[ {"source_document": "", "creation_year": 1278, "culture": " French\n", "content": "LA\nL\u00c9GENDE DOR\u00c9E\nOUVRAGES PUBLI\u00c9S PAR TEODOR DE WYZEWA\n Les Ma\u00eetres italiens d\u2019autrefois. \u00c9coles du Nord. Un vol.\n Peintres de jadis et d\u2019aujourd\u2019hui. Les Peintres et la Vie\n du Christ.--La Peinture primitive allemande.--La Peinture\n suisse.--Quelques figures de Femmes peintres.--Deux\n Pr\u00e9rapha\u00eblites.--Puvis de Chavannes.--P.-A. Renoir. Un\n vol. in-8\u00ba \u00e9cu, avec 18 gravures hors texte 6 fr. \u00bb\n Quelques figures de femmes aimantes ou malheureuses:\n I. Deux trag\u00e9dies. II. Profils de reines. III. Grandes\n dames et bourgeoises. IV. Femmes d\u2019auteurs et femmes de\n lettres. 3e \u00e9dition. 2 vol. in-8\u00ba \u00e9cu avec portraits 5 fr. \u00bb\n Excentriques et aventuriers de divers pays. Un volume in-8\u00ba\n L\u2019Art et les M\u0153urs chez les Allemands. Un vol. in-16. 3 fr. 50\n Beethoven et Wagner. Essai d\u2019histoire et de critique\n Nos Ma\u00eetres. Etudes et portraits litt\u00e9raires: Mallarm\u00e9.\n --Villiers de l\u2019Isle-Adam.--Renan et Taine.--Anatole\n France.--Jules Laforgue.--L\u2019Art wagn\u00e9rien.--La Science.\n --La Religion de l\u2019amour et de la beaut\u00e9. Un vol. in-16 3 fr. 50\n \u00c9crivains \u00e9trangers. Trois s\u00e9ries. 3 vol. in-16. Le volume 3 fr. 50\n Contes chr\u00e9tiens. Un vol. in-16, avec gravures 3 fr. 50\n Valbert, ou les r\u00e9cits d\u2019un jeune homme, roman contemporain.\nTRADUCTIONS\n JOERGENSEN (Johannes).--Saint Fran\u00e7ois d\u2019Assise, sa vie et\n son \u0153uvre, traduits du danois avec l\u2019autorisation de\n l\u2019auteur. 1 vol. in-8\u00ba \u00e9cu orn\u00e9 de gravures 5 fr. \u00bb\n --Reli\u00e9 demi-veau fauve, fers sp\u00e9ciaux 9 fr. \u00bb\n --P\u00e8lerinages Franciscains, traduits du danois, avec\n l\u2019autorisation de l\u2019auteur. Un vol. in-8\u00ba \u00e9cu, avec\n VORAGINE (le bienheureux Jacques de).--La L\u00e9gende dor\u00e9e,\n traduite du latin d\u2019apr\u00e8s les plus anciens manuscrits,\n avec une introduction, des notes et un index alphab\u00e9tique.\n (Ouvrage couronn\u00e9 par l\u2019Acad\u00e9mie fran\u00e7aise.) Un vol.\n BENSON (Robert-Hugh).--Le Ma\u00eetre de la Terre, roman traduit\n de l\u2019anglais avec l\u2019autorisation de l\u2019auteur. 14e \u00e9dition.\n --La Lumi\u00e8re invisible. Sc\u00e8nes et r\u00e9cits de la vie mystique,\n traduits avec l\u2019auteur. 3e \u00e9dition. 1 vol. in-16 3 fr. 50\n MERRICK (L\u00e9onard).--L\u2019Imposteur, roman traduit de l\u2019anglais\n avec l\u2019autorisation de l\u2019auteur. Un vol. in-16 3 fr. 50\n STEVENSON (R.-L.).--Le Mort vivant, roman traduit de\n --Le Reflux, traduit de l\u2019anglais. Un vol. in-16 3 fr. 50\n TOLSTO\u00cf.--R\u00e9surrection, roman traduit avec l\u2019autorisation\n de l\u2019auteur. Un vol. in-16. (Edition compl\u00e8te en un\n [Illustration: LA TOUSSAINT\n Miniature d\u2019un manuscrit fran\u00e7ais de \u00ab_La l\u00e9gende dor\u00e9e_\u00bb XVe si\u00e8cle\n (Bibl. Nat.).]\n LE BIENHEUREUX JACQUES DE VORAGINE\n LA\n L\u00c9GENDE DOR\u00c9E\n TRADUITE DU LATIN\n D\u2019APR\u00c8S LES PLUS ANCIENS MANUSCRITS\n AVEC UNE INTRODUCTION, DES NOTES,\n PAR\n TEODOR DE WYZEWA\n Ouvrage couronn\u00e9 par l\u2019Acad\u00e9mie fran\u00e7aise.\n PARIS\n LIBRAIRIE ACAD\u00c9MIQUE\n PERRIN ET CIE, LIBRAIRES-\u00c9DITEURS\n 35, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 35\n Tous droits de reproduction et de traduction r\u00e9serv\u00e9s pour tous pays.\n TIBI, MARGARIT\u00c6 ME\u00c6,\n HUNC TUUM LIBRUM PI\u00c8 RESTITUO\nINTRODUCTION\nL\u2019auteur de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ \u00e9tait, \u00e0 la fois, un des hommes les plus\nsavants de son temps, et un saint. Sa vie, si quelque \u00e9rudit voulait\nprendre la peine d\u2019en reconstituer le d\u00e9tail, enrichirait d\u2019un chapitre\npr\u00e9cieux l\u2019histoire de la pens\u00e9e religieuse au treizi\u00e8me si\u00e8cle; et puis\nl\u2019on en tirerait une petite \u00abcompilation\u00bb, qui m\u00e9riterait d\u2019avoir sa\nplace entre les plus belles et touchantes vies de saints qu\u2019il nous a,\nlui-m\u00eame, cont\u00e9es[1]. Mais, du reste, son livre suffit \u00e0 nous le faire\nconna\u00eetre tout entier. Le savant s\u2019y montre \u00e0 chaque page, aussi vari\u00e9\ndans ses lectures qu\u2019original, ing\u00e9nieux, souvent profond dans ses\nr\u00e9flexions; et sans cesse, sous la science du th\u00e9ologien, nous\nd\u00e9couvrons une \u00e2me infiniment pure, innocente, et douce, une vraie \u00e2me\nd\u2019enfant selon le c\u0153ur du Christ.\n [1] On pourrait la placer entre la vie de _Sainte F\u00e9licit\u00e9_ et celle\n de _Saint Alexis_, \u00e0 la date du 13 juillet, o\u00f9 les Dominicains\n c\u00e9l\u00e8brent, avec un office propre, la f\u00eate du bienheureux Jacques de\n Voragine.\nLe bienheureux Jacques est n\u00e9, en l\u2019ann\u00e9e 1228, \u00e0 Varage, d\u2019o\u00f9 son nom\nlatin: Jacobus de Varagine. Et j\u2019imagine que c\u2019est, ensuite, l\u2019erreur\nd\u2019un copiste qui, en substituant un _o_ au premier _a_ de son nom, aura\nvalu \u00e0 l\u2019auteur de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ de devenir, pour la post\u00e9rit\u00e9,\nJacques de Voragine.\nQuant \u00e0 Varage, o\u00f9 il est n\u00e9, c\u2019est une charmante ville de la c\u00f4te de\nG\u00eanes, \u00e0 mi-chemin entre Savone et Voltri. Moins heureuse que sa voisine\nCogoleto,--qui fut, comme l\u2019on sait, la patrie de Christophe Colomb,--la\npatrie de Jacques de Voragine n\u2019a rien gard\u00e9 de ses \u00e9difices\nd\u2019autrefois, \u00e0 l\u2019exception des ruines imposantes de ses remparts, et\nd\u2019une haute tour de briques que le petit Jacques, peut-\u00eatre, aura vu\nconstruire: car, avec l\u2019\u00e9lancement l\u00e9ger de ses colonnettes, et la\nsveltesse du clocheton pointu dont elle est couronn\u00e9e, elle doit dater\nde cette premi\u00e8re moiti\u00e9 du XIIIe si\u00e8cle qui fut, en Italie, une \u00e9poque\nincomparable de renaissance chr\u00e9tienne. Et si le reste de la ville s\u2019est\nenti\u00e8rement renouvel\u00e9, depuis cette \u00e9poque, tout y a conserv\u00e9 cependant\nson caract\u00e8re ancien, ou, pour mieux dire, \u00e9ternel. Entre des maisons\nmodernes serpentent, de m\u00eame que jadis, d\u2019\u00e9troites rues pleines d\u2019ombre.\nSur la plage ensoleill\u00e9e, d\u2019honn\u00eates artisans fa\u00e7onnent, \u00e0 leur loisir,\ndes barques de p\u00eache, pareilles \u00e0 celles que fa\u00e7onnait, peut-\u00eatre, le\np\u00e8re de l\u2019auteur de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, dont un chroniqueur g\u00e9nois nous\napprend \u00abqu\u2019il est n\u00e9 de condition basse dans une petite terre\u00bb. Plus\nhaut, au-del\u00e0 des vieux remparts cr\u00e9nel\u00e9s, se d\u00e9ploie un cirque\nmerveilleux de collines plant\u00e9es d\u2019oliviers; et, de quelque c\u00f4t\u00e9 que les\nyeux se tournent, ces collines sont plant\u00e9es aussi de couvents, de\nchapelles, de chemins de croix, qui cr\u00e9ent autour de la petite ville une\natmosph\u00e8re de pi\u00e9t\u00e9 ing\u00e9nue et joyeuse.\nMais nulle part l\u2019\u00e2me de Varage ne subsiste plus vivante que sur la\nplace carr\u00e9e du Municipe, o\u00f9 l\u2019on arrive, du quai, par une belle porte \u00e0\ncr\u00e9neaux de style f\u00e9odal. C\u2019est l\u00e0, sans doute, que se sont r\u00e9unis en\ngrand apparat, le 19 f\u00e9vrier 1251, les repr\u00e9sentants des cit\u00e9s de\nSavone, d\u2019Albenga et de Vintimille, pour jurer soumission et fid\u00e9lit\u00e9 \u00e0\nla r\u00e9publique de G\u00eanes. Aujourd\u2019hui, la Place du Municipe n\u2019a plus gu\u00e8re\nl\u2019occasion d\u2019assister \u00e0 des sc\u00e8nes aussi solennelles: mais \u00e0 toute heure\ndes badauds s\u2019y prom\u00e8nent de long en large, des mendiants y jouissent\ndoucement de la vie, des enfants y courent en se querellant; et c\u2019est l\u00e0\nencore que se trouve le marchand d\u2019oiseaux. J\u2019ai vu chez lui, dans des\ncages de bois, des merles, des fauvettes, et un couple de jeunes\nverdiers, qui m\u2019ont rappel\u00e9 avec quel empressement Jacques de Voragine,\nleur v\u00e9n\u00e9rable concitoyen, avait accueilli dans sa _L\u00e9gende_ toute sorte\nd\u2019oiseaux, depuis les moineaux de saint R\u00e9my jusqu\u2019\u00e0 la perdrix de\nl\u2019ap\u00f4tre saint Jean. Et ainsi cette petite place m\u2019apparaissait tout\nimpr\u00e9gn\u00e9e de son souvenir, lorsque, relevant la t\u00eate, je l\u2019ai aper\u00e7u\nlui-m\u00eame qui me souriait paternellement. Les habitants de Varage ont eu,\nen effet, l\u2019excellente id\u00e9e de placer sa statue dans une niche, au\nfronton de leur maison communale. Peut-\u00eatre, seulement, avec un l\u00e9gitime\nd\u00e9sir de mieux accentuer son autorit\u00e9, lui ont-ils laiss\u00e9 faire des\n\u00e9paules trop larges et un ventre trop fourni: de telle sorte qu\u2019on a\nd\u2019abord quelque peine \u00e0 reconna\u00eetre, dans ce majestueux pr\u00e9lat, l\u2019humble\nmoine qui, jusque sur le tr\u00f4ne archi\u00e9piscopal de G\u00eanes, s\u2019est plu \u00e0\nvivre en pauvre au profit des pauvres. Mais, ressemblant ou non, c\u2019est\nlui qui se tient l\u00e0; et, sous sa statue, une inscription latine nous\napprend que, d\u00e8s l\u2019ann\u00e9e 1645, la ville de Varage \u00abse l\u2019est choisi pour\npatron c\u00e9leste\u00bb, _quem cives sui anno 1645 patronem c\u0153lestem sibi\nadscriverunt_. Aussi veille-t-il, depuis lors, sur la petite ville, y\nmaintenant une paix, une gr\u00e2ce, une s\u00e9r\u00e9nit\u00e9, dont je ne crois pas\nqu\u2019aucune autre ville de cette \u00e2pre Rivi\u00e8re ligure offre l\u2019\u00e9quivalent.\nLe vent m\u00eame y est ti\u00e8de et l\u00e9ger, au plus rude de l\u2019hiver. Et quand\nensuite, dans les rues de G\u00eanes, on grelotte au soleil sous une bise\nglac\u00e9e, on ne peut se d\u00e9fendre d\u2019un vif sentiment de d\u00e9pit contre\nl\u2019ingratitude des G\u00e9nois, qui, peut-\u00eatre, a attir\u00e9 sur leur ville cette\ncalamit\u00e9. Car si Jacques de Voragine est n\u00e9 \u00e0 Varage, c\u2019est \u00e0 G\u00eanes\nqu\u2019il a prodigu\u00e9 tous les tr\u00e9sors de son \u00e2me de saint. Il y a jou\u00e9 un\nr\u00f4le si actif et si bienfaisant que les historiens les plus\n\u00ablib\u00e9raux\u00bb,--qui racontent le pass\u00e9 de l\u2019Italie comme si les \u00e9v\u00e9nements\nreligieux n\u2019y avaient, pour ainsi dire, point tenu de place,--sont tous\ncontraints pourtant de rendre hommage au \u00abpieux \u00e9v\u00eaque\u00bb de G\u00eanes, p\u00e8re\ndes pauvres, et \u00abpacificateur des discordes civiles\u00bb. Or, en vain on\nchercherait, dans toute la ville de G\u00eanes, la moindre trace de son\nsouvenir. Entre des centaines de plaques comm\u00e9moratives, c\u00e9l\u00e9brant un\ns\u00e9jour de Garibaldi, ou la munificence d\u2019un riche bourgeois qui a fait\nentourer d\u2019un grillage le pont de Carignan, \u00abpour emp\u00eacher les\nd\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s de s\u2019\u00f4ter la vie\u00bb, en vain on chercherait une inscription o\u00f9\nfigur\u00e2t le nom du saint \u00e9v\u00eaque \u00abpacificateur\u00bb. En vain on chercherait\nson nom sur les plaques blanches des _via_, _vico_, _vicolo_, _salita_,\ndont la vieille cit\u00e9 ligure est plus abondamment pourvue qu\u2019aucune ville\nd\u2019Europe. Et l\u2019on songe que cet hommage-l\u00e0, du moins, serait bien d\u00fb \u00e0\nun homme qui non seulement a combl\u00e9 G\u00eanes de services plus pr\u00e9cieux\nencore que les Manin et les Mazzini, mais qui a en outre, pendant plus\nde trois si\u00e8cles, nourri la chr\u00e9tient\u00e9 tout enti\u00e8re de belles histoires\net de beaux sentiments.\nMais je m\u2019aper\u00e7ois que je n\u2019ai pas dit encore le peu que je sais sur la\nvie de l\u2019auteur de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, et sur son s\u00e9jour \u00e0 G\u00eanes en\nparticulier.\nN\u00e9 en 1228, il avait seize ans lorsque, en 1244, il entra dans l\u2019ordre\ndes Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs, fond\u00e9 par saint Dominique en 1215. Cet ordre avait\n\u00e9t\u00e9 fond\u00e9 surtout, on ne l\u2019ignore pas, pour \u00abextirper les h\u00e9r\u00e9sies\u00bb, ce\nqui lui assignait une t\u00e2che plut\u00f4t belliqueuse. Mais, par un ph\u00e9nom\u00e8ne\nsingulier, l\u2019ordre des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs a produit, en plus grand nombre\nm\u00eame que l\u2019ordre rival des Fr\u00e8res Mineurs, des moines d\u2019une suavit\u00e9\nd\u2019\u00e2me toute franciscaine. Tel fut, notamment, saint Thomas d\u2019Aquin, le\n\u00abdocteur ang\u00e9lique\u00bb; tels le bienheureux Fra Angelico et son fr\u00e8re Fra\nBenedetto; tel encore, un si\u00e8cle plus tard, le d\u00e9licat r\u00eaveur Fra\nBartolommeo. Et le Fr\u00e8re Jacques de Voragine \u00e9tait de leur race. Tour \u00e0\ntour novice, moine, professeur de th\u00e9ologie, pr\u00e9dicateur, il unissait \u00e0\nl\u2019\u00e9clat de sa science des m\u0153urs si pures et une vertu si aimable que,\naujourd\u2019hui encore, tous les couvents dominicains du Nord de l\u2019Italie\nconservent le souvenir de sa saintet\u00e9. A trente-cinq ans, il fut \u00e9lu par\nses Fr\u00e8res prieur de son couvent. Puis, en 1267, ils lui confi\u00e8rent le\ngouvernement g\u00e9n\u00e9ral des monast\u00e8res dominicains de la province de\nLombardie: fonction infiniment fatigante et difficile, qu\u2019il fut\ncontraint de remplir pendant dix-huit ans.\nA peine \u00e9tait-il enfin parvenu \u00e0 s\u2019en d\u00e9charger que, en 1288, \u00e0 la mort\nde l\u2019archev\u00eaque de G\u00eanes Charles Bernard de Parme, le chapitre le\nchoisit pour succ\u00e9der \u00e0 ce pr\u00e9lat. Nous ne savons pas s\u2019il fit alors\ncomme saint Gr\u00e9goire, qui s\u2019\u00e9tait \u00e9chapp\u00e9 de Rome dans un tonneau en\napprenant qu\u2019on s\u2019appr\u00eatait \u00e0 le proclamer pape: nous savons, en tout\ncas, qu\u2019il refusa obstin\u00e9ment le nouvel honneur dont on le mena\u00e7ait; et\nce fut le patriarche d\u2019Antioche, Obezzon de Fiesque, qui fut nomm\u00e9 \u00e0 sa\nplace. Mais quand celui-ci mourut, quatre ans plus tard, le peuple de\nG\u00eanes tout entier se joignit au chapitre pour exiger que le Fr\u00e8re\nJacques dev\u00eent leur \u00e9v\u00eaque. Le saint moine, cette fois, dut se r\u00e9signer;\net il dut se r\u00e9signer encore au voyage de Rome, le pape Nicolas IV lui\nayant exprim\u00e9 le d\u00e9sir de le sacrer de ses propres mains.\nMalheureusement Nicolas IV mourut, le 4 avril, sans avoir pu r\u00e9aliser\nson d\u00e9sir: et tout de suite Jacques de Voragine, s\u2019\u00e9tant fait sacrer par\nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Ostie, reprit le chemin de son dioc\u00e8se, qu\u2019il s\u2019engagea, d\u00e8s\nlors, \u00e0 ne plus quitter.\nAussi bien les occasions n\u2019y manquaient-elles point, pour lui, de\nremplir son r\u00f4le d\u2019\u00e9v\u00eaque tel qu\u2019il le concevait. Il y avait, avant\ntout, \u00e0 essayer de ramener la paix dans la ville de G\u00eanes, dont les\ncitoyens, vainqueurs de leurs ennemis de Savone et de Pise, n\u2019en \u00e9taient\ndevenus que plus ardents \u00e0 s\u2019\u00e9gorger entre eux. Sans cesse les Guelfes,\npartisans des Fiesque et des Grimaldi, protestaient contre la domination\ndu parti gibelin en br\u00fblant des maisons, en saccageant des \u00e9glises, en\nassassinant, au d\u00e9tour d\u2019une ruelle, quelque inoffensif client des Doria\nou des Spinola: et l\u2019on entend bien que les Gibelins, \u00e9tant les plus\nforts, ne se faisaient pas faute, le jour suivant, de le leur prouver\npar des proc\u00e9d\u00e9s tout pareils. Depuis des ann\u00e9es, la guerre s\u00e9vissait \u00e0\ndemeure dans les rues de G\u00eanes: une guerre si violente que les G\u00e9nois en\n\u00e9taient presque aussi fiers que de leurs colonies, se glorifiant\nvolontiers d\u2019exceller autant dans les luttes civiles que dans les\nnavales. Or, en 1295, apr\u00e8s trois ann\u00e9es d\u2019efforts, leur \u00e9v\u00eaque Jacques\nde Varage obtint d\u2019eux cette chose incroyable: que Guelfes et Gibelins\nconsentissent solennellement \u00e0 se r\u00e9concilier. Pour la premi\u00e8re fois,\ndepuis un demi-si\u00e8cle, un calme fraternel r\u00e9gna dans les petites rues\nvoisines de Saint-Laurent, de Saint-Donat, et de Saint-Mathieu, qui\nformaient alors le centre de la vie g\u00e9noise. Et quand, onze mois plus\ntard, les Guelfes, excit\u00e9s en secret par le roi de Naples Charles II,\nattaqu\u00e8rent de nouveau le parti des Spinola, on vit, racontent les\nchroniqueurs, \u00able pieux \u00e9v\u00eaque Jacques de Varage se pr\u00e9cipiter entre les\ncombattants, pour les s\u00e9parer au p\u00e9ril de sa vie\u00bb.\nMais comment r\u00e9sisterais-je \u00e0 la tentation de citer le passage de la\n_Chronique de G\u00eanes_ o\u00f9 Jacques de Voragine nous raconte lui-m\u00eame ces\n\u00e9v\u00e9nements, n\u2019oubliant que de faire la moindre allusion \u00e0 la part tr\u00e8s\nactive que, de l\u2019aveu de tous, nous savons qu\u2019il y a prise? Voici ce\npassage, traduit non pas sur l\u2019inexacte copie de la _Chronique de G\u00eanes_\nqui se trouve dans le recueil de Muratori, mais sur un manuscrit\nmagnifique et v\u00e9n\u00e9rable de la Biblioth\u00e8que Municipale de G\u00eanes, datant,\nselon toute apparence, de la premi\u00e8re moiti\u00e9 du XIVe si\u00e8cle. Le saint\npr\u00e9lat, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre longuement \u00e9tendu sur les m\u00e9rites des \u00e9v\u00eaques et\narchev\u00eaques ses pr\u00e9d\u00e9cesseurs, arrive enfin \u00e0 son propre \u00e9piscopat. \u00abLe\nfr\u00e8re Jacques,--nous dit-il,--huiti\u00e8me archev\u00eaque de G\u00eanes, a \u00e9t\u00e9 \u00e9lu en\n1292, et vivra tant que Dieu voudra bien le laisser en vie.\u00bb Puis il\nmentionne son voyage \u00e0 Rome, et la mort du pape Nicolas, \u00abqui,\ncroyons-nous, est entr\u00e9 ainsi au palais c\u00e9leste\u00bb. Et voici toute la fin\nde cette touchante autobiographie:\n L\u2019an du Seigneur 1295, au mois de janvier, fut conclue une paix\n g\u00e9n\u00e9rale et universelle, dans la ville de G\u00eanes, entre ceux qui\n s\u2019appelaient Mascarati, ou Gibelins, et ceux qui s\u2019appelaient Rampini,\n ou Guelfes: entre lesquels, en v\u00e9rit\u00e9, le malin esprit avait depuis\n longtemps suscit\u00e9 de nombreuses divisions et querelles de parti.\n Soixante ans durant, ces dissensions pleines de dangers avaient\n troubl\u00e9 la ville. Mais, gr\u00e2ce \u00e0 la protection sp\u00e9ciale de\n Notre-Seigneur, tous les G\u00e9nois sont enfin revenus \u00e0 la paix et \u00e0 la\n concorde, de telle mani\u00e8re qu\u2019ils se sont jur\u00e9 de ne plus faire qu\u2019une\n seule soci\u00e9t\u00e9, une seule fraternit\u00e9, un seul corps. Ce qui a produit\n tant de joie que la ville enti\u00e8re s\u2019est remplie de ga\u00eet\u00e9. Et nous\n aussi, dans l\u2019assembl\u00e9e solennelle o\u00f9 fut conclue la paix, v\u00eatu de nos\n ornements pontificaux, nous avons pr\u00each\u00e9 la parole de Dieu; apr\u00e8s\n quoi, avec notre clerg\u00e9, nous avons chant\u00e9 _Te Deum laudamus_, ayant\n aupr\u00e8s de nous quatre \u00e9v\u00eaques et abb\u00e9s mitr\u00e9s.\n Mais comme, dans ce bas monde, il ne saurait y avoir de pur bien,--car\n le pur bien est au ciel, le pur mal en enfer, et notre monde est un\n m\u00e9lange de bien et de mal,--voil\u00e0 que, h\u00e9las! notre cithare a d\u00fb\n changer ses cantiques joyeux en de nouvelles plaintes, et l\u2019harmonie\n de nos orgues a \u00e9t\u00e9 interrompue par des voix pleines de larmes! En\n effet, dans cette m\u00eame ann\u00e9e, au mois de d\u00e9cembre, cinq jours apr\u00e8s\n No\u00ebl, l\u2019ennemi de la paix humaine a excit\u00e9 nos concitoyens \u00e0 une telle\n discorde et tribulation que, au milieu des rues et des places, ils se\n sont attaqu\u00e9s l\u2019un l\u2019autre, les armes en main. A quoi ont succ\u00e9d\u00e9\n nombre de meurtres, de blessures, d\u2019incendies et de rapines. Et\n l\u2019aveuglement de la haine commune est all\u00e9 si loin que, pour s\u2019emparer\n de la tour de notre \u00e9glise de Saint-Laurent, une troupe de nos\n concitoyens n\u2019a pas craint de mettre le feu \u00e0 l\u2019\u00e9glise, dont tout le\n toit s\u2019est trouv\u00e9 br\u00fbl\u00e9. Et cette p\u00e9rilleuse s\u00e9dition a dur\u00e9 depuis le\n cinqui\u00e8me jour de No\u00ebl jusqu\u2019au jour du 7 f\u00e9vrier. C\u2019est \u00e0 la suite\n des \u00e9v\u00e9nements susdits qu\u2019on a d\u00e9cid\u00e9 de nommer capitaines du peuple\n messires Conrad Spinola et Conrad Doria.\nEt non moins admirable, non moins digne d\u2019\u00eatre comm\u00e9mor\u00e9, fut le r\u00f4le\njou\u00e9 \u00e0 G\u00eanes par Jacques de Voragine en tant que p\u00e8re des pauvres de son\ndioc\u00e8se. De cela non plus il ne fait point mention, dans sa _Chronique_;\nmais les auteurs g\u00e9nois s\u2019accordent \u00e0 nous dire que, durant les six\nann\u00e9es de son \u00e9piscopat, la ville a \u00e9t\u00e9 combl\u00e9e de sa charit\u00e9. \u00abToutes\nles vertus rivalisaient en lui\u00bb, reconna\u00eet Muratori, peu suspect de\npartialit\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9gard d\u2019un homme dont il traite l\u2019\u0153uvre enti\u00e8re de\n\u00abbavardage imb\u00e9cile\u00bb. D\u2019autres nous affirment que, aussi longtemps qu\u2019il\nfut \u00e9v\u00eaque, pas une fois on ne le vit manger \u00e0 sa faim. Il allait\nlui-m\u00eame soigner les malades, dans les ruelles du port. Il s\u2019\u00e9tait fait\ndonner une liste des indigents et \u00ables visitait du matin au soir,\ns\u2019entretenant avec eux de leurs menues affaires\u00bb. Son revenu et celui de\nson \u00e9glise, qui, au dire de Muratori, \u00e9tait \u00abdes plus gras\u00bb, tout allait\naux pauvres. Pour avoir autrefois compil\u00e9 avec attendrissement les\nhistoires de saint Jean l\u2019Aum\u00f4nier, de saint Basile, et d\u2019autres \u00abfous\nde charit\u00e9\u00bb, ces grands saints avaient daign\u00e9 permettre \u00e0 leur biographe\nde leur ressembler. Et j\u2019imagine que lui aussi, comme l\u2019abb\u00e9 S\u00e9rapion,\naurait \u00e9t\u00e9 heureux de vendre son \u00e9vangile pour nourrir un mendiant:\napr\u00e8s quoi il aurait r\u00e9pondu \u00e0 ceux qui se seraient avis\u00e9s de le lui\nreprocher: \u00abCe livre me disait de vendre ce que j\u2019avais pour en donner\nle prix aux pauvres. Or je n\u2019avais plus que lui. Comment aurais-je pu\nm\u2019emp\u00eacher de le vendre?\u00bb\nAvant de mourir, en 1298, il d\u00e9fendit qu\u2019on priv\u00e2t les pauvres du prix\nde ses fun\u00e9railles. Et il demanda que son corps, au lieu de reposer dans\nla cath\u00e9drale aupr\u00e8s de ceux des autres \u00e9v\u00eaques, f\u00fbt transport\u00e9 dans\nl\u2019Eglise de son ancien couvent, o\u00f9 on l\u2019a, en effet, d\u00e9pos\u00e9, \u00e0 gauche du\nch\u0153ur. Mais l\u2019\u00e9glise de Saint-Dominique a \u00e9t\u00e9 d\u00e9molie, il y a quelques\nann\u00e9es: et parmi ce que l\u2019on a conserv\u00e9 de ses d\u00e9bris, \u00e0 l\u2019Acad\u00e9mie des\nBeaux-Arts et au Palais-Blanc, vainement j\u2019ai cherch\u00e9 un vestige de la\ns\u00e9pulture de Jacques de Voragine.\nJe crois en revanche qu\u2019on pourrait ais\u00e9ment, dans les biblioth\u00e8ques\nfran\u00e7aises et italiennes, retrouver des copies de tous ses ouvrages: car\ntous, sans parler de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, ont eu jusqu\u2019au XVe si\u00e8cle une\nc\u00e9l\u00e9brit\u00e9 universelle; et quelques-uns ont m\u00eame \u00e9t\u00e9 imprim\u00e9s. A\nl\u2019exception de la _Chronique de G\u00eanes_, dont on vient de lire les\nderni\u00e8res pages, ils datent tous des ann\u00e9es qui ont pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 l\u2019av\u00e8nement\ndu Fr\u00e8re Pr\u00eacheur \u00e0 l\u2019\u00e9piscopat. Les auteurs contemporains mentionnent,\nsurtout, une traduction de la Bible en langue italienne, un volumineux\ncommentaire de saint Augustin, et plusieurs recueils de sermons. J\u2019ai eu\nentre les mains un de ces recueils, \u00e0 la Biblioth\u00e8que Municipale de\nTours, qui, si m\u00eame elle n\u2019avait h\u00e9rit\u00e9 que du seul fonds de Marmoutier,\naurait encore de quoi \u00eatre une des plus riches biblioth\u00e8ques de France\nen \u0153uvres religieuses du moyen \u00e2ge. Et, en v\u00e9rit\u00e9, les sermons de\nJacques de Voragine m\u2019ont paru valoir, eux aussi, que quelque pieux\nsavant pr\u00eet un jour la peine de nous les r\u00e9v\u00e9ler. Tout comme la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_, ils ont, sous leur appareil scolastique, une simplicit\u00e9 et une\nbonhomie tr\u00e8s originales, et les mieux faites du monde pour nous\n\u00e9mouvoir. Le seul malheur est que l\u2019appareil scolastique y tient une\nplace infiniment plus consid\u00e9rable que dans la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, avec une\ntelle quantit\u00e9 de divisions et de subdivisions, de points coup\u00e9s en\nd\u2019autres points qui se trouvent coup\u00e9s \u00e0 leur tour, que, \u00e0 chaque ligne,\nun lecteur d\u2019\u00e0 pr\u00e9sent risque de perdre le fil de l\u2019argumentation, \u00e9tant\ndonn\u00e9e surtout l\u2019absence compl\u00e8te de tout signe graphique qui puisse\nl\u2019aider \u00e0 se reconna\u00eetre. Et je crains bien que des motifs semblables ne\nnous interdisent, \u00e0 jamais, de prendre plaisir et profit \u00e0 la lecture\ndes _Commentaires_ de Jacques de Voragine _sur saint Augustin_.\nMais d\u2019ailleurs aucun autre des livres du savant et saint moine n\u2019a eu,\nm\u00eame en son temps, un succ\u00e8s comparable \u00e0 celui de cette _L\u00e9gende des\nSaints_ que, presque d\u00e8s son apparition, l\u2019Europe tout enti\u00e8re s\u2019est plu\n\u00e0 appeler la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_. Ce livre sans pareil doit avoir \u00e9t\u00e9 \u00e9crit\nvers 1255, lorsque l\u2019auteur n\u2019\u00e9tait encore qu\u2019un tout jeune professeur\nde th\u00e9ologie: car l\u2019_Histoire Lombarde_, qui en forme l\u2019appendice,\ns\u2019arr\u00eate \u00e0 la mort de Fr\u00e9d\u00e9ric II, sans m\u00eame signaler l\u2019\u00e9lection au\ntr\u00f4ne pontifical d\u2019Alexandre IV[2]. Resterait l\u2019hypoth\u00e8se que Jacques de\nVoragine e\u00fbt \u00e9crit sa _L\u00e9gende_ apr\u00e8s l\u2019_Histoire Lombarde_, et se f\u00fbt,\nensuite, born\u00e9 \u00e0 joindre \u00e0 son nouveau livre cette chronique, r\u00e9dig\u00e9e\nquelques ann\u00e9es plus t\u00f4t: mais il n\u2019e\u00fbt point manqu\u00e9, en ce cas, de\nmettre au courant la fin de sa chronique, de m\u00eame qu\u2019il a fait pour le\ncommencement: puisque, aussi bien, parmi les innombrables erreurs qui\nont cours, depuis le seizi\u00e8me si\u00e8cle, au sujet de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_,\naucune n\u2019est plus scandaleusement injuste que celle qui consiste \u00e0\nrepr\u00e9senter comme une rapsodie, comme un m\u00e9lange incoh\u00e9rent de morceaux\nrassembl\u00e9s au hasard, un livre d\u2019une unit\u00e9 et d\u2019un ensemble parfaits, o\u00f9\nchaque r\u00e9cit se trouve express\u00e9ment charg\u00e9 de compl\u00e9ter, de rectifier,\nou de nuancer quelque r\u00e9cit pr\u00e9c\u00e9dent.\n [2] Notons encore que, dans tout son livre, Jacques de Voragine ne\n nomme pas une seule fois ce pape, ni, non plus, Thomas d\u2019Aquin, qui,\n d\u00e8s 1255, avait commenc\u00e9 \u00e0 devenir une des gloires de l\u2019ordre des\n Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs.\nNon, la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ n\u2019est pas une simple rapsodie, ainsi que l\u2019ont\npr\u00e9tendu des critiques, et m\u00eame des traducteurs, qui, croirait-on, ne se\nsont jamais s\u00e9rieusement occup\u00e9s de la lire! Et pas davantage elle n\u2019est\nune \u00abcompilation\u00bb, au sens o\u00f9 nous entendons aujourd\u2019hui ce mot. On\ntrouve bien, dans les \u00e9ditions de la fin du XVe si\u00e8cle, deux histoires,\ncelle de _Sainte Apolline_ et celle de _Sainte Paule_, qui reproduisent,\nmot pour mot, des textes ant\u00e9rieurs: et ce sont celles-l\u00e0 qu\u2019on cite,\nquand on veut prouver que Jacques de Voragine s\u2019est content\u00e9 de\ntranscrire, dans son livre, des passages copi\u00e9s \u00e0 droite et \u00e0 gauche.\nMais le fait est que ces deux histoires ne sont point de Jacques de\nVoragine: car elles manquent non seulement dans la plupart des vieux\nmanuscrits, mais m\u00eame dans les premi\u00e8res \u00e9ditions imprim\u00e9es. Ce sont\ndonc de ces innombrables interpolations que, au cours des si\u00e8cles, les\ncopistes ont introduites dans le texte original de la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_[3]: et j\u2019ajoute que, si m\u00eame nous n\u2019avions pas la ressource de\npouvoir reconstituer ce texte original en \u00e9liminant tous les chapitres\nqui ne figurent point dans les premiers manuscrits, le style des\nchapitres ajout\u00e9s suffirait \u00e0 nous mettre en d\u00e9fiance contre eux. Car\nJacques de Voragine n\u2019est peut-\u00eatre pas un grand \u00e9crivain: mais \u00e0 coup\ns\u00fbr il poss\u00e8de un style qui lui appartient en propre, un style, et une\nfa\u00e7on de composer, et surtout une fa\u00e7on de raconter; de telle sorte que\nles citations les plus diverses prennent aussit\u00f4t, sous sa plume, la\nm\u00eame allure et le m\u00eame attrait. Que l\u2019on compare, \u00e0 ce point de vue, son\nr\u00e9cit des martyres des saints avec le r\u00e9cit qu\u2019en donne le _Br\u00e9viaire_:\nou, plut\u00f4t encore, qu\u2019on compare ses l\u00e9gendes de _Saint Jean\nl\u2019Aum\u00f4nier_, de _Saint Antoine_, de _Saint Basile_, avec le texte de la\n_Vie des P\u00e8res_, d\u2019o\u00f9 il nous dit qu\u2019il les a \u00abdirectement extraites\u00bb!\nEt l\u2019on comprendra alors ce que sa \u00abcompilation\u00bb impliquait de travail\npersonnel, de r\u00e9elle et pr\u00e9cieuse _cr\u00e9ation_ litt\u00e9raire. Et l\u2019on\ncomprendra aussi, tr\u00e8s clairement, le caract\u00e8re et la port\u00e9e v\u00e9ritables\nde la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_.\n [3] Un exemple suffira pour donner l\u2019id\u00e9e du nombre fantastique de ces\n interpolations. Les \u00e9ditions de 1470, encore presque conformes au\n texte primitif, contiennent environ 280 chapitres: une \u00e9dition\n fran\u00e7aise de 1480 en contient 440, et l\u2019\u00e9dition anglaise de Caxton,\nMais avant de d\u00e9finir ce caract\u00e8re et cette port\u00e9e, il y a une autre\nerreur encore que je dois signaler: celle qui consiste \u00e0 voir dans la\n_L\u00e9gende Dor\u00e9e_ un recueil de \u00abl\u00e9gendes\u00bb, autant dire de fables, et\npr\u00e9sent\u00e9es comme telles par l\u2019auteur lui-m\u00eame. En r\u00e9alit\u00e9, _Legenda\nSanctorum_ signifie: lectures de la vie des saints. _Legenda_ est ici\nl\u2019\u00e9quivalent du mot _lectio_, qui, dans le _Br\u00e9viaire_, d\u00e9signe les\npassages des auteurs consacr\u00e9s que le pr\u00eatre est tenu de lire entre deux\noraisons. Et Jacques de Voragine n\u2019a nullement l\u2019intention de nous\ndonner pour des fables les histoires qu\u2019il nous raconte. Il entend que\nson lecteur les prenne au s\u00e9rieux, ainsi qu\u2019il les prend lui-m\u00eame, sauf\n\u00e0 exprimer souvent des r\u00e9serves sur la valeur de ses sources, ou, avec\nune loyaut\u00e9 admirable, \u00e0 mettre vivement en relief une contradiction,\nune invraisemblance, un risque d\u2019erreur. Et de l\u00e0 ne r\u00e9sulte point que\nnous devions, aujourd\u2019hui, admettre la v\u00e9rit\u00e9 de tous ses r\u00e9cits: aucun\nd\u2019eux, au moins dans le d\u00e9tail, n\u2019est proprement article de foi. Mais\npar l\u00e0 s\u2019explique que lui, l\u2019auteur, admettant de toute son \u00e2me cette\nv\u00e9rit\u00e9, ait pu employer \u00e0 ses r\u00e9cits une franchise, une chaleur\nd\u2019imagination, et un \u00e9lan d\u2019\u00e9motion qui, depuis des si\u00e8cles, et\naujourd\u2019hui encore, les rev\u00eatent d\u2019un charme o\u00f9 le lecteur le plus\nsceptique a peine \u00e0 r\u00e9sister. Ce livre n\u2019a si profond\u00e9ment touch\u00e9 tant\nde c\u0153urs que parce qu\u2019il a jailli, tout entier, du c\u0153ur.\nEt son unique objet \u00e9tait, pr\u00e9cis\u00e9ment, de toucher les c\u0153urs. Car la\n_L\u00e9gende Dor\u00e9e_ est, \u00e0 sa fa\u00e7on, un des signes les plus caract\u00e9ristiques\nde son temps, du temps qui a produit saint Fran\u00e7ois, saint Dominique,\nsaint Louis, et rempli le monde d\u2019\u00e9glises merveilleuses. C\u2019est un temps\no\u00f9, dans l\u2019Europe enti\u00e8re, le peuple, s\u2019\u00e9veillant enfin d\u2019une longue\nsomnolence, a commenc\u00e9 tout \u00e0 coup d\u2019aspirer fi\u00e9vreusement \u00e0 la vie de\nl\u2019esprit. Tout \u00e0 coup l\u2019architecture, la sculpture, tous les arts se\nsont la\u00efcis\u00e9s, sont sortis des couvents pour aller au peuple. Et, de\nm\u00eame, la pens\u00e9e religieuse. En m\u00eame temps qu\u2019il s\u2019occupait \u00e0 construire\ndes \u00e9glises, le peuple r\u00e9clamait d\u2019\u00eatre initi\u00e9 aux secrets de la\nth\u00e9ologie: il voulait qu\u2019un contact plus intime s\u2019\u00e9tabl\u00eet d\u00e9sormais\nentre Dieu et lui. De l\u00e0 son enthousiasme \u00e0 accueillir le Pauvre\nd\u2019Assise, dont l\u2019\u00e2me parfum\u00e9e n\u2019\u00e9tait qu\u2019une expression plus haute et\nplus profonde de toute l\u2019\u00e2me populaire. De l\u00e0 l\u2019immense et soudain\nsucc\u00e8s des deux grands ordres qui, cr\u00e9\u00e9s pour des fins diff\u00e9rentes,\navaient tous deux en commun de s\u2019adresser directement au peuple, de se\nm\u00ealer au peuple plus \u00e9troitement que les ordres ant\u00e9rieurs, et le\ns\u00e9culier m\u00eame. Le peuple voulait, en quelque sorte, p\u00e9n\u00e9trer jusqu\u2019au\nch\u0153ur de l\u2019\u00e9glise, afin de mieux c\u00e9l\u00e9brer Dieu, \u00e9tant plus pr\u00e8s de lui.\nEt c\u2019est \u00e0 cette tendance que r\u00e9pond la conception de la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_, comme par elle s\u2019explique, aussi, l\u2019extraordinaire fortune de ce\nlivre.\nLa _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ est, essentiellement, une tentative de vulgarisation,\nde \u00abla\u00efcisation\u00bb, de la science religieuse. Bien d\u2019autres th\u00e9ologiens,\navant Jacques de Voragine, avaient \u00e9crit non seulement des vies de\nsaints, mais des commentaires de toutes les f\u00eates de l\u2019ann\u00e9e. Le\n_Br\u00e9viaire_, par exemple, d\u00e8s le XIe si\u00e8cle, avait \u00e9t\u00e9 compil\u00e9, \u00e0 peu\npr\u00e8s sous sa forme d\u2019aujourd\u2019hui, avec des _le\u00e7ons_ \u00e9quivalant aux\nchapitres de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_. Et, \u00e0 chaque page, le bienheureux\nJacques de Voragine cite d\u2019autres compilations analogues, le _Livre\nMitral_, le _Rational des offices divins_ de ma\u00eetre Jean Beleth,\nchanoine d\u2019Amiens, etc. Mais tous ces ouvrages s\u2019adressaient aux\nth\u00e9ologiens, aux clercs: et la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ s\u2019adresse aux la\u00efcs. Elle\na pour objet de faire sortir, des biblioth\u00e8ques des couvents, les\ntr\u00e9sors de v\u00e9rit\u00e9 sainte qu\u2019y ont accumul\u00e9s des si\u00e8cles de recherches et\nde discussions, et de donner \u00e0 ces tr\u00e9sors la forme la plus simple, la\nplus claire possible, et en m\u00eame temps la plus attrayante: afin de les\nmettre \u00e0 la port\u00e9e d\u2019\u00e2mes na\u00efves et passionn\u00e9es qui aussit\u00f4t\ns\u2019efforcent, par mille moyens, de t\u00e9moigner la joie extr\u00eame qu\u2019elles\n\u00e9prouvent \u00e0 les accueillir. Voil\u00e0 pourquoi Jacques de Voragine ne\nd\u00e9daigne point d\u2019admettre, dans son livre, jusqu\u2019\u00e0 des r\u00e9cits dont il\navoue lui-m\u00eame qu\u2019ils ne m\u00e9ritent pas d\u2019\u00eatre pris bien \u00e0 c\u0153ur! Voil\u00e0\npourquoi il ne n\u00e9glige jamais une occasion d\u2019expliquer longuement le\nsens des diverses c\u00e9r\u00e9monies religieuses, la tonsure des pr\u00eatres, les\nprocessions, la d\u00e9dicace des \u00e9glises! Et voil\u00e0 pourquoi, tout en nommant\ntoujours les auteurs dont il \u00abcompile\u00bb les savants \u00e9crits, il a toujours\nsoin de modifier les passages qu\u2019il leur emprunte, de mani\u00e8re que l\u2019\u00e2me\nla plus simple puisse les comprendre et en profiter. Sa _L\u00e9gende_ est,\nainsi, la suite directe de cette traduction italienne de la Bible que\nses biographes signalent comme l\u2019un de ses premiers ouvrages. Et si, au\nlieu d\u2019\u00e9crire sa _L\u00e9gende_ en italien, il l\u2019a \u00e9crite dans un honn\u00eate\nlatin de sacristie, dont les humanistes de la Renaissance ont eu beau\njeu \u00e0 railler la m\u00e9diocrit\u00e9, c\u2019est que, sans doute, sous cette forme, il\na su que son livre pourrait se r\u00e9pandre plus loin, et ouvrir \u00e0 plus\nd\u2019\u00e2mes la maison de Dieu.\nLe fait est qu\u2019il n\u2019y a peut-\u00eatre pas de livre qui ait \u00e9t\u00e9 plus souvent\ncopi\u00e9 et traduit. Toutes les biblioth\u00e8ques du monde en poss\u00e8dent des\nmanuscrits, dont quelques-uns comptent parmi les chefs-d\u2019\u0153uvre des deux\narts d\u00e9licieux de la calligraphie et de l\u2019enluminure. Et lorsque, deux\ncents ans apr\u00e8s, l\u2019imprimerie vient, h\u00e9las! se substituer \u00e0 ces deux\narts et les an\u00e9antir, c\u2019est encore la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ qu\u2019on imprime le\nplus. Les catalogues mentionnent pr\u00e8s de cent \u00e9ditions latines\ndiff\u00e9rentes, publi\u00e9es entre les ann\u00e9es 1470 et 1500: sans compter\nd\u2019innombrables traductions fran\u00e7aises, anglaises, hollandaises,\npolonaises, allemandes, espagnoles, tch\u00e8ques, etc. Du treizi\u00e8me si\u00e8cle\njusqu\u2019au seizi\u00e8me, la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ reste, par excellence, le livre du\npeuple.\nEt je dois ajouter qu\u2019il n\u2019y a peut-\u00eatre pas de livre, non plus, qui ait\nexerc\u00e9 sur le peuple une action plus profonde, ni plus bienfaisante. Car\nle \u00abpetit\u00bb livre du bienheureux Jacques de Voragine,--si l\u2019on me permet\nde lui garder une \u00e9pith\u00e8te que tous les auteurs anciens s\u2019accordent \u00e0\nlui attribuer,--a \u00e9t\u00e9, pendant ces trois si\u00e8cles, une source in\u00e9puisable\nd\u2019id\u00e9al pour la chr\u00e9tient\u00e9. En rendant la religion plus ing\u00e9nue, plus\npopulaire, et plus pittoresque, il l\u2019a presque rev\u00eatue d\u2019un pouvoir\nnouveau: ou du moins il a permis aux \u00e2mes d\u2019y prendre un nouvel int\u00e9r\u00eat,\net, pour ainsi dire, de s\u2019y r\u00e9chauffer plus profond\u00e9ment. Tout de suite\nles nefs des \u00e9glises se sont peupl\u00e9es d\u2019autels en l\u2019honneur des saints\net des saintes du calendrier. Tout de suite les tailleurs de pierres se\nsont mis \u00e0 sculpter, aux porches des cath\u00e9drales, les touchants r\u00e9cits\nde la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, les peintres, les verriers, \u00e0 les repr\u00e9senter sur\nles murs ou sur les fen\u00eatres. Entrez dans une vieille \u00e9glise de Bruges,\nde Cologne, de Tours ou de Sienne: toutes les \u0153uvres d\u2019art qui vous y\naccueilleront ne sont que des illustrations imm\u00e9diates, litt\u00e9rales, de\nla _L\u00e9gende Dor\u00e9e_. C\u2019est d\u2019apr\u00e8s Jacques de Voragine que Memling et\nCarpaccio nous racontent le voyage de sainte Ursule avec ses onze mille\ncompagnes. Quand Piero della Francesca, dans ses fresques d\u2019Arezzo, ou\nAgnolo Gaddi dans celles de Florence, nous font assister aux aventures\ndiverses du bois de la sainte Croix, ils suivent de phrase en phrase le\ntexte de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_. D\u2019autres prennent m\u00eame, dans le vieux\nlivre, des sujets profanes, et, comme Thierry Bouts au Mus\u00e9e de\nBruxelles, nous d\u00e9taillent, d\u2019apr\u00e8s l\u2019_Histoire Lombarde_, un acte de\njustice de l\u2019empereur Othon. Et il n\u2019y a point jusqu\u2019aux grands tableaux\nde Rubens, de Murillo, de Poussin, qui ne reproduisent les sc\u00e8nes des\nmartyres des saints ou de leurs miracles exactement comme le bienheureux\n\u00e9v\u00eaque de G\u00eanes les a \u00abcompil\u00e9es\u00bb \u00e0 notre intention. Toute la part que,\naujourd\u2019hui encore, notre imagination m\u00eale \u00e0 ce que nous apprennent, de\nl\u2019histoire sacr\u00e9e, les Ecritures et la Tradition, tout cela nous vient,\nen droite ligne, de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_.\nAussi ne saurait-on trop d\u00e9plorer le profond discr\u00e9dit qu\u2019ont cru devoir\njeter sur ce livre d\u2019\u00e9minents \u00e9crivains religieux de la Renaissance et\ndu XVIIe si\u00e8cle, depuis Viv\u00e8s, l\u2019ami d\u2019Erasme, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019impitoyable\nJean de Launoi, le \u00abd\u00e9nicheur de saints\u00bb, dont un contemporain disait\nqu\u2019il \u00abavait plus d\u00e9tr\u00f4n\u00e9 de saints du paradis que dix papes n\u2019en\navaient canonis\u00e9\u00bb. Ces savants hommes ont \u00e9videmment lu la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_, comme toutes choses, avec l\u2019impression qu\u2019un ministre calviniste\nlisait par-dessus leur \u00e9paule, guettant une occasion de se moquer d\u2019eux.\nEt ainsi ils se sont trouv\u00e9s emp\u00each\u00e9s de r\u00e9fl\u00e9chir au sens et \u00e0 la\nport\u00e9e du vieux livre; de telle sorte qu\u2019au lieu d\u2019honorer en Jacques de\nVoragine l\u2019un des plus \u00e9rudits en m\u00eame temps que le plus v\u00e9n\u00e9rable de\nleurs devanciers, il n\u2019y a pas d\u2019injure dont ils ne l\u2019aient accabl\u00e9:\npouss\u00e9s, par leur indignation, jusqu\u2019au calembour, car les uns\nl\u2019appelaient un \u00abgouffre d\u2019ordures\u00bb, jouant sur le sens latin du mot\n_vorago_, tandis que d\u2019autres d\u00e9claraient que sa _L\u00e9gende_ n\u2019\u00e9tait pas\nd\u2019or, mais de _fer_ et de _plomb_. Ils ne lui pardonnaient pas,\nnotamment, d\u2019avoir mis saint Georges aux prises avec un dragon avant de\nle mettre aux prises avec les tenailles du pr\u00e9fet Dacien, ni d\u2019avoir\nracont\u00e9 que saint Antoine avait rencontr\u00e9 au d\u00e9sert un centaure et un\nsatyre, ni d\u2019avoir conduit \u00e0 Rome les onze mille compagnes de sainte\nUrsule, ni, en maints endroits, d\u2019avoir confondu les noms et brouill\u00e9\nles dates.\nEt certes je ne pr\u00e9tends pas que, \u00e0 la consid\u00e9rer au point de vue\nhistorique, la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ ne contienne pas d\u2019affirmations\ninexactes, ou, tout au moins, d\u2019une exactitude \u00e0 jamais incertaine. Je\ncroirais volontiers, plut\u00f4t, qu\u2019elle en est remplie, comme tous les\nouvrages historiques de son temps, comme ceux de tous les temps; et,\nsans doute, les \u00e9crits m\u00eames de Viv\u00e8s et de Launoi, si un \u00e9rudit voulait\naujourd\u2019hui les contr\u00f4ler \u00e0 ce point de vue, appara\u00eetraient, eux aussi,\namplement pourvus d\u2019erreurs et de l\u00e9gendes. Mais, d\u2019abord, ainsi que le\ndit tr\u00e8s sagement Bollandus, rien n\u2019est plus injuste que d\u2019attribuer \u00e0\nJacques de Voragine la responsabilit\u00e9 d\u2019affirmations qu\u2019il a, toutes,\npuis\u00e9es dans des ouvrages ant\u00e9rieurs, en les contr\u00f4lant de son mieux\nchaque fois qu\u2019il pu, ou en nous faisant part des doutes qu\u2019elles lui\ninspiraient. Pour citer encore une expression de Bollandus, le tort de\nViv\u00e8s et des autres d\u00e9tracteurs de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ a \u00e9t\u00e9 \u00abde vouloir\ncritiquer ce qu\u2019ils ne comprenaient pas et qu\u2019ils ignoraient\u00bb. Ils\nignoraient qu\u2019un \u00e9rudit du XIIIe si\u00e8cle ne disposait point des m\u00eames\nmoyens d\u2019information que ceux dont ils disposaient, trois ou quatre\nsi\u00e8cles plus tard: c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il manquait de beaucoup de ceux\nqu\u2019ils avaient, mais que, peut-\u00eatre aussi, il en avait d\u2019autres qui\nd\u00e9sormais leur manquaient. Et quant \u00e0 soutenir, comme ils le\nsoutenaient, que la plupart des r\u00e9cits de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ sont des\nfables parce que les documents contemporains n\u2019en font pas mention,\nc\u2019est en v\u00e9rit\u00e9 montrer, \u00e0 l\u2019\u00e9gard de ces documents, une cr\u00e9dulit\u00e9 plus\nna\u00efve encore que celle des contemporains de Jacques de Voragine \u00e0\nl\u2019\u00e9gard du dragon de saint Georges et du centaure de saint Antoine.\nQu\u2019un document soit contemporain des faits qu\u2019il atteste, comme par\nexemple nos journaux, ou qu\u2019il leur soit post\u00e9rieur, comme les histoires\net les chroniques les plus abondantes, on ne risque gu\u00e8re \u00e0 soutenir que\nl\u2019erreur y tient plus de place que la v\u00e9rit\u00e9, que de mille choses\nconsid\u00e9rables ils ne font point mention, et qu\u2019ils en mentionnent mille\nautres qui n\u2019ont jamais exist\u00e9.\nMais surtout le tort de Viv\u00e8s et de ses successeurs a \u00e9t\u00e9 de \u00abvouloir\ncritiquer ce qu\u2019ils ne comprenaient pas\u00bb. Ils ne comprenaient pas, en\neffet, que des erreurs comme celles qu\u2019ils signalaient dans la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_ n\u2019avaient point, pour un lecteur catholique, la m\u00eame importance\nque pour ce ministre calviniste qui hantait leurs r\u00eaves. Car, si les\nprotestants estiment que Dieu, apr\u00e8s avoir parl\u00e9 aux hommes depuis Adam\njusqu\u2019\u00e0 J\u00e9sus-Christ, s\u2019est tu \u00e0 jamais d\u00e8s qu\u2019il nous a l\u00e9gu\u00e9 le\nNouveau Testament, c\u2019est, au contraire, la croyance des catholiques que,\nsuivant sa promesse, il a \u00abenvoy\u00e9 aux hommes son Esprit\u00bb, pour continuer\n\u00e0 les instruire et \u00e0 les guider. Lors donc que la Sainte Eglise a\nproclam\u00e9 saints des hommes dont, le plus souvent, la vie et les actes\nlui \u00e9taient connus de la fa\u00e7on la plus s\u00fbre et la plus directe, aucun\ncatholique n\u2019a le droit de contester le fait de leur saintet\u00e9. C\u2019est ce\nque ne comprenait pas Launoi, quand, sous pr\u00e9texte que ses recherches ne\nlui avaient pas d\u00e9montr\u00e9 l\u2019existence de sainte Catherine, il rempla\u00e7ait\nl\u2019office de cette sainte par une messe de _Requiem_: le \u00abd\u00e9nicheur de\nsaints\u00bb prouvait simplement, par l\u00e0, qu\u2019il \u00e9tait un sot, \u00e0 vouloir\nmettre ses petites recherches personnelles au-dessus de l\u2019autorit\u00e9 de sa\nm\u00e8re l\u2019Eglise. Et, puisque la saintet\u00e9 des saints de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_\nne saurait faire de question pour nous, qu\u2019importe ensuite que, \u00e0 d\u00e9faut\nde l\u2019histoire v\u00e9ritable de leur vie, nous ayons de belles l\u00e9gendes qui\ncertainement expriment, sinon les faits de cette vie, du moins son \u00e2me\net son sens profond? Ainsi l\u2019entendaient les chr\u00e9tiens des premiers\nsi\u00e8cles, qui ne tenaient nullement pour illicite d\u2019embellir \u00e0 leur\nfantaisie, dans leurs chroniques, la vie de la Vierge et des saints, pas\nplus que les vieux peintres ne s\u2019interdisaient de repr\u00e9senter leurs\ntraits \u00e0 leur fantaisie. Et de m\u00eame que maintes images de la Vierge,\nsans pr\u00e9tendre le moins du monde \u00e0 \u00eatre des portraits, ont re\u00e7u de Dieu\nle pouvoir d\u2019op\u00e9rer des miracles, de m\u00eame rien ne nous emp\u00eache\nd\u2019admettre que Dieu, s\u2019il le juge bon, puisse pr\u00eater aux l\u00e9gendes de ses\nsaints une r\u00e9alit\u00e9 sup\u00e9rieure. Cela encore \u00e9tait une des croyances\nfavorites des grands \u00e2ges chr\u00e9tiens; et la trace s\u2019en retrouve \u00e0 chaque\npage dans la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_. Nous y lisons, par exemple, l\u2019histoire\nd\u2019un gardien d\u2019\u00e9glise qui, au lieu de donner \u00e0 un p\u00e8lerin un vrai doigt\nde saint Augustin, s\u2019\u00e9tait amus\u00e9 \u00e0 lui donner le doigt d\u2019un pauvre homme\nqui venait de mourir: apr\u00e8s quoi, apprenant que ce doigt faisait des\nmiracles, il \u00e9tait all\u00e9 voir le corps du saint, et s\u2019\u00e9tait aper\u00e7u qu\u2019un\ndoigt y manquait. Rien n\u2019est impossible \u00e0 Dieu; et il n\u2019y a point de\nViv\u00e8s, de Launoi, ni de Baillet, dont l\u2019\u00e9rudition pr\u00e9vaille contre cet\narticle de foi.\nJe ne crois pas, au reste, que personne s\u2019avise plus, aujourd\u2019hui, de\nreprocher \u00e0 la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ la faiblesse de sa critique, ni\nl\u2019incoh\u00e9rence de sa chronologie. Et je suis s\u00fbr que personne ne pourra\ns\u2019emp\u00eacher de sentir l\u2019exquise douceur po\u00e9tique de cette _L\u00e9gende_, son\ncharme ing\u00e9nu, mais, par-dessus tout, la puret\u00e9 et la beaut\u00e9\nincomparables de l\u2019esprit chr\u00e9tien dont elle est impr\u00e9gn\u00e9e. Quelque\nopinion que l\u2019on ait de l\u2019exactitude documentaire de chacun de ses\nr\u00e9cits, on reconna\u00eetra que leur ensemble forme un manuel parfait de la\nvie suivant l\u2019Evangile, un manuel infiniment vari\u00e9, et d\u2019autant mieux\nadapt\u00e9 aux diverses conditions de l\u2019existence humaine. Car la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_ restera toujours ce que son auteur a voulu qu\u2019elle f\u00fbt: un livre\n\u00e0 l\u2019adresse du peuple, offrant \u00e0 tout homme la le\u00e7on et l\u2019exemple qui\npeuvent lui convenir. Mais le\u00e7ons et exemples, malgr\u00e9 leur diversit\u00e9, y\nont toujours en commun d\u2019\u00eatre directement inspir\u00e9s de la parole du\nChrist.\nEt la religion qu\u2019on y trouve exprim\u00e9e est toute d\u2019indulgence et de\nconsolation. C\u2019est la religion telle que la concevait saint Fran\u00e7ois\nd\u2019Assise, telle qu\u2019allait la traduire, deux si\u00e8cles apr\u00e8s, le\nbienheureux Fra Angelico, dans ces miniatures et ces fresques dont,\nseul, un chr\u00e9tien peut appr\u00e9cier la surnaturelle v\u00e9rit\u00e9 chr\u00e9tienne.