u00e0 dit, quitt\u00e9e par\nmonsieur le premier, qui est amoureux de madame _d'\u00c9pernon_, qui n'a\npoint encore fait parler d'elle. Cela cause bien du chagrin \u00e0 madame _de\nParab\u00e8re_. Elle me fait toujours beaucoup d'amiti\u00e9s. Voil\u00e0 ce que c'est\nque de ne point se m\u00ealer des intrigues. Notre reine vint, le dix\nseptembre, \u00e0 Sainte-Genevi\u00e8ve, pour demander \u00e0 Dieu un dauphin. Le roi a\nre\u00e7u les petites princesses galamment et avec courage. _Ne vous\nchagrinez point, ma femme_, dit-il \u00e0 la reine, _dans dix mois, nous\naurons un gar\u00e7on._\nNous avons \u00e0 l'Op\u00e9ra-comique une pi\u00e8ce qui dure depuis six semaines, qui\nest assez jolie. Je reviens de la com\u00e9die; on jouoit _R\u00e9gulus_, o\u00f9 j'ai\nfondu en larmes. _Baron_ a jou\u00e9 dans une perfection admirable. Je ne\nl'ai jamais vu mieux jouer; j'envisage avec douleur sa vieillesse. Il\nfit, l'autre jour, le r\u00f4le de _Burrhus_ dans _La mort de Britannicus_,\no\u00f9 il excella. Il est impossible que l'on ne le croie pas le personnage\nqu'il repr\u00e9sente. M. le comte _de Grancey_, et M. le marquis son fr\u00e8re,\nsont morts \u00e0 quinze jours l'un de l'autre. Ils sont si ruin\u00e9s, que leurs\nveuves ne trouveront pas leur douaire: ils jouissoient de beaucoup de\nbienfaits du roi, et mangeoient plus que leur revenu. M. _de la\nChesnelaye_ vient d'\u00e9pouser mademoiselle _des Mares_, s\u0153ur du grand\nfauconnier; elle est belle et bien faite, et voil\u00e0 tout. Il a mari\u00e9 sa\nfille, qui a seulement quatorze ans, \u00e0 M. _de Pont-St.-Pierre_, homme de\ncondition, riche, mais assez d\u00e9bauch\u00e9. M. _de Maisons_ a \u00e9pous\u00e9\nmademoiselle _d'Angerviller_. M. _de Charolois_ vit toujours avec la\n_de l'Isle_, dont il n'est plus amoureux, ni jaloux. Il a une autre\nma\u00eetresse, qui a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-secr\u00e8te, et qui n'a paru que par un \u00e9clat\nviolent. Elle s'est jet\u00e9e dans un couvent, pr\u00e9tendant que son mari avoit\nvoulu l'empoisonner; elle se nomme madame _de Courchamp_; elle est s\u0153ur\nde cette madame _Dupuis_, qui a \u00e9t\u00e9 si belle. M. _de Clermont_ est\namoureux fou de madame la duchesse _de Bouillon_. La marquise _de\nVillars_ et madame _d'Alincourt_ sont dans la plus grande d\u00e9votion:\nelles ne mettent plus de rouge: ce qui leur sied assez mal. M.\n_l'Avalle_ et sa femme donnent des f\u00eates \u00e0 madame _Benard_, qui loge o\u00f9\nvous logiez. Je ne puis endurer que cette guenon et cette b\u00eate habite\nvotre chambre. Elle est encore belle, et si belle, que, si elle se\nd\u00e9paysoit, on ne lui donneroit que trente ans. Les filles de l'op\u00e9ra, et\nles filles de joie inondent Paris: on ne sauroit faire un pas qu'on n'en\nsoit entour\u00e9. On rejoue \u00e0 l'op\u00e9ra _Bell\u00e9rophon_. L'autre jour, quand le\ndragon parut sur le th\u00e9\u00e2tre, il y eut quelque chose qui se d\u00e9rangea \u00e0 la\nmachine; l'estomac de l'animal s'ouvrit, et le petit polisson parut aux\nyeux de l'assembl\u00e9e, tout nu, ce qui fit rire le parterre. La\n_Pellissier_ diminue de vogue imperceptiblement; on commence \u00e0 regretter\nla _Le Maure_, qui attend qu'on la prie de revenir. _Destouches_ et elle\nse tiennent sur la r\u00e9serve; mais ils meurent d'envie tous deux d'\u00eatre\nbien ensemble. Vous savez que _Destouches_ a eu la place de _Francine_.\nNous regrettons toujours _Murer_ et le pauvre _Thevenard_; il baisse\nbeaucoup. _Chass\u00e9_ ne le remplacera pas, il ne devient pas meilleur.\nJe me suis fait peindre en pastel, ou, pour mieux dire, M. _de Ferriol_,\nqui a un appartement charmant, a fait peindre six belles dames, dont je\nsuis, non comme belle assur\u00e9ment, mais comme amie: madame _de Noailles_,\n_de Parab\u00e8re_, madame la duchesse _de Lesdigui\u00e8res_, madame _de\nMontbrun_, et une copie d'un portrait de mademoiselle _de\nVillefranche_, \u00e0 l'\u00e2ge de quinze ans. Ils sont tous de la m\u00eame grandeur;\nle mien est parfaitement ressemblant: j'ai r\u00e9solu d'en demander la\ncopie; et, si le peintre croit qu'il vaut mieux le faire d'apr\u00e8s moi, je\nle ferai venir; c'est l'affaire de trois heures. Si vous \u00e9tiez ici,\nMadame, je vous aurois demand\u00e9 \u00e0 genoux la complaisance de vous laisser\npeindre pour moi. On s'appuie sur une table o\u00f9 le peintre travaille;\ncela fait qu'on s'amuse \u00e0 voir dessiner, et que l'on n'a point\nd'attitude g\u00eanante. Aussit\u00f4t que j'aurai cette copie, ou l'original, je\nvous l'enverrai. En le voyant, je vous prie de croire qu'il fait des\nv\u0153ux au ciel pour vous; car on a voulu que les yeux fussent en l'air\navec un voile bleu, comme une vestale, ou une novice.\nIl y a ici un nouveau livre, intitul\u00e9, _M\u00e9moires d'un Homme de qualit\u00e9,\nretir\u00e9 du monde._ Il ne vaut pas grand'chose; cependant on en lit 190\npages, en fondant en larmes. A peine le chevalier a \u00e9t\u00e9 arriv\u00e9 \u00e0\nP\u00e9rigueux, o\u00f9 il comptoit passer quelques mois, qu'il a \u00e9t\u00e9 oblig\u00e9 de\nrepartir, et de revenir ici. J'avoue que je fus surprise bien\nagr\u00e9ablement, quand je le vis hier entrer dans ma chambre; j'ignorois\nson retour. Quel bonheur, si je pouvois l'aimer, sans me le reprocher!\nMais, h\u00e9las! je ne serai jamais assez heureuse pour cela. Je finis cette\nlongue \u00e9p\u00eetre, qui pourroit \u00e0 la fin vous fatiguer. Adieu, Madame;\nexcusez et plaignez votre pauvre _A\u00efss\u00e9_.\nLETTRE X.\nParis, 1727.\nMonsieur _d'Argental_ est arriv\u00e9, il y a deux jours; il est extr\u00eamement\nmarqu\u00e9 de la petite v\u00e9role, sur-tout le nez qui, \u00e0 force d'\u00eatre coutur\u00e9,\nest devenu petit, \u00e9chancr\u00e9 et fa\u00e7onn\u00e9. Ses yeux, ses sourcils, ses\npaupi\u00e8res n'ont point \u00e9t\u00e9 g\u00e2t\u00e9s; par cons\u00e9quent, sa physionomie est\ntoujours la m\u00eame; il est fort engraiss\u00e9 et fort rouge. Nous avons \u00e9t\u00e9\nsi aises de le voir, que nous l'avons re\u00e7u comme si c'\u00e9toit l'amour. On\npeut dire de lui que ce n'est pas un beau gar\u00e7on, mais c'est assur\u00e9ment\nun aimable caract\u00e8re: il est g\u00e9n\u00e9ralement aim\u00e9 et estim\u00e9; tous ceux qui\nle connoissent en font des \u00e9loges bien flatteurs pour lui, et pour ceux\nqui s'y int\u00e9ressent. Vous savez, Madame, que cette r\u00e9ussite n'est pas\ncapable de le g\u00e2ter. Je voudrois que M. _de Caze_ le conn\u00fbt; s\u00fbrement il\nl'aimeroit: on nous a bien alarm\u00e9s sur la sant\u00e9 de ce dernier. M. _de\nSaint-Pierre_ nous avoit mand\u00e9 qu'il \u00e9toit tr\u00e8s-mal; Dieu merci, ce\nn'est qu'une fausse alarme, il se porte bien. Le path\u00e9tique M.\nJean-Louis _Favre_ m'avoit fait pleurer, en faisant l'\u00e9num\u00e9ration des\nqualit\u00e9s de M. _de Caze_, la perte que faisoient ses parens et ses amis;\nen un mot, s'il avoit \u00e9t\u00e9 romain, il l'auroit mis parmi les dieux.\nDites-lui, je vous prie, quand il voudra prendre place parmi eux, que ce\nsoit le plus tard qu'il pourra, et m\u00eame qu'il fasse quelques mauvaises\nactions, pour qu'on ne le regrette pas.\nNotre voyage de Pont-de-Vesle est toujours tr\u00e8s-incertain; cela est\ninsupportable. Madame _de Ferriol_ continue \u00e0 \u00eatre d'une pesanteur \u00e0\nalarmer; il faudroit qu'elle pr\u00eet les eaux de Bourbon. Son fils et moi,\nnous le lui avons repr\u00e9sent\u00e9 avec un ton d'attachement et d'amiti\u00e9 qui\nm\u00e9ritoit, de sa part, un peu de complaisance; elle est d'une opini\u00e2tret\u00e9\net d'une duret\u00e9 \u00e0 mettre en fureur. N'en parlons plus. Je suis\nactuellement, que je vous \u00e9cris, sur votre fauteuil; il n'y a que mes\nfavoris \u00e0 qui je permette de s'y asseoir. M. _Bertie_ quelquefois usurpe\ncette place; mais je ne le trouve pas bon.\nMadame la duchesse _de Fitz-james_ \u00e9pouse M. le duc _d'Aumont_; il a\ndix-huit ans, elle vingt; ce mariage est tr\u00e8s-convenable et fort\napprouv\u00e9. Elle a eu toutes les peines du monde \u00e0 renoncer \u00e0 la libert\u00e9\ndont elle jouissoit; mais il a 50,000 \u00e9cus de rente, elle 25,000 livres;\nla m\u00e9diocrit\u00e9 de son revenu et sa jeunesse l'ont d\u00e9termin\u00e9e; elle m'a\nfait l'honneur de me demander mon avis, ne voulant pas se d\u00e9cider, avant\nque je lui disse ce que je pensois: la noce se fera incessamment. Quand\non le dit \u00e0 sa s\u0153ur, qui a quatorze ans, elle r\u00e9pondit qu'elle auroit\nmieux aim\u00e9 que ce f\u00fbt elle qui se mari\u00e2t, mais que, d\u00e8s que les choses\n\u00e9toient arrang\u00e9es, elle n'\u00e9toit point f\u00e2ch\u00e9e que ce f\u00fbt sa s\u0153ur. La\nreine est grosse. On ne parle que de guerre; les officiers partent, dont\nils sont bien f\u00e2ch\u00e9s. Monsieur et mademoiselle _d'Uxelles_ ont fait\navoir un guidon de gendarmerie \u00e0 M. _Cl\u00e9mence_, fr\u00e8re de M. _de La\nMarche_. Je veux parler politique. On dit ici que les Espagnols\nprendront Gibraltar, que l'Empereur offre de suspendre, pour deux ans,\nla compagnie d'Ostende, et que les Anglois veulent que ce soit trois\nans. On est en n\u00e9gociation pour cela; je juge que nous sommes les\nm\u00e9diateurs. Les Anglois ont une grande animosit\u00e9 contre l'Empereur et\nles Espagnols. On pr\u00e9tend que la mar\u00e9chale _d'Uxelles_ est cause que\nnous ne faisons pas la guerre. L'ind\u00e9cision o\u00f9 l'on est, ruine; les avis\n\u00e9tant si partag\u00e9s dans les conseils, qu'on a \u00e9t\u00e9 oblig\u00e9 de tenir tout\npr\u00eat, pour n'\u00eatre pas pris au d\u00e9pourvu; les officiers en sont ruin\u00e9s, et\nnos rentes retranch\u00e9es: nous pouvons dire comme \u00e0 l'op\u00e9ra:\n_l'incertitude est un rigoureux tourment_. _D'Argental_ vous assure de\nses respects, et vous envoie cette lettre du marquis _de Saint-Aulaire_,\nau cardinal. Elle nous a paru belle.\n_Lettre du marquis_ DE SAINT-AULAIRE, _au cardinal_ DE FLEURY.\n\u00abVoici la conjoncture la plus digne d'occuper une intelligence du\npremier ordre; il n'est point de puissance en Europe, qui ne d\u00e9sire le\nsecours de votre \u00c9minence, pour la conservation de ses droits, ou\nl'\u00e9tablissement de ses pr\u00e9tentions Le beau r\u00f4le que vous allez faire\njouer \u00e0 notre aimable monarque! Qu'il est heureux d'avoir un aussi bon\nguide dans le chemin de la vraie gloire! Celle de conqu\u00e9rir le monde ne\nvaut pas celle de le pacifier. Celle-l\u00e0 peut se faire craindre de\nquelques-uns, celle-ci est s\u00fbre de se faire aimer de tous: son ambition\nne sera pas born\u00e9e \u00e0 subjuguer quelques nouveaux sujets aux d\u00e9pens des\nanciens; ses plus ardens d\u00e9sirs seront de contribuer au repos de ses\namis; c'est dans le repos g\u00e9n\u00e9ral qu'il cherche le bien. On va voir si\nl'amour de la justice, la candeur, la mod\u00e9ration, la fid\u00e9lit\u00e9 \u00e0 sa\nparole, n'ont pas un succ\u00e8s aussi heureux, que les ruses et les\nartifices de l'ancienne politique. Mais en instruisant le roi de ses\nint\u00e9r\u00eats, n'oubliez pas le plus important, c'est de vous conserver. Je\ntremble, quand je songe au chaos que vous avez \u00e0 d\u00e9brouiller, \u00e0 la\nquantit\u00e9 d'int\u00e9r\u00eats que vous avez \u00e0 concilier. Il est d'autres craintes\nque les plus heureux succ\u00e8s ne feroient qu'augmenter. Puis-je esp\u00e9rer de\nretrouver en vous cette douce urbanit\u00e9 qui nous enchante? Quelle\nmodestie pourroit tenir contre la gloire qui vous menace?\u00bb\nOn a fait une promotion d'officiers de marine, qui a \u00e9t\u00e9 peu nombreuse;\nelle a fait une quantit\u00e9 de m\u00e9contens. M. le chevalier _de Caylus_, qui\n\u00e9toit colonel r\u00e9form\u00e9, a \u00e9t\u00e9 fait, de plein saut, capitaine de vaisseau;\nil passe sur le ventre de mille officiers, qui ont cinquante ann\u00e9es de\nservice, qui ont la plupart une grande naissance, et de fort belles\nactions; et les officiers r\u00e9form\u00e9s, pour lesquels on a beaucoup de\nduret\u00e9, demandent ce qu'a fait le chevalier _de Caylus_ pour \u00eatre si\nfavoris\u00e9. Tous les marins se plaignent, et le public trouve fort \u00e9trange\nque le fils de madame la comtesse _de Toulouse_ soit garde-marine,\npendant que M. _de Caylus_ est capitaine de vaisseau. Madame _de\nMontmartel_ est accouch\u00e9e \u00e0 Brisach, d'un gar\u00e7on: son p\u00e8re et son mari\nsont toujours en exil, et _du Verney_ \u00e0 la Bastille; on ne trouve rien\npour le retenir, ainsi il sortira bient\u00f4t.\nLe beau _de la Mothe-Houdancourt_, recherch\u00e9 des plus belles et des\nplus riches dames de la cour, a donn\u00e9 cong\u00e9 \u00e0 madame la duchesse _de\nDuras_, pour la _Entie_, actrice de l'op\u00e9ra, dont il est fou; il ne la\nquitte point, et on les prie \u00e0 souper comme mari et femme. On dit que\nc'est charmant de voir l'\u00e9tonnement de la _Entie_, l'enthousiasme de _la\nMothe_; il n'y a jamais eu une passion aussi violente et aussi\nr\u00e9ciproque: le r\u00f4le de _C\u00e9r\u00e8s_ a fait na\u00eetre cette passion. Les\nspectacles sont cess\u00e9s, et les concerts spirituels sont fort courus. La\n_Entie_ et la _Le Maure_, y chantent \u00e0 enlever.\nIl n'y a plus moyen d'excuser madame _de Parab\u00e8re_; M. _d'Alincourt_ est\n\u00e9tabli chez elle. Elle a toujours beaucoup d'empressement pour moi. J'ai\ndu go\u00fbt, je l'avoue, pour elle: elle est aimable; mais je la vois\nbeaucoup moins, et sur-tout en public. Soyez persuad\u00e9e de ce que je vous\ndis, Madame; elle n'est assur\u00e9ment pas excusable d'avoir repris un autre\namant, mais bien d'avoir quitt\u00e9 celui qu'elle avoit. Il lui a mang\u00e9 plus\nd'un million, et, dans sa rupture, tous les vilains proc\u00e9d\u00e9s; et de sa\npart tous les plus nobles et les plus g\u00e9n\u00e9reux. M. et madame _de\nFerriol_ entrent, dans ce moment, dans ma chambre, et me chargent de\nmille complimens pour vous. Le premier a pris un tr\u00e8s-grand int\u00e9r\u00eat au\nretranchement de vos rentes viag\u00e8res. C'est beaucoup pour lui; car il\nn'a pas le c\u0153ur bien tendre. Pour M. _de Pont-de-Vesle_, vous savez\nl'estime et l'attachement qu'il a pour vous. Nous parlons cent fois de\nvous ensemble.\nJe pars pour la chasse dans ce moment. Vous me demandez des nouvelles de\nmon c\u0153ur: il est parfaitement content, Madame, \u00e0 une chose pr\u00e8s que des\ndifficult\u00e9s qui me paroissent insurmontables, emp\u00eachent. Mais Dieu est\nle ma\u00eetre de tout: j'esp\u00e8re en lui; l'attachement, la consid\u00e9ration et\nla tendresse sont plus forts que jamais; et l'estime et la\nreconnoissance de ma part; quelque chose de plus, si j'ose le dire.\nH\u00e9las! je suis telle que vous m'ayez laiss\u00e9e, bourrel\u00e9e de cette id\u00e9e\nque vous savez, que vous avez d\u00e9velopp\u00e9e chez moi. Je n'ai pas le\ncourage d'en avoir: ma raison, vos conseils, la gr\u00e2ce, sont bien moins\nagissans que ma passion. Le bruit a couru que je sortois de cette\nmaison, et que je cherchois un appartement. Le chevalier en fut chagrin,\nmais sans humiliation. Ce qui donna lieu \u00e0 ce bruit, c'est que j'\u00e9tois\nall\u00e9e voir plusieurs maisons pour madame _du Deffant_. La petite\npersonne[180] seroit bien heureuse, si elle savoit les bont\u00e9s que vous\navez pour elle. On dit qu'elle continue \u00e0 \u00eatre aimable pour le caract\u00e8re\net la figure. Je ne sais si j'oserai y aller cette ann\u00e9e; ma bourse me\nprive de tout. Si j'avois seulement cent pistoles, j'irois l'embrasser,\net vous baiser les mains \u00e0 Gen\u00e8ve. Que ma joie seroit grande! Mais, mon\nDieu, je ne serai pas assez heureuse! Adieu, Madame: que n'\u00eates-vous \u00e0\nParis!\nLETTRE XI.\nParis, 1727.\nJ'ai vu, ce matin, M. _Tronchin_[181], Madame, qui m'a appris le\ntestament de ce pauvre _de Martine_[182]. Vous jugez avec quelle joie\nj'ai su qu'il vous laissoit une marque de souvenir, aussi bien qu'\u00e0\nmademoiselle votre fille; il est mort comme il a v\u00e9cu, avec amiti\u00e9 et\ng\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 pour ses amis. Son ami en a us\u00e9 en honn\u00eate homme avec les\nparens du d\u00e9funt. Je ne sais pas s'ils seront contens; mais ce qu'il y a\nde tr\u00e8s-s\u00fbr, c'est que c'est \u00e0 lui qu'ils doivent ce que M. _de Martine_\nleur donne. Il n'\u00e9toit point content d'eux; il ne leur devoit rien,\npuisqu'il n'avoit rien eu de patrimoine, et que c'\u00e9toit \u00e0 sa bonne\nconduite et \u00e0 ses talens qu'il devoit sa fortune. M. _Tencin_ lui avoit\nrendu des services; il \u00e9toit son ami. Est-il rien de plus juste que de\nfaire du bien \u00e0 ce que l'on aime, quand on est en \u00e9tat de le pouvoir\nfaire? J'ai vu beaucoup de gens qui disent que M. _Tronchin_ \u00e9toit un\nsot, de ne pas profiter enti\u00e8rement de la bonne volont\u00e9 de son ami. Mais\nil pensoit avec plus de d\u00e9licatesse; il a engag\u00e9 M. _de Martine_ \u00e0\ndonner \u00e0 sa famille: ce qu'il n'auroit s\u00fbrement pas fait, je le r\u00e9p\u00e8te,\nsans lui. Il est mort \u00e2g\u00e9 de 78 ans; je le croyois plus vieux. Il a\ntrait\u00e9 tr\u00e8s-bien ses cousines; il a donn\u00e9 une ann\u00e9e de gages \u00e0 ses\ndomestiques: il me semble que ce n'est pas assez.\nNous reparlons de Pont-de-Vesle plus que jamais, et m\u00eame l'on assure que\nl'on y passera l'hiver. Si cela \u00e9toit, quelqu'ennui que j'aurois d'\u00eatre\nsi long-temps absente, si je vous voyois, je serois contente, et\nprendrois mes peines avec joie. Je n'assure rien; car la volont\u00e9 de\nmadame _de Ferriol_ est comme une mer agit\u00e9e. Je voudrois bien \u00eatre \u00e0\ncette campagne o\u00f9 vous vivez avec tant d'innocence, de puret\u00e9 et de\ncontentement: je n'ai cru y \u00eatre que pour me d\u00e9sesp\u00e9rer de n'y \u00eatre pas.\nJe voudrois que vous eussiez une petite m\u00e9nagerie. Quand j'y serai,\ns\u00fbrement je vous en ferai faire une; rien n'est plus amusant. Ne\njouez-vous plus au quadrille? Pour moi, je l'ai absolument abandonn\u00e9.\nJ'ai pass\u00e9 quatre jours \u00e0 la campagne; je m'y suis baign\u00e9e; c'\u00e9toit\njustement les jours les plus chauds. Avez-vous une rivi\u00e8re pr\u00e8s de votre\ncampagne?\nNous n'avons point de nouvelles, sinon la grossesse de madame _de\nToulouse_, et le bon mot du roi sur l'histoire d'Henri IV, qu'il vient\nde lire. On lui a demand\u00e9 son sentiment l\u00e0-dessus; il a r\u00e9pondu que ce\nqui lui avoit plu davantage dans la vie d'Henri, c'\u00e9toit son amour pour\nson peuple. Dieu veuille qu'il le pense et qu'il le suive! L'argent est\nencore bien rare; mais une chose qui l'est furieusement, et que vous\nn'avez jamais vue, c'est que le premier ministre est fort approuv\u00e9.\nC'est le plus honn\u00eate homme du monde, qui est certainement occup\u00e9 du\nbien de l'\u00e9tat. Enfin, nous avons un premier ministre estimable,\nd\u00e9sint\u00e9ress\u00e9, et dont l'ambition n'est que de remettre les affaires en\nordre. Les premiers moyens ont \u00e9t\u00e9 durs; mais la suite fait bien voir\nqu'il n'a pas pu faire autrement. Il a vaqu\u00e9 un gouvernement: la ville\npayoit 6,000 livres d'augmentation, qu'il a retranch\u00e9es; et, \u00e0 l'avenir,\nil n'y en aura plus de nouvelles, il remettra les choses sur l'ancien\npied. Il a \u00f4t\u00e9 le cinquanti\u00e8me, et a remis deux millions cent mille\nlivres sur les tailles. Tout cela prouve un ministre qui veut rendre les\npeuples heureux. Dieu veuille qu'il vive assez long-temps pour mettre \u00e0\nex\u00e9cution ses bonnes intentions! Je ne lui trouve qu'un d\u00e9faut, c'est de\nvous avoir retranch\u00e9 vos rentes viag\u00e8res. Vous n'avez partag\u00e9 que le mal\nqu'il a fait, et vous ne pouvez jouir du bien; mais c'est votre\nmalheureuse destin\u00e9e: ne cessera-t-elle jamais de vous pers\u00e9cuter?\n_Proserpine_ ne r\u00e9ussit pas: on trouve cet op\u00e9ra beau, mais trop triste;\non ne le jouera pas long-temps. On joue deux fois la semaine les\n_\u00c9l\u00e9mens_, et deux fois _Proserpine_. La _Pellissier_ est gu\u00e9rie; elle\n\u00e9toit devenue folle, les uns disent de sa prodigieuse r\u00e9ussite, les\nautres de ce qu'on l'avoit soup\u00e7onn\u00e9e de galanterie, faisant profession\nd'\u00eatre sage. Nous avons une pi\u00e8ce \u00e0 la Com\u00e9die fran\u00e7oise, intitul\u00e9e le\n_Philosophe mari\u00e9_, qui est tr\u00e8s-jolie, et qui a eu une r\u00e9ussite\nprodigieuse: toutes les loges sont lou\u00e9es pour la onzi\u00e8me\nrepr\u00e9sentation. L'auteur est _Destouches_. On dit que c'est sa propre\nhistoire: aussit\u00f4t qu'on l'imprimera, je vous l'enverrai. On trouve que\n_Quinault_ joue bien: pour moi je ne suis pas de cet avis. Imaginez voir\nM. _Bertie_, conseiller au parlement; m\u00eame attitude, m\u00eames gestes; en un\nmot, il n'y a de diff\u00e9rence que la voix qui est plus forte. Mademoiselle\nvotre fille se seroit prise d'aversion pour le _Philosophe mari\u00e9_. On\nest ici dans la fureur de la mode pour d\u00e9couper des estampes enlumin\u00e9es,\ntout comme vous avez vu que l'on a \u00e9t\u00e9 pour le bilboquet. Tous\nd\u00e9coupent, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. On applique ces\nd\u00e9coupures sur des cartons, et puis on met un vernis l\u00e0-dessus. On fait\ndes tapisseries, des paravents, des \u00e9crans. Il y a des livres d'estampes\nqui co\u00fbtent jusqu'\u00e0 200 livres, et des femmes qui ont la folie de\nd\u00e9couper des estampes de 100 livres pi\u00e8ce. Si cela continue, ils\nd\u00e9couperont des _Rapha\u00ebl_. Je suis d\u00e9j\u00e0 vieille: les modes ne prennent\nplus subitement sur moi. Adieu, Madame, permettez que j'embrasse M.\nvotre mari et mademoiselle votre fille. Je suis lasse d'\u00e9crire tant de\nnouvelles qui sont indiff\u00e9rentes \u00e0 toutes deux.\nJe vous envoie une lettre du marquis _de la Rivi\u00e8re_ \u00e0 mademoiselle _des\nHouli\u00e8res_, et la r\u00e9ponse. On a trouv\u00e9 l'une et l'autre tr\u00e8s-jolies.\n_Lettre du marquis_ DE LA RIVI\u00c8RE, _\u00e0 mademoiselle_ DES HOULI\u00c8RES.\n Fille d'une aigle, aigle vous-m\u00eame,\n Qui n'avez point d\u00e9g\u00e9n\u00e9r\u00e9,\n Dont partout le m\u00e9rite extr\u00eame\n Est si justement r\u00e9v\u00e9r\u00e9,\n Qu'on s'honore, quand on vous aime!\n Aimable interprete des Dieux,\n Qui parlez si bien leur langage,\n Et qui portez dans vos beaux yeux\n Et leur douceur et leur image,\n Recevez ce petit hommage\n Que je vous offre tous les ans;\n C'est un tribut de sentimens\n Qui ne convient pas \u00e0 mon \u00e2ge;\n Les biens\u00e9ances me l'ont dit,\n Les amours et les vers sont faits pour la jeunesse;\n Mais le feu de mon c\u0153ur qui soutient mon esprit,\n Amuse et trompe ma vieillesse.\n Faites-moi seulement cr\u00e9dit\n D'agr\u00e9mens et de gentillesse;\n Contentez-vous du fonds de ma tendresse;\n Il en est de ce que je sens,\n Comme des tableaux d'un grand ma\u00eetre,\n Dont la beaut\u00e9 ne fait que cro\u00eetre,\n Et redoubler de force \u00e0 la longueur du temps.\n Votre vertu n'est pas commune,\n Vous aimez \u00e0 faire du bien;\n Donnez mes yeux \u00e0 la fortune,\n Il ne vous manquera plus rien.\n_R\u00e9ponse de mademoiselle_ DES HOULI\u00c8RES.\n Demeurez dans votre hermitage;\n Je crains ce dangereux hommage;\n Qu'avec soin vous m'offrez ici:\n Pour la tendresse, il n'est point d'\u00e2ge,\n Vous le sentez, et je le sens,\n Ceci n'est point un badinage:\n Vous de retour, nos c\u0153urs sympathisans,\n L'homme prudent, la fille sage,\n Tous peut-\u00eatre feroient naufrage.\n Demeurez dans votre hermitage.\n Le tra\u00eetre amour qui vous engage,\n Ne doit pas \u00eatre m\u00e9pris\u00e9;\n Avec lui naturalis\u00e9,\n Les belles de son apanage\n Vous ont, dans tous les temps, si bien favoris\u00e9,\n Que tout de vous me fait ombrage.\n Demeurez dans votre hermitage.\n Vous parlez un certain langage\n Qui porte au c\u0153ur, qui fait penser,\n Et qui semble \u00eatre un s\u00fbr pr\u00e9sage,\n Que de ses traits, le dieu volage\n Est pr\u00eat encore \u00e0 me blesser.\n Demeurez dans votre hermitage.\n Ah! s'il avoit eu l'avantage,\n Du s\u00e9jour de l'heureuse paix,\n Que penseroit dame dont les attraits\n Auroient soumis le c\u0153ur le plus sauvage:\n Dame dont les beaux vers ne p\u00e9riront jamais,\n Et dont le nom est tout mon h\u00e9ritage?\n Car vous savez que pas un de ses traits,\n Ne g\u00eet en mes \u00e9crits, non plus qu'en mon visage,\n Et que je n'ai, pour tout partage,\n Que les yeux doux qu'elle m'a faits,\n Pour ne les point mettre en usage.\n Demeurez dans votre hermitage.\nLETTRE XII.\nParis, 1726.\nLa fortune est aveugle, et n'aime que les vilains. Si elle m'avoit donn\u00e9\nles cent mille \u00e9cus qu'elle prodigue \u00e0 madame votre cousine, j'aurois\nfait un meilleur usage qu'elle de ce bien. Que de plaisirs je me\nprocurerois! Vous seriez ici, Madame, avec M. votre mari et mademoiselle\nvotre fille; je vous verrois heureux, et ce seroit par mon moyen; et\ncomme je sais les liens[183] qui vous retiennent \u00e0 Gen\u00e8ve, je ferois\nfaire une liti\u00e8re bien ferm\u00e9e, bien \u00e9toff\u00e9e, bien commode; j'y mettrois\nqui vous savez. Je l'amenerois ici, je lui procurerois des plaisirs qui\nlui feroient oublier le pays natal. Nous rassemblerions les gens\nc\u00e9l\u00e8bres de toute esp\u00e8ce, de tous talens pour le divertir: s'il falloit\nm\u00eame quelques jolis visages, je ferois l'effort de lui en chercher.\nVoil\u00e0 un vilain m\u00e9tier; _mais quand on obtient ce qu'on aime, qu'importe\n\u00e0 quel prix?_ Voil\u00e0 ce que je ferois du bien de madame votre cousine.\nPour parler d'autre chose, M. le duc _de Gesvres_ est malade, il fait de\ntr\u00e8s-grands rem\u00e8des. Il est \u00e0 St.-Ouen, o\u00f9 toute la France va le voir;\nil est dans son lit, garni de rubans et de dentelles, les rideaux sont\nrelev\u00e9s, des fleurs r\u00e9pandues sur son lit, des d\u00e9coupures d'un c\u00f4t\u00e9, des\nn\u0153uds de l'autre; et dans cet \u00e9quipage il re\u00e7oit tout le monde. Vingt\ncourtisans entourent son lit; et son p\u00e8re et son fr\u00e8re font les honneurs\n\u00e0 la grande compagnie. Il y a toujours deux tables de vingt couverts\nchacune, et quelquefois trois: M. _d'\u00c9pernon_ y est \u00e0 demeure. On a\n\u00e9tabli des habits verts pour les complaisans, c'est-\u00e0-dire, qu'avec\nhabit, bas, souliers, chapeaux verts, on peut avoir toujours les plus\nfamili\u00e8res entr\u00e9es chez M. le duc: il y a une trentaine d'habits verts\nde distribu\u00e9s. Le roi a dit sur cela, qu'il n'y avoit qu'\u00e0 changer les\njustaucorps en robes de chambre, que l'habillement d'ailleurs seroit\nplus commode, ne se portant pas trop bien tous, et qu'ils seroient\npr\u00e9cis\u00e9ment comme \u00e0 la Charit\u00e9, o\u00f9 ils sont habill\u00e9s de vert. Il y a\nquelques jours qu'une personne de ma connoissance y alla, et trouva le\nma\u00eetre de la maison sur une duchesse d'\u00e9toffe verte, la robe de chambre\nverte, un couvre-pied d'une broderie admirable en vert, un chapeau gris\nbord\u00e9 de vert, avec le plumet vert, et un gros bouquet de rue sur lui,\nfaisant des n\u0153uds. Le duc _d'\u00c9pernon_ s'est pris de fantaisie pour la\nchirurgie, il saigne et tr\u00e9pane tout ce qu'il rencontre. Un cocher\nl'autre jour se cassa la t\u00eate, il le tr\u00e9pana. Je ne sais s'il auroit pu\nr\u00e9chapper; mais ce qu'il y a de s\u00fbr, c'est que le pauvre homme fut\nbient\u00f4t exp\u00e9di\u00e9 avec un pareil chirurgien. Ce n'est pas tout: ils ont\nvoulu se procurer des f\u00eates champ\u00eatres; et M. le duc _de Gesvres_ a dot\u00e9\nune fille. M. _d'\u00c9pernon_ souhaita de saigner le mari la nuit de ses\nnoces: ce pauvre mis\u00e9rable ne le vouloit point; et pour obtenir de lui\nde se laisser saigner, M. le duc _de Gesvres_ lui donna cent \u00e9cus.\nVoil\u00e0, Madame, ce qui se passe sous nos yeux, \u00e0 la face de tout\nl'univers, et sous un gouvernement tr\u00e8s-s\u00e9v\u00e8re. Cependant on ne peut pas\ndire que les deux chefs ne soient tr\u00e8s-sages, et m\u00eame pieux. Il n'est\npas possible que l'on ignore toujours ces vilenies; et tout ce qu'il y a\nde plus grand, de plus raisonnable, fait la cour assidument \u00e0 ce\nmonstre; et, pour excuser leurs bassesses, ils disent que cet homme est\nofficieux et pense noblement. Ceux qui sont bien instruits, savent qu'il\ndessert bien mieux qu'il ne sert, et qu'il est g\u00e9n\u00e9reux du bien de ses\ncr\u00e9anciers, et de l'argent d'un jeu qui est une chose ridicule dans un\nroyaume. Ma bile s'\u00e9chauffe; je vous en demande pardon. Pour la cour,\nelle est tr\u00e8s-\u00e9difiante: on ne donne point de sc\u00e8ne au public.\nVoulez-vous cependant que je vous parle des gens de votre connoissance?\nM. _de Ferriol_ est toujours le meilleur homme du monde; sa sant\u00e9 est de\nm\u00eame, ses affaires aussi: dans une indiff\u00e9rence parfaite; mais il n'est\npoint indiff\u00e9rent sur les Molinistes; il est d'un z\u00e8le outr\u00e9 pour eux.\nC'est avec fureur qu'il est passionn\u00e9 sur ce sujet. Il se met dans de\ngrands emportemens, quand il trouve quelqu'un qui ne pense pas comme\nlui. Il est occup\u00e9 de cela, au point de n'en pas dormir. Il sort \u00e0 huit\nheures du matin, pour faire part de ses r\u00e9flexions, ou de quelques riens\nqu'il aura ramass\u00e9s; c'est \u00e0 faire mourir de rire. Pour madame _de\nFerriol_, sur cet article, elle est tr\u00e8s-raisonnable, elle n'en parle\nque tr\u00e8s-convenablement; mais, d'ailleurs, toujours les m\u00eames\nagitations. Elle est comme vous l'avez laiss\u00e9e, \u00e0 la pesanteur pr\u00e8s, qui\na beaucoup augment\u00e9: les m\u00eames incertitudes, et ne pouvant souffrir que\nles autres sachent se d\u00e9terminer: le petit chien par-dessus tout, qui\ns'enfuit, quand elle l'appelle, et son vieux laquais, qui est toujours\ninsolent et de mauvaise humeur, et qui la traite comme une mis\u00e9rable,\njusqu'\u00e0 lui dire qu'elle ne sait ce qu'elle dit ni ce qu'elle fait. Je\nsuis pr\u00eate \u00e0 lui jeter un chenet \u00e0 la t\u00eate, et elle souffre ses\nimpertinences avec une patience \u00e0 impatienter. Je crois, je vous jure,\nqu'il me battroit, s'il ne me craignoit pas. Pour les autres\ndomestiques, ils sont tr\u00e8s-m\u00e9contens d'\u00eatre toujours grond\u00e9s; mais ils\nont pour elle le respect qu'ils lui doivent, et c'est la raison pourquoi\nelle est toujours apr\u00e8s eux. Ils pleurent souvent, et je les console de\nmon mieux. Pour ses enfans, c'est toujours de m\u00eame. On ne se plaint\njamais de l'un[184]; il fait tout ce qu'il veut. Sa sant\u00e9 est d\u00e9licate.\nC'est un tr\u00e8s-bon gar\u00e7on, qui a de l'esprit et de la finesse dans\nl'esprit, qui est aim\u00e9 et qui m\u00e9rite de l'\u00eatre. _D'Argental_ est fort\noccup\u00e9; il fait son m\u00e9tier avec application. Il est, tout le matin, au\npalais; il travaille apr\u00e8s d\u00eener, jusqu'\u00e0 cinq heures. Les spectacles\nsont ses plus grands amusemens. Il n'est pas, je crois, amoureux, et\npense plus en homme qui conno\u00eet le monde, qu'il ne le faisoit. Il est\ntoujours poli avec les femmes, et point du tout g\u00e2t\u00e9 dans les propos. M.\net madame _Knight_ ont la fi\u00e8vre tour \u00e0 tour. La femme, \u00e0 ce que je\ncrois, aime mieux le mariage que son mari[185]. Elle est tr\u00e8s-enfant\ng\u00e2t\u00e9; elle n'aime pas \u00e0 \u00eatre contrari\u00e9e. Tout ce mariage-l\u00e0 n'a pas\nl'air de durer long-temps. Elle pleure souvent; et, comme son mari est\nencore amoureux, elle a toujours raison. J'ai bien peur qu'elle ne lui\ndonne du fil \u00e0 retordre. N'allez pas dire ce que je vous dis-l\u00e0; mais\nmadame votre s\u0153ur a eu grand tort de g\u00e2ter sa fille. Elle en auroit fait\nquelque chose de bon, si elle lui avoit donn\u00e9 une bonne \u00e9ducation; mais\nelle l'a rendue insupportable; elle ne conno\u00eet que sa volont\u00e9 et ses\ngo\u00fbts; et, quand quelque chose s'y oppose, le m\u00e9pris et la d\u00e9raison\ns'emparent absolument d'elle. En v\u00e9rit\u00e9, c'est dommage; car elle \u00e9toit\nfaite pour \u00eatre aimable.\nMadame _de Tencin_ a de temps en temps la fi\u00e8vre. On dit pourtant\nqu'elle est fort engraiss\u00e9e. Je continue \u00e0 ne la point voir, et je crois\nque ce sera pour la vie, \u00e0 moins que l'archev\u00eaque[186], \u00e0 son retour, ne\nle veuille. Je suis pourtant bien r\u00e9solue \u00e0 tenir bon. C'est une grande\nsatisfaction pour moi de n'avoir point ce devoir p\u00e9nible \u00e0 remplir, et\nd'ailleurs plus de tracasseries; car il y en a toujours, quand on se\nvoit et qu'on se d\u00e9teste. Je ne vois plus M. _Bertie_[187]. A la v\u00e9rit\u00e9,\nje suis rarement au logis: il s'est rebut\u00e9 d'y venir inutilement. Nous\nallons passer une partie de ce mois \u00e0 Ablons. Je suis accabl\u00e9e de\nrhumatismes et de fluxions, et suis d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e que vous ne voyiez point\nma chambre. Vous ne la reconno\u00eetriez pas; elle est si jolie, et de plus\norn\u00e9e, pour ce que c'est, car il n'y a rien de magnifique que la jatte\nque vous m'avez donn\u00e9e. _La M\u00e9sang\u00e8res_, qui vint l'autre jour, me dit:\nVous avez de bien belles porcelaines, et entr'autres cette jatte. Mes\nmeubles sont tous des plus simples, mais faits par les meilleurs\nouvriers. On la vient voir par curiosit\u00e9. J'ai bien envie, \u00e0 votre\nexemple, de gronder ceux qui y crachent. Voil\u00e0 une grande et ennuyeuse\nlettre. Recevez mes plus tendres embrassemens.\nLETTRE XIII.\nParis, 13 ao\u00fbt 1743.\nMadame votre fille, Madame, m'a dit le risque que vous aviez couru, qui\nm'a effray\u00e9e, comme si j'en avois \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin. L'effroi ne vous a-t-il\npoint fait de mal? Comment vous portez-vous? Faites-moi la gr\u00e2ce de\nm'\u00e9crire. Madame votre fille, madame _Knight_, et moi, nous parlons\nsouvent de vous; vous savez qu'elles me sont ch\u00e8res. J'avois pens\u00e9 avec\n_Cabanne_[188] \u00e0 trouver quelques moyens de rendre la situation de votre\nfille plus ais\u00e9e; mais je n'ai jamais vu plus de d\u00e9licatesse, plus de\nd\u00e9sint\u00e9ressement, plus de douceur, plus d'opini\u00e2tret\u00e9 et plus de\nsentimens: elle est d'une vertu si outr\u00e9e, qu'elle est \u00e0 impatienter: je\nla trouvai si d\u00e9raisonnable, en m\u00eame temps si estimable, que\nl'admiration et la col\u00e8re s'empar\u00e8rent de moi, et que je ne pus ni\ngronder, ni louer.\nJ'aurois \u00e9t\u00e9 bien surprise, si vous aviez \u00e9t\u00e9 quelques mois sans\nnouveaux chagrins. J'ai aussi \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-afflig\u00e9e de la mort de M. _de\nVillars_[189]. M. son fils fait une tr\u00e8s-grande perte, d'autant plus\nqu'il la sent: il est parti sans que je l'aie vu; je n'en suis point\ntrop f\u00e2ch\u00e9e; car je me serois s\u00fbrement beaucoup attendrie avec lui.\nPouvez-vous dire, Madame, que le d\u00e9tail de vos peines m'ennuie?\nOubliez-vous le tendre int\u00e9r\u00eat que je prends \u00e0 tout ce qui vous regarde?\nvos malheurs me d\u00e9sesp\u00e8rent, et ne m'ennuient point: je suis persuad\u00e9e\nque le r\u00e9cit que vous m'en faites, vous fait du bien. Maintenant, il est\ntemps que je vous parle du changement arriv\u00e9 \u00e0 ma fortune. Je tremble\nde r\u00e9veiller une chose qui renouvellera quelques-uns de vos malheurs.\nMes rentes viag\u00e8res avoient \u00e9t\u00e9 cruellement retranch\u00e9es. Je vous ai\nenvoy\u00e9 la lettre que j'\u00e9crivis au cardinal[190]; je ne me flattois pas\nque l'on y e\u00fbt \u00e9gard, mais je ne voulois avoir rien \u00e0 me reprocher. Je\npromis \u00e0 ma pauvre Sophie, \u00e0 qui j'avois mis une rente viag\u00e8re de 300\nliv. sur la t\u00eate, et qui avoit \u00e9t\u00e9 r\u00e9duite \u00e0 100 liv., que si on lui\nrendoit quelque chose, je lui remettrois son contrat, dont je devois,\ncomme vous savez, avoir la jouissance. On lui a rendu 150 liv.: elle ne\nvouloit absolument point profiter de ce que je lui ai dit, et par son\naccommodement, je ne lui donnerai son contrat que dans deux ans; elle\naime mieux que je paye mes dettes. Ce proc\u00e9d\u00e9 n'est-il pas g\u00e9n\u00e9reux de\nsa part? Je ne joue pas un beau r\u00f4le dans cette pi\u00e8ce. On m'a rendu 840\nliv.: je jouis actuellement de 2,740 liv. Ma satisfaction sur cet\n\u00e9v\u00e9nement a \u00e9t\u00e9 bien troubl\u00e9e, en voyant la famille de M. _de Ferriol_\noubli\u00e9e. On a rendu \u00e0 madame _de Tencin_ 300 liv.; c'est tr\u00e8s-peu de\nchose \u00e0 proportion de ses rentes. Elle est furieuse; cependant elle\navoit pris toutes les pr\u00e9cautions imaginables; elle voyoit souvent M.\n_de Machault_; elle a \u00e9crit plusieurs fois au cardinal, et a fait agir\nses amis, qui sont puissans; elle comptoit sur le r\u00e9tablissement de\ntout, comme si elle le tenoit: elle est de bien mauvaise humeur; \u00e0 ce\nqu'on dit, car je ne la vois point. Sa favorite, madame _Doigny_,\ncommence \u00e0 \u00eatre dans la disgr\u00e2ce.\nJe ne vous parle point des conciles, car quoique n\u00e9e sous les yeux du\nchef[191], je n'en ai jamais voulu entendre parler; cependant, si vous\n\u00eates bien curieuse, je vous enverrai toutes les \u00e9critures: en v\u00e9rit\u00e9, je\nne vous conseille pas d'avoir cette curiosit\u00e9, il vous en co\u00fbteroit bien\nde l'ennui. A l'exception d'une lettre de deux \u00e9v\u00eaques qui est belle,\ntout le reste est pitoyable. Je vous renvoie \u00e0 ce que disoit Madame\n_Cornuel_, qu'_il n'y avoit point de h\u00e9ros pour les valets de chambre,\net point de p\u00e8res de l'\u00e9glise pour les contemporains._ Ce que je vois,\nme donne de furieux doutes du pass\u00e9. Ne parlons plus sur cette mati\u00e8re;\nj'ai d\u00e9j\u00e0 assez dit de sottises.\nLes tracasseries de notre cour ne sont pas plus divertissantes. Les\ndisputes sur l'alignement du roi et des princes, et les ricochets des\nducs, n'ont produit que des m\u00e9moires d\u00e9testables; et pour nous autres,\nparterre, nous voulons, pour notre argent, qu'on nous divertisse. Les\nbelles dames sont, ou se vantent d'\u00eatre dans la d\u00e9votion. Mesdames _de\nGontey_, _d'Alincourt_, _de Villars_, m\u00e8re et belle-fille, la mar\u00e9chale\n_d'Estr\u00e9es_, tout cela grimace la prude. Le roi est toujours sans\nma\u00eetresse, M. le duc _du Maine_, fort ami du cardinal; ce dernier se\nporte tr\u00e8s-bien; il vivra assez long-temps pour instruire notre jeune\nmonarque: la reine est grosse de trois mois. Les spectacles vont\ntr\u00e8s-mal. _Thevenard_ et la _Entie_ ont quitt\u00e9 l'op\u00e9ra, parce qu'ils ont\neu ordre de laisser jouer _Chass\u00e9_ et la _Pellissier_. Madame la\nduchesse de _Duras_ \u00e0 qui on a attribu\u00e9 cet ordre, a \u00e9t\u00e9 vilipend\u00e9e sur\nl'escalier de l'op\u00e9ra. _Chass\u00e9_ avoit tr\u00e8s-mal d\u00e9but\u00e9; mais il fait\nmieux. Pour la _Pellissier_, elle fait horriblement mal dans ces op\u00e9ras.\n_Francine_ a quitt\u00e9, et _Destouches_, comme je vous l'ai mand\u00e9, aura la\ndirection de l'op\u00e9ra. Nous reverrons alors la _Le Maure_. _Francine_ a\n15,000 liv. de pension, et, apr\u00e8s sa mort, son fils en aura 8,000, et sa\nfille 6,000. Vous me demanderez pourquoi tant de lib\u00e9ralit\u00e9s? Je vous\nr\u00e9pondrai d'abord que ces pensions sont prises sur l'op\u00e9ra, et en second\nlieu, que _Francine_ a fait faire, \u00e0 ses d\u00e9pens, une partie des belles\nd\u00e9corations, et qu'il les laisse. On a \u00e9tabli un concert spirituel deux\nfois la semaine.\nLe fr\u00e8re de l'envoy\u00e9 _d'Alster_ s'est donn\u00e9 un coup de pistolet dans la\nt\u00eate, apr\u00e8s avoir mis le feu dans trois endroits de la maison. Cette\npr\u00e9caution \u00e9toit pour \u00e9viter que l'on s\u00fbt que sa mort \u00e9toit volontaire.\nL'envieuse miladi _Gersay_ est tr\u00e8s-souvent chez madame _Knight_: elle\nmange comme quatre louves, joue avec attention et avidit\u00e9, ne dit pas\nquatre paroles, sans d\u00e9fa\u00e7onner sa bouche qui est toujours petite et\nplate. L'air et les paroles ne vont point ensemble; il semble que le\nmiel sort de sa bouche, quand elle parle; mais c'est bien le fiel le\nplus croupi qu'il y ait au monde. Vous direz que je suis aussi m\u00e9disante\nqu'elle aujourd'hui.\n_Bertie_ me boude de ce que je ne suis pas ici quand il y vient:\nquelqu'aimable qu'il soit, il y a apparence que j'aurai souvent ce tort\nl\u00e0 avec lui. C'est un reste de ses chim\u00e8res, pr\u00e9tentions d'amant; il\nvoudroit que je fusse comme _B\u00e9r\u00e9nice_, \u00e0 passer les jours \u00e0 l'attendre,\net les nuits \u00e0 pleurer. Je suis parvenue \u00e0 lui faire faire connoissance\navec madame _du Deffant_; elle est belle, elle a beaucoup de gr\u00e2ces; il\nla trouve aimable. J'esp\u00e8re qu'il commencera un roman avec elle, qui\ndurera toute la vie. On a d\u00e9put\u00e9 vers moi, croyant que j'avois encore\nquelque reste de cr\u00e9dit, pour obtenir de M. _Bertie_ de couper un pied\nde chaque c\u00f4t\u00e9 de sa perruque. Je veux bien tenter cette grande affaire,\nmais j'y \u00e9chouerai; car, Madame, c'est dans ces magnifiques n\u0153uds que\ng\u00eet toute l'importance, la capacit\u00e9 et la gr\u00e2ce de notre cher homme. Je\nne me rebuterai pas, et lui en parlerai toutes les fois que je le\nverrai. A propos, (ou sans \u00e0 propos, car cela ne va point du tout \u00e0 la\nperruque de M. _Bertie_), madame votre cousine, \u00e0 ce qu'on dit, ne peut\n\u00e9pouser ce Hollandois, sans perdre une partie du bien dont son mari lui\ndonne la jouissance. C'est une vilaine clause, et bien scandaleuse en\nv\u00e9rit\u00e9; le d\u00e9funt avoit si bien fait les choses de son vivant, qu'il\ndevoit bien continuer. Pour moi, si j'avois \u00e9t\u00e9 de lui, pour me venger,\nje leur aurois donn\u00e9 mon bien aux conditions qu'ils se mariassent, et\nles aurois d\u00e9sh\u00e9rit\u00e9s, en cas qu'ils ne le fissent pas. Le beau-fr\u00e8re\ntient des propos fort singuliers du d\u00e9funt son tr\u00e8s-cher fr\u00e8re.\n_D'Argental_ me prie de ne pas l'oublier aupr\u00e8s de vous. Nous sommes\ntr\u00e8s-amis; il est charmant, il est aim\u00e9 de tout le monde, et le m\u00e9rite\nbien; il a tous les principes de droiture: l'\u00e2ge confirme ses vertus.\nAdieu, Madame, je vais partir pour Ablons; ma sant\u00e9 se r\u00e9tablit tout\ndoucement; j'ai vieilli de dix ans; si vous me voyiez, vous me\ntrouveriez bien chang\u00e9e; mais d'honneur, cela ne me chagrine point du\ntout. Si toutes les femmes n'\u00e9toient pas plus afflig\u00e9es de voir partir\nleurs charmes, que moi d'avoir perdu le peu que j'en avois, elles\nseroient bien heureuses.\nLETTRE XIV.\nParis, juin 1727.\nJe viens, Madame, de recevoir votre lettre du 22 de ce mois. C'est un\njour heureux pour moi, quand j'apprends par vous de vos nouvelles. Les\nassurances que vous me donnez de votre bont\u00e9, me sont toujours et bien\nnouvelles et bien ch\u00e8res; et je dis de vos lettres ce que M. _de\nFontenelle_ disoit d'une dame qui lui plaisoit, que le moment o\u00f9 il la\nvoyoit, \u00e9toit le moment pr\u00e9sent pour lui. Cette fa\u00e7on de s'exprimer a\n\u00e9t\u00e9 fort critiqu\u00e9e; mais les gens grossiers ne connaissent qu'une\njouissance dans ce monde; je les plains. Est-il un moment plus doux que\ncelui o\u00f9 l'on re\u00e7oit les assurances d'amiti\u00e9 d'une personne que l'on\naime et qu'on estime parfaitement? Il y a bien des gens qui ignorent la\nsatisfaction d'aimer avec assez de d\u00e9licatesse, pour pr\u00e9f\u00e9rer le\nbonheur de ce que nous aimons au n\u00f4tre propre. Remercions la providence\nde nous avoir donn\u00e9 un bon c\u0153ur, et \u00e0 vous, de la vertu dans les\nmalheurs que vous avez essuy\u00e9s. Que seriez-vous devenue? Votre douceur,\nvotre humanit\u00e9, votre justice auroient \u00e9t\u00e9 chang\u00e9es en d\u00e9sespoir, en\ncruaut\u00e9 et en injustice. Quelque grands que soient les malheurs du\nhasard, ceux qu'on s'attire sont cent fois plus cruels. Trouvez-vous\nqu'une religieuse d\u00e9froqu\u00e9e, qu'un cadet cardinal, soient heureux,\ncombl\u00e9s de richesses[192]? Ils changeroient bien leur pr\u00e9tendu bonheur\ncontre vos infortunes.\nVous me demandez si M. _de Pont-de-Vesle_ est introducteur des\nambassadeurs? Vous le sauriez avant ceux qui font la gazette. Il a \u00e9t\u00e9\nquestion de quelque chose; mais il falloit trouver \u00e0 se d\u00e9faire de sa\ncharge avantageusement, et d'ailleurs sa sant\u00e9 est toujours fort\nd\u00e9licate; je crains qu'\u00e0 la fin nous ne le perdions. Je dis cela, le\nc\u0153ur serr\u00e9; car c'est la plus grande perte que je puisse faire. C'est un\nhomme qui a toutes les qualit\u00e9s les plus essentielles, beaucoup de\nm\u00e9rite et d'esprit; ses proc\u00e9d\u00e9s \u00e0 mon \u00e9gard sont d'un ange. Vous allez\n\u00eatre bien surprise. Depuis que M. _d'Argental_ est au monde, voici la\npremi\u00e8re fois que nous nous sommes querell\u00e9s, mais d'une fa\u00e7on si\n\u00e9trange, qu'il y a quatre jours que nous ne nous parlons. Le sujet de la\nquerelle vient de ce qu'il ne vouloit pas souper avec madame sa m\u00e8re,\nqui revenoit de la campagne, o\u00f9 elle avoit \u00e9t\u00e9 huit jours. Elle lui\navoit fait dire par tout le monde qu'elle seroit \u00e0 Paris ce soir-l\u00e0; et\nelle se plaignoit de ce qu'il n'avoit pas assez d'attentions pour elle.\nJe le lui dis; et nous nous \u00e9chauff\u00e2mes l\u00e0-dessus. Je lui soutins que le\ndevoir devoit l'emporter sur le plaisir. En un mot, je m'emportai, sans\njamais oublier la tendresse et l'amiti\u00e9 que j'avois pour lui; et c'est\ncette amiti\u00e9 qui m'engagea \u00e0 lui parler avec cette sinc\u00e9rit\u00e9. Il me\nr\u00e9pondit avec une s\u00e9cheresse et une duret\u00e9 qui m'assomm\u00e8rent, comme si\nla foudre \u00e9toit tomb\u00e9e sur moi. La femme de chambre de madame en fut\nt\u00e9moin. Il sortit de ma chambre: je restai un quart d'heure sans pouvoir\nparler, et je me mis \u00e0 fondre en larmes.\nM. _de Pont-de-Vesle_[193] entra, et me demanda de quoi je pleurois: je\nne pus me r\u00e9soudre \u00e0 le lui conter. La femme de chambre le fit: il fut\nbien surpris. Madame ignore notre bouderie. Elle en seroit charm\u00e9e,\nparce qu'il y a quelques jours que j'eus une sc\u00e8ne affreuse, parce que\nje le soutins contre les plaintes qu'elle m'en fit. Quand elle est\narriv\u00e9e, mon premier soin a \u00e9t\u00e9 de lui faire des excuses de la part de\nson fils, de ce qu'il ne se trouvoit pas \u00e0 la maison; que j'en \u00e9tois\ncause, lui ayant dit qu'elle n'arriveroit que fort tard; et qu'il ne\npouvoit se dispenser d'aller \u00e0 un souper o\u00f9 il s'\u00e9toit engag\u00e9 depuis\nhuit jours, sur-tout connaissant tr\u00e8s-peu les gens qui composoient cette\npartie. La femme de chambre se trouva derri\u00e8re moi: je l'ignorois. Les\nlarmes lui vinrent aux yeux d'\u00e9tonnement et de joie. Elle me dit que je\njustifiois M. _d'Argental_, lorsque j'avois sujet de m'en plaindre.\nJ'avois dit \u00e0 _Pont-de-Vesle_ que dor\u00e9navant je n'aimerois plus que pour\nmoi M. _d'Argental_, et qu'assur\u00e9ment je ne l'aimerois plus pour\nlui-m\u00eame. Concevez-vous, Madame, ma douleur? Au bout de vingt-sept ans,\nperdre un ami! Je le crois honteux de ce qui s'est pass\u00e9. Il continue de\nme manquer, s\u00fbrement par cette raison. J'ai le c\u0153ur si gros, qu'il m'est\nimpossible d'achever ma lettre: je la reprendrai quand je serai plus\ntranquille.\nLa bouderie a dur\u00e9 huit jours, et selon la r\u00e8gle, celui qui a raison a\nfait les avances. Je bus \u00e0 sa sant\u00e9, \u00e0 table, et je l'embrassai le\nlendemain, sans explication. Depuis ce temps-l\u00e0, nous sommes fort bien\nensemble. Vous direz qu'il y a une furieuse distance d'une date \u00e0\nl'autre; mais j'ai eu des occupations qui m'ont emp\u00each\u00e9e de vous \u00e9crire,\nmais non pas d'\u00eatre fort occup\u00e9e de vous. Mademoiselle _Bideau_ n'a pas\nfait tout ce qu'elle m'avoit promis. Je n'en suis pas trop f\u00e2ch\u00e9e: je\ncrains les trop grandes obligations. _Cabanne_ compte vous aller voir.\nPl\u00fbt \u00e0 Dieu que je fusse aussi libre que lui! je serois actuellement\naupr\u00e8s de vous. Mais quelque chose qui arrive, j'irai, quand m\u00eame je\nserois r\u00e9duite \u00e0 demander l'aum\u00f4ne, pour aller voir tout ce que j'aime\nle mieux en v\u00e9rit\u00e9, sans exception.\nLETTRE XV.\nParis, 10 juin 1723.\nOn dit enfin que nous irons \u00e0 Pont-de-Vesle. Madame _de Ferriol_ a\ntoutes les peines du monde \u00e0 s'y d\u00e9terminer: tous les projets qu'elle\navoit faits sont rompus. Premi\u00e8rement son mari avoit un proc\u00e8s qui\ndevoit se juger incessamment, et il a \u00e9t\u00e9 remis \u00e0 l'ann\u00e9e prochaine;\nensuite elle a dit que jamais son mari ne voudroit venir avec elle, et\nque pendant son absence, il d\u00e9penseroit beaucoup. Il l'a assur\u00e9e qu'il\nl'accompagneroit, soit dans la diligence, soit dans une chaise de poste,\ntout comme elle le souhaiteroit. Ensuite elle a dit qu'elle ne vouloit\npoint partir, qu'elle ne s\u00fbt si miladi _Bolingbrocke_ ne viendroit point\ncet \u00e9t\u00e9. Madame _Bolingbrocke_ lui a mand\u00e9 qu'elle ne comptoit venir\nqu'au commencement de l'hiver, et que si elle n'\u00e9toit pas \u00e0 Paris, elle\nremettroit son voyage \u00e0 l'\u00e9t\u00e9 prochain. Enfin, il a fallu chercher\nquelqu'autre raison. Elle a dit qu'elle n'avoit point d'argent. M. son\nfr\u00e8re lui en a offert. La voil\u00e0, comme vous voyez, \u00e0 _quia_. Elle a paru\nse rendre; mais elle veut, avant que de partir, prendre les eaux de\nBalaruc: elles ne sont pas arriv\u00e9es: ainsi cela renvoie. Je crois qu'il\nfaudra qu'\u00e0 la fin elle se d\u00e9cide. Tout le monde est exc\u00e9d\u00e9 de ses\nincertitudes. Le vrai de ses difficult\u00e9s, c'est qu'elle ne voudroit\npoint quitter le mar\u00e9chal, qui ne s'en soucie point, et ne feroit pas un\npas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la consid\u00e9ration\ndans le monde. Personne ne s'adresse \u00e0 elle pour demander des gr\u00e2ces au\nvieux mar\u00e9chal. Elle est tr\u00e8s-souvent seule; ses affaires sont toujours\ntr\u00e8s-d\u00e9labr\u00e9es, elle ne paie point, elle ne fait aucune d\u00e9pense, elle\nest d'une avarice et d'un d\u00e9rangement inconcevables. Je suis oblig\u00e9e de\nme rappeler cent fois le jour le respect que je lui dois. Rien n'est\nplus triste que de n'avoir pour faire son devoir, que la raison du\ndevoir.\nLe chevalier est toujours malade; il m'a paru un peu moins oppress\u00e9: je\ntremble de le quitter. Mais je dois accompagner madame _de Ferriol_ dans\nl'\u00e9tat o\u00f9 elle est. Il faut absolument la d\u00e9terminer \u00e0 prendre les eaux\nde Bourbon; et elle ne les prendra jamais, si elle ne va pas \u00e0\nPont-de-Vesle. Le devoir, l'amour, l'inqui\u00e9tude et l'amiti\u00e9 combattent\nsans cesse mon esprit et mon c\u0153ur: je suis dans une cruelle agitation;\nmon corps succombe; car je suis accabl\u00e9e de vapeurs et de tristesse; et\ns'il arrive malheur \u00e0 cet homme-l\u00e0; je sens que je ne pourrai supporter\ncet horrible chagrin. Il est plus attach\u00e9 \u00e0 moi que jamais; il\nm'encourage \u00e0 remplir mon devoir. Quelquefois je ne puis m'emp\u00eacher de\nlui dire, que s'il \u00e9toit plus mal, il me seroit impossible de le\nquitter; il me gronde, et il ne veut absolument point que j'imagine rien\nqui s'\u00e9loigne de ce devoir: il m'assure qu'il n'y a rien dans le monde\nqui m'excus\u00e2t; si je restois ici, quand madame _de Ferriol_ va \u00e0 cent\nlieues: il ne l'aime point; mais il a ma r\u00e9putation \u00e0 c\u0153ur. Pardonnez\ntoutes ces foiblesses \u00e0 votre pauvre amie.\nJ'avois laiss\u00e9 ma lettre; j'ai eu mille ennuis. Le chevalier est\ntoujours tr\u00e8s-incommod\u00e9. Je vous avoue que je suis dans de furieuses\ntranses pour lui. Je crains qu'\u00e0 la fin la suppuration des poumons ne se\nfasse; je n'ose faire des r\u00e9flexions sur cela, et je n'ose m\u00eame en\nparler; mais mille id\u00e9es funestes me suivent sans cesse malgr\u00e9 moi: rien\nne me console. Je n'ai personne \u00e0 qui je puisse ouvrir mon c\u0153ur. Quel\nmalheur pour moi que votre absence! Si je vous avois, vous me\nsoutiendriez; vous me donneriez des forces; et peut-\u00eatre vos conseils,\nmes remords, et l'amiti\u00e9 que j'ai pour vous, Madame, me donneroient\nassez de courage pour surmonter une passion que ma raison n'a pu\nvaincre, mais qu'elle condamne.