\nQu\u2019on voie avec quelle ardente sympathie Jacques de Voragine nous\nraconte les actes charitables des saints, comme il s\u2019\u00e9chauffe lorsqu\u2019il\nnous parle de saint Basile, de saint Jean l\u2019Aum\u00f4nier, ou de saint\nMartin! Peu s\u2019en faut qu\u2019il ne les pr\u00e9f\u00e8re aux martyrs eux-m\u00eames, tant\nil d\u00e9couvre en eux des disciples fid\u00e8les de son divin ma\u00eetre. Et ses\nmartyrs, combien ils sont joyeux et doux, combien ils ont de tendre\npiti\u00e9 pour leurs pers\u00e9cuteurs! Le pr\u00e9fet qui torturait saint Longin est,\ntout \u00e0 coup, devenu aveugle et supplie le saint de lui rendre la vue:\n\u00abSache, mon pauvre ami, lui r\u00e9pond le saint, que tu ne pourras \u00eatre\ngu\u00e9ri qu\u2019apr\u00e8s m\u2019avoir tu\u00e9! Mais, aussit\u00f4t que je serai mort, je prierai\npour toi; et Dieu m\u2019accordera bien la gu\u00e9rison de ton corps et de ton\n\u00e2me!\u00bb Et saint Christophe, de son c\u00f4t\u00e9, dit au roi de Samos: \u00abQuand tu\nm\u2019auras fait trancher la t\u00eate, applique un peu de mon sang sur tes yeux,\net tu recouvreras la vue!\u00bb Voil\u00e0 vraiment de beaux saints; et il n\u2019y a\npoint de p\u00e9cheur qui n\u2019ait de quoi reprendre courage, en songeant que,\nl\u00e0-haut, de tels amis s\u2019emploient \u00e0 plaider pour lui!\nPeut-\u00eatre m\u00eame est-ce cet esprit d\u2019indulgence et de compassion infinies\nqui, plus encore que le dragon de saint Georges, a valu \u00e0 la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_ la mauvaise humeur de certains \u00e9crivains religieux du XVIIe\nsi\u00e8cle. Sous l\u2019influence du protestantisme et du jans\u00e9nisme, nombre\nd\u2019excellents catholiques, alors, estimaient imprudent de trop pr\u00eacher au\npeuple la bont\u00e9 de Dieu. Les peintres, ayant \u00e0 peindre J\u00e9sus sur la\ncroix, le repr\u00e9sentaient avec les bras lev\u00e9s au ciel, et non plus avec\nles bras \u00e9tendus pour b\u00e9nir la terre. Les philosophes insistaient sur la\ndiff\u00e9rence essentielle de la bont\u00e9 divine et de l\u2019humaine. Et tous,\nd\u2019une fa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale, ils s\u2019effor\u00e7aient plut\u00f4t d\u2019effrayer les hommes que\nde les rassurer. Peut-\u00eatre, dans ces conditions, la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ leur\naura-t-elle paru trop consolante, je veux dire faite pour nous donner\nune notion trop inexacte de l\u2019\u00e9ternelle justice? Mais aujourd\u2019hui, de\nm\u00eame que nos imaginations ont soif de l\u00e9gendes, nos c\u0153urs ont soif de\npiti\u00e9 et de consolation. Nous avons besoin que J\u00e9sus vienne \u00e0 nous avec\nles bras grands ouverts, que, dans nos peines, il nous dise, comme \u00e0\nl\u2019ap\u00f4tre dans sa prison d\u2019Antioche: \u00abMon ami, as-tu cru vraiment que je\nt\u2019oubliais?\u00bb Nous avons besoin que, comme au brigand qui r\u00e9citait tous\nles jours son _Ave Maria_, il daigne nous promettre le pardon de toutes\nnos fautes, en \u00e9change du peu de foi que nous pouvons lui offrir.\n\u00abSi tu dois tenir compte de nos iniquit\u00e9s, Seigneur, qui osera affronter\nton jugement?\u00bb C\u2019est \u00e0 ce cri de nos mis\u00e9rables \u00e2mes que r\u00e9pond surtout\nla _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, par la voix de ses confesseurs et par l\u2019exemple de\nses p\u00e9cheresses, nous apportant le t\u00e9moignage de treize si\u00e8cles de\nchristianisme, dont elle est, sinon une histoire toujours bien exacte, \u00e0\ncoup s\u00fbr le testament le plus authentique. Elle nous apprend que la\njustice de Dieu n\u2019est toute faite que de sa bont\u00e9. \u00abNe craignez pas\ntrop, nous dit-elle, que le Seigneur vous tienne compte de vos\niniquit\u00e9s! Lui-m\u00eame, suivant l\u2019expression de saint Bernard, est pr\u00eat \u00e0\nvous faire b\u00e9n\u00e9ficier du surplus de ses m\u00e9rites; et puis il y a, aupr\u00e8s\nde lui, la Vierge et tous les saints, qui ne cessent point de le\nsolliciter en votre faveur. Mais il ne vous pardonnera qu\u2019\u00e0 la condition\nque vous l\u2019aimiez, dans la personne du pauvre et du malade, de la veuve\net de l\u2019orphelin, de tous ceux que la souffrance \u00e9l\u00e8ve jusqu\u2019\u00e0 lui; \u00e0 la\ncondition que vous restiez humbles d\u2019esprit et de c\u0153ur, vous gardant\navec soin des fruits amers de l\u2019arbre de la science, dont le diable vous\naffirme qu\u2019ils pourront vous rendre pareils \u00e0 des dieux; et \u00e0 la\ncondition, enfin, que vous honoriez le Seigneur dans la nature, son\n\u0153uvre, au lieu de m\u00e9priser et de d\u00e9truire celle-ci comme vous vous\nacharnez \u00e0 le faire. Habituez-vous plut\u00f4t \u00e0 \u00e9couter les le\u00e7ons des\nfor\u00eats que celles des livres! Obtenez des moineaux qu\u2019ils consentent \u00e0\nvenir manger dans vos mains! Et, quand vous verrez un ours ou un loup\npris au pi\u00e8ge, h\u00e2tez-vous de courir \u00e0 lui pour le d\u00e9livrer! Renoncez \u00e0\nvous-m\u00eames pour vivre tout entiers dans le reste du monde: moyennant\nquoi le Seigneur non seulement vous pr\u00e9parera une petite place dans son\nparadis, mais, d\u00e8s cette vie, imprimera sur vos l\u00e8vres le tranquille et\nheureux sourire que vous voyez rayonner sur les l\u00e8vres des saints!\u00bb\nTelle est la le\u00e7on que nous enseigne, \u00e0 toutes ses pages, la _L\u00e9gende\nDor\u00e9e_, avec son mauvais style et ses erreurs de dates; et peut-\u00eatre,\ncette le\u00e7on, les contemporains m\u00eame de Jacques de Voragine n\u2019avaient-ils\npas autant que nous besoin de l\u2019entendre!\nQuant \u00e0 la traduction de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ que je soumets aujourd\u2019hui\nau lecteur fran\u00e7ais, je dirai seulement que je l\u2019ai faite sur une\n\u00e9dition latine imprim\u00e9e, en 1517, \u00e0 Lyon, chez Constantin Fradin; mais,\nsans cesse, autant que j\u2019ai pu, je me suis report\u00e9 \u00e0 des \u00e9ditions plus\nanciennes et \u00e0 des copies manuscrites.\nJ\u2019ai retranch\u00e9, naturellement, la plupart des chapitres des \u00e9ditions\npost\u00e9rieures qui, ne se trouvant point dans les manuscrits, sont \u00e0 coup\ns\u00fbr des interpolations. J\u2019ai cru, cependant, devoir en conserver deux,\nqui, du reste, ont \u00e9t\u00e9 introduits de tr\u00e8s bonne heure dans le texte de\nla _L\u00e9gende Dor\u00e9e_: ceux de _Saint Fran\u00e7ois_ et de _Sainte Elisabeth_.\nJ\u2019ai \u00e9court\u00e9, \u00e7\u00e0 et l\u00e0, quelques d\u00e9veloppements scolastiques o\u00f9 l\u2019auteur\nexpliquait, par exemple, les dix motifs, divis\u00e9s chacun en une dizaine\nd\u2019autres, qui avaient d\u00e9cid\u00e9 le Seigneur \u00e0 se laisser circoncire ou \u00e0\nna\u00eetre d\u2019une vierge. Et je me suis \u00e9galement d\u00e9cid\u00e9 \u00e0 retrancher, apr\u00e8s\nles avoir d\u2019abord traduites, les \u00e9tymologies plac\u00e9es par l\u2019auteur en\nt\u00eate de ses chapitres. Bollandus et d\u2019autres \u00e9crivains autoris\u00e9s ont\nsoutenu que ces \u00e9tymologies n\u2019\u00e9taient point de Jacques de Voragine; mais\nje crains bien, h\u00e9las! qu\u2019elles ne soient de lui, et ce n\u2019est point ce\nscrupule-l\u00e0 qui m\u2019a emp\u00each\u00e9 de les publier. Je les ai retranch\u00e9es,\nsimplement, parce qu\u2019elles auraient pr\u00eat\u00e9 \u00e0 rire, sans profit pour\npersonne. Le saint \u00e9v\u00eaque de G\u00eanes, de m\u00eame que tous les savants de son\ntemps, ignorait le grec. Et nous aussi, en v\u00e9rit\u00e9, nous l\u2019ignorons, mais\nnous en savons assez pour \u00eatre s\u00fbrs que le nom d\u2019Agathe, par exemple, ne\nvient point \u00abd\u2019_Aga_, parlant, et de _thau_, perfection\u00bb. Quand Jacques\nde Voragine nous affirme que le nom d\u2019Antoine vient \u00abd\u2019_ana_, en haut,\net de _tenens_, tenant\u00bb, nous \u00e9prouvons malgr\u00e9 nous une tentation de\nsourire qui risque de nous faire mal appr\u00e9cier, ensuite, la touchante\nbeaut\u00e9 de la vie du saint. L\u2019art d\u2019un temps, pour peu que l\u2019artiste y\nait mis de son c\u0153ur, a de quoi nous plaire \u00e9ternellement: mais la\nscience d\u2019un temps ne vaut que pour son temps.\nEt, \u00e0 part ces suppressions et ces abr\u00e9viations, dont le total ne\nd\u00e9passe pas une trentaine de pages, j\u2019ai essay\u00e9 de traduire aussi\nfid\u00e8lement que possible le texte original de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_. Puisse\nl\u2019\u0153uvre du v\u00e9n\u00e9rable Jacques de Varage retrouver parmi nous, sous cette\nforme nouvelle, un peu de sa bienfaisante action d\u2019autrefois!\nT. W.\nLA L\u00c9GENDE DOR\u00c9E\nPROLOGUE\nDIVISION DE L\u2019ANN\u00c9E\nToute la vie de l\u2019humanit\u00e9 se divise en quatre p\u00e9riodes: la p\u00e9riode de\nla d\u00e9viation; celle de la r\u00e9novation, ou du retour dans la droite voie;\ncelle de la r\u00e9conciliation; et celle du p\u00e8lerinage. 1\u00ba La p\u00e9riode de la\nd\u00e9viation a commenc\u00e9 avec Adam et a dur\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 Mo\u00efse: c\u2019est en effet\nAdam qui, le premier, s\u2019est d\u00e9tourn\u00e9 de la voie de Dieu. Et cette\npremi\u00e8re p\u00e9riode est repr\u00e9sent\u00e9e, dans l\u2019Eglise, par la partie de\nl\u2019ann\u00e9e qui va de la Septuag\u00e9sime jusqu\u2019\u00e0 P\u00e2ques. On r\u00e9cite, pendant\ncette partie de l\u2019ann\u00e9e, le livre de la _Gen\u00e8se_, qui est celui o\u00f9 se\ntrouve racont\u00e9e la faute de nos premiers parents. 2\u00ba La p\u00e9riode de la la\nr\u00e9novation a commenc\u00e9 avec Mo\u00efse et a dur\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 la naissance du\nChrist: c\u2019est en effet la p\u00e9riode o\u00f9, par les proph\u00e8tes, les hommes ont\n\u00e9t\u00e9 rappel\u00e9s \u00e0 la foi, et renouvel\u00e9s. Elle est repr\u00e9sent\u00e9e, dans\nl\u2019Eglise, par la partie de l\u2019ann\u00e9e qui va de l\u2019Avent jusqu\u2019\u00e0 No\u00ebl. Et\nl\u2019on y r\u00e9cite Isa\u00efe, qui traite le plus clairement de cette r\u00e9novation.\n3\u00ba La p\u00e9riode de la r\u00e9conciliation est celle o\u00f9, par le Christ, nous\navons \u00e9t\u00e9 r\u00e9concili\u00e9s avec Dieu. Elle est repr\u00e9sent\u00e9e, dans l\u2019Eglise,\npar la partie de l\u2019ann\u00e9e comprise entre P\u00e2ques et la Pentec\u00f4te. Et on y\nlit l\u2019Apocalypse, o\u00f9 est pleinement trait\u00e9 le myst\u00e8re de cette\nr\u00e9conciliation. 4\u00ba Enfin la p\u00e9riode du p\u00e8lerinage est celle de notre vie\npr\u00e9sente, o\u00f9 nous errons, comme des p\u00e8lerins, \u00e0 travers mille obstacles.\nElle est repr\u00e9sent\u00e9e, dans l\u2019Eglise, par la partie de l\u2019ann\u00e9e qui va de\nl\u2019octave de la Pentec\u00f4te jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Avent; et l\u2019on y r\u00e9cite les livres\ndes _Rois_ et des _Macchab\u00e9es_, o\u00f9 sont racont\u00e9s de nombreux combats,\nsymbolisant la lutte spirituelle qui nous est impos\u00e9e. Quant \u00e0 la\nsection de l\u2019ann\u00e9e qui va de No\u00ebl jusqu\u2019\u00e0 la Septuag\u00e9sime, elle est\nclass\u00e9e en partie dans la p\u00e9riode de la r\u00e9conciliation (depuis No\u00ebl\njusqu\u2019\u00e0 l\u2019octave de l\u2019Epiphanie), et en partie dans la p\u00e9riode du\np\u00e8lerinage (depuis l\u2019octave de l\u2019Epiphanie jusqu\u2019\u00e0 la Septuag\u00e9sime).\nMais bien que la d\u00e9viation ait pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 la r\u00e9novation, l\u2019Eglise pr\u00e9f\u00e8re\ncommencer son ann\u00e9e par le temps de la r\u00e9novation, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019Avent,\net cela pour deux motifs: 1\u00ba parce que, du fait m\u00eame que ce temps est\ncelui de la r\u00e9novation, l\u2019Eglise y renouvelle tous ses offices; 2\u00ba parce\nque, en commen\u00e7ant par le temps de la d\u00e9viation, elle semblerait\ncommencer par l\u2019erreur. Et voil\u00e0 pourquoi elle ne s\u2019en tient pas \u00e0\nsuivre l\u2019ordre des temps, de m\u00eame que, souvent, ne s\u2019y astreignent pas\nles \u00e9vang\u00e9listes dans leurs r\u00e9cits de la vie du Seigneur.\nC\u2019est donc d\u2019apr\u00e8s cette division des quatre parties de l\u2019ann\u00e9e\neccl\u00e9siastique que nous allons proc\u00e9der \u00e0 l\u2019\u00e9tude des diverses f\u00eates, en\ncommen\u00e7ant par l\u2019Avent, qui ouvre la p\u00e9riode de la r\u00e9novation.\nI\nL\u2019AVENT\nL\u2019Avent ou av\u00e8nement du Seigneur se c\u00e9l\u00e8bre pendant quatre semaines,\npour signifier que cet av\u00e8nement est de quatre sortes, \u00e0 savoir: dans la\nchair, dans l\u2019esprit, dans la mort, et au Jugement Dernier. La derni\u00e8re\nsemaine reste inachev\u00e9e, pour signifier que la gloire des \u00e9lus, telle\nque la leur donnera le dernier av\u00e8nement du Seigneur, n\u2019aura point de\nfin. Mais bien que l\u2019av\u00e8nement soit, en r\u00e9alit\u00e9, quadruple, l\u2019Eglise\ns\u2019occupe sp\u00e9cialement de deux de ses formes, \u00e0 savoir de l\u2019av\u00e8nement\ndans la chair et de l\u2019av\u00e8nement au Jugement Dernier. Et, ainsi, le je\u00fbne\nde l\u2019Avent est en partie un je\u00fbne de r\u00e9jouissance, en partie de\ncontrition. C\u2019est un je\u00fbne de r\u00e9jouissance par \u00e9gard \u00e0 l\u2019av\u00e8nement du\nSeigneur dans la chair, ou incarnation; et c\u2019est un je\u00fbne de contrition\npar \u00e9gard \u00e0 l\u2019av\u00e8nement supr\u00eame du jugement dernier.\nI. Au sujet de l\u2019av\u00e8nement dans la chair, on doit consid\u00e9rer deux\nchoses: son opportunit\u00e9 et son utilit\u00e9. Son opportunit\u00e9 r\u00e9sulte d\u2019abord\nde ce que l\u2019homme, condamn\u00e9 par sa nature \u00e0 avoir une connaissance\nincompl\u00e8te de Dieu, \u00e9tait tomb\u00e9 dans les pires erreurs de l\u2019idol\u00e2trie,\net se voyait amen\u00e9 \u00e0 s\u2019\u00e9crier: \u00abIllumine mes yeux, etc.\u00bb En second lieu,\nle Seigneur est venu dans la \u00abpl\u00e9nitude du temps\u00bb, comme le dit saint\nPaul dans l\u2019_Ep\u00eetre aux Galates_. En troisi\u00e8me lieu, il est venu \u00e0 un\nmoment o\u00f9 le monde entier \u00e9tait malade, comme le dit saint Augustin: \u00abLe\ngrand m\u00e9decin est venu au moment o\u00f9 le monde entier gisait comme un\ngrand malade.\u00bb C\u2019est pourquoi l\u2019Eglise, dans les sept antiennes qui se\nchantent avant la Nativit\u00e9 du Seigneur, rappelle la diversit\u00e9 du mal et\nl\u2019opportunit\u00e9 du rem\u00e8de divin. Avant l\u2019av\u00e8nement de Dieu dans la chair,\nnous \u00e9tions ignorants, soumis aux peines \u00e9ternelles, esclaves du diable,\nencha\u00een\u00e9s par l\u2019habitude du p\u00e9ch\u00e9, entour\u00e9s de t\u00e9n\u00e8bres, exil\u00e9s de notre\npatrie. C\u2019est pourquoi ces antiennes proclament tour \u00e0 tour J\u00e9sus comme\nnotre docteur, notre r\u00e9dempteur, notre lib\u00e9rateur, notre guide, notre\nilluminateur, et notre sauveur.\nQuant \u00e0 l\u2019utilit\u00e9 de l\u2019av\u00e8nement du Christ, diverses autorit\u00e9s la\nd\u00e9finissent de fa\u00e7ons diff\u00e9rentes. J\u00e9sus-Christ lui-m\u00eame, dans\nl\u2019\u00e9vangile de saint Luc, nous dit qu\u2019il est venu pour sept motifs: pour\nconsoler les pauvres, pour gu\u00e9rir les afflig\u00e9s, pour d\u00e9livrer les\ncaptifs, pour \u00e9clairer les ignorants, pour pardonner aux p\u00e9cheurs, pour\nracheter le genre humain, et pour r\u00e9compenser chacun d\u2019apr\u00e8s ses\nm\u00e9rites. Et saint Bernard dit: \u00abNous souffrons d\u2019une triple maladie:\nnous sommes faciles \u00e0 s\u00e9duire, faibles \u00e0 agir, et fragiles \u00e0 r\u00e9sister.\nEn cons\u00e9quence, l\u2019av\u00e8nement du Sauveur est n\u00e9cessaire, d\u2019abord, pour\nilluminer notre aveuglement, en second lieu pour secourir notre\nfaiblesse, et en troisi\u00e8me lieu pour prot\u00e9ger notre fragilit\u00e9.\u00bb\nII. Au sujet du second av\u00e8nement, c\u2019est-\u00e0-dire du Jugement Dernier, nous\ndevons consid\u00e9rer, tour \u00e0 tour, les circonstances qui le pr\u00e9c\u00e9deront, et\ncelles qui l\u2019accompagneront.\n1\u00ba Les circonstances qui pr\u00e9c\u00e9deront le Jugement Dernier sont de trois\nsortes: des signes terribles, l\u2019imposture de l\u2019Ant\u00e9christ, et un immense\nincendie.\nLes signes qui doivent pr\u00e9c\u00e9der le Jugement Dernier sont au nombre de\ncinq: car saint Luc dit: \u00abIl y aura des signes dans le soleil, dans la\nlune et dans les \u00e9toiles; sur la terre, les nations seront constern\u00e9es,\net la mer fera un bruit effroyable par l\u2019agitation de ses flots.\u00bb Toutes\nchoses dont on trouvera le commentaire au livre de l\u2019_Apocalypse_.\nSaint J\u00e9r\u00f4me, de son c\u00f4t\u00e9, a trouv\u00e9 dans les annales des H\u00e9breux quinze\nsignes pr\u00e9c\u00e9dant le Jugement Dernier: 1\u00ba le premier jour, la mer\ns\u2019\u00e9l\u00e8vera \u00e0 quarante coud\u00e9es au-dessus des montagnes, et se dressera\nimmobile comme un mur; 2\u00ba le deuxi\u00e8me jour, elle descendra si bas qu\u2019on\npourra \u00e0 peine la voir; 3\u00ba le troisi\u00e8me jour, des monstres marins,\napparaissant sur les flots, pousseront des rugissements qui s\u2019\u00e9l\u00e8veront\njusqu\u2019au ciel; 4\u00ba le quatri\u00e8me jour, l\u2019eau de la mer br\u00fblera; 5\u00ba le\ncinqui\u00e8me jour, les arbres et tous les v\u00e9g\u00e9taux d\u00e9gageront une ros\u00e9e\nsanglante; 6\u00ba le sixi\u00e8me jour, les \u00e9difices s\u2019\u00e9crouleront; 7\u00ba le\nsepti\u00e8me jour, les pierres se briseront en quatre parties, qui toutes\ns\u2019entre-choqueront; 8\u00ba le huiti\u00e8me jour, aura lieu un tremblement de\nterre universel, qui couchera sur le sol hommes et b\u00eates; 9\u00ba le neuvi\u00e8me\njour, la terre se nivellera, r\u00e9duisant en poussi\u00e8re montagnes et\ncollines; 10\u00ba le dixi\u00e8me jour, les hommes sortiront des cavernes, et\nerreront comme des insens\u00e9s, sans pouvoir se parler; 11\u00ba le onzi\u00e8me\njour, les ossements des morts sortiront des tombeaux; 12\u00ba le douzi\u00e8me\njour, les \u00e9toiles tomberont; 13\u00ba le treizi\u00e8me jour, tous les \u00eatres\nvivants mourront pour ressusciter ensuite avec les morts; 14\u00ba le\nquatorzi\u00e8me jour, le ciel et la terre br\u00fbleront; 15\u00ba le quinzi\u00e8me jour,\nil y aura un nouveau ciel et une nouvelle terre, et tous ressusciteront.\nEn second lieu, le Jugement Dernier sera pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 de l\u2019imposture de\nl\u2019Ant\u00e9christ, qui essaiera de tromper les hommes en quatre mani\u00e8res: 1\u00ba\npar une fausse exposition des \u00e9critures, d\u2019o\u00f9 il essaiera de prouver\nqu\u2019il est le Messie promis par la loi; 2\u00ba par l\u2019accomplissement de\nmiracles; 3\u00ba par la distribution de pr\u00e9sents; 4\u00ba par l\u2019infliction de\nsupplices.\nEn troisi\u00e8me lieu, le Jugement Dernier sera pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 d\u2019un violent\nincendie, allum\u00e9 par Dieu pour renouveler le monde, pour faire souffrir\nles damn\u00e9s, et pour mettre en lumi\u00e8re la troupe des \u00e9lus.\n2\u00ba Quant aux circonstances qui accompagneront le Jugement Dernier, on\ndoit nommer d\u2019abord la r\u00e9partition des bons et des m\u00e9chants: car on sait\nque le juge descendra dans la Vall\u00e9e de Josaphat et mettra les bons \u00e0 sa\ndroite, et les m\u00e9chants \u00e0 sa gauche. Ce qui ne signifie point, ainsi que\nle dit tr\u00e8s justement saint J\u00e9r\u00f4me, que tous les hommes doivent parvenir\n\u00e0 prendre place dans cette petite vall\u00e9e, mais seulement que l\u00e0 sera le\ncentre du jugement: sans compter que rien n\u2019emp\u00eachera Dieu, s\u2019il le\nveut, de faire tenir en un petit espace un nombre infini de personnes.\nVient ensuite la question de savoir en combien de cat\u00e9gories seront\nr\u00e9partis les hommes, au Jugement Dernier. Saint Gr\u00e9goire admet quatre\ncat\u00e9gories, dont deux parmi les damn\u00e9s, et deux parmi les \u00e9lus. Car,\nparmi les damn\u00e9s, il y en aura qui seront jug\u00e9s, et d\u2019autres qui seront\ncondamn\u00e9s d\u2019avance, \u00e0 savoir ceux dont il est dit: \u00abCelui qui ne croira\npas, il sera jug\u00e9 d\u2019avance!\u00bb Du c\u00f4t\u00e9 des \u00e9lus, il y en aura qui seront\njug\u00e9s, et d\u2019autres, les hommes parfaits, jugeront les autres, en ce sens\nqu\u2019ils si\u00e9geront \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du juge.\nFigureront \u00e9galement, au Jugement Dernier, les insignes de la passion:\nla croix, les clefs et les cicatrices du corps; et Chrysostome dit que\n\u00abla croix et les cicatrices seront plus brillantes que les rayons du\nsoleil\u00bb.\nLe Juge sera d\u2019une s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 inflexible. Il ne se laissera fl\u00e9chir, en\neffet, ni par la peur, car il est tout-puissant, ni par les pr\u00e9sents,\ncar il est la richesse m\u00eame, ni par la haine, car il est la bont\u00e9 m\u00eame,\nni par l\u2019amour, car il est la justice m\u00eame, ni par l\u2019erreur, car il est\nla sagesse m\u00eame. Et contre cette sagesse ne pourront pr\u00e9valoir ni les\nall\u00e9gations des avocats, ni les sophismes des philosophes, ni les\np\u00e9riodes des orateurs, ni les ruses des hypocrites.\nEt autant le Juge sera s\u00e9v\u00e8re, autant l\u2019accusateur sera implacable. Ou\nplut\u00f4t le p\u00e9cheur aura en face de lui trois accusateurs: 1\u00ba le diable;\n2\u00ba le p\u00e9ch\u00e9 lui-m\u00eame; 3\u00ba le monde entier; car, comme le dit Chrysostome:\n\u00abCe jour-l\u00e0, le ciel et la terre, l\u2019eau, le soleil et la lune, le jour\net la nuit, en un mot le monde entier se dressera contre nous devant\nDieu, en t\u00e9moignage de nos p\u00e9ch\u00e9s.\u00bb\nEt, de m\u00eame, trois t\u00e9moins d\u00e9poseront contre nous, tous les trois\ninfaillibles. En premier lieu, Dieu lui-m\u00eame, qui nous dit par la voix\nde J\u00e9r\u00e9mie: \u00abJe suis \u00e0 la fois juge et t\u00e9moin.\u00bb En second lieu, notre\nconscience. En troisi\u00e8me lieu l\u2019ange d\u00e9l\u00e9gu\u00e9 pour notre garde; car nous\nlisons dans le livre de Job: \u00abLes cieux (c\u2019est-\u00e0-dire les anges)\nr\u00e9v\u00e9leront son iniquit\u00e9.\u00bb\nEnfin la sentence sera irr\u00e9vocable. En effet, une sentence est\nirr\u00e9vocable pour trois motifs: 1\u00ba l\u2019excellence du juge; 2\u00ba l\u2019\u00e9vidence de\nla faute; 3\u00ba l\u2019impossibilit\u00e9 de diff\u00e9rer le ch\u00e2timent. Or, dans la\nsentence prononc\u00e9e contre nous au Jugement Dernier, ces trois conditions\nse trouveront remplies; et il n\u2019y aura point de roi, d\u2019empereur, ni de\npape, \u00e0 qui nous puissions faire appel du jugement prononc\u00e9 contre nous.\nII\nSAINT ANDR\u00c9, AP\u00d4TRE\n(30 novembre)\nLe martyre de saint Andr\u00e9 nous a \u00e9t\u00e9 racont\u00e9 par des pr\u00eatres et des\ndiacres de Gr\u00e8ce et d\u2019Asie, t\u00e9moins oculaires de ses derniers instants.\nI. Saint Andr\u00e9 et quelques autres disciples furent appel\u00e9s par le\nSeigneur \u00e0 trois reprises successives. La premi\u00e8re fois, le Seigneur les\nappela \u00e0 sa _connaissance_. Andr\u00e9 \u00e9tait un jour aupr\u00e8s de son ma\u00eetre\nJean, lorsque celui-ci s\u2019\u00e9cria: \u00abVoici venir l\u2019Agneau de Dieu... etc.\u00bb\nEt aussit\u00f4t Andr\u00e9 alla rejoindre J\u00e9sus, et resta pr\u00e8s de lui toute une\njourn\u00e9e. Il amena aussi \u00e0 J\u00e9sus son fr\u00e8re Simon, l\u2019ayant rencontr\u00e9 sur\nson chemin. Puis, le jour suivant, il revint \u00e0 son m\u00e9tier, qui \u00e9tait de\np\u00eacher le poisson. Mais, quelque temps apr\u00e8s, J\u00e9sus l\u2019appela \u00e0 sa\n_familiarit\u00e9_. Etant venu, avec une grande foule, au bord du lac de\nG\u00e9n\u00e9sareth, que l\u2019on appelle aussi mer de Galil\u00e9e, il entra dans la\nbarque de Simon et d\u2019Andr\u00e9, et prit une masse \u00e9norme de poisson. Alors\nAndr\u00e9 appela Jacques et Jean, qui \u00e9taient dans une autre barque; et ils\nsuivirent le Seigneur: apr\u00e8s quoi, de nouveau, ils revinrent \u00e0 leur\nm\u00e9tier. Mais bient\u00f4t le Seigneur les appela une troisi\u00e8me fois, et cette\nfois \u00e0 son _discipulat_. Se promenant un jour sur les bords du m\u00eame lac,\no\u00f9 Andr\u00e9 et ses compagnons \u00e9taient occup\u00e9s \u00e0 p\u00eacher, il leur fit signe\nde jeter leurs filets, en leur disant: \u00abSuivez-moi, je vous ferai\np\u00eacheurs d\u2019hommes!\u00bb Et ils le suivirent, et jamais plus ils ne revinrent\n\u00e0 leur m\u00e9tier de p\u00eacheurs. Une quatri\u00e8me fois encore, du reste, le\nSeigneur appela Andr\u00e9; ce fut, cette fois, \u00e0 son _apostolat_, ainsi que\nle raconte l\u2019\u00e9vang\u00e9liste saint Marc, en son chapitre troisi\u00e8me. Il\nappela ceux qu\u2019il s\u2019\u00e9tait choisis, et ils vinrent \u00e0 lui, et il fit en\nsorte qu\u2019ils fussent au nombre de douze.\nApr\u00e8s l\u2019ascension du Seigneur, les ap\u00f4tres s\u2019\u00e9tant s\u00e9par\u00e9s, Andr\u00e9 alla\np\u00eacher en Scythie, et Matthieu en Ethiopie. Or les Ethiopiens, refusant\nd\u2019admettre la pr\u00e9dication de Matthieu, lui arrach\u00e8rent les yeux, le\nli\u00e8rent de cha\u00eenes, et le jet\u00e8rent en prison, avec l\u2019intention de le\nmettre \u00e0 mort peu de jours apr\u00e8s. Alors un ange apparut \u00e0 saint Andr\u00e9,\net lui enjoignit de se rendre en Ethiopie aupr\u00e8s de saint Matthieu.\nSaint Andr\u00e9 ayant r\u00e9pondu qu\u2019il ne connaissait pas le chemin, l\u2019ange lui\nordonna d\u2019aller au bord de la mer, et, l\u00e0, d\u2019entrer dans le premier\nvaisseau qu\u2019il rencontrerait. C\u2019est ce que s\u2019empressa de faire Andr\u00e9; et\nle vaisseau ne tarda pas \u00e0 le conduire, avec un vent favorable, jusqu\u2019\u00e0\nla ville o\u00f9 \u00e9tait saint Matthieu. Puis, sous la garde de l\u2019ange, il\np\u00e9n\u00e9tra dans la prison de l\u2019\u00e9vang\u00e9liste, et, \u00e0 sa vue, pleura beaucoup\net pria. Et voici que le Seigneur, \u00e0 sa demande, rendit \u00e0 Matthieu le\nbienfait de la vue, dont l\u2019avait priv\u00e9 la cruaut\u00e9 des infid\u00e8les. Et\nMatthieu sortit de sa prison, et se rendit \u00e0 Antioche. Mais Andr\u00e9, au\ncontraire, resta en Ethiopie, o\u00f9 les habitants, furieux de l\u2019\u00e9vasion de\nson ami, s\u2019empar\u00e8rent de lui et le tra\u00een\u00e8rent par les places, les mains\nli\u00e9es. Son sang coulait en abondance: et lui, cependant, il ne cessait\npas de prier Dieu pour ses pers\u00e9cuteurs, de telle sorte qu\u2019il finit par\nles convertir. Et c\u2019est apr\u00e8s cela qu\u2019il partit pour la Gr\u00e8ce.--Voil\u00e0,\ndu moins, ce que l\u2019on raconte; mais j\u2019ai, quant \u00e0 moi, beaucoup de peine\n\u00e0 y croire: car le fait de la d\u00e9livrance et de la gu\u00e9rison de\nsaint Matthieu par saint Andr\u00e9 impliquerait,--chose bien peu\nvraisemblable,--que ce grand \u00e9vang\u00e9liste n\u2019aurait pu obtenir, par\nlui-m\u00eame, ce que son fr\u00e8re Andr\u00e9 aurait si facilement obtenu pour lui.\nII. Un jeune homme de famille noble avait \u00e9t\u00e9 converti par saint Andr\u00e9\net s\u2019\u00e9tait attach\u00e9 \u00e0 lui, malgr\u00e9 la d\u00e9fense de ses parents: sur quoi\nceux-ci mirent le feu \u00e0 la maison o\u00f9 il demeurait avec l\u2019ap\u00f4tre. Et\ncomme d\u00e9j\u00e0 la flamme s\u2019\u00e9levait, le jeune homme versa sur elle l\u2019eau d\u2019un\nflacon, et aussit\u00f4t le feu s\u2019\u00e9teignit. Alors les parents dirent: \u00abNotre\nfils est devenu sorcier!\u00bb Et, ayant approch\u00e9 une \u00e9chelle, ils voulurent\ny monter pour s\u2019emparer de leur fils: mais Dieu les rendit aveugles, de\ntelle fa\u00e7on qu\u2019ils ne pouvaient pas voir les degr\u00e9s de l\u2019\u00e9chelle. Et un\nhomme qui passait par l\u00e0 leur cria: \u00abPourquoi vous \u00e9puiser en une t\u00e2che\nvaine? Ne voyez-vous donc pas que Dieu combat pour eux? H\u00e2tez-vous de\nc\u00e9der, de peur que la col\u00e8re de Dieu ne tombe sur vous!\u00bb Et beaucoup,\nvoyant cela, crurent au Seigneur. Quant aux parents du jeune homme, ils\nmoururent au bout de cinquante jours.\nIII. Certaine femme, qui \u00e9tait mari\u00e9e \u00e0 un assassin, se trouvait en\ncouches et ne parvenait pas \u00e0 enfanter. Elle dit alors \u00e0 sa s\u0153ur: \u00abVa\ninvoquer pour moi notre ma\u00eetresse Diane!\u00bb Mais, au lieu de Diane, ce fut\nle diable qui r\u00e9pondit. \u00abInutile de m\u2019invoquer, dit-il \u00e0 la s\u0153ur, car je\nne puis rien pour toi. Va trouver plut\u00f4t l\u2019ap\u00f4tre Andr\u00e9: celui-l\u00e0 pourra\nsecourir ta s\u0153ur!\u00bb Elle alla donc trouver saint Andr\u00e9, et l\u2019amena au lit\nde sa s\u0153ur malade, Et l\u2019ap\u00f4tre dit \u00e0 celle-ci: \u00abTu m\u00e9rites ta\nsouffrance, car tu t\u2019es mal mari\u00e9e, tu as mal con\u00e7u, et, pour comble, tu\nas invoqu\u00e9 l\u2019aide des mauvais esprits. Mais repens-toi, crois au Christ,\net tu enfanteras!\u00bb Et, en effet, la femme ayant cru, elle mit au monde\nun enfant mort, et sa douleur cessa.\nIV. Un vieillard, nomm\u00e9 Nicolas, vint un jour trouver saint Andr\u00e9 et lui\ndit: \u00abMa\u00eetre, voici que j\u2019ai soixante-dix ans, et jamais je n\u2019ai cess\u00e9\nde m\u2019adonner \u00e0 la luxure. J\u2019ai cependant admis l\u2019Evangile, et pri\u00e9 Dieu\nde vouloir bien m\u2019accorder le don de la continence. Mais, inv\u00e9t\u00e9r\u00e9 dans\nle p\u00e9ch\u00e9, et s\u00e9duit par de mauvais d\u00e9sirs, au sortir m\u00eame de tes\npr\u00e9dications je retournais aussit\u00f4t \u00e0 mon vice accoutum\u00e9. Or, hier,\nenflamm\u00e9 par la concupiscence, j\u2019ai oubli\u00e9 que je tenais en main\nl\u2019\u00e9vangile, et je suis all\u00e9 dans une maison de d\u00e9bauche. Et voil\u00e0 que la\nprostitu\u00e9e s\u2019\u00e9crie en m\u2019apercevant: \u00abSors d\u2019ici, vieillard, sors d\u2019ici,\nne me touche pas, et ne tente pas d\u2019entrer dans cette maison: car je\nvois sur toi des choses merveilleuses, qui me prouvent que tu dois \u00eatre\nun messager de Dieu!\u00bb Et moi, stup\u00e9fait de ces paroles, je me suis\nrappel\u00e9 que je tenais en main l\u2019Evangile. Or, maintenant, saint ap\u00f4tre\nde Dieu, je viens \u00e0 toi pour que ta pieuse pri\u00e8re interc\u00e8de aupr\u00e8s de\nDieu et obtienne mon salut.\u00bb Ce qu\u2019ayant entendu, le bienheureux Andr\u00e9\nse mit \u00e0 pleurer, et il resta en pri\u00e8re depuis la troisi\u00e8me heure\njusqu\u2019\u00e0 la neuvi\u00e8me; et, quand il se releva, il refusa de manger,\ndisant: \u00abJe ne mangerai pas jusqu\u2019\u00e0 ce que je sache si le Seigneur a eu\npiti\u00e9 de ce pauvre vieillard!\u00bb Et, apr\u00e8s qu\u2019il e\u00fbt je\u00fbn\u00e9 ainsi pendant\ncinq jours, une voix d\u2019en haut lui dit: \u00abAndr\u00e9, tu as obtenu la gr\u00e2ce du\nvieillard. Mais de m\u00eame que tu t\u2019es mac\u00e9r\u00e9 en je\u00fbnant pour lui, de m\u00eame\nil doit \u00e0 son tour je\u00fbner pour m\u00e9riter son salut.\u00bb Et le vieillard fit\nainsi: durant six mois il je\u00fbna au pain et \u00e0 l\u2019eau; apr\u00e8s quoi il\ns\u2019endormit en paix, plein de bonnes \u0153uvres. Et de nouveau Andr\u00e9 entendit\nla voix, qui, cette fois, lui dit: \u00abTa pri\u00e8re m\u2019a rendu Nicolas, que\nj\u2019avais perdu!\u00bb\nV. Or, comme l\u2019ap\u00f4tre \u00e9tait dans la ville de Nic\u00e9e, les habitants lui\ndirent que, aux portes de la ville, sur le chemin, se tenaient sept\nd\u00e9mons qui tuaient les passants. Alors l\u2019ap\u00f4tre, en pr\u00e9sence du peuple,\nordonna \u00e0 ces d\u00e9mons de venir vers lui, et aussit\u00f4t ils vinrent, sous\nforme de chiens. Et l\u2019ap\u00f4tre leur ordonna d\u2019aller dans quelque autre\nendroit. Sur quoi les d\u00e9mons s\u2019enfuirent. Et les t\u00e9moins de ce miracle\nre\u00e7urent la foi du Christ. Mais voil\u00e0 qu\u2019en arrivant aux portes d\u2019une\nautre ville Andr\u00e9 rencontra le cadavre d\u2019un jeune homme, qu\u2019on emmenait\npour l\u2019ensevelir. Et on lui dit que sept chiens \u00e9taient venus la nuit,\nqui avaient tu\u00e9 ce jeune homme dans son lit. Et l\u2019ap\u00f4tre, tout en\nlarmes, s\u2019\u00e9cria: \u00abJe sais, Seigneur, que ce sont les sept d\u00e9mons que\nj\u2019ai chass\u00e9s de Nic\u00e9e!\u00bb Puis il dit au p\u00e8re: \u00abQue me donneras-tu, si je\nressuscite ton fils?\u00bb--\u00abJe n\u2019avais rien de plus cher que lui, r\u00e9pondit\nle p\u00e8re: c\u2019est donc lui que je te donnerai!\u00bb Et, Andr\u00e9 ayant pri\u00e9 le\nSeigneur, le jeune homme se releva et le suivit.\nVI. Des hommes, au nombre de quarante, venaient par mer vers l\u2019ap\u00f4tre,\nafin de recevoir de lui la doctrine de la foi, lorsque le diable souleva\nune temp\u00eate si forte que tous furent noy\u00e9s. Mais, leurs corps ayant \u00e9t\u00e9\njet\u00e9s par les vagues sur le rivage, l\u2019ap\u00f4tre les ressuscita aussit\u00f4t. Et\nchacun d\u2019eux raconta le miracle qui lui \u00e9tait arriv\u00e9. De l\u00e0 vient que,\ndans une hymne de l\u2019office du saint, nous lisons:\n Quaterdenos juvenes,\n Submersos maris fluctibus,\n Vit\u00e6 reddidit usibus.\nVII. Ainsi le bienheureux Andr\u00e9, s\u2019\u00e9tant fix\u00e9 en Acha\u00efe, remplit\nd\u2019\u00e9glises toute cette r\u00e9gion et amena un grand nombre de ses habitants \u00e0\nla foi du Christ. Il convertit, entre autres, la femme du proconsul\nEg\u00e9e, et la r\u00e9g\u00e9n\u00e9ra par l\u2019eau sainte du bapt\u00eame. Mais le proconsul, d\u00e8s\nqu\u2019il l\u2019apprit, entra dans la ville de Patras, et ordonna aux chr\u00e9tiens\nde sacrifier aux idoles. Alors Andr\u00e9, s\u2019avan\u00e7ant vers lui, lui dit: \u00abToi\nqui as m\u00e9rit\u00e9 de devenir juge sur cette terre, tu as le devoir de\nreconna\u00eetre ton juge qui est au ciel, et, l\u2019ayant reconnu, de l\u2019adorer,\net, l\u2019ayant ador\u00e9, de renoncer compl\u00e8tement au culte des faux dieux!\u00bb\nMais Eg\u00e9e lui r\u00e9pondit: \u00abJe vois que tu es cet Andr\u00e9 qui pr\u00eache\nl\u2019h\u00e9r\u00e9sie malfaisante que les princes de Rome ont nagu\u00e8re ordonn\u00e9\nd\u2019exterminer!\u00bb Et Andr\u00e9: \u00abC\u2019est que les princes de Rome ne savaient pas\nencore comment le Fils de Dieu a enseign\u00e9 que vos idoles \u00e9taient des\nd\u00e9mons, dont l\u2019enseignement est fait pour offenser Dieu, de telle sorte\nque, Dieu les ayant abandonn\u00e9s, le diable s\u2019empare d\u2019eux et les trompe \u00e0\nloisir, jusqu\u2019au jour o\u00f9 leurs \u00e2mes se d\u00e9pouillent de leur corps et se\ntrouvent nues, ne portant avec elles que leurs p\u00e9ch\u00e9s.\u00bb A quoi Eg\u00e9e:\n\u00abVotre J\u00e9sus, pendant qu\u2019il vous apprenait ces sottises, on l\u2019a attach\u00e9\n\u00e0 la potence!\u00bb Et Andr\u00e9: \u00abC\u2019est pour nous rendre notre salut et non pour\nracheter sa propre faute qu\u2019il a spontan\u00e9ment subi le supplice de la\ncroix.\u00bb Alors Eg\u00e9e: \u00abComment peux-tu dire qu\u2019il ait subi spontan\u00e9ment le\nsupplice de la croix, tandis que nous savons qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 livr\u00e9 par un de\nses disciples, et emprisonn\u00e9 par les Juifs, et crucifi\u00e9 par les\nsoldats?\u00bb Alors Andr\u00e9 se mit \u00e0 d\u00e9montrer, par cinq arguments, que la\npassion du Christ avait \u00e9t\u00e9 volontaire, car: 1\u00ba le Christ avait pr\u00e9vu sa\npassion et l\u2019avait pr\u00e9dite \u00e0 ses disciples, en disant: \u00abVoici que nous\nmontons \u00e0 J\u00e9rusalem, etc.\u00bb; 2\u00ba il s\u2019\u00e9tait irrit\u00e9 lorsque Pierre avait\nexprim\u00e9 le d\u00e9sir de l\u2019en d\u00e9tourner; 3\u00ba il avait affirm\u00e9 qu\u2019il avait le\npouvoir, \u00e0 la fois, de souffrir et de ressusciter; 4\u00ba il avait d\u00e9sign\u00e9\nd\u2019avance l\u2019homme qui le livrerait, avait rompu le pain avec lui, et\nn\u2019avait rien fait pour l\u2019\u00e9viter; 5\u00ba enfin il s\u2019\u00e9tait rendu dans\nl\u2019endroit o\u00f9 il savait que le tra\u00eetre viendrait l\u2019arr\u00eater. Et Andr\u00e9\najouta que le myst\u00e8re de la croix \u00e9tait grand. \u00abCe n\u2019est pas le moins du\nmonde un myst\u00e8re, mais un supplice!--lui r\u00e9pondit Eg\u00e9e.--Et si tu\nrefuses de m\u2019ob\u00e9ir, je te ferai go\u00fbter, \u00e0 toi aussi, de ce m\u00eame\nmyst\u00e8re!\u00bb--\u00abSi j\u2019avais peur du supplice de la croix, r\u00e9pondit Andr\u00e9, je\nne pr\u00eacherais pas la gloire de la Croix. Mais d\u2019abord je veux\nt\u2019apprendre le myst\u00e8re de la croix, afin que, peut-\u00eatre, tu consentes \u00e0\ny croire, et \u00e0 \u00eatre sauv\u00e9!\u00bb\nEt il se mit alors \u00e0 lui exposer le myst\u00e8re de la r\u00e9demption, lui\nprouvant, par cinq arguments, combien ce myst\u00e8re \u00e9tait n\u00e9cessaire et\nlogique, car: 1\u00ba le premier homme ayant suscit\u00e9 la mort au moyen d\u2019un\nobjet en bois, qui \u00e9tait l\u2019arbre du bien et du mal, c\u2019\u00e9tait chose\nn\u00e9cessaire et logique que le Fils de l\u2019Homme chass\u00e2t la mort en mourant\nlui-m\u00eame sur un objet de bois; 2\u00ba le coupable \u00e9tant fait de terre\nimmacul\u00e9e, c\u2019\u00e9tait chose n\u00e9cessaire et logique que le R\u00e9dempteur naqu\u00eet\nd\u2019une vierge immacul\u00e9e; 3\u00ba Adam ayant \u00e9tendu la main vers le fruit\nd\u00e9fendu, c\u2019\u00e9tait chose n\u00e9cessaire et logique que le second Adam \u00e9tend\u00eet\nsur la croix ses mains immacul\u00e9es; 4\u00ba Adam ayant go\u00fbt\u00e9, malgr\u00e9 la\nd\u00e9fense de Dieu, une nourriture d\u00e9licieuse, c\u2019\u00e9tait chose n\u00e9cessaire et\nlogique (afin que le contraire chass\u00e2t le contraire) que J\u00e9sus f\u00fbt\nnourri de fiel; 5\u00ba J\u00e9sus faisant part \u00e0 l\u2019homme de sa propre\nimmortalit\u00e9, c\u2019\u00e9tait chose n\u00e9cessaire et logique qu\u2019il pr\u00eet, en \u00e9change,\n\u00e0 l\u2019homme sa mortalit\u00e9. Car si Dieu n\u2019\u00e9tait pas devenu mortel, l\u2019homme\nn\u2019aurait pu devenir immortel.\nAlors Eg\u00e9e: \u00abTu iras conter toutes ces sottises \u00e0 ceux de ta secte; mais\nen attendant, tu vas m\u2019ob\u00e9ir, et sacrifier aux dieux tout-puissants!\u00bb Et\nAndr\u00e9: \u00abA Dieu tout-puissant j\u2019offre tous les jours un Agneau sans\ntache, qui, apr\u00e8s qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 mang\u00e9 par tout le peuple, demeure vivant\net tout entier.\u00bb Et Eg\u00e9e: \u00abEh bien, je vais te faire torturer jusqu\u2019\u00e0 ce\nque tu m\u2019aies prouv\u00e9 que tu es capable de r\u00e9aliser ce miracle!\u00bb Et\naussit\u00f4t, il le fit emprisonner.\nLe lendemain matin, \u00e9tant mont\u00e9 sur son tribunal, il somma de nouveau\nAndr\u00e9 de sacrifier aux idoles, lui disant: \u00abSi tu refuses de m\u2019ob\u00e9ir, je\nte ferai attacher \u00e0 cette croix que tu vantes si fort!\u00bb Et il le\nmena\u00e7ait encore d\u2019autres supplices; mais l\u2019ap\u00f4tre lui r\u00e9pondit: \u00abNe\ncrains pas d\u2019inventer le supplice qui te para\u00eetra le plus terrible: car,\naux yeux de mon Roi, je serai d\u2019autant plus bienvenu que j\u2019aurai plus\nsouffert patiemment en son nom!\u00bb Alors Eg\u00e9e ordonna \u00e0 vingt et un hommes\nde le saisir et de le lier \u00e0 la croix par les mains et les pieds, afin\nque son supplice dur\u00e2t plus longtemps.\nEt, comme on le conduisait \u00e0 la croix, une foule s\u2019amassa, disant: \u00abSon\nsang innocent va p\u00e9rir injustement!\u00bb Mais l\u2019ap\u00f4tre leur demanda de ne\nrien faire pour emp\u00eacher son martyre. Puis, du plus loin qu\u2019il aper\u00e7ut\nla croix, il la salua, disant: \u00abSalut, croix, qui as \u00e9t\u00e9 sanctifi\u00e9e par\nle corps du Christ, et orn\u00e9e de ses membres comme de pierres pr\u00e9cieuses!\nAvant que le Seigneur f\u00fbt attach\u00e9 sur toi, tu inspirais la peur\nterrestre; mais, d\u00e9sormais, tu obtiens l\u2019amour c\u00e9leste, et l\u2019on te\nsouhaite comme un bienfait. Aussi vais-je \u00e0 toi assur\u00e9 et joyeux, pour\nque tu m\u2019accueilles amicalement, moi, le disciple de Celui qu\u2019on a pendu\nsur toi: car je t\u2019ai toujours aim\u00e9e, et ai aspir\u00e9 \u00e0 ton embrassement. O\nbonne croix, ennoblie et embellie par les membres du Seigneur! Longtemps\nd\u00e9sir\u00e9e, constamment aim\u00e9e, sans cesse recherch\u00e9e, prends-moi aux hommes\net rends-moi \u00e0 mon Ma\u00eetre, afin que celui-ci, m\u2019ayant rachet\u00e9 par toi,\nme re\u00e7oive de toi!\u00bb Et, disant ces paroles, il se d\u00e9v\u00eatit, et livra ses\nv\u00eatements \u00e0 ses bourreaux, qui l\u2019attach\u00e8rent sur la croix comme on le\nleur avait ordonn\u00e9. Andr\u00e9 y resta, vivant, pendant deux jours, et pr\u00eacha\n\u00e0 une foule de vingt mille personnes. Le troisi\u00e8me jour, cette foule\ncommen\u00e7a \u00e0 menacer de mort le proconsul Eg\u00e9e, disant que c\u2019\u00e9tait chose\nabominable de faire souffrir ainsi un saint homme plein de douceur et de\npi\u00e9t\u00e9. Et Eg\u00e9e, effray\u00e9, vint le faire d\u00e9tacher de la croix. Mais Andr\u00e9,\nen l\u2019apercevant, lui dit: \u00abTe voici, Eg\u00e9e? Que si tu viens pour faire\np\u00e9nitence, tu auras ton pardon; mais si tu viens pour me faire d\u00e9tacher\nde la croix, sache que je ne dois pas en descendre vivant! Et d\u00e9j\u00e0 je\nvois mon Roi qui m\u2019attend aux cieux!\u00bb\nDes soldats voulurent le d\u00e9lier, mais ils ne purent pas le toucher, car\naussit\u00f4t leurs bras retombaient inertes. Et Andr\u00e9, voyant que la foule\nvoulait le d\u00e9tacher, fit, sur sa croix, cette pri\u00e8re, qu\u2019a rapport\u00e9e\nsaint Augustin dans son livre _De la P\u00e9nitence_: \u00abSeigneur, ne permets\npas que je descende vivant de cette croix: car il est temps que tu\nlivres mon corps \u00e0 la terre. Je l\u2019ai port\u00e9 si longtemps, j\u2019ai tant\nveill\u00e9, et pein\u00e9, que je voudrais maintenant \u00eatre d\u00e9livr\u00e9 de cette\nob\u00e9issance, et d\u00e9charg\u00e9 de ce lourd fardeau. Aussi longtemps que j\u2019ai\npu, P\u00e8re bienfaisant, j\u2019ai r\u00e9sist\u00e9 aux attaques de mon corps, et, avec\nton aide, je l\u2019ai vaincu. Mais maintenant je te demande, comme\nr\u00e9compense, de ne plus m\u2019ordonner cette lutte, et de reprendre le d\u00e9p\u00f4t\nque tu m\u2019as confi\u00e9. Confie-le maintenant \u00e0 la terre, pour qu\u2019elle le\ngarde; et me le rende au jour de la r\u00e9surrection des corps, afin que,\nlui aussi, il ait la r\u00e9compense qu\u2019il a m\u00e9rit\u00e9e! Et fais en sorte que je\nn\u2019aie plus besoin de veiller, et que mon corps ne m\u2019emp\u00eache plus de\ntendre librement vers toi, Source de la vie et des joies \u00e9ternelles!\u00bb\nQuand il eut dit ces paroles, une lumi\u00e8re \u00e9blouissante, descendant du\nciel, l\u2019entoura pendant une demi-heure, qui le fit invisible; et, quand\ncette lumi\u00e8re se dissipa, il rendit l\u2019\u00e2me. Maximilla, la femme d\u2019Eg\u00e9e,\nemporta son corps et l\u2019ensevelit honorablement. Mais Eg\u00e9e, avant de\nrentrer dans sa maison, fut saisi par un d\u00e9mon et expira dans la rue, en\npr\u00e9sence de tous.\nOn a dit aussi que, du tombeau de saint Andr\u00e9, se d\u00e9gageaient une manne\nen forme de farine et une huile odorante, d\u2019apr\u00e8s lesquelles les\nhabitants de la r\u00e9gion pouvaient pr\u00e9voir quelle serait la f\u00e9condit\u00e9 de\nl\u2019ann\u00e9e qui venait: car si l\u2019huile coulait abondante, c\u2019\u00e9tait signe que\nla terre porterait beaucoup de fruits, et inversement. Et cela peut en\neffet avoir eu lieu jadis; mais aujourd\u2019hui on admet g\u00e9n\u00e9ralement que le\ncorps du saint n\u2019est plus \u00e0 Patras, ayant \u00e9t\u00e9 transport\u00e9 \u00e0\nConstantinople.\nVIII. Certain pieux \u00e9v\u00eaque avait pour saint Andr\u00e9 une v\u00e9n\u00e9ration si\nparticuli\u00e8re que, sur le titre de chacun de ses ouvrages, il inscrivait\ntoujours: \u00abEn l\u2019honneur de Dieu et de saint Andr\u00e9.\u00bb Or le vieil ennemi\ndu genre humain, jaloux de la saintet\u00e9 de cet \u00e9v\u00eaque, concentra sur lui\ntoute sa ruse. Ayant pris la forme d\u2019une femme merveilleusement belle,\nil vient \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9 et demande \u00e0 se confesser. L\u2019\u00e9v\u00eaque renvoie la femme\n\u00e0 son p\u00e9nitencier, qui a plein pouvoir pour entendre sa confession. Mais\nla femme r\u00e9pond qu\u2019elle a sur la conscience des secrets qu\u2019elle ne peut\nr\u00e9v\u00e9ler qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque lui-m\u00eame. De sorte que celui-ci la laisse enfin\nentrer. Et elle: \u00abPar gr\u00e2ce, Seigneur, aie piti\u00e9 de moi! Je suis fille\nd\u2019un roi puissant, qui a voulu me marier \u00e0 un grand prince; et je lui ai\nd\u00e9clar\u00e9 que j\u2019avais horreur de tout lit conjugal, ayant d\u00e9di\u00e9 pour\ntoujours au Christ ma virginit\u00e9. Puis, me voyant expos\u00e9e aux pires\nsupplices si je persistais dans mon refus, j\u2019ai pris le parti de\nm\u2019enfuir, et me suis r\u00e9fugi\u00e9e sous les ailes de votre saintet\u00e9, avec\nl\u2019espoir de trouver aupr\u00e8s de vous un lieu o\u00f9 je puisse me livrer en\nrepos \u00e0 la contemplation, \u00e9viter les naufrages de la vie, et \u00e9chapper\naux rumeurs du monde.\u00bb Sur quoi l\u2019\u00e9v\u00eaque, admirant chez une personne\naussi noble et aussi belle tant de ferveur et tant d\u2019\u00e9loquence, lui\nr\u00e9pondit avec bont\u00e9: \u00abMa fille, sois sans crainte, car Celui pour\nl\u2019amour duquel tu as si courageusement d\u00e9daign\u00e9 toi-m\u00eame et les tiens,\ncelui-l\u00e0 t\u2019accordera dans cette vie le comble de sa gr\u00e2ce et, dans la\nvie \u00e0 venir, la pl\u00e9nitude de sa gloire. Et moi, son serviteur, je me\nmets \u00e0 ta disposition avec tout ce que j\u2019ai; et je veux qu\u2019aujourd\u2019hui\ntu manges \u00e0 ma table.\u00bb Mais elle: \u00abNon, mon p\u00e8re, ne me demande point\ncela, de peur qu\u2019il n\u2019en r\u00e9sulte quelque m\u00e9chant soup\u00e7on dont l\u2019\u00e9clat de\nta renomm\u00e9e puisse avoir \u00e0 souffrir!\u00bb Et l\u2019\u00e9v\u00eaque: \u00abNous ne serons pas\nseuls \u00e0 table, ce qui fait qu\u2019aucun m\u00e9chant soup\u00e7on ne pourra se\nproduire!\u00bb\nA table, l\u2019\u00e9v\u00eaque et cette femme s\u2019assirent l\u2019un en face de l\u2019autre; et\nil ne cessait point de consid\u00e9rer son visage et d\u2019admirer sa beaut\u00e9. Et,\npendant que ses yeux la fixaient, son \u00e2me se blessait: l\u2019antique ennemi\nde notre race y enfon\u00e7ait profond\u00e9ment sa fl\u00e8che. La femme devenait plus\nbelle d\u2019instant en instant; et d\u00e9j\u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque \u00e9tait sur le point de\nconsentir \u00e0 commettre avec elle une \u0153uvre illicite d\u00e8s qu\u2019une occasion\ns\u2019offrirait \u00e0 lui, lorsque, tout \u00e0 coup, un p\u00e8lerin se pr\u00e9senta devant\nla porte, y frappant \u00e0 grands coups pour \u00eatre introduit. On refusa de\nlui ouvrir, mais il se mit \u00e0 frapper et \u00e0 crier de plus belle. Enfin\nl\u2019\u00e9v\u00eaque demanda \u00e0 la femme si elle ne voyait pas d\u2019emp\u00eachement \u00e0 ce\nqu\u2019on laiss\u00e2t entrer cet \u00e9tranger. Et elle: \u00abQu\u2019on lui propose une\nquestion tr\u00e8s difficile \u00e0 r\u00e9soudre! S\u2019il la r\u00e9sout, qu\u2019on le fasse\nentrer; sinon qu\u2019on le chasse!\u00bb La proposition est adopt\u00e9e; et l\u2019on\ncommence \u00e0 chercher la question que l\u2019on posera. Puis, comme personne ne\nla trouve, l\u2019\u00e9v\u00eaque dit \u00e0 la femme: \u00abPersonne de nous ne saurait trouver\ncette question aussi bien que toi, belle dame, qui nous surpasses tous\nen sagesse et en \u00e9loquence!\u00bb Alors la femme: \u00abDemandez-lui ce que Dieu a\njamais fait de plus \u00e9tonnant!\u00bb On transmit la question \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, qui\nfit r\u00e9pondre: \u00abC\u2019est la diversit\u00e9 et l\u2019excellence des visages: car,\nparmi la foule innombrable d\u2019hommes cr\u00e9\u00e9s ou \u00e0 cr\u00e9er, depuis le\ncommencement jusqu\u2019\u00e0 la fin du monde, il n\u2019y en a point deux qui aient\nle m\u00eame visage, et cependant Dieu a plac\u00e9 dans chacun de ces visages le\nsi\u00e8ge de tous les sens du corps.\u00bb Ce qu\u2019entendant, l\u2019assistance dit:\n\u00abVoil\u00e0 une excellente r\u00e9ponse!\u00bb Alors la femme: \u00abQu\u2019on lui propose une\nseconde question, plus difficile \u00e0 r\u00e9soudre! Qu\u2019on lui demande en quel\nlieu la terre est plus haute que tout le ciel!\u00bb R\u00e9ponse de l\u2019\u00e9tranger:\n\u00abC\u2019est dans le ciel empyr\u00e9e, o\u00f9 r\u00e9side le corps du Christ. Car ce corps,\nqui est plus haut que tout le ciel, peut \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme terrestre,\npuisqu\u2019il est form\u00e9 de notre chair.\u00bb Cette seconde r\u00e9ponse re\u00e7oit la\nm\u00eame approbation de toute l\u2019assistance. Mais la femme dit: \u00abAvant\nd\u2019admettre cet homme \u00e0 la table de l\u2019\u00e9v\u00eaque, qu\u2019on lui pose une\ntroisi\u00e8me question, plus difficile encore! Qu\u2019on lui demande quelle\ndistance il y a de la terre au ciel!\u00bb A quoi l\u2019\u00e9tranger fait r\u00e9pondre:\n\u00abVa plut\u00f4t poser cette question \u00e0 celui qui t\u2019a envoy\u00e9e ici! Il conna\u00eet,\nen effet, cette distance mieux que moi, ayant eu \u00e0 la mesurer quand il\nest tomb\u00e9 du ciel dans l\u2019ab\u00eeme. Car l\u2019\u00eatre qui me pose ces questions\nn\u2019est pas une femme, mais un diable qui a rev\u00eatu la forme d\u2019une femme!\u00bb\nEt pendant que le messager revenait rapporter cette r\u00e9ponse, \u00e0 la\nstupeur de tous, la femme disparut. Aussit\u00f4t l\u2019\u00e9v\u00eaque, rentrant en\nlui-m\u00eame, se fit d\u2019amers reproches; et il envoya vite chercher\nl\u2019\u00e9tranger; mais celui-ci avait \u00e9galement disparu. Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque\nconvoqua le peuple, lui confessa tout, et lui demanda de commencer des\nje\u00fbnes et des pri\u00e8res pour que Dieu daign\u00e2t r\u00e9v\u00e9ler qui \u00e9tait cet\n\u00e9tranger qui l\u2019avait d\u00e9livr\u00e9 d\u2019un si grand p\u00e9ril. Et, cette nuit-l\u00e0\nm\u00eame, Dieu r\u00e9v\u00e9la \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque que c\u2019\u00e9tait saint Andr\u00e9 qui, pour le\nsauver, \u00e9tait venu \u00e0 lui v\u00eatu en p\u00e8lerin.