\nMadame _de Tencin_ a toujours la fi\u00e8vre; elle a \u00e9t\u00e9 15 jours sans en\navoir; elle se croyoit gu\u00e9rie, et avoit pris le ton de se plaindre de\ntout le monde, et sur-tout du chevalier, mais d'une fa\u00e7on si violente\nque madame _de Lambert_, \u00e0 qui elle en parla, le dit au chevalier, qui\nla pria de dire \u00e0 madame _de Tencin_ que jamais il n'avoit parl\u00e9 d'elle,\nque rien n'\u00e9toit plus faux, qu'il n'\u00e9toit point de ceux qui accablent\nles malheureux, et que, comme il ne la connoissoit point, il auroit \u00e9t\u00e9\ndans le droit du public, pour causer sur l'aventure _de La\nFresnaye_[194], mais qu'il ne l'avoit pas fait, en partie par \u00e9gard pour\nmadame sa s\u0153ur et pour moi. Madame _de Tencin_ dit \u00e0 madame _de Ferriol_\nqu'il \u00e9toit fort singulier qu'\u00e9tant chez elle, je ne vinsse pas savoir\nde ses nouvelles, et qu'elle ne m'avoit vue qu'une fois depuis six mois;\nqu'elle me dispensoit tr\u00e8s-fort d'y venir; qu'elle ne me laisseroit\nentrer que quand je serois avec elle; mais que si je venois seule, elle\navoit donn\u00e9 ses ordres, pour que l'on me refus\u00e2t sa porte. Je me le suis\ntenu pour dit, et je ne m'exposerai pas \u00e0 m'entendre dire mille injures.\nJe m'en soucie si peu, que je b\u00e9nis ce noble courroux contre moi. Je\nn'irai point \u00e0 Pont-de-Vesle: madame dit qu'elle veut y aller pour trois\nsemaines seulement, pour r\u00e9gler quelques affaires. J'en suis f\u00e2ch\u00e9e \u00e0\ncause de vous. J'aurois eu le plaisir de vous embrasser, et j'aurois\nvendu jusqu'\u00e0 ma derni\u00e8re chemise pour cela; s\u00fbrement je vous verrai t\u00f4t\nou tard. Madame radote plus que jamais; elle vient de prendre les eaux\nde Balaruc: on lui a fait une ample saign\u00e9e. Je crains infiniment pour\nelle. Ses radotages m'impatientent, car ils sont extr\u00eames; mais quand je\nfais un moment de r\u00e9flexion, ma reconnoissance se r\u00e9veille bien\nvivement. Je suis entour\u00e9e de chagrins, et je ne vous ai plus pour me\nconsoler. Le chevalier est toujours tr\u00e8s-incommod\u00e9, et il est d'un\nchangement horrible. Vous jugez de mon inqui\u00e9tude: son attachement est\ntoujours plus fort. A propos, j'ai fait deux grandes pertes: une bague\nque je vous avois destin\u00e9e, en cas de mort: c'\u00e9toit un petit cachet avec\nun jonc de diamant que j'aime beaucoup; et l'autre perte, c'est mon\nchien, ce pauvre _Patie_, \u00e0 qui vous aviez donn\u00e9 une loge. On me l'a\nvol\u00e9; il \u00e9toit toujours \u00e0 la porte pour attendre les gens du chevalier\nqu'il aime passionn\u00e9ment. Je ne puis vous dire le chagrin que j'ai eu de\nla perte de ce joli animal. Je souhaite bien me mettre dans la suite\nhors de l'inqui\u00e9tude de devoir qui me bourrelle sans cesse. J'ai essuy\u00e9\nun petit malheur; j'avois vendu mes boucles de diamans 1,800 livres pour\nacheter trois actions que je voulois garder pour qui vous savez. Je ne\ndoute point que le dividende ne f\u00fbt fort; elles \u00e9toient \u00e0 650 livres.\nComme j'\u00e9tois pr\u00eate \u00e0 les acheter, madame _de Ferriol_ eut besoin de\nmille francs. Je les lui pr\u00eatai, comptant, comme elle me le disoit,\nqu'elle me les rendroit deux jours apr\u00e8s. Il y a six mois, et les\nactions ont mont\u00e9 \u00e0 1,150 livres; elles sont actuellement \u00e0 1,000.\nJugez, j'aurois gagn\u00e9, en les vendant, mille \u00e9cus, et aurois pay\u00e9\nquelques-unes de mes dettes. Ainsi ma destination est \u00e0 vau-l'eau. Je\npaie quelques bagatelles avec les 600 livres qui me restent. Il faut se\nconsoler des pertes de la fortune. Il y a des gens qui valent mieux que\nmoi, qui sont bien plus \u00e0 plaindre. Cette consolation est cruelle, quand\nces gens-l\u00e0 sont nos amis.\nM. _Bertie_ vous aime beaucoup; mais il a \u00e9t\u00e9 si occup\u00e9 de la perte de\nmadame _de M...._, qui \u00e9toit sa bonne amie, et la plus impertinente de\ntoutes les femmes, qu'il n'a pu se donner au reste de ses amis. Il est\nrempli de tr\u00e8s-bons proc\u00e9d\u00e9s \u00e0 l'\u00e9gard de madame _de Ferriol_; il\nsongeoit \u00e0 l'ambassade de Constantinople depuis long-temps, il n'\u00e9toit\npoint \u00e9loign\u00e9 de l'avoir: quand il a su que M. _de Pont-de-Vesle_ y\nsongeoit, sans le dire \u00e0 aucun de nous, il est all\u00e9 chez MM. _de\nMaurepas_ et _de Morville_, \u00e0 qui il a dit qu'il ne pensoit \u00e0\nl'ambassade, qu'au cas que M. _de Pont-de-Vesle_ n'y pens\u00e2t pas, et que\ncomme il venoit d'apprendre que son ami en avoit envie, il y renon\u00e7oit,\nle croyant plus capable que lui; qu'il avoit beaucoup d'esprit, et de\nplus l'exp\u00e9rience de son oncle, dont la m\u00e9moire \u00e9toit ch\u00e8re dans ce\npays-l\u00e0. Il est venu d\u00eener chez nous, et il nous a laiss\u00e9 ignorer son\nbon proc\u00e9d\u00e9. M. _de Pont-de-Vesle_ l'a su de M. _de Maurepas_. Je\npartage bien la reconnoissance qu'on lui doit; mais cela ne passera\njamais l'estime. Dites-le bien \u00e0 mademoiselle votre fille qui me\nsoutenoit une fois que je l'aimerois un jour. Parlons un peu de M.\n_d'Argental_; c'est le plus joli gar\u00e7on du monde; ses yeux sont bien\nouverts; il remplit tous les devoirs du sentiment; il n'est plus\namoureux; il est tout \u00e0 ses amis; il est toujours constant pour les\npetits p\u00e2t\u00e9s, et nous mourons de faim: la cuisine est si froide, que\ncela va de mal en pire: il n'y a plus rien \u00e0 retrancher de la premi\u00e8re\ntable: car nous n'avons rien, non, rien du tout, on commence \u00e0\nretrancher de celle des domestiques, et je ne doute pas que l'on ne\nvienne \u00e0 faire comme cet homme qui pr\u00e9tendoit que son cheval pouvoit\nvivre sans manger, et qui commen\u00e7a par diminuer la moiti\u00e9 de ce qu'il\nlui donnoit; quelques jours apr\u00e8s, la moiti\u00e9 de l'autre moiti\u00e9; et ainsi\ndu reste: le pauvre animal creva; ainsi ferons-nous. Voil\u00e0 une bien\ngrande lettre; vous aurez de la peine \u00e0 la d\u00e9chiffrer: la t\u00eate me\ntourne; car je crois que sans cela, je remplirais encore bien des\nfeuilles. Vous ne dites rien, Madame, _de Gulliver_. Mes respects \u00e0\nvous, et \u00e0 tout ce qui vous appartient.\nLETTRE XVI.\nParis, 1728.\nIl y a un si\u00e8cle que vous ne m'avez fait l'honneur de m'\u00e9crire.\n\u00cates-vous si exacte avec vos amis, que de ne point leur \u00e9crire qu'ils ne\nvous aient fait r\u00e9ponse? Je devois, Madame, vous remercier de la lettre\nque j'ai re\u00e7ue il y a un mois: j'avois commenc\u00e9 ma r\u00e9ponse, j'y voulois\nmettre plusieurs petites nouvelles; j'ai attendu des d\u00e9nouemens, ils ont\n\u00e9t\u00e9 si charg\u00e9s d'ev\u00e9nemens que je n'ai plus su o\u00f9 j'en \u00e9tois.\nD'ailleurs, madame _Bolingbrocke_ a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-mal: ce qui m'a occup\u00e9e\nbien tristement; et puis la sant\u00e9 de madame _de Ferriol_, toujours\nmauvaise, et son humeur encore plus. _Pont-de-Vesle_ me charge de ses\nrespects pour vous: il est toujours malingre; une mauvaise digestion.\n_D'Argental_ n'est plus amoureux de mademoiselle _de Tencin_; elle ne\nl'occupe plus que par devoir; il n'est point aussi amoureux de la\n_Couvreur_, mais aussi pr\u00e9venu de son m\u00e9rite que s'il l'\u00e9toit encore;\nelle est tr\u00e8s-incommod\u00e9e depuis quelque temps: on craint qu'elle ne\ntombe en langueur.\nMadame _de Parab\u00e8re_ a \u00e9t\u00e9 quitt\u00e9e, il y a environ quatre ou cinq mois,\npar M. _d'Alincourt_: ce dont elle a \u00e9t\u00e9 au d\u00e9sespoir; et pour s'en\nconsoler, elle a pris, au bout de huit jours, M. _de la\nMothe-Houdancourt_, qui est, \u00e0 mon sens, le plus vilain homme que je\nconnoisse. Cette pr\u00e9cipitation a paru \u00e9trange \u00e0 tout le monde, et\nsur-tout \u00e0 moi, qui ne m'en serois pas dout\u00e9e. Ledit M. _de la Mothe_ ne\nla quitte pas d'un pas; il est jaloux comme un tigre. Pour vous faire le\nportrait tant de sa figure que de son esprit (je commencerai par la\nfigure), il est grand, d\u00e9gingand\u00e9, le visage long; il ressemble beaucoup\n\u00e0 un vilain cheval de l'\u00e2ge de quarante-cinq ans; babillard, ne sachant\nce qu'il dit; se contredisant sans cesse, ne parlant jamais que de lui;\nfat, comme s'il \u00e9toit un Adonis, et glorieux par fatuit\u00e9; assez bon\nhomme dans le fond, mais ayant \u00e9t\u00e9 g\u00e2t\u00e9 par les caillettes de la cour.\nIl me craint prodigieusement, et ne peut pas s'emp\u00eacher de m'estimer: il\na vu peu de femmes qui se souciassent moins de se m\u00ealer d'intrigues: il\nm'a dit bien des fois qu'il aimeroit mieux que je fusse amie de sa\nfemme, que de sa ma\u00eetresse. J'y vais tr\u00e8s-rarement; je crois qu'il ne\nseroit pas bien de n'y point aller du tout; elle a pour moi des fa\u00e7ons\ntouchantes: d'abord que j'ai le moindre mal, elle me vient voir; elle\nm'accable de galanteries; elle dit \u00e0 tous ceux qu'elle voit qu'elle\nm'aime infiniment. Je dois \u00eatre reconnoissante, Madame, de tant de\nmarques d'amiti\u00e9. Il y avoit, pendant les huit jours de vacance, plus de\nvingt pr\u00e9tendans \u00e0 qui je faisois une peur horrible, \u00e9tant persuad\u00e9s que\nje mettrois tout en usage pour la retirer du d\u00e9sordre. Un des pr\u00e9tendans\nm'a cont\u00e9 tous leurs man\u00e9ges; ils s'\u00e9toient tous ligu\u00e9s de concert pour\nla retirer de Paris, et qu'elle f\u00fbt \u00e0 la campagne, pour que je ne la\nvisse pas. Celui qui m'a racont\u00e9 tout cela, est parent du chevalier; il\nesp\u00e9roit, par son canal, obtenir de moi que je ne m'opposasse point au\nvoyage de madame _de Parab\u00e8re_. Le chevalier lui r\u00e9pondit qu'il avoit\ntort de me soup\u00e7onner, que je ne me parois ni de conseiller les prudes,\nni de condamner les autres; que jamais je n'avois su ce que c'\u00e9toit que\nde me m\u00ealer de tracasseries; en quoi il me loua beaucoup, connoissant\nassez bien la dame, pour \u00eatre persuad\u00e9 qu'elle ne seroit pas\nsusceptible de conseils.\nJe veux vous parler de madame _du Deffant_: elle avoit un violent d\u00e9sir\npendant long-temps de se racommoder avec son mari; comme elle a de\nl'esprit, elle appuie de tr\u00e8s-bonnes raisons cette envie; elle agissoit\ndans plusieurs occasions, de fa\u00e7on \u00e0 rendre ce raccomodement durable et\nhonn\u00eate; sa grand'm\u00e8re meurt, et lui laisse 4,000 liv. de rentes; sa\nfortune devenant meilleure, c'\u00e9toit un moyen d'offrir \u00e0 son mari un \u00e9tat\nplus heureux, que si elle avoit \u00e9t\u00e9 pauvre; comme il n'\u00e9toit point\nriche, elle pr\u00e9tendoit rendre moins ridicule son mari de se raccommoder\navec elle, devant d\u00e9sirer des h\u00e9ritiers. Cela r\u00e9ussit, comme nous\nl'avions pr\u00e9vu; elle en re\u00e7ut des complimens de tout le monde. J'aurois\nvoulu qu'elle ne se press\u00e2t pas autant; il falloit encore un noviciat de\nsix mois, son mari devant les passer naturellement chez son p\u00e8re.\nJ'avois mes raisons pour lui conseiller cela; mais, comme cette bonne\ndame mettoit de l'esprit, ou pour mieux dire, de l'imagination, au lieu\nde raison et de stabilit\u00e9, elle emballa la chose, de mani\u00e8re que le mari\namoureux rompit son voyage, et se vint \u00e9tablir chez elle, c'est-\u00e0-dire,\ny d\u00eener et souper; car pour habiter ensemble, elle ne voulut pas en\nentendre parler de trois mois, pour \u00e9viter tout soup\u00e7on injurieux pour\nelle et son mari. C'\u00e9toit la plus belle amiti\u00e9 du monde pendant six\nsemaines; au bout de ce temps-l\u00e0, elle s'est ennuy\u00e9e de cette vie, et a\nrepris pour son mari une aversion outr\u00e9e; et sans lui faire de\nbrusqueries, elle avoit un air si d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 et si triste, qu'il a pris\nle parti d'aller chez son p\u00e8re; elle prend toutes les mesures\nimaginables pour qu'il ne revienne point. Je lui ai repr\u00e9sent\u00e9 durement\ntoute l'infamie de ses proc\u00e9d\u00e9s. Elle a voulu par distances et par\npiti\u00e9, me toucher et me faire revenir \u00e0 ses raisons; j'ai tenu bon, j'ai\nrest\u00e9 trois semaines sans la voir; elle est venue me chercher. Il n'y a\nsorte de bassesses qu'elle n'ait mises en usage pour que je ne\nl'abandonnasse pas; je lui ai dit que le public s'\u00e9loignoit d'elle,\ncomme je m'en \u00e9loignois; que je souhaiterois qu'elle pr\u00eet autant de\npeine \u00e0 plaire \u00e0 ce public qu'\u00e0 moi; qu'\u00e0 mon \u00e9gard, je le respectois\ntrop, pour ne lui pas sacrifier mon go\u00fbt pour elle. Elle pleura\nbeaucoup; je n'en fus point touch\u00e9e. La fin de cette mis\u00e9rable conduite,\nc'est qu'elle ne peut vivre avec personne. Un amant qu'elle avoit avant\nson raccommodement avec son mari, exc\u00e9d\u00e9 d'elle, l'avoit quitt\u00e9e; et\nquand il a appris qu'elle \u00e9toit bien avec M. _du Deffant_, il lui a\n\u00e9crit des lettres pleines de reproches, et il est revenu. L'amour-propre\nayant r\u00e9veill\u00e9 des feux mal \u00e9teints, la bonne dame n'a suivi que son\npenchant; et sans r\u00e9flexion, elle a cru un amant meilleur qu'un mari;\nelle a oblig\u00e9 ce dernier \u00e0 abandonner la place; il n'a pas \u00e9t\u00e9 parti,\nque l'amant l'a quitt\u00e9e. Elle reste la fable du public, bl\u00e2m\u00e9e de tout\nle monde, m\u00e9pris\u00e9e de son amant, d\u00e9laiss\u00e9e de ses amies; elle ne sait\nplus comment d\u00e9brouiller tout cela. Elle se jette \u00e0 la t\u00eate des gens,\npour faire croire qu'elle n'est pas abandonn\u00e9e. Cela ne r\u00e9ussit pas;\nl'air d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 et embarrass\u00e9 r\u00e8gnent tour \u00e0 tour dans sa personne. Voil\u00e0\no\u00f9 elle en est, et o\u00f9 j'en suis avec elle.\nMadame _de Tencin_ est toujours si outr\u00e9e contre moi, parce que je n'ai\nfait aucune d\u00e9marche pour remettre les pieds chez elle, qu'elle m'a\nd\u00e9clar\u00e9 une guerre ouverte. Elle envoie savoir si je d\u00eene ici pour ne\npas y venir, si j'y suis. Je ne suis pas plus alarm\u00e9e de cette nouvelle\ndisgr\u00e2ce que des autres. On me pers\u00e9cuta l'autre jour pour faire ma paix\navec elle: je r\u00e9pondis \u00e0 cela, que je ne demandois pas mieux; que tout\nce qui \u00e9toit de la famille _Ferriol_, m'\u00e9toit respectable; qu'il n'y\navoit que cette raison qui me f\u00eet d\u00e9sirer que madame _de Tencin_ ne f\u00fbt\npas f\u00e2ch\u00e9e contre moi; mais que je ne me sentois pas assez de religion\npour pr\u00e9senter ma seconde joue, et que je n'irois jamais demander pardon\n\u00e0 madame _de Tencin_ de ce qu'elle m'avoit fait refuser sa porte; que\nje ne connoissois que madame _de Ferriol_ dans le monde, pour qui je\npusse faire cette d\u00e9marche; que madame _de Tencin_ n'avoit aucun droit\nsur moi, pour en agir aussi mal; que si elle pr\u00e9tendoit que j'avois tenu\nde mauvais discours sur elle, je r\u00e9pondrois comme madame _de\nSaint-Aulaire_, qui r\u00e9pondit sur la m\u00eame accusation, que s'il \u00e9toit vrai\nqu'il f\u00fbt revenu \u00e0 madame _de Tencin_ qu'elle avoit mal parl\u00e9 d'elle,\nelle en \u00e9toit bien afflig\u00e9e, parce que cela lui faisoit voir qu'elle\navoit des amis perfides. Je suis dans ce cas: j'ai pu dire \u00e0 mes amis ce\nque je pensois; mais pour l'amour de moi et de mes devoirs, je n'en ai\npoint parl\u00e9 ailleurs; et m\u00eame dans l'accident de la _Fresnaye_, qui est\nce qui l'aigrit contre tous les gens dont elle n'a pas besoin, j'ai dit\nque c'\u00e9toit l'affaire du monde la plus malheureuse, qu'il n'y avoit\npersonne qui f\u00fbt \u00e0 l'abri d'un fou qui venoit se tuer chez vous.\nMa vie est assez douce. Si je vous avois \u00e0 Paris, le roi ne seroit pas\nplus heureux que moi. Les \u00e9trennes m'affligent un peu: tout le monde\nm'en donne, et je ne puis en donner \u00e0 personne. Je prends mon parti sur\nles goutti\u00e8res de cette maison; il y a des temps o\u00f9 les choses ne font\npas autant d'impression. C'est, suivant l'\u00e9tat du c\u0153ur; quand il est\nsatisfait, on glisse facilement sur les \u00e9pines qui se rencontrent\ntoujours dans la vie; il n'y en a point d'exempte. On radote toujours\nici; on se plaint sans cesse: il y a quelques jours qu'elle s'adressa \u00e0\n_Fontenay_, qui lui r\u00e9pondit tr\u00e8s-fortement, et l'assura qu'elle ne\npersuaderoit jamais le public, et qu'elle le r\u00e9volteroit contre\nelle-m\u00eame; qu'il \u00e9toit t\u00e9moin que la veille j'avois \u00e9t\u00e9 press\u00e9e\nextr\u00eamement de rester \u00e0 souper chez madame _de Parab\u00e8re_ avec le\nchevalier; que j'avois refus\u00e9, et \u00e9tois revenue \u00e0 neuf heures \u00e0 pied et\npar la pluie. Cette justification m'a afflig\u00e9e les raisons ne font que\nl'aigrir. J'ai lieu d'\u00eatre tr\u00e8s-contente du chevalier; il a la m\u00eame\ntendresse et les m\u00eames craintes de me perdre. Je ne m\u00e9suse point de son\nattachement. C'est un mouvement naturel chez les hommes de se pr\u00e9valoir\nde la foiblesse des autres: je ne saurois me servir de cette sorte\nd'art; je ne connois que celui de rendre la vie si douce \u00e0 ce que\nj'aime, qu'il ne trouve rien de pr\u00e9f\u00e9rable: je veux le retenir \u00e0 moi,\npar la seule douceur de vivre avec moi. Ce projet le rend aimable; je le\nvois si content, que toute son ambition est de passer sa vie de m\u00eame.\nPeut-\u00eatre cela nous conduira \u00e0 ce que nous d\u00e9sirons tant: la nature de\nson bien est un furieux obstacle. Dieu nous regardera peut-\u00eatre en\npiti\u00e9: j'ai des mouvemens quelquefois bien durs \u00e0 combattre. Ce qu'il y\na de surprenant, c'est que je les ai eus toute ma vie: je me reproche...\nH\u00e9las! que n'\u00e9tiez-vous madame _de Ferriol_? vous m'auriez appris \u00e0\nconno\u00eetre la vertu. Mais passons sur cela; cependant je suis, en fait\nd'amour, la plus heureuse personne du monde. Mati\u00e8re \u00e0 r\u00e9flexions pour\nde jeunes c\u0153urs! Pardonnez toutes mes foiblesses \u00e0 l'aveu sinc\u00e8re que je\nvous en fais; et permettez que je vous parle de la petite. Elle est\ncharmante: tout ce qui m'en revient, m'emp\u00eache de me repentir de sa\nnaissance; et je crains que la pauvre petite n'en pleure plus que moi:\nsa figure embellit tous les jours; j'ai envoy\u00e9 Sophie sous pr\u00e9texte\nd'aller voir sa tante; elle y a \u00e9t\u00e9 quinze jours; elle en a \u00e9t\u00e9\nenchant\u00e9e; elle est ador\u00e9e de tout le couvent; elle a de la raison, de\nla bont\u00e9 et de la fermet\u00e9: on lui fit arracher quatre dents, elle ne\njeta aucun cri; on la loua; elle r\u00e9pondit: \u00e0 quoi m'auroit-il servi de\ncrier? ne falloit-il pas les arracher? Elle dit \u00e0 Sophie qu'elle \u00e9toit\nbien f\u00e2ch\u00e9e que je n'allasse pas cette ann\u00e9e la voir; qu'elle me prioit\nbien d'y venir l'autre; qu'elle me remercioit de toutes mes bont\u00e9s,\nqu'elle savoit que l'on m'importunoit souvent pour elle, et qu'elle\nferoit tout ce qu'elle pourroit, pour bien apprendre, et \u00eatre sage;\nqu'elle ne vouloit pas que je me rebutasse. Elle est tr\u00e8s-caressante; la\npauvre petite sent d\u00e9j\u00e0, je crois, le besoin qu'elle a de l'\u00eatre. Son\nbon ami est au d\u00e9sespoir de ne pouvoir pas la voir; il l'aime \u00e0 la\nfolie; il lui prend des envies d'aller la voir, que j'ai bien de la\npeine \u00e0 combattre. Nous travaillons \u00e0 lui faire une dot, en cas qu'elle\nne voul\u00fbt pas se faire religieuse: si Dieu nous pr\u00eate vie, elle pourra\navoir 40,000 livres et 400 livres de rente. Elle seroit tr\u00e8s-bien mari\u00e9e\nen province avec cela; mais gare au pot au lait! si elle avoit le\nmalheur de nous perdre, elle seroit bien \u00e0 plaindre: je la recommanderai\n\u00e0 _d'Argental_. Le chevalier a d\u00e9j\u00e0 plac\u00e9 2,000 \u00e9cus pour elle seule.\nAdieu, Madame, voil\u00e0 une lettre assez longue pour \u00eatre \u00e9crite de suite;\nmais je suis seule, et j'ai voulu en profiter pour causer long-temps\navec vous. Je vous envoie une petite bo\u00eete d'\u00e9caille, couleur de feu; je\nn'ai pu me refuser la satisfaction d'y prendre du tabac un jour, pour\nque vous disiez, quand vous en prendrez dedans, qu'elle a servi \u00e0 la\npersonne du monde qui vous aime le plus.\nLETTRE XVII.\nParis, 1726.\nJe boude de votre derni\u00e8re lettre. Vous m'accusez, avec la derni\u00e8re\ninjustice, de ne pas vous aimer, et vous ajoutez, que lorsque l'on aime,\nl'on adopte les sentimens et la fa\u00e7on de penser de nos amis. H\u00e9las!\nMadame, je vous ai vue malheureusement beaucoup trop tard. Ce que je\nvous ai dit cent fois, je vous le r\u00e9p\u00e9terai: d\u00e8s le moment que je vous\nai connue, j'ai senti pour vous la confiance et l'amiti\u00e9 la plus forte.\nJ'ai un sinc\u00e8re plaisir \u00e0 vous ouvrir mon c\u0153ur; je n'ai point rougi de\nvous confier toutes mes foiblesses; vous seule avez d\u00e9velopp\u00e9 mon \u00e2me;\nelle \u00e9toit n\u00e9e pour \u00eatre vertueuse: sans p\u00e9danterie, connoissant le\nmonde, ne le ha\u00efssant point, et sachant pardonner suivant les\ncirconstances, vous s\u00fbtes mes fautes, sans me m\u00e9sestimer. Je vous parus\nun objet qui m\u00e9ritoit de la compassion, et qui \u00e9toit coupable, sans\ntrop le savoir. Heureusement c'\u00e9toit aux d\u00e9licatesses, m\u00eame d'une\npassion, que je devois l'envie de conno\u00eetre la vertu. Je suis remplie de\nd\u00e9fauts; mais je respecte et j'aime la vertu. Ne m'\u00f4tez pas, par un\nsoup\u00e7on, ce m\u00e9rite-l\u00e0. Que je vous suis oblig\u00e9e d'aimer quelqu'un qui\npratique si mal les conseils que vous lui avez donn\u00e9s, et qui suit\nencore moins de si bons exemples! mais ma passion est forte, tout me la\njustifie. Il me semble que je serois ingrate, et que je dois conserver\nl'amiti\u00e9 du chevalier pour cette ch\u00e8re petite. Elle est un n\u0153ud qui\nentretient notre passion; souvent ce n\u0153ud me la fait envisager comme mon\ndevoir. Si vous \u00eates \u00e9quitable, croyez qu'il ne m'est pas possible de\nvous aimer plus que je vous aime. Non, vous n'en doutez point; j'ai pour\nvous l'amiti\u00e9 la plus tendre. Je vous aime comme ma m\u00e8re, ma s\u0153ur, ma\nfille, enfin, comme tout ce qu'on doit aimer: mon attachement pour vous\nrenferme tous les sentimens, l'estime, l'admiration et la\nreconnoissance; et rien ne peut jamais effacer de mon c\u0153ur une amie\naussi estimable que vous. Ne me dites donc plus des choses qui\nm'affligent.\nJ'ai retard\u00e9 de vous \u00e9crire, vous l'avouerai-je? dans le dessein de vous\npunir; mais je me suis assur\u00e9ment punie de ce sentiment de vengeance, en\nme privant de mon unique plaisir qui est de m'entretenir avec vous.\n_D'Argental_ vous assure de ses respects. La mort de la _Le Couvreur_\nl'a beaucoup occup\u00e9. Je vais vous conter toute cette histoire un peu au\nlong. Madame _de Bouillon_ est capricieuse, violente, emport\u00e9e,\nexcessivement galante: ses go\u00fbts s'\u00e9tendent depuis le prince jusqu'au\ncom\u00e9dien. Dans le mois dernier, elle se prit de fantaisie pour le comte\n_de Saxe_, qui n'en eut aucune pour elle. Ce n'est point qu'il se piqu\u00e2t\nde fid\u00e9lit\u00e9 pour la _Le Couvreur_, qui est depuis long-temps sa\nv\u00e9ritable inclination; car il avoit, avec cette passion, mille go\u00fbts\npassagers; mais il n'\u00e9toit ni flatt\u00e9, ni curieux de r\u00e9pondre aux\nemportemens de madame _de Bouillon_ qui fut outr\u00e9e de voir ses charmes\nm\u00e9pris\u00e9s, et qui ne mit pas en doute que la _Le Couvreur_ ne f\u00fbt\nl'obstacle qui s'opposoit \u00e0 la passion que le comte devoit avoir\nnaturellement pour elle. Pour d\u00e9truire cet obstacle, elle r\u00e9solut de se\nd\u00e9faire de la com\u00e9dienne. Elle fit faire des pastilles pour servir \u00e0 cet\nhorrible dessein, et elle choisit un jeune abb\u00e9 qu'elle ne connoissoit\npoint, pour \u00eatre l'instrument de sa vengeance. Cet abb\u00e9 a le talent de\npeindre. Il fut abord\u00e9 par deux hommes, aux Tuileries, qui lui\npropos\u00e8rent, apr\u00e8s une conversation assez longue, et qui rouloit sur sa\npauvret\u00e9, de se tirer de sa mis\u00e8re, et de s'insinuer, \u00e0 la faveur de son\nhabilet\u00e9 \u00e0 peindre, chez la _Le Couvreur_, et de lui faire manger des\npastilles que l'on lui donneroit. Le pauvre abb\u00e9 se d\u00e9fendit beaucoup\nsur la noirceur du crime. Les deux hommes lui r\u00e9pondirent qu'il ne\nd\u00e9pendoit plus de lui de refuser; qu'il lui en co\u00fbteroit la vie, s'il\nn'ex\u00e9cutoit pas ce qu'on lui demandoit. L'abb\u00e9, effray\u00e9, promit tout.