\nIX. Le pr\u00e9fet d\u2019une ville s\u2019\u00e9tait empar\u00e9 d\u2019un champ d\u00e9pendant d\u2019une\n\u00e9glise de saint Andr\u00e9. Sur les pri\u00e8res de l\u2019\u00e9v\u00eaque, il fut aussit\u00f4t\nsaisi de fi\u00e8vres. Il demanda donc \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque de prier pour lui,\npromettant de restituer le champ s\u2019il recouvrait la sant\u00e9. Mais\nlorsqu\u2019il l\u2019eut recouvr\u00e9e, il s\u2019appropria le champ de nouveau. Alors\nl\u2019\u00e9v\u00eaque, avant de se mettre en pri\u00e8re, brisa toutes les lampes de\nl\u2019\u00e9glise, en disant: \u00abQue cette lumi\u00e8re ne se rallume pas aussi\nlongtemps que Dieu ne se sera point veng\u00e9 de son ennemi, et n\u2019aura point\nfait rendre \u00e0 l\u2019\u00e9glise le bien qui lui a \u00e9t\u00e9 ravi!\u00bb Aussit\u00f4t voici le\npr\u00e9fet ressaisi de ses fi\u00e8vres. Il envoie demander \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque de prier\npour lui; et comme l\u2019\u00e9v\u00eaque lui r\u00e9pond qu\u2019il l\u2019a d\u00e9j\u00e0 fait, et que Dieu\nl\u2019a exauc\u00e9, il se fait porter chez lui et le contraint \u00e0 entrer avec lui\ndans l\u2019\u00e9glise, pour prier de nouveau \u00e0 son intention. Mais \u00e0 peine\nl\u2019\u00e9v\u00eaque a-t-il p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise que le pr\u00e9fet meurt; et aussit\u00f4t\nle champ est restitu\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9glise.\nIII\nSAINT NICOLAS, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(6 d\u00e9cembre)\nLa l\u00e9gende de saint Nicolas a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite par des docteurs d\u2019Argos, qui\nest une ville de la Gr\u00e8ce, et de l\u00e0 viendrait, d\u2019apr\u00e8s Isidore, le nom\nd\u2019Argoliques donn\u00e9 aux Grecs. Et l\u2019on dit aussi que cette l\u00e9gende a\nd\u2019abord \u00e9t\u00e9 \u00e9crite en grec par le patriarche M\u00e9thode, puis traduite en\nlatin, avec de nombreuses additions, par le diacre Jean.\nI. Nicolas, citoyen de la ville de Patras, \u00e9tait n\u00e9 de parents riches et\npieux. Son p\u00e8re s\u2019appelait Epiphane, sa m\u00e8re Jeanne. Ses parents, apr\u00e8s\nl\u2019avoir enfant\u00e9 dans la fleur de leur \u00e2ge, s\u2019abstinrent ensuite de tout\ncontact charnel. Le jour m\u00eame de sa naissance, Nicolas, comme on le\nbaignait, se dressa et se tint debout dans la baignoire; et, durant\ntoute son enfance il ne prenait le sein que deux fois par semaine, le\nmercredi et le vendredi. Dans sa jeunesse, \u00e9vitant les plaisirs lascifs\nde ses compagnons, il fr\u00e9quentait les \u00e9glises, et retenait dans sa\nm\u00e9moire tous les passages des Saintes Ecritures qu\u2019il y entendait.\nA la mort de ses parents, devenu tr\u00e8s riche, il chercha un moyen\nd\u2019employer ses richesses, non pour l\u2019\u00e9loge des hommes, mais pour la\ngloire de Dieu. Or un de ses voisins, homme d\u2019assez noble maison, \u00e9tait\nsur le point, par pauvret\u00e9, de livrer ses trois jeunes filles \u00e0 la\nprostitution, afin de vivre de ce que rapporterait leur d\u00e9bauche. D\u00e8s\nque Nicolas en fut inform\u00e9, il eut horreur d\u2019un tel crime, et,\nenveloppant dans un linge une masse d\u2019or, il la jeta, la nuit, par la\nfen\u00eatre, dans la maison de son voisin, apr\u00e8s quoi il s\u2019enfuit sans \u00eatre\nvu. Et le lendemain l\u2019homme, en se levant, trouva la masse d\u2019or: il\nrendit gr\u00e2ces \u00e0 Dieu, et s\u2019occupa aussit\u00f4t de pr\u00e9parer les noces de\nl\u2019a\u00een\u00e9e de ses filles. Quelque temps apr\u00e8s, le serviteur de Dieu lui\ndonna, de la m\u00eame fa\u00e7on, une nouvelle masse d\u2019or. Le voisin, en la\ntrouvant, \u00e9clata en grandes louanges, et se promit \u00e0 l\u2019avenir de veiller\npour d\u00e9couvrir qui c\u2019\u00e9tait qui venait ainsi en aide \u00e0 sa pauvret\u00e9. Et\ncomme, peu de jours apr\u00e8s, une masse d\u2019or deux fois plus grande encore\n\u00e9tait lanc\u00e9e dans sa maison, il entendit le bruit qu\u2019elle fit en\ntombant. Il se mit alors \u00e0 poursuivre Nicolas, qui s\u2019enfuyait, et \u00e0 le\nsupplier de s\u2019arr\u00eater afin qu\u2019il p\u00fbt voir son visage. Il courait si fort\nqu\u2019il finit par rejoindre le jeune homme, et put ainsi le reconna\u00eetre.\nSe prosternant devant lui, il voulait lui baiser les pieds; mais Nicolas\nse refusa \u00e0 ses remerciements, et exigea que, jusqu\u2019\u00e0 sa mort, cet homme\ngard\u00e2t le secret sur le service qu\u2019il lui avait rendu.\nII. Apr\u00e8s cela, l\u2019\u00e9v\u00eaque de la ville de Myre \u00e9tant mort, tous les\n\u00e9v\u00eaques de la r\u00e9gion se r\u00e9unirent afin de pourvoir \u00e0 son remplacement.\nIl y avait parmi eux un certain \u00e9v\u00eaque de grande autorit\u00e9, de l\u2019avis\nduquel d\u00e9pendait l\u2019opinion de tous ses coll\u00e8gues. Et cet \u00e9v\u00eaque, les\nayant tous exhort\u00e9s \u00e0 je\u00fbner et \u00e0 prier, entendit dans la nuit une voix\nqui lui disait de se poster le matin \u00e0 la porte de l\u2019\u00e9glise, et de\nconsacrer comme \u00e9v\u00eaque le premier homme qu\u2019il verrait y entrer. Aussit\u00f4t\nil r\u00e9v\u00e9la cet avertissement aux autres \u00e9v\u00eaques, et s\u2019en alla devant la\nporte de l\u2019\u00e9glise. Or, par miracle, Nicolas, envoy\u00e9 de Dieu, se dirigea\nvers l\u2019\u00e9glise avant l\u2019aube, et y entra le premier. L\u2019\u00e9v\u00eaque,\ns\u2019approchant de lui, lui demanda son nom. Et lui, qui \u00e9tait plein de la\nsimplicit\u00e9 de la colombe, r\u00e9pondit en baissant la t\u00eate: \u00abNicolas,\nserviteur de Votre Saintet\u00e9.\u00bb Alors les \u00e9v\u00eaques, l\u2019ayant rev\u00eatu de\nbrillants ornements, l\u2019install\u00e8rent dans le si\u00e8ge \u00e9piscopal. Mais lui,\ndans les honneurs, conservait toujours son ancienne humilit\u00e9 et la\ngravit\u00e9 de ses m\u0153urs; il passait ses nuits en pri\u00e8res, mac\u00e9rait son\ncorps, fuyait la soci\u00e9t\u00e9 des femmes; et il \u00e9tait humble dans son\naccueil, efficace dans sa parole, actif dans ses conseils, s\u00e9v\u00e8re dans\nses r\u00e9primandes.--Une chronique rapporte aussi que saint Nicolas prit\npart au Concile de Nic\u00e9e.\nIII. Un jour, des matelots, se trouvant en p\u00e9ril sur la mer, pri\u00e8rent\nainsi avec des larmes: \u00abNicolas, serviteur de Dieu, si ce que l\u2019on nous\na dit de toi est vrai, fais que nous l\u2019\u00e9prouvions \u00e0 pr\u00e9sent!\u00bb Aussit\u00f4t\nquelqu\u2019un apparut devant eux, qui avait la figure du saint, et qui leur\ndit: \u00abVous m\u2019avez appel\u00e9, me voici!\u00bb Et il se mit \u00e0 les aider, avec les\nvoiles et les c\u00e2bles et les autres agr\u00e8s du bateau; et, sur-le-champ, la\ntemp\u00eate cessa. Ainsi sauv\u00e9s, ces matelots rentr\u00e8rent dans l\u2019\u00e9glise o\u00f9\n\u00e9tait Nicolas; et ils le reconnurent de suite, bien qu\u2019ils ne l\u2019eussent\njamais vu. Alors ils le remerci\u00e8rent de leur d\u00e9livrance; mais il leur\ndit d\u2019en remercier Dieu, le m\u00e9rite n\u2019en pouvant \u00eatre attribu\u00e9 qu\u2019\u00e0 la\nmis\u00e9ricorde divine et \u00e0 leur propre foi.\nIV. En un certain temps, toute la province du dioc\u00e8se de saint Nicolas\nfut frapp\u00e9e d\u2019une terrible famine, \u00e0 tel point que personne n\u2019avait rien\n\u00e0 manger. L\u00e0-dessus l\u2019homme de Dieu apprend que des vaisseaux, charg\u00e9s\nde grains, stationnent dans le port. Il s\u2019y rend aussit\u00f4t et demande aux\ngens de l\u2019\u00e9quipage de venir en aide aux affam\u00e9s, ne serait-ce qu\u2019en leur\nabandonnant cent muids de grain par vaisseau. Mais eux: \u00abP\u00e8re, nous ne\nl\u2019osons pas, car notre cargaison a \u00e9t\u00e9 mesur\u00e9e \u00e0 Alexandrie, et nous\ndevons la livrer tout enti\u00e8re aux greniers imp\u00e9riaux!\u00bb Le saint leur\nr\u00e9pondit: \u00abFaites pourtant ce que je vous dis, et je vous promets, au\nnom de Dieu, que les douaniers imp\u00e9riaux ne trouveront aucune diminution\ndans votre cargaison!\u00bb Et ces hommes firent ainsi; et, lorsqu\u2019ils furent\narriv\u00e9s \u00e0 leur destination, ils livr\u00e8rent aux greniers imp\u00e9riaux la m\u00eame\nquantit\u00e9 de grain qui avait \u00e9t\u00e9 mesur\u00e9e \u00e0 Alexandrie. Ils virent le\nmiracle, le publi\u00e8rent, et glorifi\u00e8rent Dieu dans la personne de son\nserviteur. Or le bl\u00e9 dont ils s\u2019\u00e9taient dessaisis fut distribu\u00e9 par\nNicolas suivant les besoins de chacun, et de fa\u00e7on si miraculeuse, que\nnon seulement il suffit pendant deux ans \u00e0 nourrir la r\u00e9gion, mais qu\u2019il\nput encore servir \u00e0 d\u2019abondantes semailles.\nV. Cette r\u00e9gion avait autrefois ador\u00e9 les idoles; et, au temps m\u00eame de\nsaint Nicolas, des paysans avaient gard\u00e9 la coutume de pratiquer\ncertains rites pa\u00efens, sous un arbre consacr\u00e9 \u00e0 Diane. Pour mettre fin \u00e0\ncette idol\u00e2trie, le saint fit couper cet arbre. Alors le d\u00e9mon, furieux,\npr\u00e9para une huile contre nature qui avait la propri\u00e9t\u00e9 de br\u00fbler dans\nl\u2019eau et sur les pierres. Puis, prenant la forme d\u2019une religieuse, il\nmonta dans une barque, accosta des p\u00e8lerins qui naviguaient vers saint\nNicolas, et leur dit: \u00abJe regrette de ne pas pouvoir vous accompagner\naupr\u00e8s du saint homme. Veuillez du moins, en souvenir de moi, enduire de\ncette huile les murs de son \u00e9glise et de sa maison!\u00bb Mais voici que, la\nbarque du d\u00e9mon s\u2019\u00e9tant \u00e9loign\u00e9e, les p\u00e8lerins virent s\u2019approcher d\u2019eux\nune autre barque o\u00f9 \u00e9tait Nicolas. Et celui-ci leur dit: \u00abCette femme,\nque vous a-t-elle dit et que vous a-t-elle donn\u00e9?\u00bb Les p\u00e8lerins lui\nracont\u00e8rent ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9. Alors il leur dit: \u00abCette femme n\u2019est\npas une religieuse mais l\u2019impudique Diane elle-m\u00eame; et, si vous en\nvoulez une preuve, jetez son huile \u00e0 la mer!\u00bb A peine l\u2019eurent-ils jet\u00e9e\nqu\u2019elle s\u2019enflamma, ce qui prouvait bien son caract\u00e8re contre nature. Et\nla seconde barque alors disparut; mais, quand les p\u00e8lerins entr\u00e8rent\ndans l\u2019\u00e9glise de saint Nicolas, ils reconnurent en lui l\u2019homme qui la\nmontait.\nVI. Certaine nation s\u2019\u00e9tant r\u00e9volt\u00e9e contre l\u2019empire romain, l\u2019empereur\nenvoya contre elle trois princes, N\u00e9potien, Ours, et Apilion. Ceux-ci,\narr\u00eat\u00e9s en chemin par un vent contraire, firent rel\u00e2che dans un port du\ndioc\u00e8se de saint Nicolas. Et le saint les invita \u00e0 d\u00eener chez lui,\nvoulant pr\u00e9server son peuple de leurs rapines. Or, en l\u2019absence du\nsaint, le consul, s\u2019\u00e9tant laiss\u00e9 corrompre \u00e0 prix d\u2019argent, avait\ncondamn\u00e9 \u00e0 mort trois soldats innocents. D\u00e8s que le saint l\u2019apprit, il\npria ses h\u00f4tes de l\u2019accompagner, et, accourant avec eux sur le lieu o\u00f9\ndevait se faire l\u2019ex\u00e9cution, il trouva les trois soldats d\u00e9j\u00e0 \u00e0 genoux\net la face voil\u00e9e, et le bourreau brandissant d\u00e9j\u00e0 son \u00e9p\u00e9e au-dessus de\nleurs t\u00eates. Aussit\u00f4t Nicolas, enflamm\u00e9 de z\u00e8le, s\u2019\u00e9lance bravement sur\nce bourreau, lui arrache l\u2019\u00e9p\u00e9e des mains, d\u00e9lie les trois innocents, et\nles emm\u00e8ne, sains et saufs, avec lui. Puis il court au pr\u00e9toire du\nconsul, et en force la porte, qui \u00e9tait ferm\u00e9e. Bient\u00f4t le consul vient\nle saluer avec empressement. Mais le saint lui dit, en le repoussant:\n\u00abEnnemi de Dieu, pr\u00e9varicateur de la loi, comment oses-tu nous regarder\nen face, tandis que tu as sur la conscience un crime si affreux?\u00bb Et il\nl\u2019accabla de reproches, mais, sur la pri\u00e8re des princes, et en pr\u00e9sence\nde son repentir, il consentit \u00e0 lui pardonner. Apr\u00e8s quoi les messagers\nimp\u00e9riaux, ayant re\u00e7u sa b\u00e9n\u00e9diction, poursuivirent leur route, et\nsoumirent les r\u00e9volt\u00e9s sans effusion de sang; et ils revinrent alors\nvers l\u2019empereur, qui leur fit un accueil magnifique.\nMais quelques-uns des courtisans, jaloux de leur faveur, corrompirent le\npr\u00e9fet imp\u00e9rial, qui, soudoy\u00e9 par eux, accusa ces trois princes, devant\nson ma\u00eetre, du crime de l\u00e8se-majest\u00e9. Aussit\u00f4t l\u2019empereur, affol\u00e9 de\ncol\u00e8re, les fait mettre en prison et ordonne qu\u2019on les tue, la nuit,\nsans les interroger. Inform\u00e9s par leur gardien du sort qui les attend,\nles trois princes d\u00e9chirent leurs manteaux et g\u00e9missent am\u00e8rement; mais\nsoudain, l\u2019un d\u2019eux, \u00e0 savoir N\u00e9potien, se rappelant que le bienheureux\nNicolas a nagu\u00e8re sauv\u00e9 de la mort, en leur pr\u00e9sence, trois innocents,\nexhorte ses compagnons \u00e0 invoquer son aide.\nEt en effet, sur leur pri\u00e8re, saint Nicolas apparut cette nuit-l\u00e0 \u00e0\nl\u2019empereur Constantin, lui disant: \u00abPourquoi as-tu fait arr\u00eater\ninjustement ces princes, et les as-tu condamn\u00e9s \u00e0 mort tandis qu\u2019ils\nsont innocents? H\u00e2te-toi de te lever et fais-les remettre en libert\u00e9 au\nplus vite! Sinon, je prierai Dieu qu\u2019il te suscite une guerre o\u00f9 tu\nsuccomberas, et tu seras livr\u00e9 en p\u00e2ture aux b\u00eates!\u00bb Et l\u2019empereur: \u00abQui\nes-tu donc, toi qui, entrant la nuit dans mon palais, oses me parler\nainsi?\u00bb Et lui: \u00abJe suis Nicolas, \u00e9v\u00eaque de la ville de Myre.\u00bb Et le\nsaint se montra de la m\u00eame fa\u00e7on au pr\u00e9fet, qu\u2019il \u00e9pouvanta en lui\ndisant: \u00abInsens\u00e9, pourquoi as-tu consenti \u00e0 la mise \u00e0 mort de trois\ninnocents? Va vite travailler \u00e0 les faire rel\u00e2cher! Sinon, ton corps\nsera mang\u00e9 de vers et ta maison aussit\u00f4t d\u00e9truite.\u00bb Et le pr\u00e9fet: \u00abQui\nes-tu donc, toi qui me fais de telles menaces?\u00bb Et lui: \u00abSache, dit-il,\nque je suis Nicolas, \u00e9v\u00eaque de la ville de Myre!\u00bb\nL\u2019empereur et le pr\u00e9fet, s\u2019\u00e9veillant, se firent part l\u2019un \u00e0 l\u2019autre de\nleur songe, et s\u2019empress\u00e8rent de mander les trois prisonniers.\n\u00abEtes-vous sorciers, leur demanda l\u2019empereur pour nous tromper par de\nsemblables visions?\u00bb Ils r\u00e9pondirent qu\u2019ils n\u2019\u00e9taient point sorciers, et\nqu\u2019ils \u00e9taient innocents du crime qu\u2019on leur reprochait. Alors\nl\u2019empereur: \u00abConnaissez-vous, leur dit-il, un homme appel\u00e9 Nicolas?\u00bb Et\neux, en entendant ce nom, lev\u00e8rent les mains au ciel, et pri\u00e8rent Dieu\nque, par le m\u00e9rite de saint Nicolas, il les sauv\u00e2t du p\u00e9ril o\u00f9 ils se\ntrouvaient. Et lorsque l\u2019empereur eut appris d\u2019eux la vie et les\nmiracles du saint, il leur dit: \u00abAllez et remerciez Dieu, qui vous a\nsauv\u00e9s sur la pri\u00e8re de ce Nicolas! Mais rendez-lui compte de ma\nconduite, et portez-lui des pr\u00e9sents de ma part; et demandez-lui qu\u2019il\nne me fasse plus de menaces, mais qu\u2019il prie Dieu pour moi et pour mon\nempire!\u00bb Quelques jours apr\u00e8s, les princes vinrent trouver le serviteur\nde Dieu, et, se prosternant devant lui, et l\u2019appelant le v\u00e9ritable\nserviteur de Dieu, ils lui racont\u00e8rent en d\u00e9tail ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9.\nEt lui, levant les mains au ciel, il loua Dieu, et renvoya les trois\nprinces chez eux, apr\u00e8s les avoir bien instruits des v\u00e9rit\u00e9s de la foi.\nVII. Lorsque le Seigneur voulut rappeler \u00e0 lui saint Nicolas, celui-ci\nle pria de lui envoyer ses anges; et, en voyant venir les anges, il\nbaissa la t\u00eate et r\u00e9cita le psaume: _In te, Domine, speravi_, etc. Puis\nil rendit l\u2019\u00e2me au bruit d\u2019une musique c\u00e9leste. Cela eut lieu en l\u2019an du\nSeigneur 313. Il fut enseveli dans une tombe de marbre; et de sa t\u00eate se\nmit \u00e0 couler une source d\u2019huile et de ses pieds une source d\u2019eau;\naujourd\u2019hui encore une huile sainte sort de ses membres, qui apporte la\nsant\u00e9 \u00e0 bien des malades. Cette huile cessa un jour de couler: cela se\nproduisit lorsque le successeur de saint Nicolas, qui \u00e9tait un homme\nexcellent, se vit chass\u00e9 de son si\u00e8ge par des envieux. Mais d\u00e8s que\nl\u2019\u00e9v\u00eaque fut r\u00e9install\u00e9 sur son si\u00e8ge, l\u2019huile se remit aussit\u00f4t \u00e0\ncouler. Longtemps apr\u00e8s, les Turcs d\u00e9truisirent la ville de Myre. Et\ncomme quarante-sept soldats de la ville de Bari passaient par l\u00e0, quatre\nmoines leur ouvrirent la tombe de saint Nicolas: ils prirent ses os, qui\nnageaient dans l\u2019huile, et les transport\u00e8rent dans la ville de Bari, en\nl\u2019an du Seigneur 1087.\nVIII. Certain homme avait emprunt\u00e9 de l\u2019argent \u00e0 un Juif, en lui jurant,\nsur l\u2019autel de saint Nicolas, de le lui rendre aussit\u00f4t que possible. Et\ncomme il tardait \u00e0 rendre l\u2019argent, le Juif le lui r\u00e9clama: mais l\u2019homme\nlui affirma le lui avoir rendu. Il fut tra\u00een\u00e9 devant le juge, qui lui\nenjoignit de jurer qu\u2019il lui avait rendu l\u2019argent. Or l\u2019homme avait mis\ntout l\u2019argent de sa dette dans un b\u00e2ton creux, et, avant de jurer, il\ndemanda au Juif de lui tenir son b\u00e2ton. Apr\u00e8s quoi il jura qu\u2019il avait\nrendu son argent. Et, l\u00e0-dessus, il reprit son b\u00e2ton, que le Juif lui\nrestitua sans le moindre soup\u00e7on de sa ruse. Mais voil\u00e0 que le fraudeur,\nrentrant chez lui, s\u2019endormit en chemin et fut \u00e9cras\u00e9 par un chariot,\nqui brisa en m\u00eame temps le b\u00e2ton rempli d\u2019or. Ce qu\u2019apprenant, le Juif\naccourut: mais bien que tous les assistants l\u2019engageassent \u00e0 prendre\nl\u2019argent, il dit qu\u2019il ne le ferait que si, par les m\u00e9rites de saint\nNicolas, le mort \u00e9tait rendu \u00e0 la vie: ajoutant que lui-m\u00eame, en ce cas,\nrecevrait le bapt\u00eame et se convertirait \u00e0 la foi du Christ. Aussit\u00f4t le\nmort revint \u00e0 la vie; et le Juif re\u00e7ut le bapt\u00eame.\nUn autre Juif, voyant le pouvoir qu\u2019avait saint Nicolas d\u2019op\u00e9rer des\nmiracles, pla\u00e7a dans sa maison une image de ce saint. Et lorsqu\u2019il avait\n\u00e0 sortir pour quelque longue absence, il disait \u00e0 l\u2019image: \u00abNicolas, je\nte confie la garde de mes biens; que si tu ne veilles pas sur eux comme\nje l\u2019exige, je me vengerai en te rouant de coups!\u00bb Or un jour, en\nl\u2019absence du Juif, des voleurs arrivent qui emportent tout, ne laissant\nque l\u2019image. Et le Juif, lorsqu\u2019il se voit d\u00e9pouill\u00e9, dit \u00e0 l\u2019image:\n\u00abSeigneur Nicolas, ne t\u2019avais-je pas install\u00e9 dans ma maison pour garder\nmes biens? Pourquoi donc ne l\u2019as-tu pas fait? C\u2019est toi qui paieras pour\nles voleurs! Je vais te rouer de coups: cela refroidira ma rage! \u00abEt il\nse mit \u00e0 frapper cruellement la statue. Alors le saint apparut aux\nvoleurs, qui se partageaient les d\u00e9pouilles du Juif, et leur dit: \u00abVoyez\ncomme j\u2019ai \u00e9t\u00e9 battu \u00e0 cause de vous! Mon corps en est encore tout bleu!\nAllez vite rendre ce que vous avez pris: faute de quoi la col\u00e8re de Dieu\nretombera sur vous et vous serez pendus.\u00bb Et les voleurs: \u00abQui es-tu\ndonc, toi qui nous dit tout cela?\u00bb Et lui: \u00abJe suis Nicolas, serviteur\ndu Christ; et celui qui m\u2019a mis en cet \u00e9tat est le Juif que vous avez\nvol\u00e9.\u00bb Effray\u00e9s, ils courent chez le Juif lui racontent leur vision,\napprennent de lui ce qu\u2019il a fait \u00e0 la statue, lui rendent tous ses\nbiens, et rentrent dans la bonne voie, tandis que le Juif, de son c\u00f4t\u00e9,\nse convertit \u00e0 la foi chr\u00e9tienne.\nCertain homme c\u00e9l\u00e9brait tous les ans, en grande solennit\u00e9, la f\u00eate de\nsaint Nicolas, \u00e0 l\u2019intention de son fils, qui \u00e9tudiait les\nbelles-lettres. Or un jour, pendant le repas de la f\u00eate, le diable, v\u00eatu\nen p\u00e8lerin, frappe \u00e0 la porte et demande l\u2019aum\u00f4ne. Le p\u00e8re ordonne\naussit\u00f4t \u00e0 son fils de porter une aum\u00f4ne au p\u00e8lerin; et le jeune homme,\nne trouvant plus le p\u00e8lerin devant la porte, le poursuit jusqu\u2019\u00e0 un\ncarrefour, o\u00f9 le diable se jette sur lui et l\u2019\u00e9trangle. Ce qu\u2019apprenant,\nle p\u00e8re se lamente, ram\u00e8ne le corps dans sa maison, le place sur son\nlit, et s\u2019\u00e9crie: \u00abSaint Nicolas, est-ce donc ici la r\u00e9compense des\nhonneurs que je te rends depuis tant d\u2019ann\u00e9es?\u00bb Et aussit\u00f4t l\u2019enfant,\ncomme se r\u00e9veillant, ouvre les yeux et se remet sur ses pieds.\nIX. Un noble avait pri\u00e9 saint Nicolas de lui faire obtenir un fils,\npromettant qu\u2019en r\u00e9compense il se rendrait avec son fils au tombeau du\nsaint et lui offrirait un vase d\u2019or. Le noble obtient un fils et fait\nfaire un vase d\u2019or. Mais ce vase lui pla\u00eet tant qu\u2019il le garde pour\nlui-m\u00eame et, pour le Saint, en fait faire un autre d\u2019\u00e9gale valeur. Puis\nil s\u2019embarque avec son fils pour se rendre au tombeau du saint. En route\nle p\u00e8re ordonne \u00e0 son fils d\u2019aller lui prendre de l\u2019eau dans le vase qui\nd\u2019abord avait \u00e9t\u00e9 destin\u00e9 \u00e0 saint Nicolas. Aussit\u00f4t le fils tombe dans\nla rivi\u00e8re et se noie. Mais le p\u00e8re, malgr\u00e9 toute sa douleur, n\u2019en\npoursuit pas moins son voyage. Parvenu dans l\u2019\u00e9glise de saint Nicolas,\nil pose sur l\u2019autel le second vase; au m\u00eame instant une main invisible\nle repousse avec le vase, et le jette \u00e0 terre: l\u2019homme se rel\u00e8ve,\ns\u2019approche de nouveau de l\u2019autel, est de nouveau renvers\u00e9. Et voil\u00e0\nqu\u2019appara\u00eet, au grand \u00e9tonnement de tous, l\u2019enfant qu\u2019on croyait noy\u00e9.\nIl tient en main le premier vase, et raconte que, d\u00e8s qu\u2019il est tomb\u00e9 \u00e0\nl\u2019eau, saint Nicolas est venu le prendre, et l\u2019a conserv\u00e9 sain et sauf.\nSur quoi le p\u00e8re, ravi de joie, offre les deux vases \u00e0 saint Nicolas.\nUn homme riche avait obtenu, gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019intercession de saint Nicolas, un\nfils qu\u2019il avait appel\u00e9 Dieudonn\u00e9. Aussi avait-il construit, en\nl\u2019honneur du saint, une chapelle dans sa maison, o\u00f9 il c\u00e9l\u00e9brait\nsolennellement sa f\u00eate tous les ans. Or un jour Dieudonn\u00e9 est pris par\nla tribu des Agar\u00e9niens, et amen\u00e9 en esclavage au roi de cette tribu.\nL\u2019ann\u00e9e suivante, au jour de la Saint-Nicolas, l\u2019enfant, pendant qu\u2019il\nsert le roi, une coupe pr\u00e9cieuse en main, se met \u00e0 pleurer et \u00e0\nsoupirer, en songeant \u00e0 la douleur de ses parents, et en se rappelant la\njoie qu\u2019ils \u00e9prouvaient nagu\u00e8re \u00e0 la Saint-Nicolas. Le roi l\u2019oblige \u00e0\nlui confesser la cause de sa tristesse; puis, l\u2019ayant apprise: \u00abTon\nNicolas aura beau faire, tu resteras ici mon esclave!\u00bb Mais au m\u00eame\ninstant un vent terrible s\u2019\u00e9l\u00e8ve, renverse le palais du roi, et emporte\nl\u2019enfant avec sa coupe, jusqu\u2019au seuil de la chapelle, o\u00f9 ses parents\nsont en train de c\u00e9l\u00e9brer la f\u00eate de saint Nicolas.--Mais, d\u2019apr\u00e8s\nd\u2019autres auteurs, cet enfant aurait \u00e9t\u00e9 de la Normandie, et aurait \u00e9t\u00e9\nravi par le sultan; et comme celui-ci, le jour de la Saint-Nicolas,\napr\u00e8s l\u2019avoir battu, l\u2019avait jet\u00e9 en prison, voici que l\u2019enfant\ns\u2019endormit et, \u00e0 son r\u00e9veil, se trouva ramen\u00e9 dans la chapelle de ses\nparents.\nIV\nSAINTE LUCIE, VIERGE ET MARTYRE\n(13 d\u00e9cembre)\nLucie, vierge syracusaine de famille noble, voyant se r\u00e9pandre \u00e0 travers\ntoute la Sicile la gloire de sainte Agathe, se rendit au tombeau de\ncette sainte, en compagnie de sa m\u00e8re Euthicie, qui, depuis quatre ans\nd\u00e9j\u00e0, souffrait d\u2019un flux de sang incurable. Les deux femmes arriv\u00e8rent\n\u00e0 l\u2019\u00e9glise pendant la messe, et au moment o\u00f9 on lisait le passage de\nl\u2019Evangile qui raconte la gu\u00e9rison miraculeuse, par J\u00e9sus, d\u2019une femme\natteinte d\u2019un flux de sang. Alors Lucie dit \u00e0 sa m\u00e8re: \u00abSi tu crois \u00e0 ce\nqu\u2019on vient de lire, tu dois croire aussi qu\u2019Agathe est maintenant en\npr\u00e9sence de Celui pour le nom de qui elle a subi le martyre. Et si tu\ncrois cela, tu retrouveras la sant\u00e9 en touchant le tombeau de la\nsainte!\u00bb Aussit\u00f4t, tous s\u2019\u00e9cartant pour leur livrer passage, la m\u00e8re et\nla fille s\u2019approch\u00e8rent du tombeau, et se mirent \u00e0 prier. Et voici que\nla jeune fille tomba soudain endormie, et eut un r\u00eave o\u00f9 elle vit sainte\nAgathe debout au milieu des anges, toute par\u00e9e de pierreries, et lui\ndisant: \u00abMa s\u0153ur Lucie, vierge consacr\u00e9e \u00e0 Dieu, pourquoi me demandes-tu\nune chose que tu peux toi-m\u00eame accorder sur-le-champ \u00e0 ta m\u00e8re? Vois, ta\nfoi l\u2019a gu\u00e9rie!\u00bb Et Lucie, s\u2019\u00e9veillant, dit \u00e0 sa m\u00e8re: \u00abMa m\u00e8re, tu es\ngu\u00e9rie! Mais au nom de celle aux pri\u00e8res de qui tu dois ta gu\u00e9rison, je\nte prie de me d\u00e9lier d\u00e9sormais de mes fian\u00e7ailles, et de distribuer aux\npauvres la dot que tu me destinais!\u00bb Sa m\u00e8re lui r\u00e9pondit: \u00abAttends\nplut\u00f4t de m\u2019avoir ferm\u00e9 les yeux, et tu feras ensuite ce que tu voudras\nde nos biens!\u00bb Mais Lucie: \u00abCe que tu donnes en mourant, dit-elle, tu le\ndonnes parce que tu ne peux pas l\u2019emporter avec toi. Mais, si tu le\ndonnes de ton vivant, tu en auras la r\u00e9compense l\u00e0-haut!\u00bb\nDe retour chez elles, Lucie et sa m\u00e8re commenc\u00e8rent \u00e0 distribuer, peu \u00e0\npeu, tous leurs biens aux pauvres. Et le fianc\u00e9 de Lucie, l\u2019ayant\nappris, en demanda compte \u00e0 la nourrice de la jeune fille. Cette femme,\nen personne rus\u00e9e, lui r\u00e9pondit que Lucie avait trouv\u00e9 une propri\u00e9t\u00e9\nmeilleure, qu\u2019elle voulait l\u2019acqu\u00e9rir, et que c\u2019\u00e9tait pour cela qu\u2019elle\nvendait une partie de ses biens. Et lui, dans sa sottise, il crut \u00e0 un\ncommerce mat\u00e9riel, et se mit \u00e0 les encourager dans la vente de leurs\nbiens. Mais quand tout fut vendu et qu\u2019on sut que tout \u00e9tait all\u00e9 aux\npauvres, le fianc\u00e9, furieux, porta plainte devant le consul Paschase,\ndisant que Lucie \u00e9tait chr\u00e9tienne et n\u2019ob\u00e9issait pas aux lois\nimp\u00e9riales.\nPaschase, l\u2019ayant aussit\u00f4t mand\u00e9e, lui enjoignit de sacrifier aux\nidoles. Mais Lucie lui r\u00e9pondit: \u00abLe sacrifice qui pla\u00eet \u00e0 Dieu, c\u2019est\nde visiter les pauvres et de les aider dans leurs besoins. Et comme je\nn\u2019ai plus rien \u00e0 offrir, je vais m\u2019offrir moi-m\u00eame au Seigneur!\u00bb Et\nPaschase: \u00abCe sont l\u00e0 des paroles bonnes \u00e0 dire \u00e0 des sots de ton\nesp\u00e8ce; mais \u00e0 moi, qui garde les d\u00e9crets de mes ma\u00eetres, tu les dis en\nvain!\u00bb Et Lucie: \u00abTu gardes, toi, les d\u00e9crets de tes ma\u00eetres, et moi je\nveux garder la loi de mon Dieu. Tu crains tes ma\u00eetres, et moi je crains\nDieu. Tu \u00e9vites de les offenser, et moi j\u2019\u00e9vite d\u2019offenser Dieu. Tu\nd\u00e9sires leur plaire, et moi je d\u00e9sire plaire au Christ. Fais donc ce que\ntu jugeras t\u2019\u00eatre utile, et moi je ferai ce que je jugerai m\u2019\u00eatre\nutile!\u00bb Alors Paschase: \u00abTu as d\u00e9pens\u00e9 ton patrimoine avec des\ncorrupteurs, et voil\u00e0 pourquoi tu parles en prostitu\u00e9e!\u00bb Mais Lucie:\n\u00abMon patrimoine, je l\u2019ai plac\u00e9 en lieu s\u00fbr; et jamais n\u2019ai admis aupr\u00e8s\nde moi des corrupteurs, ni du corps, ni de l\u2019\u00e2me.\u00bb Paschase lui dit:\n\u00abQui sont donc ces corrupteurs du corps et de l\u2019\u00e2me?\u00bb Et Lucie r\u00e9pondit:\n\u00abLes corrupteurs de l\u2019\u00e2me, c\u2019est vous, qui engagez les \u00e2mes \u00e0 se\nd\u00e9tourner de leur cr\u00e9ateur; quant aux corrupteurs du corps, ce sont ceux\nqui conseillent de pr\u00e9f\u00e9rer le plaisir corporel aux f\u00eates \u00e9ternelles.\u00bb\nEt Paschase: \u00abTes paroles (verba) cesseront bien quand nous en viendrons\n\u00e0 te rouer de coups (verbera)!\u00bb Et Lucie: \u00abLes paroles de Dieu ne\ncesseront jamais.\u00bb Et Paschase: \u00abPr\u00e9tends-tu \u00eatre Dieu?\u00bb Lucie r\u00e9pondit:\n\u00abJe suis la servante de Dieu, qui a dit: \u00abQuand vous serez en face des\nrois et des princes, etc.\u00bb Et Paschase: \u00abPr\u00e9tends-tu donc avoir en toi\nle Saint-Esprit?\u00bb Et Lucie: \u00abCelui qui vit dans la chastet\u00e9, celui-l\u00e0\nest le temple du Saint-Esprit!\u00bb Et Paschase: \u00abAlors je te ferai conduire\ndans une maison de d\u00e9bauche. Ton corps y sera viol\u00e9, et tu perdras ton\nSaint-Esprit!\u00bb Mais Lucie: \u00abLe corps n\u2019est souill\u00e9 que si l\u2019\u00e2me y\nconsent; et si, malgr\u00e9 moi, on viole mon corps, ma chastet\u00e9 s\u2019en\ntrouvera doubl\u00e9e. Or jamais tu ne pourras contraindre ma volont\u00e9. Et\nquant \u00e0 mon corps, le voici, pr\u00eat \u00e0 tous les supplices! Qu\u2019attends-tu?\nFils du diable, commence \u00e0 satisfaire ton d\u00e9sir malfaisant!\u00bb\nAlors Paschase fit venir des prox\u00e9n\u00e8tes, et leur dit: \u00abInvitez tout le\npeuple \u00e0 jouir de cette femme, et qu\u2019on use de son corps jusqu\u2019\u00e0 ce que\nmort s\u2019ensuive!\u00bb Mais quand les prox\u00e9n\u00e8tes voulurent l\u2019entra\u00eener,\nl\u2019Esprit-Saint la rendit si pesante qu\u2019en aucune fa\u00e7on ils ne purent la\nmouvoir. Et Paschase fit venir mille hommes, et lui fit lier les pieds\net les mains; mais on ne parvenait toujours pas \u00e0 la soulever. Il fit\nvenir mille paires de b\u0153ufs, mais la vierge continua \u00e0 rester immobile.\nIl fit venir des mages; mais leurs incantations rest\u00e8rent sans effet.\nAlors il dit: \u00abQuel est donc ce mal\u00e9fice, qui permet \u00e0 une jeune fille\nde ne pas pouvoir \u00eatre soulev\u00e9e par un millier d\u2019hommes?\u00bb Et Lucie lui\nr\u00e9pondit: \u00abCe n\u2019est pas un mal\u00e9fice, mais un bienfait du Christ. Et tu\naurais beau ajouter encore dix mille hommes, ils ne parviendraient pas \u00e0\nme faire bouger.\u00bb Paschase s\u2019imagina alors, suivant l\u2019invention de\nquelqu\u2019un, que l\u2019urine d\u00e9truisait les mal\u00e9fices, et il la fit asperger\nd\u2019urine bouillante: mais cela encore fut inutile. Alors le consul,\nexasp\u00e9r\u00e9, fit allumer autour d\u2019elle un grand feu, et ordonna de jeter\nsur elle de la poix, de la r\u00e9sine, et de l\u2019huile bouillante. Et Lucie\ndit: \u00abDieu m\u2019a accord\u00e9 de supporter ces d\u00e9lais, dans mon martyre, afin\nd\u2019\u00f4ter aux croyants la peur de la souffrance et aux non-croyants le\nmoyen de blasph\u00e9mer!\u00bb\nLes amis de Paschase, le voyant devenir sans cesse plus furieux,\nenfonc\u00e8rent une \u00e9p\u00e9e dans la gorge de la sainte; mais elle, loin d\u2019en\nperdre la parole, elle dit: \u00abJe vous annonce que la paix est rendue \u00e0\nl\u2019Eglise! Aujourd\u2019hui m\u00eame, Maximien est mort et Diocl\u00e9tien a \u00e9t\u00e9 chass\u00e9\ndu tr\u00f4ne. Et de m\u00eame que Dieu a accord\u00e9 pour protectrice \u00e0 la ville de\nCatane ma s\u0153ur Agathe, de m\u00eame il vient de m\u2019autoriser \u00e0 \u00eatre aupr\u00e8s de\nlui la protectrice de la ville de Syracuse.\u00bb Et, en effet, pendant\nqu\u2019elle parlait encore, voici que des envoy\u00e9s de Rome vinrent saisir\nPaschase pour l\u2019emmener, prisonnier, devant le S\u00e9nat: car celui-ci avait\nappris qu\u2019il s\u2019\u00e9tait rendu coupable de d\u00e9pr\u00e9dations sans nombre dans\ntoute la province. Il fut donc conduit \u00e0 Rome, d\u00e9f\u00e9r\u00e9 au S\u00e9nat,\nconvaincu de crime, et puni de la peine capitale. Quant \u00e0 la vierge\nLucie, elle ne bougea pas du lieu o\u00f9 elle avait souffert, et elle resta\nen vie jusqu\u2019\u00e0 l\u2019arriv\u00e9e de pr\u00eatres qui lui apport\u00e8rent la sainte\ncommunion; et toute la foule y assista pieusement. C\u2019est dans le m\u00eame\nlieu qu\u2019elle fut enterr\u00e9e, et que fut construite une \u00e9glise en son\nhonneur. Son martyre eut lieu vers l\u2019an du Seigneur 310.\nV\nSAINT THOMAS, AP\u00d4TRE\n(21 d\u00e9cembre)\nI. Thomas l\u2019ap\u00f4tre, pendant qu\u2019il \u00e9tait \u00e0 C\u00e9sar\u00e9e, le Seigneur lui\napparut et lui dit: \u00abLe roi de l\u2019Inde Gondofer a envoy\u00e9 son pr\u00e9v\u00f4t\nAbbanes \u00e0 la recherche d\u2019un homme habile dans l\u2019art de l\u2019architecture.\nViens, et je te pr\u00e9senterai \u00e0 lui!\u00bb Et Thomas lui dit: \u00abSeigneur je suis\npr\u00eat \u00e0 aller partout o\u00f9 tu m\u2019enverras!\u00bb Et Dieu lui dit: \u00abVa donc en\npaix, car je serai ton gardien! Et quand tu auras converti l\u2019Inde, tu\nviendras \u00e0 moi avec la palme du martyre!\u00bb Puis comme le pr\u00e9v\u00f4t marchait\ndans le Forum, le Seigneur lui dit: \u00abQue cherches-tu, jeune homme?\u00bb\nAbbanes r\u00e9pondit: \u00abMon ma\u00eetre m\u2019a envoy\u00e9 ici afin que j\u2019engage \u00e0 son\nservice d\u2019habiles architectes, car il veut se faire construire un palais\n\u00e0 la mani\u00e8re romaine.\u00bb Alors le Seigneur lui pr\u00e9senta Thomas, en lui\nassurant qu\u2019il \u00e9tait tr\u00e8s habile dans l\u2019art de l\u2019architecture.\nLe vaisseau qui conduisait le pr\u00e9v\u00f4t et Thomas fit escale dans une ville\no\u00f9 un roi c\u00e9l\u00e9brait les noces de sa fille. Ce roi ayant ordonn\u00e9 que la\nville enti\u00e8re assist\u00e2t \u00e0 la f\u00eate, Thomas et Abbanes furent forc\u00e9s d\u2019y\nassister. Mais Thomas ne mangeait rien, et gardait les yeux lev\u00e9s vers\nle ciel. Or le sommelier, voyant que l\u2019ap\u00f4tre ne mangeait ni ne buvait,\nle frappa sur la joue. Et l\u2019ap\u00f4tre lui dit: \u00abMieux vaut pour toi que tu\nsois puni sur-le-champ d\u2019une peine passag\u00e8re, et que dans la vie future\nton acte te soit pardonn\u00e9. Sache donc que, avant que je me l\u00e8ve de cette\ntable, la main qui m\u2019a frapp\u00e9 sera apport\u00e9e ici par des chiens!\u00bb Et en\neffet, le sommelier \u00e9tant sorti pour puiser de l\u2019eau, un lion se jeta\nsur lui et le tua; et les chiens d\u00e9chir\u00e8rent son corps, et l\u2019un d\u2019eux\napporta sa main droite dans la salle du festin. Cette vengeance est\nbl\u00e2m\u00e9e par saint Augustin dans son livre contre Faust, et d\u00e9clar\u00e9e\napocryphe; d\u2019o\u00f9 vient que beaucoup tiennent la l\u00e9gende pour suspecte.\nMais revenons \u00e0 notre r\u00e9cit.\nSur la demande du roi, l\u2019ap\u00f4tre b\u00e9nit l\u2019\u00e9poux et l\u2019\u00e9pouse, disant:\n\u00abSeigneur, donne \u00e0 ces jeunes gens l\u2019appui de ta droite, et s\u00e8me dans\nleurs \u00e2mes la semence de vie!\u00bb Et quand l\u2019ap\u00f4tre fut parti, le jeune\nhomme trouva dans sa main une branche de palmier toute charg\u00e9e de\ndattes. Et, ayant mang\u00e9 de ces dattes, l\u2019\u00e9poux et l\u2019\u00e9pouse eurent tous\ndeux le m\u00eame r\u00eave. Ils virent un roi, par\u00e9 de diamants, qui les\nembrassait et leur disait: \u00abMon ap\u00f4tre vous a b\u00e9nis afin que vous\nparticipiez \u00e0 la vie \u00e9ternelle.\u00bb\nIls se r\u00e9veill\u00e8rent, et se racont\u00e8rent l\u2019un \u00e0 l\u2019autre leur r\u00eave. Et\nvoici que l\u2019ap\u00f4tre Thomas leur apparut dans leur chambre et leur dit:\n\u00abMon Roi s\u2019est montr\u00e9 \u00e0 vous tout \u00e0 l\u2019heure, et me conduit \u00e0 pr\u00e9sent\nici, malgr\u00e9 les portes ferm\u00e9es, pour que, fortifi\u00e9s par ma b\u00e9n\u00e9diction,\nvous gardiez la puret\u00e9 du corps, qui est la reine de toutes les vertus,\net qui m\u00e8ne au salut \u00e9ternel. La virginit\u00e9 est la s\u0153ur des anges, la\npossession de tous biens, la victoire sur les passions, le troph\u00e9e de la\nfoi, la d\u00e9faite des d\u00e9mons, le gage des joies \u00e9ternelles. Mais, au\ncontraire, de la volupt\u00e9 na\u00eet la corruption, de la corruption na\u00eet la\npollution, et de la pollution na\u00eet la perdition.\u00bb Et, au moment o\u00f9\nl\u2019ap\u00f4tre leur parlait ainsi, deux anges leur apparurent, qui leur\ndirent: \u00abDieu nous envoie \u00e0 vous pour vous servir de gardiens, et, si\nvous observez bien l\u2019enseignement de l\u2019ap\u00f4tre, pour Lui transmettre tous\nvos v\u0153ux.\u00bb Puis l\u2019ap\u00f4tre les baptisa et les instruisit dans la foi. Et,\nlongtemps apr\u00e8s, l\u2019\u00e9pouse, qui s\u2019appelait P\u00e9lagie, subit le martyre, et\nl\u2019\u00e9poux, nomm\u00e9 Denis, fut ordonn\u00e9 \u00e9v\u00eaque de cette m\u00eame ville.\nII. Poursuivant leur voyage, l\u2019ap\u00f4tre et Abbanes parvinrent \u00e0 la cour du\nroi de l\u2019Inde. Thomas fit le dessin d\u2019un palais admirable, et le roi lui\ndonna un grand tr\u00e9sor afin qu\u2019il p\u00fbt diriger la construction du palais;\napr\u00e8s quoi ce roi partit pour une autre province; et l\u2019ap\u00f4tre distribua\nau peuple tout l\u2019argent qu\u2019il avait re\u00e7u de lui. Pendant les deux ans\nque dura l\u2019absence du roi, l\u2019ap\u00f4tre ne fit que pr\u00eacher, et convertit \u00e0\nla foi une foule innombrable. Mais le roi, \u00e0 son retour, ayant appris la\nconduite de Thomas, le jeta en prison ainsi qu\u2019Abbanes, avec le projet\nde les faire br\u00fbler vifs. L\u00e0-dessus le fr\u00e8re du roi, nomm\u00e9 Gad, mourut,\net l\u2019on s\u2019appr\u00eata \u00e0 lui faire de somptueuses fun\u00e9railles. Or voici que,\nle quatri\u00e8me jour de sa mort, il ressuscita, \u00e0 la stupeur et \u00e0\nl\u2019\u00e9pouvante de tous; et il dit \u00e0 son fr\u00e8re: \u00abFr\u00e8re, l\u2019homme que tu veux\nfaire \u00e9corcher et br\u00fbler vif est un ami de Dieu, et tous les anges sont\nses serviteurs. Ces anges m\u2019ont conduit au paradis, o\u00f9 ils m\u2019ont montr\u00e9\nun palais merveilleux, fait d\u2019or, d\u2019argent, et de pierres pr\u00e9cieuses, et\nils m\u2019ont dit: \u00abCeci est le palais que Thomas avait construit \u00e0 ton\nfr\u00e8re. Mais ton fr\u00e8re s\u2019en est rendu indigne. Que si tu veux l\u2019habiter \u00e0\nsa place, nous demanderons \u00e0 Dieu de te ressusciter pour que tu rach\u00e8tes\nce palais \u00e0 ton fr\u00e8re, en lui rendant l\u2019argent qu\u2019il s\u2019imagine avoir\nperdu!\u00bb Puis, ayant ainsi parl\u00e9, Gad courut \u00e0 la prison de l\u2019ap\u00f4tre, fit\ntomber ses cha\u00eenes, et le supplia d\u2019accepter un manteau pr\u00e9cieux. Mais\nl\u2019ap\u00f4tre lui dit: \u00abIgnores-tu donc que ceux qui aspirent au pouvoir\nc\u00e9leste ne d\u00e9sirent rien des choses terrestres?\u00bb Et, comme l\u2019ap\u00f4tre\nsortait de la prison, le roi vint au-devant de lui, se jeta \u00e0 ses pieds,\net lui demanda pardon. Et l\u2019ap\u00f4tre lui dit: \u00abCrois dans le Christ et\nfais-toi baptiser, afin de participer au royaume \u00e9ternel!\u00bb Le fr\u00e8re du\nroi lui dit: \u00abJ\u2019ai vu le palais que tu as construit pour mon fr\u00e8re, et\nj\u2019ai obtenu la permission de l\u2019acqu\u00e9rir.\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre: \u00abCela d\u00e9pend de\nton fr\u00e8re.\u00bb Et le roi: \u00abQue ce palais soit pour moi, et que l\u2019ap\u00f4tre en\nconstruise un autre pour toi, ou bien encore, si c\u2019est impossible, nous\nhabiterons celui-l\u00e0 en commun!\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre leur dit: \u00abIl y a, dans le\nciel, d\u2019innombrables palais, pr\u00e9par\u00e9s depuis l\u2019origine des temps, et qui\ns\u2019acqui\u00e8rent par la foi et l\u2019aum\u00f4ne. Et quant \u00e0 vos richesses, elles\npeuvent bien vous pr\u00e9c\u00e9der dans ce palais, mais elles ne peuvent\nabsolument pas vous y suivre!\u00bb\nIII. Un mois apr\u00e8s, l\u2019ap\u00f4tre fit rassembler tous les pauvres de la\nr\u00e9gion; et, quand tous furent rassembl\u00e9s, il fit sortir de la foule les\nmalades, les infirmes, et les faibles. Alors il pria sur eux, et ceux\nd\u2019entre eux qui avaient re\u00e7u la foi r\u00e9pondirent _amen_. Alors une grande\nlumi\u00e8re descendit du ciel et se r\u00e9pandit sur l\u2019ap\u00f4tre et sur ces pauvres\ngens; et, quand elle fut dissip\u00e9e, l\u2019ap\u00f4tre dit: \u00abRelevez-vous: c\u2019est\nmon Ma\u00eetre qui est venu, pareil \u00e0 la foudre, et qui vous a gu\u00e9ris!\u00bb Et,\nen effet, ils furent tous gu\u00e9ris; et, se relevant, ils glorifi\u00e8rent Dieu\net l\u2019ap\u00f4tre. Alors celui-ci se mit \u00e0 les instruire, leur exposant les\ndouze degr\u00e9s de la vertu. Le premier degr\u00e9 est de croire en un Dieu\nunique d\u2019essence en triple personne. Et l\u2019ap\u00f4tre leur expliqua, par\ntrois exemples sensibles, comment une m\u00eame essence pouvait avoir trois\npersonnes: 1\u00ba la sagesse dans l\u2019homme est une, et cependant elle est\nform\u00e9e de l\u2019intelligence, de la m\u00e9moire, et de l\u2019imagination; 2\u00ba une\nvigne est form\u00e9e de trois \u00e9l\u00e9ments, le bois, les feuilles et les fruits,\ndont l\u2019ensemble ne forme qu\u2019une seule vigne; 3\u00ba une t\u00eate contient quatre\nsens, la vue, le go\u00fbt, l\u2019ou\u00efe et l\u2019odorat. Le second degr\u00e9 de la vertu\nconsiste \u00e0 recevoir le bapt\u00eame; le troisi\u00e8me \u00e0 s\u2019abstenir de la luxure;\nle quatri\u00e8me \u00e0 \u00e9viter l\u2019avarice; le cinqui\u00e8me \u00e0 \u00e9viter la gourmandise;\nle sixi\u00e8me \u00e0 faire p\u00e9nitence; le septi\u00e8me \u00e0 pers\u00e9v\u00e9rer dans le bien; le\nhuiti\u00e8me \u00e0 pratiquer l\u2019hospitalit\u00e9; le neuvi\u00e8me \u00e0 rechercher ce que Dieu\nveut que l\u2019on fasse; le dixi\u00e8me \u00e0 rechercher ce que Dieu veut qu\u2019on ne\nfasse pas; le onzi\u00e8me \u00e0 aimer amis et ennemis; le douzi\u00e8me \u00e0 veiller\njour et nuit pour ne pas s\u2019\u00e9carter de tous ces principes. Ainsi pr\u00eacha\nl\u2019ap\u00f4tre; et, quand il eut fini, il baptisa neuf mille hommes, sans\ncompter les enfants et les femmes.\nIV. Thomas alla ensuite dans l\u2019Inde Sup\u00e9rieure, o\u00f9 il se signala par\nd\u2019innombrables miracles. Il convertit une certaine Sintice, qui \u00e9tait\namie de Migdomie, femme d\u2019un parent du roi de la contr\u00e9e. Et Migdomie\nfut prise du d\u00e9sir de voir l\u2019ap\u00f4tre. Sur le conseil de Sintice, elle \u00f4ta\nses riches v\u00eatements, et se m\u00eala \u00e0 la foule des pauvres que l\u2019ap\u00f4tre\ninstruisait. Or l\u2019ap\u00f4tre \u00e9tait en train de pr\u00eacher la mis\u00e8re de cette\nvie hasardeuse et fugitive; et il engageait ses auditeurs \u00e0 recevoir la\nparole de Dieu, comparant celle-ci 1\u00ba \u00e0 un collyre, parce qu\u2019elle\nillumine les yeux de notre \u00e2me; 2\u00ba \u00e0 un empl\u00e2tre, parce qu\u2019elle gu\u00e9rit\nles plaies de nos p\u00e9ch\u00e9s; 3\u00ba \u00e0 une nourriture, parce qu\u2019elle nous\nalimente des choses c\u00e9lestes. Et Migdomie, ayant entendu l\u2019ap\u00f4tre, re\u00e7ut\nla foi, et, depuis lors, eut horreur de la couche de son mari. Celui-ci,\ndont le nom \u00e9tait Carisius, porta plainte au roi, et fit jeter l\u2019ap\u00f4tre\nen prison. Alors Migdomie vint le trouver dans sa prison, et lui demanda\npardon d\u2019\u00eatre la cause de son incarc\u00e9ration; mais l\u2019ap\u00f4tre, la consolant\navec bont\u00e9, lui dit qu\u2019il \u00e9tait heureux de souffrir tout cela. Cependant\nCarisius pria le roi d\u2019envoyer la reine, s\u0153ur de sa femme, aupr\u00e8s de\ncelle-ci, pour essayer de la ramener \u00e0 lui. Mais la reine fut convertie\npar celle qu\u2019elle voulait pervertir; et, \u00e0 la vue des miracles de\nl\u2019ap\u00f4tre, elle dit: \u00abMaudits soient ceux qui refusent de croire, en\npr\u00e9sence de tant de signes et d\u2019\u0153uvres!\u00bb Quand elle revint pr\u00e8s de son\nmari, celui-ci lui dit: \u00abPourquoi es-tu rest\u00e9e si longtemps absente?\u00bb Et\nla reine lui r\u00e9pondit: \u00abJe croyais que Migdomie \u00e9tait folle, mais elle\nest au contraire tr\u00e8s sage, et, en me conduisant \u00e0 l\u2019ap\u00f4tre de Dieu,\nelle m\u2019a fait conna\u00eetre le chemin de la v\u00e9rit\u00e9; ceux l\u00e0 seuls sont fous\nqui refusent de croire au Christ!\u00bb Et, depuis lors, elle refusa de\ns\u2019accoupler avec son mari. Et, le roi stup\u00e9fait, dit \u00e0 son beau-fr\u00e8re:\n\u00abEn voulant te ramener ta femme, j\u2019ai perdu la mienne; elle est m\u00eame\ndevenue pire pour moi que la tienne pour toi!\u00bb Et il se fit amener\nl\u2019ap\u00f4tre, les mains li\u00e9es, et le somma de faire en sorte que sa femme et\nsa belle-s\u0153ur reprissent la vie conjugale. Alors l\u2019ap\u00f4tre lui d\u00e9montra\nque, aussi longtemps que son beau-fr\u00e8re et lui persisteraient dans\nl\u2019erreur, leurs femmes auraient le devoir de ne pas reprendre la vie\nconjugale. \u00abToi qui es roi, lui dit-il, tu tiens \u00e0 ne pas avoir des\nserviteurs impurs, mais, au contraire \u00e0 avoir des serviteurs purs. A\nplus forte raison Dieu aime \u00e0 avoir des serviteurs chastes et purs. Il\naime, dans ses serviteurs, ce que tu aimes dans les tiens. Comment! J\u2019ai\n\u00e9difi\u00e9 une haute tour, et tu me dis, \u00e0 moi qui l\u2019ai \u00e9difi\u00e9e, de la\nd\u00e9truire? J\u2019ai fait surgir une source du sol, et tu me dis de la faire\ntarir?\u00bb\nAlors le roi, furieux, fit apporter des lames de fer rougies au feu, et\nordonna \u00e0 l\u2019ap\u00f4tre de mettre sur elles ses pieds nus. Mais aussit\u00f4t, sur\nun signe de Dieu, une source jaillit du sol et refroidit le fer. Puis le\nroi, conseill\u00e9 par son beau-fr\u00e8re, le fit plonger dans une fournaise\nardente; mais celle-ci s\u2019\u00e9teignit aussit\u00f4t, et l\u2019ap\u00f4tre en sortit, le\nlendemain, sain et sauf. Et Carisius dit au roi: \u00abOrdonne-lui de\nsacrifier au dieu du soleil, afin qu\u2019il encoure la col\u00e8re de son dieu,\nqui le prot\u00e8ge!\u00bb Le roi suivit son conseil, mais Thomas lui dit: \u00abTu\nt\u2019imagines que, comme le dit ton beau-fr\u00e8re, mon Dieu se f\u00e2chera contre\nmoi, si j\u2019adore le tien; mais c\u2019est plut\u00f4t contre ton dieu qu\u2019il se\nf\u00e2chera, et il le d\u00e9truira au moment o\u00f9 je l\u2019adorerai. Si donc mon Dieu\nne d\u00e9truit pas le tien au moment o\u00f9 je l\u2019adorerai, je consentirai \u00e0 lui\nsacrifier; mais si mon Dieu d\u00e9truit le tien, promets-moi que tu croiras\nen lui!\u00bb Et le roi dit: \u00abTu oses encore me traiter comme si j\u2019\u00e9tais ton\n\u00e9gal!\u00bb Alors l\u2019ap\u00f4tre ordonna en h\u00e9breu au d\u00e9mon qui \u00e9tait dans l\u2019idole\nde d\u00e9truire celle-ci aussit\u00f4t qu\u2019il fl\u00e9chirait les genoux devant elle.\nPuis, fl\u00e9chissant les genoux, il dit: \u00abJ\u2019adore, mais non pas cette\nidole, j\u2019adore, mais non pas ce m\u00e9tal, j\u2019adore, mais non pas ce\nsimulacre: j\u2019adore mon ma\u00eetre J\u00e9sus-Christ, au nom duquel je t\u2019ordonne,\nd\u00e9mon de cette idole, de la d\u00e9truire aussit\u00f4t!\u00bb Et aussit\u00f4t l\u2019idole\nfondit comme de la cire. Sur quoi tous les pr\u00eatres pouss\u00e8rent des\nmugissements, et le grand pr\u00eatre du temple, levant son \u00e9p\u00e9e, transper\u00e7a\nl\u2019ap\u00f4tre, en disant: \u00abJe venge l\u2019injure faite \u00e0 mon dieu!\u00bb Et le roi et\nCarisius s\u2019enfuirent, voyant que le peuple voulait venger l\u2019ap\u00f4tre et\nbr\u00fbler vif le grand pr\u00eatre. Mais les chr\u00e9tiens enlev\u00e8rent le corps, et\nl\u2019ensevelirent solennellement.\nLongtemps apr\u00e8s, vers l\u2019an du Seigneur 230, le corps de l\u2019ap\u00f4tre fut\ntransport\u00e9 par l\u2019empereur Alexandre, sur la pri\u00e8re des Syriens, dans la\nville d\u2019Edesse, qu\u2019on appelait autrefois Rag\u00e8s des M\u00e8des. Or, c\u2019est une\nville o\u00f9 ne peut vivre aucun h\u00e9r\u00e9tique, aucun juif, aucun pa\u00efen, et o\u00f9\naucun tyran ne peut faire le mal, parce que jadis un roi de cette ville,\nnomm\u00e9 Abgar, a eu l\u2019honneur de recevoir une lettre \u00e9crite de la propre\nmain de Notre-Seigneur. Et, en effet, si quelque mal est tent\u00e9 contre\ncette ville, un enfant, debout sur la porte, lit la lettre du Seigneur,\net aussit\u00f4t les m\u00e9chants sont mis en fuite ou font p\u00e9nitence.\nV. Dans sa _Vie et mort des Saints_, Isidore dit de saint Thomas:\n\u00abThomas, disciple du Christ, et qui ressemblait au Sauveur, fut\nincr\u00e9dule en entendant, mais crut d\u00e8s qu\u2019il vit. Il pr\u00eacha l\u2019Evangile\naux Parthes, aux M\u00e8des, aux Perses, aux Hircaniens, et aux habitants de\nla Bactriane. Abordant \u00e0 la plage de l\u2019Orient et p\u00e9n\u00e9trant jusqu\u2019aux\nnations de l\u2019int\u00e9rieur, il y poursuivit sa pr\u00e9dication jusqu\u2019au jour de\nson martyre. Il mourut transperc\u00e9 d\u2019un coup de lance.\u00bb Et Chrysostome\ndit aussi que Thomas parvint jusqu\u2019aux r\u00e9gions des Rois Mages, qui jadis\n\u00e9taient venus adorer le Christ, qu\u2019il les baptisa, et fit d\u2019eux des\nsoutiens de la foi chr\u00e9tienne.\nVI\nLA NATIVIT\u00c9 DE NOTRE-SEIGNEUR J\u00c9SUS-CHRIST\n(25 d\u00e9cembre)\nOn n\u2019est pas d\u2019accord sur la date de la naissance de Notre-Seigneur\nJ\u00e9sus-Christ dans la chair. Les uns disent qu\u2019elle a eu lieu 5.228 ans\napr\u00e8s la naissance d\u2019Adam, d\u2019autres qu\u2019elle a eu lieu 5.900 ans apr\u00e8s\ncette naissance. C\u2019est M\u00e9thode qui a fix\u00e9, le premier, la date de 6.000\nans: mais il l\u2019a trouv\u00e9e plut\u00f4t par inspiration mystique que par calcul\nchronologique. On sait, en tout cas, que la naissance du Christ a eu\nlieu sous l\u2019empereur Octave, qui s\u2019appelait aussi C\u00e9sar, du nom de son\noncle Jules C\u00e9sar, et Auguste, parce qu\u2019il avait \u00abaugment\u00e9\u00bb la\nr\u00e9publique romaine. Et au moment o\u00f9 le Fils de Dieu est n\u00e9 dans la\nchair, une paix universelle r\u00e9gnait dans le monde, r\u00e9uni tout entier\nsous l\u2019autorit\u00e9 pacifique de l\u2019empereur romain.\nDonc C\u00e9sar Auguste, \u00e9tant ma\u00eetre du monde, voulut savoir combien il\nposs\u00e9dait de provinces, de villes, de forteresses, de villages et\nd\u2019hommes; en cons\u00e9quence de quoi il d\u00e9cida que tous les hommes de son\nempire eussent \u00e0 se rendre dans la ville ou le village d\u2019o\u00f9 ils \u00e9taient\noriginaires, et \u00e0 remettre au gouverneur de la province un denier\nd\u2019argent, en signe de soumission \u00e0 l\u2019empire romain. Et c\u2019est ainsi que\nJoseph, qui \u00e9tait de la race de David, partit de Nazareth pour se rendre\n\u00e0 Bethl\u00e9em, o\u00f9 l\u2019appelait le recensement. Et comme le temps approchait\no\u00f9 la Vierge Marie allait \u00eatre d\u00e9livr\u00e9e, et comme Joseph ne savait pas\nquand il pourrait \u00eatre de retour, il l\u2019emmena \u00e0 Bethl\u00e9em, ne voulant\npoint remettre entre des mains \u00e9trang\u00e8res le tr\u00e9sor que Dieu lui avait\nconfi\u00e9. Le _Livre de l\u2019Enfance du Sauveur_ raconte, \u00e0 ce propos, qu\u2019en\napprochant de Bethl\u00e9em la Vierge vit une partie du peuple qui se\nr\u00e9jouissait, et une partie qui g\u00e9missait. Et l\u2019ange lui expliqua la\nchose en lui disant: \u00abLa partie qui se r\u00e9jouit est le peuple des\nGentils, qui va \u00eatre admis \u00e0 la b\u00e9atitude \u00e9ternelle. La partie qui g\u00e9mit\nest le peuple des Juifs, car Dieu va le r\u00e9prouver suivant ses m\u00e9rites.\u00bb\nPuis Joseph et Marie vinrent \u00e0 Bethl\u00e9em; et comme, \u00e9tant pauvres, ils ne\npouvaient pas trouver de place dans les auberges, ils durent s\u2019installer\ndans un passage commun, ou abri, qui, d\u2019apr\u00e8s l\u2019_Histoire scholastique_,\nse trouvait entre deux maisons, et servait de lieu de r\u00e9union aux\nhabitants de Bethl\u00e9em, ou encore de refuge contre les intemp\u00e9ries de\nl\u2019air. L\u00e0, Joseph installa une cr\u00e8che pour son b\u0153uf et son \u00e2ne; ou bien\nencore l\u2019\u00e9table s\u2019y trouvait d\u00e9j\u00e0, construite \u00e0 l\u2019usage des paysans qui\nvenaient au march\u00e9. Et c\u2019est l\u00e0 que, \u00e0 minuit, la Vierge mit au jour son\nfils, et le d\u00e9posa dans la cr\u00e8che, sur du foin: lequel foin fut plus\ntard emport\u00e9 \u00e0 Rome par sainte H\u00e9l\u00e8ne; et l\u2019on dit que ni le b\u0153uf ni\nl\u2019\u00e2ne n\u2019osaient y toucher.\nNotons, \u00e0 ce sujet, que tout fut miraculeux dans cette naissance du\nChrist. En premier lieu, c\u2019est chose miraculeuse que la m\u00e8re du Christ\nait \u00e9t\u00e9 vierge, apr\u00e8s comme avant la naissance de son fils. Et sa\nvirginit\u00e9, qui nous est attest\u00e9e par les proph\u00e8tes et les \u00e9vang\u00e9listes,\nse trouve encore prouv\u00e9e par un miracle que nous raconte le pape\nInnocent III. Pendant les douze ans qu\u2019avait dur\u00e9 la paix du monde, on\navait construit \u00e0 Rome un temple de la Paix, o\u00f9 l\u2019on avait plac\u00e9 une\nstatue de Romulus. Et l\u2019oracle d\u2019Apollon, consult\u00e9, avait d\u00e9clar\u00e9 que\ncette statue et le temple resteraient debout jusqu\u2019au jour o\u00f9 une vierge\nenfanterait un fils. On en avait conclu que le temple serait \u00e9ternel, et\nl\u2019on \u00e9tait all\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 inscrire sur le fronton: \u00abTemple \u00e9ternel de la\nPaix\u00bb. Or, la nuit de la naissance de Notre-Seigneur, ce temple\ns\u2019\u00e9croula de fond en comble; et c\u2019est sur son emplacement que s\u2019\u00e9l\u00e8ve\naujourd\u2019hui l\u2019\u00e9glise de Sainte-Marie la Neuve.\nNon moins miraculeuses sont toutes les autres circonstances de la\nNativit\u00e9. Nous savons, par exemple, qu\u2019elle fut r\u00e9v\u00e9l\u00e9e \u00e0 toutes les\ncat\u00e9gories des cr\u00e9atures, depuis les pierres, qui occupent le bas de\nl\u2019\u00e9chelle, jusqu\u2019aux anges, qui en occupent le sommet.\n1\u00ba La Nativit\u00e9 fut r\u00e9v\u00e9l\u00e9e aux cr\u00e9atures inanim\u00e9es. On a vu d\u00e9j\u00e0, par\nl\u2019exemple ci-dessus, qu\u2019elle se r\u00e9v\u00e9la aux pierres d\u2019un temple de Rome.\nOn sait, en outre, que, la nuit de la Nativit\u00e9, les t\u00e9n\u00e8bres de la nuit\nse chang\u00e8rent en une lumi\u00e8re de plein jour. A Rome, l\u2019eau d\u2019une source\nse changea en huile, et coula ainsi jusque dans le Tibre: or, la Sibylle\navait proph\u00e9tis\u00e9 que le Sauveur du monde na\u00eetrait lorsque jaillirait une\nsource d\u2019huile. Le m\u00eame jour, des mages qui priaient sur une montagne\nvirent appara\u00eetre une \u00e9toile qui avait la forme d\u2019un bel enfant, portant\nune croix de feu au-dessus de la t\u00eate. Et elle dit aux mages d\u2019aller en\nJud\u00e9e, o\u00f9 ils trouveraient un enfant nouveau-n\u00e9. Le m\u00eame jour, trois\nsoleils apparurent \u00e0 l\u2019Orient, qui finirent par se fondre en un seul:\nsymbole \u00e9vident de la sainte Trinit\u00e9. Enfin voici ce que nous raconte le\npape Innocent III: \u00abPour r\u00e9compenser Octave d\u2019avoir donn\u00e9 la paix au\nmonde, le S\u00e9nat voulait l\u2019adorer comme un dieu. Mais le prudent\nempereur, se sachant mortel, ne voulut point se parer du titre\nd\u2019immortel avant d\u2019avoir demand\u00e9 \u00e0 la Sibylle si le monde verrait\nna\u00eetre, quelque jour, un homme plus grand que lui. Or, le jour de la\nNativit\u00e9, comme la Sibylle \u00e9tait seule avec l\u2019empereur, elle vit\nappara\u00eetre, en plein midi, un cercle d\u2019or autour du soleil; et au milieu\ndu cercle se tenait une vierge, d\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse, portant un\nenfant sur son sein. La Sibylle montra ce prodige \u00e0 C\u00e9sar, et l\u2019on\nentendit une voix qui disait: \u00abCelle-ci est l\u2019autel du ciel!\u00bb (_ara\nc\u0153li_). Et la Sibylle lui dit: \u00abCet enfant sera plus grand que toi!\u00bb\nAussi la chambre o\u00f9 eut lieu ce miracle a-t-elle \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e \u00e0 la\nsainte Vierge; et c\u2019est sur son emplacement que s\u2019\u00e9l\u00e8ve aujourd\u2019hui\nl\u2019\u00e9glise de Sainte-Marie Ara C\u0153li.\u00bb Cependant d\u2019autres historiens\nracontent le m\u00eame fait d\u2019une mani\u00e8re un peu diff\u00e9rente. Suivant eux,\nAuguste, \u00e9tant mont\u00e9 au Capitole, et ayant demand\u00e9 aux dieux de lui\nfaire savoir qui r\u00e9gnerait apr\u00e8s lui, entendit une voix qui lui disait:\n\u00abUn enfant \u00e9th\u00e9r\u00e9, Fils du Dieu vivant, n\u00e9 d\u2019une vierge sans tache.\u00bb Et\nc\u2019est alors qu\u2019Auguste aurait \u00e9lev\u00e9 cet autel, au-dessous duquel il\naurait inscrit: \u00abCeci est l\u2019autel du Fils du Dieu vivant!\u00bb\n2\u00ba La Nativit\u00e9 s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e aux cr\u00e9atures qui poss\u00e8dent l\u2019existence et\nla vie, comme les plantes et les arbres. En effet, dans la nuit de la\nnaissance du Sauveur, les vignes d\u2019Engade fleurirent, fructifi\u00e8rent et\nproduisirent leur vin.\n3\u00ba La Nativit\u00e9 s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e aux cr\u00e9atures qui poss\u00e8dent l\u2019existence, la\nvie et le sentiment, c\u2019est-\u00e0-dire aux animaux. En effet Joseph, en\npartant pour Bethl\u00e9em, avait emmen\u00e9 avec lui un b\u0153uf et un \u00e2ne: le b\u0153uf,\npeut-\u00eatre, pour le vendre et pour avoir de quoi payer le denier du cens;\nl\u2019\u00e2ne, sans doute, pour servir \u00e0 porter la Vierge Marie. Or le b\u0153uf et\nl\u2019\u00e2ne, reconnaissant miraculeusement le Seigneur, s\u2019agenouill\u00e8rent\ndevant lui, et l\u2019ador\u00e8rent.\n4\u00ba La Nativit\u00e9 s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e aux cr\u00e9atures qui poss\u00e8dent l\u2019existence, la\nvie, le sentiment et la raison, c\u2019est-\u00e0-dire aux hommes. En effet, dans\nl\u2019heure m\u00eame o\u00f9 elle eut lieu, des bergers veillaient aupr\u00e8s de leurs\ntroupeaux, chose qu\u2019ils faisaient deux fois par an, dans la nuit la plus\ncourte et dans la nuit la plus longue de l\u2019ann\u00e9e; car c\u2019\u00e9tait l\u2019usage\ndes nations antiques de veiller dans les deux nuits des solstices, l\u2019\u00e9t\u00e9\nvers le jour de la Saint-Jean, et, l\u2019hiver, dans la nuit de No\u00ebl. A ces\nbergers, donc, un ange apparut qui leur annon\u00e7a la naissance du Sauveur\net leur enseigna le moyen d\u2019arriver jusqu\u2019\u00e0 lui. Et ils entendirent une\nfoule d\u2019anges qui chantaient: \u00abGloire \u00e0 Dieu au plus haut des cieux,\u00bb\netc. D\u2019une autre fa\u00e7on encore, la Nativit\u00e9 se r\u00e9v\u00e9la par les sodomites,\nqui tous, cette nuit-l\u00e0, p\u00e9rirent, dans le monde entier. Ce \u00e0 propos de\nquoi saint J\u00e9r\u00f4me nous dit: \u00abUne telle lumi\u00e8re s\u2019\u00e9leva, cette nuit-l\u00e0,\nqu\u2019elle \u00e9teignit tous ceux qui se livraient \u00e0 ce vice.\u00bb Et saint\nAugustin dit que Dieu ne pouvait pas s\u2019incarner dans la nature humaine\naussi longtemps qu\u2019existait, dans cette nature, un vice contre nature.\n5\u00ba Enfin la Nativit\u00e9 s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e aux cr\u00e9atures qui poss\u00e8dent\nl\u2019existence, la vie, le sentiment, la raison, et la connaissance,\nc\u2019est-\u00e0-dire aux anges: car ce sont les anges eux-m\u00eames, qui, ainsi\nqu\u2019on vient de le voir, ont annonc\u00e9 aux bergers la naissance du Christ.\nRestent \u00e0 d\u00e9finir les divers objets en vue desquels a eu lieu\nl\u2019incarnation de Notre-Seigneur.\n1\u00ba Elle a eu lieu, d\u2019abord, pour la confusion des d\u00e9mons. Saint Hugues,\nabb\u00e9 de Cluny, la veille de No\u00ebl, vit la sainte Vierge, tenant son fils\nsur son sein, et disant: \u00abVoici venir le jour o\u00f9 vont \u00eatre renouvel\u00e9s\nles oracles des proph\u00e8tes! O\u00f9 est d\u00e9sormais l\u2019ennemi qui, jusqu\u2019ici,\npr\u00e9valait contre les hommes?\u00bb A ces mots, le diable sortit de terre,\npour d\u00e9mentir les paroles de Notre Dame: mais son iniquit\u00e9 se trouva en\nd\u00e9faut, car il eut beau parcourir tout le couvent; ni \u00e0 la chapelle, ni\nau r\u00e9fectoire, ni au dortoir, ni dans la salle du chapitre, aucun moine\nne se laissa d\u00e9tourner de son devoir. D\u2019apr\u00e8s Pierre de Cluny, l\u2019enfant,\ndans la vision de Saint Hugues, aurait dit \u00e0 sa m\u00e8re: \u00abO\u00f9 est maintenant\nla puissance du diable?\u00bb Sur quoi le diable, sortant de terre, aurait\nr\u00e9pondu: \u00abJe ne puis pas, en effet, p\u00e9n\u00e9trer dans la chapelle, o\u00f9 l\u2019on\nchante tes louanges; mais le chapitre, le dortoir et le r\u00e9fectoire me\nrestent ouverts!\u00bb Or voici que la porte du chapitre se serait trouv\u00e9e\ntrop \u00e9troite pour lui, la porte du dortoir trop basse, la porte du\nr\u00e9fectoire obstru\u00e9e d\u2019obstacles infranchissables, lesquels n\u2019\u00e9taient\nautres que la charit\u00e9 des moines, leur attention \u00e0 la lecture du jour,\net leur sobri\u00e9t\u00e9 dans le manger et le boire.\n2\u00ba La Nativit\u00e9 a eu lieu, ensuite, pour permettre aux hommes d\u2019obtenir\nle pardon de leurs p\u00e9ch\u00e9s. Un livre d\u2019exemples raconte l\u2019histoire d\u2019une\nprostitu\u00e9e qui, s\u2019\u00e9tant enfin repentie, d\u00e9sesp\u00e9rait de son pardon: et\ncomme elle se jugeait indigne d\u2019invoquer le Christ glorieux, et le\nChrist souffrant la passion, elle se dit que les enfants \u00e9taient plus\nfaciles \u00e0 apaiser. Elle adjura donc le Christ enfant; et une voix lui\napprit qu\u2019elle \u00e9tait pardonn\u00e9e.\n3\u00ba La Nativit\u00e9 a eu lieu pour nous gu\u00e9rir de notre faiblesse. Car, comme\nle dit saint Bernard: \u00abLe genre humain souffre d\u2019une triple maladie, la\nnaissance, la vie et la mort. Avant le Christ, la naissance \u00e9tait\nimpure, la vie perverse, la mort dangereuse. Mais le Christ est venu, et\ncontre ce triple mal nous a apport\u00e9 un triple rem\u00e8de. Sa naissance a\npurifi\u00e9 la n\u00f4tre; sa vie a instruit la n\u00f4tre; sa mort a d\u00e9truit la\nn\u00f4tre.\u00bb\n4\u00ba Enfin la Nativit\u00e9 a eu lieu pour humilier notre orgueil. Car, ainsi\nque le dit saint Augustin: \u00abL\u2019humilit\u00e9 qu\u2019a montr\u00e9e le fils de Dieu dans\nson incarnation nous sert \u00e0 la fois d\u2019exemple, de cons\u00e9cration, et de\nm\u00e9dicament. Elle nous sert d\u2019exemple pour nous apprendre \u00e0 \u00eatre humbles\nnous-m\u00eames; de cons\u00e9cration, parce qu\u2019elle nous d\u00e9livre des liens du\np\u00e9ch\u00e9; de m\u00e9dicament, parce qu\u2019elle gu\u00e9rit la tumeur de notre vain\norgueil.\u00bb\nVII\nSAINTE ANASTASIE, MARTYRE\n(25 d\u00e9cembre)\nAnastasie \u00e9tait d\u2019une des plus grandes familles de Rome. Elle fut \u00e9lev\u00e9e\ndans la foi du Christ par sa m\u00e8re Fantaste, et par le bienheureux\nChrysogone. Mari\u00e9e contre son gr\u00e9 \u00e0 un certain Publius, elle feignait un\nmal de langueur et se refusait \u00e0 la vie conjugale. Mais un jour son mari\napprit que, v\u00eatue comme une femme pauvre, et en compagnie d\u2019une de ses\nservantes, elle visitait les chr\u00e9tiens emprisonn\u00e9s, et leur portait des\nsecours. Il la fit alors enfermer et garder \u00e9troitement, lui refusant\npresque toute nourriture. Il esp\u00e9rait ainsi la faire mourir, et jouir \u00e0\nson aise de sa dot, qui \u00e9tait tr\u00e8s grande. Et elle, s\u2019attendant \u00e0 mourir\nd\u2019un jour \u00e0 l\u2019autre, \u00e9crivait des lettres d\u00e9sol\u00e9es \u00e0 Chrysogone, qui,\ndans ses r\u00e9ponses, s\u2019effor\u00e7ait de la consoler. Cependant ce fut le mari\nd\u2019Anastasie qui mourut, et Anastasie fut mise en libert\u00e9.\nElle avait trois servantes tr\u00e8s belles, qui \u00e9taient s\u0153urs. L\u2019une\ns\u2019appelait Agap\u00e8te, l\u2019autre Th\u00e9onie, la troisi\u00e8me Ir\u00e8ne. Et toutes trois\n\u00e9taient chr\u00e9tiennes. Un pr\u00e9fet, qui s\u2019\u00e9tait pris d\u2019un fol amour pour\nelles, les fit enfermer dans la cuisine de la maison, sous le pr\u00e9texte\nqu\u2019elles n\u2019ob\u00e9issaient pas aux lois imp\u00e9riales; et, certaine nuit, il se\nrendit dans cette cuisine afin d\u2019assouvir sa luxure. Mais le Seigneur\nlui \u00f4ta l\u2019esprit; et voil\u00e0 que croyant avoir affaire aux trois vierges,\nil caressait et couvrait de baisers des po\u00eales, des chaudrons et\nd\u2019autres ustensiles semblables; apr\u00e8s quoi, s\u2019\u00e9tant rassasi\u00e9, il sortit\ntout noir de suie et les v\u00eatements d\u00e9chir\u00e9s. Ses esclaves, qui\nl\u2019attendaient devant la porte de la maison, quand ils le virent ainsi\narrang\u00e9, le prirent pour un d\u00e9mon, le rou\u00e8rent de coups, et s\u2019enfuirent,\nle laissant seul. Il alla trouver l\u2019empereur, pour se plaindre; et, sur\nson chemin, les uns le frappaient de verges, les autres lan\u00e7aient sur\nlui de la poussi\u00e8re et de la boue. Mais lui, ayant sur les yeux un\ncharme qui l\u2019emp\u00eachait de voir l\u2019\u00e9tat o\u00f9 il se trouvait, il s\u2019\u00e9tonnait\nque tout le monde se moqu\u00e2t de lui au lieu de l\u2019honorer comme \u00e0\nl\u2019ordinaire. Et quand enfin on lui apprit dans quel \u00e9tat il se trouvait,\nil supposa que les jeunes filles avaient us\u00e9 de sortil\u00e8ges. Il les fit\ndonc venir devant lui, et ordonna de les d\u00e9pouiller de tous leurs\nv\u00eatements, afin de pouvoir au moins les voir nues. Mais aussit\u00f4t leurs\nv\u00eatements se coll\u00e8rent \u00e0 leurs corps de telle fa\u00e7on que personne ne\npouvait les leur enlever. Et le pr\u00e9fet, au moment o\u00f9 il s\u2019appr\u00eatait \u00e0\njouir de leur vue, fut saisi d\u2019un sommeil si profond que, m\u00eame en le\npoussant, on ne parvenait pas \u00e0 le r\u00e9veiller. Enfin les trois vierges\nre\u00e7urent la couronne du martyre.\nQuant \u00e0 Anastasie, elle fut livr\u00e9e par l\u2019empereur \u00e0 un autre pr\u00e9fet,\nafin qu\u2019il la pr\u00eet pour femme, apr\u00e8s l\u2019avoir forc\u00e9e \u00e0 sacrifier aux\nidoles. Et cet homme, l\u2019ayant mise dans son lit, voulut l\u2019embrasser:\nmais aussit\u00f4t il devint aveugle. Il se fit alors conduire au temple des\ndieux, et demanda \u00e0 ceux-ci s\u2019il pouvait gu\u00e9rir. Mais les dieux lui\nr\u00e9pondirent: \u00abPour avoir voulu violer Anastasie, qui est une sainte, tu\nnous a \u00e9t\u00e9 livr\u00e9 afin d\u2019\u00eatre \u00e0 jamais tortur\u00e9 avec nous dans l\u2019enfer!\u00bb\nEt, pendant qu\u2019on le ramenait chez lui, il mourut entre les mains de ses\nesclaves.\nAlors Anastasie fut confi\u00e9e \u00e0 un autre pr\u00e9fet, qui fut charg\u00e9 de la\ngarder. Et cet homme, ayant appris qu\u2019elle \u00e9tait tr\u00e8s riche, lui dit en\nsecret: \u00abAnastasie, si vraiment tu es chr\u00e9tienne, tu dois faire ce que\nt\u2019ordonne ton Ma\u00eetre. Or celui-ci ordonne \u00e0 ses disciples de renoncer \u00e0\ntout ce qu\u2019ils poss\u00e8dent. Donne-moi donc tout ce que tu poss\u00e8des, et\nva-t\u2019en o\u00f9 tu voudras! Ainsi tu seras une vraie chr\u00e9tienne.\u00bb Mais elle\nlui r\u00e9pondit: \u00abDieu m\u2019a ordonn\u00e9, en effet, de donner tout ce que\nj\u2019avais, mais de le donner aux pauvres et non aux riches. Or tu es\nriche: j\u2019agirais contre les pr\u00e9ceptes de mon Dieu en te donnant quelque\nchose!\u00bb\nAnastasie fut alors jet\u00e9e en prison, pour y mourir de faim; mais sainte\nTh\u00e9odore, qui avait d\u00e9j\u00e0 obtenu la couronne du martyre, la nourrit\npendant deux mois de la manne c\u00e9leste. Enfin elle fut conduite avec deux\ncents vierges, dans l\u2019\u00eele Palmaria, o\u00f9 de nombreux chr\u00e9tiens \u00e9taient\nrel\u00e9gu\u00e9s. Et, quelques jours apr\u00e8s son arriv\u00e9e, le pr\u00e9fet du lieu manda\ndevant lui tous les chr\u00e9tiens. Il fit attacher Anastasie \u00e0 un poteau et\nla fit br\u00fbler vive; puis il fit p\u00e9rir les autres chr\u00e9tiens en des\nsupplices divers. Et il y avait parmi ces chr\u00e9tiens un homme que l\u2019on\navait d\u00e9pouill\u00e9 de toutes ses richesses, et qui r\u00e9p\u00e9tait toujours: \u00abDe\nJ\u00e9sus-Christ, du moins, vous ne pourrez pas me d\u00e9pouiller!\u00bb Sainte\nAppolonie fit enlever le corps de sainte Anastasie et l\u2019ensevelit dans\nson jardin, o\u00f9 une \u00e9glise fut \u00e9lev\u00e9e en son honneur. Le martyre de\nsainte Anastasie eut lieu sous le r\u00e8gne de Diocl\u00e9tien, r\u00e8gne qui\ncommen\u00e7a vers l\u2019an du Seigneur 287.\nVIII\nSAINT \u00c9TIENNE, PREMIER MARTYR\n(26 d\u00e9cembre)\nI. Etienne fut un des sept diacres ordonn\u00e9s par les ap\u00f4tres pour le\nminist\u00e8re sacr\u00e9. On sait, en effet, que, le nombre des disciples se\nmultipliant, les chr\u00e9tiens d\u2019origine \u00e9trang\u00e8re se mirent \u00e0 murmurer\ncontre les chr\u00e9tiens d\u2019origine juive, parce que les veuves \u00e9taient\nn\u00e9glig\u00e9es dans le minist\u00e8re quotidien. La cause de ces murmures peut\n\u00eatre comprise de deux fa\u00e7ons: ou bien les veuves n\u2019\u00e9taient pas admises\ndans le minist\u00e8re, ou bien encore elles y avaient trop de travail, les\nap\u00f4tres leur ayant confi\u00e9 les soins mat\u00e9riels du culte afin de pouvoir\nse consacrer enti\u00e8rement \u00e0 la pr\u00e9dication. Toujours est-il que les\nap\u00f4tres, en pr\u00e9sence de ce murmure, r\u00e9unirent la foule des fid\u00e8les et\ndirent: \u00abIl n\u2019est pas raisonnable que nous d\u00e9laissions la pr\u00e9dication de\nla parole de Dieu pour nous occuper des soins mat\u00e9riels et pour servir\naux tables. Choisissez donc, fr\u00e8res, sept hommes d\u2019entre vous qui aient\nbonne r\u00e9putation et qui soient pleins de l\u2019Esprit-Saint, afin que nous\nleur commettions cet emploi! Et ainsi nous pourrons continuer \u00e0 nous\noccuper de prier et de pr\u00eacher.\u00bb Cette proposition plut \u00e0 toute\nl\u2019assembl\u00e9e. On \u00e9lut sept hommes, dont le premier \u00e9tait Etienne; et on\nles pr\u00e9senta aux ap\u00f4tres qui, apr\u00e8s avoir pri\u00e9, leur impos\u00e8rent les\nmains.\nOr, Etienne, plein de foi et de courage, faisait de grands miracles\nparmi le peuple. Alors les Juifs, le jalousant et d\u00e9sirant se d\u00e9faire de\nlui, engag\u00e8rent la lutte contre lui de trois fa\u00e7ons: en discutant avec\nlui, en subornant de faux t\u00e9moins contre lui, et en le torturant. Mais\nlui, il eut le dessus dans la discussion: il convainquit de fausset\u00e9 les\nfaux t\u00e9moins, et il triompha de ceux qui le torturaient. Dans cette\ntriple lutte, il re\u00e7ut du ciel un triple secours. Dans la discussion, il\nre\u00e7ut le secours de l\u2019Esprit-Saint, qui lui donna la sagesse. Devant les\nfaux t\u00e9moins, son visage rev\u00eatit une puret\u00e9 ang\u00e9lique qui fit taire\nleurs t\u00e9moignages. Et dans la torture le Christ lui apparut, l\u2019aidant \u00e0\nsupporter le martyre. Quant au d\u00e9tail du discours qu\u2019il tint aux Juifs,\nnous le trouvons \u00e9nonc\u00e9 tout au long au chapitre VII des _Actes des\nAp\u00f4tres_.\nEt comme les Juifs, entendant les paroles du saint, \u00e9taient transport\u00e9s\nde rage et le mena\u00e7aient, Etienne \u00e9tant rempli du Saint-Esprit et tenant\nles yeux lev\u00e9s au ciel, s\u2019\u00e9cria: \u00abVoici, je vois les cieux ouverts et\nJ\u00e9sus assis \u00e0 la droite de Dieu!\u00bb Alors ils pouss\u00e8rent de grands cris et\nse bouch\u00e8rent les oreilles, comme pour ne pas l\u2019entendre blasph\u00e9mer; et\nils se jet\u00e8rent tous ensemble sur lui, et, l\u2019ayant tra\u00een\u00e9 hors de la\nville, ils le lapid\u00e8rent. Et les deux faux t\u00e9moins, qui avaient \u00e0 lui\njeter la premi\u00e8re pierre, \u00f4t\u00e8rent leurs v\u00eatements, soit pour \u00e9viter de\nles souiller au contact d\u2019Etienne, ou pour avoir plus de force; et ils\nles mirent aux pieds d\u2019un adolescent qui s\u2019appelait Saul, et qui fut\nplus tard saint Paul: de telle sorte que celui-ci, gardant les v\u00eatements\nde ceux qui lapidaient Etienne, pour les aider dans leur office, peut\n\u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme ayant contribu\u00e9 lui-m\u00eame \u00e0 le lapider. Et pendant\nqu\u2019on le lapidait, Etienne priait, disant: \u00abSeigneur J\u00e9sus, re\u00e7ois mon\nesprit!\u00bb Puis, s\u2019\u00e9tant mis \u00e0 genoux, il cria \u00e0 haute voix: \u00abSeigneur, ne\nleur impute pas \u00e0 p\u00e9ch\u00e9 ce qu\u2019ils font!\u00bb En quoi le martyr imitait le\nChrist, qui, dans sa passion, avait pri\u00e9 d\u2019abord pour soi, disant: \u00abMon\nP\u00e8re, je te livre mon \u00e2me!\u00bb et avait ensuite pri\u00e9 pour ses bourreaux,\ndisant: \u00abMon P\u00e8re, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu\u2019ils font!\u00bb\nEt l\u2019auteur des _Actes_ ajoute qu\u2019apr\u00e8s avoir ainsi parl\u00e9 Etienne\n\u00abs\u2019endormit dans le Seigneur\u00bb. Expression belle et juste: car le saint\nne mourut pas, il \u00abs\u2019endormit\u00bb dans l\u2019espoir de la r\u00e9surrection.\nLe martyre d\u2019Etienne eut lieu l\u2019ann\u00e9e m\u00eame de l\u2019Ascension du Seigneur,\nle troisi\u00e8me jour d\u2019ao\u00fbt. Saint Gamaliel et Nicod\u00e8me, qui soutenaient\nles int\u00e9r\u00eats des chr\u00e9tiens dans tous les conseils des Juifs,\nensevelirent saint Etienne dans le champ dudit Gamaliel, et un grand\ndeuil eut lieu en son honneur; et une pers\u00e9cution violente s\u2019\u00e9leva,\nbient\u00f4t apr\u00e8s, contre tous les chr\u00e9tiens qui \u00e9taient \u00e0 J\u00e9rusalem, \u00e0 tel\npoint que tous durent se disperser dans les divers quartiers de la Jud\u00e9e\net de la Samarie, \u00e0 l\u2019exception des ap\u00f4tres, qui, sans doute, allaient\nau-devant de la mort au lieu de la fuir.\nII. Saint Augustin rapporte que le bienheureux Etienne s\u2019est illustr\u00e9\npar d\u2019innombrables miracles: qu\u2019il a six fois ressuscit\u00e9 des morts, et\ngu\u00e9ri une foule de malades. Le m\u00eame auteur rapporte qu\u2019on avait coutume\nde mettre des fleurs sur l\u2019autel de saint Etienne, qui, plac\u00e9es ensuite\nsur des malades, les gu\u00e9rissaient; et que les linges d\u00e9pos\u00e9s sur\nl\u2019autel, et plac\u00e9s ensuite sur des malades, gu\u00e9rissaient en particulier\nles maladies de la moelle. Au livre XXII de sa _Cit\u00e9 de Dieu_, il\nraconte le miracle d\u2019une femme aveugle qui fut rendue \u00e0 la lumi\u00e8re par\nle contact d\u2019une fleur prise sur l\u2019autel du saint. Il raconte aussi\nl\u2019histoire de l\u2019un des hommes les plus consid\u00e9rables de la ville\nd\u2019Hippone, nomm\u00e9 Martial, qui \u00e9tait infid\u00e8le et refusait de se\nconvertir. Cet homme \u00e9tant malade, son gendre, qui \u00e9tait chr\u00e9tien, se\nrendit \u00e0 l\u2019\u00e9glise de saint Etienne, y prit des fleurs sur l\u2019autel, et\nles posa en secret sous la t\u00eate de son beau-p\u00e8re. Et celui-ci, d\u00e8s qu\u2019au\npetit jour il se r\u00e9veilla, envoya chercher l\u2019\u00e9v\u00eaque. L\u2019\u00e9v\u00eaque se\ntrouvait absent, mais un pr\u00eatre vint chez Martial, et celui-ci demanda \u00e0\n\u00eatre baptis\u00e9. Et, aussi longtemps qu\u2019il v\u00e9cut, il r\u00e9p\u00e9ta ces mots:\n\u00abSeigneur J\u00e9sus, re\u00e7ois mon esprit!\u00bb sans se douter que c\u2019\u00e9taient les\nderni\u00e8res paroles du bienheureux Etienne.\nIII. Autre miracle rapport\u00e9 par saint Augustin. Certaine matrone nomm\u00e9e\nP\u00e9tronie, qui souffrait depuis longtemps d\u2019une grave maladie contre\nlaquelle tous les rem\u00e8des avaient \u00e9chou\u00e9, s\u2019avisa de consulter un Juif,\nqui lui donna une bague orn\u00e9e d\u2019une pierre, lui disant de se l\u2019appliquer\n\u00e0 nu sur le corps. Et P\u00e9tronie suivit le conseil, mais n\u2019en retira aucun\nbien. Elle se rendit alors \u00e0 l\u2019\u00e9glise du Premier Martyr, et demanda sa\ngu\u00e9rison \u00e0 saint Etienne. Aussit\u00f4t la bague du Juif, qu\u2019elle avait\nattach\u00e9e par une corde pass\u00e9e autour de ses reins, tomba \u00e0 terre, sans\nque ni la corde ni la bague fussent rompues. Et, depuis cet instant, la\ndame fut gu\u00e9rie.\nIV. Autre miracle, non moins \u00e9tonnant, rapport\u00e9 par saint Augustin. A\nC\u00e9sar\u00e9e de Cappadoce vivait une dame noble qui \u00e9tait veuve, mais qui\navait le bonheur d\u2019avoir dix enfants, dont sept gar\u00e7ons et trois filles.\nOr, un jour, la m\u00e8re, se jugeant offens\u00e9e par ses enfants, les maudit;\net aussit\u00f4t, sous l\u2019effet de la mal\u00e9diction maternelle, les dix enfants\nfurent frapp\u00e9s d\u2019une m\u00eame peine, la plus effroyable du monde. Ils se\nvirent atteints d\u2019un tremblement de tous les membres qui ne se rel\u00e2chait\nni le jour, ni la nuit. N\u2019osant s\u2019exposer \u00e0 la vue de leurs concitoyens,\nils quitt\u00e8rent la ville et se dispers\u00e8rent \u00e0 travers le monde, attirant\npartout sur eux l\u2019attention g\u00e9n\u00e9rale. Deux d\u2019entre eux, un fr\u00e8re et sa\ns\u0153ur, nomm\u00e9s Paul et Palladie, arriv\u00e8rent ainsi \u00e0 Hippone, et\nracont\u00e8rent leur histoire \u00e0 saint Augustin, qui \u00e9tait \u00e9v\u00eaque de cette\nville. On \u00e9tait alors quinze jours avant P\u00e2ques, et les deux infortun\u00e9s\nse rendaient tous les matins \u00e0 l\u2019\u00e9glise de saint Etienne, suppliant le\nsaint d\u2019avoir piti\u00e9 d\u2019eux. Or, le jour de P\u00e2ques, en pr\u00e9sence de la\nfoule, Paul p\u00e9n\u00e9tra soudain dans la chapelle du saint, se prosterna\npieusement devant l\u2019autel; et tout le monde le vit ensuite se relever\ngu\u00e9ri; et il fut \u00e0 jamais d\u00e9livr\u00e9 de son tremblement. Puis sa s\u0153ur\nPalladie entra \u00e0 son tour dans la chapelle, et parut soudain frapp\u00e9e\nd\u2019un sommeil dont elle se r\u00e9veilla tout \u00e0 fait gu\u00e9rie. Le fr\u00e8re et la\ns\u0153ur furent montr\u00e9s \u00e0 la foule, et de grandes actions de gr\u00e2ces furent\nadress\u00e9es \u00e0 saint Etienne pour leur gu\u00e9rison.\nNous avons oubli\u00e9 de dire qu\u2019Orose, revenant de chez saint J\u00e9r\u00f4me, avait\nrapport\u00e9 \u00e0 saint Augustin des reliques de saint Etienne, et que ce sont\nces reliques qui ont op\u00e9r\u00e9 les miracles ci-dessus, et bien d\u2019autres\nencore.\nV. Nous devons noter enfin que ce n\u2019est pas le 26 d\u00e9cembre que saint\nEtienne a subi le martyre, mais le 3 ao\u00fbt, jour o\u00f9 l\u2019Eglise f\u00eate\nl\u2019Invention de ce saint. Pourquoi cela se fait ainsi, c\u2019est ce que nous\ndirons quand nous aurons \u00e0 parler de l\u2019Invention de saint Etienne. Mais\ndisons, d\u00e8s maintenant, que c\u2019est pour une double cause que l\u2019Eglise a\nplac\u00e9 tout de suite apr\u00e8s la Nativit\u00e9 du Seigneur les trois f\u00eates de\nsaint Jean l\u2019Evang\u00e9liste, de saint Etienne et des saints Innocents.\nD\u2019abord, l\u2019Eglise a voulu adjoindre au Christ ses premiers compagnons;\net la seconde cause est que l\u2019Eglise a voulu r\u00e9unir les trois genres de\nmartyres dans le voisinage de la naissance du Christ, qui est la raison\npremi\u00e8re de tous les martyres. Car il y a trois genres de martyres: le\npremier \u00e0 la fois de volont\u00e9 et de fait, le second de volont\u00e9 et non de\nfait, le troisi\u00e8me de fait et non de volont\u00e9. Or le premier de ces\nmartyres a eu pour premier repr\u00e9sentant saint Etienne, le second saint\nJean, et le troisi\u00e8me les saints Innocents.\nIX\nSAINT JEAN, AP\u00d4TRE ET \u00c9VANG\u00c9LISTE\n(27 d\u00e9cembre)\nLa vie de saint Jean l\u2019Evang\u00e9liste a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite par Milet, \u00e9v\u00eaque de\nLaodic\u00e9e: un r\u00e9sum\u00e9 en a \u00e9t\u00e9 fait par Isidore, dans sa _Vie et Mort des\nSaints_.\nI. L\u2019ap\u00f4tre et \u00e9vang\u00e9liste Jean, lorsque apr\u00e8s la Pentec\u00f4te les ap\u00f4tres\nse s\u00e9par\u00e8rent, se rendit en Asie, o\u00f9 il fonda de nombreuses \u00e9glises. Or,\nl\u2019empereur Domitien, ayant appris sa renomm\u00e9e, le manda \u00e0 Rome, et le\nfit plonger dans une chaudi\u00e8re d\u2019huile bouillante; mais le saint en\nsortit sain et sauf, de m\u00eame qu\u2019il avait \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la corruption des\nsens. Ce que voyant, l\u2019empereur le rel\u00e9gua en exil dans l\u2019\u00eele de Patmos,\no\u00f9, vivant seul, il \u00e9crivit l\u2019_Apocalypse_. Mais, la m\u00eame ann\u00e9e, le\ncruel empereur fut tu\u00e9, et le S\u00e9nat r\u00e9voqua tout ce qu\u2019il avait d\u00e9cr\u00e9t\u00e9.\nAinsi arriva que saint Jean, qui avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9port\u00e9 comme un criminel,\nrevint \u00e0 Eph\u00e8se couvert d\u2019honneurs; et toute la foule accourait\nau-devant de lui, disant: \u00abB\u00e9ni celui qui vient au nom du Seigneur!\u00bb Or,\ncomme il entrait dans la ville, il rencontra le cort\u00e8ge qui conduisait\nles restes mortels d\u2019une femme nomm\u00e9e Drusienne, qui autrefois avait \u00e9t\u00e9\nsa plus fid\u00e8le amie, et qui, plus que personne, avait souhait\u00e9 son\nretour. Et les parents de cette femme, et les veuves et les orphelins\nd\u2019Eph\u00e8se, dirent \u00e0 saint Jean: \u00abVoici que nous portons en terre\nDrusienne, qui toujours, suivant tes conseils, nous nourrissait tous de\nla parole divine, et qui plus que personne souhaitait ton retour,\ndisant: \u00abOh, si je pouvais revoir l\u2019ap\u00f4tre de Dieu avant de mourir.\u00bb Et\nvoici que tu es revenu, et qu\u2019elle n\u2019a pas pu te revoir!\u00bb Alors l\u2019ap\u00f4tre\nfit d\u00e9poser \u00e0 terre le cercueil, le fit ouvrir, et dit: \u00abDrusienne, mon\nma\u00eetre J\u00e9sus-Christ te ressuscite! L\u00e8ve-toi, va dans ta maison, et\npr\u00e9pare-moi mon repas!\u00bb Et aussit\u00f4t elle se leva et s\u2019en alla vers sa\nmaison, avec l\u2019impression de s\u2019\u00eatre \u00e9veill\u00e9e du sommeil, et non de la\nmort.\nII. Le lendemain de l\u2019arriv\u00e9e de saint Jean \u00e0 Eph\u00e8se, un philosophe\nnomm\u00e9 Craton convoqua le peuple, sur la place, pour lui montrer comment\non devait m\u00e9priser le monde. Il avait ordonn\u00e9 \u00e0 deux jeunes gens tr\u00e8s\nriches de vendre tout leur patrimoine, pour acheter en \u00e9change des\ndiamants d\u2019un prix \u00e9norme; et, sur son ordre, ces jeunes gens avaient\nbris\u00e9 leurs diamants en pr\u00e9sence de tous. Or, l\u2019ap\u00f4tre passait par\nhasard sur la place: il appela le philosophe, et lui prouva tout ce\nqu\u2019avait de bl\u00e2mable une telle fa\u00e7on de m\u00e9priser le monde: car le d\u00e9dain\ndes richesses n\u2019est m\u00e9ritoire que lorsque les richesses d\u00e9daign\u00e9es\nservent au bien des pauvres, et c\u2019est pour cela que le Seigneur a dit au\njeune homme de l\u2019Evangile: \u00abSi tu veux \u00eatre parfait, va vendre tous tes\nbiens et donnes-en le produit aux pauvres!\u00bb Alors Craton lui dit: \u00abSi\nvraiment ton ma\u00eetre est Dieu, et s\u2019il veut que le prix de ces diamants\nprofite aux pauvres, fais qu\u2019ils reprennent leur int\u00e9grit\u00e9, r\u00e9alisant\nainsi \u00e0 la gloire de ton Ma\u00eetre ce que j\u2019ai su r\u00e9aliser en vue de la\ngloire humaine!\u00bb Alors saint Jean r\u00e9unit dans sa main les fragments des\npierres pr\u00e9cieuses, et pria; et aussit\u00f4t les pierres redevinrent telles\nqu\u2019avant d\u2019\u00eatre bris\u00e9es, et le philosophe et les deux jeunes gens\ncrurent en J\u00e9sus, et le produit des diamants fut distribu\u00e9 aux pauvres.\nIII. Mais un jour ces deux jeunes gens, voyant leurs anciens esclaves\nv\u00eatus de manteaux de prix, tandis qu\u2019eux-m\u00eames \u00e9taient mis comme des\nmendiants, commenc\u00e8rent \u00e0 se d\u00e9soler. Ce que voyant sur leurs visages,\nsaint Jean se fit apporter du bord de la mer des roseaux et des pierres,\net les changea en or et en diamants. Et, sur son ordre, tous les\norf\u00e8vres de la ville examin\u00e8rent pendant sept jours l\u2019or et les diamants\nainsi obtenus; et quand ils eurent d\u00e9clar\u00e9 n\u2019en avoir jamais vu d\u2019aussi\npurs, le saint dit aux deux jeunes gens: \u00abAllez, et rachetez les terres\nque vous avez vendues! Puisque vous avez perdu les tr\u00e9sors du ciel,\nsoyez florissants, mais afin de vous dess\u00e9cher; soyez riches\ntemporellement, mais afin d\u2019\u00eatre mendiants dans l\u2019\u00e9ternit\u00e9!\u00bb Et il se\nmit alors \u00e0 parler des richesses, d\u00e9nombrant les six motifs qui doivent\nnous emp\u00eacher d\u2019un d\u00e9sir immod\u00e9r\u00e9 des biens terrestres. Le premier de\nces motifs est le texte \u00e9crit: et saint Jean raconta l\u2019histoire du riche\net de Lazare le pauvre. Le second motif est la nature: l\u2019homme na\u00eet nu\net meurt de m\u00eame. Le troisi\u00e8me motif est la cr\u00e9ation: car de m\u00eame que le\nsoleil, la lune, les \u00e9toiles, l\u2019air, sont communs \u00e0 tous et partagent\nentre tous leurs bienfaits, de m\u00eame entre les hommes tout devrait \u00eatre\ncommun. Le quatri\u00e8me motif est le hasard des richesses. Le cinqui\u00e8me est\nle souci qu\u2019elles imposent. Enfin le sixi\u00e8me motif est les mauvaises\ncons\u00e9quences qu\u2019entra\u00eene la possession des richesses, aussi bien dans\ncette vie que dans la future.\nIV. Et, pendant que saint Jean parlait ainsi contre les richesses, il\nrencontra le convoi d\u2019un jeune homme, mort apr\u00e8s trente jours de\nmariage. Alors la m\u00e8re et la veuve de ce jeune homme, et tous ses amis,\nse jet\u00e8rent en pleurant aux pieds de l\u2019ap\u00f4tre, le suppliant de\nressusciter le mort au nom de Dieu, comme il avait ressuscit\u00e9 Drusienne.\nEt l\u2019ap\u00f4tre, apr\u00e8s avoir longtemps pleur\u00e9 et pri\u00e9, ressuscita le jeune\nhomme, et lui dit de raconter aux deux jeunes riches le ch\u00e2timent qu\u2019ils\navaient encouru et la gloire qu\u2019ils avaient perdue. Alors le ressuscit\u00e9\nparla de la gloire du paradis et des ch\u00e2timents de l\u2019enfer, dont il\nvenait d\u2019\u00eatre t\u00e9moin. Il dit aux deux riches, qu\u2019ils avaient perdu des\npalais \u00e9ternels, construits de pierres brillantes, \u00e9clair\u00e9s d\u2019une\nlumi\u00e8re merveilleuse, pourvus de mets exquis, et tout remplis de joies\net de d\u00e9lices. Et il leur dit les huit peines de l\u2019enfer, qu\u2019on a\nr\u00e9sum\u00e9es dans ce distique: \u00abLes vers et les t\u00e9n\u00e8bres, le fouet, le froid\net le feu,--la vue du diable, le remords, le d\u00e9sespoir.\u00bb Puis il ajouta,\ns\u2019adressant aux deux riches: \u00abEt j\u2019ai vu vos anges gardiens qui\npleuraient, qui g\u00e9missaient. O malheureux que vous \u00eates!\u00bb Alors le\nressuscit\u00e9 et les deux riches, se prosternant aux genoux de l\u2019ap\u00f4tre, le\nsuppli\u00e8rent d\u2019invoquer le pardon du ciel. Et l\u2019ap\u00f4tre dit aux deux\njeunes gens: \u00abFaites p\u00e9nitence pendant trente jours, et priez que les\nroseaux et les pierres reprennent leur ancienne forme!\u00bb C\u2019est ce qu\u2019ils\nfirent, et les roseaux et les pierres reprirent leur ancienne forme, et\nles deux riches obtinrent leur pardon.\nV. Et lorsque saint Jean eut pr\u00each\u00e9 dans toute l\u2019Asie, les adorateurs\ndes idoles le tra\u00een\u00e8rent au temple de Diane, voulant le forcer \u00e0\nsacrifier \u00e0 cette d\u00e9esse. Alors le saint leur offrit cette alternative:\nil leur dit que si, en invoquant Diane, ils parvenaient \u00e0 renverser\nl\u2019\u00e9glise du Christ, il sacrifierait \u00e0 Diane, mais que si, au contraire,\nc\u2019\u00e9tait lui qui, en invoquant le Christ, d\u00e9truisait le temple de Diane,\nils auraient \u00e0 croire au Christ. La plus grande partie du peuple ayant\nconsenti \u00e0 cette \u00e9preuve, Jean fit sortir du temple tous ceux qui s\u2019y\ntrouvaient; puis il pria, et le temple s\u2019\u00e9croula, et la statue de Diane\nfut r\u00e9duite en miettes.\nAlors le grand pr\u00eatre Aristod\u00e8me souleva une s\u00e9dition dans le peuple, au\npoint que les deux partis s\u2019appr\u00eataient \u00e0 en venir aux mains. Et\nl\u2019ap\u00f4tre lui dit: \u00abQue veux-tu que je fasse pour t\u2019apaiser?\u00bb Et lui: \u00abSi\ntu veux que je croie en ton Dieu, je te donnerai du poison \u00e0 boire, et,\ns\u2019il ne te fait aucun mal, c\u2019est que ton Dieu sera le vrai Dieu.\u00bb Et\nl\u2019ap\u00f4tre: \u00abFais comme tu l\u2019as dit!\u00bb Et lui: \u00abMais je veux que d\u2019abord tu\nvoies mourir d\u2019autres hommes par l\u2019effet de ce poison, pour en constater\nla puissance!\u00bb Et Aristod\u00e8me demanda au proconsul de lui livrer deux\ncondamn\u00e9s \u00e0 mort: il leur donna \u00e0 boire du poison, et aussit\u00f4t ils\nmoururent. Alors l\u2019ap\u00f4tre prit \u00e0 son tour le calice, et, s\u2019\u00e9tant muni du\nsigne de la croix, il but tout le poison et n\u2019en \u00e9prouva aucun mal: sur\nquoi tous se mirent \u00e0 louer Dieu. Mais Aristod\u00e8me dit: \u00abUn doute me\nreste encore; mais s\u2019il ressuscite les deux hommes qui sont morts par le\npoison, je ne douterai plus, et croirai au Christ.\u00bb L\u2019ap\u00f4tre, sans lui\nr\u00e9pondre, lui donna son manteau. Et lui: \u00abPourquoi me donnes-tu ton\nmanteau? Penses-tu qu\u2019il me transmettra ta foi?\u00bb Et saint Jean: \u00abVa\n\u00e9tendre ce manteau sur les cadavres des deux morts en disant: l\u2019ap\u00f4tre\ndu Christ m\u2019envoie vers vous, pour que vous ressuscitiez au nom du\nChrist!\u00bb Et Aristod\u00e8me fit ainsi, et aussit\u00f4t les deux morts\nressuscit\u00e8rent. Alors l\u2019ap\u00f4tre baptisa le grand pr\u00eatre et le proconsul\navec toute sa famille; et ceux-ci, plus tard, \u00e9lev\u00e8rent une \u00e9glise en\nl\u2019honneur de saint Jean.\nVI. Saint Cl\u00e9ment rapporte, ainsi qu\u2019on le lit au livre quatri\u00e8me de\nl\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_, qu\u2019un jour saint Jean convertit certain\njeune homme brave et beau, et le confia au soin d\u2019un \u00e9v\u00eaque, comme un\nd\u00e9p\u00f4t. Or, quelque temps apr\u00e8s, le jeune homme abandonna l\u2019\u00e9v\u00eaque pour\ndevenir chef de brigands. Et, l\u2019ap\u00f4tre ayant ensuite redemand\u00e9 \u00e0\nl\u2019\u00e9v\u00eaque le d\u00e9p\u00f4t qu\u2019il lui avait confi\u00e9, l\u2019\u00e9v\u00eaque r\u00e9pondit: \u00abMon p\u00e8re\nv\u00e9n\u00e9r\u00e9, cet homme est mort, quant \u00e0 l\u2019\u00e2me; il demeure maintenant sur une\nmontagne, avec des brigands dont il est le chef.\u00bb Ce qu\u2019entendant,\nl\u2019ap\u00f4tre d\u00e9chira son manteau et se frappa la t\u00eate de ses poings; et\naussit\u00f4t il se fit seller un cheval, et monta, sans escorte, sur la\nmontagne o\u00f9 \u00e9tait le brigand. Mais celui-ci, pris de honte \u00e0 sa vue,\nenfourcha son cheval et s\u2019enfuit. Or, l\u2019ap\u00f4tre, oubliant son \u00e2ge, se mit\n\u00e0 le poursuivre, en lui criant: \u00abH\u00e9, quoi, fils bien-aim\u00e9, tu fuis ton\np\u00e8re, qui n\u2019est qu\u2019un vieillard sans armes? Ne crains rien, mon fils,\ncar je rendrai compte pour toi au Christ, et je t\u2019assure que bien\nvolontiers je mourrai pour toi, de m\u00eame que le Christ est mort pour\nnous! Reviens, mon fils, reviens! C\u2019est le Seigneur qui m\u2019envoie!\u00bb En\nentendant ces paroles, le jeune homme se retourna, s\u2019approcha du saint,\net fondit en larmes. Alors l\u2019ap\u00f4tre se jeta \u00e0 ses pieds, lui prit la\nmain, et la couvrit de baisers. Et il pria et je\u00fbna pour lui, et obtint\nson pardon; et, plus tard, il l\u2019ordonna \u00e9v\u00eaque.\nVII. Cassien, dans son livre des _Collations_, raconte ceci. On offrit\nun jour \u00e0 saint Jean une perdrix vivante; et comme le saint la caressait\ndans sa main, un adolescent dit en riant \u00e0 ses camarades: \u00abVoyez donc ce\nvieillard qui joue avec un oiseau, comme un enfant!\u00bb Alors, saint Jean,\ndevinant la pens\u00e9e de l\u2019adolescent, l\u2019appela et lui demanda pourquoi il\ntenait en main un arc et des fl\u00e8ches. Et l\u2019adolescent: \u00abC\u2019est pour viser\ndes oiseaux au vol!\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre: \u00abComment fais-tu cela?\u00bb Alors le jeune\nhomme tendit son arc, et le garda tendu dans sa main. Mais, comme\nl\u2019ap\u00f4tre ne lui disait rien, il ne tarda pas \u00e0 d\u00e9tendre son arc. Alors\nsaint Jean: \u00abMon fils, pourquoi as-tu d\u00e9band\u00e9 ton arc?\u00bb Et lui: \u00abSi je\nl\u2019avais tenu band\u00e9 plus longtemps, il serait devenu faible pour lancer\ndes fl\u00e8ches.\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre: \u00abDe m\u00eame, notre fragile nature humaine\ns\u2019affaiblirait pour la contemplation, si, persistant dans sa rigueur,\nelle refusait de c\u00e9der parfois \u00e0 sa fragilit\u00e9. Ne sais-tu pas que\nl\u2019aigle, qui vole plus haut que tous les autres oiseaux, et qui regarde\nle soleil en face, doit cependant, de par sa nature, descendre vers la\nterre: de m\u00eame l\u2019esprit humain, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre un peu rel\u00e2ch\u00e9 de la\ncontemplation des choses c\u00e9lestes, y revient ensuite avec plus\nd\u2019ardeur.\u00bb\nVIII. Et saint J\u00e9r\u00f4me nous rapporte ceci: \u00abSaint Jean, qui demeura \u00e0\nEph\u00e8se jusqu\u2019\u00e0 l\u2019extr\u00eame vieillesse, devint si faible que ses disciples\navaient \u00e0 le porter \u00e0 l\u2019\u00e9glise, et qu\u2019il pouvait \u00e0 peine ouvrir la\nbouche; mais \u00e0 tout instant il r\u00e9p\u00e9tait cette seule et m\u00eame phrase: \u00abMes\nenfants, aimez-vous les uns les autres!\u00bb Or, un jour, les fid\u00e8les qui\n\u00e9taient pr\u00e8s de lui, s\u2019\u00e9tonnant de ce qu\u2019il r\u00e9p\u00e9t\u00e2t toujours la m\u00eame\nchose, lui en demand\u00e8rent le motif. Et le saint leur r\u00e9pondit: \u00abParce\nque c\u2019est le grand pr\u00e9cepte du Seigneur; et, si seulement on applique\ncelui-l\u00e0, cela suffit.\u00bb\nIX. H\u00e9linand rapporte, d\u2019autre part, que lorsque saint Jean eut \u00e0 \u00e9crire\nson \u00e9vangile, il ordonna d\u2019abord aux fid\u00e8les de je\u00fbner et de prier, afin\nque Dieu l\u2019inspir\u00e2t. Et quand, ensuite, il se fut retir\u00e9 dans le lieu\nsolitaire o\u00f9 il allait \u00e9crire le livre divin, il pria que ce livre f\u00fbt\nabrit\u00e9 contre l\u2019outrage des vents et des pluies. Et l\u2019on dit que,\naujourd\u2019hui encore, ce lieu est respect\u00e9 par les \u00e9l\u00e9ments.\nX. Enfin voici ce que nous lisons dans le livre d\u2019Isidore: \u00abQuand saint\nJean fut arriv\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e2ge de quatre-vingt-dix-huit ans, l\u2019an\nsoixante-septi\u00e8me de la passion du Seigneur, J\u00e9sus lui apparut avec ses\ndisciples et lui dit: \u00abViens \u00e0 moi, mon bien-aim\u00e9, car voici le temps o\u00f9\ntu vas pouvoir manger \u00e0 ma table avec tes fr\u00e8res!\u00bb Et saint Jean se\nlevant se mit en marche. Mais J\u00e9sus lui dit: \u00abNon, c\u2019est dimanche que tu\nviendras \u00e0 moi.\u00bb Donc, le dimanche suivant, tout le peuple s\u2019assembla\ndans l\u2019\u00e9glise. Et saint Jean, retrouvant ses forces, pr\u00eacha d\u00e8s le chant\ndu coq, leur disant d\u2019\u00eatre stables dans la foi et fervents pour les\nordres du Christ. Apr\u00e8s quoi il fit creuser, pr\u00e8s de l\u2019autel, une fosse\ncarr\u00e9e, et il en fit jeter la terre hors de l\u2019\u00e9glise; et, descendant\ndans la fosse et \u00e9tendant les mains vers le ciel, il dit: \u00abInvit\u00e9 \u00e0 ta\ntable, mon Seigneur J\u00e9sus-Christ, voici que je viens, en te remerciant\nd\u2019avoir daign\u00e9 m\u2019inviter, car tu sais que je l\u2019ai d\u00e9sir\u00e9 de tout mon\nc\u0153ur!\u00bb Lorsqu\u2019il eut ainsi pri\u00e9, une lumi\u00e8re aveuglante l\u2019entoura. Et\nlorsque la lumi\u00e8re se dissipa, le saint avait disparu, et la fosse \u00e9tait\nremplie de manne; et l\u2019on dit que cette manne sort aujourd\u2019hui encore de\nla fosse, \u00e0 la mani\u00e8re d\u2019une source.\u00bb\nXI. Saint Edmond, roi d\u2019Angleterre avait coutume de ne rien refuser \u00e0\nceux qui lui demandaient au nom de saint Jean l\u2019Evang\u00e9liste. Un jour,\npendant l\u2019absence du chambellan du roi, certain p\u00e8lerin s\u2019approcha\nd\u2019Edmond et lui demanda l\u2019aum\u00f4ne au nom de saint Jean l\u2019Evang\u00e9liste. Et\nle roi, n\u2019ayant rien d\u2019autre qu\u2019il p\u00fbt lui donner, lui donna la bague de\nprix qu\u2019il portait au doigt. Or, plusieurs jours apr\u00e8s, un soldat\nanglais, qui se trouvait outremer, rencontra le m\u00eame p\u00e8lerin; et\ncelui-ci lui remit la bague, lui disant de la porter \u00e0 son roi avec ces\nparoles: \u00abCelui pour l\u2019amour de qui tu as donn\u00e9 cette bague, c\u2019est lui\nqui te la renvoie!\u00bb D\u2019o\u00f9 apparut clairement que c\u2019\u00e9tait saint Jean\nlui-m\u00eame qui s\u2019\u00e9tait montr\u00e9 au roi sous l\u2019habit d\u2019un p\u00e8lerin.\nX\nLES SAINTS INNOCENTS\n(28 d\u00e9cembre)\nLes Innocents sont appel\u00e9s de ce nom pour trois motifs, \u00e0 savoir: en\nraison de leur vie, en raison de leur martyre, et en raison de\nl\u2019innocence que leur mort leur a acquise. Ils sont innocents en raison\nde leur vie, parce qu\u2019ils ont eu une vie innocente, c\u2019est-\u00e0-dire n\u2019ont\npu, de leur vivant, nuire \u00e0 personne. Ils sont innocents en raison de\nleur martyre, parce qu\u2019ils ont souffert injustement et sans \u00eatre\ncoupables d\u2019aucun crime. Enfin ils sont innocents en raison des suites\nde leur mort, parce que leur martyre leur a conf\u00e9r\u00e9 l\u2019innocence\nbaptismale, c\u2019est-\u00e0-dire les a purifi\u00e9s du p\u00e9ch\u00e9 originel.\nI. Les Innocents ont \u00e9t\u00e9 mis \u00e0 mort par H\u00e9rode d\u2019Ascalon. L\u2019Ecriture\nSainte cite en effet trois H\u00e9rode, fameux tous trois pour leur cruaut\u00e9.\nLe premier est appel\u00e9 H\u00e9rode d\u2019Ascalon: c\u2019est sous son r\u00e8gne qu\u2019est n\u00e9\nle Seigneur et qu\u2019ont \u00e9t\u00e9 mis \u00e0 mort les Innocents. Le second s\u2019appelle\nH\u00e9rode Antipas: c\u2019est lui qui a ordonn\u00e9 la d\u00e9collation de saint Jean.\nEnfin le troisi\u00e8me est H\u00e9rode Agrippa, qui a mis \u00e0 mort saint Jacques et\na fait emprisonner saint Pierre. C\u2019est ce que r\u00e9sument ces deux vers:\n Ascalonita necat pueros, Antipa Johannem,\n Agrippa Jacobum, claudens in carcere Petrum.\nMais racontons bri\u00e8vement l\u2019histoire du premier de ces H\u00e9rode. Antipater\nl\u2019Idum\u00e9en, comme nous le lisons dans l\u2019_Histoire scholastique_, prit\npour femme une ni\u00e8ce du roi des Arabes et eut d\u2019elle un fils, qu\u2019il\nappela H\u00e9rode, et qui fut surnomm\u00e9 ensuite H\u00e9rode d\u2019Ascalon. Celui-ci\nfut fait, par C\u00e9sar-Auguste, roi de Jud\u00e9e: ce fut la premi\u00e8re fois que\nla Jud\u00e9e re\u00e7ut un roi \u00e9tranger. Cet H\u00e9rode eut \u00e0 son tour six fils:\nAntipater, Alexandre, Aristobule, Arch\u00e9la\u00fcs, H\u00e9rode Antipas, et\nPhilippe. Alexandre et Aristobule, n\u00e9s de la m\u00eame m\u00e8re, qui \u00e9tait juive,\nfurent envoy\u00e9s dans leur jeunesse, \u00e0 Rome pour s\u2019y instruire aux arts\nlib\u00e9raux; puis ils revinrent \u00e0 J\u00e9rusalem, et Alexandre devint\ngrammairien, tandis qu\u2019Aristobule se distingua par la subtilit\u00e9 de son\n\u00e9loquence. Et souvent ils se querellaient avec leur p\u00e8re au sujet de la\nsuccession au tr\u00f4ne. Puis, comme leur p\u00e8re, irrit\u00e9, contre eux, parlait\nde les d\u00e9sh\u00e9riter, ils entreprirent de le faire tuer. H\u00e9rode, pr\u00e9venu,\nles chassa; et les deux jeunes princes se rendirent \u00e0 Rome, o\u00f9 ils\nport\u00e8rent plainte contre leur p\u00e8re devant l\u2019empereur.