\nOn le conduisit chez madame _de Bouillon_, qui lui confirma les\npromesses et les menaces, et lui remit les pastilles. L'abb\u00e9 demanda\nquelques jours pour l'ex\u00e9cution de ses projets. Mademoiselle _Le\nCouvreur_ re\u00e7oit un jour, en rentrant chez elle avec un de nos amis, et\nune com\u00e9dienne nomm\u00e9e _La Mothe_, une lettre anonyme, par o\u00f9 on la prie\ninstamment de venir seule, ou avec quelqu'un de s\u00fbr, au jardin du\nLuxembourg, et qu'au cinqui\u00e8me arbre d'une des grandes all\u00e9es, elle\ntrouvera un homme qui a des choses de la derni\u00e8re cons\u00e9quence \u00e0 lui\napprendre. Comme c'\u00e9toit pr\u00e9cis\u00e9ment l'heure du rendez-vous, elle\nremonte en carrosse, et y va avec les deux personnes qui \u00e9toient avec\nelle. Elle trouve l'abb\u00e9 qui l'aborde, et lui raconte l'odieuse\ncommission dont il est charg\u00e9, et qu'il est incapable d'un crime comme\ncelui-l\u00e0; mais qu'il est dans une grande perplexit\u00e9, parce qu'il \u00e9toit\ns\u00fbr d'\u00eatre assassin\u00e9. La _Le Couvreur_ lui dit qu'il falloit, pour la\ns\u00fbret\u00e9 de l'un et de l'autre, d\u00e9noncer toute cette affaire au lieutenant\nde police. L'abb\u00e9 r\u00e9pondit qu'il craignoit en le faisant, de se faire\ndes ennemis qui \u00e9taient trop puissans, pour qu'il y p\u00fbt r\u00e9sister; mais\nque du moment qu'elle croyoit cette pr\u00e9caution n\u00e9cessaire pour sa vie,\nil ne balan\u00e7oit point \u00e0 soutenir ce qu'il lui avoit dit. La _Le\nCouvreur_ le mena dans son carrosse chez _M. H\u00e9rault_, lieutenant de\npolice, qui, sur l'exposition du fait, demanda \u00e0 l'abb\u00e9 les pastilles,\net les jeta \u00e0 un chien qui creva un quart d'heure apr\u00e8s. Il lui demanda\nensuite laquelle des deux _Bouillon_ lui avoit donn\u00e9 cette commission;\net, quand l'abb\u00e9 lui r\u00e9pondit que c'\u00e9toit la duchesse, il n'en fut point\nsurpris. M. _H\u00e9rault_ continua \u00e0 le questionner, et lui demanda s'il\noseroit s'exposer \u00e0 soutenir cette affaire. L'abb\u00e9 lui r\u00e9pondit qu'il\npouvoit le faire mettre en prison, et le confronter avec madame _de\nBouillon_. Le lieutenant de police les renvoya, et fut instruire le\ncardinal de cette aventure: celui-ci fut tr\u00e8s-irrit\u00e9; il vouloit, dans\nles premiers momens, qu'on instruis\u00eet cette affaire avec beaucoup de\ns\u00e9v\u00e9rit\u00e9; mais les parens et les amis de la maison _de Bouillon_\npersuad\u00e8rent au cardinal de ne point mettre au jour une chose aussi\nscandaleuse que celle-l\u00e0; et l'on parvint \u00e0 l'assoupir. Au bout de\nquelques mois, on ne sait ni par o\u00f9, ni comment cette aventure fut\npublique. Elle fit un bruit horrible. Le beau-fr\u00e8re de madame _de\nBouillon_ en parla \u00e0 son fr\u00e8re, et lui dit qu'il falloit absolument que\nsa femme se lav\u00e2t d'un pareil soup\u00e7on, et qu'il devoit demander une\nlettre de cachet pour faire enfermer l'abb\u00e9; il ne fut point difficile\nd'obtenir cette lettre de cachet: on arr\u00eata le pauvre malheureux, et on\nle mena \u00e0 la Bastille. On le questionna; il soutint avec fermet\u00e9 ce\nqu'il avoit dit. On lui fit beaucoup de menaces et bien des promesses,\ns'il vouloit se d\u00e9dire. On lui proposa toutes sortes d'exp\u00e9diens, comme\nde folie, ou de passion pour la _Le Couvreur_, qui l'auroit engag\u00e9 \u00e0\nfaire cette fable pour s'en faire aimer. Rien ne l'\u00e9branla, et il ne\nvaria jamais dans ses r\u00e9ponses. On le garda en prison. La _Le Couvreur_\n\u00e9crivit au p\u00e8re de l'abb\u00e9, qui demeuroit en province, et qui ignoroit le\nmalheur de son fils. Le pauvre homme vint tout de suite \u00e0 Paris,\nsollicita et demanda que l'on f\u00eet le proc\u00e8s dans les formes \u00e0 son fils,\nou qu'on lui rend\u00eet la libert\u00e9. Il s'adressa au cardinal, qui demanda \u00e0\nmadame _de Bouillon_ si elle vouloit que l'on instruis\u00eet cette affaire,\nparce que l'on ne pouvoit le retenir en prison sans cela. Madame _de\nBouillon_ redoutoit les \u00e9claircissemens; et, comme elle ne pouvoit le\nfaire assassiner \u00e0 la Bastille, elle consentit \u00e0 son \u00e9largissement.\nPendant deux mois que le p\u00e8re est rest\u00e9 \u00e0 Paris, on n'a rien dit au\nfils. Le p\u00e8re \u00e9tant retourn\u00e9 chez lui, l'abb\u00e9 a eu l'imprudence de\nrester \u00e0 Paris. Il a disparu tout \u00e0 coup: on ne sait s'il est mort; on\nn'en entend plus parler. Depuis cela, la _Le Couvreur_ a \u00e9t\u00e9 sur ses\ngardes. Un jour, \u00e0 la com\u00e9die, apr\u00e8s la grande pi\u00e8ce, madame _de\nBouillon_ lui envoya dire de venir dans sa loge. La _Le Couvreur_ fut\nextr\u00eamement surprise, et r\u00e9pondit qu'elle \u00e9toit dans un d\u00e9shabill\u00e9 qui\nne lui permettoit pas de paro\u00eetre devant elle. La duchesse envoya une\nseconde fois. A cette seconde semonce, elle r\u00e9pondit que si elle lui\npardonnoit de paro\u00eetre, le public ne le lui pardonneroit pas; mais\nqu'elle se tiendroit sur son passage, quand elle sortiroit, pour lui\nob\u00e9ir. Madame _de Bouillon_ lui fit dire de n'y pas manquer, et en\nsortant, elle la trouva, lui fit toutes sortes de caresses, lui donna\nbeaucoup de louanges sur son jeu, et l'assura qu'elle avoit eu un\nplaisir infini \u00e0 lui voir ex\u00e9cuter aussi bien le r\u00f4le qu'elle avoit\njou\u00e9. Quelque temps apr\u00e8s, la _Le Couvreur_ se trouva mal, au milieu\nd'une pi\u00e8ce que l'on ne put achever. Quand le com\u00e9dien vint en faire\ncompliment, tout le parterre demanda de ses nouvelles avec empressement.\nDepuis ce jour, elle a d\u00e9p\u00e9ri et maigri horriblement. Enfin, le dernier\njour qu'elle a jou\u00e9, elle faisoit _Jocaste_ dans _l'OEdipe_ de\n_Voltaire._ Le r\u00f4le est assez fort. Avant de commencer, il lui prit une\ndyssenterie si forte, que pendant la pi\u00e8ce, elle fut vingt fois \u00e0 la\ngarde-robe, et rendoit le sang pur. Elle faisoit piti\u00e9, de l'abattement\net de la foiblesse dont elle \u00e9toit; et quoique j'ignorasse son\nincommodit\u00e9, je dis deux ou trois fois \u00e0 madame _de Parab\u00e8re_, qu'elle\nme faisoit grand'piti\u00e9. Entre les deux pi\u00e8ces, on nous dit son mal. Ce\nqui nous surprit, c'est qu'elle reparut \u00e0 la petite pi\u00e8ce, et joua, dans\n_le Florentin_, un r\u00f4le tr\u00e8s-long et tr\u00e8s-difficile, et dont elle\ns'acquitta \u00e0 merveille, et o\u00f9 elle paroissoit se divertir elle-m\u00eame. On\nlui sut un gr\u00e9 infini d'avoir continu\u00e9, pour que l'on ne d\u00eet pas, comme\non l'avoit fait autrefois, qu'elle avoit \u00e9t\u00e9 empoisonn\u00e9e. La pauvre\ncr\u00e9ature s'en alla chez elle, et quatre jours apr\u00e8s, \u00e0 une heure\napr\u00e8s-midi, elle mourut, lorsqu'on la croyoit hors d'affaire: elle eut\ndes convulsions: chose qui n'arrive jamais dans les dyssenteries: elle\nfinit comme une chandelle. On l'a ouverte. On lui a trouv\u00e9 les\nentrailles gangren\u00e9es. On pr\u00e9tend qu'elle a \u00e9t\u00e9 empoisonn\u00e9e dans un\nlavement. Son testament a \u00e9t\u00e9 fait quatre mois avant sa mort. On ne\ndoute point qu'elle n'e\u00fbt quitt\u00e9 la com\u00e9die \u00e0 la cl\u00f4ture. Tout le public\na une grande compassion de sa mis\u00e9rable fin. Si la dame soup\u00e7onn\u00e9e f\u00fbt\nvenue \u00e0 la com\u00e9die, dans ces entrefaites, elle auroit \u00e9t\u00e9 chass\u00e9e du\nspectacle. Elle a eu le front d'envoyer \u00e0 la porte de la _Le Couvreur_\ntous les jours, savoir de ses nouvelles. Elle a fait _d'Argental_\nex\u00e9cuteur de son testament; il a eu assez d'esprit pour se mettre\nau-dessus du ridicule, et il a \u00e9t\u00e9 approuv\u00e9 des gens sages. M. _Bertie_\ndit qu'il a tr\u00e8s-bien fait; qu'un honn\u00eate homme ne doit jamais refuser\nles occasions de faire du bien. Vous pouvez \u00eatre assur\u00e9e de tout ce que\nje viens de vous conter, je le tiens d'un ami de la _Le Couvreur_[195].\nAdieu, Madame, ne doutez plus, s'il vous pla\u00eet, de tout mon\nattachement.\nLETTRE XVIII.\nJ'ai re\u00e7u la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'\u00e9crire, en\nr\u00e9ponse \u00e0 un gros paquet que je craignois bien qui ne f\u00fbt perdu. Le\nnouveau t\u00e9moignage de votre amiti\u00e9 me comble de joie, et je recevrai\nvotre \u00e9cran avec transport, puisque c'est de l'ouvrage de ce que j'aime;\ncependant je me plains des souvenirs trop fr\u00e9quens qu'il me donnera de\nvous. Je vous le dis avec v\u00e9rit\u00e9; j'ai autant de douleur de vous avoir\nperdue, que de joie de vous avoir pour amie: ces deux sentimens me\ncombattent furieusement, et si je n'avois pas l'esp\u00e9rance de vous\nrevoir un jour, je ne sais en v\u00e9rit\u00e9 si je voudrois vous avoir connue.\nVous m'avez rendue si difficile, que je suis toujours en col\u00e8re.\nPourquoi tous les c\u0153urs ne sont-ils pas faits comme le v\u00f4tre, ou du\nmoins pourquoi n'ont-ils pas une de vos bonnes qualit\u00e9s? Tout leur\nmanque, probit\u00e9 in\u00e9branlable, sagesse, douceur, justice; tout n'est\nqu'apparence chez les hommes: le masque tombe \u00e0 la plus petite occasion.\nLa probit\u00e9 n'est qu'un nom dont ils se parent; ils paroissent justes, et\nce n'est que pour condamner la conduite des autres; de la douceur qui\nn'est qu'aigreur, de la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 qui n'est que prodigalit\u00e9, de la\ntendresse qui n'est que foiblesse: et toutes ces choses-l\u00e0 me font\nr\u00e9p\u00e9ter \u00e0 tous les instans, que votre \u00e2me est capable de vertu dans sa\nperfection. Je m'aper\u00e7ois que je blesse votre modestie: mes mouvemens du\nc\u0153ur vous sont connus; vous savez que je dis toutes ces choses, parce\nque je les pense, et que je n'ai jamais su flatter aux d\u00e9pens de la\nv\u00e9rit\u00e9: pardonnez en faveur de mon attachement, la petite honte que vous\navez eue, en lisant vos louanges. Vous m'avez rendue comme M. le duc\n_d'Orl\u00e9ans_, \u00e0 la diff\u00e9rence pr\u00e8s que je ne suis pas si perverse que\nlui, et que je crois qu'il y a une personne dans le monde v\u00e9ritablement\nraisonnable. Il croyoit tout le monde malhonn\u00eates gens; je suis bien\npr\u00eate \u00e0 penser comme lui; cela me met tr\u00e8s-souvent de mauvaise humeur,\net je finis par vouloir devenir philosophe, trouver tout indiff\u00e9rent, ne\nm'affliger de rien, et t\u00e2cher d'\u00eatre raisonnable pour ma propre\nsatisfaction et pour la v\u00f4tre. Je travaille tr\u00e8s-s\u00e9rieusement \u00e0 me\nrendre heureuse, \u00e0 ne plus me chagriner; je sens que j'ai plus de besoin\nque jamais d'avoir du courage. La mauvaise humeur r\u00e8gne ici \u00e0 un point\ninsoutenable; je me suis gendarm\u00e9e: je vois que cela tourne contre moi.\nLe public est tr\u00e8s-s\u00e9v\u00e8re, parce qu'il ne juge que sur l'\u00e9tiquette du\nsac, et mes peines lui paroissent petites: il lui semble que ce n'est\nque des bagatelles; mais h\u00e9las! rien n'est bagatelle, quand cela revient\ntous les jours. Je suis honteuse de me plaindre, quand je vois tant de\npersonnes qui valent bien mieux que moi, et qui sont bien autrement\nmalheureuses. Il est temps de vous amuser un peu: il est arriv\u00e9 ici deux\npetites aventures que j'aurai du plaisir \u00e0 vous conter, parce que vous\nen aurez \u00e0 les lire.\nUn gentilhomme de P\u00e9rigord, fort riche, se maria, il y a plusieurs\nann\u00e9es, avec une demoiselle qui mourut, sans lui laisser d'enfans. Les\nparens de sa femme le pens\u00e8rent ruiner pour la dot, et eurent des\nproc\u00e9d\u00e9s si inf\u00e2mes avec lui, qu'il en eut beaucoup de chagrin, et en\nfut malade. Cet homme avoit du go\u00fbt pour le sacrement; mais ce qu'il\navoit essuy\u00e9 le fit r\u00e9soudre de prendre une femme sans parens. Il\n\u00e9crivit \u00e0 l'H\u00f4tel-Dieu, et pria l'un des directeurs de lui chercher une\nfille trouv\u00e9e, de 17 \u00e0 22 ans, grande, bien faite, brune, les yeux\nnoirs, les dents belles, et qu'il l'\u00e9pouseroit. Le directeur montra\ncette lettre \u00e0 M. _d'Argenson_, lieutenant de police, qui lui dit de\nfaire sa commission. Il la fait: on dresse le contrat de mariage; le\ngentilhomme l'\u00e9pouse; il en a eu trois enfans. Au bout de quelques\nann\u00e9es, elle meurt. Son deuil fini, il r\u00e9crit \u00e0 un autre des directeurs\nde l'H\u00f4tel-Dieu, le pr\u00e9c\u00e9dent \u00e9tant mort. Il le prie de lui chercher une\nfille de 38 \u00e0 40 ans, blonde, grasse, fra\u00eeche et d'un bon temp\u00e9rament;\nqu'il avoit pass\u00e9 les jours du monde les plus heureux avec celle qu'on\nlui avoit d\u00e9j\u00e0 choisie, et qu'il ne doutoit pas qu'il ne chois\u00eet aussi\nbien que l'ancien directeur, auquel il s'\u00e9toit adress\u00e9 la premi\u00e8re fois.\nCelui-ci va chez M. _H\u00e9rault_, lieutenant de police, et montre la lettre\nqu'il vient de recevoir. M. _H\u00e9rault_ lui dit comme M. _d'Argenson_, de\nfaire sa commission, qui \u00e9toit difficile, parce que toutes les filles\nsont \u00e9tablies \u00e0 cet \u00e2ge-l\u00e0. Il trouva enfin une s\u0153ur grise qui \u00e9toit\ntelle qu'on la lui demandoit. Une des princesses _de Conti_ a sign\u00e9 au\ncontrat de mariage, il y a un mois. Voici l'autre histoire.\nIl y a un homme qui demeure aux environs des quais, qui, depuis sept \u00e0\nhuit ans, se prom\u00e8ne d\u00e8s une heure jusqu'\u00e0 six, sur un des quais, sans\njamais y avoir manqu\u00e9 d'un jour, quelque temps qu'il f\u00eet. M. _H\u00e9rault_\nen ayant \u00e9t\u00e9 averti, lui envoya dire qu'il v\u00eent lui parler. Cet homme\nlui fit r\u00e9pondre qu'il n'iroit point, n'ayant rien \u00e0 faire avec la\npolice. M. _H\u00e9rault_ s'y transporta, monta dans une chambre au\nquatri\u00e8me, y trouva cet homme assis contre une table, qui lisoit, sa\nchambre garnie de livres. Il lui demanda pourquoi il n'\u00e9toit pas venu\nchez lui, quand il le lui avoit fait dire. \u00abMonsieur, lui r\u00e9pondit cet\nhomme, je n'ai point l'honneur d'\u00eatre de vos amis; et, Dieu merci! je\nn'ai rien \u00e0 d\u00e9m\u00ealer avec la justice.--Il est vrai, lui r\u00e9pondit M.\n_H\u00e9rault_, qu'il ne m'est point revenu que vous fissiez du mal; mais\npourquoi vous promener r\u00e9guli\u00e8rement, \u00e0 la m\u00eame heure, tous les jours,\nsur le quai?--Parce que cela me fait du bien, lui repartit le\npromeneur. Pour vous \u00e9claircir ma conduite, ajouta-t-il, je vous dirai,\nMonsieur, que je suis tr\u00e8s-bon gentilhomme (il lui dit son nom); je\njouissois de 25,000 livres de rente; le syst\u00e8me est venu, et il ne m'est\nrest\u00e9 que 500 livres de rente. J'ai pris un genre de vie proportionn\u00e9 \u00e0\nmon revenu; j'ai gard\u00e9 mes livres, l'air de la rivi\u00e8re me convient, et\nje suis venu m'\u00e9tablir dans cette chambre. Un peu de vanit\u00e9 m'a engag\u00e9 \u00e0\nchanger de nom; je d\u00eene tous les jours \u00e0 midi avec du b\u0153uf \u00e0 la mode,\nqui est excellent dans ce quartier; je me l\u00e8ve de bonne heure; j'emploie\nma matin\u00e9e \u00e0 lire; et, quand j'ai d\u00een\u00e9, je vais prendre l'air sur le\nquai. Je suis tr\u00e8s-heureux, je ne d\u00e9pends de personne, et je ne d\u00e9range\npoint ma sant\u00e9 par cet exact r\u00e9gime.\u00bb M. _H\u00e9rault_ trouva cet homme de\ntr\u00e8s-bon sens. Il conta un jour cela au cardinal, qui lui dit: \u00abMais si\ncet homme tomboit malade, il n'auroit pas de quoi se faire soigner;\ndites-lui que le roi lui donne 300 livres de pension.\u00bb M. _H\u00e9rault_ lui\nenvoya dire de venir chez lui, se faisant beaucoup de plaisir de lui\napprendre cette bonne nouvelle; mais l'homme lui fit r\u00e9pondre qu'il ne\npouvoit y aller, demeurant trop loin de chez lui. M. _H\u00e9rault_ y\nretourna pour la seconde fois, et lui dit que le roi lui donnoit 300\nlivres. Il les refusa, disant qu'il s'\u00e9toit arrang\u00e9 avec 500 livres, et\nqu'il n'en vouloit pas davantage. Malgr\u00e9 ce genre de vie qui paro\u00eet\ntriste, cet homme est fort gai. Il a deux amis, gens d'esprit, qui vont\nsur le quai pour causer avec lui. Il a beaucoup de connoissance du\nmonde, du savoir, l'esprit simple et un talent singulier pour conno\u00eetre,\n\u00e0 la physionomie, le m\u00e9tier des gens qui passent. Il dira, par exemple:\n\u00abVoil\u00e0 le ma\u00eetre d'h\u00f4tel d'un \u00e9v\u00eaque, en voil\u00e0 un d'un financier; voici\nun chevalier d'industrie; celui-l\u00e0 est Gascon, celui-ci est Breton,\u00bb\nainsi des autres. Adieu, ma ch\u00e8re madame; en voil\u00e0 assez pour\naujourd'hui. Je vous baise les mains mille fois.\nLETTRE XIX.\nParis, 1729.\nJe viens d'apprendre, Madame, la perte que vous avez faite de M. _de\nCambiac_. Sans savoir ses dispositions, je prends part \u00e0 votre\naffliction. Je connois la bont\u00e9 de votre c\u0153ur; vous serez toujours\nafflig\u00e9e, de quelque fa\u00e7on qu'il en agisse avec vous. J'esp\u00e8re que je\nn'aurai rien \u00e0 reprocher \u00e0 sa m\u00e9moire, et qu'il vous aura rendu justice;\nj'en attends la nouvelle avec impatience. J'ai couru risque de me\ntrouver \u00e0 sa mort. Si le projet que l'on avoit fait d'aller \u00e0\nPont-de-Vesle n'avoit pas \u00e9t\u00e9 renvoy\u00e9, je l'aurois vu mourir.\nJ'attendois d'\u00eatre s\u00fbre de mon voyage; c'est la raison qui m'a emp\u00each\u00e9e\nde vous \u00e9crire. Je voulois vous le mander positivement; mais il y a\ntrois mois que l'on en parle, et il n'y a pas de jour depuis ce temps-l\u00e0\nque le projet ne change quatre ou cinq fois. Voil\u00e0 o\u00f9 nous en sommes.\nIl est vrai que le temps de notre d\u00e9part a \u00e9t\u00e9 fix\u00e9 au dix du mois\nprochain; il seroit temps de se pr\u00e9parer pour les paquets. Vous devez\njuger de l'empressement que j'ai que ce projet s'ex\u00e9cute, puisque\nj'aurois le bonheur de vous voir, et de vous assurer de mon respectueux\nattachement. Il n'y a rien de si joli que mon \u00e9cran; je ne permets pas \u00e0\ntout le monde de s'en servir. Je vis avec madame votre fille qui est\ninfiniment aimable; sa vertu, sa douceur, sa ga\u00eet\u00e9 la rendent charmante;\nsa figure est toujours tr\u00e8s-belle, et, en v\u00e9rit\u00e9, vous la trouverez\nencore mieux. Son teint est plus d\u00e9m\u00eal\u00e9, et elle a des couleurs \u00e0 croire\nqu'elle met du rouge; et toute connoisseuse que je suis pour cet\nornement, j'y ai \u00e9t\u00e9 tromp\u00e9e au point que je n'ai pu m'emp\u00eacher de lui\nfrotter les joues, pour voir si elle n'en mettoit point. Elle a fait\nraccommoder son portrait qui est \u00e0 merveille \u00e0 pr\u00e9sent: elle est tent\u00e9e\nd'en faire faire une copie pour vous la porter. Si je ne vais pas \u00e0\nGen\u00e8ve cette ann\u00e9e, je la prierai de se charger du mien que je fais\nfaire pour vous. Il sera en petit, c'est-\u00e0-dire, d'un pied-de-haut, sur\nneuf pouces environ de large. Nous sommes en guerre ouverte, madame _de\nTencin_ et moi, c'est-\u00e0-dire, elle me l'a d\u00e9clar\u00e9e; pour moi, je me\ntiens coite; et quand je suis forc\u00e9e d'en parler, mes discours sont\ntranquilles et humbles; mais je tiens bon pour ne pas demander pardon,\nparce que je suis offens\u00e9e, et que j'ai assez de ma\u00eetres, sans m'en\ndonner de ga\u00eet\u00e9 de c\u0153ur. Je la fais plus enrager par cette conduite, que\nsi je me d\u00e9cha\u00eenois contre elle. M. son fr\u00e8re a tenu bon \u00e0 toutes les\nattaques qu'elle a faites contre moi. Je ne lui en ai pas ouvert la\nbouche, except\u00e9 une fois qu'il m'en parla devant madame _de Ferriol_. Je\nlui r\u00e9pondis avec toute la mod\u00e9ration imaginable, et je finis par lui\ndire que j'avois esp\u00e9r\u00e9 que toutes ces tracasseries n'iroient point\njusqu'\u00e0 ses oreilles; que j'\u00e9tois \u00e9tonn\u00e9e qu'on lui en e\u00fbt parl\u00e9; qu'il\npouvoit bien me rendre la justice, que jamais je ne m'\u00e9tois plainte \u00e0\nlui de tout ce qu'on me faisoit. Cette conversation produisit une sc\u00e8ne\ntr\u00e8s-vive entre le fr\u00e8re et la s\u0153ur. Cette derni\u00e8re eut beau se\nplaindre, et tourner mes discours malignement, il la fit taire. Madame\nvotre fille vous contera tout cela qui seroit trop long \u00e0 \u00e9crire. Je\nsuis enfin contente de l'archev\u00eaque. Je connois bien son c\u0153ur; je\nl'aimerai et l'estimerai toute ma vie. A propos, il y a long-temps que\nvous me demandez des vers que vous m'aviez pr\u00eat\u00e9s, relatifs \u00e0 la mort de\nmadame votre m\u00e8re. Je les trouvai l'autre jour dans ma cassette; je les\njoins \u00e0 cette lettre. La poste part; il ne me reste que le temps de vous\nassurer de mon tr\u00e8s-humble respect.\nLETTRE XX.\nPont-de-Vesle, 1729.\nNous voil\u00e0 enfin arriv\u00e9s \u00e0 Pont-de-Vesle. Jugez, Madame, de ma joie.\nJ'aurai donc le plaisir de vous voir et de vous embrasser bient\u00f4t:\nj'ignore encore le moment o\u00f9 je jouirai de ce bonheur. J'attends que M.\n_de Pont-de-Vesle_ soit ici, et les lettres de l'archev\u00eaque, pour\nm'arranger. D'ailleurs madame votre fille est actuellement avec vous:\ncela vous partageroit trop; je veux la laisser \u00e9tablir. Nous avons tous\neu bien du regret de ne l'avoir pas eue ici quelques jours. Monsieur son\nmari me vint voir le lendemain de son d\u00e9part. Il m'attendrit beaucoup;\nje le trouvai si touch\u00e9, et en m\u00eame temps si raisonnable, si rempli de\nconsid\u00e9ration et d'estime pour madame votre fille, que me connoissant,\nvous devez juger si je fondis en larmes. Il faut d\u00e9dommager cette\naimable femme de tous ses malheurs. Elle trouvera des parens, des amies\nqui l'aiment bien tendrement. Mais, h\u00e9las! il en feroit plus de cas, si\nelle revenoit avec une fortune brillante. On pense de cette fa\u00e7on \u00e0\nParis; et je crois que les hommes sont partout les m\u00eames. Pour vous,\nMadame, votre tendresse et votre bont\u00e9 vous la feront recevoir avec bien\nde la joie. C'est une grande douceur pour une m\u00e8re de vivre avec une\nfille telle que la v\u00f4tre. Je vous la recommande comme ma s\u0153ur bien\naim\u00e9e. Plaisante recommandation, penserez-vous! en a-t-elle besoin?\nn'est-elle pas ma fille, et une fille que j'aime tendrement?\nJ'avois laiss\u00e9 ma lettre pour recevoir M. _de Pont-de-Vesle_ qui vient\nd'arriver dans ce moment; il vous assure de ses respects. Je suis libre,\net je serai bient\u00f4t aupr\u00e8s de vous. Pr\u00e9parez-vous \u00e0 me trouver chang\u00e9e;\nje ne m'en soucie que pour vous que j'aime, et respecte de tout mon\nc\u0153ur.\nLETTRE XXI.\nPont-de-Vesle, 1729.\nJe ne puis vous dire, Madame, la douleur o\u00f9 je suis de vous avoir\nquitt\u00e9e. J'ai le c\u0153ur si gros et si serr\u00e9, que j'ai cru \u00e9touffer; la\ncrainte de vous trop attendrir, m'a fait me contraindre, en me s\u00e9parant\nde vous; j'ai fait ce que j'ai pu, pour que vous ne vissiez pas couler\nmes larmes; mais j'en ai gagn\u00e9 un mal de t\u00eate affreux. Si je n'avois pas\nla certitude de vous revoir, je ne sais pas, en v\u00e9rit\u00e9, de quoi je\nserois capable: les r\u00e9flexions morales m'accablent. La vie me paro\u00eet si\ncourte, pour essuyer de si grandes peines, que je ne veux plus faire de\nconnoissances, dans la crainte de m'exposer \u00e0 la peine o\u00f9 je suis; mais\ntout cela se d\u00e9truit \u00e0 mesure que je le pense. Je me dis que je ne\ntrouverai jamais d'amie qui m\u00e9rite d'\u00eatre aim\u00e9e sur tous les points,\ncomme vous; je ne pense plus \u00e0 la retraite: mes id\u00e9es l\u00e0-dessus sont\n\u00e9vanouies. Je me priverois par l\u00e0 absolument de l'esp\u00e9rance de vous\naller voir souvent: et d'ailleurs, Madame, je sens trop les cons\u00e9quences\nde ce parti-l\u00e0. Depuis que nous en avons parl\u00e9 ensemble, je puis me\nconduire aussi bien dans le monde, et m\u00eame mieux. Plus ma t\u00e2che est\ndifficile, plus il y a de m\u00e9rite \u00e0 la remplir, et je dois, par\nreconnoissance, rester aupr\u00e8s de madame _de Ferriol_, qui a besoin de\nmoi. H\u00e9las! Madame, je me rappelle sans cesse notre conversation dans\nvotre cabinet: je fais des efforts qui me tuent. Tout ce que je puis\nvous promettre, c'est de ne rien \u00e9pargner pour que l'une des choses\narrive; mais, Madame, il m'en co\u00fbtera peut-\u00eatre la vie; car pour les\nesp\u00e9rances, elles sont si \u00e9loign\u00e9es, que je mourrai peut-\u00eatre de\nvieillesse avant qu'elles arrivent. On m'a charg\u00e9e de cent mille jolies\nchoses pour vous; il est juste que je vous en fasse part. Voici deux\narticles de ses lettres.\n\u00abMille respects \u00e0 votre amie: assurez-la qu'il y a tant de sympathie\nentre votre fa\u00e7on de penser et la mienne qu'il ne me seroit pas possible\nde ne pas partager avec vous les sentimens que vous avez pour elle.\u00bb\nDans une pr\u00e9c\u00e9dente, que je re\u00e7us \u00e0 Lyon.\n\u00abJe vous f\u00e9licite du plaisir que vous avez eu de voir et d'embrasser\nmadame _Saladin_. Je connois votre c\u0153ur, et je ne suis pas surpris des\nlarmes que la joie vous a fait r\u00e9pandre. J'en ai r\u00e9pandu aussi, ma ch\u00e8re\n_A\u00efss\u00e9_, en lisant votre lettre, et je n'ai pas \u00e9t\u00e9 plus touch\u00e9 de la\npeinture que vous faites de vos transports, que de l'empressement avec\nlequel madame _Saladin_ vous a re\u00e7ue. Dites-lui bien, je vous prie, que\nj'ai une extr\u00eame reconnoissance des marques de son souvenir: le go\u00fbt que\nl'on a pour la vertu, doit \u00eatre la mesure du respect que l'on a pour\nelle. Je la crois trop juste, et je lui crois trop de sentimens, pour\ncondamner l'amiti\u00e9 que vous avez pour moi. Si vous pouviez lui peindre\nl'attachement que j'ai pour vous, ma ch\u00e8re _Silvie_! dites-lui bien\nqu'il n'y a jamais eu, et qu'il n'y aura jamais un moment dans ma vie o\u00f9\nje cesse de de vous aimer. Demeurez \u00e0 Gen\u00e8ve tout le temps que vous\npourrez; je regrette moins votre absence; j'imagine que votre sant\u00e9 y\nest en s\u00fbret\u00e9. Je suis en peine des fatigues du retour Conservez-vous,\nma ch\u00e8re _A\u00efss\u00e9_. Aimez-moi; c'est l\u00e0 le v\u00e9ritable fondement du bonheur\nde ma vie.\u00bb\nVoil\u00e0, Madame, bien des choses qui blessent ma modestie; mais aussi je\nserai plus excusable \u00e0 combattre si lentement. H\u00e9las! que l'on est\nheureuse, quand on a assez de vertu pour surmonter de pareilles\nfoiblesses; car, enfin, il en faut infiniment pour r\u00e9sister \u00e0 quelqu'un\nque l'on trouve aimable, et quand on a eu le malheur de n'y pouvoir\nr\u00e9sister. Couper au vif une passion violente, une amiti\u00e9 la plus tendre\net la mieux fond\u00e9e! Joignez \u00e0 tout cela de la reconnoissance, c'est\neffroyable! La mort n'est pas pire. Cependant vous voulez que je fasse\ndes efforts: je les ferai; mais je doute de m'en tirer avec honneur, ou\nla vie sauve. Je crains de retourner \u00e0 Paris. Je crains tout ce qui\nm'approche du chevalier, et je me trouve malheureuse d'en \u00eatre \u00e9loign\u00e9e.\nJe ne sais ce que je veux. Pourquoi ma passion n'est-elle pas permise?\npourquoi n'est-elle pas innocente?\nMandez-moi au plut\u00f4t de vos nouvelles. Permettez que je vous embrasse\nmille fois, et de tout mon c\u0153ur. Beaucoup d'amiti\u00e9s \u00e0 mesdames vos\nfilles. Je les embrasse toutes; souvenez-vous de votre _A\u00efss\u00e9_, et soyez\npersuad\u00e9e de tout son attachement, et de tout son respect pour vous; il\nest extr\u00eame.\nLETTRE XXII.\nPont-de-Vesle, 1729.\nJ'ai retard\u00e9 de vous \u00e9crire, parce que j'ai \u00e9t\u00e9 assez incommod\u00e9e; j'ai\neu une colique tr\u00e8s-violente. Je n'ai pas manqu\u00e9 de dire que c'\u00e9toit\nvous qui m'aviez pr\u00e9serv\u00e9e; car je n'ai eu aucun mal \u00e0 Gen\u00e8ve, mes maux\nont respect\u00e9 ma joie; ils feroient bien mieux de ne pas se m\u00ealer \u00e0 ma\ndouleur. Je vous ai quitt\u00e9e, Madame, avec un chagrin extr\u00eame. Vos\nlettres m'ont serr\u00e9 le c\u0153ur et ont renouvel\u00e9 mes larmes. A chaque\ninstant, je me rappelle la douceur, la tranquillit\u00e9, la candeur avec\nlaquelle j'ai pass\u00e9 ce peu de temps aupr\u00e8s de vous. J'ai trouv\u00e9 les\npersonnes avec qui je vivois \u00e0 Gen\u00e8ve, selon les premi\u00e8res id\u00e9es que\nj'avois des hommes, et non pas selon mon exp\u00e9rience. Je me retrouve\npresque moi-m\u00eame, comme dans le moment que j'entrois dans le monde,\nsans humeur, sans peines, sans chagrins. Combien tout a chang\u00e9! que les\nhabitans de ces lieux sont diff\u00e9rens de ceux des v\u00f4tres! je n'ai pas eu\nun moment de bonne humeur depuis notre s\u00e9paration. J'ai retrouv\u00e9 ici des\ncoliques, le serein, les concerts, les puces, les rats, et qui pis est,\ndes hommes, non pas de l'ancienne roche, mais de la nouvelle.\nTenons-nous-en aux r\u00e9flexions g\u00e9n\u00e9rales. Vous me pardonnerez bien de ne\npas entrer sur cette mati\u00e8re dans des d\u00e9tails.\nVous m'affligez beaucoup de m'apprendre que madame votre belle-s\u0153ur\n_P...._ est malade: je sais combien vous l'aimez, et je l'estime et\nl'aime de tout mon c\u0153ur. J'ai fait vos complimens \u00e0 l'archev\u00eaque[196],\net aux autres qui vous en remercient. Ce premier m'a fait beaucoup de\nquestions sur mon s\u00e9jour aupr\u00e8s de vous, sur la douleur de nous s\u00e9parer,\net sur votre ville; il se flatte qu'on l'aime un peu dans ce pays. Je\nn'ai pas manqu\u00e9 de lui dire que l'on m'avoit demand\u00e9 de ses nouvelles.\nJ'ai nomm\u00e9 les gens qu'il dit ses amis. Il m'a grond\u00e9e de ne lui avoir\npas emprunt\u00e9 sa liti\u00e8re pour vous aller voir, qu'il y seroit all\u00e9\nlui-m\u00eame tr\u00e8s-volontiers, vous aimant beaucoup. Il me fit faire la\ndescription de votre maison de campagne, de la fa\u00e7on dont vous viviez en\nville, en un mot, il s'informa de tout, soit par amiti\u00e9 pour vous, soit\npour me dire de choses obligeantes. Il y r\u00e9ussit tr\u00e8s-bien; car je lui\nsus le meilleur gr\u00e9 du monde de toutes ses questions. Pour sa s\u0153ur, elle\nne m'en fit que tr\u00e8s-peu: elle cherchoit des discours pour elle, et rien\nautre chose. M. _de Pont-de-Vesle_ partage de tout son c\u0153ur mon\nenthousiasme.\nNous passons d'ailleurs notre temps ici assez tristement. Le matin,\napr\u00e8s la messe, l'archev\u00eaque s'enferme avec un j\u00e9suite jusqu'\u00e0 d\u00eener.\nApr\u00e8s le d\u00eener, une partie de quadrille, pleine de rapine et d'aigreur:\nle tout pour cinq sous que l'on ne paie point; toujours une compagnie\nde la ville peu divertissante, et \u00e0 qui il faut faire autant de\nc\u00e9r\u00e9monies qu'\u00e0 des intendans. Sur le soir, on va se promener. La\nma\u00eetresse du logis et moi, nous restons, l'une \u00e0 lire, l'autre \u00e0\ntricoter, ou \u00e0 d\u00e9couper. Apr\u00e8s la promenade, un concert qui arrache les\noreilles. On soupe tr\u00e8s-mal; on n'a ni bons poissons, ni des amies.\nSongez-vous bien \u00e0 la diff\u00e9rence de ce s\u00e9jour \u00e0 Gen\u00e8ve pour moi, et\ncombien j'ai de raisons de vous regretter?\nVous pouvez m'\u00e9crire en toute s\u00fbret\u00e9: on me rend directement mes\nlettres. La personne qui les retire a ordre de les remettre \u00e0 moi seule,\npas m\u00eame \u00e0 ma fid\u00e8le _Sophie_. La peur que l'on a de payer les ports de\nlettres, fait que l'on n'ose pas demander si j'en ai eu. L'archev\u00eaque\npaie mes places, et celles de _Sophie_ dans la diligence: c'est bien\nhonn\u00eate \u00e0 lui assur\u00e9ment. Malgr\u00e9 toutes les avarices de madame _de\nFerriol_, sa mauvaise humeur et ses discours, souvent d\u00e9sobligeans; elle\n\u00e9toit dans une grande inqui\u00e9tude de ma sant\u00e9 pendant mon s\u00e9jour aupr\u00e8s\nde vous. Elle disoit: \u00abelle est partie malade; elle a la fi\u00e8vre ou la\npetite v\u00e9role.\u00bb Elle paroissoit aussi en peine de moi que de son fils.\nSa femme de chambre disoit \u00e0 _Sophie_ que sa ma\u00eetresse ne pouvoit passer\nl'hiver aupr\u00e8s de son fr\u00e8re \u00e0 Embrun, sans moi, et que la crainte que je\nne voulusse pas y aller, l'emp\u00eacheroit d'y penser. Concevez-vous,\nMadame, \u00e0 la fa\u00e7on dont elle agit avec moi, qu'elle puisse regarder\ncomme un malheur de ce que je serois s\u00e9par\u00e9e d'elle? _D'Argental_ m'a\n\u00e9crit: je re\u00e7us sa lettre, en revenant de chez vous. Il y avoit cent\nmille choses pour vous; je vous les laisse imaginer. Ma lettre seroit\ntrop longue, si je vous les r\u00e9p\u00e9tois. Nous partons d'ici dans quinze\njours, pour aller \u00e0 Ablons. Madame _de Ferriol_ y sera dix ou douze\njours. Pour moi, j'irai \u00e0 Sens, voir qui vous savez[197]. J'y resterai\nle plus que je pourrai. Madame _de Ferriol_ m'y viendra joindre. Vous\naurez des d\u00e9tails de mon entrevue: j'aurai vu cette ann\u00e9e tout ce qui\nm'est cher. Adieu, Madame, mes sentimens et mon \u00e2me vous sont d\u00e9vou\u00e9s.\nLETTRE XXIII.\nPONT-DE-VESLE, 1729.\nVoil\u00e0 enfin le bienheureux jour arriv\u00e9! Je pars d'ici demain matin, et\nje n'ai que la nuit \u00e0 passer. Madame _de Ferriol_ avoit bien raison de\ndire que je ne pouvois tenir ici. En revenant de chez vous, je suis\nmorte d'ennui; et ma sant\u00e9, d'accord avec l'ennui, m'a tr\u00e8s-mal trait\u00e9e.\nJe me suis fait saigner: cela ne m'a pas r\u00e9ussi; mes maux de t\u00eate et mes\ncoliques sont toujours aussi fr\u00e9quens; peut-\u00eatre est-ce l'air du pays et\nles eaux.\nJ'attendois une r\u00e9ponse de vous, avant de partir, mais j'esp\u00e8re que vous\naurez la bont\u00e9 de m'\u00e9crire \u00e0 Sens. J'y serai le 15 de ce mois. Mon\nadresse est chez madame de _V....._, abbesse de Notre-Dame. Madame _de\nBolingbrocke_ a pens\u00e9 mourir \u00e0 Reims d'une colique \u00e0 quoi elle est\nsujette. Elle a \u00e9t\u00e9 \u00e0 l'extr\u00e9mit\u00e9; elle est mieux, et je la trouverai \u00e0\nSens. Mandez-moi de vos nouvelles et de celles de madame _P....._ Sa\nsciatique m'inqui\u00e8te. Vous \u00eates, je crois, de retour en ville, assise\nsur ce bon canap\u00e9, avec vos aimables filles autour de vous, et toute\nvotre famille empress\u00e9e \u00e0 vous voir. Vous jouissez de l'estime et de\nl'amiti\u00e9 de tout ce qui est aupr\u00e8s de vous, et vous n'avez aucun\nsentiment p\u00e9nible \u00e0 combattre. Que je souhaiterois passer mes jours\nainsi! Vous savez \u00e0 qui je dois des complimens. Voulez-vous bien les\nfaire \u00e0 votre choix? Pour M. votre mari, je ne vous en charge pas; j'ai\nremarqu\u00e9 que vous aviez toujours un peu de jalousie. Madame votre fille\nvoudra bien lui faire quelques agaceries de ma part, et me rendre ce\npetit service; en reconnoissance, je l'embrasse de tout mon c\u0153ur.\nMadame _de Nesle_ est morte, dit-on, de la rougeole; mais les amies\nparticuli\u00e8res, et qui sont par cons\u00e9quent au fait, disent qu'il y avoit\ncomplication de maux, et que de plus robustes qu'elle y auroient\nsuccomb\u00e9. M. _de Richelieu_ est dans le m\u00eame cas, except\u00e9 qu'il n'est\npas mort; mais on me mande qu'il se meurt. Madame _d'Aumont_ et son\nmari, qui n'ont que la rougeole, s'en tirent tr\u00e8s-bien. Je ne sais si je\nvous ai mand\u00e9 que M. _de la Ferri\u00e8re_ marie sa fille \u00e0 un homme qui a\nvingt mille livres de rente, et qui demeure \u00e0 Lyon. C'est une grande\njoie pour la m\u00e8re d'avoir sa fille aupr\u00e8s d'elle. Ils m\u00e9ritent bien tous\ndeux de trouver ce beau parti; car ils avoient refus\u00e9 pour leur fille un\nhomme fort riche, mais vieux, et qu'elle n'auroit pu aimer. Ils lui\ndonnent dix mille \u00e9cus, et vingt mille francs apr\u00e8s leur mort. C'est une\ntr\u00e8s-aimable fille. Adieu, Madame; j'ai bien de la peine \u00e0 vous quitter.\nPl\u00fbt \u00e0 Dieu que je fusse avec vous r\u00e9ellement! je ne pourrois plus m'en\ns\u00e9parer. Il m'en a trop co\u00fbt\u00e9, et il m'en co\u00fbte trop tous les jours, en\nm'en souvenant. Adieu, Madame, je vous aime de tout mon c\u0153ur. Je vais\nencore m'\u00e9loigner de vous, et ce n'est pas sans regrets. Vous aurez de\nmes lettres, quand je serai \u00e0 Paris. Je serai trop occup\u00e9e \u00e0 Sens, pour\navoir le temps de vous \u00e9crire.\nLETTRE XXIV.\nParis, 1729.\nVous m'avez demand\u00e9 un compte exact de mon retour \u00e0 Paris et de mon\ns\u00e9jour \u00e0 Sens. J'ai trouv\u00e9 la petite tr\u00e8s-grande, mais fort p\u00e2le. Sa\nfigure est noble. Elle est bien faite; elle a les plus beaux yeux que\nvous ayez vus, l'air d\u00e9licat. Elle a de l'esprit, de la douceur, de la\nraison, mais d'une distraction inouie, le caract\u00e8re et le c\u0153ur \u00e0\nsouhait. Je crois sans pr\u00e9vention que ce sera un bon sujet. La pauvre\npetite m'aime \u00e0 la folie: elle fut si saisie de joie de me voir, qu'elle\nfut pr\u00eate \u00e0 se trouver mal. Vous devez juger de tout ce que je sentis\nen la voyant. Mon \u00e9motion \u00e9toit bien vive, d'autant plus qu'il falloit\nla cacher. Elle me dit cent fois que c'\u00e9toit un bien heureux jour pour\nelle que celui de mon arriv\u00e9e. Elle ne pouvoit me quitter; et cependant,\nd\u00e8s que je la renvoyois, elle s'en alloit avec une douceur extr\u00eame; elle\n\u00e9coutoit mes avis, et paroissoit appliqu\u00e9e \u00e0 en profiter. Elle ne\ncherchoit point \u00e0 s'excuser de ses fautes, comme les enfans. H\u00e9las! la\npauvre petite, quand je suis partie, \u00e9toit si p\u00e9n\u00e9tr\u00e9e de douleur, que\nje n'osai la regarder, tant elle m'attendrissoit; elle ne pouvoit\nparler. J'emmenai l'abbesse avec moi, pour voir madame _de\nBolingbrocke_, qui \u00e9toit \u00e0 Reims, o\u00f9 elle avoit \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-mal, et qui\ncomptoit de l\u00e0 aller \u00e0 Paris. Tout le couvent \u00e9toit en pleurs du d\u00e9part\nde l'abbesse, et la pauvre petite disoit: \u00abPour moi, Mesdames, je suis\naussi f\u00e2ch\u00e9e que les autres de vous voir partir; mais je crois que cela\nest n\u00e9cessaire, et que madame _de Bolingbrocke_ sera bien aise de vous\nvoir, et que votre vue lui fera du bien; c'est ce qui me console un peu\nde votre d\u00e9part;\u00bb et puis la pauvre petite \u00e9touffoit. Elle s'assit sur\nune chaise, n'ayant pas la force de se soutenir, et elle m'embrassoit et\nme disoit: \u00abVoil\u00e0 un furieux contre-temps, ma bonne amie; car vous\nseriez rest\u00e9e ici davantage. Je n'ai ni p\u00e8re ni m\u00e8re: soyez, je vous\nprie, ma m\u00e8re; je vous aime autant que si vous l'\u00e9tiez\u00bb. Vous jugez, ma\nch\u00e8re madame, dans quel embarras ce discours me mettoit; mais je me suis\ntr\u00e8s-bien conduite. J'y ai rest\u00e9 quinze jours, et mon rhumatisme m'a\nprise l\u00e0. Je fus perclue de tout mon corps. Pendant deux jours, elle ne\nme quitta pas. Elle resta cinq heures d'horloge au chevet de mon lit,\nsans qu'elle voul\u00fbt me quitter; elle me lisoit pour m'amuser et puis\nelle m'entretenoit, et je m'assoupissois un moment. Elle craignoit de me\nr\u00e9veiller, et n'osoit respirer. Une personne de trente ans n'auroit pas\n\u00e9t\u00e9 plus capable d'attentions. Mademoiselle _de Noailles_ vouloit\nqu'elle v\u00eent jouer avec elle. Elle la pria de l'en dispenser, ne voulant\npoint me quitter. Enfin, Madame, je suis persuad\u00e9e que, si elle avoit le\nbonheur d'\u00eatre connue de vous, vous l'aimeriez beaucoup. Madame _de\nBolingbrocke_ la veut emmener avec elle; et avoir soin de sa fortune: ce\nqui afflige terriblement qui vous savez; il en est fou. Je ne puis\nexprimer toute la joie qu'il a eue de mon retour; tout ce que la\nvivacit\u00e9 d'une passion violente peut faire faire et dire, il l'a fait et\ndit. Si c'est jeu, il est bien jou\u00e9. Il est revenu plusieurs fois, apr\u00e8s\nde longues et p\u00e9nibles chasses: enfin, le roi lui dit la derni\u00e8re fois,\nquand, il demanda cong\u00e9 (car il faut le demander toujours au roi\ndirectement), ce qu'il avoit tant \u00e0 faire \u00e0 Paris; il fut d\u00e9concert\u00e9 de\nla demande, et rougit; il ne put dire autre chose, sinon qu'il avoit des\naffaires.\nCe 2 d\u00e9cembre.\nDepuis seize jours que cette lettre est \u00e9crite, le chevalier est revenu\nde Marly avec la fi\u00e8vre, une attaque d'asthme et un rhumatisme sur les\nreins; il souffre beaucoup. Je suis dans un \u00e9tat violent, il faut que je\nvous \u00e9crive pour me distraire; je n'ai de consolation que celle de\npenser \u00e0 vous. Si j'\u00e9tois plus raisonnable, j'oserois vous faire part de\ntoutes mes r\u00e9flexions. J'ai beaucoup de chagrins; il n'y auroit que vous\nqui pourriez entrer dans mes peines: le r\u00e9sultat de tous mes regrets,\nc'est que je vous aime tendrement, que vous m\u00e9ritez de l'\u00eatre, et qu'il\nn'y a que vous dans le monde qui en \u00eates digne. Vous me r\u00e9pondrez \u00e0 cela\nqu'il y a bien, de l'orgueil et de l'amour-propre dans ce que je dis. Il\npeut y en avoir un peu; mais ce n'est point dans le sens que vous\nl'entendez. Je suis tr\u00e8s-imparfaite; mais j'exige des autres ce que je\nn'ai pas moi-m\u00eame. Toutes vos qualit\u00e9s me sont agr\u00e9ables, quoique je\nn'ait pas le bonheur de les poss\u00e9der. La vertu, l'esprit, la douceur, la\nd\u00e9licatesse, l'honn\u00eate sensibilit\u00e9, la piti\u00e9 pour les malheureux et pour\nceux qui ne sont pas dans le bon chemin, sont des qualit\u00e9s utiles pour\nles autres, quoiqu'on ne les poss\u00e8de pas soi-m\u00eame. Encore une chose qui\nsatisfait mon c\u0153ur, c'est que je sens que je puis dire tout ce que je\npense de vous, sans pouvoir \u00eatre accus\u00e9e de pr\u00e9vention, ni de flatterie.\nVous \u00eates enfin, selon mon c\u0153ur et mon \u00e2me. L'amour partage mon c\u0153ur\navec vous, Madame; mais si je ne trouvois pas dans l'objet ces vertus\nque j'aime en vous, il ne subsisteroit pas. Vous m'avez rendue d\u00e9licate\nsur cet article. Je l'avoue \u00e0 la honte de l'amour; il cesseroit, s'il\nn'\u00e9toit pas fond\u00e9 sur l'estime. Adieu, Madame.\nLETTRE XXV.\nParis, 1728.\nVous \u00eates surprise, Madame, que j'aie \u00e9t\u00e9 si long-temps sans avoir eu\nl'honneur de vous \u00e9crire: ce n'est pas assur\u00e9ment que je n'en eusse une\ngrande envie; mais j'ai \u00e9t\u00e9 assez incommod\u00e9e d'un tr\u00e8s-gros rhume qui\nm'a fait garder le lit. J'ai voulu plusieurs fois me lever de bonne\nheure, pour me mettre \u00e0 mon \u00e9critoire, pour causer avec vous, et toutes\nles fois, j'ai \u00e9t\u00e9 interrompue soit par des visites, ou par des\ninvitations. J'ai \u00e9t\u00e9 premi\u00e8rement nich\u00e9e dans un galetas, pendant\nquinze jours, que madame _de V...._ et sa compagnie se sont empar\u00e9es de\nma chambre et de tous mes ustensiles. Apr\u00e8s cela, madame _de\nBolingbrocke_ est arriv\u00e9e de Reims, malade, et dans un grand besoin de\nnous tous, pour l'aider \u00e0 se ranger dans sa maison, et \u00e0 recevoir ses\nvisites; elle est un peu mieux. Toutes les personnes qui ont des bont\u00e9s\npour moi, se relayent pour ne pas me laisser un instant tranquille; je\nne suis pas rentr\u00e9e pour me coucher, avant trois heures du matin. Je vis\nhier M. votre neveu, que j'ai trouv\u00e9 beau et bien fait. Je viens\nd'apprendre quelque chose qui m'a surprise. M. _de Bellegarde_ a dit \u00e0\nM. _de Marcieux_ que madame votre cousine n'avoit jamais voulu l'\u00e9couter\ncomme amant; qu'elle lui avoit dit que ses discours ne lui convenoient\npas, et que, s'il continuoit, elle ne le verroit plus; qu'un, homme de\nsa naissance et de son \u00e2ge devoit mieux faire que l'amour; qu'il devoit\naller dans les pays \u00e9trangers chercher du service; qu'elle lui pr\u00eateroit\n10,000 \u00e9cus, et que s'il avoit besoin de davantage, elle le lui feroit\ntenir; qu'elle ne disconvenoit pas qu'elle n'e\u00fbt beaucoup d'estime et\nd'amiti\u00e9 pour lui, mais qu'elle ne vouloit point d'amour. Il a assur\u00e9 M.\n_de Marcieux_, \u00e0 qui il a racont\u00e9 cette conversation telle qu'elle\n\u00e9toit, qu'il partoit tout de suite pour la Pologne, et que n'ayant aucun\nsecours de sa famille, il se trouvoit dans le cas d'accepter les offres\nde madame _V...._, et qu'il devoit aux proc\u00e9d\u00e9s g\u00e9n\u00e9reux et\nd\u00e9sint\u00e9ress\u00e9s de cette dame, la plus grande reconnoissance. Je ne puis\nm'emp\u00eacher, je vous l'avoue, de trouver cela tr\u00e8s-bien, si cela\nJe suis si lasse des humeurs de mademoiselle _Bideau_, que je suis\nr\u00e9solue de me tirer de ses pattes, \u00e0 quelque prix que ce soit. Je\nvendrai ce qui me reste de pierreries, me d\u00e9faisant, sans regret, de ces\njoyaux qui me divertissent, mais qui me seroient insupportables, si je\ncontinuois d'avoir un fardeau si pesant. Elle exige beaucoup de moi;\nelle trouve trop que je lui ai des obligations, pour que ma\nreconnoissance soit bien grande. Elle traite de manie et de sottise ce\nqu'elle a pratiqu\u00e9 toute sa vie. La d\u00e9votion, qui est \u00e0 pr\u00e9sent sa seule\nressource, sert encore \u00e0 me tyranniser. Rien n'est si difficile que de\nfaire son devoir aupr\u00e8s de gens que l'on n'aime point, et que l'on\nn'estime point. Madame _de Ferriol_ est d'une avarice sordide; elle ne\nfait plus que v\u00e9g\u00e9ter, mais d'une fa\u00e7on si triste, elle est si aigre,\nque personne n'y peut tenir. Tout le monde l'abandonne. _D'Argental_ m'a\ntant parl\u00e9 de vous et des v\u00f4tres et avec tant d'attachement, que je lui\nen sais un gr\u00e9 infini, et l'en aime davantage.\nLe mar\u00e9chal _d'Uxelles_ a quitt\u00e9 la cour avec courage; mais il est comme\n_Charles-Quint_; il s'en repent. Il se flatte, dit-on, que le roi lui\nordonnera de revenir; mais il ne lui a rien dit: on assure que c'est \u00e0\nl'occasion du trait\u00e9, qu'il l'a quitt\u00e9. Cela lui fait honneur; car le\npublic n'en a pas \u00e9t\u00e9 content.\nLe chevalier est mieux. Je voudrois bien qu'il n'y e\u00fbt plus de combat\nentre ma raison et mon c\u0153ur, et que je pusse go\u00fbter parfaitement le\nplaisir que j'ai de le voir. Mais h\u00e9las! jamais. Mon corps succombe \u00e0\nl'agitation de mon esprit: j'ai de grandes coliques d'estomac; ma sant\u00e9\nest furieusement d\u00e9rang\u00e9e. Adieu, Madame, je finis cette lettre qui\nn'est qu'une rapsodie; je ne sais comment vous vous en tirerez.\nLETTRE XXVI.\nParis, 1730.\nJe vis hier M. _de Villars_[199], qui me dit qu'il vous enverroit son\nportrait incessamment. Il a \u00e9t\u00e9 assez incommod\u00e9; je lui sus bien bon gr\u00e9\nde ce qu'il passa deux heures dans ma chambre; nous f\u00fbmes seuls, et nous\nparl\u00e2mes de Gen\u00e8ve tout \u00e0 notre aise. Depuis trois mois, je suis\ngarde-malade. Madame _de Bolingbrocke_ a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-mal. Je l'ai vue\nbeaucoup souffrir; j'ai cru plusieurs fois qu'elle resteroit dans mes\nbras; elle est actuellement dans un \u00e9tat tr\u00e8s-languissant. Elle ne mange\npresque point, et son d\u00e9go\u00fbt seul seroit capable de mettre aux abois une\npersonne en sant\u00e9: elle a toujours une fi\u00e8vre lente. Il y a des momens\no\u00f9 l'on craint qu'elle ne s'\u00e9teigne comme une chandelle. Elle a bien du\ncourage, et c'est ce qui la soutient. Vous ne croiriez pas, en\nl'entendant causer quelquefois, qu'elle f\u00fbt malade, \u00e0 la maigreur pr\u00e8s,\nqui est extr\u00eame. La machine s'affoiblit tous les jours; elle a un peu\nmieux mang\u00e9 ces deux jours. _Silva_ et _Chirac_, ses m\u00e9decins, ne\nconnoissent point son mal, et ne travaillent pas avec connoissance de\ncause. Madame _de Ferriol_ refuse opini\u00e2trement de rem\u00e9dier \u00e0 une\nbouffissure qui est r\u00e9pandue sur son visage. Elle est d'un changement si\ngrand, que, si vous la rencontriez, vous ne la reconno\u00eetriez pas: elle\nest menac\u00e9e d'appoplexie et d'hydropisie. Elle est engourdie au point\nque, quand elle reste une demi-heure assise, elle ne peut se relever;\nelle dort partout. La maladie de son mar\u00e9chal la tient un peu alerte;\nelle en est tr\u00e8s-afflig\u00e9e.\nIl faut vous parler de nouvelles. Vous savez apparemment la mort du\npape. Le cardinal _Alb\u00e9roni_ se flatte de l'\u00eatre. Les Sauvages de la\nLouisiane ont \u00e9gorg\u00e9 une colonie fran\u00e7oise. Une sauvagesse aimoit un\nfran\u00e7oise, et l'avertit de ce qu'on tramoit contre sa nation. Celui-ci\nle dit au commandant qui fit comme le mar\u00e9chal _de Villars_, et crut que\nl'on n'oseroit point l'attaquer. Il a \u00e9t\u00e9 puni comme son mod\u00e8le; car il\na \u00e9t\u00e9 le premier \u00e9gorg\u00e9. La question est de savoir lequel a \u00e9t\u00e9 le plus\npuni. L'exil pour un homme ambitieux est pire que la mort. Le commandant\nauroit peut-\u00eatre pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 la vie. On pr\u00e9tend que les Anglois ont anim\u00e9\nles Sauvages. On est tr\u00e8s-embarrass\u00e9 sur le parti \u00e0 prendre avec eux.\nCela a fait baisser les actions et a caus\u00e9 bien des alarmes. Pour moi,\nj'en ai une tr\u00e8s-petite, parce que j'y suis bien peu int\u00e9ress\u00e9e, n'ayant\nque la moiti\u00e9 d'une action; mais mes amis en ayant, cela suffiroit pour\nque j'en fusse inqui\u00e8te. J'en ai parl\u00e9 \u00e0 une personne assez au fait, qui\nm'a assur\u00e9e que l'on feroit mal de les vendre. La vie est si m\u00eal\u00e9e de\nchagrins, qu'il faut, Madame, n'\u00eatre pas si sensible. Moi qui vous\nparle, je me tue de sensibilit\u00e9. M. _Orry_, intendant de\n_Quimper-Corentin_, vient d'\u00eatre fait contr\u00f4leur g\u00e9n\u00e9ral. On a remerci\u00e9\nM. _des Forts_. On dit que le nouveau ministre a de l'esprit et de la\ncapacit\u00e9. Cela a pourtant surpris tout le monde. Mes ch\u00e8res s\u0153urs,\npermettez-moi ce nom avec mesdames vos filles; j'ai pour elles les\nsentimens que l'on a pour d'aimables s\u0153urs. Embrassez-les, je vous prie,\npour moi, aussi bien que votre mari, pour qui j'aurai toute ma vie de la\ncoquetterie et de la reconnoissance.\nJe suis tr\u00e8s-incommod\u00e9e depuis six semaines. J'ai de la diarrh\u00e9e qui m'a\nd\u00e9barrass\u00e9e de mon rhumatisme et de mes coliques; mais le rem\u00e8de\npourroit \u00eatre plus dangereux que le mal. Je suis maigrie, et\ntr\u00e8s-foible: je vais prendre de l'\u00e9m\u00e9tique. Adieu, Madame; aimez-moi\ntoujours un peu. Soyez persuad\u00e9e que personne ne vous aime plus\ntendrement, ne vous estime et ne vous honore plus parfaitement. Vous\nferiez le bonheur de ma vie, si je pouvois vivre avec vous. Notre\ns\u00e9paration me paro\u00eet tous les jours plus cruelle et m'afflige\nsensiblement. Quelque malheur qu'il y ait \u00e0 sentir, mes sentimens pour\nvous seront toujours de la derni\u00e8re vivacit\u00e9.\nLETTRE XXVII\nD\u00e9cembre, 1730.\nIl y a mille ans, Madame, que je ne vous ai fait ma cour; ce n'est pas\nassur\u00e9ment que je ne pense bien \u00e0 vous, et que je ne me rappelle tous\nles plaisirs que j'ai go\u00fbt\u00e9s \u00e0 Gen\u00e8ve. La m\u00e9moire, soutenue par le\nsentiment, me repr\u00e9sente tout jusqu'aux moindres choses bien vivement:\nmes id\u00e9es font bien du chemin. Arriv\u00e9e chez vous, je vous vois, je vous\nembrasse, je pleure de joie; et mon c\u0153ur se serre, lorsque je vois que\nce n'est qu'en id\u00e9e. Permettez que j'embrasse mes ch\u00e8res s\u0153urs, mes\nch\u00e8res bonnes amies; j'ai bien du plaisir \u00e0 vous aimer, et vous manquez\nici \u00e0 mon bonheur. Madame _de Ferriol_ me flatte encore, d'un voyage \u00e0\nPont-de-Vesle; elle se porte mieux. Pour ma sant\u00e9, elle n'est pas bien\nmerveilleuse. J'ai l'estomac fort d\u00e9rang\u00e9, de grands maux de t\u00eate,\nsouvent des rhumes, et beaucoup de foiblesse.\nJe veux vous rendre compte de l'\u00e9tat de mes finances. Vous savez qu'il y\na long-temps que je dois, et d\u00e9pensois, sans trop savoir ce que je\npouvois d\u00e9penser. Enfin, lass\u00e9e de ce d\u00e9sordre, j'ai emprunt\u00e9 2,000 \u00e9cus\npour payer mes dettes criardes, que je rendrai dans quatre ans, en\ndonnant par ann\u00e9e 1,800 livres de mes rentes; je me r\u00e9duis alors \u00e0 1,200\nlivres: je serai bien \u00e0 l'\u00e9troit, mais bien soulag\u00e9e de ne devoir plus\nque 4,400 livres \u00e0 M. _P\u00e2ris de Montmartel_, \u00e0 qui je donnerai 1,000\nlivres par ann\u00e9e. J'aurai le bonheur de ne plus voir de cr\u00e9anciers; ils\nne seront pas si aises d'\u00eatre d\u00e9barrass\u00e9s de moi, que je le serai de\nl'\u00eatre d'eux; car ils sont bonnes gens, et ne m'ont point tourment\u00e9e.\nJ'ai eu le plaisir d'arranger les affaires de _Sophie_, de fa\u00e7on qu'elle\nest \u00e0 proportion plus riche que moi. J'esp\u00e8re que nous mangerons notre\nrevenu ensemble. Je ne puis assez vous exprimer la joie que j'ai d'avoir\npris mon parti de payer, pour n'avoir obligation \u00e0 personne. Madame\n_P....._ se ressouvient-elle de moi? Elle seroit bien ingrate, si elle\nne m'aimoit pas un peu; car je la respecte et l'honore infiniment. Ne\nm'oubliez point, s'il vous pla\u00eet, aupr\u00e8s de M. _de Caze_. Madame la\nduchesse _de Saint-Pierre_ m'a beaucoup demand\u00e9 de ses nouvelles, et m'a\ncharg\u00e9e de lui faire ses complimens. Elle l'aime bien, \u00e0 ce qu'elle m'a\ndit. Dites-lui que cette dame est toujours plus belle: elle a conserv\u00e9\nun beau teint, une belle gorge. Elle est comme \u00e0 vingt ans; elle est\ntr\u00e8s-aimable: elle a vu bonne compagnie; et un mari s\u00e9v\u00e8re, et qui\nconnoissoit le monde, l'a rendue d'une politesse charmante. Elle sait\nconserver l'air d'une grande dame, sans humilier les autres. Elle n'a\npoint du tout cette politesse haute qui prot\u00e8ge; elle a bien de\nl'esprit, elle sait dire des choses flatteuses, et sait mettre les gens\n\u00e0 leur aise.\nJe fis, il y a quelques jours, vos complimens \u00e0 madame _de Tencin_\nmoi-m\u00eame. Vous \u00eates surprise; mais \u00e9coutez, et vous le serez davantage.\nJ'\u00e9tois dans la chambre de madame sa s\u0153ur. Elle entra, je voulus m'en\naller. C'est ce que je faisois ordinairement, parce qu'elle me refusoit\nle salut. Elle \u00e9toit d'un embarras horrible; elle m'attaqua de\nconversation, loua d'abord la robe que je portois, me parla de la sant\u00e9\nde madame sa s\u0153ur, et enfin elle resta deux heures \u00e0 toujours causer et\nde tr\u00e8s-bonne humeur. Nous v\u00eenmes \u00e0 parler de notre voyage en Bourgogne,\n\u00e0 Pont-de-Vesle, \u00e0 Gen\u00e8ve. Je pris cette occasion, et lui dis que\nj'avois re\u00e7u derni\u00e8rement votre lettre o\u00f9 vous me chargiez de lui faire\ndes complimens. Elle me dit que cela la surprenoit, qu'il y avoit des\ntemps infinis qu'elle n'avoit entendu parler de vous. Je l'assurai que\nce n'\u00e9toit pas votre faute; que, presque dans toutes vos lettres, vous\nfaisiez des complimens pour elle, et que, comme je n'avois pas l'honneur\nde la voir, j'en avois charg\u00e9 plusieurs personnes, entr'autres\n_d'Argental_; que, sur-tout \u00e0 mon d\u00e9part de Gen\u00e8ve, vous m'aviez\nrecommand\u00e9 de lui faire bien des amiti\u00e9s de votre part. Elle me dit que\nce ressouvenir lui faisoit bien du plaisir, parce qu'elle vous aimoit\nbeaucoup. Elle me fit bien des questions sur votre sant\u00e9 et sur vos\naffaires. Je lui rendis compte de l'arrangement que vous aviez fait;\nelle dit \u00e0 cela qu'elle vous reconnoissoit bien, et que personne n'\u00e9toit\nplus capable que vous, de bons et nobles proc\u00e9d\u00e9s. Depuis ce temps-l\u00e0,\nnous nous sommes revues. Nous avons fait la conversation comme si nous\nn'avions pas \u00e9t\u00e9 mal ensemble et sans \u00e9claircissement. J'en veux rester\n\u00e0 ce point. Je ne vais point chez elle. Il me sera difficile de\nl'\u00e9viter; mais si j'y vais, fiez-vous-en \u00e0 moi, ce sera sobrement.