\nCependant les mages vinrent \u00e0 J\u00e9rusalem, s\u2019informant de la naissance du\nnouveau roi que leur annon\u00e7aient les pr\u00e9sages. Et H\u00e9rode, en les\nentendant, craignit que, de la famille des vrais rois de Jud\u00e9e, un\nenfant ne f\u00fbt n\u00e9 qui pourrait le chasser comme usurpateur. Il demanda\ndonc aux rois mages de venir lui signaler l\u2019enfant royal d\u00e8s qu\u2019ils\nl\u2019auraient trouv\u00e9, feignant de vouloir adorer celui qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9 il se\nproposait de tuer. Mais les mages s\u2019en retourn\u00e8rent dans leur pays par\nune autre route. Et H\u00e9rode, ne les voyant pas revenir, crut que, honteux\nd\u2019avoir \u00e9t\u00e9 tromp\u00e9s par l\u2019\u00e9toile, ils s\u2019en \u00e9taient retourn\u00e9s sans oser\nle revoir; et, l\u00e0-dessus, il renon\u00e7a \u00e0 s\u2019enqu\u00e9rir de l\u2019enfant. Pourtant,\nquand il apprit ce qu\u2019avaient dit les bergers et ce qu\u2019avaient\nproph\u00e9tis\u00e9 Sim\u00e9on et Anne, toute sa peur le reprit, et il r\u00e9solut de\nfaire massacrer tous les enfants de Bethl\u00e9em, de fa\u00e7on que l\u2019enfant\ninconnu dont il avait peur p\u00e9r\u00eet \u00e0 coup s\u00fbr. Mais Joseph, averti par un\nange, s\u2019enfuit avec l\u2019enfant et la m\u00e8re en Egypte, dans la ville\nd\u2019Hermopolis, et y resta sept ans, jusqu\u2019\u00e0 la mort d\u2019H\u00e9rode. Et\nCassiodore nous dit, dans son _Histoire tripartite_, qu\u2019on peut voir \u00e0\nHermopolis, en Th\u00e9ba\u00efde, un arbre de l\u2019esp\u00e8ce des persides, qui gu\u00e9rit\nles maladies, si l\u2019on applique sur le cou des malades un de ses fruits,\nou une de ses feuilles, ou une partie de son \u00e9corce. Cet arbre, lorsque\nla sainte Vierge fuyait en Egypte avec son fils, s\u2019est inclin\u00e9 jusqu\u2019\u00e0\nterre, et a pieusement ador\u00e9 le Christ.\nII. Or, pendant qu\u2019H\u00e9rode m\u00e9ditait le massacre des enfants, lui-m\u00eame fut\nmand\u00e9 par lettre devant Auguste, pour se d\u00e9fendre de l\u2019accusation de ses\ndeux fils. Et apr\u00e8s qu\u2019il eut discut\u00e9 avec ses fils en pr\u00e9sence de\nl\u2019empereur, celui-ci d\u00e9cida que les fils devaient ob\u00e9ir en tout \u00e0 leur\np\u00e8re, qui \u00e9tait libre de laisser son tr\u00f4ne \u00e0 qui il voudrait. C\u2019est\nalors qu\u2019H\u00e9rode, revenu de Rome, et rendu plus audacieux par la\nconfirmation de la faveur imp\u00e9riale, ordonna de tuer tous les enfants\n\u00e2g\u00e9s de moins de deux ans. Cet ordre s\u2019explique fort bien si l\u2019on songe\nque, le voyage d\u2019H\u00e9rode \u00e0 Rome ayant dur\u00e9 un an, un espace de pr\u00e8s de\ndeux ans devait s\u2019\u00eatre \u00e9coul\u00e9 depuis le moment o\u00f9 l\u2019\u00e9toile avait r\u00e9v\u00e9l\u00e9\naux mages la naissance de l\u2019enfant royal. Mais saint Jean Chrysostome\ncroit que le d\u00e9cret d\u2019H\u00e9rode ordonnait, au contraire, le massacre de\ntous les enfants ayant plus de deux ans; car l\u2019\u00e9toile, d\u2019apr\u00e8s lui,\nserait apparue aux mages un an avant la naissance de J\u00e9sus; et H\u00e9rode\n\u00e9tait rest\u00e9 un an \u00e0 Rome, et sans doute il s\u2019imaginait que, lorsque\nl\u2019\u00e9toile \u00e9tait apparue aux mages, l\u2019enfant \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 n\u00e9. Le fait est\nque certains os des saints Innocents, qui se sont conserv\u00e9s, sont trop\ngrands pour provenir d\u2019enfants de moins de deux ans; encore qu\u2019on puisse\ndire que peut-\u00eatre la taille humaine \u00e9tait alors beaucoup plus grande\nqu\u2019elle ne l\u2019est aujourd\u2019hui. Quant \u00e0 H\u00e9rode, il fut aussit\u00f4t puni de\nson crime: car Macrobe et un autre chroniqueur rapportent qu\u2019un fils\nd\u2019H\u00e9rode se trouvait en nourrice \u00e0 Bethl\u00e9em, et fut massacr\u00e9 avec les\nautres enfants.\nIII. Mais Dieu, le juge des juges, ne permit pas que le ch\u00e2timent d\u2019un\ntel crime se born\u00e2t \u00e0 cette seule mort. L\u2019homme qui avait priv\u00e9 de leurs\nfils des p\u00e8res sans nombre fut, lui-m\u00eame, mis\u00e9rablement priv\u00e9 des siens.\nEn effet, Alexandre et Aristobule devinrent de nouveau suspects \u00e0\nH\u00e9rode. Un de leurs complices r\u00e9v\u00e9la qu\u2019Alexandre lui avait promis\nbeaucoup de pr\u00e9sents s\u2019il parvenait \u00e0 empoisonner son p\u00e8re; d\u2019autre\npart, le barbier d\u2019H\u00e9rode r\u00e9v\u00e9la qu\u2019Alexandre lui avait promis de le\nr\u00e9compenser si, pendant qu\u2019il rasait son p\u00e8re, il voulait \u00e9trangler le\nvieillard. Aussi H\u00e9rode, dans sa col\u00e8re, les fit-il mettre \u00e0 mort; et il\nfinit par d\u00e9poss\u00e9der de sa succession au tr\u00f4ne son fils a\u00een\u00e9 Antipater,\nau profit de son autre fils H\u00e9rode Antipas. Et comme il avait, en outre,\nune affection toute paternelle pour les deux enfants d\u2019Aristobule,\nH\u00e9rode Agrippa et H\u00e9rodiade, femme de son fils Philippe, Antipater se\nprit \u00e0 l\u2019\u00e9gard de son p\u00e8re d\u2019une haine si violente qu\u2019il essaya de\nl\u2019empoisonner; et H\u00e9rode, l\u2019ayant su, le fit jeter en prison. C\u2019est \u00e0\ncette occasion que C\u00e9sar-Auguste dit \u00e0 ses familiers: \u00abJ\u2019aimerais mieux\n\u00eatre le porc d\u2019H\u00e9rode que son fils, car, en sa qualit\u00e9 de Juif, il\n\u00e9pargne les porcs, tandis qu\u2019il tue ses fils.\u00bb\nIV. Quant \u00e0 H\u00e9rode lui-m\u00eame, il avait environ soixante-dix ans lorsqu\u2019il\nfut frapp\u00e9 d\u2019une grave maladie. Il avait une fi\u00e8vre tr\u00e8s violente, une\nd\u00e9composition du corps, une inflammation des pieds, des vers dans les\ntesticules, l\u2019haleine courte, et une puanteur insupportable. Plac\u00e9 par\nles m\u00e9decins dans un bain d\u2019huile, il en fut retir\u00e9 quasi mort. Mais, en\napprenant que les Juifs attendaient avec joie l\u2019instant de sa mort, il\nfit jeter en prison des jeunes gens des plus nobles familles de tout le\nroyaume, et dit \u00e0 sa s\u0153ur Salom\u00e9: \u00abJe sais que les Juifs vont se r\u00e9jouir\nde ma mort; mais beaucoup d\u2019entre eux s\u2019en affligeront si tu veux ob\u00e9ir\n\u00e0 ma recommandation, et, d\u00e8s que je serai mort, faire \u00e9gorger tous les\njeunes gens que je tiens en prison: car, de cette mani\u00e8re, toute la\nJud\u00e9e me pleurera malgr\u00e9 elle!\u00bb\nIl avait l\u2019habitude de manger, apr\u00e8s tous ses repas, une pomme, qu\u2019il\npelait lui-m\u00eame; et comme une toux affreuse le torturait, il tourna\ncontre sa poitrine le couteau dont il se servait pour peler sa pomme.\nMais un de ses parents arr\u00eata sa main et l\u2019emp\u00eacha de se tuer. Cependant\ntoute la cour, le croyant mort, se remplit de cris; et Antipater s\u2019en\nr\u00e9jouit fort dans sa prison, et promit de r\u00e9compenser ses gardiens s\u2019ils\nle d\u00e9livraient. Ce qu\u2019apprenant, H\u00e9rode fit tuer son fils par des\nsoldats, et nomma, pour lui succ\u00e9der, Arch\u00e9la\u00fcs. Il mourut cinq jours\napr\u00e8s, ayant \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s heureux dans sa fortune politique, mais tr\u00e8s\nmalheureux dans sa vie priv\u00e9e. Salom\u00e9, sa s\u0153ur, fit remettre en libert\u00e9\ntous ceux que le roi lui avait ordonn\u00e9 de tuer. Voil\u00e0 du moins ce que\nnous lisons dans l\u2019_Histoire scholastique_; mais Remi, dans son\nCommentaire de saint Matthieu, dit au contraire qu\u2019H\u00e9rode se transper\u00e7a\ndu couteau dont il se servait pour peler ses fruits, et que Salom\u00e9, sa\ns\u0153ur, fit mettre \u00e0 mort tous ceux qu\u2019il avait jet\u00e9s en prison.\nXI\nSAINT THOMAS DE CANTORBERY, \u00c9V\u00caQUE ET MARTYR\n(29 d\u00e9cembre)\nI. Thomas de Cantorbery, pendant qu\u2019il \u00e9tait \u00e0 la cour du roi\nd\u2019Angleterre, y fut t\u00e9moin d\u2019actes contraires \u00e0 la religion. Il quitta\nalors la cour, et se retira aupr\u00e8s de l\u2019\u00e9v\u00eaque de Cantorbery, qui le\nsacra archidiacre. Mais ensuite, sur la pri\u00e8re de l\u2019\u00e9v\u00eaque, il accepta\nde devenir chancelier du roi, afin que la sagesse dont il \u00e9tait dou\u00e9 lui\nperm\u00eet d\u2019emp\u00eacher les attaques des m\u00e9chants contre l\u2019Eglise. Et le roi\nse prit d\u2019une telle affection pour lui, que, \u00e0 la mort de l\u2019archev\u00eaque\nde Cantorbery, il lui offrit de le faire nommer pour le remplacer.\nThomas, apr\u00e8s avoir longtemps r\u00e9sist\u00e9, finit par tendre les \u00e9paules au\nmanteau archi-\u00e9piscopal, tant \u00e9tait grande son ob\u00e9issance! Et aussit\u00f4t\nsa nouvelle dignit\u00e9 fit de lui un autre homme, absolument parfait. Il se\nmit \u00e0 mac\u00e9rer sa chair par le je\u00fbne et par un cilice, dont il se\ncouvrait non seulement le haut du corps, mais aussi les jambes\njusqu\u2019au-dessous des genoux. Et il cachait si soigneusement sa saintet\u00e9\nque son costume ext\u00e9rieur ressemblait \u00e0 celui des autres \u00e9v\u00eaques, sans\nque rien y r\u00e9v\u00e9l\u00e2t l\u2019aust\u00e9rit\u00e9 de ses m\u0153urs priv\u00e9es. Et tous les jours,\nse mettant \u00e0 genoux, il lavait les pieds \u00e0 treize pauvres, qu\u2019ensuite il\nnourrissait, et \u00e0 qui il donnait encore quatre deniers d\u2019argent.\nMais le roi s\u2019effor\u00e7ait de le fl\u00e9chir \u00e0 sa propre volont\u00e9, au d\u00e9triment\nde l\u2019Eglise. Il voulait que Thomas approuv\u00e2t, comme avaient fait ses\npr\u00e9d\u00e9cesseurs, certaines coutumes royales qui \u00e9taient contraires \u00e0 la\nlibert\u00e9 de l\u2019Eglise. Et comme le nouvel archev\u00eaque s\u2019y refusait, il\ns\u2019attira la col\u00e8re du roi et des grands. Un jour, le roi le pressa si\nfort, lui et les autres \u00e9v\u00eaques, allant jusqu\u2019\u00e0 les menacer de mort,\nque, tromp\u00e9 par le conseil des grands de l\u2019Etat, il donna son\napprobation au d\u00e9sir du roi. Mais quand il vit le danger qui allait en\nr\u00e9sulter pour les \u00e2mes, il r\u00e9solut de se punir lui-m\u00eame, et il renon\u00e7a\nau service des autels, jusqu\u2019au jour o\u00f9 le souverain pontife le jugerait\ndigne de rentrer en fonction. Et lorsque le roi lui demanda de confirmer\npar \u00e9crit ce qu\u2019il avait approuv\u00e9 de vive voix, il s\u2019y refusa avec\ncourage, et, tenant sa croix lev\u00e9e, il s\u2019\u00e9loigna, poursuivi par les cris\nde mort des impies. Et deux chevaliers qui lui \u00e9taient fid\u00e8les vinrent\nen pleurant lui r\u00e9v\u00e9ler, sous serment, que plusieurs chevaliers\ncomplotaient sa mort. Sur quoi l\u2019homme de Dieu, craignant plut\u00f4t pour\nl\u2019Eglise que pour lui-m\u00eame, s\u2019enfuit, fut re\u00e7u \u00e0 Sens par le pape\nAlexandre, qui le fit entrer dans le monast\u00e8re de Pontigny; apr\u00e8s quoi\nil vint en France. Et comme le roi avait envoy\u00e9 \u00e0 Rome pour demander\nqu\u2019un l\u00e9gat v\u00eent trancher ce diff\u00e9rend, et comme sa demande avait \u00e9t\u00e9\nrepouss\u00e9e, sa col\u00e8re contre l\u2019archev\u00eaque ne connut plus de bornes. Il\ns\u2019empara de tout ce qui appartenait \u00e0 Thomas et aux siens, et condamna \u00e0\nl\u2019exil toute sa famille, sans consid\u00e9ration d\u2019\u00e2ge, de sexe, ni d\u2019\u00e9tat.\nCependant, l\u2019\u00e9v\u00eaque, tous les jours, priait pour le roi et pour\nl\u2019Angleterre. Un jour le ciel lui r\u00e9v\u00e9la que le moment approchait o\u00f9 il\npourrait rejoindre son \u00e9glise, et que le Christ lui r\u00e9servait bient\u00f4t la\npalme du martyre. Et en effet, apr\u00e8s sept ans d\u2019exil, il fut rappel\u00e9 en\nAngleterre, et re\u00e7u par tous avec les plus grands honneurs.\nQuelques jours avant le martyre du saint, un jeune homme,\nmiraculeusement rappel\u00e9 \u00e0 la vie, dit que son \u00e2me avait \u00e9t\u00e9 conduite\njusqu\u2019au Saint des Saints, et que l\u00e0, parmi les ap\u00f4tres, il avait vu un\nsi\u00e8ge, et qu\u2019un ange lui avait dit que ce si\u00e8ge \u00e9tait r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 un haut\ndignitaire de l\u2019Eglise anglaise.\nII. Certain pr\u00eatre, qui c\u00e9l\u00e9brait tous les jours une messe en l\u2019honneur\nde la sainte Vierge, fut accus\u00e9 devant l\u2019archev\u00eaque, et celui-ci le\nsuspendit de sa charge, le jugeant idiot et inconscient. Or comme saint\nThomas avait \u00e0 recoudre son cilice, et, en attendant de pouvoir le\nrecoudre, l\u2019avait cach\u00e9 sous son lit, la sainte Vierge apparut au pr\u00eatre\net lui dit: \u00abVa trouver l\u2019archev\u00eaque et dis-lui que Celle pour l\u2019amour\nde qui tu c\u00e9l\u00e9brais des messes a recousu elle-m\u00eame son cilice, qui est\nsous son lit; et dis-lui qu\u2019elle t\u2019envoie \u00e0 lui, afin qu\u2019il l\u00e8ve\nl\u2019interdit dont il t\u2019a frapp\u00e9!\u00bb Et saint Thomas d\u00e9couvrit qu\u2019en effet\nson cilice avait \u00e9t\u00e9 recousu. Il leva l\u2019interdit du pr\u00eatre, en le priant\nde lui garder le secret sur le cilice qu\u2019il portait.\nIII. Et, de m\u00eame que par le pass\u00e9, il d\u00e9fendit les droits de l\u2019Eglise,\nsans que le roi p\u00fbt le fl\u00e9chir par pri\u00e8re ni par force. Alors le roi,\nvoyant qu\u2019il ne pouvait le fl\u00e9chir, envoya vers lui des soldats en\narmes, qui, p\u00e9n\u00e9trant dans la cath\u00e9drale, demand\u00e8rent \u00e0 haute voix o\u00f9\n\u00e9tait l\u2019archev\u00eaque. Celui-ci vint au-devant d\u2019eux, et leur dit: \u00abMe\nvoici; que me voulez-vous?\u00bb Et eux: \u00abNous venons pour te tuer, ta\nderni\u00e8re heure a sonn\u00e9!\u00bb Alors il leur dit: \u00abJe suis pr\u00eat \u00e0 mourir pour\nDieu, et pour la d\u00e9fense de la justice, et pour la d\u00e9fense des libert\u00e9s\nde l\u2019Eglise. Mais puisque c\u2019est moi que vous cherchez, je vous ordonne,\nde la part de Dieu tout-puissant, et sous peine d\u2019anath\u00e8me, de ne faire\naucun mal \u00e0 personne de mes pr\u00eatres! Quant \u00e0 moi, je recommande l\u2019Eglise\net je me recommande moi-m\u00eame \u00e0 Dieu, \u00e0 la sainte Vierge, \u00e0 saint Denis\net \u00e0 tous les saints.\u00bb Puis cela dit, il tendit sa t\u00eate v\u00e9n\u00e9rable au\nglaive des impies, qui lui tranch\u00e8rent le haut du cr\u00e2ne, faisant jaillir\nsa cervelle sur le pav\u00e9 du temple. Ainsi saint Thomas souffrit le\nmartyre, en l\u2019an du Seigneur 1174.\nEt, au moment o\u00f9 son clerg\u00e9 allait c\u00e9l\u00e9brer pour lui la messe des morts,\nvoici que, \u00e0 ce que l\u2019on raconte, le ch\u0153ur des anges vint interrompre la\nvoix des chantres, et se mit \u00e0 chanter la messe des martyrs _L\u00e6tabitur\njustus in Domino_. Honneur, en v\u00e9rit\u00e9, unique: mais bien m\u00e9rit\u00e9 par un\nsaint qui a souffert le martyre pour l\u2019Eglise, dans l\u2019\u00e9glise, durant la\nmesse, entour\u00e9 de son clerg\u00e9! Et Dieu a daign\u00e9 faire bien d\u2019autres\nmiracles encore \u00e0 la pri\u00e8re de ce saint, rendant la vue aux aveugles,\nl\u2019ou\u00efe aux sourds, la marche aux boiteux, et la vie aux morts. Bien des\nmalades gu\u00e9rirent pour avoir touch\u00e9 l\u2019eau qui avait servi \u00e0 laver les\nlinges tach\u00e9s du sang de saint Thomas.\nIV. Certaine dame anglaise qui, par coquetterie et pour devenir plus\nbelle, souhaitait d\u2019avoir les yeux noirs, avait fait v\u0153u, \u00e0 cette\nintention, de visiter pieds nus le tombeau de saint Thomas. Or quand,\napr\u00e8s s\u2019\u00eatre prostern\u00e9e en pri\u00e8re, elle se releva, elle s\u2019aper\u00e7ut\nqu\u2019elle \u00e9tait devenue compl\u00e8tement aveugle. Aussit\u00f4t, pleine de\nrepentir, elle supplia saint Thomas non plus de lui donner des yeux\nnoirs mais de lui rendre ses yeux. Et elle finit par l\u2019obtenir, dit-on,\nmais \u00e0 grand\u2019peine.\nV. Un oiseau savant et qui savait parler, se voyant un jour poursuivi\npar un \u00e9pervier, r\u00e9p\u00e9ta la phrase qu\u2019on lui avait apprise: \u00abSaint\nThomas, viens \u00e0 mon aide!\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019\u00e9pervier tomba mort, et l\u2019autre\noiseau fut sauv\u00e9.\nVI. Certain homme, que saint Thomas avait beaucoup aim\u00e9, se voyant tr\u00e8s\nmalade, alla au tombeau du saint, et demanda sa sant\u00e9, qui lui fut\nrendue. Mais comme il rentrait chez lui gu\u00e9ri de tout mal, l\u2019id\u00e9e lui\nvint que, peut-\u00eatre, cette gu\u00e9rison de son corps ne convenait pas au\nbien de son \u00e2me. Il revint donc au tombeau du saint, et pria que, si sa\ngu\u00e9rison ne devait pas \u00eatre utile \u00e0 son \u00e2me, son \u00e9tat de maladie lui f\u00fbt\nrendu. Et aussit\u00f4t il se retrouva malade comme auparavant.\nVII. Quant aux meurtriers du saint, la vengeance du ciel s\u2019abattit sur\neux. Les uns se mang\u00e8rent les doigts avec leurs dents, d\u2019autres\npourrirent vivants, d\u2019autres furent paralys\u00e9s, d\u2019autres encore perdirent\nla raison.\nXII\nSAINT SILVESTRE, PAPE\n(31 d\u00e9cembre)\nLa l\u00e9gende de saint Silvestre a \u00e9t\u00e9 compil\u00e9e par Eus\u00e8be de C\u00e9sar\u00e9e.\nSaint Blaise, dans une r\u00e9union de soixante-cinq \u00e9v\u00eaques, en a recommand\u00e9\nla lecture aux catholiques.\nI. Silvestre avait pour m\u00e8re une femme qui s\u2019appelait Juste, et qui\nn\u2019\u00e9tait pas moins juste de fait que de nom. Instruit par le saint pr\u00eatre\nCyrin, il eut de bonne heure le go\u00fbt de l\u2019hospitalit\u00e9. Il recueillit\nchez lui le chr\u00e9tien Timoth\u00e9e, que personne ne voulait recueillir, par\ncrainte de la pers\u00e9cution. Et ce Timoth\u00e9e pr\u00eacha l\u00e0, pendant un an et\ntrois mois, apr\u00e8s quoi il re\u00e7ut la couronne du martyre. Or le pr\u00e9fet\nTarquin, s\u2019imaginant que Timoth\u00e9e \u00e9tait tr\u00e8s riche, r\u00e9clama ses\nrichesses \u00e0 Silvestre, le mena\u00e7ant de mort s\u2019il ne les lui livrait. Et\nquand il eut reconnu que Timoth\u00e9e n\u2019avait absolument rien laiss\u00e9, il\nordonna \u00e0 Silvestre de sacrifier aux idoles, faute de quoi il aurait \u00e0\nsubir, le lendemain, toute sorte de supplices. Et Silvestre lui dit:\n\u00abInsens\u00e9, c\u2019est toi qui, cette nuit m\u00eame, commenceras \u00e0 subir les\nsupplices \u00e9ternels, et seras forc\u00e9, bon gr\u00e9 mal gr\u00e9, de reconna\u00eetre que\nle Dieu que nous adorons est le seul vrai Dieu!\u00bb L\u00e0-dessus, Silvestre\nfut conduit en prison, et Tarquin se rendit \u00e0 un repas o\u00f9 il \u00e9tait\ninvit\u00e9. Or, pendant qu\u2019il mangeait, une ar\u00eate de poisson se fixa dans sa\ngorge, de telle mani\u00e8re qu\u2019il ne put ni l\u2019avaler ni la rejeter. Il\nmourut donc cette nuit-l\u00e0, et Silvestre sortit de sa prison, \u00e0 la grande\njoie de tous; car il \u00e9tait aim\u00e9 non seulement des chr\u00e9tiens, mais aussi\ndes pa\u00efens. Il \u00e9tait, en effet, ang\u00e9lique de visage, \u00e9loquent de parole,\npur de corps, saint d\u2019\u0153uvres, grand d\u2019intelligence, z\u00e9l\u00e9 de foi, patient\nd\u2019espoir, d\u00e9bordant de charit\u00e9.\nEt lorsque mourut Melchiade, \u00e9v\u00eaque de Rome, la foule enti\u00e8re \u00e9lut\nSilvestre pour le remplacer. Ainsi devenu souverain pontife, Silvestre\nfit dresser la liste de tous les orphelins, de toutes les veuves et de\ntous les pauvres, et ordonna que l\u2019on pourv\u00fbt aux besoins de tous. Il\ninstitua le je\u00fbne du mercredi, du vendredi, et du samedi, et d\u00e9cr\u00e9ta que\nle jeudi serait r\u00e9serv\u00e9 au Seigneur de m\u00eame que le dimanche, donnant\npour motifs que: 1\u00ba le jeudi est le jour o\u00f9 J\u00e9sus est mont\u00e9 au ciel; 2\u00ba\nque c\u2019est le jour o\u00f9 il a institu\u00e9 le sacrement de l\u2019Eucharistie; 3\u00ba que\nc\u2019est le jour o\u00f9 l\u2019Eglise pr\u00e9pare le saint chr\u00eame.\nII. Constantin s\u2019\u00e9tant mis \u00e0 pers\u00e9cuter les chr\u00e9tiens, Silvestre sortit\nde Rome et se retira avec son clerg\u00e9 sur une montagne voisine. Mais\nvoici que Constantin lui-m\u00eame, en ch\u00e2timent de sa pers\u00e9cution, fut\natteint d\u2019une l\u00e8pre incurable. Les pr\u00eatres des idoles lui conseill\u00e8rent\nalors de faire \u00e9gorger, aux portes de la ville, trois mille enfants, et\nde se baigner dans leur sang tout chaud. Mais, en arrivant au lieu o\u00f9\ntous les enfants \u00e9taient rassembl\u00e9s, Constantin vit les m\u00e8res de ces\nenfants qui accouraient au-devant de lui, les cheveux d\u00e9nou\u00e9s, et avec\ndes g\u00e9missements \u00e0 fendre l\u2019\u00e2me. Alors, tout en larmes, il fit arr\u00eater\nson char; et, se tenant debout, il dit: \u00abEcoutez-moi, comtes,\nchevaliers, et gens du peuple, qui m\u2019entourez! La dignit\u00e9 du peuple\nromain na\u00eet de la piti\u00e9 qui a toujours pr\u00e9sid\u00e9 \u00e0 nos m\u0153urs; et c\u2019est\ncette piti\u00e9 qui, jadis, a fait d\u00e9cr\u00e9ter la peine de mort contre\nquiconque tuerait un enfant, m\u00eame \u00e0 la guerre. Or quelle cruaut\u00e9\nserait-ce, si nous faisions nous-m\u00eames \u00e0 nos enfants ce que nous\nd\u00e9fendons que l\u2019on fasse aux enfants de nos ennemis? A quoi nous\nservirait d\u2019avoir vaincu les barbares, si nous nous laissions vaincre,\nnous-m\u00eames, par la barbarie? Donc, que la piti\u00e9 triomphe, dans cette\ncirconstance! Mieux vaut pour moi mourir et conserver la vie \u00e0 ces\ninnocents que de recouvrer, par leur mort, une vie souill\u00e9e de cruaut\u00e9!\u00bb\nEt il ordonna que les enfants fussent rendus \u00e0 leurs m\u00e8res, et\nreconduits chez eux avec des pr\u00e9sents, de telle sorte que les m\u00e8res, qui\n\u00e9taient venues en pleurant d\u2019angoisse, revinrent dans leur maison en\npleurant de joie. Quant \u00e0 l\u2019empereur, il s\u2019enferma dans son palais,\nr\u00e9sign\u00e9 \u00e0 mourir de son mal. Mais, la nuit suivante, saint Pierre et\nsaint Paul lui apparurent, qui lui dirent: \u00abParce que tu t\u2019es refus\u00e9 \u00e0\nverser le sang innocent, notre Seigneur J\u00e9sus-Christ nous a envoy\u00e9s \u00e0\ntoi pour t\u2019indiquer un moyen de recouvrer la sant\u00e9! Mande devant toi\nl\u2019\u00e9v\u00eaque Silvestre qui se cache sur le mont Soracte: il te d\u00e9signera une\nsource o\u00f9 tu te plongeras trois fois, au bout desquelles tu seras gu\u00e9ri\nde ta l\u00e8pre. Mais toi, en \u00e9change, tu d\u00e9truiras les temples des idoles,\ntu rouvriras les \u00e9glises du Christ, et tu deviendras d\u00e9sormais son\nadorateur!\u00bb Aussit\u00f4t Constantin, s\u2019\u00e9veillant, envoya une escorte \u00e0 la\nrecherche de Silvestre.\nEt celui-ci, en voyant venir cette escorte, se crut appel\u00e9 \u00e0 la palme du\nmartyre. Il se pr\u00e9senta donc courageusement, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre recommand\u00e9 \u00e0\nDieu, et avoir une derni\u00e8re fois exhort\u00e9 ses compagnons. Et Constantin\nlui dit: \u00abMerci d\u2019\u00eatre venu!\u00bb et il lui raconta tout son r\u00eave. Apr\u00e8s\nquoi il lui demanda qui \u00e9taient les deux dieux qui lui \u00e9taient apparus;\net Silvestre lui r\u00e9pondit que ce n\u2019\u00e9tait point des dieux, mais des\nap\u00f4tres du Christ. Il se fit alors apporter le portrait des ap\u00f4tres, et\nConstantin reconnut aussit\u00f4t saint Pierre et saint Paul. Silvestre\nl\u2019admit donc au rang de cat\u00e9chum\u00e8ne, lui imposa un je\u00fbne de sept jours,\net lui enjoignit de faire ouvrir toutes les prisons. Et quand Constantin\nfut descendu dans l\u2019eau du bapt\u00eame, une grande lumi\u00e8re l\u2019environna, et\nil en sortit pur de toute l\u00e8pre, et dit qu\u2019il avait vu le Christ dans\nles cieux. Et, pendant les sept jours qui suivirent son bapt\u00eame, il\npromulgua des lois m\u00e9morables entre toutes. Le premier jour, il d\u00e9cr\u00e9ta\nque le Christ serait ador\u00e9 des Romains comme le vrai Dieu; le second\njour, que tout blasph\u00e8me contre le Christ serait puni; le troisi\u00e8me\njour, que toute injure faite \u00e0 un chr\u00e9tien entra\u00eenerait la confiscation\nde la moiti\u00e9 des biens; le quatri\u00e8me jour, que, de m\u00eame que l\u2019empereur\nde Rome, l\u2019\u00e9v\u00eaque de Rome serait le premier de l\u2019empire, et commanderait\n\u00e0 tous les \u00e9v\u00eaques; le cinqui\u00e8me jour, que tout homme se r\u00e9fugiant dans\nune \u00e9glise aurait l\u2019immunit\u00e9 de sa personne; le sixi\u00e8me jour, que nul ne\npourrait construire une \u00e9glise dans une ville sans la permission de son\nsup\u00e9rieur eccl\u00e9siastique; le septi\u00e8me jour, que la dixi\u00e8me partie des\nbiens royaux serait affect\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9dification des \u00e9glises; le huiti\u00e8me\njour, l\u2019empereur se rendit \u00e0 l\u2019\u00e9glise de Saint-Pierre et se confessa \u00e0\nhaute voix de ses fautes; puis, prenant une b\u00eache, il creusa, le\npremier, la terre, \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 allait s\u2019\u00e9lever la basilique nouvelle,\net il emporta sur ses \u00e9paules douze hottes de terre, qu\u2019il jeta hors de\nl\u2019\u00e9glise.\nIII. Lorsqu\u2019elle apprit cette conversion, l\u2019imp\u00e9ratrice H\u00e9l\u00e8ne, m\u00e8re de\nConstantin, qui se trouvait alors \u00e0 B\u00e9thanie, \u00e9crivit \u00e0 son fils pour le\nlouer d\u2019avoir renonc\u00e9 au culte des idoles, mais aussi pour le bl\u00e2mer\nvivement de ce que, au lieu de croire au Dieu des Juifs, il se f\u00fbt mis \u00e0\nadorer comme dieu un homme crucifi\u00e9. L\u2019empereur lui r\u00e9pondit de ramener\navec elle \u00e0 Rome les principaux docteurs juifs, en ajoutant qu\u2019il les\nplacerait en face des docteurs chr\u00e9tiens, afin que la discussion\nr\u00e9ciproque fit appara\u00eetre la v\u00e9rit\u00e9 en mati\u00e8re de foi. H\u00e9l\u00e8ne ramena\ndonc avec elle cent soixante et un docteurs juifs, dont douze surtout\nbrillaient par leur science et leur \u00e9loquence. Et quand Silvestre avec\nson clerg\u00e9 se pr\u00e9senta devant l\u2019empereur pour discuter avec ces Juifs,\non convint, d\u2019un commun accord, de prendre pour arbitres du d\u00e9bat deux\npa\u00efens tr\u00e8s savants et tr\u00e8s estim\u00e9s, appel\u00e9s Craton et Z\u00e9nophile. Alors,\nen pr\u00e9sence de ces arbitres, saint Silvestre r\u00e9futa tour \u00e0 tour les\narguments des douze fameux docteurs juifs, dont les noms \u00e9taient:\nAbiathar, Jonas, Godolias, Annas, Doeth, Chusi, Benjamin, Aroel, Jubal,\nThara, Sil\u00e9on et Zambri. Et, chaque fois, les deux arbitres, et\nl\u2019empereur et sa m\u00e8re, et la foule s\u2019accord\u00e8rent \u00e0 reconna\u00eetre qu\u2019il\navait compl\u00e8tement r\u00e9fut\u00e9 et an\u00e9anti les arguments de son adversaire. Si\nbien que, exasp\u00e9r\u00e9, Zambri, le douzi\u00e8me docteur, s\u2019\u00e9cria: \u00abJe m\u2019\u00e9tonne\nque vous, juges tr\u00e8s sages, vous pr\u00eatiez foi aux ambages des paroles et\nvous imaginiez que la toute-puissance de Dieu se puisse estimer par la\nraison humaine. Finissons-en avec les paroles, et venons-en aux faits!\nInsens\u00e9s ceux qui adorent le crucifi\u00e9, tandis que le nom du Dieu\ntout-puissant est si fort que nulle cr\u00e9ature ne supporte de l\u2019entendre!\nEt, pour que je vous prouve la v\u00e9rit\u00e9 de ce que je dis, faites-moi\namener un taureau furieux: d\u00e8s qu\u2019il aura entendu ce nom sacr\u00e9, il\nmourra sur-le-champ!\u00bb Et Silvestre lui dit: \u00abMais alors, toi-m\u00eame,\ncomment as-tu pu entendre ce nom sans mourir?\u00bb Et Zambri r\u00e9pondit: \u00abIl\nne t\u2019appartient pas de conna\u00eetre ce myst\u00e8re, \u00e0 toi, l\u2019ennemi des Juifs!\u00bb\nEt l\u2019on amena un taureau furieux, que cent hommes vigoureux avaient\npeine \u00e0 tra\u00eener; et aussit\u00f4t que Zambri eut prononc\u00e9 un nom dans son\noreille, on vit la b\u00eate mugir, renverser les yeux, et tomber morte. Sur\nquoi tous les Juifs d\u2019acclamer violemment leur homme et d\u2019insulter\nSilvestre. Mais alors celui-ci: \u00abCe nom, que ce docteur a prononc\u00e9,\ndit-il, n\u2019est pas le nom de Dieu, mais celui du pire des d\u00e9mons, car mon\nDieu J\u00e9sus-Christ non seulement ne tue pas les vivants, mais fait\nrevivre les morts. De pouvoir tuer et de ne pas pouvoir faire revivre,\nc\u2019est le propre des lions, des serpents, et d\u2019autres b\u00eates f\u00e9roces. Si\ndonc cet homme veut me prouver que ce n\u2019est pas le nom d\u2019un d\u00e9mon qu\u2019il\na prononc\u00e9, qu\u2019il fasse revivre ce qu\u2019il a tu\u00e9! Car Dieu a \u00e9crit: \u00abJe\ntuerai et je ferai revivre!\u00bb Et comme les juges invitaient Zambri \u00e0\nressusciter le taureau, il dit: \u00abQue Silvestre le ressuscite, au nom de\nJ\u00e9sus le Galil\u00e9en, et nous croirons tous en lui!\u00bb Et tous les Juifs\nfirent la m\u00eame promesse. Alors Silvestre, apr\u00e8s une pri\u00e8re, s\u2019approcha\nde l\u2019oreille du taureau mort, et dit: \u00abO nom de mal\u00e9diction et de mort,\nsors de cette b\u00eate par ordre du Seigneur J\u00e9sus, au nom duquel je dis:\n\u00abTaureau, l\u00e8ve-toi, et va aussit\u00f4t en paix rejoindre ton troupeau!\u00bb Et\naussit\u00f4t le taureau se leva et s\u2019en alla en toute douceur. Et alors\nl\u2019imp\u00e9ratrice, les Juifs, les juges, et tous les t\u00e9moins du miracle, se\nconvertirent \u00e0 la foi chr\u00e9tienne.\nQuelques jours apr\u00e8s, les pr\u00eatres des idoles vinrent trouver Constantin\net lui dirent: \u00abSaint Empereur, il y a un dragon qui est dans une fosse,\net qui, depuis que tu as re\u00e7u la foi du Christ, fait p\u00e9rir tous les\njours, par son souffle, plus de trois cents hommes!\u00bb L\u2019empereur rapporta\nla chose \u00e0 Silvestre, qui lui r\u00e9pondit: \u00abPar la vertu du Christ,\nj\u2019obligerai ce dragon \u00e0 renoncer \u00e0 tout mal!\u00bb Et les pr\u00eatres promirent\nque, s\u2019il faisait cela, ils se convertiraient au Christ. Alors Silvestre\nse mit en pri\u00e8re; et, le Saint-Esprit lui apparut et lui dit: \u00abDescends\naussit\u00f4t, sans crainte, dans la fosse du dragon avec deux de tes\npr\u00eatres; et, quand tu seras en face de lui, dis lui ces paroles: \u00abLe\nSeigneur J\u00e9sus, n\u00e9 d\u2019une vierge, crucifi\u00e9 et enseveli, puis ressuscit\u00e9\net assis \u00e0 la droite de son P\u00e8re, doit un jour venir ici pour juger les\nvivants et les morts; or donc, toi, Satan, attends en ce lieu qu\u2019il\nvienne!\u00bb Apr\u00e8s quoi tu lui lieras la gueule d\u2019un fil, que tu cachetteras\nd\u2019un anneau portant le signe de la croix. Et apr\u00e8s cela vous viendrez\ntous les trois chez moi, pour manger le pain que je vous aurai pr\u00e9par\u00e9.\u00bb\nSilvestre, avec deux pr\u00eatres, descendit dans la fosse, par cent\ncinquante marches, portant en main deux lanternes. Il dit au dragon les\nparoles du Saint-Esprit, puis il lui lia la bouche, qui sifflait de\nrage, il la cacheta comme il avait \u00e0 le faire; et, en sortant de la\nfosse, il trouva deux mages qui l\u2019avaient suivi afin de voir s\u2019il osait\nr\u00e9ellement affronter le dragon. Ces deux mages gisaient \u00e0 terre presque\nmorts, asphyxi\u00e9s par le souffle empest\u00e9 du monstre. Le saint les ranima,\nles ramena sains et saufs; et, aussit\u00f4t, ils se convertirent, ainsi\nqu\u2019une foule immense. Et enfin le bienheureux Silvestre, sentant\ns\u2019approcher la mort, donna \u00e0 son clerg\u00e9 trois avertissements: ils les\navertit de s\u2019aimer entre eux, de gouverner leurs \u00e9glises avec diligence,\net de prot\u00e9ger leur troupeau de la morsure des loups. Et, cela fait, il\ns\u2019endormit heureusement dans le Seigneur, en l\u2019an de gr\u00e2ce 320.\nXIII\nLA CIRCONCISION DE N.-S. J\u00c9SUS-CHRIST\n(1er janvier)\nQuatre motifs rendent c\u00e9l\u00e8bre et solennel le jour de la Circoncision du\nSeigneur.\n1\u00ba Ce jour est l\u2019octave de la Nativit\u00e9. Cette f\u00eate, une des plus grandes\nde celles que c\u00e9l\u00e8bre l\u2019Eglise, n\u2019a point d\u2019octave propre: car les\noctaves de la mort des saints signifient que ceux-ci, apr\u00e8s leur mort,\nrenaissent \u00e0 une vie nouvelle: tandis que la Nativit\u00e9 du Seigneur ne\ncomporte pas d\u2019octave, ayant eu pour suite la passion et la mort. De\nm\u00eame n\u2019ont d\u2019octave propre ni la Nativit\u00e9 de la Vierge, ni celle de\nsaint Jean-Baptiste, ni P\u00e2ques,--puisque cette f\u00eate a d\u00e9j\u00e0 elle-m\u00eame\npour objet de c\u00e9l\u00e9brer la r\u00e9surrection.--Ces f\u00eates n\u2019ont que des\n\u00aboctaves compl\u00e9mentaires\u00bb, o\u00f9 nous compl\u00e9tons le culte de ces f\u00eates\nelles-m\u00eames: et telle est, en ce jour de la Circoncision, l\u2019octave de la\nNativit\u00e9;\n2\u00ba La Circoncision symbolise pour nous l\u2019imposition au Seigneur d\u2019un nom\nnouveau, pour notre salut. Rappelons, \u00e0 ce propos, que le Seigneur a eu\ntrois noms, \u00e0 savoir: Fils de Dieu, Christ et J\u00e9sus. Fils de Dieu le\nd\u00e9signe en tant que Dieu; Christ en tant qu\u2019homme; J\u00e9sus en tant que\nDieu fait homme;\n3\u00ba La Circoncision c\u00e9l\u00e8bre la premi\u00e8re effusion du sang du Christ pour\nles hommes. On sait, en effet, que le Christ a vers\u00e9 cinq fois son sang\npour nous: 1\u00ba dans la Circoncision, et ce fut le commencement de notre\nr\u00e9demption; 2\u00ba dans la pri\u00e8re, en t\u00e9moignage de son d\u00e9sir de notre\nr\u00e9demption; 3\u00ba dans la flagellation, et ce fut le m\u00e9rite de notre\nr\u00e9demption; 4\u00ba dans la crucifixion, et ce fut le prix de notre\nr\u00e9demption; 5\u00ba dans l\u2019ouverture de son flanc sous le coup de lance, et\nce fut le sacre de notre r\u00e9demption.\n4\u00ba Enfin la Circoncision c\u00e9l\u00e8bre le fait m\u00eame de la circoncision du\nSeigneur. Celui-ci, en consentant \u00e0 se laisser circoncire, avait\nplusieurs motifs: 1\u00ba il voulait montrer qu\u2019il avait vraiment rev\u00eatu la\nchair humaine: car seul un corps v\u00e9ritable peut \u00e9mettre du sang; 2\u00ba il\nvoulait nous montrer que, nous aussi, nous devions accepter la\ncirconcision spirituelle, c\u2019est-\u00e0-dire nous livrer au travail de notre\npurification; 3\u00ba le Seigneur s\u2019est laiss\u00e9 circoncire pour \u00f4ter aux Juifs\ntoute excuse dans leur conduite; car, s\u2019il n\u2019avait pas \u00e9t\u00e9 circoncis,\nils auraient pu lui dire: \u00abNous ne t\u2019avons pas accueilli, mais c\u2019est\nparce que tu \u00e9tais diff\u00e9rent de nos p\u00e8res!\u00bb 4\u00ba le Seigneur a voulu\nmontrer son approbation de la loi de Mo\u00efse, \u00abqu\u2019il \u00e9tait venu non pas\nd\u00e9truire, mais compl\u00e9ter et r\u00e9aliser\u00bb.\nAu sujet de la chair sacr\u00e9e de la circoncision du Seigneur, on a dit\nqu\u2019un ange l\u2019avait apport\u00e9e \u00e0 Charlemagne, qui l\u2019avait solennellement\nd\u00e9pos\u00e9e \u00e0 Aix-la-Chapelle, dans l\u2019\u00e9glise de Notre-Dame. Et l\u2019on dit\nqu\u2019elle se trouve aujourd\u2019hui \u00e0 Rome, dans l\u2019\u00e9glise appel\u00e9e le Saint des\nSaints; et de l\u00e0 vient le p\u00e8lerinage que l\u2019on fait, en ce jour, \u00e0 cette\n\u00e9glise.\nNotons enfin que les pa\u00efens, autrefois, se livraient, le premier jour de\nl\u2019ann\u00e9e, \u00e0 toutes sortes de pratiques superstitieuses que les chr\u00e9tiens\nont eu beaucoup de peine \u00e0 d\u00e9raciner, et dont saint Augustin nous parle\ndans un de ses sermons. Ces pa\u00efens s\u2019\u00e9taient imagin\u00e9s de prendre pour\ndieu un certain chef appel\u00e9 Janus; et c\u2019\u00e9tait lui qu\u2019ils honoraient ce\njour-l\u00e0, le repr\u00e9sentant avec deux visages, dont un tourn\u00e9 vers l\u2019ann\u00e9e\npass\u00e9e, l\u2019autre vers la nouvelle. On avait aussi l\u2019habitude de se\nd\u00e9guiser sous des formes monstrueuses: les uns se rev\u00eataient de peaux de\nb\u00eates, d\u2019autres n\u2019avaient pas honte d\u2019introduire leurs corps virils dans\ndes tuniques de femme. Et saint Augustin ajoute: \u00abQuiconque garde\nquelque chose des coutumes pa\u00efennes, je crains bien que le nom de\nchr\u00e9tien ne puisse gu\u00e8re lui servir!\u00bb\nXIV\nL\u2019\u00c9PIPHANIE\n(6 janvier)\nL\u2019Epiphanie se c\u00e9l\u00e8bre en souvenir d\u2019un quadruple miracle. C\u2019est en\neffet ce jour-l\u00e0 que les mages ont ador\u00e9 le Christ, que saint Jean a\nbaptis\u00e9 le Christ, que le Christ a chang\u00e9 l\u2019eau en vin, et qu\u2019il a\nrassasi\u00e9 cinq mille hommes avec cinq pains. Et cette f\u00eate porte quatre\nnoms: 1\u00ba elle s\u2019appelle _Epiphanie_, en souvenir de l\u2019\u00e9toile que les\nmages aper\u00e7urent au-dessus d\u2019eux; 2\u00ba elle s\u2019appelle Th\u00e9ophanie, parce\nque, le jour du bapt\u00eame du Christ, la Trinit\u00e9 divine apparut tout\nenti\u00e8re, le P\u00e8re dans la voix, le Fils dans la chair, le Saint-Esprit\nsous la forme d\u2019une colombe; 3\u00ba elle s\u2019appelle B\u00e9thanie (de _Beth_,\nmaison), parce qu\u2019aux noces de Cana J\u00e9sus montra sa divinit\u00e9 dans une\nmaison; 4\u00ba enfin elle s\u2019appelle Phagiphanie, en souvenir du jour o\u00f9 le\nChrist a nourri cinq mille hommes avec cinq pains. Mais nous devons\najouter que l\u2019on doute que ce quatri\u00e8me miracle se soit accompli ce\njour-l\u00e0: car saint Jean nous dit que \u00able temps de la P\u00e2que approchait\u00bb.\nAu reste, le premier de ces quatre miracles est celui que l\u2019Eglise\nc\u00e9l\u00e8bre tout particuli\u00e8rement; de telle sorte que nous n\u2019aurons \u00e0 nous\noccuper ici que de lui. Donc, treize jours apr\u00e8s la naissance du Christ,\ntrois mages vinrent \u00e0 J\u00e9rusalem. Leurs noms \u00e9taient, en grec, Appellius,\nAm\u00e9rius, et Damascus; en h\u00e9breu, Galgalat, Malgalath et Sarathin; en\nlatin, Gaspard, Balthasar, et Melchior. Ces trois mages \u00e9taient des\nsages, et en m\u00eame temps des rois; car le mot mage, qui signifie\nimposteur et sorcier, a aussi le sens de \u00abhomme tr\u00e8s savant\u00bb.\nOn peut se demander pourquoi ces mages vinrent \u00e0 J\u00e9rusalem, puisque ce\nn\u2019\u00e9tait point l\u00e0 que le Christ \u00e9tait n\u00e9. Remi en donne quatre raisons:\n1\u00ba les mages ignoraient le lieu exact de la naissance du Christ, et sont\nvenus \u00e0 J\u00e9rusalem parce qu\u2019ils supposaient qu\u2019un enfant aussi\nmerveilleux ne pouvait \u00eatre n\u00e9 que dans la capitale du royaume; 2\u00ba ils\nsont venus \u00e0 J\u00e9rusalem pour consulter les savants et les scribes de la\nville sur le lieu de naissance du Sauveur; 3\u00ba ils sont venus \u00e0 J\u00e9rusalem\npour \u00f4ter aux Juifs l\u2019excuse de pouvoir dire qu\u2019ils ignoraient le temps\nde la naissance du Messie; 4\u00ba enfin ils sont venus \u00e0 J\u00e9rusalem pour\ncondamner, par le spectacle de leur z\u00e8le, l\u2019indiff\u00e9rence et la mollesse\ndes Juifs.\nSaint Jean Chrysostome nous donne une autre explication de la venue des\nmages \u00e0 J\u00e9rusalem. C\u2019\u00e9taient, suivant lui, des astrologues qui, de p\u00e8re\nen fils, passaient trois jours par mois sur une haute montagne, dans\nl\u2019attente de l\u2019\u00e9toile qu\u2019avait pr\u00e9dite Balaam. Or, dans la nuit de la\nnaissance du Christ, une \u00e9toile leur apparut qui avait la forme d\u2019un\nmerveilleux enfant, avec une croix de feu sur la t\u00eate; et elle leur dit:\n\u00abAllez vite dans la terre de Juda, vous y trouverez un enfant nouveau-n\u00e9\nqui est le roi que vous attendez!\u00bb\nOn peut se demander ensuite comment douze jours ont pu leur suffire pour\nfaire un si long trajet, depuis les confins de l\u2019Orient jusqu\u2019\u00e0\nJ\u00e9rusalem, que l\u2019on dit situ\u00e9e au centre du monde. Suivant Remi, c\u2019est\nl\u2019Enfant divin lui-m\u00eame qui les a conduits. Ou encore, suivant d\u2019autres,\nla rapidit\u00e9 de leur course tient \u00e0 ce qu\u2019ils \u00e9taient mont\u00e9s sur des\ndromadaires, animaux tr\u00e8s rapides, qui font plus de chemin en un jour\nque les chevaux en trois.\nArriv\u00e9s \u00e0 J\u00e9rusalem, ils ne demand\u00e8rent pas si le roi des Juifs \u00e9tait\nn\u00e9, car ils le savaient d\u00e9j\u00e0 par l\u2019\u00e9toile. Ils demand\u00e8rent o\u00f9 \u00e9tait n\u00e9\nle roi des Juifs. Ce qu\u2019entendant, H\u00e9rode se troubla fort, et la ville\nenti\u00e8re avec lui. H\u00e9rode en fut troubl\u00e9 pour trois raisons: 1\u00ba il\ncraignait que les Juifs ne prissent pour ma\u00eetre ce roi nouveau-n\u00e9; 2\u00ba il\ncraignait d\u2019\u00eatre mis en accusation par les Romains, s\u2019il permettait \u00e0 un\nhomme non proclam\u00e9 roi par Auguste de rev\u00eatir le titre de roi; 3\u00ba comme\nle dit saint Gr\u00e9goire, un roi terrestre ne pouvait manquer de se sentir\ntroubl\u00e9, se voyant en pr\u00e9sence du roi des Cieux. Et quant au trouble des\nJuifs, il s\u2019expliquait \u00e9galement par trois raisons, d\u2019apr\u00e8s Chrysostome:\n1\u00ba par l\u2019impossibilit\u00e9 o\u00f9 sont les impies de se r\u00e9jouir de l\u2019av\u00e8nement\ndu juste; 2\u00ba par l\u2019adulation de ces Juifs pour H\u00e9rode, dont ils voyaient\nle trouble; 3\u00ba par l\u2019incertitude o\u00f9 ils \u00e9taient de leur sort devant la\nperspective d\u2019une r\u00e9volution.\nH\u00e9rode, ayant convoqu\u00e9 tous les pr\u00eatres et scribes, leur demanda o\u00f9\n\u00e9tait n\u00e9 le Christ. Et quand il apprit que c\u2019\u00e9tait \u00e0 Bethl\u00e9em, il le dit\naux mages, en leur demandant de venir lui rendre compte de ce qu\u2019ils\nauraient vu; lui-m\u00eame, pr\u00e9tendait-il, irait alors adorer l\u2019enfant\nnouveau-n\u00e9: mais en r\u00e9alit\u00e9 il ne songeait qu\u2019\u00e0 le faire p\u00e9rir.\nAutre particularit\u00e9: l\u2019\u00e9toile cessa de guider les mages d\u00e8s qu\u2019ils\nfurent entr\u00e9s \u00e0 J\u00e9rusalem, sans doute pour forcer les mages \u00e0 s\u2019enqu\u00e9rir\ndu lieu de la nativit\u00e9 du Christ, et ainsi \u00e0 fournir devant tous le\nt\u00e9moignage du miracle. Quant \u00e0 la nature m\u00eame de cette \u00e9toile, les uns\ndisent que c\u2019\u00e9tait l\u2019Esprit-Saint qui avait pris cette forme pour guider\nles mages, d\u2019autres que c\u2019\u00e9tait un ange; d\u2019autres enfin, dont nous\npartageons l\u2019avis, supposent que cette \u00e9toile \u00e9tait un astre\nnouvellement cr\u00e9\u00e9, qui, ayant rempli sa mission, sera rentr\u00e9 dans le\nsein de la mati\u00e8re universelle. D\u2019apr\u00e8s Fulgence, cette \u00e9toile diff\u00e9rait\nde toutes les autres en trois choses: 1\u00ba elle n\u2019\u00e9tait pas localis\u00e9e dans\nle firmament, mais pendait dans les airs, pr\u00e8s de la terre; 2\u00ba elle\n\u00e9tait si brillante qu\u2019on la voyait m\u00eame en plein jour, \u00e9clipsant la\nlumi\u00e8re du soleil; 3\u00ba elle marchait en avant des mages, comme une\npersonne vivante, au lieu de suivre le mouvement circulaire des autres\n\u00e9toiles.\nEntr\u00e9s dans la cr\u00e8che, et y ayant trouv\u00e9 l\u2019enfant avec sa m\u00e8re, les\nmages se mirent \u00e0 genoux, et offrirent, en pr\u00e9sent, de l\u2019or, de\nl\u2019encens, et de la myrrhe. Le choix de ces pr\u00e9sents et leur don\ns\u2019expliquent par plusieurs motifs: 1\u00ba c\u2019\u00e9tait l\u2019usage, chez les anciens,\nde ne jamais approcher d\u2019un dieu ou d\u2019un roi sans lui offrir des\npr\u00e9sents; et les mages, qui venaient des confins de la Perse et de la\nChald\u00e9e, \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 coule le fleuve Saba (d\u2019apr\u00e8s l\u2019_Histoire\nscholastique_), apportaient les pr\u00e9sents qu\u2019avaient coutume d\u2019offrir les\nPerses et les Chald\u00e9ens; 2\u00ba d\u2019apr\u00e8s saint Bernard, l\u2019or \u00e9tait destin\u00e9 \u00e0\nall\u00e9ger la pauvret\u00e9 de la Vierge, l\u2019encens \u00e0 effacer la mauvaise odeur\nde l\u2019\u00e9table, la myrrhe \u00e0 consolider les membres de l\u2019enfant en expulsant\nles vers de ses intestins; 3\u00ba ces trois pr\u00e9sents signifiaient la royaut\u00e9\ndu Christ, sa divinit\u00e9, et son humanit\u00e9: car l\u2019or sert pour le tribut\nroyal, l\u2019encens pour le sacrifice divin, la myrrhe pour la s\u00e9pulture des\nmorts; 4\u00ba enfin ces trois pr\u00e9sents signifient ce que nous devons offrir\nau Christ: car l\u2019or est le symbole de l\u2019amour, l\u2019encens celui de la\npri\u00e8re, et la myrrhe symbolise la mortification de la chair.\nAyant ador\u00e9 l\u2019enfant J\u00e9sus, les mages, qu\u2019un songe avait avertis de ne\npoint retourner aupr\u00e8s d\u2019H\u00e9rode, s\u2019en revinrent dans leurs pays par un\nautre chemin. Leurs corps furent retrouv\u00e9s par H\u00e9l\u00e8ne, m\u00e8re de\nConstantin, qui les transporta \u00e0 Constantinople. Plus tard, saint\nEustorge les transporta \u00e0 Milan, dont il \u00e9tait \u00e9v\u00eaque, et les d\u00e9posa\ndans l\u2019\u00e9glise qui appartient aujourd\u2019hui \u00e0 notre Ordre des Fr\u00e8res\npr\u00eacheurs. Mais lorsque l\u2019empereur Henri s\u2019empara de Milan, il fit\ntransporter les corps des mages, par le Rhin, \u00e0 Cologne, o\u00f9 le peuple\nles entoure d\u2019une grande d\u00e9votion.\nXV\nSAINT R\u00c9MY, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(14 janvier)\nLa vie de saint R\u00e9my a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite par Hincmar, archev\u00eaque de Reims.\nI. La naissance de ce glorieux docteur et confesseur de la foi a \u00e9t\u00e9\nproph\u00e9tis\u00e9e par un ermite, dans les circonstances que voici. Au moment\no\u00f9 la pers\u00e9cution des Vandales d\u00e9solait toute la France, un saint\nermite, qui \u00e9tait aveugle, priait avec ardeur pour la paix de l\u2019Eglise\ndes Gaules. Or un ange lui apparut et lui dit: \u00abSache que la femme qui\ns\u2019appelle Ciline mettra au monde un fils du nom de R\u00e9my, qui d\u00e9livrera\nson peuple des attaques des m\u00e9chants!\u00bb Aussi l\u2019ermite, d\u00e8s qu\u2019il\ns\u2019\u00e9veilla, se fit-il conduire \u00e0 la maison de Ciline et lui raconta sa\nvision. Et comme la dame refusait d\u2019y croire,--car elle \u00e9tait d\u00e9j\u00e0\nvieille, et avait renonc\u00e9 \u00e0 l\u2019espoir d\u2019enfanter,--l\u2019ermite lui dit:\n\u00abSache que, lorsque ton enfant aura pris le sein, tu n\u2019auras qu\u2019\u00e0 me\nfrotter les yeux de ton lait pour qu\u2019aussit\u00f4t je recouvre la vue!\u00bb Et\ntout arriva, en effet, de cette fa\u00e7on.\nD\u00e8s sa jeunesse, R\u00e9my \u00e9vita le monde et entra dans un couvent. Mais \u00e0\nvingt-deux ans sa renomm\u00e9e, sans cesse croissante, lui valut d\u2019\u00eatre\nchoisi par tout le peuple pour l\u2019archev\u00each\u00e9 de Reims. Et c\u2019\u00e9tait un\nhomme d\u2019une telle douceur que, quand il mangeait, les moineaux venaient\nsur sa table, et qu\u2019il les nourrissait dans le creux de sa main. Ayant\n\u00e9t\u00e9 un jour re\u00e7u dans la maison d\u2019une dame, et apprenant que celle-ci\nn\u2019avait plus de vin, saint R\u00e9my entra dans sa cave, fit un signe de\ncroix sur le tonneau; et voici que le vin en jaillit en telle abondance\nque toute la cave s\u2019en trouva inond\u00e9e.\nLe roi de France Clovis \u00e9tait alors pa\u00efen, et sa pieuse femme ne\nparvenait pas \u00e0 le convertir. Mais un jour, se voyant menac\u00e9 par\nl\u2019immense arm\u00e9e des Allemands, il fit v\u0153u au Dieu qu\u2019adorait sa femme de\nse convertir \u00e0 lui, s\u2019il lui accordait la victoire sur ses ennemis. Et\nDieu lui accorda la victoire, de sorte qu\u2019il se rendit aupr\u00e8s de saint\nR\u00e9my et demanda \u00e0 \u00eatre baptis\u00e9. Mais, en arrivant aux fonds baptismaux,\nl\u2019\u00e9v\u00eaque et le roi s\u2019aper\u00e7urent que le saint chr\u00eame manquait; et voici\nqu\u2019une colombe, fendant les airs, apporta dans son bec une ampoule\npleine de saint chr\u00eame, dont le pr\u00e9lat oignit le roi. Et cette ampoule\nse conserve dans l\u2019\u00e9glise de Reims, o\u00f9 elle sert, aujourd\u2019hui encore, au\nsacre des rois de France.\nII. Longtemps apr\u00e8s, G\u00e9n\u00e9bald, homme sage et pieux, qui avait \u00e9pous\u00e9 la\nni\u00e8ce de saint R\u00e9my, mais s\u2019\u00e9tait s\u00e9par\u00e9 d\u2019elle, d\u2019un commun accord, par\nscrupule de pi\u00e9t\u00e9, fut ordonn\u00e9 \u00e9v\u00eaque de Laon par saint R\u00e9my. Mais comme\nce G\u00e9n\u00e9bald avait permis \u00e0 sa femme de venir souvent s\u2019instruire aupr\u00e8s\nde lui, ces fr\u00e9quents entretiens allum\u00e8rent le d\u00e9sir dans son \u00e2me, et le\nfirent tomber dans le p\u00e9ch\u00e9. Et la femme, ayant mis au monde un fils,\nmanda cette nouvelle \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque, qui, rempli de honte, lui dit: \u00abPuisque\ncet enfant est le r\u00e9sultat d\u2019un larcin, je veux qu\u2019il s\u2019appelle Larron!\u00bb\nMais plus tard, il permit de nouveau \u00e0 sa femme de venir s\u2019instruire\naupr\u00e8s de lui, et de nouveau il finit par se pr\u00e9cipiter dans le p\u00e9ch\u00e9.\nEt comme, cette fois, sa femme mit au monde une fille, il dit: \u00abJe veux\nque cette fille s\u2019appelle Renarde!\u00bb Puis, rentrant en lui-m\u00eame, il alla\nse jeter aux pieds de saint R\u00e9my, et le pria de lui \u00f4ter du cou l\u2019\u00e9tole\n\u00e9piscopale. Mais saint R\u00e9my s\u2019y refusa; et apr\u00e8s l\u2019avoir doucement\nconsol\u00e9, il l\u2019enferma pendant sept ans dans une cellule, et, durant cet\nintervalle, gouverna lui-m\u00eame son dioc\u00e8se. Or, la septi\u00e8me ann\u00e9e, comme\nG\u00e9n\u00e9bald c\u00e9l\u00e9brait sa messe, un ange lui apparut, qui lui annon\u00e7a que\nson p\u00e9ch\u00e9 lui \u00e9tait remis, et lui ordonna de quitter sa cellule. Alors\nG\u00e9n\u00e9bald r\u00e9pondit: \u00abJe ne le puis pas, car mon ma\u00eetre R\u00e9my a ferm\u00e9 cette\nporte et l\u2019a scell\u00e9e de son sceau.\u00bb L\u2019ange lui dit alors: \u00abAfin que tu\nsaches que le ciel s\u2019est rouvert, cette porte va s\u2019ouvrir sans que le\nsceau soit bris\u00e9!\u00bb Et aussit\u00f4t la porte s\u2019ouvrit. Mais alors G\u00e9n\u00e9bald,\nse jetant en croix sur le sol, dit: \u00abSi m\u00eame le Seigneur J\u00e9sus venait me\nmettre en libert\u00e9, je ne sortirais pas d\u2019ici sans y \u00eatre autoris\u00e9 par\nmon chef R\u00e9my, qui m\u2019a enferm\u00e9!\u00bb Alors saint R\u00e9my, mand\u00e9 par l\u2019ange,\nvint \u00e0 Laon, et repla\u00e7a G\u00e9n\u00e9bald sur son si\u00e8ge \u00e9piscopal; et G\u00e9n\u00e9bald\npers\u00e9v\u00e9ra dans la pi\u00e9t\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 sa mort, et Larron, son fils, lui\nsucc\u00e9da sur son si\u00e8ge, et m\u00e9rita m\u00eame d\u2019\u00eatre canonis\u00e9. Enfin saint R\u00e9my\ns\u2019endormit en paix, vers l\u2019an 500. Le jour de sa f\u00eate est aussi celui o\u00f9\nse c\u00e9l\u00e8bre la naissance de saint Hilaire, \u00e9v\u00eaque de Poitiers.