\nOn ne parle ici que de l'abb\u00e9 _P\u00e2ris_, des miracles et des convulsions\nqui s'op\u00e8rent sur son tombeau. Les uns disent qu'il fait des miracles;\nles autres, que ce sont des friponneries. Les partis s'exercent \u00e0\noutrance. Les neutres et les bons catholiques, c'est-\u00e0-dire, les vrais,\nsont peu \u00e9difi\u00e9s. On n'entend que calomnie, fureur, emportement et\nfriponnerie. Les mieux sont ceux qui ne sont que fanatiques, et ceux-l\u00e0\nse croient tout permis. Voil\u00e0 ce qui fait le sujet de toutes les\nconversations, et messieurs _de B....._ les chansonnent. Il y a des\ncouplets sur la duchesse douairi\u00e8re; ils sont trop grossiers pour que je\nvous les envoie. On joue \u00e0 l'op\u00e9ra _Callirho\u00eb_, qui ne r\u00e9ussit pas,\nquoique cet op\u00e9ra soit int\u00e9ressant et joli; mais le grand air \u00e0 pr\u00e9sent\nest de n'aller que le vendredi \u00e0 l'op\u00e9ra; et d'ailleurs, comme tout est\nesprit de parti, les partisans de la _Le Maure_ sont en plus grand\nnombre \u00e0 pr\u00e9sent que ceux de la _Pellissier_. M. _d'Argental_ est\namoureux de cette derni\u00e8re; il est aim\u00e9, et il s'en cache beaucoup. Il\ncroit que je l'ignore, et je n'ai garde de lui en parler. Elle en est\nfolle; elle est tout aussi impertinente que la _Le Couvreur_; mais elle\nest sotte, et ne lui fera point faire de folie. C'est un furieux\nridicule \u00e0 un homme sage et en charge, que d'\u00eatre toujours attach\u00e9 \u00e0 une\ncom\u00e9dienne. Tous les partisans de la _Le Maure_ trouvent la _Pellissier_\noutr\u00e9e et peu naturelle. Ils disent que c'est M. _d'Argental_ et ses\namis qui la g\u00e2tent. Cela m'afflige; mais, connoissant son abandon pour\nce qu'il aime, je me console de cela, parce qu'il s'en cache, et que par\ncons\u00e9quent, il vit plus avec le monde pour d\u00e9payser. Pour M. _de\nPont-de-Vesle_, il se porte \u00e0 merveille; il est galant au possible; il\nme demande souvent de vos nouvelles. M. _de Ferriol_ est assez bien,\nmais horriblement sourd et gourmand. Voil\u00e0 un compte exact de toutes les\nnouvelles, mais je ne vous ai pas encore rendu compte de mon c\u0153ur. Pour\nvous, je vous aime parfaitement. Cette amiti\u00e9 fait le bonheur de ma vie,\net souvent la peine; car j'ai le c\u0153ur serr\u00e9, quand je pense qu'une\npersonne que j'aime si tendrement, je ne la vois point. Aimez-moi,\nMadame, comme je vous aime.\nLETTRE XXVIII.\nParis, 1731.\nMa sant\u00e9, Madame, se r\u00e9tablit tout doucement. Ma convalescence est\nlongue; mais ma maladie l'a \u00e9t\u00e9. Il n'est point surprenant que j'aie de\nla peine \u00e0 r\u00e9parer mes forces. Vos bont\u00e9s et vos v\u0153ux pour moi me font\nun bien infini: je vous en remercie de tout mon c\u0153ur. Vos lettres m'ont\nfait un grand plaisir; mais le chagrin de vous causer des inqui\u00e9tudes\ndiminue ma satisfaction d'\u00eatre autant aim\u00e9e. En v\u00e9rit\u00e9, rattachement\ntendre que je vous ai vou\u00e9, m\u00e9rite les bont\u00e9s que vous avez pour moi.\nJe vous aime et vous estime comme vous le m\u00e9ritez; c'est sans bornes.\nContinuez, Madame, \u00e0 me rendre heureuse; car je mourrois de douleur, si\nvous cessiez d'avoir de l'amiti\u00e9 pour moi.\nMadame _de Tencin_ est, comme vous le savez, exil\u00e9e \u00e0 Ablons depuis\nquatre mois. Elle a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-malade. _Astruc_ est comme _Roland_. Je ne\nsais si c'est badinage, ou si c'est tout de bon; mais, ce qu'il y a de\ncertain, c'est que personne ne la plaint, et bien des gens disent\nqu'elle n'a rien de mieux \u00e0 faire qu'\u00e0 mourir. Voil\u00e0 de bons propos. M.\n_de Saint-Florentin_ est \u00e0 l'extr\u00e9mit\u00e9: s'il en revient, il deviendra\nsage, ou il sera incorrigible. M. _de Gesvres_ et le duc _d'\u00c9pernon_\nsont toujours exil\u00e9s. On appelle leur conjuration, _la conspiration des\nmarmousets_. Tout le monde se moque d'eux. M. _de Bedevolle_ \u00e9toit un\ndes conjur\u00e9s; il laisse une r\u00e9putation qui ne flaire pas comme baume. On\ndit que c'est un esprit tr\u00e8s-dangereux, d'autant plus qu'il est fripon.\nAdieu, Madame, je ne puis \u00e9crire plus long-temps, je suis trop foible.\nLETTRE XXIX.\n_Histoire de mes Amours avec le duc_ DE GESVRES.\nJe conviens, Madame, malgr\u00e9 votre col\u00e8re et le respect que je vous dois,\nque j'ai eu un go\u00fbt violent pour M. le duc _de Gesvres_, et que j'ai\nm\u00eame port\u00e9 \u00e0 confesse ce grand p\u00e9ch\u00e9. Il est vrai que mon confesseur ne\njugea pas \u00e0 propos de me donner de p\u00e9nitence. J'avois huit ans, quand\ncette passion commen\u00e7a, et \u00e0 douze ans, je tournois en plaisanterie mon\ngo\u00fbt; non que je ne trouvasse M. _de Gesvres_ aimable, mais je trouvois\nplaisans tous les empressemens que j'avois eus d'aller causer et jouer\ndans les jardins avec lui et ses fr\u00e8res: il a deux ou trois ans plus que\nmoi, et nous \u00e9tions, \u00e0 ce qui nous paroissoit, beaucoup plus vieux que\nles autres. Cela faisoit que nous causions, lorsque les autres jouoient\n\u00e0 la cligne-musette. Nous faisions les personnes raisonnables; nous nous\nvoyions r\u00e9guli\u00e8rement tous les jours; nous n'avons jamais parl\u00e9 d'amour,\ncar en v\u00e9rit\u00e9, nous ne savions ce que c'\u00e9toit ni l'un ni l'autre. La\nfen\u00eatre du petit appartement donnoit sur un balcon o\u00f9 il venoit souvent;\nnous nous faisions des mines; il nous menoit \u00e0 tous les feux de la\nSaint-Jean, et souvent \u00e0 Saint-Ouen. Comme on nous voyoit toujours\nensemble, les gouverneurs et les gouvernantes en firent des\nplaisanteries entr'eux, et cela vint aux oreilles de mon Aga[200] qui,\ncomme vous le jugez, fit un beau roman de tout cela. Je le sus: cela\nm'affligea; je crus, comme une personne raisonnable, qu'il falloit\nm'observer, et cette observation me fit croire que je pourrois bien\naimer M. _de Gesvres_; j'\u00e9tois d\u00e9vote, et j'allois \u00e0 confesse; je dis\nd'abord tous mes petits p\u00e9ch\u00e9s: enfin il fallut dire le gros p\u00e9ch\u00e9;\nj'eus de la peine \u00e0 m'y r\u00e9soudre; mais en fille bien \u00e9lev\u00e9e, je ne\nvoulus rien cacher. Je dis que j'aimois un jeune homme. Mon directeur\nparut \u00e9tonn\u00e9, il me demanda quel \u00e2ge il avoit. Je dis qu'il avoit onze\nans: il me demanda s'il m'aimoit, et s'il me l'avoit dit; je dis que\nnon; il continua ses questions. \u00abComment l'aimez-vous, me dit-il? Comme\nmoi-m\u00eame, lui r\u00e9pondis-je. Mais me r\u00e9pliqua-t-il, l'aimez-vous autant\nque Dieu?\u00bb Je me f\u00e2chai, et je trouvai fort mauvais qu'il m'en\nsoup\u00e7onn\u00e2t. Il se mit \u00e0 rire, et me dit qu'il n'y avoit point de\np\u00e9nitence pour un pareil p\u00e9ch\u00e9; que je n'avois qu'\u00e0 continuer d'\u00eatre\ntoujours bien sage, et de n'\u00eatre jamais seule avec un homme; que c'\u00e9toit\ntout ce qu'il avoit \u00e0 me dire pour l'heure. Je conviendrai encore qu'un\njour, j'avois alors douze ans, lui de quatorze \u00e0 quinze, il parloit avec\ntransport qu'il feroit la campagne prochaine; je me sentis choqu\u00e9e\nqu'il n'e\u00fbt pas de regret de me quitter, et je lui dis avec aigreur: \u00abce\ndiscours est bien d\u00e9sobligeant pour nous\u00bb. Il m'en fit des excuses, et\nnous disput\u00e2mes long-temps l\u00e0-dessus. Voil\u00e0 ce qu'il y a jamais eu de\nplus fort entre nous. Je crois qu'il avoit autant de go\u00fbt pour moi, que\nj'en avois pour lui. Nous \u00e9tions tous deux tr\u00e8s-innocens, moi d\u00e9vote,\nlui autre chose. Voil\u00e0 la fin du roman. Depuis ce temps-l\u00e0, nous nous\nsommes rappel\u00e9 nos jeunes ans, sans cependant nous trop \u00e9tendre; la\nmati\u00e8re \u00e9toit d\u00e9licate, soit plaisanterie, soit s\u00e9rieusement; le sujet\net nos \u00e2ges me justifieront-ils, Madame? voil\u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 pure. Pour\ncelui qui l'a dit, c'est assur\u00e9ment _Bedevolle_; il porte son esprit\ntracassier dans tous les pays qu'il habite. Vous devriez toujours\nprendre ma d\u00e9fense, et me conserver l'estime du public. Savez-vous bien\nque je suis r\u00e9ellement piqu\u00e9e et en col\u00e8re des soup\u00e7ons que vous avez de\nmoi? Il faut que vous ne m'aimiez pas autant que je m'en \u00e9tois flatt\u00e9e.\nQuoi! Madame, vous me croiriez capable de vous tromper! Je vous ai fait\nl'aveu de toutes mes foiblesses; elles sont bien grandes; mais jamais je\nn'ai pu aimer qui je ne pouvois estimer. Si ma raison n'a pu vaincre ma\npassion, mon c\u0153ur ne pouvoit \u00eatre s\u00e9duit que par la vertu, ou par tout\nce qui en avoit l'apparence. Je conviens, avec douleur, que vous ne\npouvez arracher de mon c\u0153ur l'amour le plus violent; mais soyez assur\u00e9e\nque je sens toutes les obligations que je vous ai, et que je ne varierai\njamais sur les sentimens tendres que je vous ai vou\u00e9s. Ma reconnoissance\n\u00e9gale mon amiti\u00e9 et mon estime pour vous. Vous \u00eates la personne la plus\nrespectable et la plus aimable que je connoisse. Je vous proteste que\nl'on est bien \u00e9loign\u00e9 de chercher \u00e0 rompre cette confiance que j'ai pour\nvous. Le chevalier vous aime et vous respecte infiniment; il s'attendrit\nquand je parle du malheur que j'ai d'\u00eatre s\u00e9par\u00e9e de vous, et quelque\ncrainte que l'on ait de me perdre, l'estime est plus forte. Quand je\nlui ai racont\u00e9 les conversations que j'avois eues avec vous, je l'ai\nfait pleurer, et tout ce qu'il disoit \u00e9toit: \u00abh\u00e9las! j'ai couru de\nfurieux risques.\u00bb Il paroissoit tr\u00e8s-inquiet que cela n'e\u00fbt diminu\u00e9 mon\ngo\u00fbt pour lui, sentant que cela en \u00e9toit bien capable; il me remercia\napr\u00e8s cela, de la fa\u00e7on du monde la plus touchante, de l'aimer encore.\nVous n'ignorez pas le fruit des soins que l'on avoit pris pour nous\nd\u00e9sunir et pour me perdre. Le chevalier a trop de d\u00e9licatesse, pour que\nl'aversion et le m\u00e9pris ne fussent pas la r\u00e9compense de ces \u00e2mes basses.\nJugez ce que le contraire a d\u00fb faire. On a \u00e9t\u00e9 bien \u00e9loign\u00e9 de vous\nattribuer le refroidissement de mes lettres, pendant mon s\u00e9jour en\nBourgogne: il tomboit sur la _gentille Bourguignonne_, et croyoit que la\nmar\u00e9chale me disoit du mal de lui. Son attachement devient tous les\njours plus fort: ma maladie l'a mis dans des inqui\u00e9tudes si terribles,\nqu'il faisoit piti\u00e9 \u00e0 tout le monde, et on venoit me rendre ses\ndiscours. En v\u00e9rit\u00e9, vous en auriez pleur\u00e9, Madame, aussi bien que moi.\nIl \u00e9toit dans des frayeurs \u00e9normes que je ne mourusse. Il n'\u00e9toit pas\npossible, disoit-il, qu'il p\u00fbt r\u00e9sister \u00e0 ce malheur. Sa douleur et sa\ntristesse \u00e9toient si grandes, que je le consolois, et je cachois mes\nmaux, tant que je le pouvois; il avoit toujours les larmes aux yeux; je\nn'osois le regarder, il m'attendrissoit trop. Madame _de Ferriol_ me\ndemanda un jour si je l'avois ensorcel\u00e9; je lui r\u00e9pondis: \u00able charme\ndont je me suis servie, est d'aimer malgr\u00e9 moi, et de lui rendre la vie\ndu monde la plus douce\u00bb. L'envie lui fit faire la question, et la malice\nme fit r\u00e9pondre. Voil\u00e0, Madame, ce que vous m'avez demand\u00e9; mon c\u0153ur est\n\u00e0 d\u00e9couvert. Je passe sous silence mes remords; ma raison m'en fait\nna\u00eetre; lui et ma passion les \u00e9touffent. Quelques rayons d'esp\u00e9rance\nd'une fin, d'une conclusion, aident bien \u00e0 m'\u00e9garer; mais il n'est pas \u00e0\nmon pouvoir de les abandonner. Adieu, Madame, je n'en puis plus. Voil\u00e0\nune longue lettre, pour une personne aussi foible que moi.\nLETTRE XXX.\nParis, 1727.\nJ'ai consult\u00e9 M. _Silva_ et M. _Gervais_ pour vous, Madame; ils veulent\nque vous vous fassiez saigner souvent, et que vous alliez absolument \u00e0\ndes bains chauds. Comme votre sant\u00e9 m'est plus ch\u00e8re que ma propre vie,\nje n'ai pas oubli\u00e9 un mot de ce qu'ils m'ont dit. Au nom de Dieu, faites\nce qu'il faut pour vous procurer une bonne sant\u00e9! Dieu l'ordonne, vos\nparens le d\u00e9sirent ardemment, et vos amis, \u00e0 la t\u00eate desquels je veux\n\u00eatre, se mettent \u00e0 vos genoux. Ne me donnez point pour raison celle de\nla d\u00e9pense. Je connois la noblesse de votre c\u0153ur, et je sais les motifs\nvertueux qui vous rendent si m\u00e9nag\u00e8re; mais les hommes, qui ne sont pas\ncapables de sentimens si d\u00e9licats, qui rapportent tout \u00e0 eux, vous\naccuseront d'un go\u00fbt pour l'\u00e9pargne. Cela seroit injuste, je l'avoue;\nmais il faut vivre avec ces hommes. Laissez moins de bien \u00e0 vos\nh\u00e9ritiers, et donnez-leur un bien plus pr\u00e9cieux, qui est votre sant\u00e9,\nvotre vie: l'argent que vous \u00e9conomiserez, pour rem\u00e9dier \u00e0 votre sant\u00e9,\nn'est fait que pour s'en servir. Je connois votre famille: ils\ndonneroient tous une partie de leurs jours pour prolonger les v\u00f4tres. Je\nvous dis tout cela avec une vivacit\u00e9 qui ne peut vous d\u00e9plaire, puisque\nc'est l'int\u00e9r\u00eat le plus vif et le plus tendre qui le dicte \u00e0 ma plume;\net il est difficile de se mod\u00e9rer, quand on est occup\u00e9, comme je le\nsuis, d'une amie telle que vous, et dont la sant\u00e9 me tient au c\u0153ur.\nPromettez-moi donc que vous ferez les rem\u00e8des n\u00e9cessaires. Songez, et\nsoyez bien convaincue que si vous \u00eates mieux, je serai indubitablement\nsoulag\u00e9e. Je me chagrine et m'attendris pour vous; je ne puis penser \u00e0\nvous que je n'aie le c\u0153ur gros. La crainte et la douleur \u00e9touffent des\nsouvenirs qui me plairoient. Laissez-moi penser \u00e0 vous doucement. Enfin,\nsi vous m'aimez, faites votre possible pour gu\u00e9rir.\nIl faut que je vous parle de mon foible corps; il est bien foible, je ne\npuis me remettre de ma furieuse maladie, je ne reprends point le\nsommeil, j'ai \u00e9t\u00e9 trente-sept heures sans fermer les paupi\u00e8res, et\ntr\u00e8s-souvent je ne m'endors qu'\u00e0 sept heures du matin. Vous jugez bien\nsi je peux reprendre mes forces; j'ai de la diarrh\u00e9e depuis quelques\njours. Les m\u00e9decins ne comprennent pas trop mon mal, ils disent que\njamais on n'a eu une fluxion de poitrine sans cracher. Il est vrai que\nj'ai eu de l'oppression, et que j'en ai encore beaucoup. Je suis\nextr\u00eamement maigrie; mon changement ne paro\u00eet pas autant quand je suis\nhabill\u00e9e. Je ne suis pas jaune, mais fort p\u00e2le; je n'ai pas les yeux\nmauvais: avec une coiffure avanc\u00e9e, je suis encore assez bien; mais le\nd\u00e9shabill\u00e9 n'est pas tentant, et mes pauvres bras, qui, m\u00eame dans leur\nembonpoint, ont toujours \u00e9t\u00e9 vilains et plais, sont comme deux\ncotterets. Vous auriez \u00e9t\u00e9 flatt\u00e9e de l'amiti\u00e9 que tout le monde a\nt\u00e9moign\u00e9e pour une personne que vous honorez de votre tendresse, si vous\naviez \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin de tout ce qui s'est pass\u00e9 pendant que je fus en\ndanger: tous mes amis et les domestiques fondoient en larmes; et quand\nj'ai \u00e9t\u00e9 hors de danger (j'ignorois y avoir \u00e9t\u00e9), ils vinrent tous \u00e0 la\nfois, avec des larmes de joie, me f\u00e9liciter. Je fus attendrie au point\nqu'ils craignoient d'avoir commis une indiscr\u00e9tion. Que seriez-vous\ndevenue, vous, Madame, qui avez, tant de bont\u00e9 pour moi, si vous aviez\n\u00e9t\u00e9 l\u00e0? Il y a deux de mes amies qui \u00e9toient dans la chambre, qui n'y\npurent tenir. Tout cela m'a \u00e9t\u00e9 cont\u00e9 depuis. La pauvre _Sophie_ a\nsouffert tout ce qu'il est possible de souffrir; elle craignoit de\nm'alarmer, elle vouloit avoir l'air assur\u00e9e; elle faisoit tout ce\nqu'elle pouvoit pour ne pas pleurer. Vous savez combien elle est pieuse;\nelle \u00e9toit inqui\u00e8te pour mon \u00e2me, d'autant que _Silva_ \u00e9toit furieux\nque l'on ne m'e\u00fbt pas confess\u00e9e. Il est vrai que sans avoir la certitude\nque j'\u00e9tois en danger, je l'avois demand\u00e9 \u00e0 madame _de Ferriol_, qui fit\nune autre sc\u00e8ne. Elle radote; elle ne fut occup\u00e9e que du jans\u00e9nisme.\nDans ce moment, au lieu de chercher un peu \u00e0 me rassurer, elle saisit\navec vivacit\u00e9 la premi\u00e8re parole que je lui dis, pour me donner son\nconfesseur, et que je n'en prisse point d'autre; je lui r\u00e9pondis d'une\nfa\u00e7on qui auroit fait rentrer une autre personne en elle-m\u00eame. J'avoue\nque dans ce moment je fus plus indign\u00e9e qu'effray\u00e9e; mais je m'aper\u00e7us\nque tout ce que je lui disois \u00e9toit inutile; c'\u00e9toit semer des\nmarguerites devant des pourceaux; elle ne sentoit rien que le plaisir\nd'avoir escamot\u00e9 ma confession \u00e0 un jans\u00e9niste; elle trouva le triomphe\nsi beau, qu'elle en devint insolente, et dit \u00e0 sa femme de chambre des\nchoses si piquantes sur _Sophie_, parce qu'elle ne m'avoit pas parl\u00e9 de\nson confesseur, que cette fille fondit en larmes, en lui disant qu'elle\net _Sophie_ \u00e9toient assez afflig\u00e9es, pour qu'elles m\u00e9ritassent plus de\nconsolations que de gronderies; que ma femme de chambre, il est vrai,\navoit eu plus d'amour pour ma vie que pour mon \u00e2me; qu'elle se\nreprochoit ces sentimens, et qu'elle \u00e9toit tr\u00e8s-soulag\u00e9e de voir que\nj'aurois les secours de l'\u00e2me, sans qu'elle e\u00fbt eu la douleur de me\nl'apprendre. Que dites-vous de cette sc\u00e8ne et de la tendresse de cette\nbonne dame? Mais l'on conserve toujours son caract\u00e8re: s'il avoit fallu\naller quatre heures \u00e0 pied, pour me chercher un rem\u00e8de, elle y auroit\n\u00e9t\u00e9 avec joie; mais les r\u00e9flexions tendres et d\u00e9licates, les sentimens\ndu c\u0153ur nuls; elle \u00e9toit f\u00e2ch\u00e9e, comme nous le sommes d'un indiff\u00e9rent\nqui ne nous fait point oublier le reste; elle n'\u00e9toit occup\u00e9e que de la\ncol\u00e8re qu'elle pr\u00e9tendoit que son fr\u00e8re auroit que je fusse morte entre\nles mains d'un jans\u00e9niste: chose dont je crois qu'il se seroit peu\nsouci\u00e9; mais elle s'\u00e9toit figur\u00e9 qu'il lui en auroit su mauvais gr\u00e9, et\nl'en auroit d\u00e9sh\u00e9rit\u00e9e. Vous direz peut-\u00eatre que je m'imagine tout cela.\nNon, en v\u00e9rit\u00e9, j'ai trop v\u00e9cu avec elle, pour ne la pas conno\u00eetre, et\nd'ailleurs, elle a trop peu de soin de me cacher son \u00e2me. J'attribue\ntout ceci \u00e0 une \u00e2me peu tendre et \u00e0 un corps apoplectique et qui radote.\nCela ne me fera jamais oublier toutes les obligations que je lui ai, et\nmon devoir; je lui rendrai tous les soins que je lui dois, aux d\u00e9pens\nm\u00eame de mon sang. Mais, Madame, qu'il est diff\u00e9rent d'agir par devoir ou\npar tendresse. Cela a son bien: je serois trop malheureuse, si j'avois\npour elle la tendresse que j'ai pour vous. Dans l'\u00e9tat o\u00f9 elle est, il\nfaudroit m'enterrer avec elle.\nAdieu, Madame, je finis cette longue \u00e9p\u00eetre, que je crois tr\u00e8s-difficile\n\u00e0 d\u00e9chiffrer. Madame _de Tencin_ m'aime \u00e0 la folie. Qu'en croyez-vous?\nJe voudrais bien qu'elle ne s'aper\u00e7ut pas de l'\u00e9loignement que j'ai pour\nelle: je me crois fausse, et quand je suis avec elle, je suis dans une\ncontinuelle contrainte. J'embrasse le mari, les femmes, les enfans.\nPermettez cette familiarit\u00e9 \u00e0 votre _A\u00efss\u00e9_.\n_P.S._ J'apprends dans ce moment que le roi vient d'ordonner que le\ncimeti\u00e8re de Saint-M\u00e9dard seroit ferm\u00e9, avec d\u00e9fense de l'ouvrir que\npour enterrer. Comprenez-vous, Madame, qu'on ait permis, depuis pr\u00e8s de\ncinq ans, toutes les extravagances qui se sont faites et d\u00e9bit\u00e9es sur le\ntombeau de l'abb\u00e9 _P\u00e2ris? Fontenelle_ nous assuroit l'autre jour, que\nplus une opinion \u00e9toit ridicule, inconcevable, plus elle trouvoit de\nsectateurs. Les hommes aiment le merveilleux; notre ami, M. _Carr\u00e9 de\nMontgeron_[201], jure sur son salut, qu'il a vu des choses\nsurnaturelles. Le gros livre qu'il a pr\u00e9sent\u00e9 au roi, cite des gu\u00e9risons\nmiraculeuses; aveugles-n\u00e9s, boiteux, sourds, muets; appuy\u00e9 de\ncertificats authentiques, sign\u00e9s par des gens de probit\u00e9 reconnue. La\npost\u00e9rit\u00e9 aura de la peine \u00e0 croire, que plus de vingt mille \u00e2mes aient\ndonn\u00e9 dans toutes ces extravagances. Le lendemain de la cl\u00f4ture du\ncimeti\u00e8re, on trouva ces vers:\n De par le roi, d\u00e9fense \u00e0 Dieu\n D'op\u00e9rer miracle en ce lieu.\nLETTRE XXXI.\nParis, 1732.\nJ'ai \u00e9t\u00e9 encore tr\u00e8s-incommod\u00e9e; j'ai eu six jours la fi\u00e8vre, des\ndouleurs effroyables dans tout le corps; je suis toujours fort oppress\u00e9e\net foible; les genoux et les mains me font mal. Je me trouve mieux\naujourd'hui seulement, et je n'\u00e9pargne pas les ports de lettres, \u00e9tant\npersuad\u00e9e comme je le suis, Madame, de votre amiti\u00e9 et de votre bont\u00e9\npour moi. J'envoyai, \u00e9tant encore bien malade, chez M. _S...._ le prier\nde venir me voir, voulant lui demander de vos nouvelles, et qu'il vous\ndonn\u00e2t des miennes. On ne me permit pas de lui parler, dont j'\u00e9tois\noutr\u00e9e. Il est venu aujourd'hui; il m'a appris le mariage de\nmademoiselle _Ducrest_ avec M. _Pictet_. Ah! le bon pays que vous\nhabitez, o\u00f9 l'on se marie, quand on s'est aim\u00e9, et quand on s'aime\nencore. Pl\u00fbt \u00e0 Dieu qu'on en f\u00eet autant ici! Faites-leur, s'il vous\npla\u00eet, mes complimens de f\u00e9licitation. M. _S...._ m'a dit que vous vous\nportiez assez bien, et que vous \u00e9tiez \u00e0 votre campagne, o\u00f9 vous vous\namusiez. Je me ressouviendrai toujours de tous les plaisirs que j'y ai\ngo\u00fbt\u00e9s. Madame _de Ferriol_ revient de Sens, o\u00f9 elle a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s-malade,\nd'une indigestion des plus dangereuses; elle est heureusement mieux;\nmais si j'avois le malheur de la perdre, et que je lui surv\u00e9cusse,\ns\u00fbrement vous me verriez \u00e9tablie \u00e0 Pont-de-Vesle. Si je suis un peu\nmieux, j'irai \u00e0 Ablons: le changement d'air pourroit contribuer au\nr\u00e9tablissement de ma sant\u00e9.\nJ'ai une tabati\u00e8re admirable, que madame _de Parab\u00e8re_ m'a donn\u00e9e, et\nque je voudrois bien vous faire voir; car quand j'ai quelque chose de\njoli, je souhaiterois bien qu'il e\u00fbt votre approbation; c'est une bo\u00eete\nde jaspe sanguin, d'une beaut\u00e9 parfaite, mont\u00e9e en or par tout ce qu'il\ny a de plus habile; la forme en est charmante. Elle l'avoit depuis cinq\n\u00e0 six ans, et l'autre jour, elle en parloit comme d'une bo\u00eete favorite.\nJe dis malheureusement qu'elle \u00e9toit la mienne, que je n'avois jamais vu\nun bijou de meilleur go\u00fbt. Sur cela il n'y a ni pri\u00e8res, ni pers\u00e9cutions\nqu'elle ne m'ait faites pour me la faire prendre; elle me mena\u00e7a de la\ndonner au premier venu, si je la refusois: cette bo\u00eete vaut plus de cent\npistoles. Elle m'entretient, il n'y a point de semaines qu'elle ne me\nfasse quelque pr\u00e9sent, quelque soin que je prenne de l'\u00e9viter: je file\nun meuble, elle m'envoie de la soie, afin que je n'en ach\u00e8te pas; elle\nne m'a vu cet \u00e9t\u00e9 que de vieilles robes de taffetas de l'ann\u00e9e\npr\u00e9c\u00e9dente, j'en ai trouv\u00e9 une sur ma toilette, de taffetas broch\u00e9,\ncharmant; une autre fois, c'est une toile peinte. En un mot, si cela est\nagr\u00e9able d'un c\u00f4t\u00e9, cela est \u00e0 charge de l'autre. Elle a une amiti\u00e9 et\nune complaisance pour moi, telle qu'on l'auroit pour une s\u0153ur ch\u00e9rie.\nPendant ma maladie, elle quittoit tout, pour venir passer des journ\u00e9es\naupr\u00e8s de moi; enfin, elle ne veut pas que j'en puisse aimer d'autres\nplus qu'elle, hors le chevalier et vous: elle dit qu'il est juste, de\ntoute fa\u00e7on, que vous ayez la pr\u00e9f\u00e9rence, et nous parlons souvent de\nvous. Je lui ai donn\u00e9 une grande id\u00e9e de mon amie, et telle qu'elle la\nm\u00e9rite. Pl\u00fbt \u00e0 Dieu qu'elle vous ressembl\u00e2t, et qu'elle e\u00fbt\nquelques-unes de vos vertus! Elle est de ces personnes que le monde et\nl'exemple ont g\u00e2t\u00e9es, et qui n'ont point \u00e9t\u00e9 assez heureuses pour\ns'arracher au d\u00e9sordre. Elle est bonne, g\u00e9n\u00e9reuse, a un tr\u00e8s-bon c\u0153ur;\nmais elle a \u00e9t\u00e9 abandonn\u00e9e \u00e0 l'amour, et elle a eu de bien mauvais\nma\u00eetres. Adieu, Madame; aimez-moi toujours un peu, et croyez que\npersonne ne vous est plus tendrement, ni plus respectueusement attach\u00e9.\nLETTRE XXXII.\nParis, novembre 1732.\nJe ne vous \u00e9cris que deux mots, Madame, parce que mes forces sont bien\ndiminu\u00e9es. J'ai \u00e9t\u00e9 oblig\u00e9e d'\u00e9crire une assez longue lettre d'affaires;\nmais je n'ai pas voulu tarder \u00e0 vous donner de mes nouvelles. Je ne\ndoute point de vos bont\u00e9s pour moi, et que vous seriez en peine, si vous\n\u00e9tiez plus long-temps sans en recevoir; j'ai moins de fi\u00e8vre depuis\ntrois jours, et suis un peu moins foible. Je suis presque toujours sur\nun lit, et quand je me l\u00e8ve, je me mets sur un canap\u00e9. Je prends du lait\nqui passe assez bien. Si cela pouvoit ne pas aller plus mal pendant une\nquinzaine de jours, _Silva_ auroit de l'esp\u00e9rance; ma maladie me ruine,\net l'avarice est devenue sordide. Si cela continue, nous verrons le\nsecond volume de madame _Tardieu_, qui se faisoit des jupons des th\u00e8ses\nque l'on donnoit \u00e0 son mari. Je vous parlerai dans quelque temps plus\namplement sur l'\u00e9tat de mon \u00e2me. J'esp\u00e8re que vous serez contente: il\nfaut pourtant que je vous dise que rien n'approche de l'\u00e9tat de douleur\net de crainte o\u00f9 l'on est: cela vous feroit piti\u00e9; tout le monde en est\nsi touch\u00e9, que l'on n'est occup\u00e9 qu'\u00e0 le rassurer. Il croit qu'\u00e0 force\nde lib\u00e9ralit\u00e9s, il rach\u00e8tera ma vie; il en donne \u00e0 toute la maison,\njusqu'\u00e0 ma vache, \u00e0 qui il a achet\u00e9 du foin; il donne \u00e0 l'un de quoi\nfaire apprendre un m\u00e9tier \u00e0 son enfant; \u00e0 l'autre, pour avoir des\npalatines et des rubans; \u00e0 tout ce qui se rencontre et se pr\u00e9sente\ndevant lui: cela vise quasi \u00e0 la folie. Quand je lui ai demand\u00e9 \u00e0 quoi\ntout cela \u00e9toit bon, il m'a r\u00e9pondu \u00ab\u00e0 obliger tout ce qui vous\nenvironne \u00e0 avoir soin de vous.\u00bb Pour moi, il n'y a sorte de tourment,\nde pers\u00e9cution qu'il ne me fasse \u00e9prouver pour me faire accepter cent\npistoles; il a eu recours \u00e0 mes amis, pour me le persuader; enfin, il me\nles a fallu prendre; mais je les ai remises \u00e0 une personne qui les lui\nrendra apr\u00e8s ma mort. Assur\u00e9ment, je n'y toucherai point; je demanderai\nplut\u00f4t l'aum\u00f4ne que de ne pas les rendre. Je vous ferois rire, si je\nvous contois les frayeurs qu'il a que je ne parle; _Silva_ me l'a\nd\u00e9fendu sous peine de mort. Ma pauvre _Sophie_, comme vous le jugez\nbien, ne me quitte ni jour, ni nuit. Cet homme-l\u00e0 la mettroit dans son\nc\u0153ur, s'il pouvoit; il est outr\u00e9 de n'oser lui donner de l'argent; il\ntourne autour du pot; il trouve cependant quelques exp\u00e9diens. Si vous le\nconnoissiez, vous en seriez \u00e9tonn\u00e9e; car il est naturellement distrait,\net ne conno\u00eet point les petits soins: pour la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, elle est au\nsouverain degr\u00e9; il se donne la torture pour trouver des moyens de\ndonner, et il finit toujours par vouloir donner de l'argent; il frappe\ndu pied, et se lamente de n'avoir point d'invention; il envie\nl'imagination du tiers et du quart, qui savent imaginer des\ngalanteries; enfin, il retourne \u00e0 son quartier, et j'aurai la libert\u00e9 de\nparler; les femmes ne peuvent s'en passer, et je l'\u00e9prouve. Adieu,\nMadame, votre _A\u00efss\u00e9_ vous aime au-del\u00e0 de l'expression. Vous la trouvez\ntrop sensible et trop peu d\u00e9tach\u00e9e; mais qu'il est difficile d'\u00e9teindre\nune passion aussi violente, et qui est entretenue par le retour le plus\ntendre, le plus vif et le plus flatteur! Mais, Madame, les efforts que\nje fais, aid\u00e9s de la gr\u00e2ce, me feront surmonter toutes mes foiblesses.\nLETTRE XXXIII.\nParis, 1732.\nOn dit que je suis mieux: non que je trouve du soulagement; je crache\ndes horreurs, et je ne dors que par art; je suis tous les jours plus\nmaigre et plus foible. Le lait commence, non pas \u00e0 me d\u00e9go\u00fbter, car je\nle prends toujours avec plaisir, mais il me surcharge. Je ne puis dire\nque l'\u00e9tat de mon corps soit bien douloureux; car je ne souffre presque\npas: un peu d'oppression et des malaises. D'ailleurs, je n'ai point de\nces maladies aigu\u00ebs. Je me trouve an\u00e9antie. Pour les douleurs de l'\u00e2me,\nelles sont cruelles. Je ne puis vous dire combien me co\u00fbte le sacrifice\nque je fais: il me tue; mais j'esp\u00e8re en la mis\u00e9ricorde de Dieu; il me\ndonnera des forces. On ne peut le tromper; ainsi, comme il sait ma bonne\nvolont\u00e9 et tout ce que je sens, il me tirera d'embarras. Enfin, mon\nparti est pris: aussit\u00f4t que je pourrai sortir, j'irai rendre compte de\nmes fautes. Je ne veux aucune ostentation, et je ne changerai que\ntr\u00e8s-peu de chose \u00e0 ma conduite ext\u00e9rieure. J'ai des raisons pour en\nagir avec tout le secret du monde: premi\u00e8rement pour madame _de\nFerriol_, qui me feroit tourner la t\u00eate pour un directeur moliniste; et\nmadame _de Tencin_, qui intrigueroit pour cela. D'ailleurs, madame iroit\nde maison en maison ramasser toutes les d\u00e9votes de profession qui\nm'accableroient; et, outre tout cela, j'ai des m\u00e9nagemens \u00e0 garder avec\nqui vous savez. Il m'a parl\u00e9 l\u00e0-dessus avec toute la raison et l'amiti\u00e9\npossibles. Tous ses bons proc\u00e9d\u00e9s, sa fa\u00e7on d\u00e9licate de penser, m'aimant\npour moi-m\u00eame, l'int\u00e9r\u00eat de la pauvre petite, \u00e0 qui on ne pourroit\ndonner un \u00e9tat: tout cela m'engage \u00e0 beaucoup de m\u00e9nagement avec lui.\nMes remords, depuis long-temps, me tourmentent; l'ex\u00e9cution me\nsoutiendra. Si le chevalier ne me tient pas ce qu'il m'a promis, je ne\nle verrai plus. Voil\u00e0, Madame, mes r\u00e9solutions, que je tiendrai. Je ne\ndoute pas qu'elles n'abr\u00e8gent ma vie, s'il en faut venir aux extr\u00e9mit\u00e9s.\nJamais passion n'a \u00e9t\u00e9 si violente, et je puis dire qu'elle est aussi\nforte de son c\u00f4t\u00e9. Ce sont des inqui\u00e9tudes et des agitations si vraies,\nsi touchantes, que cela fait venir les larmes aux yeux \u00e0 tous ceux qui\nen sont t\u00e9moins. Adieu, Madame, je me flatte, comme vous voyez, en vous\ncontant tout cela, de vos bont\u00e9s et de votre indulgence. Mais soyez\npersuad\u00e9e que, si votre _A\u00efss\u00e9_ vit, elle se rendra digne d'une amiti\u00e9\ndont elle sent bien tout le prix.\nLETTRE XXXIV.\nParis, 1733.\nVous m'avez ordonn\u00e9 de vous donner souvent de mes nouvelles. J'ob\u00e9is de\nbon c\u0153ur; car il n'y a rien dans le monde que je r\u00e9v\u00e8re, que j'estime et\nque j'honore autant que vous. Rien ne m'emp\u00eache de me livrer \u00e0 ce\ngo\u00fbt-l\u00e0: il est innocent, il est juste. Comment n'aimerois je pas\nquelqu'un qui m'a appris \u00e0 conno\u00eetre la vertu, et qui a fait ses efforts\npour me la faire pratiquer; qui a balanc\u00e9 en moi la passion la plus\nforte? Enfin, Madame, soyez r\u00e9compens\u00e9e de vos bonnes \u0153uvres. Je me\nrends \u00e0 mon cr\u00e9ateur; je travaille de tr\u00e8s-bonne foi \u00e0 me d\u00e9faire de ma\npassion, et je suis tr\u00e8s-r\u00e9solue \u00e0 abandonner mes erreurs. Si vous\nperdez la personne du monde qui vous est le plus attach\u00e9e, songez que\nvous avez travaill\u00e9 \u00e0 la rendre heureuse dans l'autre vie. Apr\u00e8s vous\navoir parl\u00e9 des dispositions de mon \u00e2me, je vous rendrai compte de\nl'\u00e9tat de mon corps. Je continue de cracher, de tousser et de maigrir.\nLe lait passe assez bien; mais il ne fait pas les progr\u00e8s que, depuis\npr\u00e8s de deux mois, il devoit faire. Je viens de me ressouvenir qu'une\nreligieuse des Nouvelles-Catholiques de mon \u00e2ge, et pour laquelle\nj'avois beaucoup d'amiti\u00e9, est morte de la m\u00eame maladie. Cette id\u00e9e de\nla mort m'afflige moins que vous ne pensez. Je me trouve trop heureuse\nque Dieu m'ait fait la gr\u00e2ce de me reconno\u00eetre, et je vais travailler \u00e0\nmettre \u00e0 profit le temps qui me reste. Apr\u00e8s tout, ma ch\u00e8re amie, un peu\nplut\u00f4t, un peu plus tard, qu'est-ce que la vie? Personne ne devoit \u00eatre\nplus heureuse que moi, et je ne l'\u00e9tois point. Ma mauvaise conduite\nm'avoit rendue mis\u00e9rable: j'ai \u00e9t\u00e9 le jouet des passions, emport\u00e9e et\ngouvern\u00e9e par elles. Mes remords, les chagrins de mes amies, leur\n\u00e9loignement, une sant\u00e9 presque toujours mauvaise; enfin personne ne sait\nmieux que vous, Madame, combien une vie douloureuse est p\u00e9nible. Adieu,\nch\u00e8re amie, aimez-moi, et priez pour le repos de mon \u00e2me, soit en ce\nmonde ou en l'autre. J'embrasse mesdames vos filles.\nLETTRE XXXV.\nParis, 1733.\nJ'ai re\u00e7u cet apr\u00e8s-midi votre lettre, Madame, qui m'a donn\u00e9 un vrai\nplaisir. Ma sant\u00e9 est toujours de m\u00eame; et la saison est tr\u00e8s-peu propre\npour attendre des succ\u00e8s des rem\u00e8des. Vous me demandez si je suis\nchang\u00e9e; je le suis tr\u00e8s-fort: mes yeux sont d'un gris brun jaune, le\ntour de ma bouche maigri et marqu\u00e9, p\u00e2le et abattue. Pour le corps, je\nn'ai plus que la peau et les os; si je mettois du rouge, cela me\nranimeroit: la physionomie est moins chang\u00e9e qu'elle ne devroit \u00eatre;\nmes l\u00e8vres ne sont pas p\u00e2les: en un mot, c'est une vilaine chose qu'un\ncorps maigre. A l'\u00e9gard de mon \u00e2me, j'esp\u00e8re que dimanche prochain, elle\nsera d\u00e9livr\u00e9e de toutes ses impuret\u00e9s; je m'accuserai de toutes mes\nfautes. J'ai eu une sc\u00e8ne bien touchante hier. Je vous envoie une copie\nd'une lettre que l'on m'a rendue en r\u00e9ponse d'une que j'avois \u00e9crite,\nremplie de sentimens d'amiti\u00e9, de d\u00e9tachement et de ma r\u00e9solution. Comme\non me la rendit soi-m\u00eame, je ne la lus pas sur-le-champ. Nous parl\u00e2mes\nsur cette mati\u00e8re; vous auriez fondu en larmes aussi bien que nous; mais\ncette sc\u00e8ne ne d\u00e9range point mes projets, et on ne cherche pas \u00e0 les\nd\u00e9ranger. Vous serez \u00e9tonn\u00e9e, quand je vous dirai que mes confidentes et\nles instrumens de ma conversion sont mon amant, mesdames _de Parab\u00e8re_\net _du Deffant_, et que celle dont je me cache le plus, c'est celle que\nje devrois regarder comme ma m\u00e8re. Enfin, madame _de Parab\u00e8re_ l'emm\u00e8ne\ndimanche, et madame _du Deffant_ est celle qui m'a indiqu\u00e9 le P.\n_Bourceaux_, dont je ne doute pas que vous n'ayez entendu parler; il a\nbeaucoup d'esprit, bien de la connoissance du monde et du c\u0153ur humain;\nil est sage, et ne se pique point d'\u00eatre un directeur \u00e0 la mode. Vous\n\u00eates surprise, je le vois, du choix de mes confidentes; elles sont mes\ngardes, et sur-tout madame _de Parab\u00e8re_ qui ne me quitte presque point,\net a pour moi une amiti\u00e9 \u00e9tonnante; elle m'accable de soins, de bont\u00e9s\net de pr\u00e9sens. Elle, ses gens, tout ce qu'elle poss\u00e8de, j'en dispose\ncomme elle, et plus qu'elle; elle se renferme chez moi toute seule et se\nprive de voir ses amis; elle me sert sans m'approuver, ni me\nd\u00e9sapprouver, c'est-\u00e0-dire, elle m'a \u00e9cout\u00e9e avec amiti\u00e9, m'a offert son\ncarrosse pour envoyer chercher le P. _Bourceaux_, et comme je vous l'ai\ndit, elle emm\u00e8ne madame _de Ferriol_, pour que je puisse \u00eatre\ntranquille; madame _du Deffant_, sans avoir ma fa\u00e7on de penser, m'a\npropos\u00e9 elle-m\u00eame son confesseur; je ne doute point que ce qui se passe\nsous leurs yeux ne jette quelqu'\u00e9tincelle de conversion dans leur \u00e2me.\nDieu le veuille! Adieu, madame: j'ai tant de joie \u00e0 causer avec vous,\nque je ne puis vous quitter. H\u00e9las! il faudra bien.\n_Lettre du Chevalier \u00e0 mademoiselle_ A\u00cfSS\u00c9.\n\u00abVotre lettre, ma ch\u00e8re _A\u00efss\u00e9_, me touche bien plus qu'elle ne me\nf\u00e2che; elle a un air de v\u00e9rit\u00e9, et une odeur de vertu \u00e0 laquelle je ne\npuis r\u00e9sister; je ne me plains de rien, puisque vous me promettez de\nm'aimer toujours. J'avoue que je ne suis pas dans les principes o\u00f9 vous\n\u00eates; mais, Dieu merci, je suis encore plus \u00e9loign\u00e9 de l'esprit de\npros\u00e9lytisme, et je trouve tr\u00e8s-juste que chacun se conduise suivant les\nlumi\u00e8res de sa conscience. Soyez tranquille, soyez heureuse, ma ch\u00e8re\n_A\u00efss\u00e9_, il ne m'importe des moyens: ils me paro\u00eetront tous\nsupportables, pourvu qu'ils ne me chassent pas de votre c\u0153ur. Vous\nverrez par ma conduite que je m\u00e9rite vos bont\u00e9s. Eh! pourquoi ne\nm'aimeriez-vous plus, puisque c'est votre sinc\u00e9rit\u00e9, c'est la puret\u00e9 de\nvotre \u00e2me qui m'attache \u00e0 vous? Je vous l'ai dit mille fois, et vous\nverrez que je ne vous trompe pas; mais est-il juste que vous attendiez\nque les effets vous aient prouv\u00e9 ce que je dis, pour le croire? Ne me\nconnoissez-vous pas assez pour avoir en moi cette confiance qu'inspire\ntoujours la v\u00e9rit\u00e9 aux gens qui sont capables de la sentir. Soyez, d\u00e8s\nce moment, persuad\u00e9e que je vous aime, ma ch\u00e8re _A\u00efss\u00e9_, aussi\ntendrement qu'il est possible, aussi purement que vous pouvez le\nd\u00e9sirer; croyez sur-tout que je suis plus \u00e9loign\u00e9 que vous-m\u00eame, de\nprendre jamais d'autre engagement. Je trouve qu'il ne doit rien manquer\n\u00e0 mon bonheur, tant que vous me permettrez de vous voir, et de me\nflatter que vous me regarderez comme l'homme du monde qui vous est le\nplus attach\u00e9. Je vous verrai demain, et ce sera moi-m\u00eame qui vous\nrendrai cette lettre. J'ai mieux aim\u00e9 vous \u00e9crire que de vous parler,\nparce que je sens que je ne pourrois traiter avec vous la mati\u00e8re, sans\nperdre contenance. Je suis encore trop sensible; mais je ne veux \u00eatre\nque ce que vous voulez que je sois; et dans le parti que vous avez pris,\nil suffit de vous assurer de ma soumission et de la constance de mon\nattachement, dans tous les termes o\u00f9 il vous plaira de le r\u00e9duire, sans\nvous laisser voir des larmes que je ne pourrois emp\u00eacher de couler, mais\nque je d\u00e9savoue, puisque vous m'assurez que vous aurez toujours pour moi\nde l'amiti\u00e9. J'ose le croire, ma ch\u00e8re _A\u00efss\u00e9_, non-seulement parce que\nje sais que vous \u00eates sinc\u00e8re, mais encore parce que je suis persuad\u00e9\nqu'il est impossible qu'un attachement aussi tendre, aussi fid\u00e8le, aussi\nd\u00e9licat que le mien, ne fasse pas l'impression qu'il doit faire sur un\nc\u0153ur comme le v\u00f4tre.\u00bb\nLETTRE XXXVI.\nParis, 1733.\nJe ne puis causer long-temps avec vous aujourd'hui; mais je vous dirai\nce qui mettra le comble \u00e0 vos souhaits; j'ai, Dieu merci, ex\u00e9cut\u00e9 ce que\nje vous avois mand\u00e9, je suis combl\u00e9e; ma tranquillit\u00e9 n'est plus que\ntrop grande; car je ne me sens pas assez repentante de mes fautes; mais\nje suis dans la ferme r\u00e9solution de ne plus succomber, si Dieu ne me\nretire pas sit\u00f4t \u00e0 lui. Je ne souhaite plus la vie que pour remplir mes\ndevoirs, et me conduire d'une fa\u00e7on qui puisse m\u00e9riter la mis\u00e9ricorde de\nce bon p\u00e8re. Il y aura demain huit jours que le P\u00e8re _Bourceaux_ a re\u00e7u\nma confession. La d\u00e9marche que j'ai faite a donn\u00e9 \u00e0 mon \u00e2me un calme que\nje n'aurois point, si j'\u00e9tois rest\u00e9e dans mes \u00e9garemens; j'aurois avec\nl'objet d'une mort pr\u00e9sente, les remords, qui m'auroient rendue bien\nmalheureuse dans ces derniers instans: je suis dans un tel \u00e9tat de\nfoiblesse, que je ne puis sortir de mon lit; je m'enrhume \u00e0 tous les\nmomens. Mon m\u00e9decin a pour moi des attentions \u00e9tonnantes, il est mon\nami, je suis bienheureuse en tout: tout ce qui est autour de moi, me\nsert avec affection: la pauvre _Sophie_ a des soins \u00e9tonnans de mon\ncorps et de mon \u00e2me; elle m'a donn\u00e9 de si bons exemples, qu'elle m'a\npresque forc\u00e9e \u00e0 devenir plus sage; elle ne m'a point pr\u00each\u00e9e; son\nexemple et son silence ont eu plus d'\u00e9loquence que tous les sermons du\nmonde; elle est afflig\u00e9e jusqu'au fond du c\u0153ur; elle ne manquera jamais\nde rien, quand elle m'aura perdue[202]. Tous mes amis l'aiment beaucoup,\net en auront soin. J'esp\u00e8re qu'elle n'en aura pas besoin. J'ai la\nconsolation de lui laisser du pain. Je ne vous parle point du\nchevalier; il est au d\u00e9sespoir de me voir aussi mal; jamais on n'a vu\nune passion aussi violente, plus de d\u00e9licatesse, plus de sentiment, plus\nde noblesse et de g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9. Je ne suis point inqui\u00e8te de la pauvre\npetite: elle a un ami et un protecteur, qui l'aime tendrement. Adieu, ma\nch\u00e8re Madame, je n'ai plus la force d'\u00e9crire. C'est encore pour moi une\ndouceur infinie de penser \u00e0 vous; mais je ne puis m'occuper de cette\njoie, sans m'attendrir, ma ch\u00e8re amie. La vie que j'ai men\u00e9e, a \u00e9t\u00e9 bien\nmis\u00e9rable: ai-je jamais joui d'un instant de joie? je ne pouvois \u00eatre\navec moi-m\u00eame, je craignois de penser; mes remords ne m'ont jamais\nabandonn\u00e9e depuis le moment o\u00f9 j'ai commenc\u00e9 \u00e0 ouvrir les yeux sur mes\n\u00e9garemens. Pourquoi serois-je effray\u00e9e de la s\u00e9paration de mon \u00e2me,\npuisque je suis persuad\u00e9e que Dieu est tout bon, et que le moment o\u00f9 je\njouirai du bonheur, sera celui o\u00f9 je quitterai ce mis\u00e9rable corps?\nFIN.\nERRATUM IMPORTANT.\nC'est d'apr\u00e8s de faux renseignemens que dans cette \u00e9dition et dans la\npr\u00e9c\u00e9dente, nous avons avanc\u00e9 que les lettres de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_\n\u00e9toient adress\u00e9es \u00e0 madame _Saladin_, femme du r\u00e9sident de Gen\u00e8ve \u00e0\nParis. Au moment o\u00f9 l'on achevoit l'impression de ce recueil, nous avons\nappris que la personne \u00e0 qui mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ \u00e9crivoit, \u00e9toit madame\n_Calendrini_, de Gen\u00e8ve, dont le mari avoit habit\u00e9 Paris pour ses\naffaires, et non pas pour celles de la r\u00e9publique. Ce fait est confirm\u00e9\npar le passage d'une lettre de _Voltaire_ \u00e0 M. _d'Argental_, (v. la\n_Correspondance g\u00e9n\u00e9rale_ de _Voltaire_, tome 6, page 96 de l'\u00e9dition de\nKelh, in-12.) Le lecteur voudra donc bien substituer le nom de\n_Calendrini_ ou _Calendrin_, comme l'\u00e9crit _Voltaire_, au nom de\n_Saladin_, partout o\u00f9 ce dernier se trouve \u00e9crit, soit dans la notice\nqui pr\u00e9c\u00e8de les lettres de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_, soit dans les lettres\nm\u00eames.\nFOOTNOTES:\n[1] _Voyez_ le num\u00e9ro du journal _des D\u00e9bats_ du 3 messidor an XIII.\n[2] Depuis plusieurs ann\u00e9es, on a r\u00e9uni aux Lettres de madame _de\nS\u00e9vign\u00e9_ celles de mesdames _de Coulanges_ et _de la Fayette_. Cette\npartie de notre collection fera un double emploi peu consid\u00e9rable pour\nceux qui ont des \u00e9ditions r\u00e9centes de madame _de S\u00e9vign\u00e9_; et ceux qui\nn'ont que des \u00e9ditions ant\u00e9rieures, seront sans doute bien aises de\npouvoir les compl\u00e9ter au moyen de notre recueil.\n[3] Caract\u00e8res de _La Bruy\u00e8re_, chap. Ier. _des Ouvrages de\nl'Esprit_.\n[4] _Abr\u00e9g\u00e9 Chronologique de l'Histoire de France_, tom. 3, p. 846.\n[5] Lettre de madame _de S\u00e9vign\u00e9_ \u00e0 madame _de Grignan_, du 8 octobre\n[6] Cette phrase est une preuve que toutes les Lettres de madame _de\nVillars_ \u00e0 madame _de Coulanges_ n'ont pas \u00e9t\u00e9 conserv\u00e9es; elle ne se\ntrouve dans aucune de celles qui nous restent.\n[7] Lettre de madame _de S\u00e9vign\u00e9_ \u00e0 madame _de Grignan_, du 28 f\u00e9vrier\n[8] Litt\u00e9ralement, _prendre le soleil_.\n[9] Gouverneur du Milanais, conseiller d'\u00e9tat, pr\u00e9sident du conseil des\nordres et grand \u00e9cuyer de la reine.\n[10] P\u00e8re de la princesse _d'Harcourt_.\n[11] C'est une esp\u00e8ce de panier.\n[12] Coussin.\n[13] La marquise _del Carpio_, femme du marquis _de Liche_, alors\nambassadeur \u00e0 Rome.\n[14] Apparitions.\n[15] Les ambassadrices d'Allemagne et de Danemarck.\n[16] Fille de madame _de S\u00e9vign\u00e9_.\n[17] Donner ou faire place.\n[18] Fran\u00e7ois, duc _de la Rochefoucauld_, prince _de Marsillac_, etc.\nauteur des _Maximes_ et des _M\u00e9moires_, etc. mort le 17 mars 1680. Il a\neu cinq gar\u00e7ons et trois filles.\n[19] Les quatre Rois sont:\n_Charles-Quint_, Empereur.\n_Philippe II._\n_Philippe III._\n_Philippe IV._\n[20] Le marquis _de Ligneville_.\n[21] _Charlotte-Elisabeth_ de Bavi\u00e8re, princesse palatine, seconde femme\nde _Monsieur_.\n[22] M. et madame _de Villars_ avoient tous deux 55 ans. Il mourut en\n[23] Madame _de Coulanges_ avoit pourtant 49 ans.\n[24] Le mar\u00e9chal son fils \u00e9toit \u00e2g\u00e9 de 28 \u00e0 29 ans.\n[25] Fille a\u00een\u00e9e de _Henri II_ et de _Catherine de M\u00e9dicis_, femme de\n_Philippe II_, roi d'Espagne. Elle mourut le 3 octobre 1568, en couche,\nnon sans soup\u00e7on de poison.\n[26] Fils de _Philippe II_, ex\u00e9cut\u00e9 le 24 juillet 1568. Il avoit demand\u00e9\net obtenu la princesse _Elisabeth_; mais le roi, \u00e9tant devenu veuf, la\nprit pour lui.\n[27] De la maison de Portugal.\n[28] Ch\u00e2teau royal de S\u00e9govie.\n[29] Selon le proverbe, _que ce qui est violent ne dure pas_.\n[30] Place publique de la ville de Lyon.\n[31] Fran\u00e7ois _de Neuville_, marquis, puis duc _de Villeroi_, pair et\nmar\u00e9chal de France.\n[32] De la charge de grand-ma\u00eetre de la Garde-robe.\n[33] Ch\u00e2teau de la maison de _Villeroi_, \u00e0 quatre lieues de Lyon.\n[34] M. _de Louvois_, ministre.\n[35] A M. _de Corbinelli_.\n[36] Le prince _d'Orange_ fut oblig\u00e9 de lever le si\u00e9ge de Charleroi le\n22 d\u00e9cembre 1672.\n[37] Madame _de Coulanges_ \u00e9toit ni\u00e8ce de la femme de M. _le Tellier_,\ndepuis chancelier de France.\n[38] Charles _de Brancas_, p\u00e8re de la princesse _d'Harcourt_, et\nchevalier d'honneur de la reine Anne _d'Autriche_.\n[39] Madame _de Richelieu_.\n[40] Capitaine des Gendarmes Dauphin.\n[41] M. _de S\u00e9vign\u00e9_ \u00e9toit guidon des Gendarmes Dauphin.\n[42] Trag\u00e9die de _Racine_, repr\u00e9sent\u00e9e, pour la premi\u00e8re fois, en\njanvier 1673.\n[43] _De Retz_.\n[44] Selon la mani\u00e8re de prononcer de madame _de Ludre_.\n[45] Madame _de S\u00e9vign\u00e9_ nommoit ainsi la fille de madame _de Grignan_,\nqui \u00e9toit n\u00e9e le 15 novembre 1670.\n[46] Madame _de Montespan_.\n[47] Le roi.\n[48] M. _de S\u00e9vign\u00e9_.\n[49] Madame _de Coulanges_ \u00e9toit cousine-germaine de M. _de Louvois_.\n[50] H\u00e9ros de roman.\n[51] Il \u00e9toit question du mariage du marquis _de Grignan_, petit-fils de\nmadame _de S\u00e9vign\u00e9_, avec mademoiselle _de Saint-Amant_, qu'il \u00e9pousa\npeu de temps apr\u00e8s.\n[52] Fille de madame _de Grignan_, depuis marquise _de Simiane_.\n[53] Mort le 5 d\u00e9cembre 1694, \u00e2g\u00e9 de 64 ans.\n[54] Fran\u00e7ois _de Clermont-Tonnerre_, \u00e9v\u00eaque et comte de Noyon.\n[55] L'abb\u00e9 _Testu_ avoit fait des stances chr\u00e9tiennes sur divers\npassages de l'\u00c9criture et des P\u00e8res.\n[56] C'est-\u00e0-dire, le mariage du marquis _de Grignan_ avec mademoiselle\n_de Saint-Amant_.\n[57] Marie _Stuard_, fille de Jacques II, roi d'Angleterre, et femme de\nGuillaume III, roi d'Angleterre, lequel n'\u00e9toit connu alors en France\nque sous le nom de prince _d'Orange_.\n[58] Mort le 4 janvier 1695, \u00e2g\u00e9 de 67 ans.\n[59] Morte le 7 janvier 1695.\n[60] M. _de Coulanges_ appeloit madame _de Louvois_ sa seconde femme.\n[61] Pour sa charge de capitaine des gardes du corps de S. M.\n[62] C'\u00e9toit _M. de Coulanges_.\n[63] Ce mariage ne se fit point. Mademoiselle _de Croissi_ fut mari\u00e9e,\nen 1696, au marquis _de Bouzoles_; et le comte _de Tilli\u00e8res_ \u00e9pousa, en\n1699, mademoiselle _du Gu\u00e9 de Bagnols_, ni\u00e8ce de madame _de Coulanges_.\n[64] De l'archev\u00each\u00e9 de Cambrai.\n[65] Madame _de S\u00e9vign\u00e9_ \u00e9toit la marraine du chevalier _de Sanzei_.\n[66] Cette lettre et la pr\u00e9c\u00e9dente \u00e9toient \u00e9crites sur des feuilles\nvolantes d'un tr\u00e8s-petit papier.\n[67] Le gouvernement de Bretagne fut donn\u00e9 \u00e0 feu M. le comte _de\nToulouse_, et celui de Guyenne \u00e0 M. le duc _de Chaulnes_.\n[68] M. _de Poissi_ n'\u00e9pousa point mademoiselle _de Beaumelet_, et ne se\nmaria qu'en 1698 avee mademoiselle _de Varangeville_.\n[69] L'abb\u00e9 _Duguet_, auteur de l'_Institution d'un Prince_.\n[70] A cause de l'extr\u00eame d\u00e9votion de madame _de la Sabli\u00e8re_, \u00e0 qui\ncette maison appartenoit auparavant.\n[71] Par le P. _de la Rue_, j\u00e9suite.\n[72] _Guillaume III_, roi d'Angleterre.\n[73] La marquise _de Grignan_.\n[74] Le duc _du Lude_.\n[75] L'abb\u00e9 _de Ranc\u00e9_.\n[76] Intendant de l'arm\u00e9e de Flandre.\n[77] Anne-Fran\u00e7oise _de Lom\u00e9nie_, femme de Louis _Boucherat_, chancelier\nde France.\n[78] Allusion au p\u00e8re _de la Chaise_, confesseur du roi.\n[79] Achilles _de Harlai_, premier pr\u00e9sident du parlement de Paris.\n[80] Madame _du Gu\u00e9-Bagnols_.\n[81] Fran\u00e7ois _de Harlai de Chanvalon_, archev\u00eaque de Paris, mort \u00e0\nConflans pr\u00e8s de Paris, le 6 d'ao\u00fbt 1698, \u00e2g\u00e9 de 70 ans.\n[82] M. _de F\u00e9n\u00e9lon_.\n[83] C'\u00e9toit le mar\u00e9chal _de Villeroi_ qui commandoit l'arm\u00e9e en ce\ntemps-l\u00e0.\n[84] S\u0153ur de madame _de Montespan_.\n[85] Allusion \u00e0 ces vers du _Menteur_: Mais, puisque nous voici dedans\nles Tuileries, Le s\u00e9jour du beau monde et des galanteries.\n[86] Louis-Antoine _de Noailles_, \u00e9v\u00eaque de Ch\u00e2lons, depuis cardinal.\n[87] M. _de Sanzei_, neveu de M. _de Coulanges_.\n[88] Marguerite _le Tellier_, fille du marquis _de Louvois_, ministre de\nla guerre.\n[89] Ce mariage ne se fit point avec mademoiselle _de Cl\u00e9rembault_, mais\navec mademoiselle _de Duras_, fille du mar\u00e9chal de ce nom, en 1696.\n[90] Ce mariage ne se fit que le premier avril 1698.\n[91] Madame la comtesse _de Grignan_.\n[92] Depuis marquise _de Simiane_.\n[93] C'est \u00e0 l'occasion du mariage de mademoiselle _de Grignan_, qui\ndevoit bient\u00f4t \u00e9pouser le marquis _de Simiane_.\n[94] Louis-Marie-Armand _de Simiane de Gordes_, \u00e9v\u00eaque de Langres, mort\nle 21 novembre 1695.\n[95] Catherine _de Roug\u00e9 du Plessis-Belli\u00e8re_.\n[96] Nicolas-Charles _de Cr\u00e9qui_, marquis _de Blanchefort_, mort \u00e0\nTournai le 16 mars 1696, \u00e2g\u00e9 de 27 ans.\n[97] Claude _de Longueil_, marquis _de Poissi_ et _de Maisons_,\npr\u00e9sident \u00e0 mortier au parlement de Paris.\n[98] Louise _de Fieubet_, m\u00e8re de M. _de Poissi_.\n[99] Elle fut mari\u00e9e, en 1699, au comte _de Tilli\u00e8res_.\n[100] S\u0153ur de madame _de Montespan_.\n[101] Pauline Adh\u00e9mar _de Monteil_, marquise _de Simiane_, et\npetite-fille de madame _de S\u00e9vign\u00e9_.\n[102] Madame _de S\u00e9vign\u00e9_, morte \u00e0 Grignan peu de jours auparavant.\n[103] De madame _de S\u00e9vign\u00e9_, grand'm\u00e8re de madame _de Simiane_, et\nbonne amie de madame _de Coulanges_, morte depuis environ six semaines.\n[104] A cause de l'extr\u00eame tendresse de madame _de S\u00e9vign\u00e9_ pour madame\n_de Grignan_, sa fille.