\nXVI\nSAINT HILAIRE, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(14 janvier)\nHilaire, \u00e9v\u00eaque de Poitiers, originaire de l\u2019Aquitaine, brilla parmi les\nhommes comme l\u2019\u00e9toile Lucifer parmi les astres. Mari\u00e9, et p\u00e8re d\u2019une\nfille, il s\u2019\u00e9tait mis, apr\u00e8s la naissance de cet enfant, et tout en\nrestant la\u00efc, \u00e0 mener la vie d\u2019un moine: si bien que, en raison de sa\nvie et de sa science, il fut \u00e9lu \u00e9v\u00eaque. Et il d\u00e9fendit contre les\nh\u00e9r\u00e9tiques, non seulement son dioc\u00e8se, mais la France enti\u00e8re, ce qui ne\nl\u2019emp\u00eacha pas d\u2019\u00eatre un jour exil\u00e9, en compagnie du bienheureux Eus\u00e8be,\n\u00e9v\u00eaque de Verceil, l\u2019empereur ayant \u00e9cout\u00e9 l\u2019avis de deux autres \u00e9v\u00eaques\nqui avaient \u00e9t\u00e9 corrompus par l\u2019h\u00e9r\u00e9sie d\u2019Arius, ainsi d\u2019ailleurs que\nl\u2019empereur lui-m\u00eame. Et lorsque cette h\u00e9r\u00e9sie se fut propag\u00e9e partout,\nl\u2019empereur ayant permis \u00e0 tous les \u00e9v\u00eaques de se r\u00e9unir pour discuter la\nv\u00e9rit\u00e9 de la foi, saint Hilaire se rendit \u00e0 la r\u00e9union; mais lesdits\n\u00e9v\u00eaques obtinrent de l\u2019empereur l\u2019ordre, pour lui, de retourner aussit\u00f4t\n\u00e0 Poitiers. Et comme, durant son retour, il \u00e9tait descendu dans l\u2019\u00eele\nGallibaria[4], qui \u00e9tait toute pleine de serpents, aucun de ces animaux\nn\u2019osa l\u2019approcher; et lui, il planta au milieu de l\u2019\u00eele un poteau, et\nd\u00e9fendit aux serpents de le d\u00e9passer, de telle sorte que la moiti\u00e9 de\nl\u2019\u00eele fut pour eux non comme une terre, mais comme une mer.\n [4] Petite \u00eele de la M\u00e9diterran\u00e9e, \u00e0 quelques centaines de m\u00e8tres\n d\u2019Alassio.\nA Poitiers, lorsqu\u2019il y revint, il ressuscita par ses pri\u00e8res un enfant\nmort sans bapt\u00eame. Longtemps il resta prostern\u00e9, en pri\u00e8re; et enfin\ntous deux se relev\u00e8rent ensemble, le vieillard, de sa pri\u00e8re, et\nl\u2019enfant, de la mort. Et comme la fille d\u2019Hilaire, Apia, voulait se\nmarier, son p\u00e8re lui adressa un discours qui la d\u00e9cida \u00e0 rester dans\nl\u2019\u00e9tat de virginit\u00e9. Mais son p\u00e8re, craignant qu\u2019elle ne fl\u00e9ch\u00eet un jour\ndans cette r\u00e9solution, pria le Seigneur de la rappeler \u00e0 lui, au lieu de\nla laisser vivre plus longtemps; et ainsi fut fait, car, peu de jours\napr\u00e8s, la jeune fille mourut; et Hilaire l\u2019ensevelit de ses propres\nmains. Alors la m\u00e8re de la bienheureuse Apia pria l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019obtenir\npour elle aussi ce qu\u2019il avait obtenu pour sa fille. Et Hilaire le fit,\net par sa pri\u00e8re, l\u2019envoya au ciel.\nEn ce temps-l\u00e0, le pape L\u00e9on, s\u2019\u00e9tant laiss\u00e9 corrompre par l\u2019h\u00e9r\u00e9sie,\nconvoqua en concile tous les \u00e9v\u00eaques; et Hilaire, qui n\u2019avait pas \u00e9t\u00e9\nconvoqu\u00e9, vint \u00e0 ce concile. Alors le pape, apprenant son arriv\u00e9e,\nd\u00e9fendit que personne se lev\u00e2t pour lui ni lui f\u00eet une place. Et lorsque\nHilaire entra, le pape lui dit: \u00abTu es Hilaire le Gaulois?\u00bb Et lui: \u00abJe\nne suis pas Gaulois, mais \u00e9v\u00eaque dans les Gaules.\u00bb Et le pape: \u00abDonc tu\nes Hilaire des Gaules, et moi je suis L\u00e9on, \u00e9v\u00eaque et juge supr\u00eame,\nassis sur le si\u00e8ge apostolique!\u00bb Alors Hilaire: \u00abSi tu es L\u00e9on (lion),\ndu moins tu n\u2019es pas le lion de la tribu de Juda; et peut-\u00eatre es-tu\njuge, mais certes tu ne juges pas sur le si\u00e8ge divin!\u00bb Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque,\nindign\u00e9, se leva, disant: \u00abAttends ici un moment, je vais revenir tout \u00e0\nl\u2019heure, et saurai bien te traiter suivant ton m\u00e9rite!\u00bb Et Hilaire:\n\u00abMais si tu ne reviens pas, qui me r\u00e9pondra pour toi?\u00bb Et lui: \u00abJe\nreviendrai \u00e0 l\u2019instant, et verrai \u00e0 humilier ton orgueil!\u00bb L\u00e0-dessus le\npape se rendit o\u00f9 l\u2019appelait un besoin naturel, et il fut saisi de\ndysenterie, et il mourut l\u00e0 mis\u00e9rablement, perdant tous ses boyaux.\nCependant Hilaire, voyant que personne ne se levait pour lui faire\nplace, s\u2019assit patiemment \u00e0 terre, disant: \u00abLa terre est \u00e0\nNotre-Seigneur!\u00bb Et aussit\u00f4t la terre, \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 il \u00e9tait assis,\ns\u2019\u00e9leva, de fa\u00e7on qu\u2019Hilaire se trouva au niveau des autres \u00e9v\u00eaques. Et\nlorsque fut apport\u00e9e la nouvelle de la mort mis\u00e9rable du pape, Hilaire,\nse levant, ramena tous les \u00e9v\u00eaques \u00e0 la foi catholique, et les renvoya\ndans leurs dioc\u00e8ses. Nous devons toutefois ajouter que ce miracle de la\nmort du pape L\u00e9on reste douteux, car ni l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_, ni\nla _Tripartite_ n\u2019en font mention, et aucune chronique ne signale\nl\u2019existence, \u00e0 cette \u00e9poque, d\u2019un pape de ce nom; et enfin saint J\u00e9r\u00f4me\ndit que \u00abla sainte Eglise romaine est toujours rest\u00e9e immacul\u00e9e, sans se\nsouiller d\u2019aucune h\u00e9r\u00e9sie\u00bb. Mais on peut supposer que peut-\u00eatre ce L\u00e9on,\nsans avoir \u00e9t\u00e9 \u00e9lu pape r\u00e9guli\u00e8rement, avait usurp\u00e9 le titre de pape; ou\npeut-\u00eatre encore le nom de L\u00e9on n\u2019\u00e9tait-il qu\u2019un surnom du pape Lib\u00e8re,\ndont on sait qu\u2019il a favoris\u00e9 l\u2019h\u00e9r\u00e9sie de l\u2019empereur Constantin.\nQuand enfin, apr\u00e8s de nombreux miracles, saint Hilaire, vieux et malade,\nsentit approcher la mort, il appela le pr\u00eatre L\u00e9once, son favori, et le\npria de sortir de sa maison et puis de revenir lui faire part de ce\nqu\u2019il aurait entendu. Et L\u00e9once sortit, et revint dire qu\u2019il avait\nentendu le bruit de la ville en tumulte. Et, vers minuit, une lumi\u00e8re\nsurnaturelle, telle que L\u00e9once lui-m\u00eame ne pouvait en supporter la vue,\nentra dans la chambre de l\u2019\u00e9v\u00eaque: elle s\u2019\u00e9vanouit peu \u00e0 peu, emportant\navec elle l\u2019\u00e2me de saint Hilaire. Celui-ci florissait vers l\u2019an 340,\nsous le r\u00e8gne de Constantin.\nXVII\nSAINT F\u00c9LIX, PR\u00caTRE ET CONFESSEUR\n(14 janvier)\nOn raconte que saint F\u00e9lix \u00e9tait ma\u00eetre d\u2019\u00e9cole, et traitait ses \u00e9l\u00e8ves\navec une rigueur extr\u00eame. Et comme, pris par les pa\u00efens, il proclamait\nouvertement sa foi chr\u00e9tienne, il fut livr\u00e9 aux mains des enfants de son\n\u00e9cole, qui le tu\u00e8rent \u00e0 coup de poin\u00e7ons. Pourtant l\u2019Eglise para\u00eet nous\naffirmer que saint F\u00e9lix n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 martyr mais seulement confesseur.\nEt une autre l\u00e9gende raconte que, l\u2019\u00e9v\u00eaque de Nole Maxime \u00e9tant un jour\ntomb\u00e9 \u00e0 terre, \u00e0 demi mort de faim et de froid (car il s\u2019\u00e9tait enfui\npour \u00e9chapper \u00e0 la pers\u00e9cution), F\u00e9lix, averti par un ange, vint \u00e0 son\nsecours; et comme il n\u2019avait apport\u00e9 avec lui aucune nourriture, il\npressa dans la bouche de l\u2019\u00e9v\u00eaque le jus d\u2019une grappe de raisin qu\u2019il\nvit miraculeusement attach\u00e9e \u00e0 une haie voisine, apr\u00e8s quoi, prenant le\nvieillard sur ses \u00e9paules, il l\u2019emporta chez lui; et, \u00e0 la mort de\nMaxime, c\u2019est lui qui fut \u00e9lu \u00e9v\u00eaque \u00e0 sa place.\nUn jour qu\u2019il pr\u00eachait, et que ses pers\u00e9cuteurs le poursuivaient, il se\ncacha entre des murs en ruines; et aussit\u00f4t Dieu ordonna \u00e0 des araign\u00e9es\nde tisser leur toile devant l\u2019entr\u00e9e de cette ruine: si bien que, en\napercevant cette toile d\u2019araign\u00e9e, les pers\u00e9cuteurs s\u2019en all\u00e8rent,\nconvaincus que personne n\u2019\u00e9tait entr\u00e9 par l\u00e0. Saint F\u00e9lix se cacha\nensuite dans un autre lieu, o\u00f9 une femme le nourrit pendant trois mois\nsans voir une seule fois son visage. Enfin, au retour de la paix, il\nrevint \u00e0 son \u00e9glise, et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019endormit dans le Seigneur. Il\nfut enterr\u00e9 aux portes de la ville, dans un endroit nomm\u00e9 Pinci.\nIl avait un fr\u00e8re, qui s\u2019appelait, lui aussi, F\u00e9lix, et qui montra un\ngrand courage dans la pers\u00e9cution. Et l\u2019on raconte que saint F\u00e9lix\ncultivait un jardin, et que des voleurs, qui avaient entrepris de lui\nd\u00e9rober ses l\u00e9gumes, ne purent s\u2019emp\u00eacher, toute la nuit, de lui\ncultiver son jardin, de telle sorte que, le lendemain matin, saint F\u00e9lix\nles trouva ainsi occup\u00e9s. Aux compliments qu\u2019il leur fit, les voleurs\navou\u00e8rent leurs mauvais desseins; et le saint les renvoya doucement chez\neux. Un autre jour certains pa\u00efens, venus pour s\u2019emparer de saint F\u00e9lix,\n\u00e9prouv\u00e8rent une douleur affreuse dans les mains; et comme ils hurlaient,\nle saint leur dit: \u00abSi vous voulez que votre douleur cesse aussit\u00f4t,\ndites: le Christ est Dieu!\u00bb Et ils le dirent et furent gu\u00e9ris. Alors le\npr\u00eatre des idoles vint le trouver et dit: \u00abSeigneur \u00e9v\u00eaque, mon dieu a\npris la fuite d\u00e8s qu\u2019il t\u2019a vu venir, en me disant qu\u2019il ne pouvait pas\nsupporter ta vertu. Si donc mon dieu te craint \u00e0 ce point, combien\ndavantage je dois te craindre!\u00bb Et F\u00e9lix l\u2019instruisit dans la foi\nchr\u00e9tienne, et le baptisa.\nXVIII\nSAINT PAUL, ERMITE\n(15 janvier)\nPaul fut le premier ermite, ainsi que l\u2019atteste saint J\u00e9r\u00f4me, qui a\n\u00e9crit sa vie. Pour \u00e9chapper aux pers\u00e9cutions de D\u00e9cius, il se retira\ndans un immense d\u00e9sert, et l\u00e0, au fond d\u2019une caverne, il demeura pendant\nsoixante ans inconnu aux hommes.\nCe D\u00e9cius se nommait aussi Gallien, et avait commenc\u00e9 de r\u00e9gner en l\u2019an\n256. Il tourmentait cruellement les chr\u00e9tiens. Il fit un jour saisir\ndeux jeunes chr\u00e9tiens, fit enduire de miel le corps de l\u2019un d\u2019eux, et le\nfit exposer, sous un soleil torride, aux piq\u00fbres des mouches, des\nabeilles et des gu\u00eapes; l\u2019autre jeune homme fut plac\u00e9 sur un lit\nmoelleux, dans un lieu charmant o\u00f9 l\u2019air \u00e9tait doux, rempli du murmure\nde l\u2019eau, du chant des oiseaux, et du parfum des fleurs; et ce jeune\nhomme fut li\u00e9, avec des cordes enguirland\u00e9es de fleurs, de fa\u00e7on \u00e0 ne\npouvoir remuer ni les pieds ni les mains. Le m\u00e9chant empereur fit venir\naupr\u00e8s de ce jeune homme certaine femme aussi impure que belle, qui\nre\u00e7ut l\u2019ordre de souiller la chair de ce jeune chr\u00e9tien, rempli du seul\namour de Dieu. Mais celui-ci, d\u00e8s qu\u2019il sentit dans sa chair des\nmouvements contraires \u00e0 la raison, n\u2019ayant point d\u2019arme pour se\nd\u00e9fendre, coupa sa langue avec ses dents et la cracha au visage de\nl\u2019impudique, \u00e9chappant ainsi \u00e0 la tentation par l\u2019exc\u00e8s de la douleur,\net se pr\u00e9parant un troph\u00e9e \u00e0 jamais admirable.\nEffray\u00e9 de tels supplices et d\u2019autres encore, saint Paul s\u2019enfuit au\nd\u00e9sert. Et lorsque saint Antoine vint \u00e0 son tour au d\u00e9sert, s\u2019imaginant\n\u00eatre le premier ermite, un songe lui apprit qu\u2019un autre ermite, meilleur\nque lui, avait droit \u00e0 son hommage. Aussi saint Antoine s\u2019effor\u00e7a-t-il\nde d\u00e9couvrir cet autre ermite. Et comme il le cherchait par les for\u00eats,\nil rencontra d\u2019abord un centaure, \u00e0 demi-homme, \u00e0 demi-cheval, qui lui\ndit d\u2019aller devant lui. Il rencontra ensuite un animal qui portait des\ndattes, et qui, par le haut du corps ressemblait \u00e0 un homme, avec le\nventre et les pieds d\u2019une ch\u00e8vre. Antoine lui demanda qui il \u00e9tait: il\nr\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait un satyre, c\u2019est-\u00e0-dire une de ces cr\u00e9atures que\nles pa\u00efens prenaient pour des dieux des bois. Enfin saint Antoine\nrencontra un loup, qui le conduisit jusqu\u2019\u00e0 la cellule de saint Paul. Or\ncelui-ci, pressentant l\u2019arriv\u00e9e d\u2019un homme, avait ferm\u00e9 sa porte. Mais\nAntoine le supplia de lui ouvrir, affirmant qu\u2019il mourrait sur place\nplut\u00f4t que de se retirer. Et Paul, vaincu par ses pri\u00e8res, lui ouvrit;\net aussit\u00f4t les deux ermites se jet\u00e8rent dans les bras l\u2019un de l\u2019autre.\nEt comme l\u2019heure de midi approchait, un corbeau vint apporter un pain\nform\u00e9 de deux parties. Et comme Antoine s\u2019en \u00e9tonnait, Paul lui dit que\nDieu le nourrissait tous les jours de cette fa\u00e7on: il avait seulement\ndoubl\u00e9 la ration, ce jour-l\u00e0, \u00e0 cause de la visite d\u2019Antoine. L\u00e0-dessus\ns\u2019engagea une pieuse dispute pour savoir qui des deux serait le plus\ndigne de diviser le pain. Paul voulait que ce f\u00fbt Antoine, en sa qualit\u00e9\nd\u2019h\u00f4te, Antoine voulait que ce f\u00fbt Paul, en sa qualit\u00e9 d\u2019a\u00een\u00e9. Enfin\ntous deux prirent le pain, et le divis\u00e8rent en parties \u00e9gales.\nEt comme Antoine s\u2019en revenait vers sa cellule, il vit passer au-dessus\nde lui deux anges portant l\u2019\u00e2me de Paul. Il retourna aussit\u00f4t sur ses\npas, et trouva le corps de Paul agenouill\u00e9 dans l\u2019attitude de la pri\u00e8re,\nde telle sorte qu\u2019il crut qu\u2019il \u00e9tait vivant. Le saint, cependant, \u00e9tait\nmort; et Antoine s\u2019\u00e9cria: \u00abO \u00e2me sainte, ce que tu faisais dans la vie,\ntu en gardes le signe jusque dans la mort!\u00bb Et pendant qu\u2019il songeait au\nmoyen d\u2019ensevelir Paul, voici qu\u2019arriv\u00e8rent deux lions qui creus\u00e8rent\nune fosse, aid\u00e8rent \u00e0 la s\u00e9pulture, et s\u2019en retourn\u00e8rent dans leur\nfor\u00eat. Et Antoine prit le manteau de Paul, fait de feuilles de palmier:\nil le rev\u00eatit, depuis lors, aux jours de f\u00eates. La mort de Paul eut lieu\nvers l\u2019an 287.\nXIX\nSAINT MACAIRE, ERMITE\n(15 janvier)\nMacaire, \u00e9tant abb\u00e9, et marchant dans le d\u00e9sert, entra pour dormir dans\nun monument o\u00f9 \u00e9taient ensevelis des corps de pa\u00efens; et il pla\u00e7a un de\nces corps sous sa t\u00eate, en guise d\u2019oreiller. Et les d\u00e9mons, voulant\nl\u2019effrayer, appelaient, disant: \u00abL\u00e8ve-toi et viens avec nous au bain!\u00bb\nEt un autre d\u00e9mon, s\u2019\u00e9tant introduit dans le corps du mort, et prenant\nune voix de femme, r\u00e9pondait: \u00abJe ne puis me lever, car un \u00e9tranger\ns\u2019est mis sur moi!\u00bb Mais Macaire, sans s\u2019effrayer, dit au corps, apr\u00e8s\nl\u2019avoir battu: \u00abL\u00e8ve-toi et va-t\u2019en, si tu le peux!\u00bb Ce qu\u2019entendant,\nles d\u00e9mons s\u2019enfuirent, en criant \u00e0 haute voix: \u00abSeigneur, tu nous as\nvaincus!\u00bb\nUn jour, saint Macaire, traversant un marais pour regagner sa cellule,\nrencontra le diable, qui, arm\u00e9 d\u2019une faux, voulut le frapper et ne put y\nparvenir. Et le d\u00e9mon lui dit: \u00abJ\u2019ai beaucoup \u00e0 souffrir de ton fait,\nMacaire, et cela, parce que je ne parviens pas \u00e0 te vaincre. Je fais\npourtant tout ce que tu fais; tu je\u00fbnes et moi je ne mange pas, tu\nveilles et moi je ne dors pas; et il n\u2019y a qu\u2019une seule chose o\u00f9 tu me\nd\u00e9passes.\u00bb Et l\u2019abb\u00e9 dit: \u00abQuelle est donc cette chose?\u00bb Et le diable:\n\u00abC\u2019est ton humilit\u00e9, en raison de laquelle je suis sans force contre\ntoi!\u00bb\nAyant trop \u00e0 souffrir de la tentation, Macaire, mit sur ses \u00e9paules un\ngrand sac rempli de sable, et alla le porter dans le d\u00e9sert, plusieurs\njours de suite. Th\u00e9os\u00e8be, le rencontrant, lui dit: \u00abAbb\u00e9, pourquoi\nportes-tu ce fardeau?\u00bb Et il lui r\u00e9pondit: \u00abPour tourmenter mon corps\nqui me tourmente!\u00bb Une autre fois, il vit Satan v\u00eatu d\u2019un manteau perc\u00e9\nde trous et auquel pendaient d\u2019innombrables flacons. Et Macaire lui dit:\n\u00abO\u00f9 vas-tu?\u00bb Et lui: \u00abJe porte \u00e0 boire aux fr\u00e8res!\u00bb Et Macaire: \u00abMais\npourquoi as-tu tant de flacons?\u00bb Et le diable: \u00abC\u2019est pour \u00eatre s\u00fbr de\ncontenter les fr\u00e8res; car si un des flacons ne leur pla\u00eet pas, je leur\noffrirai de l\u2019autre ou du troisi\u00e8me, jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019un de mes flacons\nsoit \u00e0 leur go\u00fbt!\u00bb Plus tard, le voyant revenir, Macaire lui dit: \u00abEh\nbien, qu\u2019as-tu fait?\u00bb Il r\u00e9pondit: \u00abTous se sont sanctifi\u00e9s et ont\nrefus\u00e9 mes flacons, \u00e0 l\u2019exception d\u2019un seul, nomm\u00e9 Th\u00e9otiste.\u00bb Aussit\u00f4t\nMacaire, se levant, alla trouver ce fr\u00e8re, et, par ses discours, le\nd\u00e9livra de la tentation. Et le lendemain, Macaire, rencontrant de\nnouveau le diable, lui dit: \u00abO\u00f9 vas-tu?\u00bb Il r\u00e9pondit: \u00abChez les fr\u00e8res!\u00bb\nEt Macaire, quand il le vit revenir, lui demanda: \u00abEh bien, comment vont\nles fr\u00e8res?\u00bb Et le diable r\u00e9pondit: \u00abMal!\u00bb Et Macaire: \u00abComment cela?\u00bb\nEt le diable: \u00abIls sont tous saints, et, pour comble de malheur, le seul\nd\u2019entre eux que j\u2019avais est perdu pour moi, et est m\u00eame devenu le plus\nsaint de tous!\u00bb Et le vieillard, quand il entendit ces paroles, rendit\ngr\u00e2ces \u00e0 Dieu.\nUn autre jour, Macaire, ayant trouv\u00e9 un cr\u00e2ne de mort, lui demanda de\nqui il avait \u00e9t\u00e9 la t\u00eate. \u00ab--D\u2019un pa\u00efen!--Et o\u00f9 est ton \u00e2me?--En enfer!\u00bb\nMacaire demanda au cr\u00e2ne si sa place en enfer \u00e9tait tr\u00e8s profonde.\n\u00ab--Aussi profonde que la terre par rapport au ciel!--Et y a-t-il des\n\u00e2mes log\u00e9es encore plus bas que la tienne?--Oui, celles des Juifs!--Et,\nau-dessous des Juifs, y a-t-il encore d\u2019autres \u00e2mes?--Oui, celles des\nmauvais chr\u00e9tiens qui, rachet\u00e9s par le sang du Christ, font bon march\u00e9\nde ce privil\u00e8ge!\u00bb\nCe bon abb\u00e9 tua, un jour, de sa main, une puce; et, l\u2019ayant tu\u00e9e, il fut\nd\u00e9sol\u00e9 d\u2019avoir veng\u00e9 sa propre injure; et pour se punir, il resta\npendant six mois tout nu dans le d\u00e9sert, jusqu\u2019\u00e0 ce que tout son corps\nne f\u00fbt plus qu\u2019une plaie. Et apr\u00e8s cela, il s\u2019endormit en paix, laissant\nau monde le souvenir de grandes vertus.\nXX\nSAINT MARCEL\n(16 janvier)\nMarcel \u00e9tait pape \u00e0 Rome. Ayant os\u00e9 reprocher \u00e0 l\u2019empereur Maximien sa\ncruaut\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9gard des chr\u00e9tiens, et s\u2019\u00e9tant permis de c\u00e9l\u00e9brer la messe\ndans la maison d\u2019une femme noble consacr\u00e9e au Christ, il excita \u00e0 tel\npoint la rage de l\u2019empereur, que celui-ci changea cette maison en\n\u00e9curie, et contraignit Marcel \u00e0 y garder les chevaux, en qualit\u00e9\nd\u2019esclave. Et saint Marcel, apr\u00e8s de nombreuses ann\u00e9es de cet esclavage,\ns\u2019endormit dans le Seigneur vers l\u2019an 287.\nXXI\nSAINT ANTOINE, ERMITE\n(17 janvier)\nLa vie de ce saint a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite par saint Anastase.\nI. Antoine avait vingt ans lorsqu\u2019il entendit lire, \u00e0 l\u2019Eglise, les\nparoles de J\u00e9sus: \u00abSi tu veux \u00eatre parfait, vends ce que tu poss\u00e8des, et\ndonnes-en le produit aux pauvres!\u00bb Aussit\u00f4t Antoine vendit tous ses\nbiens, en donna le produit aux pauvres, et alla se faire ermite au\nd\u00e9sert. Il eut \u00e0 y soutenir des tentations innombrables de la part des\nd\u00e9mons. Un jour qu\u2019il avait vaincu par sa foi le d\u00e9mon de la luxure, le\ndiable lui apparut sous la forme d\u2019un enfant noir, et, se prosternant\ndevant lui, se reconnut vaincu. Une autre fois, comme il \u00e9tait dans une\ntombe d\u2019Egypte, la foule des d\u00e9mons le maltraita si affreusement qu\u2019un\nde ses compagnons le crut mort et l\u2019emporta sur ses \u00e9paules; mais comme\ntous les fr\u00e8res, rassembl\u00e9s, le pleuraient, il se releva et demanda \u00e0\nl\u2019homme qui l\u2019avait apport\u00e9 de le rapporter \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 il l\u2019avait\ntrouv\u00e9. Et comme il y gisait, accabl\u00e9 de la douleur que lui causaient\nses blessures, les d\u00e9mons reparurent, sous diverses formes d\u2019animaux\nf\u00e9roces, et se remirent \u00e0 le d\u00e9chirer avec leurs dents, leurs cornes, et\nleurs griffes. Alors, soudain, une lumi\u00e8re merveilleuse remplit le\ncaveau, et mit en fuite tous les d\u00e9mons; et Antoine se trouva aussit\u00f4t\ngu\u00e9ri. Et alors, comprenant que c\u2019\u00e9tait J\u00e9sus qui venait \u00e0 son secours,\nle saint lui dit: \u00abO\u00f9 \u00e9tais-tu tout \u00e0 l\u2019heure, bon J\u00e9sus, et pourquoi\nn\u2019\u00e9tais-tu pas ici pour me secourir et gu\u00e9rir mes blessures?\u00bb Et le\nSeigneur lui r\u00e9pondit: \u00abAntoine, j\u2019\u00e9tais l\u00e0, mais j\u2019attendais de voir\nton combat; et maintenant que tu as lutt\u00e9 avec courage, je r\u00e9pandrai ta\ngloire dans le monde entier!\u00bb Et telle \u00e9tait la ferveur du saint, que\nlorsque l\u2019empereur Maximien mettait \u00e0 mort les chr\u00e9tiens, il suivait les\nmartyrs jusqu\u2019au lieu de leur supplice, esp\u00e9rant \u00eatre supplici\u00e9 avec\neux; et il s\u2019affligeait fort de voir que le martyre lui \u00e9tait refus\u00e9.\nII. Etant venu dans une autre partie du d\u00e9sert, il y trouva un grand\ndisque d\u2019argent; et il se dit: \u00abD\u2019o\u00f9 peut venir ce disque d\u2019argent, en\nun lieu o\u00f9 ne se voient nulles traces d\u2019hommes? Si un voyageur l\u2019avait\nperdu, il serait revenu le chercher, et l\u2019aurait certainement retrouv\u00e9,\ngrand comme est ce disque. Satan, c\u2019est encore un de tes tours! Mais tu\nne parviendras pas \u00e0 \u00e9branler ma volont\u00e9!\u00bb Et, comme il disait cela, le\ndisque s\u2019\u00e9vanouit en fum\u00e9e. Il trouva ensuite une \u00e9norme masse d\u2019or;\nmais il l\u2019\u00e9vita comme le feu, et s\u2019enfuit sur une montagne o\u00f9 il resta\nvingt ans, \u00e9clatant de miracles. Un jour qu\u2019il \u00e9tait ravi en esprit, il\nvit le monde tout couvert de filets \u00e9troitement unis. Et il s\u2019\u00e9cria:\n\u00abOh! qui pourra s\u2019\u00e9chapper hors de ces filets?\u00bb Et une voix lui\nr\u00e9pondit: \u00abL\u2019humilit\u00e9!\u00bb Une autre fois, comme les anges l\u2019emportaient\ndans les airs, les d\u00e9mons voulurent l\u2019emp\u00eacher de passer en lui\nrappelant les p\u00e9ch\u00e9s qu\u2019il avait commis depuis sa naissance. Mais les\nanges: \u00abVous n\u2019avez pas \u00e0 parler de ces p\u00e9ch\u00e9s, que la gr\u00e2ce du Christ a\nd\u00e9j\u00e0 effac\u00e9s. Mais, si vous en connaissez qu\u2019Antoine ait commis depuis\nqu\u2019il est moine, dites-les!\u00bb Et, comme les diables se taisaient, Antoine\nput librement s\u2019\u00e9lever dans les airs et en redescendre.\nIII. Saint Antoine raconte qu\u2019il a vu, un jour, certain diable de haute\ntaille qui, osant se faire passer pour la Providence divine, lui dit:\n\u00abQue veux-tu, Antoine, afin que je te le donne?\u00bb Mais le saint, s\u2019armant\nde sa foi, lui cracha au visage, se jeta sur lui, et aussit\u00f4t le diable\ns\u2019\u00e9vanouit. Une autre fois le diable lui apparut dans un corps d\u2019une\ntaille si haute que sa t\u00eate semblait toucher le ciel. Antoine lui ayant\ndemand\u00e9 qui il \u00e9tait, il avoua qu\u2019il \u00e9tait Satan, et ajouta: \u00abPourquoi\nles moines me combattent-ils, et pourquoi les chr\u00e9tiens me\nmaudissent-ils?\u00bb Et Antoine: \u00abIls ont raison de le faire, car tu ne\ncesses de les tourmenter!\u00bb Et le diable: \u00abCe n\u2019est pas moi qui les\ntourmente, mais ce sont eux qui se tourmentent eux-m\u00eames: car moi je ne\npuis plus rien, depuis que le r\u00e8gne du Christ s\u2019est r\u00e9pandu sur toute la\nterre.\u00bb\nIV. Quelqu\u2019un demanda \u00e0 saint Antoine: \u00abQue dois-je faire pour plaire \u00e0\nDieu?\u00bb Et le saint lui r\u00e9pondit: \u00abO\u00f9 que tu ailles, aie toujours Dieu\ndevant les yeux; quoi que tu fasses, ob\u00e9is aux pr\u00e9ceptes de la Sainte\nEcriture; et, dans quelque lieu que tu te trouves, restes-y! Fais ces\ntrois choses, et tu seras sauv\u00e9!\u00bb Un abb\u00e9 ayant demand\u00e9, lui aussi, \u00e0\nsaint Antoine ce qu\u2019il devait faire, le saint r\u00e9pondit: \u00abNe te fie pas \u00e0\nta justice, contiens ton ventre et ta langue, et, quand une chose est\npass\u00e9e, ne la regrette pas!\u00bb Et il dit encore: \u00abDe m\u00eame que les poissons\nmeurent si on les met \u00e0 sec, de m\u00eame les moines qui s\u2019attardent hors de\nleur cellule et fr\u00e9quentent les s\u00e9culiers se rel\u00e2chent de leur bon\npropos.\u00bb Et il dit encore: \u00abCelui qui vit dans la solitude est d\u00e9livr\u00e9\nde trois guerres, \u00e0 savoir: contre l\u2019ou\u00efe, la vue et la parole, et n\u2019a \u00e0\nlutter que contre son c\u0153ur.\u00bb\nV. Saint Antoine disait que les mouvements du corps pouvaient \u00eatre de\ntrois sortes: les uns provenant de la nature m\u00eame, les autres de l\u2019exc\u00e8s\nd\u2019aliments, d\u2019autres enfin de la suggestion du d\u00e9mon. Un fr\u00e8re de son\nermitage avait renonc\u00e9 au si\u00e8cle, mais non pas enti\u00e8rement, car il\ngardait encore quelques biens. Et Antoine lui dit: \u00abVa acheter de la\nviande!\u00bb Et comme le fr\u00e8re revenait avec la viande, des chiens se\njet\u00e8rent sur lui et le mordirent. Alors Antoine lui dit: \u00abCeux qui\nrenoncent au monde et qui veulent garder des biens, c\u2019est ainsi qu\u2019ils\nsont d\u00e9chir\u00e9s par les d\u00e9mons!\u00bb\nUn jour qu\u2019il s\u2019ennuyait dans sa cellule, il dit: \u00abSeigneur, je veux\n\u00eatre sauv\u00e9, et mes pens\u00e9es ne me le permettent pas!\u00bb Alors, sortant de\nsa cellule, il vit un inconnu qui \u00e9tait assis et travaillait, apr\u00e8s quoi\nil se relevait et priait. Or cet inconnu \u00e9tait un ange, et il dit \u00e0\nAntoine: \u00abFais ainsi, et tu seras sauv\u00e9!\u00bb\nEt un jour, comme Antoine travaillait avec ses fr\u00e8res, ceux-ci\nl\u2019entendirent prier Dieu de d\u00e9tourner du monde le malheur qui se\npr\u00e9parait. Puis, comme les fr\u00e8res lui demandaient quel \u00e9tait ce malheur,\nil r\u00e9pondit, avec des larmes et des sanglots: \u00abJ\u2019ai vu dans le ciel\nl\u2019autel de Dieu entour\u00e9 par une multitude de chevaux qui foulaient aux\npieds les choses saintes; et j\u2019ai entendu la voix du Seigneur disant:\n\u00abMon autel sera souill\u00e9!\u00bb Et, en effet, deux ans apr\u00e8s, les ariens\nh\u00e9r\u00e9tiques rompirent l\u2019unit\u00e9 de l\u2019Eglise, souill\u00e8rent les choses\nsaintes, et foul\u00e8rent aux pieds les autels chr\u00e9tiens.\nVI. Un chef \u00e9gyptien, nomm\u00e9 Ballachius, s\u2019\u00e9tant affili\u00e9 \u00e0 la secte des\nariens, pers\u00e9cutait l\u2019Eglise de Dieu, et faisait exposer \u00e0 nu et battre\nde verges les moines et les religieuses. Alors saint Antoine lui\n\u00e9crivit: \u00abJe vois la col\u00e8re de Dieu pr\u00eate \u00e0 s\u2019abattre sur toi. Cesse de\npers\u00e9cuter les chr\u00e9tiens, si tu veux la d\u00e9tourner de toi!\u00bb Le malheureux\nlut la lettre, en rit, la jeta \u00e0 terre, fit battre les moines qui\nl\u2019avaient apport\u00e9e, et les chargea de dire \u00e0 leur ma\u00eetre Antoine que,\nlui aussi, il sentirait bient\u00f4t la rigueur de sa discipline. Or, cinq\njours apr\u00e8s, Ballachius, ayant voulu monter un de ses chevaux, animal\nd\u2019une douceur parfaite, fut renvers\u00e9 par ce cheval, mordu, foul\u00e9 aux\npieds; et il mourut le surlendemain.\nUn jour, les fr\u00e8res demand\u00e8rent \u00e0 Antoine le secret du salut. Le saint\nleur r\u00e9pondit: \u00abN\u2019avez-vous pas entendu que J\u00e9sus a dit: \u00abSi l\u2019on te\nfrappe sur une joue, tends l\u2019autre joue?\u00bb Et eux: \u00abOui, mais cela est\nau-dessus de nos forces!\u00bb Et Antoine: \u00abAlors souffrez du moins avec\npatience d\u2019\u00eatre frapp\u00e9s sur une joue!\u00bb Et eux: \u00abCela encore est\nau-dessus de nos forces!\u00bb Et saint Antoine: \u00abAlors contentez-vous, du\nmoins, de ne pas frapper plus qu\u2019on ne vous aura frapp\u00e9s!\u00bb Et eux: \u00abCela\nm\u00eame est encore au-dessus de nos forces!\u00bb Sur quoi Antoine, se tournant\nvers son disciple, lui dit: \u00abVa pr\u00e9parer une liqueur fortifiante pour\nces fr\u00e8res, car en v\u00e9rit\u00e9 ils sont bien d\u00e9biles; et quant \u00e0 vous, la\npri\u00e8re est la seule chose que je puisse vous recommander!\u00bb Tout cela se\nlit dans les _Vies des P\u00e8res_. Enfin saint Antoine, parvenu \u00e0 l\u2019\u00e2ge de\ncent cinq ans, s\u2019endormit en paix apr\u00e8s avoir embrass\u00e9 ses fr\u00e8res: il\nmourut sous le r\u00e8gne de Constantin, qui monta sur le tr\u00f4ne en l\u2019an 340.\nXXII\nSAINT FABIEN, PAPE ET MARTYR\n(20 janvier)\nFabien \u00e9tait citoyen romain; et, un jour que la foule avait \u00e0 \u00e9lire un\nnouveau pape, il se joignit \u00e0 elle pour conna\u00eetre l\u2019issue de l\u2019\u00e9lection.\nOr, voici qu\u2019une colombe blanche descendit du ciel et se posa sur la\nt\u00eate de Fabien: ce que voyant, la foule l\u2019\u00e9lut pape. Alors, comme le\nrapporte le pape Damase, il envoya dans les diverses r\u00e9gions du monde\nsept diacres et sept sous-diacres, charg\u00e9s de recueillir par \u00e9crit tous\nles actes des martyrs. Il fit \u00e9galement b\u00e2tir de nombreuses basiliques\nsur les lieux o\u00f9 \u00e9taient ensevelis ces saints martyrs. Et c\u2019est lui\naussi qui a d\u00e9cid\u00e9 que, tous les ans, le jour de la Sainte-C\u00e8ne[5], le\nsaint chr\u00eame de l\u2019ann\u00e9e pr\u00e9c\u00e9dente serait br\u00fbl\u00e9 et remplac\u00e9 par un\nnouveau, consacr\u00e9 en ce m\u00eame jour. Et Haimon rapporte que, l\u2019empereur\nPhilippe ayant voulu assister \u00e0 la veill\u00e9e de P\u00e2ques et participer aux\nsacrements, le pape Fabien lui r\u00e9sista et lui d\u00e9fendit l\u2019acc\u00e8s de\nl\u2019\u00e9glise jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il eut confess\u00e9 ses p\u00e9ch\u00e9s et fait p\u00e9nitence.\nEnfin saint Fabien, dans la treizi\u00e8me ann\u00e9e de son pontificat, obtint la\ncouronne du martyre, ayant \u00e9t\u00e9 d\u00e9capit\u00e9 sur l\u2019ordre de D\u00e9cius. Son\nmartyre eut lieu vers l\u2019an du Seigneur 253.\n [5] Le jeudi saint.\nXXIII\nSAINT S\u00c9BASTIEN, MARTYR\n(20 janvier)\nI. S\u00e9bastien, originaire de Narbonne et citoyen de Milan, \u00e9tait anim\u00e9\nd\u2019une foi chr\u00e9tienne tr\u00e8s ardente. Mais les empereurs pa\u00efens Maximien et\nDiocl\u00e9tien avaient pour lui une telle affection qu\u2019ils l\u2019avaient nomm\u00e9\nchef de la premi\u00e8re cohorte; et l\u2019avaient attach\u00e9 \u00e0 leur personne. Et\nlui, il ne portait la chlamyde militaire que pour pouvoir aider et\nconsoler les chr\u00e9tiens pers\u00e9cut\u00e9s.\nOr comme, un jour, deux fr\u00e8res jumeaux, Marcellin et Marc, allaient \u00eatre\nd\u00e9capit\u00e9s pour s\u2019\u00eatre refus\u00e9s \u00e0 abjurer la foi du Christ, leurs parents\nvinrent les trouver pour les engager \u00e0 se laisser fl\u00e9chir. Leur m\u00e8re,\nd\u2019abord, se pr\u00e9senta devant eux, les cheveux d\u00e9nou\u00e9s, les v\u00eatements\nd\u00e9chir\u00e9s, la poitrine nue, et leur dit: \u00abO mes fils ch\u00e9ris, une mis\u00e8re\ninou\u00efe et un deuil affreux s\u2019abattent sur moi! Malheureuse que je suis,\nje perds mes fils de leur propre gr\u00e9! Si l\u2019ennemi me les avait enlev\u00e9s,\nje serais all\u00e9e les lui reprendre au plus fort du combat; si des juges\ns\u2019\u00e9taient empar\u00e9s d\u2019eux pour les mettre en prison, je me serais fait\ntuer pour les d\u00e9livrer. Mais ceci est un nouveau genre de mort, o\u00f9 la\nvictime prie le bourreau de la frapper, o\u00f9 le vivant aspire \u00e0 ne plus\nvivre, et invite la mort au lieu de l\u2019\u00e9viter. Ceci est un nouveau genre\nde souffrance, o\u00f9 la jeunesse des fils, spontan\u00e9ment, se perd, tandis\nque la vieillesse des parents est condamn\u00e9e \u00e0 survivre!\u00bb Ensuite arriva\nle p\u00e8re, conduit sur les bras de ses esclaves; et ce vieillard, la t\u00eate\ncouverte de cendres, s\u2019\u00e9cria: \u00abJe suis venu dire adieu \u00e0 mes fils, qui,\nde leur plein gr\u00e9, ont voulu nous quitter! O mes fils, b\u00e2ton de ma\nvieillesse et sang de mon c\u0153ur, pourquoi avez-vous ainsi soif de la\nmort? Que tous les jeunes gens viennent pleurer sur ces jeunes gens\nobstin\u00e9s \u00e0 p\u00e9rir! Que tous les vieillards viennent pleurer avec moi sur\nla mort de mes fils! Et vous, mes yeux, \u00e9teignez-vous \u00e0 force de larmes,\npour que je ne voie pas mes fils tomber sous le glaive!\u00bb Puis arriv\u00e8rent\nles femmes des deux jeunes gens, tenant dans leurs bras leurs fils, et\ng\u00e9missant, et disant: \u00abA qui nous confiez-vous, qui prendra soin de ces\nenfants, qui se partagera vos biens? Avez-vous donc des c\u0153urs de fer,\nvous qui d\u00e9daignez vos parents, repoussez vos femmes, reniez vos fils?\u00bb\nEt d\u00e9j\u00e0 le courage des deux jeunes gens commen\u00e7ait \u00e0 mollir, lorsque\nsaint S\u00e9bastien, qui assistait \u00e0 la sc\u00e8ne, s\u2019avan\u00e7a et dit: \u00abBraves\nsoldats du Christ, que ces flatteries et ces pri\u00e8res ne vous fassent pas\nrenoncer \u00e0 la couronne \u00e9ternelle!\u00bb Puis, se tournant vers les parents,\nil leur dit: \u00abSoyez sans crainte! Ils ne seront pas s\u00e9par\u00e9s de vous,\nmais, au contraire, ils iront vous pr\u00e9parer au Ciel des demeures\ndurables!\u00bb Et pendant que saint S\u00e9bastien parlait ainsi, il se trouva\nentour\u00e9 d\u2019une grande lumi\u00e8re descendue du ciel, et on le vit soudain\nrev\u00eatu d\u2019un manteau \u00e9tincelant de blancheur, avec sept anges debout\ndevant lui. Et Zo\u00e9, la femme de Nicostrate, dans la maison de qui les\ndeux gens \u00e9taient gard\u00e9s, vint se prosterner aux pieds de S\u00e9bastien, et\nl\u2019implora par signes, car elle avait perdu l\u2019usage de la parole. Alors\nle saint dit: \u00abSi je suis le serviteur du Christ, et si les choses que\nj\u2019ai dites sont vraies, \u00f4 toi qui as ouvert la bouche du proph\u00e8te\nZacharie, ouvre la bouche de cette femme!\u00bb Et la femme, retrouvant la\nparole, s\u2019\u00e9cria: \u00abB\u00e9ni soit ton discours, et b\u00e9nis ceux qui croient \u00e0 ce\nque tu dis! car j\u2019ai vu un ange debout devant toi et tenant un livre o\u00f9\nil inscrivait toutes tes paroles!\u00bb Et le mari de cette femme, se jetant\n\u00e0 son tour aux pieds du saint, implora son pardon, apr\u00e8s quoi, brisant\nles cha\u00eenes des martyrs, il les pria de s\u2019en aller en libert\u00e9. Mais eux,\nils d\u00e9clar\u00e8rent que, pour rien au monde, ils ne renonceraient \u00e0 la\nvictoire qu\u2019ils avaient remport\u00e9e. Et telles \u00e9taient la gr\u00e2ce et la\nvertu divines de la parole de saint S\u00e9bastien que non seulement il\nfortifia Marcellin et Marc dans la constance du martyre, mais qu\u2019il\nconvertit aussi leur p\u00e8re Tranquillin, et leur m\u00e8re, et d\u2019autres\npersonnes, qui toutes furent baptis\u00e9es par le pr\u00eatre Polycarpe.\nEt le vieux Tranquillin, qui \u00e9tait atteint d\u2019une maladie grave, gu\u00e9rit\nd\u00e8s qu\u2019il fut baptis\u00e9. Ce qu\u2019apprenant le pr\u00e9fet de la ville de Rome,\nqui \u00e9tait lui-m\u00eame tr\u00e8s malade, demanda \u00e0 Tranquillin de lui amener\nl\u2019homme qui l\u2019avait gu\u00e9ri. Et quand le vieillard lui eut amen\u00e9 S\u00e9bastien\net Polycarpe, il les pria de lui rendre la sant\u00e9. Mais S\u00e9bastien lui dit\nqu\u2019il ne gu\u00e9rirait que s\u2019il permettait \u00e0 Polycarpe et \u00e0 lui de briser en\nsa pr\u00e9sence les idoles des dieux. Et, le pr\u00e9fet Chromace ayant fini par\ny consentir, les deux saints bris\u00e8rent plus de deux cents idoles. Puis\nils dirent \u00e0 Chromace: \u00abPuisque l\u2019acte que nous venons de faire ne t\u2019a\npas rendu la sant\u00e9, c\u2019est donc que, ou bien tu n\u2019as pas encore abjur\u00e9\ntes erreurs, ou bien que tu gardes debout quelque autre idole!\u00bb Alors il\navoua qu\u2019il poss\u00e9dait, dans sa maison, une chambre o\u00f9 \u00e9tait repr\u00e9sent\u00e9\ntout le syst\u00e8me des \u00e9toiles, et qui lui permettait de pr\u00e9voir l\u2019avenir:\najoutant que son p\u00e8re avait d\u00e9pens\u00e9 plus de deux cents livres d\u2019or pour\nl\u2019installation de cette chambre. Et saint S\u00e9bastien: \u00abAussi longtemps\nque cette chambre ne sera pas d\u00e9truite, tu ne retrouveras pas la sant\u00e9!\u00bb\nEt Chromace consentit \u00e0 ce qu\u2019elle f\u00fbt d\u00e9truite. Mais son fils Tiburce,\njeune homme des plus remarquables, s\u2019\u00e9cria: \u00abJe ne souffrirai pas que\nl\u2019on d\u00e9truise impun\u00e9ment une \u0153uvre aussi magnifique! Mais comme, d\u2019autre\npart, je souhaite de tout mon c\u0153ur le retour de mon p\u00e8re \u00e0 la sant\u00e9, je\npropose que l\u2019on chauffe deux fours, et que, si apr\u00e8s la destruction de\ncette chambre mon p\u00e8re ne gu\u00e9rit pas, les deux chr\u00e9tiens soient br\u00fbl\u00e9s\nvifs!\u00bb Et S\u00e9bastien: \u00abQu\u2019il en soit fait comme tu as dit!\u00bb Et pendant\nqu\u2019il brisait la chambre magique, un ange apparut au pr\u00e9fet et lui\nannon\u00e7a que le Seigneur J\u00e9sus lui avait rendu la sant\u00e9. Alors le pr\u00e9fet\net son fils Tiburce et quatre mille personnes de sa maison re\u00e7urent le\nbapt\u00eame. Et Zo\u00e9, qui s\u2019\u00e9tait convertie la premi\u00e8re, fut prise par les\ninfid\u00e8les et mourut apr\u00e8s de longues tortures; ce qu\u2019apprenant le vieux\nTranquillin s\u2019\u00e9cria: \u00abVoici que les femmes nous devancent au martyre!\u00bb\nEt lui-m\u00eame fut lapid\u00e9 peu de jours apr\u00e8s.\nOr, saint Tiburce re\u00e7ut l\u2019ordre d\u2019offrir de l\u2019encens aux dieux, ou bien\nde marcher pieds nus sur des charbons ardents. Alors, ayant fait le\nsigne de la croix, il se mit \u00e0 marcher sur les charbons ardents, en\ndisant: \u00abIl me semble que je marche sur un lit de roses.\u00bb Et le pr\u00e9fet\nFabien lui dit: \u00abOui, je sais que votre Christ vous a enseign\u00e9 des\nartifices magiques!\u00bb Mais Tiburce: \u00abTais-toi, malheureux, car tu n\u2019es\npas digne de prononcer ce saint nom!\u00bb Et le pr\u00e9fet, furieux, lui fit\ncouper la t\u00eate. Quant \u00e0 Marcellin et \u00e0 Marc, ils furent attach\u00e9s \u00e0 un\npoteau, et l\u00e0 ils chantaient joyeusement: \u00abQuelle belle et douce chose,\npour deux fr\u00e8res, d\u2019\u00eatre r\u00e9unis..., etc.\u00bb Alors le pr\u00e9fet leur dit:\n\u00abMalheureux, renoncez \u00e0 votre folie, et regagnez votre libert\u00e9!\u00bb Mais\neux: \u00abJamais nous n\u2019avons \u00e9t\u00e9 aussi heureux, et nous te supplions de\nnous laisser ainsi jusqu\u2019\u00e0 ce que nos \u00e2mes soient d\u00e9livr\u00e9es de\nl\u2019enveloppe de nos corps!\u00bb Sur quoi le pr\u00e9fet leur fit percer le flanc \u00e0\ncoups de lance; et ainsi s\u2019acheva leur martyre.\nApr\u00e8s cela, ce pr\u00e9fet d\u00e9non\u00e7a S\u00e9bastien \u00e0 l\u2019empereur Diocl\u00e9tien, qui,\nl\u2019ayant appel\u00e9, lui dit: \u00abIngrat, je t\u2019ai plac\u00e9 au premier rang dans mon\npalais, et toi tu as travaill\u00e9 contre moi et mes dieux!\u00bb Et S\u00e9bastien:\n\u00abPour toi et pour l\u2019Etat romain j\u2019ai toujours pri\u00e9 Dieu, qui est dans le\nCiel.\u00bb Alors Diocl\u00e9tien le fit attacher \u00e0 un poteau au milieu du champ\nde Mars, et ordonna \u00e0 ses soldats de le percer de fl\u00e8ches. Et les\nsoldats lui lanc\u00e8rent tant de fl\u00e8ches qu\u2019il fut tout couvert de pointes\ncomme un h\u00e9risson; apr\u00e8s quoi, le croyant mort, ils l\u2019abandonn\u00e8rent. Et\nvoici que peu de jours apr\u00e8s, saint S\u00e9bastien, debout sur l\u2019escalier du\npalais, aborda les deux empereurs et leur reprocha durement le mal\nqu\u2019ils faisaient aux chr\u00e9tiens. Et les empereurs dirent: \u00abN\u2019est-ce point\nl\u00e0 S\u00e9bastien, que nous avons fait tuer \u00e0 coups de fl\u00e8ches?\u00bb Et\nS\u00e9bastien: \u00abLe Seigneur a daign\u00e9 me rappeler \u00e0 la vie, afin qu\u2019une fois\nencore je vienne \u00e0 vous, et vous reproche le mal que vous faites aux\nserviteurs du Christ!\u00bb Alors les empereurs le firent frapper de verges\njusqu\u2019\u00e0 ce que mort s\u2019ensuiv\u00eet, et ils firent jeter son corps \u00e0 l\u2019\u00e9gout,\npour emp\u00eacher que les chr\u00e9tiens ne le v\u00e9n\u00e9rassent comme la relique d\u2019un\nmartyr. Mais, d\u00e8s la nuit suivante, saint S\u00e9bastien apparut \u00e0 sainte\nLucine, lui r\u00e9v\u00e9la o\u00f9 \u00e9tait son corps, et lui ordonna de l\u2019ensevelir\naupr\u00e8s des restes des ap\u00f4tres: ce qui fut fait. Il subit le martyre vers\nl\u2019an du Seigneur 187.\nII. Saint Gr\u00e9goire rapporte, au premier livre de ses _Dialogues_,\nl\u2019histoire que voici. Certaine femme de la Toscane, r\u00e9cemment mari\u00e9e,\navait \u00e9t\u00e9 invit\u00e9e \u00e0 la d\u00e9dicace d\u2019une \u00e9glise de saint S\u00e9bastien. Mais,\nla nuit qui pr\u00e9c\u00e9dait la c\u00e9r\u00e9monie, elle se sentit si vivement stimul\u00e9e\npar la volupt\u00e9 charnelle qu\u2019elle ne put s\u2019abstenir des caresses de son\nmari. Or, le matin suivant, cette femme se rendit cependant \u00e0 l\u2019\u00e9glise,\nayant plus de honte des hommes que de Dieu. Mais \u00e0 peine entr\u00e9e dans la\nchapelle o\u00f9 \u00e9taient les reliques de saint S\u00e9bastien, un diable s\u2019empara\nd\u2019elle, et se mit \u00e0 la tourmenter en pr\u00e9sence de tous. Alors le pr\u00eatre\nde l\u2019\u00e9glise la couvrit du voile de l\u2019autel, et aussit\u00f4t le diable\ns\u2019empara de ce pr\u00eatre. On conduisit la femme chez des magiciens; mais,\nau cours de leurs incantations, une l\u00e9gion enti\u00e8re de d\u00e9mons,\nc\u2019est-\u00e0-dire une troupe de six mille six cent soixante-six d\u2019entre eux,\np\u00e9n\u00e9tra dans cette femme pour la tourmenter encore davantage. Et seul un\npieux vieillard, nomm\u00e9 Fortunat, r\u00e9ussit par ses pri\u00e8res \u00e0 chasser les\ndiables du corps de la femme.\nOn lit dans les _Annales lombardes_ qu\u2019au temps du roi Humbert l\u2019Italie\nenti\u00e8re fut atteinte d\u2019une peste si malfaisante qu\u2019on avait peine \u00e0\ntrouver quelqu\u2019un pour ensevelir les cadavres: et cette peste ravageait\nsurtout Pavie. Alors, un ange r\u00e9v\u00e9la que le mal ne cesserait que si l\u2019on\n\u00e9levait un autel \u00e0 saint S\u00e9bastien, dans la ville de Pavie. Et l\u2019on\n\u00e9leva aussit\u00f4t cet autel dans l\u2019\u00e9glise de Saint-Pierre aux Liens: sur\nquoi la peste disparut tout \u00e0 fait. Et les reliques de saint S\u00e9bastien\nfurent transport\u00e9es \u00e0 Pavie, de Rome, o\u00f9 avait eu lieu son martyre.\nXXIV\nSAINTE AGN\u00c8S, VIERGE ET MARTYRE\n(21 janvier)\nI. Agn\u00e8s, vierge tr\u00e8s sage, avait treize ans lorsqu\u2019elle perdit la mort\net trouva la vie. Elle \u00e9tait jeune d\u2019ann\u00e9es, mais m\u00fbre d\u2019esprit et\nd\u2019\u00e2me; elle \u00e9tait belle de visage, mais plus belle de c\u0153ur. Le fils d\u2019un\npr\u00e9fet, la voyant revenir de l\u2019\u00e9cole, se prit d\u2019amour pour elle. Il lui\npromit des diamants et de nombreuses richesses si elle consentait \u00e0 \u00eatre\nsa femme. Mais Agn\u00e8s lui r\u00e9pondit: \u00abEloigne-toi de moi, aiguillon du\np\u00e9ch\u00e9, aliment du crime, poison de l\u2019\u00e2me, car je me suis d\u00e9j\u00e0 donn\u00e9e \u00e0\nun autre amant!\u00bb Elle se mit \u00e0 lui faire l\u2019\u00e9loge de son amant et fianc\u00e9,\nvantant chez lui les cinq qualit\u00e9s que les fianc\u00e9es estiment le plus\nchez leurs fianc\u00e9s, \u00e0 savoir: la noblesse de race, la beaut\u00e9, la\nrichesse, le courage uni \u00e0 la force, et enfin l\u2019amour. Et elle dit:\n\u00abCelui que j\u2019aime est plus noble que toi, le soleil et la lune admirent\nsa beaut\u00e9, ses richesses sont in\u00e9puisables, il est assez puissant pour\nfaire revivre les morts, et son amour d\u00e9passe tout amour. Il a mis son\nanneau \u00e0 mon doigt, m\u2019a donn\u00e9 un collier de pierres pr\u00e9cieuses, et m\u2019a\nv\u00eatue d\u2019une robe tiss\u00e9e d\u2019or. Il a pos\u00e9 un signe sur mon visage, pour\nm\u2019emp\u00eacher d\u2019aimer aucun autre que lui, et il a arros\u00e9 mes genoux de son\nsang. D\u00e9j\u00e0 je me suis donn\u00e9e \u00e0 ses caresses, d\u00e9j\u00e0 son corps s\u2019est m\u00eal\u00e9 \u00e0\nmon corps; et il m\u2019a fait voir un tr\u00e9sor incomparable qu\u2019il m\u2019a promis\nde me donner si je pers\u00e9v\u00e9rais \u00e0 l\u2019aimer.\u00bb Ce qu\u2019entendant, le jeune\nhomme devint malade d\u2019amour, en danger de mort. Son p\u00e8re va trouver la\njeune fille, au nom de son fils; mais Agn\u00e8s lui r\u00e9pond qu\u2019elle ne peut\nvioler la foi promise \u00e0 son premier fianc\u00e9! Alors le pr\u00e9fet lui demande\nquel est ce fianc\u00e9, et comme quelqu\u2019un lui fait entendre que c\u2019est le\nChrist qu\u2019elle appelle son fianc\u00e9, il se met d\u2019abord \u00e0 la questionner\ndoucement, puis la menace de la punir si elle refuse de r\u00e9pondre. Mais\nAgn\u00e8s lui dit: \u00abFais ce que tu voudras, je ne te livrerai pas mon\nsecret!\u00bb Alors le pr\u00e9fet: \u00abChoisis entre deux partis! Ou bien sacrifie \u00e0\nVesta avec les vierges de la d\u00e9esse, si tu tiens \u00e0 ta virginit\u00e9, ou bien\nje te ferai enfermer avec des prostitu\u00e9es!\u00bb Mais elle: \u00abJe ne\nsacrifierai pas \u00e0 tes dieux, et cependant je ne me laisserai pas\nsouiller, car j\u2019ai pr\u00e8s de moi un gardien de mon corps, un ange du\nSeigneur!\u00bb Alors le pr\u00e9fet la fit d\u00e9pouiller de ses v\u00eatements, et\nconduire toute nue dans une maison de d\u00e9bauche. Mais Dieu lui fit\npousser des cheveux en telle abondance que ces cheveux la couvraient\nmieux que tous les v\u00eatements. Et, quand elle entra dans le mauvais lieu,\nelle y trouva un ange qui l\u2019attendait, tenant une tunique d\u2019une\nblancheur \u00e9clatante. Et ainsi le lupanar devint pour elle un lieu de\npri\u00e8re, et l\u2019ange l\u2019\u00e9claira d\u2019une lumi\u00e8re surnaturelle.\nOr, le fils du pr\u00e9fet vint dans ce lieu avec d\u2019autres jeunes gens, et\ninvita ses compagnons \u00e0 jouir d\u2019abord de la jeune fille. Mais, en\np\u00e9n\u00e9trant dans la chambre d\u2019Agn\u00e8s, ils furent si effray\u00e9s de la vue de\ncette lumi\u00e8re qu\u2019ils s\u2019enfuirent aupr\u00e8s du fils du pr\u00e9fet; et lui, les\ntraitant de l\u00e2ches, se rua dans la chambre, plein de fureur. Mais\naussit\u00f4t le diable l\u2019\u00e9trangla, Dieu l\u2019ayant abandonn\u00e9. Alors le pr\u00e9fet,\ntout en larmes, se rendit aupr\u00e8s d\u2019Agn\u00e8s, et l\u2019interrogea sur la mort de\nson fils. Et Agn\u00e8s: \u00abCelui dont il voulait r\u00e9aliser la volont\u00e9 a re\u00e7u\npouvoir sur lui, et l\u2019a tu\u00e9.\u00bb Et le pr\u00e9fet lui dit: \u00abSi tu ne veux pas\nque je croie que c\u2019est toi qui l\u2019as tu\u00e9 par des artifices magiques,\ndemande et obtiens qu\u2019il ressuscite!\u00bb Et, sur la pri\u00e8re d\u2019Agn\u00e8s, le\njeune homme ressuscita, et se mit \u00e0 confesser publiquement le Christ.\nMais alors les pr\u00eatres des dieux, soulevant le peuple, s\u2019\u00e9cri\u00e8rent: \u00abA\nmort la magicienne, qui, par sorcellerie, change les \u00e2mes et pervertit\nles cerveaux!\u00bb Cependant le pr\u00e9fet, en pr\u00e9sence d\u2019un tel miracle, aurait\nvoulu la d\u00e9livrer; mais, craignant la proscription, il se retira\ntristement, et laissa Agn\u00e8s sous la garde d\u2019un lieutenant. Et celui-ci,\ndont le nom \u00e9tait Aspasius, fit jeter la jeune fille dans un feu ardent;\nmais la flamme, se s\u00e9parant en deux, br\u00fblait la foule des pa\u00efens sans\ntoucher Agn\u00e8s. Alors Aspasius lui fit plonger un poignard dans la gorge:\net c\u2019est ainsi que le fianc\u00e9 c\u00e9leste la prit pour \u00e9pouse, apr\u00e8s l\u2019avoir\norn\u00e9e de la couronne du martyre. Ce martyre eut lieu, \u00e0 ce que l\u2019on\ncroit, sous le r\u00e8gne de Constantin le Grand, qui r\u00e9gnait vers l\u2019an 309.\nEt comme les parents de sainte Agn\u00e8s et les autres chr\u00e9tiens\nl\u2019ensevelissaient avec joie, \u00e0 grand\u2019peine ils \u00e9chapp\u00e8rent \u00e0 la pluie de\npierres que les pa\u00efens lan\u00e7aient contre eux.\nII. Sainte Agn\u00e8s avait une s\u0153ur de lait nomm\u00e9e Em\u00e9rantienne, vierge\npleine de saintet\u00e9, et qui se pr\u00e9parait \u00e0 recevoir le bapt\u00eame. Or cette\njeune fille se tint debout devant le s\u00e9pulcre d\u2019Agn\u00e8s, et se mit \u00e0\ninvectiver les pa\u00efens qui l\u2019avaient tu\u00e9e, jusqu\u2019\u00e0 ce que ces pa\u00efens la\ntu\u00e8rent elle-m\u00eame \u00e0 coups de pierres. Aussit\u00f4t la terre trembla, et la\nfoudre de Dieu s\u2019abattit sur ce lieu, tuant bon nombre de pa\u00efens: de\ntelle sorte que, depuis lors, on laissa les fid\u00e8les s\u2019approcher du\ntombeau sans leur faire aucun mal. Et le corps d\u2019Em\u00e9rantienne fut\nenseveli aupr\u00e8s de celui de sainte Agn\u00e8s. Et, huit jours apr\u00e8s, comme\nles parents de celle-ci veillaient autour du tombeau, ils virent un\nch\u0153ur de vierges en robes d\u2019or; et parmi elles ils virent la\nbienheureuse Agn\u00e8s, ayant \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019elle un agneau plus blanc que la\nneige. Et elle leur dit: \u00abVoyez, afin que vous ne me pleuriez pas comme\nmorte, mais que vous vous r\u00e9jouissiez avec moi et vous f\u00e9licitiez avec\nmoi; car j\u2019ai \u00e9t\u00e9 admise d\u00e9sormais \u00e0 si\u00e9ger au milieu de cette troupe de\nlumi\u00e8re!