\n[105] La princesse _de Savoie_, qui devoit \u00eatre dans peu duchesse _de\nBourgogne_, est appel\u00e9e ici _la voisine_ de madame _de Simiane_, parce\nqu'alors madame _de Simiane_ demeuroit en Provence.\n[106] Il a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 remarqu\u00e9 que M. _de Coulanges_ appeloit madame _de\nLouvois_ sa seconde femme.\n[107] A cause de la proximit\u00e9 du Pi\u00e9mont et de la Provence.\n[108] Dame d'honneur de madame la duchesse _de Bourgogne_.\n[109] Madame _du Lude_ n'avoit point d'enfans.\n[110] La mort de Charles II, roi d'Espagne, appela, par son testament,\nM. le duc _d'Anjou_ \u00e0 la succession enti\u00e8re de la monarchie d'Espagne.\n[111] M. le duc _de Bourgogne_ et M. le duc _de Berri_, apr\u00e8s avoir\naccompagn\u00e9 le roi d'Espagne, leur fr\u00e8re, sur la fronti\u00e8re d'Espagne,\nfirent le voyage de Provence.\n[112] _Philippe_, fils de France, fr\u00e8re unique de Louis XIV, mort \u00e0\nSaint-Cloud le 9 de juin 1701, \u00e2g\u00e9 de soixante ans et huit mois.\n[113] Louise-Marie _de la Grange d'Acquien_, femme du marquis _de\nB\u00e9thune_, et s\u0153ur de Marie-Casimire _de la Grange_, reine de Pologne.\n[114] Madame _de Bracciane_ \u00e9toit fort vieille.\n[115] Au combat de Chiari.\n[116] Allusion \u00e0 madame _de Bracciane_, qui, malgr\u00e9 son \u00e2ge avanc\u00e9,\nconduisoit la reine d'Espagne.\n[117] Marie-Antoinette _Servien_, morte le 26 janvier 1702.\n[118] Madame _de Simiane_ n'avoit alors que 26 \u00e0 27 ans.\n[119] Armand-Jean _du Plessis_, duc _de Richelieu_, \u00e9pousa en troisi\u00e8mes\nnoces, le 20 mars 1702, Marguerite-Th\u00e9r\u00e8se _Rouill\u00e9_, veuve du marquis\n_de Noailles_.\n[120] Marie-Henriette _le Hardi_, fille unique du marquis _de la\nTrousse_, lieutenant-g\u00e9n\u00e9ral des arm\u00e9es du roi, chevalier des ordres de\nsa majest\u00e9, et de Marguerite _de la Fond_, \u00e9toit veuve d'Am\u00e9d\u00e9e-Alphonse\n_del Pozzo_, prince _de la Cisterne_.\n[121] Terre situ\u00e9e en Provence, sur le bord de la mer, et qui\nappartenoit alors \u00e0 la maison _de Grignan_.\n[122] Jeanne _de Brehan_, marquise _de S\u00e9vign\u00e9_.\n[123] Pr\u00eatre de l'Oratoire, d'un tr\u00e8s grand m\u00e9rite, qui demeuroit au\ns\u00e9minaire de Saint-Magloire.\n[124] De M. _de Saci_, de l'acad\u00e9mie fran\u00e7oise.\n[125] Charles _d'Aubign\u00e9_, gouverneur de Berri, chevalier des ordres du\nroi, fr\u00e8re de madame _de Maintenon_.\n[126] Le combat d'Ekeren, donn\u00e9 le 30 juin 1704.\n[127] M. _de Catinat_.\n[128] M. _de Catinat_ s'\u00e9toit retir\u00e9 \u00e0 Saint-Gratien dans le voisinage\nd'Ormesson.\n[129] C\u00e9l\u00e8bre pr\u00e9dicateur de l'Oratoire, depuis \u00e9v\u00eaque de Clermont.\n[130] Les m\u00e9moires dont il s'agit furent enfin imprim\u00e9s \u00e0 Paris en 1724,\navec privil\u00e8ge; 2 vol. in-12, et sans doute apr\u00e8s la mort du neveu de\n_Gourville_.\n[131] A cause du mar\u00e9chal _de Catinat_.\n[132] Lieutenant de roi de la Bastille.\n[133] La marquise _de S\u00e9vign\u00e9_.\n[134] Mar\u00e9chal _de Catinat_.\n[135] Le a f\u00e9vrier.\n[136] Marie-Charlotte _de Romillei de la Chesnelaye_.\n[137] Allusion au livre du marquis _de l'H\u00f4pital_, sur _les infiniment\npetits_.\n[138] Jean-Fran\u00e7ois-Paul _de Cr\u00e9qui_, duc _de Lesdigui\u00e8res_, mort \u00e0\nMod\u00e8ne le 6 octobre 1703, \u00e2g\u00e9 de 25 ans.\n[139] A Ormesson.\n[140] Mademoiselle _de Montalais_, fille d'honneur de madame\n_Henriette-Anne d'Angleterre_.\n[141] _Henriette-Anne d'Angleterre_, morte le 29 juin 1670.\n[142] _Elisabeth-Charlotte_, palatine du Rhin, que _Monsieur_, fr\u00e8re\nunique de _Louis XIV_, \u00e9pousa en secondes noces le 21 novembre 1671.\n[143] Gouvernante des enfans de _Monsieur_.\n[144] _Marie-Louise le Loup de Bellenave_, veuve d'_Alexandre de\nChoiseul_, comte _du Plessis_; et remari\u00e9e depuis \u00e0 _Ren\u00e9 Gillier de\nPuygarreau_, marquis _de Cl\u00e9rembault_, premier \u00e9cuyer de _Madame_,\nduchesse d'_Orl\u00e9ans_.\n[145] Madame _de Northumberland_.\n[146] Gabrielle-Louise _de Saint-Simon_, duchesse _de Brissac_.\n[147] Colombe _le Charron_, femme de C\u00e9sar, duc _de Choiseul_, pair et\nmar\u00e9chal de France, et premi\u00e8re dame d'honneur de _Madame_.\n[148] Il ne faut pas confondre l'abb\u00e9 _Testu_, dont il est parl\u00e9 dans\nces lettres, avec un autre abb\u00e9 _Testu_ qui avoit \u00e9t\u00e9 aum\u00f4nier ordinaire\nde _Madame_, et qui \u00e9toit comme le premier de l'acad\u00e9mie fran\u00e7oise:\ncelui dont il s'agit \u00e9toit un homme de beaucoup d'esprit et de\ntr\u00e8s-bonne compagnie.\n[149] Les religieuses du Calvaire ont leur voile baiss\u00e9 au parloir,\nexcept\u00e9 pour leurs proches parens, ou dans des cas particuliers.\n[150] Madame _de Schomberg_ et madame _de Marans_ \u00e9toient log\u00e9es dans la\nm\u00eame maison.\n[151] Terre de madame _de S\u00e9vign\u00e9_, en Bretagne.\n[152] C'est ce que madame _de S\u00e9vign\u00e9_ appeloit _l'approbation de ses\ndocteurs._\n[153] Fr\u00e8re du mar\u00e9chal _de Catinat_.\n[154] Fran\u00e7ois d'_Aubusson_, duc _de la Feuillade_; pair et mar\u00e9chal de\nFrance, gouverneur du Dauphin\u00e9, et p\u00e8re du dernier mar\u00e9chal de ce nom.\n[155] Tu\u00e9 au combat de Leuze, le 20 septembre 1691.\n[156] Derniers vers de la pompe fun\u00e8bre de _Voiture_, par _Sarrasin_.\n[157] _L'enfer des femmes c'est la vieillesse_, disoit un jour le duc\n_de la Rochefoucauld_ \u00e0 mademoiselle _de l'Enclos_.\n[158] M. _Turretin_, professeur en histoire eccl\u00e9siastique \u00e0 Gen\u00e8ve.\n[159] _Malherbe,_ dans l'ode _\u00e0 la reine-m\u00e8re, sur sa bien-venue en\nFrance._\n[160] Le grand _Cond\u00e9_ qui avoit \u00e9t\u00e9 son amant.\n[161] Le comte _de Guiche_.\n[162] _Saint-Evremont_ \u00e9toit n\u00e9 le premier avril 1613, et mademoiselle\n_de l'Enclos_ en mai 1616; il avoit trois ans plus qu'elle.\n[163] Elle l'\u00e9toit en effet. Le comte _de Grammont_ ne mourut que le 10\njanvier 1707, \u00e2g\u00e9 de quatre-vingt-six ans.\n[164] M. le comte _de Grammont_.\n[165] Guillaume, cardinal _Dubois_, archev\u00eaque, duc de Cambrai, prince\ndu Saint-Empire, premier ministre sous la r\u00e9gence du duc _d'Orl\u00e9ans_, n\u00e9\nle 6 septembre 1656, et mort \u00e0 Paris le 10 ao\u00fbt 1723, \u00e2g\u00e9 de\nsoixante-six ans, onze mois et quatre jours.\nN'\u00e9tant encore que l'abb\u00e9 _Dubois_, il fut envoy\u00e9, en 1698, en\nAngleterre, pour quelque n\u00e9gociation secr\u00e8te de la cour de France avec\ncelle de Londres.\n[166] M. l'abb\u00e9 _de Hautefeuille_.\n[167] La duchesse _de Mazarin_.\n[168] Sur la mort de madame la duchesse _de Mazarin_, morte \u00e0 Chelsey,\npr\u00e8s de Londres, le 21 Juillet 1699, \u00e2g\u00e9e de 76 ans.\n[169] Ces lettres vont de l'ann\u00e9e 1725 \u00e0 l'ann\u00e9 1733.\n[170] Ablons, campagne pr\u00e8s Paris.\n[171] Pont-de-Vesle, terre en Bourgogne.\n[172] Fils de madame de Ferriol.\n[173] Autre fils de cette dame.\n[174] Excellente actrice pour les pi\u00e8ces de _Marivaux_. (_Note de M._ de\nVoltaire).\n[175] Mademoiselle _A\u00efss\u00e9_ se trompe. Il \u00e9toit caissier de la compagnie\nde la mer du Sud, et il se retira en France avec la caisse; il y a v\u00e9cu\nlong-temps, avec plus de magnificence que de bonne r\u00e9putation. (_G..._)\n[176] La demoiselle en \u00e9toit folle. Ce mariage s'est fait contre l'aveu\ndes parens. (_Note de M._ de Voltaire).\n[177] L'histoire est tr\u00e8s-vraie. (_Note de M._ de Voltaire).\n[178] Madame _de Prie_ \u00e9toit tr\u00e8s-galante.\n[179] M. _d'Argental_.\n[180] La fille de mademoiselle _A\u00efss\u00e9_.\n[181] M. _Tronchin_, conseiller d'\u00e9tat \u00e0 Gen\u00e8ve.\n[182] _Martine_, G\u00e9nevois, envoy\u00e9 du Landgrave de Hesse, \u00e0 Paris.\n[183] Un parent vieux et riche dont madame _Saladin_ devoit h\u00e9riter.\n[184] M. _de Pont-de-Vesle_, lecteur du roi.\n[185] Pr\u00e9diction qui s'est confirm\u00e9e. C'\u00e9toit une femme de beaucoup de\ng\u00e9nie, d'esprit, et tr\u00e8s-instruite. Elle parloit plusieurs langues; elle\n\u00e9toit s\u0153ur du fameux milord _Bolingbrocke_. (_Note de M._ de Voltaire).\n[186] L'archev\u00eaque _de Tencin_, fr\u00e8re de madame _de Tencin_.\n[187] M. _Bertie_, conseiller au parlement.\n[188] Gentilhomme proven\u00e7al.\n[189] _Villars-Chandieu_, officier g\u00e9n\u00e9ral en France, ayant un r\u00e9giment\nSuisse.\n[190] Le cardinal _de Fleury_ imagina, sous de certains pr\u00e9textes, de\nretrancher les rentes viag\u00e8res. Cette op\u00e9ration ne fut pas faite\nimpartialement; plusieurs trouv\u00e8rent le moyen, avec de l'argent, d'en\n\u00eatre exempts.\n(_Note de_ M. de Voltaire).\n[191] Le cardinal _de Tencin_, qui pr\u00e9sida le concile d'Embrun.\n[192] Le cardinal _de Tencin_ et sa s\u0153ur.\n[193] Fr\u00e8re de M. _d'Argental_.\n[194] _La Fresnaye_, amant de madame _de Tencin_, qui, dit-on, l'avoit\nruin\u00e9; il se tua dans son cabinet. Il disoit dans son testament, que\ns'il mouroit de mort violente, c'\u00e9toit elle qu'on devoit en accuser:\nelle fut mise au ch\u00e2telet, d'o\u00f9 elle sortit justifi\u00e9e.(_Note de M. de\nVoltaire_).\n[195] Elle mourut entre mes bras, d'une inflammation d'entrailles; et ce\nfut moi qui la fis ouvrir. Tout ce que dit mademoiselle _A\u00efss\u00e9_, sont\ndes bruits populaires qui n'ont aucun fondement. (_Note de l'\u00e9criture\nm\u00eame de M. de Voltaire et sign\u00e9e de lui_).\n[196] Le cardinal _de Tencin_, archev\u00eaque de Lyon.\n[197] Sa petite fille, au couvent.\n[198] M. _de Bellegarde_, cadet sans fortune, fut ensuite en Pologne, o\u00f9\nil \u00e9pousa la s\u0153ur du mar\u00e9chal _de Saxe_, fille d'Aurore _de Konigsmark_.\nRien de plus vrai. (_Note de M._ de Voltaire).\n_Voltaire_ a commis ici une petite erreur que nous allons rectifier. La\nfemme qu'\u00e9pousa M. _de Bellegarde_, \u00e9toit bien s\u0153ur du mar\u00e9chal _de\nSaxe_, puisqu'ils avoient tous deux pour p\u00e8re _Auguste II_, roi de\nPologne; mais elle n'\u00e9toit point fille d'Aurore _de Konigsmark_, la m\u00e8re\ndu mar\u00e9chal: la sienne \u00e9toit une turque, dont _Auguste II_ eut aussi un\nfils nomm\u00e9 le comte _de Rutowski_.\n[199] Capitaine aux Gardes Suisses.\n[200] M. _de Ferriol_, ambassadeur. _Aga_, mot turc qui signifie\ngardien.\n[201] M. _Carr\u00e9 de Montgeron_, conseiller au parlement.\n[202] _Sophie_, \u00e0 la mort de demoiselle _A\u00efss\u00e9_, s'est mise dans un\ncouvent.\nEnd of the Project Gutenberg EBook of Lettres de Mmes de Villars, de\nCoulanges et de La Fayette, de, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth A\u00efss\u00e9 and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette\n*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LETTRES DE MMES DE VILLARS ***\n***** This file should be named 29476-0.txt or 29476-0.zip *****\nThis and all associated files of various formats will be found in:\nProduced by Chuck Greif and the Online Distributed\nproduced from images generously made available by the\nBiblioth\u00e8que nationale de France (BnF/Gallica) at\nUpdated editions will replace the previous one--the old editions\nwill be renamed.\nCreating the works from public domain print editions means that no\none owns a United States copyright in these works, so the Foundation\n(and you!) can copy and distribute it in the United States without\npermission and without paying copyright royalties. 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The Foundation's EIN or federal tax identification\nnumber is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at\nLiterary Archive Foundation are tax deductible to the full extent\npermitted by U.S. federal laws and your state's laws.\nThe Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.\nFairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered\nthroughout numerous locations. Its business office is located at\n809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email\nbusiness@pglaf.org. Email contact links and up to date contact\ninformation can be found at the Foundation's web site and official\nFor additional contact information:\n Dr. Gregory B. Newby\n Chief Executive and Director\n gbnewby@pglaf.org\nSection 4. Information about Donations to the Project Gutenberg\nLiterary Archive Foundation\nProject Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide\nspread public support and donations to carry out its mission of\nincreasing the number of public domain and licensed works that can be\nfreely distributed in machine readable form accessible by the widest\narray of equipment including outdated equipment. Many small donations\n($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt\nstatus with the IRS.\nThe Foundation is committed to complying with the laws regulating\ncharities and charitable donations in all 50 states of the United\nStates. Compliance requirements are not uniform and it takes a\nconsiderable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up\nwith these requirements. We do not solicit donations in locations\nwhere we have not received written confirmation of compliance. To\nSEND DONATIONS or determine the status of compliance for any\nWhile we cannot and do not solicit contributions from states where we\nhave not met the solicitation requirements, we know of no prohibition\nagainst accepting unsolicited donations from donors in such states who\napproach us with offers to donate.\nInternational donations are gratefully accepted, but we cannot make\nany statements concerning tax treatment of donations received from\noutside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.\nPlease check the Project Gutenberg Web pages for current donation\nmethods and addresses. Donations are accepted in a number of other\nways including checks, online payments and credit card donations.\nSection 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic\nworks.\nProfessor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm\nconcept of a library of electronic works that could be freely shared\nwith anyone. For thirty years, he produced and distributed Project\nGutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.\nProject Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed\neditions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.\nunless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily\nkeep eBooks in compliance with any particular paper edition.\nMost people start at our Web site which has the main PG search facility:\nThis Web site includes information about Project Gutenberg-tm,\nincluding how to make donations to the Project Gutenberg Literary\nArchive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to\nsubscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.", "source_dataset": "gutenberg", "source_dataset_detailed": "gutenberg - Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle A\u00efss\u00e9\n"}, {"content": "THE MERCHANT A-LA-MODE.\nTo the tune of Which no Body can deny.\nLondon: Printed by J. Read in White-Fryers, near Fleet-Street. Price One Penny.\n\nAttend and prepare for a cargo from Dover,\nThe preludes of peace with Duke d'Aumont's come over,\nWhich will the true hearts of each subject discover,\nWhich no body can deny, deny, which no body can deny.\n\nA noble, brave troop rode on horseback before him,\nThe people huzza'd and with shouts did adore him,\nWhile the Whigs were confounded to see such honor,\nTheir hopes and designs of a war is all blast,\nTheir times of insulting authority's past,\nSince deprived of all places of honor and trust;\nA dance by the allies hand in hand was begun,\nTill England was tired and wished to sit down,\nThe rest being enraged, swore they'd jig it alone;\nThe music struck up to the tune as before,\nYet each said they never had such partners before,\nFor the Dutch figured in, whilst the Germans crossed over.\nThen a confusion and uproar ensued,\nAll former alliances and friendships were void,\nFor the Germans not even a farthing for music paid,\n\nThus, thus we have carried the jest too far,\nPaid all the charge and expense of the war,\nYet found ingratitude for our losses and care,\n\nThe Germans' displeasure we've mourned by a peace,\nAnd lost that great title of mighty allies,\nYet, thanks be to God, we've opened our eyes:\n\nWe thought that the Dutch would keep touch to our song,\nBut they played on the Low Party's viol so long,\nThe strings proving false, all the consort was wrong,\n\nThrough mighty entreaties at last they squeezed in,\nAnd to enjoy a peace their alliance did join,\nWhile the Emperor's throne was on the Danube and Rhine.\n\nThis greatly disturbed all the factions' train,\nSince all other projects and counsels were vain,\nAnd John their protector crossed over the Main.\n\nThey still had a prospect, if war had gone on.\nTo turn all the state and prefer honest John,\nBut their ministry changed, and their captains forlorn.\nWhich.\nThus, ashamed of their guilt, with envy and hate\nThey burn in revenge of their downfall and fate,\nBut their malice, and interest, and power's too late;\nWhich.\nTheir secret designs we have valued at naught,\nFor peace to a general finish is brought,\nAnd Lewis no more is our enemy thought;\nWhich.\nWith France open trade and commerce declare,\nForgetting all quarrels, and chances of war,\nSince glory in peace we shall equally share;\nWhich.\nThus long we've endangered our fortune and blood,\nYet where's the ally which to their text e'er stood?\nWhich.\nThen health, lasting peace, and long life to our QUEEN,\nThe happy succession of the Protestant line,\nAnd all our alliance in union remain;\nWhich.\nLet civil and foreign dissensions now cease,\nGreat-Britain in glory and riches increase,\nStill enjoying the fruits of a glorious PEACE.\nFinis.", "creation_year": 1713, "creation_year_earliest": 1713, "creation_year_latest": 1713, "source_dataset": "EEBO", "source_dataset_detailed": "EEBO_Phase2"}, {"content": "Ingratitude being so common in the age we live in, it's no wonder that princes encounter the same treatment as common people, who find themselves slighted by those on whom they bestow their most generous favors. It is evident that this has been the fate of princes in recent times, and no further proof is necessary than an examination of the actions of some great men. Not even the greatest honors bestowed by a gracious princess have the power to bind some persons to their steadfast duty and allegiance. Some have even infiltrated the most honorable Order of the Garter, an order with the following origins:\n\nIn ancient times, when Britain's warlike sons had half of the universe under their control, and every year brought fresh laurels to their monarch with conquests, each fortunate and auspicious day displayed new victories. Conquest seemed to wait on England, and heaven still smiled upon their prosperous state:\nNothing but pleasure was found in the court,\nAnd gaiety each blissful moment crowned,\nMars's bold sons still in the charming fair\nMet with complaisant, kind, obliging air,\nAt their mistresses' feet their trophies laid,\nWho all their toils with pleasing smiles repaid.\nThus Cytherea did on Ida meet\nThe God of War, and with soft kisses greet\nHer love returning, softening by her charms\nThe dire remembrance of war's harsh alarms.\nAround his neck her folding arms she flung,\nAnd with unccommon transport on him hung;\nThe tedious hours she kindly did beguile,\nWhilst the glad hero did forget his toil;\nSecurely on her downy breast he laid\nAnd homage to her sovereign beauty paid.\n\nNo prince could escape love's fatal dart,\nBrave though his soul, yet tender was his heart;\nHe who still got new triumphs from the field\nAt home to beauty's power was forced to yield:\nLove to his heart an easy passage found,\nSure was the stroke, though pleasing was the wound;\nFor love soonest enslaves generous minds.\nThe Vulgar scorns yet captivates the brave;\nFor while a Nymph with graceful gesture moved,\nHe gazed, he saw, and seeing, Countess of Salis buried, he loved.\nThe more he saw, the more he did admire,\nHer every action fanned the raging fire,\nWhen on a sudden on the ground he spied\nAn azure ribbon, which the Nymph had tied\nAround her leg; straight he with eager joys\nSeized the welcome, though a worthless prize.\nThe nobles smiled to see their monarch stoop,\nSo small, so mean a trifle to take up;\nThe Lady, conscious of the plain disgrace,\nWith crimson blushes dyed her beauteous face;\nWhen straight the Edw. 3 monarch cried, \"I'll make this thing\nA present fitting for the greatest king,\nHeroic souls it only shall adorn,\nAnd by the bravest generals shall be worn.\nNot so of late, when R\u2014s did receive\nThe greatest gift that Britain's prince could give.\"\nWho with cabals and cheating tricks repaid\nThe sovereign honor their prince had on them laid.\nBut ANNA does its ancient worth restore,\nExalt it above what it was before;\nNever was it by more worthy patriots worn,\nNor ever did braver Englishmen adorn,\nWitness Great Beaufort, whose illustrious birth\nIs honored by his virtue and his worth;\nWise, prudent, noble, generous and just,\nFirm to his country's interest and his trust,\nWhose loyalty in every act is seen\nA subject worthy of so great a queen:\nAnd Oxford, who so bravely has withstood\nThe base attempts of a cursed factious brood;\nDid all their plots with prudence undermine,\nAnd wisely blast each traitorous design.\nAnd Strafford, who does zealously pursue\nBritain's happiness and glory too.\nBy such the Garter credit will receive,\nAnd all its ancient glory will retrieve:\nAnd long may they the noble ensign bear,\nLong, long, the glorious badge of honor wear;\nAnd heaven their loyal councils always bless,\nAnd crown their undertakings with success.\nLONDON: Printed Nowcomb in Wine-Court, Fleetstreet, 1713.", "creation_year": 1713, "creation_year_earliest": 1713, "creation_year_latest": 1713, "source_dataset": "EEBO", "source_dataset_detailed": "EEBO_Phase2"}, {"content": "Some mighty Genius inspires my breast with something more than a Seraph,\nWith bold, shining thoughts, my soul infuse.\nThose who, like me, have heroic souls, should rise above the pitch of common lays:\n\"The noblest subjects noblest thoughts require,\nMy subject's worthy the angelic quire,\nImmortal cherubs should their praises sing,\nAnd pluck their quills forth from an angel's wing.\nHow large, how spacious is the glorious scene,\nNo less than Britain's happiness the theme.\nHer rescue too from those designing sons\nWho had almost undone their fond mother;\nThey sought out each treacherous, undermining way\nTo betray their country's freedom basely.\nWhat then is due to that glorious SENATE\nThat saved their country and religion too?\nWhat monuments, what altars can we raise\nTo celebrate such god-like heroes' praise?\nTheir own immortal acts sufficient are\nTo declare their fame to future ages.\nBut yet 'tis just and grateful sense to show\nFor all the toll they undergo.\nLong had the British Realm, by Faction ruined,\nBeen cheated, bubbled, ridiculed and fooled:\nThe Reverence due their Sovereign was shown,\nOn Party Factions was bestowed alone,\nTo that alone the State Homage paid,\nAnd at the gilded Shrine their Queen enslaved,\nFor Pelf their Country and their God they sold,\nAnd Loyalty a tribute gave to Gold.\n\nWhen Britain's Genius (though almost too late)\nAspiring rose, by the Decrees of Fate,\nHer much loved, though her sinking Realm to save,\nShe could not see Britannia be a Slave.\n\nLong had she found a subtle Factioned Race\nThe noble Places they enjoyed disgraced.\nAt length the People were inspired by just Rage,\nAnd every breast with dire Resentment fired:\nThe Subjects mourned their long misguided Choice,\nAnd gave at length for Loyalists their Voice.\n\nNor sooner had the worthy Patriots sat\nBut they revived the poor declining State,\nRestored their ancient Liberty and Laws,\nJustly asserting injured England's Cause:\nExamined why, after great Battles won,\nThe Conqueror was always unsettled,\nWhere the vast sums of treasure were conveyed,\nThe injured people paid yearly,\nWhy were the poor soldiers so poorly fed,\nWhen England paid so many pounds for bread?\nThey searched so far into the dangerous wound,\nEven the first causes of the sore they found,\nThough no mighty man fell victim,\nTo the just stroke of the avenging steel,\nIt was mercy, not desert, the villains saved,\nWho had enslaved their native realm:\nThe royal goodness intervened,\nAnd they were freed by their much-injured QUEEN.\nThis point the loyal SENATE easily gained,\nBut a far greater work yet remained,\nHer freedom and her credit to restore,\nAnd satisfy those debts she owed before;\nFor which to distant realms a fleet was sent,\nTo complete the illustrious intent:\nOver the wide, spacious deep, they ride secure,\nWhile their sharp keels the swelling waves divide;\nThe Southern World pays tribute to ANNE,\nAnd at her feet the richest produce is laid.\nWhich will her losses and her debts defray?\nIn vain does Faction raise its snaky head\nAnd curse the approaching happiness she dreads;\nIn vain at their wise councils she repines,\nShe cannot frustrate their brave designs;\nShe grins to think the wished-for time draws near,\nWill free her from the foes she most fears:\nShe thinks her empire to re-obtain,\nAnd sway again with a tyrannical rein.\nBut Heaven, who has so often shown its goodness,\nHer great vicarant will not cease to own;\nAnd God, who ruled so late the peoples voice,\nWill guide them to confirm the worthy choice.\nFor as for secret causes Heaven ordains,\nThe Phoenix should expire in spicy flames,\nBut from the ashes does the bird restore,\nWith far more vigor than she had before.\nThus though by custom this great Senate dies,\nIn spite of Faction 'twill again arise.\nBrave and resolved they will once again appear,\nNo declining Ministry will deter,\nTrue to their country's interest they'll advance,\nAnd show at once their duty and their grace;\nWith greater vigor they'll revive,\nAnd in the annals of fame forever thrive;\nAnd greater blessings may they still possess,\nEach deed meet with desired success.\nShould cabals or plots disturb their peace,\nShort their trouble, long their joy.\nLondon: Printed by R. 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