\u00bb C\u2019est \u00e0 cause de cette vision que l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre, huit jours\napr\u00e8s la f\u00eate de sainte Agn\u00e8s, l\u2019octave de cette f\u00eate.\nIII. La nouvelle de cette vision parvint jusqu\u2019\u00e0 Constance, fille de\nConstantin, qui \u00e9tait afflig\u00e9e d\u2019une l\u00e8pre tr\u00e8s maligne. Aussit\u00f4t la\njeune princesse se rendit au tombeau de la sainte, et l\u00e0, apr\u00e8s avoir\npri\u00e9, elle vit en r\u00eave sainte Agn\u00e8s lui disant: \u00abConstance, sois\nconstante! Crois au Christ et tu seras gu\u00e9rie!\u00bb Se r\u00e9veillant soudain,\nConstance se trouva gu\u00e9rie; elle re\u00e7ut le bapt\u00eame, fit \u00e9lever une\nbasilique sur le tombeau de la sainte, et y rassembla autour d\u2019elle de\nnombreuses vierges qui, comme elle, v\u00e9curent toute leur vie dans la\nchastet\u00e9.\nIV. Certain pr\u00eatre de l\u2019\u00e9glise de sainte Agn\u00e8s, nomm\u00e9 Paulin, commen\u00e7a\nun jour \u00e0 \u00eatre tourment\u00e9 d\u2019une terrible tentation de la chair; et, comme\nil ne voulait pas offenser Dieu, il demanda au souverain pontife la\npermission de prendre femme. Mais le pape, qui connaissait sa bont\u00e9 et\nsa simplicit\u00e9, lui remit un anneau orn\u00e9 d\u2019une \u00e9meraude, et lui dit de\ns\u2019adresser avec la m\u00eame demande \u00e0 une belle statue de sainte Agn\u00e8s qui\nse trouvait dans son \u00e9glise. Et comme le pr\u00eatre demandait \u00e0 sainte Agn\u00e8s\nde l\u2019autoriser \u00e0 se marier, la statue \u00e9tendit tout \u00e0 coup vers lui son\ndoigt annulaire, y passa l\u2019anneau donn\u00e9 par le pape, puis retira sa\nmain; et, sur-le-champ, le pr\u00eatre fut d\u00e9livr\u00e9 de toutes ses tentations.\nTelle est, dit-on, l\u2019origine de l\u2019anneau qui se voit aujourd\u2019hui encore\nau doigt de la statue. Mais d\u2019autres disent que cet anneau fut donn\u00e9 par\nle pape \u00e0 un pr\u00eatre qui se trouva charg\u00e9, en m\u00eame temps, de veiller sur\nla basilique de sainte Agn\u00e8s comme sur une \u00e9pouse; car, faute de soins,\nle temple v\u00e9n\u00e9rable tombait en ruines; et la statue de la sainte aurait\npass\u00e9 l\u2019anneau \u00e0 son doigt en signe d\u2019acceptation de ces fian\u00e7ailles.\nXXV\nSAINT VINCENT, MARTYR\n(22 janvier)\nLe martyre de saint Vincent a \u00e9t\u00e9 racont\u00e9, dit-on, par saint Augustin.\nPrudence l\u2019a chant\u00e9 en des vers magnifiques.\nI. Vincent, noble de race, mais plus noble encore de foi et de pi\u00e9t\u00e9,\n\u00e9tait diacre du saint \u00e9v\u00eaque Val\u00e8re; et comme il avait plus d\u2019\u00e9loquence\nque le vieil \u00e9v\u00eaque, celui-ci lui avait confi\u00e9 le soin de pr\u00eacher \u00e0 sa\nplace, afin de pouvoir mieux se livrer, lui-m\u00eame, \u00e0 la pri\u00e8re et \u00e0 la\ncontemplation. Or, sur l\u2019ordre du gouverneur Dacien, tous deux furent\nconduits \u00e0 Valence et jet\u00e9s en prison. Le gouverneur les y laissa\nlongtemps sans nourriture; puis, quand il les crut presque morts de\nfaim, il les fit amener devant lui. Et, en voyant qu\u2019ils \u00e9taient pleins\nde sant\u00e9 et de joie, il devint furieux et s\u2019\u00e9cria: \u00abComment, oses-tu,\nVal\u00e8re, sous pr\u00e9texte de religion, r\u00e9sister aux d\u00e9crets de tes princes?\u00bb\nSaint Val\u00e8re se mit en devoir de r\u00e9pondre, avec sa douceur habituelle;\nmais Vincent lui dit: \u00abP\u00e8re v\u00e9n\u00e9r\u00e9, ce n\u2019est pas le moment de murmurer\nd\u2019une voix faible, comme si l\u2019on avait peur, mais de parler haut et\nlibrement! Si donc tu veux me l\u2019ordonner, mon p\u00e8re, je r\u00e9pondrai pour\ntoi \u00e0 ce juge!\u00bb Et Val\u00e8re: \u00abFils bien-aim\u00e9, depuis longtemps d\u00e9j\u00e0 je\nt\u2019ai confi\u00e9 le soin de parler \u00e0 ma place. Je te charge \u00e0 pr\u00e9sent de\nr\u00e9pondre au nom de la foi que nous d\u00e9fendons.\u00bb Alors Vincent, se\ntournant vers Dacien: \u00abSache, lui dit-il, toi qui nous accuses, que pour\nnous, chr\u00e9tiens, c\u2019est un blasph\u00e8me affreux de renier notre foi!\u00bb\nDacien, de plus en plus irrit\u00e9, envoya le vieil \u00e9v\u00eaque en exil; et, tant\npour punir le jeune diacre de son audace que pour effrayer par son\nexemple les autres chr\u00e9tiens, il fit \u00e9tendre Vincent sur un chevalet, et\nordonna qu\u2019on lui romp\u00eet les membres. Et lorsque l\u2019on eut rompu les\nmembres du saint, le gouverneur lui dit: \u00abH\u00e9 bien, Vincent, voil\u00e0 ton\nmis\u00e9rable corps dans un bel \u00e9tat!\u00bb Mais le saint lui r\u00e9pondit en\nsouriant: \u00abC\u2019est ce que j\u2019ai de tout temps souhait\u00e9!\u00bb Dacien, exasp\u00e9r\u00e9,\nle mena\u00e7a d\u2019autres supplices, s\u2019il persistait \u00e0 ne pas c\u00e9der. Mais\nVincent: \u00abInsens\u00e9, plus tu crois te f\u00e2cher contre moi, plus en r\u00e9alit\u00e9\ntu as piti\u00e9 de moi. Laisse-toi donc aller \u00e0 toute ta malice! Tu verras\nque, avec l\u2019aide de Dieu, j\u2019aurai plus de pouvoir dans les supplices que\ntoi en me suppliciant!\u00bb Et comme le gouverneur criait, et frappait les\nbourreaux pour les punir de leur mollesse, Vincent lui dit encore:\n\u00abPauvre Dacien, c\u2019est toi-m\u00eame qui me venges de mes bourreaux!\u00bb Le\ngouverneur \u00e9cumait de rage. \u00abPourquoi vos mains faiblissent-elles?\ndit-il aux bourreaux. Vous avez pu avoir raison d\u2019adult\u00e8res et de\nparricides, et leur arracher des aveux: pourquoi, seul, ce Vincent\nreste-t-il au-dessus de vos coups?\u00bb Alors les bourreaux enfonc\u00e8rent des\npeignes de fer dans les c\u00f4tes du saint, \u00e0 tel point que, de tout son\ncorps, le sang coulait, et que ses entrailles sortaient entre les c\u00f4tes\nbris\u00e9es. Et Dacien lui dit: \u00abVincent, aie piti\u00e9 de toi! Tu peux encore\nrecouvrer ta belle jeunesse et t\u2019\u00e9pargner d\u2019autres supplices qu\u2019on\nappr\u00eate pour toi!\u00bb Mais Vincent: \u00abLangue empoisonn\u00e9e, je ne crains pas\ntes tourments; mais, ce qui m\u2019effraie, c\u2019est que tu feignes d\u2019avoir\npiti\u00e9 de moi. Car plus je te vois furieux, plus grand est mon plaisir.\nGarde-toi de rien att\u00e9nuer aux supplices que tu me pr\u00e9pares, afin que\nj\u2019aie plus d\u2019occasions de te montrer ma victoire!\u00bb Alors Dacien le fit\nretirer du chevalet, fit apporter un gril, et ordonna d\u2019allumer un grand\nfeu. Et le saint, par ses paroles, encourageait les bourreaux \u00e0 presser\nleur travail. Puis, montant de son plein gr\u00e9 sur le gril, il offrit au\nfeu tous ses membres, pendant que des pointes enflamm\u00e9s s\u2019enfon\u00e7aient\ndans ses chairs, et pendant qu\u2019on jetait du sel dans le feu, pour que ce\nsel, p\u00e9n\u00e9trant dans ses plaies, lui rend\u00eet plus cruelle la sensation de\nla br\u00fblure. Et, apr\u00e8s ses jointures, ses entrailles elles-m\u00eames furent\ntransperc\u00e9es et se r\u00e9pandirent autour de lui; et lui, immobile et les\nyeux lev\u00e9s au ciel, il invoquait le Seigneur.\nLes bourreaux vinrent en apporter la nouvelle \u00e0 Dacien. \u00abH\u00e9las, dit\ncelui-ci, il nous a vaincus! Mais pour prolonger son supplice, jetez-le\nmaintenant dans le plus sombre des cachots, apr\u00e8s avoir sem\u00e9 sur le sol\ndes pointes tr\u00e8s aigu\u00ebs; et, lui ayant li\u00e9 les pieds, laissez-le l\u00e0!\nPuis, quand il sera mort, venez me le dire!\u00bb Et les cruels serviteurs\ns\u2019empress\u00e8rent d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 leur ma\u00eetre, plus cruel encore. Mais voici que\nle Roi pour qui souffre le glorieux soldat, voici qu\u2019il change sa peine\nen une gloire nouvelle. Car les t\u00e9n\u00e8bres du cachot se trouvent chass\u00e9es\npar une immense lumi\u00e8re, l\u2019asp\u00e9rit\u00e9 des pointes se change en un lit de\ndouces fleurs, les liens des pieds se brisent, et des anges viennent\nconsoler le martyr. Et celui-ci, marchant sur les fleurs, chante avec\nles anges; l\u2019harmonie du chant, le parfum des fleurs se r\u00e9pandent hors\nde la prison. Les gardiens, \u00e9pouvant\u00e9s, regardent \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du\ncachot, par les fentes de la porte, et le spectacle qu\u2019ils aper\u00e7oivent\nles convertit \u00e0 la foi du Christ. Mais Dacien, apprenant cette nouvelle\nd\u00e9faite, dit: \u00abD\u00e9cid\u00e9ment, cet homme nous a vaincus. Inutile de lutter\ndavantage. Qu\u2019on le transporte sur un lit, pour le ranimer; et quand il\ncommencera \u00e0 se remettre, nous verrons \u00e0 lui faire go\u00fbter d\u2019autres\nsupplices!\u00bb On transporta donc le saint sur un lit; et l\u00e0, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre\nun peu repos\u00e9, il rendit l\u2019\u00e2me. Cela se passait vers l\u2019an du Seigneur\n287, sous le r\u00e8gne des empereurs Diocl\u00e9tien et Maximien.\nMais Dacien, en apprenant cette mort, fut saisi \u00e0 la fois de frayeur et\nde honte. Et il dit: \u00abPuisque je n\u2019ai pu le vaincre vivant, du moins je\nle punirai mort et me rassasierai de son ch\u00e2timent. De cette fa\u00e7on,\nj\u2019aurai le dernier mot sur lui!\u00bb Et il fit exposer le corps du saint\ndans un champ, pour y \u00eatre d\u00e9vor\u00e9 par les b\u00eates et les oiseaux de proie.\nMais aussit\u00f4t des anges vinrent garder le corps, le prot\u00e9geant contre\nl\u2019approche des b\u00eates. Un corbeau gigantesque chassa \u00e0 grands coups\nd\u2019ailes les loups et les oiseaux de proie, puis se tint immobile devant\nle corps, consid\u00e9rant avec admiration les anges charg\u00e9s de le garder. Et\nDacien, \u00e0 cette nouvelle, dit: \u00abJe crains bien que, m\u00eame mort, il ne se\nlaisse pas vaincre par moi!\u00bb Il tenta cependant une derni\u00e8re \u00e9preuve. Il\nfit attacher au corps une \u00e9norme pierre et le fit jeter \u00e0 la mer, pour\n\u00eatre d\u00e9vor\u00e9 par les poissons. Mais en vain les matelots essay\u00e8rent de\nsubmerger le corps; celui-ci se mit \u00e0 flotter, devan\u00e7ant les matelots,\net rejoignit le rivage, o\u00f9 il fut recueilli par une pieuse femme qui,\navec l\u2019aide de ses fr\u00e8res chr\u00e9tiens, l\u2019ensevelit solennellement.\nII. Saint Augustin dit de ce martyre: \u00abLe bienheureux Vincent vainquit\ndans les mots et vainquit dans les maux, il vainquit dans la confession\net dans la tribulation, il vainquit broy\u00e9 et vainquit noy\u00e9.\u00bb Et saint\nAmbroise, dans une pr\u00e9face, dit: \u00abVincent est rompu, \u00e9cartel\u00e9, coup\u00e9,\nflagell\u00e9, br\u00fbl\u00e9; mais son esprit reste indomptable, parce qu\u2019il craint\nDieu plus que le si\u00e8cle et aime mieux mourir au monde qu\u2019\u00e0 Dieu.\u00bb Et\nPrudence, qui brillait sous le r\u00e8gne de Th\u00e9odore l\u2019Ancien, vers l\u2019an du\nSeigneur 387, nous raconte que saint Vincent dit encore \u00e0 Dacien: \u00abLes\ntourments, les prisons, les pointes de fer, les flammes et la mort, tout\ncela n\u2019est qu\u2019un jeu pour le chr\u00e9tien.\u00bb Alors Dacien: \u00abQu\u2019on le lie et\nqu\u2019on lui d\u00e9tende les bras en tous sens jusqu\u2019\u00e0 ce que toutes les\njointures de ses os \u00e9clatent et que son foie lui sorte du corps!\u00bb Mais\nle soldat de Dieu se riait de ces supplices, reprochant au fer de ne pas\nentrer plus avant en lui. Et plus tard, dans le cachot, un des anges lui\ndit: \u00abL\u00e8ve-toi, saint martyr, et viens prendre ta place dans la troupe\nc\u00e9leste! Soldat invincible, le plus brave des braves, les tortures\nelles-m\u00eames te craignent comme leur vainqueur!\u00bb Et Prudence, apr\u00e8s avoir\nracont\u00e9 cela, s\u2019\u00e9crie: \u00abH\u00e9ros sublime, tu as obtenu une double palme, tu\nt\u2019es rendu digne d\u2019un double laurier!\u00bb\nXXVI\nSAINT JEAN L\u2019AUMONIER, CONFESSEUR\n(23 janvier)\nI. Jean, patriarche d\u2019Alexandrie, une nuit qu\u2019il \u00e9tait en pri\u00e8re, vit\nune jeune fille merveilleusement belle qui se tenait debout pr\u00e8s de lui\net qui avait sur la t\u00eate une couronne d\u2019olivier. Jean, stup\u00e9fait, lui\ndemanda qui elle \u00e9tait, et la jeune fille lui r\u00e9pondit: \u00abJe suis la\nmis\u00e9ricorde, c\u2019est moi qui ai amen\u00e9 sur la terre le Fils de Dieu.\nPrends-moi pour femme et tu t\u2019en trouveras bien!\u00bb Et en effet, Jean\ndevint depuis lors si mis\u00e9ricordieux qu\u2019il fut appel\u00e9 \u00abEleymon\u00bb,\nc\u2019est-\u00e0-dire l\u2019aum\u00f4nier. Il avait l\u2019habitude d\u2019appeler les pauvres \u00abses\nma\u00eetres\u00bb; et c\u2019est \u00e0 son exemple que les hospitaliers donnent aux\npauvres le titre de \u00abseigneurs\u00bb. Un jour, ayant rassembl\u00e9 ses\nserviteurs, il leur dit: \u00abAllez par toute la ville, et dressez-moi une\nliste de tous mes seigneurs.\u00bb Et comme on ne comprenait pas ce qu\u2019il\nvoulait dire, il reprit: \u00abCeux que vous appelez indigents et mendiants,\nje les appelle, moi, nos ma\u00eetres et seigneurs. Ce sont eux, en effet,\nqui, seuls, peuvent nous donner le royaume des cieux.\u00bb Et pour exhorter\nles fid\u00e8les \u00e0 l\u2019aum\u00f4ne, il avait l\u2019habitude de leur raconter l\u2019histoire\nque voici:\nUn jour, des mendiants se chauffaient au soleil, et s\u2019amusaient \u00e0\ncomparer le m\u00e9rite des riches de la ville, louant les bons et bl\u00e2mant\nles m\u00e9chants. Vint \u00e0 passer par l\u00e0 un receveur d\u2019imp\u00f4ts nomm\u00e9 Pierre,\nhomme riche et puissant, mais sans piti\u00e9 pour les pauvres, et qui\nfaisait chasser brutalement ceux qui mendiaient \u00e0 sa porte. Les\nmendiants se trouv\u00e8rent d\u2019accord pour constater que pas un d\u2019entre eux\nn\u2019avait jamais re\u00e7u de lui une aum\u00f4ne. Alors l\u2019un d\u2019entre eux dit \u00e0 ses\ncompagnons: \u00abVoulez-vous gager avec moi que, aujourd\u2019hui m\u00eame, je me\nferai donner une aum\u00f4ne par lui?\u00bb La gageure fut tenue, et le mendiant,\ns\u2019avan\u00e7ant vers Pierre, lui demanda l\u2019aum\u00f4ne. Or le receveur marchait\naccompagn\u00e9 d\u2019un esclave qui portait des pains de seigle dans un panier;\net, dans sa col\u00e8re, ne trouvant pas de caillou sous la main, il prit un\npain dans le panier et le lan\u00e7a sur le mendiant. Celui-ci saisit le\npain, et courut montrer \u00e0 ses compagnons l\u2019aum\u00f4ne qu\u2019il avait re\u00e7ue.\nDeux jours apr\u00e8s, Pierre tomba malade et eut une vision. Il se vit\ncomparaissant devant le tribunal supr\u00eame, et, sur l\u2019un des plateaux de\nla balance, des diables tout noirs d\u00e9posaient ses p\u00e9ch\u00e9s, tandis que de\nl\u2019autre c\u00f4t\u00e9 se tenaient tristement des anges v\u00eatus de blanc, ne\ntrouvant rien \u00e0 mettre pour faire contre-poids. Et l\u2019un de ces anges\ndit: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9 nous n\u2019avons rien \u00e0 mettre sur ce plateau, si ce n\u2019est\nun pain de seigle qu\u2019il a donn\u00e9 au Christ il y a deux jours, et encore\nmalgr\u00e9 lui!\u00bb Et les anges mirent ce pain sur le plateau, et Pierre vit\nqu\u2019il faisait contrepoids \u00e0 tous ses p\u00e9ch\u00e9s. Et les anges lui dirent:\n\u00abAjoute quelque chose \u00e0 ce pain de seigle, si tu ne veux pas tomber\nentre les mains de tous ces m\u00e9chants diables!\u00bb Alors Pierre,\ns\u2019\u00e9veillant, dit: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9, si un seul pain de seigle, jet\u00e9 par col\u00e8re\n\u00e0 un pauvre, m\u2019a \u00e9t\u00e9 d\u2019un tel profit, combien davantage me profitera de\ndonner tous mes biens aux pauvres!\u00bb Donc, le jour suivant, comme il\nallait dans la rue, v\u00eatu de son meilleur manteau, et qu\u2019un naufrag\u00e9 lui\ndemandait de quoi se couvrir, il se d\u00e9pouilla de son manteau pr\u00e9cieux et\nle lui donna; mais le naufrag\u00e9, aussit\u00f4t, courut le vendre \u00e0 un\nbrocanteur. Et Pierre, en voyant son manteau \u00e0 l\u2019\u00e9talage du brocanteur,\ns\u2019affligea fort, se disant: \u00abJe ne suis pas digne, m\u00eame, qu\u2019un mendiant\ngarde rien en souvenir de moi!\u00bb Mais la nuit suivante, il vit en r\u00eave un\ninconnu qui brillait plus que le soleil, et qui avait une croix sur sa\nt\u00eate; et il vit que cet inconnu portait sur ses \u00e9paules le manteau que\nlui, Pierre, avait donn\u00e9 au naufrag\u00e9. Et l\u2019inconnu lui dit: \u00abDe quoi\nt\u2019affliges-tu?\u00bb Pierre lui raconta alors la cause de sa peine. Et\nl\u2019inconnu, qui \u00e9tait J\u00e9sus, lui dit: \u00abReconnais-tu ce manteau?\u00bb Et lui:\n\u00abOui, Seigneur!\u00bb Et le Seigneur: \u00abJe m\u2019en rev\u00eats parce que tu me l\u2019as\ndonn\u00e9! J\u2019avais froid et tu m\u2019as couvert. Merci de ta bonne volont\u00e9!\u00bb\nAlors Pierre, se r\u00e9veillant, commen\u00e7a \u00e0 b\u00e9nir les pauvres, et dit: \u00abVive\nDieu, je ne mourrai pas avant d\u2019\u00eatre devenu l\u2019un d\u2019entre eux!\u00bb Il donna\ndonc aux pauvres tout ce qu\u2019il avait. Puis, appelant son notaire, il lui\ndit: \u00abEmm\u00e8ne-moi \u00e0 J\u00e9rusalem et vends-moi comme esclave \u00e0 quelque\nchr\u00e9tien, apr\u00e8s quoi tu distribueras aux pauvres le prix de la vente!\u00bb\nEt comme le notaire s\u2019y refusait, Pierre lui dit: \u00abFais ce que je te\ndemande, et voici de l\u2019argent pour te r\u00e9compenser! Mais si tu ne le fais\npas, c\u2019est moi qui te vendrai aux barbares.\u00bb Alors le notaire le rev\u00eatit\nde haillons, le conduisit \u00e0 J\u00e9rusalem, et le vendit \u00e0 un argentier,\nmoyennant trente pi\u00e8ces d\u2019or qu\u2019il distribua aux pauvres. Et Pierre,\ndevenu esclave, se chargeait, spontan\u00e9ment des t\u00e2ches les plus viles, au\npoint que les autres esclaves eux-m\u00eames se moquaient de lui, le\nbattaient, et le m\u00e9prisaient comme un fou. Mais le Seigneur lui\napparaissait souvent, et le consolait en lui montrant les v\u00eatements et\ntous les autres dons qu\u2019il avait re\u00e7us de lui. Cependant, \u00e0\nConstantinople, qui \u00e9tait la patrie de Pierre, l\u2019empereur et les\ncitoyens d\u00e9ploraient sa disparition. Or, un jour, des habitants de\nConstantinople, venus \u00e0 J\u00e9rusalem pour visiter les lieux sacr\u00e9s, furent\ninvit\u00e9s \u00e0 d\u00eener chez le ma\u00eetre de Pierre; et ils se dirent \u00e0 l\u2019oreille:\n\u00abCombien cet esclave que voici ressemble au noble Pierre, le receveur\nd\u2019imp\u00f4ts!\u00bb Et l\u2019un d\u2019eux, l\u2019ayant bien observ\u00e9, dit: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est\nle seigneur Pierre lui-m\u00eame! Je vais aller \u00e0 lui et je le ram\u00e8nerai de\nforce \u00e0 Constantinople!\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019esclave, se voyant d\u00e9couvert,\ns\u2019enfuit. Le portier de la maison \u00e9tait sourd et muet; mais Pierre, d\u00e8s\nqu\u2019il fut arriv\u00e9 pr\u00e8s de la porte, lui parla afin qu\u2019il lui ouvr\u00eet. Et\naussit\u00f4t le sourd-muet retrouva l\u2019ou\u00efe et la parole. Il ouvrit \u00e0 Pierre,\npuis, abordant les autres esclaves, il leur dit: \u00abL\u2019esclave qui faisait\nla cuisine vient de s\u2019enfuir; mais c\u2019\u00e9tait sans doute un esclave de Dieu\net non de notre ma\u00eetre, car lorsqu\u2019il m\u2019a ordonn\u00e9 de lui ouvrir la\nporte, une flamme a jailli de sa bouche qui, touchant ma bouche et mes\noreilles, m\u2019a aussit\u00f4t rendu la parole et l\u2019ou\u00efe.\u00bb Et tous, sortant de\nla maison, se mirent \u00e0 la recherche du fugitif, mais sans pouvoir le\nretrouver. Sur quoi ils firent tous p\u00e9nitence d\u2019avoir trait\u00e9 avec m\u00e9pris\nun homme de Dieu.\nII. Un moine nomm\u00e9 Vital eut l\u2019id\u00e9e d\u2019\u00e9prouver saint Jean, pour voir si\ncet homme, d\u2019ailleurs parfait, se laissait persuader par les on-dit, et\n\u00e9tait facilement accessible au scandale. Il se rendit donc \u00e0 Alexandrie\net se fit donner la liste de toutes les courtisanes. Puis, entrant chez\nelles tour \u00e0 tour, il leur disait: \u00abDonne-moi cette nuit, et, en \u00e9change\nde l\u2019argent que je t\u2019offrirai, consens \u00e0 t\u2019abstenir jusqu\u2019\u00e0 demain de\ntoute fornication!\u00bb Et il passait toutes les nuits chez ces courtisanes,\nmais agenouill\u00e9 dans un coin de la chambre et priant pour elles; et, le\nmatin, il s\u2019en allait en leur d\u00e9fendant de r\u00e9v\u00e9ler ce qu\u2019il avait fait.\nIl y eut cependant une de ces femmes qui divulgua la chose: et, en\npunition, un d\u00e9mon s\u2019empara d\u2019elle. Et tous lui disaient: \u00abTu n\u2019as que\nce que tu m\u00e9rites, menteuse! car ce mauvais moine est all\u00e9 chez toi pour\nforniquer, et non pour autre chose!\u00bb Et, tous les soirs, le moine Vital\ndisait \u00e0 ceux qui l\u2019entouraient: \u00abIl faut maintenant que je m\u2019en aille,\nparce que telle ou telle courtisane m\u2019attend!\u00bb Et \u00e0 ceux qui lui\nfaisaient des reproches, il r\u00e9pondait: \u00abN\u2019ai-je pas un corps, comme tout\nle monde? Et les moines ne sont-ils pas des hommes comme les autres?\u00bb\nAlors on lui disait: \u00abD\u00e9froque-toi plut\u00f4t, l\u2019abb\u00e9, et prend une femme\nchez toi, afin de ne pas scandaliser les autres!\u00bb Mais Vital, feignant\nla col\u00e8re, leur r\u00e9pondait: \u00abLaissez-moi tranquille, vous m\u2019ennuyez! Dieu\nvous a-t-il constitu\u00e9s mes juges? Occupez-vous donc de vous-m\u00eames!\nPersonne ne vous demandera de rendre compte de moi!\u00bb Il criait cela tr\u00e8s\nhaut, pour que le bruit en rev\u00eent \u00e0 saint Jean; et l\u2019on pense bien que\ncelui-ci ne fut pas longtemps \u00e0 conna\u00eetre le scandale de la ville. Mais,\navec l\u2019aide de Dieu, il sut endurcir son c\u0153ur au point de ne pr\u00eater\naucune cr\u00e9ance \u00e0 tout ce que l\u2019on disait de Vital.\nEt celui-ci, tout en continuant son man\u00e8ge, priait Dieu que, apr\u00e8s sa\nmort, le vrai sens de sa conduite p\u00fbt \u00eatre r\u00e9v\u00e9l\u00e9 \u00e0 saint Jean et aux\nautres hommes. Il y eut une foule de courtisanes qui, gr\u00e2ce \u00e0 lui, se\nconvertirent et se vou\u00e8rent \u00e0 la vie religieuse. Mais un matin, comme il\nsortait de chez l\u2019une d\u2019elles, il rencontra quelqu\u2019un qui se rendait\nchez elle pour forniquer; et cet homme donna au moine un soufflet, en\ndisant: \u00abMis\u00e9rable, ne te corrigeras-tu donc jamais de ton immondice!\u00bb\nEt Vital: \u00abMon ami je te revaudrai ce soufflet!\u00bb Et en effet, quelques\nheures plus tard, voici qu\u2019un diable, sous la forme d\u2019un n\u00e8gre, applique\nsur la joue de cet homme un terrible soufflet, en lui disant: \u00abRe\u00e7ois ce\nsoufflet de la part de l\u2019abb\u00e9 Vital!\u00bb Et ce diable s\u2019empara de lui et le\ntourmenta si fort que la foule s\u2019amassait \u00e0 ses cris. Mais Vital, voyant\nson repentir, pria pour lui et obtint qu\u2019il f\u00fbt d\u00e9livr\u00e9. Puis, sentant\napprocher la mort, ce bon moine laissa un papier o\u00f9 \u00e9tait \u00e9crit:\n\u00abGardez-vous de juger personne trop t\u00f4t!\u00bb Et, quand il fut mort, toutes\nles courtisanes r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent la puret\u00e9 de sa conduite et tous, dans\nAlexandrie, glorifiaient Dieu \u00e0 cette occasion, mais surtout saint Jean,\nqui disait: \u00abCombien j\u2019aurais voulu m\u00e9riter de recevoir, \u00e0 la place de\nVital, le soufflet qu\u2019il a re\u00e7u!\u00bb\nIII. Un pauvre vint \u00e0 Jean en habit de p\u00e8lerin et lui demanda l\u2019aum\u00f4ne.\nJean dit \u00e0 son \u00e9conome: \u00abDonne-lui six pi\u00e8ces d\u2019argent!\u00bb L\u2019homme s\u2019en\nalla alors changer d\u2019habit et revint demander l\u2019aum\u00f4ne au patriarche. Et\ncelui-ci dit \u00e0 son \u00e9conome: \u00abDonne-lui six pi\u00e8ces d\u2019or!\u00bb L\u2019\u00e9conome les\nlui donna, mais, quand le mendiant fut parti, il dit \u00e0 Jean: \u00abP\u00e8re, cet\nhomme est venu deux fois aujourd\u2019hui sous des habits diff\u00e9rents, et deux\nfois a re\u00e7u l\u2019aum\u00f4ne!\u00bb Mais saint Jean feignit de ne pas l\u2019avoir\nreconnu. Et le mendiant, ayant chang\u00e9 d\u2019habit une troisi\u00e8me fois, revint\nde nouveau lui demander l\u2019aum\u00f4ne; alors l\u2019\u00e9conome fit signe \u00e0 saint Jean\nque c\u2019\u00e9tait le m\u00eame mendiant. Mais saint Jean lui r\u00e9pondit: \u00abVa et\ndonne-lui douze pi\u00e8ces d\u2019or; car qui sait si ce n\u2019est pas mon Seigneur\nJ\u00e9sus-Christ qui veut me tenter, pour voir qui se fatiguera le premier,\nlui de demander ou moi de donner?\u00bb\nIV. Un jour le patrice voulut employer \u00e0 des achats une somme qui\nappartenait \u00e0 l\u2019\u00e9glise, et que le patriarche voulait faire distribuer\naux pauvres. Les deux hommes discut\u00e8rent longtemps, et se s\u00e9par\u00e8rent\nf\u00e2ch\u00e9s l\u2019un contre l\u2019autre. Mais, \u00e0 l\u2019approche de la neuvi\u00e8me heure,\nsaint Jean fit dire au patrice par son archipr\u00eatre: \u00abSeigneur, le soleil\nva bient\u00f4t se coucher!\u00bb Et le patrice, entendant ces paroles, fondit en\nlarmes, et courut demander pardon \u00e0 saint Jean.\nV. Un neveu de saint Jean avait \u00e9t\u00e9 insult\u00e9 par un boutiquier et \u00e9tait\nvenu se plaindre \u00e0 son oncle. Celui-ci lui r\u00e9pondit: \u00abComment est-ce\npossible que quelqu\u2019un ait os\u00e9 te contredire et ouvrir la bouche contre\ntoi? Mon fils, fie-toi \u00e0 moi: je ferai aujourd\u2019hui quelque chose dont la\nville enti\u00e8re sera \u00e9tonn\u00e9e!\u00bb Ce qu\u2019entendant, le jeune homme fut\nconsol\u00e9, croyant que son oncle allait faire fouetter l\u2019impertinent. Mais\nsaint Jean, le voyant consol\u00e9, lui dit: \u00abMon fils, si tu es vraiment le\nneveu de Mon Humilit\u00e9, pr\u00e9pare-toi \u00e0 recevoir le fouet en pr\u00e9sence de\ntous! Car la vraie parent\u00e9 ne vient pas de la chair et du sang, mais se\nreconna\u00eet \u00e0 la vertu de l\u2019\u00e2me.\u00bb Et il envoya chercher le boutiquier, et\nl\u2019affranchit de tout tribut. Et tous comprirent ce qu\u2019il avait voulu\ndire en annon\u00e7ant qu\u2019il ferait quelque chose dont la ville enti\u00e8re\nserait \u00e9tonn\u00e9e.\nVI. Apprenant que, d\u00e8s qu\u2019un empereur \u00e9tait couronn\u00e9, on commen\u00e7ait \u00e0\nlui construire un tombeau de marbre et de m\u00e9tal, saint Jean se fit\nconstruire, lui aussi, un tombeau; mais il ordonna qu\u2019on le laiss\u00e2t\ninachev\u00e9, et que tous les jours, pendant qu\u2019il officierait \u00e0 la t\u00eate de\nson clerg\u00e9, on v\u00eent lui dire: \u00abH\u00e2te-toi de faire achever ta tombe, car\ntu ne sais pas \u00e0 quelle heure la mort viendra te prendre!\u00bb\nVII. Un homme riche fut pein\u00e9 de voir que saint Jean couchait dans des\ndraps grossiers; et il lui fit don d\u2019une couverture de grand prix. Mais\nle saint, ayant mis cette couverture sur son lit, ne put dormir de toute\nla nuit, tant le tourmentait la pens\u00e9e que trois cents de ses\n\u00abseigneurs\u00bb auraient eu de quoi se couvrir avec le prix de cette\ncouverture. Et il se disait en pleurant: \u00abCombien d\u2019hommes se sont\ncouch\u00e9s cette nuit sans avoir d\u00een\u00e9, combien d\u2019hommes sont expos\u00e9s \u00e0 la\npluie, sur les places, et claquent des dents, au froid de la nuit! Et\ntoi, apr\u00e8s avoir mang\u00e9 d\u2019excellents poissons, tu t\u2019es couch\u00e9 avec tous\ntes p\u00e9ch\u00e9s dans un lit, sous une couverture qui vaut trente-six deniers!\nNon, non, le mis\u00e9rable Jean ne se couvrira plus de cette fa\u00e7on-l\u00e0!\u00bb Et,\nd\u00e8s que le jour parut, le saint fit vendre la couverture, et en donna le\nprix aux pauvres. Et le riche, \u00e0 cette nouvelle, acheta une seconde\ncouverture et la donna au saint, le priant, cette fois, de la garder\npour lui. Le saint prit la couverture, mais aussit\u00f4t la fit vendre, et\nen fit distribuer le prix aux pauvres. Le riche la racheta, la rapporta\nau saint et lui dit: \u00abNous verrons qui se fatiguera le premier, toi de\nrevendre ou moi de racheter!\u00bb Et le saint se complaisait \u00e0 vendanger\nainsi le riche, disant que ce n\u2019\u00e9tait point p\u00e9cher, mais bien agir, de\nd\u00e9pouiller des riches avec l\u2019intention de donner aux pauvres.\nVIII. Voulant engager les fid\u00e8les \u00e0 l\u2019aum\u00f4ne, saint Jean leur racontait\nsouvent l\u2019histoire de saint S\u00e9rapion. Celui-ci, ayant donn\u00e9 son manteau\n\u00e0 un pauvre, rencontra un autre pauvre, qui souffrait du froid. Il lui\ndonna alors sa tunique, et resta tout nu, tenant en main l\u2019Evangile.\nAlors un passant lui demanda: \u00abAbb\u00e9; qui t\u2019a d\u00e9pouill\u00e9?\u00bb Et l\u2019abb\u00e9,\nmontrant l\u2019Evangile, r\u00e9pondit: \u00abVoici celui qui m\u2019a d\u00e9pouill\u00e9!\u00bb Mais,\nvoyant ensuite un autre pauvre, il alla vendre son Evangile pour lui en\ndonner le prix. Et comme on lui demandait ce qu\u2019il avait fait de son\nEvangile, il r\u00e9pondit: \u00abCet Evangile me disait: vends ce que tu poss\u00e8des\net donnes-en le prix aux pauvres! Or je n\u2019avais que lui! Pour lui ob\u00e9ir,\nje l\u2019ai vendu!\u00bb\nIX. Un mendiant \u00e0 qui saint Jean avait fait donner cinq deniers, se\nf\u00e2cha de n\u2019avoir pas re\u00e7u davantage, et se mit \u00e0 insulter publiquement\nle patriarche. Les serviteurs de celui-ci voulaient le chasser; mais\nsaint Jean le leur d\u00e9fendit en disant: \u00abLaissez-le, fr\u00e8res, laissez-le\nme maudire! J\u2019ai pu, moi, pendant soixante ans, insulter le Christ par\nmes p\u00e9ch\u00e9s: de quel droit m\u2019opposerais-je \u00e0 ce que cet homme m\u2019insult\u00e2t\nun moment?\u00bb Et il fit apporter le petit sac o\u00f9 \u00e9tait son argent, et\nordonna que le mendiant y pr\u00eet autant qu\u2019il voudrait.\nX. Le peuple ayant pris l\u2019habitude de sortir de l\u2019\u00e9glise, apr\u00e8s\nl\u2019\u00e9vangile, pour aller bavarder vainement sur la place, le patriarche\nsortit un jour de l\u2019\u00e9glise avec eux, apr\u00e8s l\u2019\u00e9vangile, et s\u2019assit au\nmilieu d\u2019eux sur la place. Et comme tous s\u2019en \u00e9tonnaient, il leur dit:\n\u00abMes chers enfants, la place du berger est au milieu de son troupeau. Ou\nbien donc vous rentrerez dans l\u2019\u00e9glise et j\u2019y rentrerai avec vous pour\nachever ma messe, ou bien vous resterez ici, et j\u2019y resterai comme\nvous!\u00bb Deux fois il fit de m\u00eame, et ainsi il habitua le peuple \u00e0 ne plus\nsortir de l\u2019\u00e9glise pendant les offices.\nXI. Un jeune homme avait enlev\u00e9 une nonne, et le clerg\u00e9 l\u2019accusait\ndevant saint Jean, demandant qu\u2019il f\u00fbt excommuni\u00e9: car il avait perdu\ndeux \u00e2mes, la sienne et celle de sa ma\u00eetresse. Mais saint Jean se\nrefusait \u00e0 rien faire contre lui, disant \u00e0 son clerg\u00e9: \u00abNon, mes fils,\npas du tout! Et c\u2019est vous qui, en ce moment, commettez deux p\u00e9ch\u00e9s.\nVous p\u00e9chez d\u2019abord en allant contre le pr\u00e9cepte du Seigneur, qui a dit:\n_Ne jugez pas, vous ne serez pas jug\u00e9s!_ Et puis, vous p\u00e9chez aussi par\npr\u00e9somption, car vous ignorez si ces deux malheureux continuent \u00e0\np\u00e9cher, ou si, au contraire, ils ne commencent pas d\u00e9j\u00e0 \u00e0 se repentir.\u00bb\nXII. Souvent, pendant ses pri\u00e8res, le bienheureux saint Jean avait des\nextases o\u00f9 on l\u2019entendait s\u2019entretenir famili\u00e8rement avec le Seigneur.\nEt quand, saisi de fi\u00e8vre, il comprit qu\u2019il allait mourir, il s\u2019\u00e9cria:\n\u00abJe te remercie, mon Dieu, de ce que ta bont\u00e9 ait exauc\u00e9 le v\u0153u de ma\nfaiblesse, qui souhaitait de ne rien poss\u00e9der en mourant qu\u2019un seul drap\nde lit! Et maintenant ce drap, va pouvoir, lui aussi, \u00eatre donn\u00e9 aux\npauvres!\u00bb Apr\u00e8s quoi il mourut, et son corps v\u00e9n\u00e9rable fut plac\u00e9 dans un\ntombeau o\u00f9 se trouvaient d\u00e9j\u00e0 les corps de deux \u00e9v\u00eaques; et voici que\nces corps s\u2019\u00e9cart\u00e8rent miraculeusement, pour faire une place, au milieu\nd\u2019eux, au bienheureux Jean.\nXIII. Peu de jours avant sa mort, une p\u00e9cheresse vint lui dire qu\u2019elle\navait commis de tels p\u00e9ch\u00e9s qu\u2019elle n\u2019osait s\u2019en confesser \u00e0 personne.\nLe saint lui conseilla d\u2019\u00e9crire sur un papier ses p\u00e9ch\u00e9s, de cacheter le\npapier, et de le lui apporter, ajoutant qu\u2019il prierait pour elle. Et la\nfemme fit tout cela; mais quand, quelques jours apr\u00e8s, elle apprit la\nmort du saint, elle s\u2019\u00e9pouvanta \u00e0 la pens\u00e9e que sa confession pourrait\ntomber entre des mains \u00e9trang\u00e8res. Elle se rendit donc au tombeau du\nsaint, et supplia celui-ci de lui faire savoir o\u00f9 se trouvait son\npapier. Et voici que saint Jean sortit de son tombeau, en habit\npontifical, s\u2019appuyant sur l\u2019\u00e9paule des deux \u00e9v\u00eaques qui gisaient pr\u00e8s\nde lui. Et il dit \u00e0 la femme: \u00abPourquoi nous importunes-tu dans notre\nrepos, moi et ces deux saints hommes qui me tiennent compagnie?\u00bb Et il\nlui tendit son papier avec le cachet qu\u2019elle y avait mis, disant: \u00abOuvre\nton cachet, et lis ta confession!\u00bb Mais elle, ayant bris\u00e9 le cachet, vit\nque la liste de ses p\u00e9ch\u00e9s avait \u00e9t\u00e9 effac\u00e9e, et remplac\u00e9e par\nl\u2019inscription suivante: \u00abJe te remets tes p\u00e9ch\u00e9s en consid\u00e9ration de la\npri\u00e8re de Jean, mon serviteur.\u00bb Et la femme rendit gr\u00e2ces \u00e0 Dieu; et\nsaint Jean, avec ses deux compagnons, rentra dans son tombeau.\nCe grand saint florissait vers l\u2019an du Seigneur 605, sous le r\u00e8gne de\nl\u2019empereur Phocas.\nXXVII\nLA CONVERSION DE SAINT PAUL\n(25 janvier)\nLa conversion de l\u2019ap\u00f4tre saint Paul eut lieu la m\u00eame ann\u00e9e que la\npassion du Christ et la lapidation de saint Etienne: mais cela n\u2019est\nvrai qu\u2019\u00e0 la condition de consid\u00e9rer l\u2019ann\u00e9e comme la succession de\ndouze mois, et non point comme l\u2019espace compris entre le 1er janvier et\nle 31 d\u00e9cembre: car la crucifixion du Christ a eu lieu le 25 mars, la\nlapidation de saint Etienne le 3 ao\u00fbt, et la conversion de saint Paul le\n25 janvier.\nTrois raisons expliquent pourquoi l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre cette conversion\nplut\u00f4t que celle des autres saints: 1\u00ba c\u2019est que cette conversion\nconstitue un plus grand exemple, pour nous prouver qu\u2019il n\u2019y a point de\np\u00e9cheur qui ne puisse esp\u00e9rer sa gr\u00e2ce; 2\u00ba c\u2019est qu\u2019elle provoque une\nplus grande joie, car l\u2019Eglise s\u2019est d\u2019autant plus r\u00e9jouie de la\nconversion de saint Paul qu\u2019elle s\u2019\u00e9tait plus afflig\u00e9e de ses\npers\u00e9cutions; 3\u00ba c\u2019est que cette conversion a eu un caract\u00e8re plus\nmiraculeux, Dieu ayant voulu montrer que, de son plus cruel pers\u00e9cuteur,\nil pouvait faire son plus fid\u00e8le pr\u00e9dicateur.\nXXVIII\nSAINT JULIEN, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(26 janvier)\nI. Saint Julien fut \u00e9v\u00eaque du Mans. C\u2019\u00e9tait, dit-on, le m\u00eame homme que\nce Simon le L\u00e9preux qui, gu\u00e9ri de sa l\u00e8pre par J\u00e9sus, invita celui-ci \u00e0\nsa table. Apr\u00e8s l\u2019ascension du Seigneur il fut ordonn\u00e9 \u00e9v\u00eaque du Mans.\nIl brilla de nombreuses vertus, ressuscita trois morts, et s\u2019endormit\nlui-m\u00eame dans la paix du Seigneur. Peut-\u00eatre est-ce ce saint Julien-l\u00e0\nque les voyageurs invoquent pour leur faire trouver une bonne\nhospitalit\u00e9 sur leur route: ce privil\u00e8ge lui viendrait, en ce cas, de\nl\u2019honneur qu\u2019il a eu d\u2019offrir l\u2019hospitalit\u00e9 \u00e0 notre Seigneur. Mais, plus\nvraisemblablement le saint Julien qu\u2019on nomme \u00abl\u2019Hospitalier\u00bb est un\nautre saint Julien, dont nous raconterons l\u2019histoire tout \u00e0 l\u2019heure, \u00e0\nsavoir celui qui a tu\u00e9 ses parents sans les conna\u00eetre.\nII. Il y eut un autre saint Julien, qui fut originaire d\u2019Auvergne, noble\nde race, mais plus noble encore de foi, et qui, par soif du martyre,\nallait au-devant de ses pers\u00e9cuteurs. Enfin le consul Crispin envoya un\nde ses officiers avec ordre de le tuer: ce qu\u2019apprenant Julien courut \u00e0\nla rencontre de l\u2019officier, et tendit son corps \u00e0 ses coups. On porta sa\nt\u00eate coup\u00e9 \u00e0 son ami Ferr\u00e9ol, en le mena\u00e7ant d\u2019une mort semblable s\u2019il\nne sacrifiait aussit\u00f4t aux idoles. Et comme saint Ferr\u00e9ol s\u2019y refusait,\non le tua, et on mit dans le m\u00eame tombeau son corps et la t\u00eate de saint\nJulien. Et de longues ann\u00e9es apr\u00e8s, saint Mamert, \u00e9v\u00eaque de Vienne,\ntrouva la t\u00eate de saint Julien entre les mains de saint Ferr\u00e9ol; et\ncette t\u00eate \u00e9tait intacte et fra\u00eeche comme si on l\u2019e\u00fbt ensevelie le jour\nm\u00eame.--Gr\u00e9goire de Tours raconte qu\u2019un paysan qui voulait labourer le\ndimanche eut aussit\u00f4t les doigts contract\u00e9s de telle fa\u00e7on que la cogn\u00e9e\ndont il se servait pour nettoyer le soc de sa charrue se trouv\u00e2t\nattach\u00e9e \u00e0 sa main; et ce paysan ne fut gu\u00e9ri que deux ann\u00e9es plus tard,\ndans l\u2019\u00e9glise de saint Julien, sur les pri\u00e8res de ce saint.\nIII. Il y eut encore un autre saint Julien, qui \u00e9tait fr\u00e8re de saint\nJules; ces deux fr\u00e8res vinrent trouver l\u2019empereur Th\u00e9odose, qui \u00e9tait\nplein de z\u00e8le pour la foi chr\u00e9tienne, et lui demand\u00e8rent la permission\nd\u2019\u00e9lever partout, sur leur chemin, des \u00e9glises \u00e0 la place des temples\ndes idoles. L\u2019empereur le leur permit volontiers, et leur donna un \u00e9crit\naux termes duquel tout le monde devait leur ob\u00e9ir et les aider, sous\npeine de mort. Or, comme, pr\u00e8s de Tours, saint Julien et saint Jules\n\u00e9taient occup\u00e9s \u00e0 construire une \u00e9glise dans un lieu nomm\u00e9 Jou\u00e9, et se\nfaisaient aider par tous les passants, une compagnie d\u2019hommes, qui\navaient \u00e0 passer par l\u00e0 en voiture, se dirent: \u00abQuelle excuse\npourrions-nous trouver pour passer librement, sans devoir nous arr\u00eater\net travailler \u00e0 construire l\u2019\u00e9glise?\u00bb Et ils se dirent: \u00abQue l\u2019un de\nnous se couche sur le dos, au fond de la voiture; nous le couvrirons\nd\u2019un drap et nous dirons que nous conduisons un mort: sur quoi on nous\nlaissera passer librement.\u00bb L\u2019un de ces hommes s\u2019\u00e9tendit donc dans la\nvoiture, et ses compagnons lui dirent: \u00abNe parle pas, ferme les yeux, et\nfais semblant d\u2019\u00eatre mort jusqu\u2019\u00e0 ce que nous ayons d\u00e9pass\u00e9 l\u2019\u00e9glise que\nl\u2019on construit!\u00bb Et lorsque la voiture arriva \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 Julien et\nJules construisaient l\u2019\u00e9glise, les deux saints dirent aux voyageurs:\n\u00abChers enfants, daignez-vous arr\u00eater un moment, pour nous donner un coup\nde main dans notre travail!\u00bb Les voyageurs r\u00e9pondirent: \u00abNous ne pouvons\nnous arr\u00eater, car nous conduisons un mort, dans notre voiture!\u00bb Et saint\nJulien leur dit: \u00abMes enfants, pourquoi mentez-vous?\u00bb Et eux: \u00abSeigneur,\nnous ne mentons pas: c\u2019est la v\u00e9rit\u00e9 que nous vous disons!\u00bb Et saint\nJulien leur dit: \u00abQu\u2019il en soit donc comme vous le dites!\u00bb Et les\nvoyageurs, piquant leurs b\u0153ufs, s\u2019\u00e9loign\u00e8rent; et quand ils furent\narriv\u00e9s \u00e0 quelque distance, ils se mirent \u00e0 appeler leur compagnon, en\nlui disant: \u00abL\u00e8ve-toi maintenant, et, aide-nous \u00e0 stimuler le b\u0153uf, car\nnous n\u2019avan\u00e7ons pas!\u00bb Et comme l\u2019homme ne bougeait pas, ils se mirent \u00e0\nle secouer, en disant: \u00abR\u00eaves-tu? Allons, l\u00e8ve-toi!\u00bb Et, comme il ne\nr\u00e9pondait toujours pas, ils le d\u00e9couvrirent; et ils virent qu\u2019il \u00e9tait\nmort. Personne, depuis ce moment, n\u2019osa plus mentir aux serviteurs de\nDieu.\nIV. Il y eut encore un autre saint Julien. Celui-l\u00e0, qui \u00e9tait de\nfamille noble, se trouvait un jour \u00e0 la chasse, dans sa jeunesse, et\npoursuivait un cerf, lorsque soudain le cerf, sur un signe de Dieu, se\nretourna vers lui et lui dit: \u00abComment oses-tu me poursuivre, toi qui es\ndestin\u00e9 \u00e0 \u00eatre l\u2019assassin de ton p\u00e8re et de ta m\u00e8re?\u00bb Et le jeune homme,\n\u00e0 ces paroles, fut si \u00e9pouvant\u00e9, que, pour emp\u00eacher la pr\u00e9diction du\ncerf de se r\u00e9aliser, il s\u2019\u00e9loigna secr\u00e8tement, traversa d\u2019immenses\nr\u00e9gions, et parvint enfin dans un royaume o\u00f9 il entra au service du roi.\nIl se conduisit avec tant d\u2019\u00e9clat dans la guerre et dans la paix que le\nroi le cr\u00e9a chevalier, et lui donna pour femme la veuve d\u2019un tr\u00e8s riche\nseigneur. Cependant, les parents de Julien, d\u00e9sol\u00e9s de sa disparition,\nerraient \u00e0 travers le monde, en qu\u00eate de leur fils, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019ils\narriv\u00e8rent, un jour, au ch\u00e2teau qui \u00e9tait maintenant la demeure de\nJulien. Mais celui-ci, par hasard, n\u2019\u00e9tait pas au ch\u00e2teau, et ce fut sa\nfemme qui re\u00e7ut les deux voyageurs. Et quand ils lui eurent racont\u00e9\ntoute leur histoire, elle comprit qu\u2019ils \u00e9taient les parents de son\nmari: car celui-ci, sans doute, lui avait souvent parl\u00e9 d\u2019eux. Aussi\nleur fit-elle l\u2019accueil le plus tendre, par amour pour son mari; et elle\nles fit coucher dans son propre lit. Le lendemain matin, pendant qu\u2019elle\n\u00e9tait \u00e0 l\u2019\u00e9glise, voici que Julien rentra. Il s\u2019approcha du lit pour\nr\u00e9veiller sa femme; et, voyant deux personnes qui dormaient sous les\ndraps, il crut que c\u2019\u00e9tait sa femme avec un amant. Sans rien dire, il\ntira son \u00e9p\u00e9e et tua les deux dormeurs. Puis, sortant de la maison, il\nrencontra sa femme qui revenait de l\u2019\u00e9glise, et il lui demanda,\nstup\u00e9fait, qui \u00e9taient les deux personnes qui dormaient dans son lit. Et\nsa femme lui r\u00e9pondit: \u00abCe sont tes parents, qui longtemps t\u2019ont\ncherch\u00e9! Je les ai fait coucher dans notre lit.\u00bb Ce qu\u2019entendant, Julien\npensa mourir de chagrin. Il fondit en larmes, et dit: \u00abQue vais-je\ndevenir, mis\u00e9rable que je suis? Ce sont mes chers parents que j\u2019ai tu\u00e9s!\nJ\u2019ai accompli la pr\u00e9diction du cerf, pour avoir essay\u00e9 d\u2019y \u00e9chapper!\nAdieu donc, ma douce petite s\u0153ur, car je n\u2019aurai plus de repos jusqu\u2019\u00e0\nce que je sache que Dieu a agr\u00e9\u00e9 mon repentir!\u00bb Mais elle: \u00abNe crois\npas, mon fr\u00e8re bien-aim\u00e9, que je te laisse partir sans moi! De m\u00eame que\nj\u2019ai particip\u00e9 \u00e0 ta joie, je participerai \u00e0 tes douleurs!\u00bb Ainsi,\ns\u2019enfuyant ensemble, ils all\u00e8rent demeurer au bord d\u2019un grand fleuve\ndont la travers\u00e9e \u00e9tait pleine de p\u00e9rils; et l\u00e0, tout en faisant\np\u00e9nitence, ils transportaient d\u2019une rive \u00e0 l\u2019autre ceux qui voulaient\ntraverser le fleuve. Et ils les recueillaient dans un h\u00f4pital qu\u2019ils\navaient construit. Et, longtemps apr\u00e8s, par une nuit glaciale, Julien,\nqui s\u2019\u00e9tait couch\u00e9 accabl\u00e9 de fatigue, entendit la voix plaintive d\u2019un\n\u00e9tranger qui lui demandait de lui faire traverser le fleuve. Aussit\u00f4t,\nse levant, il courut vers l\u2019\u00e9tranger, \u00e0 demi mort de froid; et il\nl\u2019emporta dans sa maison, et alluma un grand feu pour le r\u00e9chauffer.\nPuis, le voyant toujours glac\u00e9, il le porta dans son lit et le couvrit\navec soin. Or voici que cet \u00e9tranger, qui \u00e9tait rong\u00e9 de l\u00e8pre et\nr\u00e9pugnant \u00e0 voir, se transforma en un ange \u00e9clatant de lumi\u00e8re. Et tout\nen s\u2019\u00e9levant dans les airs il dit \u00e0 son h\u00f4te: \u00abJulien, le Seigneur m\u2019a\nenvoy\u00e9 vers toi pour t\u2019apprendre que ton repentir a \u00e9t\u00e9 agr\u00e9\u00e9, et que ta\nfemme et toi pourrez bient\u00f4t vous reposer en Dieu.\u00bb Et l\u2019ange disparut,\net, peu de temps apr\u00e8s, Julien et sa femme s\u2019endormirent dans le\nSeigneur, pleins d\u2019aum\u00f4nes et de bonnes \u0153uvres.\nV. Et il y eut encore un autre Julien, qui, celui-l\u00e0, ne f\u00fbt pas un\nsaint, mais un monstre abominable: c\u2019est, \u00e0 savoir, Julien l\u2019Apostat. Ce\nJulien fut d\u2019abord moine, et feignit une grande pi\u00e9t\u00e9. Mais voici ce que\nraconte de lui ma\u00eetre Jean Beleth, dans sa _Somme de l\u2019Office de\nl\u2019Eglise_. Certaine femme avait trois pots pleins d\u2019or, et, pour cacher\nl\u2019or, elle l\u2019avait recouvert de cendres; et elle avait remis les pots \u00e0\nla garde de Julien, qu\u2019elle tenait pour le plus saint moine du couvent.\nMais Julien, d\u00e8s qu\u2019il eut les pots, regarda ce qu\u2019ils contenaient, et\nil prit tout l\u2019or qui s\u2019y trouvait, mit des cendres \u00e0 sa place, et\ns\u2019enfuit \u00e0 Rome avec cet or vol\u00e9. Et il fit si bien que, gr\u00e2ce \u00e0 cet or,\nil devint consul, et fut ensuite \u00e9lev\u00e9 \u00e0 l\u2019empire.\nIl avait \u00e9t\u00e9 instruit d\u00e8s l\u2019enfance dans l\u2019art de la magie, et y avait\npris beaucoup de go\u00fbt. Un jour (\u00e0 ce que raconte l\u2019_Histoire\ntripartite_), encore enfant, il invoqua les d\u00e9mons en l\u2019absence de son\nma\u00eetre; et aussit\u00f4t apparut devant lui une nombreuse troupe de d\u00e9mons,\nsous la forme de n\u00e8gres d\u2019Ethiopie. Alors Julien, effray\u00e9, se h\u00e2ta de\nfaire le signe de la croix; et aussit\u00f4t les d\u00e9mons disparurent. Et le\nma\u00eetre de Julien lui dit, au r\u00e9cit de cette aventure: \u00abC\u2019est que les\nd\u00e9mons ne ha\u00efssent et ne craignent rien autant que le signe de la\ncroix!\u00bb Aussi, lorsque Julien fut \u00e9lev\u00e9 \u00e0 l\u2019empire, se rappelant cette\naventure, et d\u00e9sirant recourir \u00e0 l\u2019art de la magie, il renia sa foi,\nd\u00e9truisit partout le signe de la croix, et pers\u00e9cuta les chr\u00e9tiens de\ntoutes ses forces, afin de se faire mieux ob\u00e9ir des d\u00e9mons.\nOn lit dans les _Vies des P\u00e8res_ que Julien, ayant envahi la Perse,\nenvoya un d\u00e9mon en occident pour savoir ce qui s\u2019y passait; mais le\nd\u00e9mon dut rester immobile pendant dix jours devant la cellule d\u2019un\nmoine, et revint vers Julien sans avoir pu continuer sa route. Et il dit\n\u00e0 l\u2019empereur: \u00abJ\u2019ai attendu pendant dix jours que ce maudit moine\ns\u2019interromp\u00eet de prier, car, sa pri\u00e8re m\u2019emp\u00eachait de passer; mais, le\ndixi\u00e8me jour, comme il ne s\u2019interrompait toujours pas, j\u2019ai d\u00fb\nrebrousser chemin et revenir ici.\u00bb Alors Julien, furieux, dit qu\u2019en\narrivant au d\u00e9sert il tirerait vengeance de ce moine.\nLes d\u00e9mons lui avaient promis qu\u2019il vaincrait les Perses. Son sophiste\ndit un jour \u00e0 un chr\u00e9tien: \u00abQue penses-tu que fasse, \u00e0 cette heure, le\nfils du charpentier?\u00bb Et le chr\u00e9tien r\u00e9pondit: \u00abIl pr\u00e9pare le cercueil\nde Julien.\u00bb Et lorsque Julien arriva \u00e0 C\u00e9sar\u00e9e de Cappadoce (ainsi que\nle raconte l\u2019histoire de saint Basile, et que l\u2019atteste Fulbert, \u00e9v\u00eaque\nde Chartres), saint Basile vint au-devant de lui et lui fit pr\u00e9sent de\nquatre pains d\u2019orge. Et Julien, furieux, refusa de les prendre, et, en\n\u00e9change, fit porter \u00e0 saint Basile une botte de foin, en disant: \u00abRe\u00e7ois\nl\u2019\u00e9quivalent de ce que tu m\u2019as donn\u00e9!\u00bb Et saint Basile r\u00e9pondit: \u00abNous\nt\u2019avons donn\u00e9, nous, ce que nous mangions nous-m\u00eames; et toi, tu nous as\ndonn\u00e9 ce que tu fais manger \u00e0 tes b\u00eates!\u00bb Et Julien irrit\u00e9, r\u00e9pondit:\n\u00abQuand j\u2019aurai soumis les Perses, je d\u00e9truirai votre ville et y ferai\npromener la charrue, et elle m\u00e9ritera plus de s\u2019appeler \u00abfrumentif\u00e8re\u00bb\nqu\u2019\u00abhominif\u00e8re.\u00bb\nLa nuit suivante, saint Basile vit en r\u00eave une multitude d\u2019anges r\u00e9unis\ndans l\u2019\u00e9glise de Notre-Dame. Et au milieu d\u2019eux tr\u00f4nait une femme, qui\nleur disait: \u00abFaites-moi venir tout de suite le vaillant Mercure, afin\nqu\u2019il tue l\u2019apostat Julien, qui, dans sa superbe, blasph\u00e8me contre mon\nFils et moi!\u00bb Ce Mercure \u00e9tait un soldat chr\u00e9tien que Julien avait mis \u00e0\nmort en punition de sa foi, et qui se trouvait enterr\u00e9 avec ses armes\ndans l\u2019\u00e9glise Notre-Dame. Et aussit\u00f4t saint Mercure apparut devant\nl\u2019auguste assembl\u00e9e, et, sur l\u2019ordre de la Vierge, se pr\u00e9para au combat.\nFrapp\u00e9 de ce r\u00eave, saint Basile, d\u00e8s qu\u2019il fut lev\u00e9, fit ouvrir le\ntombeau de saint Mercure, et vit que le saint ni ses armes n\u2019y \u00e9taient\nplus. Il interrogea le gardien de l\u2019\u00e9glise, mais celui-ci lui jura que,\nla veille encore, il avait vu les armes du saint \u00e0 leur place\naccoutum\u00e9e. Et quand saint Basile se fit de nouveau ouvrir le tombeau,\nle matin suivant, le corps du saint s\u2019y trouvait r\u00e9install\u00e9 avec ses\narmes; et sa lance \u00e9tait rouge de sang. Et bient\u00f4t quelqu\u2019un, qui\nrevenait de l\u2019arm\u00e9e, raconta qu\u2019un chevalier inconnu \u00e9tait venu attaquer\nJulien au milieu de ses gardes, l\u2019avait transperc\u00e9 de sa lance, et\ns\u2019\u00e9tait \u00e9loign\u00e9 si vite qu\u2019on n\u2019avait pu le rejoindre.\nEt l\u2019inf\u00e2me Julien, avant de mourir, prit dans sa main des gouttes de\nson sang et les lan\u00e7a en l\u2019air, disant: \u00abTu as vaincu, Galil\u00e9en!\u00bb Apr\u00e8s\nquoi il rendit son \u00e2me mis\u00e9rable; et son corps, abandonn\u00e9 des siens,\nresta sans s\u00e9pulture; et les Perses lui arrach\u00e8rent la peau, que leur\nroi fit tendre sur le tr\u00f4ne o\u00f9 il s\u2019asseyait.\nXXIX\nLA SEPTUAG\u00c9SIME\nLa septuag\u00e9sime d\u00e9signe le temps de la d\u00e9ch\u00e9ance, la sexag\u00e9sime celui de\nl\u2019abandon, la quinquag\u00e9sime celui de la r\u00e9mission, et la quadrag\u00e9sime\ncelui de la p\u00e9nitence spirituelle.\nLa septuag\u00e9sime a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e pour trois motifs: 1\u00ba comme un rachat;\n2\u00ba comme un signe; 3\u00ba comme une repr\u00e9sentation.\n1\u00ba Les saints P\u00e8res avaient d\u00e9cid\u00e9 que, pour v\u00e9n\u00e9rer le jour de\nl\u2019Ascension, une f\u00eate solennelle aurait lieu tous les cinq jours, o\u00f9\nl\u2019on serait dispens\u00e9 du je\u00fbne; mais comme les f\u00eates des saints sont\nensuite survenues, on a d\u00fb renoncer \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer cette f\u00eate tous les cinq\njours. Et c\u2019est pour racheter (ou pour compenser) ces f\u00eates, que les\nP\u00e8res nous ont impos\u00e9 une semaine d\u2019abstinence, qu\u2019ils ont appel\u00e9e la\nseptuag\u00e9sime.\n2\u00ba La septuag\u00e9sime est \u00e9galement un signe: elle signifie la d\u00e9ch\u00e9ance,\nl\u2019exil, et la tribulation du genre humain, depuis Adam jusqu\u2019\u00e0 la fin du\nmonde. Ces sept jours signifient les sept milliers d\u2019ann\u00e9es que dure le\nmonde: car, six mille ans se sont \u00e9coul\u00e9s depuis Adam jusqu\u2019\u00e0\nl\u2019ascension du Christ; et tout le temps qui s\u2019\u00e9coule depuis l\u2019ascension\njusqu\u2019\u00e0 la fin du monde constitue un septi\u00e8me mill\u00e9naire, dont Dieu seul\nconna\u00eet le terme.\n3\u00ba Enfin la septuag\u00e9sime repr\u00e9sente les soixante-dix ans que dura pour\nIsra\u00ebl la captivit\u00e9 de Babylone, qui, \u00e0 son tour, repr\u00e9sentent le temps\nde notre p\u00e9r\u00e9grination terrestre. Dans ce temps d\u2019exil, l\u2019Eglise,\naccabl\u00e9e de tribulations, et presque d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e, chante: _Circumdederunt\nme gemitus morbis_, etc. Mais, pour l\u2019emp\u00eacher de d\u00e9sesp\u00e9rer tout \u00e0\nfait, l\u2019\u00e9p\u00eetre et l\u2019\u00e9vangile de la septuag\u00e9sime lui proposent un triple\nrem\u00e8de et une triple r\u00e9compense. Le rem\u00e8de consiste \u00e0 travailler dans la\nvigne de l\u2019\u00e2me, puis \u00e0 courir dans le stade de la vie pr\u00e9sente, enfin \u00e0\nlutter dans l\u2019ar\u00e8ne contre les tentations du diable. Et les trois\nr\u00e9compenses sont: le denier accord\u00e9 au bon vigneron, les\napplaudissements au coureur, la couronne au combattant.\nXXX\nLA SEXAG\u00c9SIME\nLa sexag\u00e9sime a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e comme remplacement, comme signe, et comme\nrepr\u00e9sentation.\n1\u00ba Le pape Melchiade et saint Sylvestre ont d\u00e9cid\u00e9 que, tous les\nsamedis, les fid\u00e8les pourraient manger deux fois, de fa\u00e7on \u00e0 ne pas\ns\u2019affaiblir par un je\u00fbne trop prolong\u00e9. Mais, pour remplacer ces\nsamedis, ils ont ajout\u00e9 une semaine au car\u00eame, et l\u2019ont appel\u00e9e la\nsexag\u00e9sime.\n2\u00ba La sexag\u00e9sime signifie le temps de veuvage de l\u2019Eglise, et sa\ntristesse en l\u2019absence de son \u00e9poux; car on accordait aux veuves la\nsoixanti\u00e8me partie (_sexagesima_) des r\u00e9coltes. Mais, pour se consoler\nde cette absence de l\u2019\u00e9poux, deux ailes sont donn\u00e9es \u00e0 l\u2019Eglise, \u00e0\nsavoir l\u2019exercice des six \u0153uvres de mis\u00e9ricorde, et l\u2019accomplissement du\nD\u00e9calogue. Et en effet \u00absexag\u00e9sime\u00bb signifie dix fois six: dix, c\u2019est le\nD\u00e9calogue; six, ce sont les \u0153uvres de mis\u00e9ricorde.\n3\u00ba Enfin, la sexag\u00e9sime repr\u00e9sente le myst\u00e8re de notre r\u00e9demption, ou\nplut\u00f4t les six myst\u00e8res, qui sont: l\u2019Incarnation, la Nativit\u00e9, la\nPassion, la Descente aux Enfers, la R\u00e9surrection et l\u2019Ascension.\nXXXI\nLA QUINQUAG\u00c9SIME\nLa quinquag\u00e9sime a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e comme compl\u00e9ment, comme signe, et comme\nrepr\u00e9sentation.\n1\u00ba Nous devrions je\u00fbner pendant quarante jours, \u00e0 la ressemblance du\nChrist, et en r\u00e9alit\u00e9 nous ne je\u00fbnons que pendant trente-six jours, car\nles dimanches sont libres de je\u00fbnes. Et les dimanches sont libres de\nje\u00fbnes tant \u00e0 cause de la joie de la r\u00e9surrection qu\u2019\u00e0 cause de\nl\u2019exemple du Christ, qui, le jour de sa r\u00e9surrection, a mang\u00e9 deux fois,\n\u00e0 savoir avec les disciples d\u2019Emma\u00fcs, et avec ses disciples r\u00e9unis \u00e0\nJ\u00e9rusalem, quand il est entr\u00e9 chez eux toutes portes ferm\u00e9es. En\ncompensation de ces quatre jours, perdus pour le je\u00fbne, l\u2019Eglise a\ninstitu\u00e9 les quatre derniers jours de la quinquag\u00e9sime, puis le clerg\u00e9,\nvoulant donner au peuple l\u2019exemple de la saintet\u00e9, a r\u00e9solu de je\u00fbner\nencore pendant les deux jours pr\u00e9c\u00e9dant ceux-l\u00e0; et ainsi s\u2019est trouv\u00e9e\nconstitu\u00e9e une semaine enti\u00e8re de je\u00fbne, que le pape Telesphore a\nsanctionn\u00e9e, comme le dit saint Ambroise, sous le nom de quinquag\u00e9sime.\n2\u00ba La quinquag\u00e9sime signifie le temps de la r\u00e9mission des p\u00e9ch\u00e9s; car,\ntous les cinquante ans, avait lieu une ann\u00e9e de jubil\u00e9, o\u00f9 les dettes\n\u00e9taient remises, o\u00f9 les esclaves \u00e9taient lib\u00e9r\u00e9s, et o\u00f9 tous rentraient\nen possession de leurs biens.\n3\u00ba Enfin la quinquag\u00e9sime repr\u00e9sente l\u2019\u00e9tat de b\u00e9atitude. Car, tous les\ncinquante ans, les esclaves \u00e9taient lib\u00e9r\u00e9s; cinquante jours apr\u00e8s\nl\u2019immolation de l\u2019agneau, la loi fut donn\u00e9e; et c\u2019est cinquante jours\napr\u00e8s P\u00e2ques qu\u2019est descendu l\u2019Esprit-Saint.\nL\u2019\u00e9p\u00eetre et l\u2019\u00e9vangile de la quinquag\u00e9sime nous enseignent que trois\nchoses sont n\u00e9cessaires, pour que l\u2019\u0153uvre de la p\u00e9nitence soit parfaite:\n1\u00ba la charit\u00e9, qui nous est recommand\u00e9e par l\u2019\u00e9p\u00eetre; 2\u00ba le souvenir de\nla passion du Seigneur, et, 3\u00ba la foi, qui nous sont recommand\u00e9s dans\nl\u2019\u00e9vangile, par le r\u00e9cit du miracle de l\u2019aveugle gu\u00e9ri.\nXXXII\nLA QUADRAG\u00c9SIME\nLe je\u00fbne de la quadrag\u00e9sime s\u2019explique par trois raisons: 1\u00ba l\u2019\u00e9vangile\nde saint Matthieu indique quarante g\u00e9n\u00e9rations du Christ; 2\u00ba le Christ\nest rest\u00e9 quarante jours avec ses disciples apr\u00e8s sa r\u00e9surrection; 3\u00ba le\nmonde se divise en quatre parties, l\u2019ann\u00e9e en quatre saisons, l\u2019univers\nen quatre \u00e9l\u00e9ments, la nature humaine en quatre temp\u00e9raments, la loi\nnouvelle en quatre \u00e9vangiles. Et comme nous avons transgress\u00e9 cette loi,\net aussi l\u2019ancienne, qui consistait en dix commandements, il convient\nque nous je\u00fbnions pendant quatre fois dix fois, c\u2019est-\u00e0-dire quarante\njours.\nXXXIII\nLE JE\u00dbNE DES QUATRE-TEMPS\nLe je\u00fbne des Quatre-Temps a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9 par le pape Calixte. Il\nconsiste \u00e0 je\u00fbner quatre fois par an, suivant les quatre saisons. Ce\nje\u00fbne se justifie par quatre arguments:\n1\u00ba Le printemps \u00e9tant une saison humide, nous je\u00fbnons au printemps pour\ntemp\u00e9rer en nous les humeurs pernicieuses, c\u2019est-\u00e0-dire la luxure. L\u2019\u00e9t\u00e9\n\u00e9tant une saison chaude et s\u00e8che, nous je\u00fbnons pour ch\u00e2tier en nous la\ns\u00e9cheresse de l\u2019avarice. L\u2019automne \u00e9tant une saison \u00e9galement s\u00e8che,\nmais froide, nous je\u00fbnons pour ch\u00e2tier la s\u00e9cheresse froide de\nl\u2019orgueil. Enfin l\u2019hiver \u00e9tant une saison froide et humide, nous je\u00fbnons\npour ch\u00e2tier le froid de l\u2019infid\u00e9lit\u00e9 et de la malice.\n2\u00ba Le je\u00fbne des Quatre-Temps a pour objet de nous rappeler le je\u00fbne des\nJuifs, qui je\u00fbnaient quatre fois par an, avant la P\u00e2que, avant la\nPentec\u00f4te, avant la f\u00eate des Tabernacles et avant la d\u00e9dication de\nd\u00e9cembre.\n3\u00ba L\u2019homme \u00e9tant form\u00e9 de quatre \u00e9l\u00e9ments, quant au corps, et de trois\nfacult\u00e9s, quant \u00e0 l\u2019\u00e2me, nous devons je\u00fbner quatre fois par an, pendant\ntrois jours chaque fois.\n4\u00ba Le printemps se rapporte \u00e0 l\u2019enfance, l\u2019\u00e9t\u00e9 \u00e0 l\u2019adolescence,\nl\u2019automne \u00e0 l\u2019\u00e2ge viril, l\u2019hiver \u00e0 la vieillesse. Nous devons donc\nje\u00fbner au printemps pour \u00eatre innocents comme des enfants; en \u00e9t\u00e9, pour\n\u00eatre forts comme des adolescents, en automne, pour \u00eatre m\u00fbrs par la\njustice, comme le veut l\u2019\u00e2ge viril; en hiver pour acqu\u00e9rir la sagesse et\nla probit\u00e9 des vieillards. Ou, plut\u00f4t encore, nous devons je\u00fbner en\nhiver pour expier les fautes commises par nous pendant les saisons\npr\u00e9c\u00e9dentes.\nXXXIV\nSAINT JEAN CHRYSOSTOME, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(27 janvier)\nJean, surnomm\u00e9 Chrysostome, naquit \u00e0 Antioche, de Second et d\u2019Anture,\nnobles tous deux. Sa vie, sa g\u00e9n\u00e9alogie, son caract\u00e8re, et les\npers\u00e9cutions qu\u2019il eut \u00e0 subir, se trouvent racont\u00e9s tout au long dans\nl\u2019_Histoire tripartite_.\nApr\u00e8s avoir \u00e9tudi\u00e9 la philosophie, il l\u2019abandonna pour s\u2019occuper\nuniquement des choses divines. Ordonn\u00e9 pr\u00eatre, il eut un z\u00e8le de\nchastet\u00e9 qui le fit accuser de s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 excessive. Plus fervent que\ndoux, ex\u00e9cutant toujours sans scrupule ce que lui ordonnait sa\nconscience, il passait pour arrogant aux yeux de ceux qui ne le\nconnaissaient point. Mais personne ne l\u2019\u00e9galait pour enseigner, pour\nexpliquer, comme aussi pour corriger les m\u0153urs. Ayant \u00e9t\u00e9 fait \u00e9v\u00eaque,\nsous le r\u00e8gne des empereurs Honorius et Arcade, et pendant que Damase\noccupait le si\u00e8ge de saint Pierre, il voulut aussit\u00f4t r\u00e9former la vie de\nson clerg\u00e9, et s\u2019attira ainsi la haine de tous. On le traitait\nd\u2019insens\u00e9, on le diffamait partout; et comme jamais il n\u2019invitait\npersonne \u00e0 sa table, ni n\u2019acceptait aucune invitation, on faisait courir\nle bruit que cela provenait de ce qu\u2019il avait une fa\u00e7on d\u00e9go\u00fbtante de\nmanger; tandis que, en r\u00e9alit\u00e9, il n\u2019agissait ainsi que par abstinence,\net parce que le moindre exc\u00e8s de nourriture lui donnait des maux de\nt\u00eate. D\u2019ailleurs le peuple l\u2019aimait beaucoup, \u00e0 cause de ses sermons, et\nne tenait nul compte des calomnies r\u00e9pandues contre lui. Mais la haine\ndont il \u00e9tait l\u2019objet grandit encore lorsqu\u2019on le vit s\u2019attaquer\ncourageusement aux plus gros personnages. Et il y eut une chose, en\nparticulier, qui produisit une \u00e9motion g\u00e9n\u00e9rale. Le consul Eutrope,\nfavori de l\u2019empereur, voulant soumettre \u00e0 sa juridiction ceux qui se\nr\u00e9fugiaient dans les \u00e9glises, obtint de l\u2019empereur une loi annulant le\ndroit d\u2019asile, et permettant d\u2019extraire des \u00e9glises ceux qui s\u2019y \u00e9taient\nr\u00e9fugi\u00e9s. Or, peu de temps apr\u00e8s, Eutrope lui-m\u00eame, ayant offens\u00e9\nl\u2019empereur, se r\u00e9fugia dans l\u2019\u00e9glise de Jean Chrysostome et se cacha\nsous l\u2019autel. Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque, venant \u00e0 lui, lui adressa une hom\u00e9lie\npleine des plus durs reproches; apr\u00e8s quoi il le laissa prendre par\nl\u2019empereur, qui lui fit couper la t\u00eate. Et bien des gens s\u2019indign\u00e8rent\nde ce que, en pr\u00e9sence du malheur de son ennemi, l\u2019\u00e9v\u00eaque n\u2019e\u00fbt eu pour\nlui aucune piti\u00e9. Il \u00e9tait d\u2019ailleurs sans piti\u00e9 dans toutes ses\ninvectives contre les m\u00e9chants; et par l\u00e0 s\u2019explique qu\u2019il ait soulev\u00e9\ntant de haines. L\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Alexandrie, Th\u00e9ophile, notamment, s\u2019effor\u00e7ait\nde d\u00e9poss\u00e9der Jean de son si\u00e8ge \u00e9piscopal, pour mettre \u00e0 sa place un\npr\u00eatre nomm\u00e9 Isidore. Mais le peuple continuait \u00e0 d\u00e9fendre Jean, et \u00e0 se\nrepa\u00eetre de son enseignement.\nEt Jean, non content de gouverner avec vigueur le dioc\u00e8se de\nConstantinople, s\u2019occupait aussi de maintenir le bon ordre dans les\nprovinces voisines, par de sages lois qu\u2019il obtenait de l\u2019empereur.\nQuand il apprit qu\u2019en Ph\u00e9nicie on sacrifiait encore aux idoles, il y\nenvoya des pr\u00eatres et des moines et y fit d\u00e9truire tous les temples.\nEn ce temps-l\u00e0, un Celte nomm\u00e9 Ga\u00efmas, barbare d\u2019humeur tyrannique, et\nd\u00e9prav\u00e9 par l\u2019h\u00e9r\u00e9sie arienne, fut cr\u00e9\u00e9 tribun des soldats. Il demanda \u00e0\nl\u2019empereur qu\u2019une \u00e9glise f\u00fbt conc\u00e9d\u00e9e aux ariens dans Constantinople. Et\nl\u2019empereur, d\u00e9sirant le satisfaire, pria Jean de se d\u00e9poss\u00e9der pour lui\nd\u2019une de ses \u00e9glises. Mais Jean lui r\u00e9pondit, enflamm\u00e9 d\u2019un saint z\u00e8le:\n\u00abEmpereur, garde-toi de consentir \u00e0 cela, et de livrer aux chiens un\nlieu sacr\u00e9! Et ne crains pas ce barbare; mais plut\u00f4t laisse-moi\nm\u2019entretenir avec lui, et \u00e9coute, en secret, ce que nous dirons! Je me\ncharge de r\u00e9fr\u00e9ner sa langue de telle sorte qu\u2019il n\u2019ose plus renouveler\nsa demande!\u00bb L\u2019empereur les convoqua donc tous deux pour le lendemain.\nEt comme Ga\u00efmas r\u00e9clamait pour lui une \u00e9glise, Jean lui dit: \u00abToutes les\n\u00e9glises te sont ouvertes, et nul ne te d\u00e9fend d\u2019y prier.\u00bb Et Ga\u00efmas: \u00abJe\nsuis d\u2019une autre secte, et j\u2019ai bien le droit d\u2019exiger une \u00e9glise pour\nmon culte, apr\u00e8s tous les services que j\u2019ai rendus \u00e0 la r\u00e9publique!\u00bb Et\nJean: \u00abTu as d\u00e9j\u00e0 re\u00e7u bien des r\u00e9compenses, et au del\u00e0 de ton m\u00e9rite!\nTu as \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 tribun des soldats, tu as rev\u00eatu la toge consulaire:\nsonge seulement \u00e0 ce que tu \u00e9tais autrefois et \u00e0 ce qu\u2019a fait de toi la\nfaveur de ton ma\u00eetre! Et, te rappelant tout cela, garde-toi d\u2019\u00eatre\ningrat pour ton bienfaiteur!\u00bb Ainsi il lui ferma la bouche, et le\ncontraignit au silence. Mais Ga\u00efmas, voyant qu\u2019il ne pouvait rien contre\nlui ouvertement, ordonna \u00e0 une troupe de barbares de mettre le feu, le\nnuit, \u00e0 son palais. Et l\u2019on sut alors avec quelle assistance saint Jean\ngardait la ville. Car la troupe des barbares vit s\u2019avancer contre elle\nune troupe d\u2019anges en armes, qui, aussit\u00f4t, les mirent en fuite. Ces\nbarbares vinrent rapporter la chose \u00e0 Ga\u00efmas, qui en fut tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9, se\ndemandant quels pouvaient \u00eatre ces soldats qu\u2019il ne connaissait pas. La\nnuit suivante, le m\u00eame miracle se reproduisit. Et, la nuit qui suivit\ncelle-l\u00e0, Ga\u00efmas lui-m\u00eame, s\u2019\u00e9tant mis \u00e0 la t\u00eate de ses hommes, se\ntrouva repouss\u00e9 par une cohorte invincible, qu\u2019il se figura \u00eatre form\u00e9e\nde soldats recrut\u00e9s en secret par l\u2019\u00e9v\u00eaque, et tenus cach\u00e9s par lui au\nfond de son palais. Sortant alors de Constantinople, il se rendit en\nThrace, y r\u00e9unit une grande arm\u00e9e de barbares, et s\u2019appr\u00eata \u00e0 d\u00e9vaster\ntout le pays. L\u2019empereur, effray\u00e9, chargea l\u2019\u00e9v\u00eaque Jean de se rendre\naupr\u00e8s de lui en ambassadeur; et Jean se mit courageusement en route,\noubliant son inimiti\u00e9. Or Ga\u00efmas, ayant reconnu ses torts et le bon\ndroit de l\u2019\u00e9v\u00eaque, vint au-devant de lui, lui baisa la main, et ordonna\n\u00e0 ses fils d\u2019embrasser ses genoux.\nVers le m\u00eame temps surgit, dans l\u2019\u00e9glise, la question de savoir si Dieu\navait un corps; et de cette question naquirent des luttes sans fin. La\nmajorit\u00e9 des moines, dans leur simplicit\u00e9, se laiss\u00e8rent s\u00e9duire par\nceux qui soutenaient que Dieu avait un corps. Et comme, au contraire,\nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Alexandrie, Th\u00e9ophile, connaissant la v\u00e9rit\u00e9, avait\nsolennellement condamn\u00e9 ceux qui pr\u00eataient \u00e0 Dieu une forme humaine, les\nmoines d\u2019Egypte, sortis de leurs cellules, vinrent \u00e0 Alexandrie pour\nexciter le peuple \u00e0 la r\u00e9volte contre l\u2019\u00e9v\u00eaque. Celui-ci, effray\u00e9, leur\ndit: \u00abVous m\u2019apparaissez comme la face m\u00eame de Dieu!\u00bb Et eux: \u00abPuisque\ntu reconnais que Dieu a une face comme nous, aie soin de prononcer\nl\u2019anath\u00e8me contre les livres d\u2019Orig\u00e8ne, qui contredisent notre opinion!\nQue si tu ne le fais pas, nous te tiendrons pour rebelle aux empereurs\net \u00e0 Dieu, et nous te traiterons en cons\u00e9quence!\u00bb Et lui: \u00abEpargnez-moi,\ncar je suis pr\u00eat \u00e0 faire ce qui vous plaira!\u00bb Et ainsi il d\u00e9tourna la\ncol\u00e8re des moines. Mais on entend bien que ce sont seulement les simples\nd\u2019esprit, parmi les moines, qui se laiss\u00e8rent s\u00e9duire par une erreur\naussi pu\u00e9rile.\nTandis que cela se passait en Egypte, Jean, \u00e0 Constantinople, maintenait\nla pure doctrine, \u00e0 l\u2019admiration de tous. Mais les ariens, dont le\nnombre avait grandi, et qui poss\u00e9daient une \u00e9glise en dehors de la\nville, poussaient l\u2019audace jusqu\u2019\u00e0 p\u00e9n\u00e9trer, le dimanche, dans l\u2019\u00e9glise\nm\u00eame de Jean, en chantant leurs hymnes et antiennes, ou bien encore en\ndisant, par d\u00e9rision \u00e0 l\u2019adresse des orthodoxes: \u00abVoil\u00e0 donc les\ninsens\u00e9s qui pr\u00e9tendent que trois ne font qu\u2019un!\u00bb Alors Jean, craignant\nque les simples ne se laissassent entra\u00eener \u00e0 l\u2019h\u00e9r\u00e9sie, ordonna aux\nfid\u00e8les de se r\u00e9unir la nuit dans les \u00e9glises, pour entendre des\npr\u00e9dications et chanter des hymnes. Et il organisa aussi des\nprocessions, o\u00f9 l\u2019on portait des croix d\u2019argent avec des flambeaux\nd\u2019argent. Sur quoi les ariens, furieux, pouss\u00e8rent leur audace jusqu\u2019au\nmeurtre. Une nuit, l\u2019eunuque Brison, qui assistait Jean dans ses offices\nde nuit, fut frapp\u00e9 d\u2019une pierre \u00e0 l\u2019aine; et un certain nombre d\u2019hommes\ndes deux partis furent mis \u00e0 mort. De telle sorte que l\u2019empereur, pour\narr\u00eater le scandale, interdit formellement aux ariens de chanter leurs\nhymnes en public.\nVers le m\u00eame temps l\u2019\u00e9v\u00eaque S\u00e9v\u00e9rien, favori de l\u2019empereur et de\nl\u2019imp\u00e9ratrice, vint \u00e0 Constantinople, et fut affectueusement accueilli\npar Jean, qui, lorsqu\u2019il partit pour l\u2019Asie, lui laissa la garde de son\n\u00e9glise. Mais S\u00e9v\u00e9rien, au lieu de s\u2019acquitter loyalement de cette\nmission, travailla \u00e0 d\u00e9tourner sur lui-m\u00eame la faveur que le peuple\naccordait \u00e0 Jean. Et comme le pr\u00eatre S\u00e9rapion avait averti Jean de ce\nqui se passait, S\u00e9v\u00e9rien, furieux, s\u2019\u00e9cria: \u00abSi ce S\u00e9rapion ne meurt\npas, je veux que le Christ n\u2019ait pas \u00e9t\u00e9 incarn\u00e9!\u00bb Ce qu\u2019apprenant,\nJean, \u00e0 son retour, le chassa de la ville comme blasph\u00e9mateur. La chose\nd\u00e9plut fort \u00e0 l\u2019imp\u00e9ratrice, qui, rappelant S\u00e9v\u00e9rien, demanda \u00e0 Jean de\nse r\u00e9concilier avec lui. Mais Jean s\u2019y refusa; et l\u2019imp\u00e9ratrice, pour le\nfl\u00e9chir, dut mettre sur ses genoux son fils Th\u00e9odose.\nVers le m\u00eame temps, Th\u00e9ophile, l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Alexandrie, chassa injustement\nun saint homme nomm\u00e9 Dioscore, et cet Isidore qu\u2019autrefois il avait\nsoutenu. Tous deux vinrent alors \u00e0 Constantinople pour se plaindre de\nlui; mais Jean, tout en les honorant fort, ne voulut point prendre parti\npour eux avant de mieux conna\u00eetre la cause. Cependant, on rapporta\nfaussement \u00e0 Th\u00e9ophile que Jean avait pris parti pour eux; et Th\u00e9ophile,\nfurieux, n\u2019en travailla que plus ardemment \u00e0 le d\u00e9poss\u00e9der de son si\u00e8ge\n\u00e9piscopal. Cachant sa v\u00e9ritable intention, il \u00e9crivit aux divers \u00e9v\u00eaques\npour leur dire qu\u2019il condamnait les livres d\u2019Orig\u00e8ne. Il circonvint\naussi le saint et glorieux \u00e9v\u00eaque de Chypre, Epiphane, qui, ayant r\u00e9uni\nson clerg\u00e9, lui interdit la lecture d\u2019Orig\u00e8ne, et \u00e9crivit \u00e0 Jean pour\nlui demander de suivre son exemple. Mais Jean, sans s\u2019\u00e9mouvoir de toutes\nles intrigues organis\u00e9es contre lui, continuait \u00e0 d\u00e9velopper la pure\ndoctrine de l\u2019Eglise.\nEnfin Th\u00e9ophile laissa voir ouvertement sa haine, et r\u00e9v\u00e9la son d\u00e9sir de\nd\u00e9poss\u00e9der Jean de son si\u00e8ge. Il eut aussit\u00f4t pour le seconder bon\nnombre de pr\u00eatres et de fonctionnaires imp\u00e9riaux, qui ne cherchaient\nqu\u2019une occasion de se d\u00e9barrasser de l\u2019\u00e9v\u00eaque.\nPeu de temps apr\u00e8s, Epiphane vint \u00e0 Constantinople, pour faire condamner\nles \u00e9crits d\u2019Orig\u00e8ne. Par \u00e9gard pour son ami Th\u00e9ophile, il d\u00e9clina\nl\u2019invitation de Jean. Et tel \u00e9tait le respect qu\u2019on avait pour lui que,\nsur sa demande, bien des gens souscrivirent \u00e0 la condamnation d\u2019Orig\u00e8ne.\nD\u2019autres, au contraire, s\u2019y refus\u00e8rent, et parmi eux Th\u00e9otine, \u00e9v\u00eaque de\nSic\u00e9e, homme c\u00e9l\u00e8bre par la droiture de sa vie. Jean, cependant,\nsupporta sans se f\u00e2cher qu\u2019Epiphane interv\u00eent dans les affaires de son\n\u00e9glise, en dehors de toute r\u00e8gle. Il demandait seulement \u00e0 Epiphane de\nprendre rang parmi ses \u00e9v\u00eaques. Mais Epiphane r\u00e9pondit qu\u2019il n\u2019en ferait\nrien aussi longtemps que Jean n\u2019aurait pas chass\u00e9 Dioscore et souscrit \u00e0\nla condamnation des livres d\u2019Orig\u00e8ne. Et bient\u00f4t Epiphane, devant la\nr\u00e9sistance de Jean, commen\u00e7a \u00e0 attaquer celui-ci comme un d\u00e9fenseur des\nh\u00e9r\u00e9tiques. Jean lui \u00e9crivit alors: \u00abTu as fait bien des choses contre\nles r\u00e8gles, Epiphane! Tu as ordonn\u00e9 des pr\u00eatres dans mon \u00e9glise, tu y as\nc\u00e9l\u00e9br\u00e9 les offices saints, de ta propre autorit\u00e9, tu as refus\u00e9 de\nr\u00e9pondre \u00e0 mes invitations. Que si le peuple se soul\u00e8ve contre toi, la\nresponsabilit\u00e9 en sera toute \u00e0 toi seul!\u00bb Au re\u00e7u de cette lettre,\nEpiphane quitta Constantinople. Mais, avant de partir, il \u00e9crivit \u00e0\nJean: \u00abJ\u2019esp\u00e8re que tu ne mourras pas \u00e9v\u00eaque!\u00bb A quoi Jean r\u00e9pondit:\n\u00abJ\u2019esp\u00e8re que tu ne rentreras pas vivant dans ta patrie!\u00bb Et les deux\nproph\u00e9ties se r\u00e9alis\u00e8rent: car Epiphane mourut en chemin, et Jean,\nd\u00e9poss\u00e9d\u00e9 de son \u00e9piscopat, finit sa vie en exil.\nCet Epiphane, dont les reliques eurent, plus tard, le privil\u00e8ge de\nchasser les d\u00e9mons, \u00e9tait un homme d\u2019une g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 merveilleuse. Un\njour, comme il avait d\u00e9pens\u00e9 en aum\u00f4nes tout le tr\u00e9sor de son \u00e9glise, un\ninconnu vint tout \u00e0 coup lui apporter un sac plein d\u2019or, apr\u00e8s quoi il\ndisparut, et jamais on ne sut d\u2019o\u00f9 il \u00e9tait venu. Une autre fois, des\nm\u00e9chants, voulant tromper Epiphane pour en obtenir de l\u2019argent,\nimagin\u00e8rent la ruse que voici: l\u2019un d\u2019eux s\u2019\u00e9tendit \u00e0 terre,\ncontrefaisant le mort, tandis que l\u2019autre, debout pr\u00e8s de lui, feignait\nde se lamenter, et g\u00e9missait qu\u2019il n\u2019avait pas d\u2019argent pour ensevelir\nson ami. Survient Epiphane, qui prie pour le repos de l\u2019\u00e2me du mort,\npourvoit \u00e0 sa s\u00e9pulture, console le survivant, et s\u2019en va. Aussit\u00f4t\nl\u2019homme de secouer son compagnon, en lui disant: \u00abL\u00e8ve-toi, nous allons\npouvoir nous r\u00e9galer!\u00bb Mais en vain il le secouait, car le malheureux\n\u00e9tait mort. L\u2019imposteur, d\u00e9sol\u00e9, courut avouer sa faute \u00e0 Epiphane, en\nle suppliant de ressusciter son compagnon. Et Epiphane le consola de son\nmieux, mais ne voulut point ressusciter le mort, afin que l\u2019accident\nserv\u00eet d\u2019exemple \u00e0 ceux qui seraient tent\u00e9s de tromper les ministres de\nDieu.\nOr, quand Epiphane eut quitt\u00e9 Constantinople, on rapporta \u00e0 Jean que\nl\u2019imp\u00e9ratrice Eudoxie avait excit\u00e9 contre lui ce v\u00e9n\u00e9rable \u00e9v\u00eaque.\nAussit\u00f4t Jean, avec son z\u00e8le accoutum\u00e9, fit, en pr\u00e9sence de tous, un\nsermon o\u00f9 il parlait de toutes les femmes en des termes tr\u00e8s violents.\nEt l\u2019on fut unanime \u00e0 consid\u00e9rer ce sermon comme dirig\u00e9 contre\nl\u2019imp\u00e9ratrice. Ce qu\u2019apprenant, celle-ci se plaignit \u00e0 l\u2019empereur, et\nr\u00e9clama vengeance. Pouss\u00e9 par elle, l\u2019empereur ordonna la convocation du\nsynode r\u00e9clam\u00e9 par Th\u00e9ophile, et auquel Jean s\u2019\u00e9tait toujours oppos\u00e9.\nAussit\u00f4t Th\u00e9ophile convoqua tous les \u00e9v\u00eaques ennemis de Jean; et\nceux-ci, r\u00e9unis \u00e0 Constantinople, ne s\u2019occupaient plus des livres\nd\u2019Orig\u00e8ne mais se posaient ouvertement en adversaires de Jean. Ils\nsomm\u00e8rent celui-ci de compara\u00eetre devant eux. Mais Jean, malgr\u00e9 quatre\nappels, refusa de se livrer \u00e0 des ennemis, et r\u00e9clama la convocation\nd\u2019un synode universel. Sur quoi les \u00e9v\u00eaques le condamn\u00e8rent, sans avoir\nrien trouv\u00e9 \u00e0 lui reprocher, sinon son refus de se rendre \u00e0 leur\ncitation. En cons\u00e9quence, l\u2019empereur ordonna qu\u2019il f\u00fbt au plus vite\nenvoy\u00e9 en exil; mais le peuple, indign\u00e9, se souleva en sa faveur et\nrefusa de le laisser sortir de l\u2019\u00e9glise, demandant que sa condamnation\nf\u00fbt port\u00e9e devant un concile g\u00e9n\u00e9ral. Alors Jean, pour \u00e9viter que la\ns\u00e9dition ne s\u2019\u00e9tend\u00eet, quitta l\u2019\u00e9glise \u00e0 l\u2019insu du peuple et partit pour\nl\u2019exil. Mais le peuple, d\u00e8s qu\u2019il l\u2019apprit, se souleva plus encore; et\nbon nombre de ses anciens ennemis se convertirent \u00e0 sa cause,\nreconnaissant qu\u2019on l\u2019avait calomni\u00e9.\nCependant S\u00e9v\u00e9rien, dont nous avons parl\u00e9 plus haut, diffamait Jean\njusque dans son \u00e9glise. Il disait que, si m\u00eame Jean n\u2019avait pas commis\nd\u2019autre faute, son orgueil aurait suffi \u00e0 justifier sa condamnation. Et\ncet impudent propos accrut \u00e0 tel point la fureur du peuple contre les\n\u00e9v\u00eaques et l\u2019empereur lui-m\u00eame, qu\u2019Eudoxie dut prier son mari de faire\nrevenir d\u2019exil celui qu\u2019elle avait contribu\u00e9 \u00e0 chasser: sans compter\nque, un grand tremblement de terre ayant ravag\u00e9 la ville, le peuple\navait \u00e9t\u00e9 d\u2019accord pour voir l\u00e0 un ch\u00e2timent de l\u2019injuste expulsion de\nJean.\nOn envoya donc \u00e0 celui-ci des ambassadeurs pour le prier de revenir au\nplus vite. A trois reprises il s\u2019y refusa; mais, la troisi\u00e8me fois, il\nfut ramen\u00e9 de force \u00e0 Constantinople, o\u00f9 tout le peuple vint au-devant\nde lui avec des cierges et des lampes. Et comme il se refusait \u00e0\ns\u2019asseoir sur son si\u00e8ge \u00e9piscopal aussi longtemps que le synode n\u2019aurait\npas retir\u00e9 la sentence port\u00e9e contre lui, c\u2019est encore de force que le\npeuple le r\u00e9installa sur son si\u00e8ge et l\u2019amena \u00e0 pr\u00eacher de nouveau.\nAussit\u00f4t Th\u00e9ophile s\u2019enfuit de Constantinople. Lorsqu\u2019il arriva \u00e0\nHierapolis, l\u2019\u00e9v\u00eaque de cette ville venait de mourir, et sa succession\navait \u00e9t\u00e9 offerte \u00e0 un saint moine appel\u00e9 Lamon. Celui-ci ne voulait \u00e0\naucun prix accepter une telle offre. Et comme Th\u00e9ophile insistait pour\nqu\u2019il l\u2019accept\u00e2t, il feignit enfin de consentir, en disant: \u00abDemain, ce\nqui pla\u00eet \u00e0 Dieu s\u2019accomplira!\u00bb Le lendemain, comme on l\u2019engageait de\nnouveau \u00e0 accepter l\u2019\u00e9piscopat, il dit: \u00abAdressons d\u2019abord une pri\u00e8re au\nSeigneur!\u00bb Et, quand il eut achev\u00e9 sa pri\u00e8re, on s\u2019aper\u00e7ut que sa vie\ns\u2019\u00e9tait achev\u00e9e du m\u00eame coup.\nJean, cependant, persistait vigoureusement dans sa doctrine. On venait\nalors d\u2019\u00e9lever, sur une place, en face de l\u2019\u00e9glise de Sainte-Sophie, une\nstatue d\u2019argent de l\u2019imp\u00e9ratrice Eudoxie: et des jeux publics y avaient\nlieu en son honneur. Jean en fut indign\u00e9, voyant l\u00e0 un outrage \u00e0 son\n\u00e9glise. Il s\u2019arma donc la langue de nouveau, avec son intr\u00e9pidit\u00e9\nordinaire: et au lieu de supplier l\u2019empereur de faire cesser le\nscandale, il employa toute son \u00e9loquence \u00e0 protester contre celui-ci. Ce\ndont l\u2019imp\u00e9ratrice s\u2019offensa profond\u00e9ment; et de nouveau elle mit tout\nen \u0153uvre pour faire condamner Jean par un synode d\u2019\u00e9v\u00eaques. C\u2019est alors\nque Jean, dans son \u00e9glise, pronon\u00e7a contre elle l\u2019hom\u00e9lie fameuse qui\ncommen\u00e7ait ainsi: \u00abUne fois de plus H\u00e9rodiade d\u00e9lire, une fois de plus\nelle r\u00eave de voir la t\u00eate de Jean d\u00e9pos\u00e9e sur un plat!\u00bb Et la fureur\nd\u2019Eudoxie redoubla encore.\nMais, comme un de ses serviteurs voulait tuer Jean, le peuple s\u2019empara\nde lui; et on l\u2019aurait mis \u00e0 mort si le pr\u00e9fet n\u2019avait eu la pr\u00e9caution\nde le faire dispara\u00eetre. Quelques jours apr\u00e8s, le domestique d\u2019un pr\u00eatre\nse jeta sur Jean et voulut le tuer. Retenu par des fid\u00e8les, il frappa\ntrois d\u2019entre eux, et, la foule \u00e9tant accourue, il commit encore\nd\u2019autres meurtres. Mais le peuple continuait \u00e0 tenir Jean sous sa garde,\nentourant sa maison, nuit et jour, pour emp\u00eacher qu\u2019on ne l\u2019attaqu\u00e2t.\nSur le conseil d\u2019Eudoxie, un nouveau synode d\u2019\u00e9v\u00eaques se r\u00e9unit \u00e0\nConstantinople, avec la mission de condamner Jean; et, la veille de\nNo\u00ebl, l\u2019empereur d\u00e9fendit \u00e0 Jean de donner la communion avant de s\u2019\u00eatre\njustifi\u00e9 des accusations port\u00e9es contre lui. Les \u00e9v\u00eaques, de leur c\u00f4t\u00e9,\nle condamn\u00e8rent une deuxi\u00e8me fois, lui reprochant, \u00e0 pr\u00e9sent, d\u2019avoir\nsi\u00e9g\u00e9 sur son tr\u00f4ne \u00e9piscopal apr\u00e8s sa d\u00e9position. Et, aux approches de\nP\u00e2ques, l\u2019empereur manda \u00e0 Jean d\u00e9fense d\u2019entrer d\u00e9sormais dans son\n\u00e9glise, puisque deux synodes l\u2019avaient condamn\u00e9. Sur son ordre, Jean fut\nchass\u00e9 de Constantinople et rel\u00e9gu\u00e9 dans une petite ville, \u00e0 la\nfronti\u00e8re de l\u2019empire, dans le voisinage imm\u00e9diat de cruels barbares.\nMais Dieu, dans sa cl\u00e9mence, ne permit point que son fid\u00e8le athl\u00e8te\ndemeur\u00e2t longtemps en cette situation. Comme Jean, fatigu\u00e9 d\u2019un long\nvoyage, souffrait cruellement de ses maux de t\u00eate, expos\u00e9 \u00e0 l\u2019ardeur\ninsupportable du soleil, son \u00e2me s\u2019envola de son corps, \u00e0 Cumanes, le\nquatorzi\u00e8me jour de septembre.\nA sa mort, une gr\u00eale effroyable s\u2019abattit sur Constantinople et tous les\nenvirons; et tous reconnurent l\u00e0 un signe de la col\u00e8re de Dieu, \u00e0 cause\nde l\u2019injuste condamnation de Jean. Croyance qui se trouva confirm\u00e9e\nencore, quatre jours apr\u00e8s, par la mort subite de l\u2019imp\u00e9ratrice Eudoxie.\nLes \u00e9v\u00eaques d\u2019Occident, d\u00e9sol\u00e9s de la mort de l\u2019admirable docteur, se\nrefus\u00e8rent \u00e0 communiquer avec les \u00e9v\u00eaques d\u2019Orient jusqu\u2019au jour o\u00f9 le\nnom sacr\u00e9 de saint Jean Chrysostome serait r\u00e9install\u00e9 dans l\u2019honneur \u00e0\nlui d\u00fb. Et le pieux Th\u00e9odose, fils d\u2019Arcade, fit transporter les restes\nde saint Jean \u00e0 Constantinople, o\u00f9, les invoquant d\u00e9votement, il demanda\nau saint d\u2019interc\u00e9der en faveur de ses parents Arcade et Eudoxie, qui\navaient p\u00e9ch\u00e9 contre lui dans leur ignorance.\nCe Th\u00e9odose \u00e9tait un prince si cl\u00e9ment que jamais il ne voulut condamner\n\u00e0 mort aucun de ceux qui lui faisaient du mal. Il disait \u00e0 ce propos:\n\u00abH\u00e9las, que ne m\u2019est-il possible, plut\u00f4t, de rappeler \u00e0 la vie les\nmorts!\u00bb Sa cour ressemblait \u00e0 un monast\u00e8re; et il ne cessait point de\nlire des livres sacr\u00e9s. Il avait une femme, nomm\u00e9e Eudoxie, qui \u00e9crivit\nde nombreux po\u00e8mes. Et il avait aussi une fille, \u00e9galement nomm\u00e9e\nEudoxie, qu\u2019il donna en mariage \u00e0 Valentinien, associ\u00e9 par lui \u00e0\nl\u2019empire.\nJean Chrysostome mourut vers l\u2019an du Seigneur 407. Ajoutons que tout ce\nqu\u2019on vient de lire est directement extrait de l\u2019_Histoire tripartite_.\nXXXV\nLA PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE\n(2 f\u00e9vrier)\nI. La Purification se c\u00e9l\u00e8bre le quaranti\u00e8me jour apr\u00e8s la Nativit\u00e9 du\nSeigneur; et cette f\u00eate porte aussi les noms d\u2019Hypopante et de\nChandeleur. On l\u2019appelle la Purification, parce que, quarante jours\napr\u00e8s la Nativit\u00e9 du Seigneur, la Vierge vint au temple, pour \u00eatre\npurifi\u00e9e suivant la loi. Car la loi juive avait d\u00e9cr\u00e9t\u00e9 que toute femme\nayant enfant\u00e9 un fils restait absolument impure pendant sept jours,\nc\u2019est-\u00e0-dire exclue \u00e0 la fois du contact de l\u2019homme et de l\u2019entr\u00e9e du\ntemple. Apr\u00e8s sept jours, elle devenait pure quant au contact de\nl\u2019homme, mais restait impure pendant trente-trois jours encore quant \u00e0\nl\u2019entr\u00e9e du temple. Enfin, le quaranti\u00e8me jour apr\u00e8s sa d\u00e9livrance, elle\n\u00e9tait admise dans le temple, o\u00f9 elle offrait son enfant avec des\npr\u00e9sents. Que si elle avait mis au monde une fille, la dur\u00e9e de son \u00e9tat\nd\u2019impuret\u00e9 \u00e9tait doubl\u00e9e, tant quant au contact de l\u2019homme que quant \u00e0\nl\u2019entr\u00e9e du temple.\nLa Vierge Marie n\u2019avait pas \u00e0 se soumettre \u00e0 cette loi de purification,\npuisque sa grossesse ne venait point d\u2019une semence humaine, mais de\nl\u2019inspiration divine. Cependant elle voulut se soumettre \u00e0 cette loi,\npour quatre raisons: 1\u00ba pour donner l\u2019exemple de l\u2019humilit\u00e9; 2\u00ba pour\nrendre hommage \u00e0 la Loi, que son divin fils venait accomplir et non\npoint d\u00e9truire; 3\u00ba pour mettre fin \u00e0 la purification juive, et pour\ncommencer la purification chr\u00e9tienne, qui se fait par la foi, purifiant\nles c\u0153urs; 4\u00ba pour nous apprendre \u00e0 nous purifier, durant toute notre\nvie.\nDonc la Vierge vint au temple, y pr\u00e9senta son fils, et le racheta\nmoyennant cinq cicles. Car les premiers n\u00e9s des douze tribus pouvaient\nse racheter, tandis que les premiers n\u00e9s des l\u00e9vites ne le pouvaient\npas, et, parvenus \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte, devaient tous servir dans le Temple.\nEt comme le Christ \u00e9tait de la tribu de Juda, il avait \u00e0 \u00eatre rachet\u00e9.\nLa Vierge offrit pour lui au Seigneur un couple de tourterelles, ce qui\n\u00e9tait l\u2019offrande des pauvres, tandis que l\u2019agneau \u00e9tait l\u2019offrande des\nriches. Et l\u2019on peut se demander, \u00e0 ce propos, si la Vierge Marie, qui\navait re\u00e7u des mages un grand poids d\u2019or, n\u2019avait pas le moyen d\u2019acheter\nun agneau. Mais nous devons admettre, avec saint Bernard, que la Vierge,\nau lieu de garder cet or pour elle-m\u00eame, l\u2019avait aussit\u00f4t distribu\u00e9 aux\npauvres; ou bien, peut-\u00eatre, le r\u00e9servait-elle pour les sept ann\u00e9es de\nsa fuite en Egypte; ou peut-\u00eatre encore les mages n\u2019avaient-ils pas\noffert une grande quantit\u00e9 d\u2019or, mais simplement un peu d\u2019or, \u00e0 titre de\nsymbole mystique?\nEn second lieu, cette f\u00eate s\u2019appelle l\u2019Hypopante, ou Pr\u00e9sentation, parce\nque le Christ fut pr\u00e9sent\u00e9 au Temple, o\u00f9 Sim\u00e9on et Anne le re\u00e7urent. Et\nSim\u00e9on, le prenant dans son sein, le b\u00e9nit en disant: \u00abTu peux\nmaintenant cong\u00e9dier ton serviteur, etc.\u00bb Et Sim\u00e9on, dans son cantique,\nappela J\u00e9sus de trois noms: salut, lumi\u00e8re et gloire du peuple d\u2019Isra\u00ebl.\nEn troisi\u00e8me lieu, cette f\u00eate s\u2019appelle la Chandeleur, parce que les\nfid\u00e8les portent, ce jour-l\u00e0, des cierges allum\u00e9s. Et cette institution\ns\u2019explique par quatre raisons:\n1\u00ba Elle a pour objet de corriger une habitude pa\u00efenne. Car autrefois les\nRomains, pour honorer la d\u00e9esse Februa, m\u00e8re du dieu Mars, avaient\ncoutume, tous les cinq ans, les premiers jours de f\u00e9vrier, d\u2019illuminer\nla ville avec des cierges et des torches, pour obtenir de la d\u00e9esse que\nson fils Mars leur assur\u00e2t la victoire sur leurs ennemis. Et\nl\u2019intervalle de cinq ans compris entre ces f\u00eates s\u2019appelait un lustre.\nLes Romains avaient aussi la coutume de c\u00e9l\u00e9brer, durant le mois de\nf\u00e9vrier, Pluton, et les autres dieux infernaux; et, pour obtenir leur\nfaveur \u00e0 l\u2019\u00e9gard des \u00e2mes des morts, ils leur offraient des victimes\nsolennelles, et passaient toute une nuit \u00e0 chanter leurs louanges, avec\ndes torches et des cierges allum\u00e9s. Les femmes, surtout, c\u00e9l\u00e9braient\ncette f\u00eate, \u00e0 cause de l\u2019une des fables de leur religion. Car les po\u00e8tes\navaient dit que Pluton, frapp\u00e9 de la beaut\u00e9 de Proserpine, l\u2019avait\nenlev\u00e9e et en avait fait sa femme; mais que les parents de la d\u00e9esse, ne\nsachant ce qu\u2019elle \u00e9tait devenue, l\u2019avaient longtemps cherch\u00e9e avec des\ntorches et des cierges allum\u00e9s: en souvenir de quoi les femmes romaines\nfaisaient leur procession, pour se gagner la faveur de Proserpine. Et,\ncomme c\u2019est toujours chose difficile de renoncer \u00e0 une habitude, le pape\nSerge d\u00e9cr\u00e9ta que, pour donner \u00e0 cette habitude-l\u00e0 une port\u00e9e\nchr\u00e9tienne, on honorerait tous les ans la Vierge, dans ce jour, en\nportant \u00e0 la main un cierge b\u00e9nit. De cette fa\u00e7on l\u2019ancienne coutume\nsubsistait, mais relev\u00e9e par une intention nouvelle.\n2\u00ba La Chandeleur a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e pour d\u00e9montrer la puret\u00e9 de la Vierge.\nPour bien affirmer cette puret\u00e9 aux yeux de tous, l\u2019Eglise a ordonn\u00e9 que\nnous portions des cierges allum\u00e9s, comme afin de dire: \u00abVierge\nbienheureuse, tu n\u2019as pas besoin de purification, mais au contraire tu\nes toute lumi\u00e8re, toute puret\u00e9!\u00bb Telle \u00e9tait, en effet, la puret\u00e9 de la\nVierge qu\u2019elle rayonnait m\u00eame au dehors d\u2019elle, \u00e9teignant chez les\nautres tout mouvement de concupiscence charnelle. Aussi les Juifs nous\ndisent-ils que, bien que Marie ait \u00e9t\u00e9 d\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse, aucun\nhomme jamais n\u2019a pu la d\u00e9sirer.\n3\u00ba La procession de la Chandeleur symbolise celle que firent Marie,\nJoseph, Sim\u00e9on et Anne, lorsqu\u2019ils pr\u00e9sent\u00e8rent au temple l\u2019enfant\nJ\u00e9sus.\n4\u00ba Enfin la Chandeleur a pour but notre instruction. Elle nous apprend\nque, si nous voulons \u00eatre purifi\u00e9s devant Dieu, nous devons poss\u00e9der la\nfoi sinc\u00e8re, l\u2019action d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9e, et l\u2019intention droite. Car le\ncierge allum\u00e9 repr\u00e9sente la foi avec les bonnes \u0153uvres. Et la m\u00e8che qui\nest cach\u00e9e dans la cire repr\u00e9sente l\u2019intention droite, dont saint\nGr\u00e9goire nous dit: \u00abQue vos \u0153uvres soient publiques, mais que vos\nintentions demeurent cach\u00e9es!\u00bb\nII. Une femme noble avait pour la sainte Vierge une grande d\u00e9votion.\nElle s\u2019\u00e9tait fait construire une chapelle pr\u00e8s de sa maison; et, tous\nles jours, son chapelain disait devant elle une messe en l\u2019honneur de la\nVierge. Mais un jour, qui \u00e9tait la f\u00eate de la Purification, cette femme\nne put pas assister \u00e0 sa messe, soit que son chapelain se f\u00fbt absent\u00e9,\nou que, suivant d\u2019autres, elle se f\u00fbt d\u00e9faite de tous ses v\u00eatements, par\ng\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, et n\u2019e\u00fbt pas de quoi se v\u00eatir pour la messe. D\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e,\nelle se prosterna devant l\u2019autel de la Vierge, sans doute dans sa\nchambre; et soudain, ravie en extase, elle se vit transport\u00e9e dans une\n\u00e9glise merveilleuse o\u00f9 entraient une foule de vierges, sous la conduite\nd\u2019une d\u2019entre elles, la plus belle de toutes, couronn\u00e9e d\u2019un diad\u00e8me. Et\nlorsque toutes se furent assises, une troupe de jeunes gens vinrent\ns\u2019asseoir pr\u00e8s d\u2019elles. Puis apparut un homme apportant un \u00e9norme\nfaisceau de cierges qu\u2019il distribua aux assistants, en commen\u00e7ant par la\nVierge couronn\u00e9e qui occupait la place d\u2019honneur. Cet homme vint enfin \u00e0\nnotre matrone, et lui remit \u00e9galement un cierge, qu\u2019elle re\u00e7ut avec\njoie. Elle regarda ensuite dans le ch\u0153ur, et vit s\u2019avancer vers l\u2019autel\ndeux porteurs de cierges, puis un sous-diacre, puis un diacre, enfin un\npr\u00eatre rev\u00eatu des ornements sacr\u00e9s, comme pour c\u00e9l\u00e9brer la messe. Et\nelle reconnut que les deux acolytes \u00e9taient saint Vincent et saint\nLaurent, que le diacre et le sous-diacre \u00e9taient deux anges, et que le\npr\u00eatre \u00e9tait le Christ lui-m\u00eame, Et la messe commen\u00e7a, chant\u00e9e \u00e0 haute\nvoix par les officiants, tandis que toute l\u2019assistance, en ch\u0153ur,\nl\u2019accompagnait. Quand vint l\u2019offrande, la reine des vierges, les autres\nvierges et toute l\u2019assistance all\u00e8rent, suivant l\u2019usage, s\u2019agenouiller\ndevant le pr\u00eatre et lui remettre leurs cierges. Seule la matrone restait\ndebout, au fond de l\u2019\u00e9glise. Alors le pr\u00eatre lui envoya la reine des\nvierges, pour lui dire que c\u2019\u00e9tait une inconvenance de le faire attendre\nsi longtemps. Mais la matrone r\u00e9pondit que le pr\u00eatre e\u00fbt \u00e0 continuer sa\nmesse, car elle ne voulait pas rendre son cierge. On lui d\u00e9l\u00e9gua un\nautre messager: elle r\u00e9pondit que, par pi\u00e9t\u00e9, elle garderait toujours le\ncierge qui lui avait \u00e9t\u00e9 remis. Un troisi\u00e8me messager alla vers elle,\navec ordre de lui enlever par force le cierge, si elle se refusait \u00e0\nvenir l\u2019offrir. Et comme elle continuait \u00e0 s\u2019y refuser, une longue lutte\ns\u2019engagea entre le messager et elle, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019enfin le cierge se\nromp\u00eet, de telle fa\u00e7on que la matrone et le messager en gardaient en\nmain chacun une moiti\u00e9. L\u00e0-dessus, la dame se r\u00e9veilla de sa vision, et\nconstata qu\u2019elle tenait en main la moiti\u00e9 d\u2019un cierge. Ce que voyant,\nelle rendit d\u2019immenses gr\u00e2ces \u00e0 Notre Dame, qui lui avait permis\nd\u2019assister \u00e0 la messe ce jour-l\u00e0, et \u00e0 une messe comme celle o\u00f9 elle\navait assist\u00e9. Apr\u00e8s quoi elle garda le cierge comme une relique des\nplus pr\u00e9cieuses; et quiconque le touchait \u00e9tait aussit\u00f4t gu\u00e9ri, de\nquelque maladie qu\u2019il f\u00fbt atteint.\nXXXVI\nSAINT BLAISE, \u00c9V\u00caQUE ET MARTYR\n(3 f\u00e9vrier)\nI. Blaise s\u2019\u00e9tant signal\u00e9 par sa mansu\u00e9tude et sa saintet\u00e9, les\nchr\u00e9tiens de S\u00e9baste en Cappadoce l\u2019\u00e9lurent pour leur \u00e9v\u00eaque; et lorsque\nles pers\u00e9cutions de Diocl\u00e9tien l\u2019eurent forc\u00e9 \u00e0 quitter son \u00e9v\u00each\u00e9, il\nse r\u00e9fugia dans une caverne, et y mena la vie d\u2019un ermite. Les oiseaux\nlui apportaient sa nourriture, et venaient en foule vers lui, et ne\ns\u2019envolaient pas avant qu\u2019il les e\u00fbt b\u00e9nis. Et lorsque l\u2019un d\u2019eux \u00e9tait\nmalade, il venait \u00e0 lui, et recouvrait la sant\u00e9. Or, certain jour,\nl\u2019\u00e9quipage du gouverneur de la province, apr\u00e8s avoir longtemps battu le\npays sans rencontrer aucun gibier, parvint \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 s\u2019\u00e9tait retir\u00e9\nsaint Blaise, et y vit une foule \u00e9norme d\u2019oiseaux et d\u2019autres b\u00eates,\nentourant l\u2019ermite comme pour lui demander de les prot\u00e9ger. Et, en\neffet, les chasseurs ne purent absolument pas mettre la main sur eux.\nEtonn\u00e9s, ils firent part de la chose \u00e0 leur ma\u00eetre, qui ordonna que\nl\u2019ermite f\u00fbt amen\u00e9 devant lui. Cette m\u00eame nuit, saint Blaise vit trois\nfois, en r\u00eave, le Christ, qui lui dit: \u00abL\u00e8ve-toi et offre-moi un\nsacrifice!\u00bb Et voil\u00e0 qu\u2019arriv\u00e8rent les soldats, disant: \u00abViens, le\ngouverneur t\u2019appelle!\u00bb Et saint Blaise leur r\u00e9pondit: \u00abBienvenus\n\u00eates-vous, mes enfants! Je vois que Dieu ne m\u2019a pas oubli\u00e9!\u00bb\nII. Sur tout son chemin il ne cessa point de pr\u00eacher, et fit, en\npr\u00e9sence de ses gardiens, de nombreux miracles. Une femme lui amena son\nfils, dans le gosier duquel s\u2019\u00e9tait fix\u00e9e une ar\u00eate de poisson; elle le\nd\u00e9posa \u00e0 ses pieds et demanda, en pleurant, qu\u2019il f\u00fbt gu\u00e9ri. Et saint\nBlaise, \u00e9tendant les mains sur lui, pria Dieu qu\u2019il f\u00fbt gu\u00e9ri; et\nl\u2019enfant fut gu\u00e9ri aussit\u00f4t. Une autre femme, qui \u00e9tait tr\u00e8s pauvre,\nvint demander \u00e0 saint Blaise de lui faire rendre son unique pourceau,\nqu\u2019un loup lui avait enlev\u00e9. Et le saint lui dit en souriant: \u00abBonne\nfemme, ne te fais pas de chagrin! Ton pourceau te sera rendu!\u00bb Et\naussit\u00f4t on vit accourir le loup, qui rapportait \u00e0 la veuve le pourceau\nqu\u2019il lui avait pris.\nIII. D\u00e8s qu\u2019il fut arriv\u00e9 dans la ville, saint Blaise fut jet\u00e9 en\nprison. Le lendemain, le gouverneur se le fit amener, et, d\u2019abord essaya\nde le s\u00e9duire par de douces paroles, lui disant: \u00abBonjour, Blaise ami\ndes dieux!\u00bb Et Blaise: \u00abBonjour aussi \u00e0 toi, excellent gouverneur! Mais\nne donne pas le nom de dieux \u00e0 des d\u00e9mons, qui r\u00f4tissent au feu \u00e9ternel\navec ceux qui les honorent!\u00bb Le gouverneur, furieux, le fit battre de\nverges et reconduire dans sa prison. Et Blaise lui dit: \u00abInsens\u00e9!\nEsp\u00e8res-tu donc m\u2019enlever, par tes punitions, l\u2019amour d\u2019un Dieu qui est\nen moi et qui me donne la force de supporter toutes les punitions?\u00bb\nApprenant qu\u2019on l\u2019avait mis en prison, la veuve \u00e0 qui il avait fait\nrendre son pourceau tua le pourceau et lui en envoya la t\u00eate et les\npieds, ainsi qu\u2019un pain et une chandelle. Et saint Blaise rassasia sa\nfaim, et fit dire \u00e0 la veuve: \u00abOffre tous les ans une chandelle dans\nl\u2019\u00e9glise qui portera mon nom, et tu t\u2019en trouveras bien, toi, et tous\nceux qui feront comme toi!\u00bb La veuve le fit tous les ans, et v\u00e9cut\ndepuis lors dans la prosp\u00e9rit\u00e9.\nIV. Cependant le gouverneur, voyant qu\u2019il ne pouvait convertir le saint\nau culte des dieux, le fit suspendre \u00e0 un poteau et ordonna qu\u2019on lui\nlabour\u00e2t les chairs avec des pointes de fer. Apr\u00e8s quoi il le fit\nramener dans sa prison.\nOr sept femmes, suivant le saint, recueillaient les gouttes de son sang.\nLe gouverneur les fit saisir et voulut les forcer \u00e0 sacrifier aux dieux.\nMais elles dirent: \u00abSi tu veux que nous adorions tes dieux, fais-les\nconduire au bord de l\u2019\u00e9tang, afin que, lorsqu\u2019on les aura lav\u00e9s, nous\npuissions les adorer!\u00bb Le gouverneur y consentit volontiers. Et les sept\nfemmes, empoignant les idoles, les lanc\u00e8rent au milieu de l\u2019\u00e9tang,\ndisant: \u00abSi ce sont des dieux, nous le verrons bien!\u00bb Et comme le\ngouverneur, exasp\u00e9r\u00e9, invectivait ses officiers, qui avaient permis un\ntel sacril\u00e8ge, les sept femmes lui dirent: \u00abSi ces idoles avaient \u00e9t\u00e9\ndes dieux, elles auraient bien pr\u00e9vu ce que nous avions l\u2019intention de\nleur faire!\u00bb Le pr\u00e9fet fit pr\u00e9parer, d\u2019une part, du plomb fondu, des\npeignes de fer et sept casques de fer rougi, et, d\u2019autre part, sept\ntuniques de lin. Et il dit aux femmes de choisir entre ces tuniques et\nles pires supplices. Alors l\u2019une des femmes, qui \u00e9tait m\u00e8re de deux\npetits enfants, saisit les tuniques de lin et les jeta au feu. Et ses\nenfants lui dirent: \u00abM\u00e8re ch\u00e9rie, ne nous laisse pas derri\u00e8re toi, mais,\nde m\u00eame que tu nous as remplis de la douceur de ton lait, remplis-nous\nde la douceur du royaume des cieux!\u00bb Alors le gouverneur les fit\nattacher \u00e0 des poteaux, et fit labourer leurs corps de pointes de fer.\nMais leur chair restait blanche comme la neige, et, au lieu de sang, du\nlait en jaillissait. Et, pendant qu\u2019on les torturait, un ange leur\napparut et les consola en leur disant: \u00abSoyez sans crainte, car le bon\nouvrier qui a bien commenc\u00e9 sa t\u00e2che et qui l\u2019a bien finie se trouve\nr\u00e9compens\u00e9 en cons\u00e9quence! \u00abAlors le gouverneur les fit plonger dans un\nfour ardent; mais le feu s\u2019\u00e9teignit aussit\u00f4t, et elles en sortirent\nintactes. Et le gouverneur leur dit: \u00abCessez maintenant vos sortil\u00e8ges\nmagiques, et adorez nos dieux!\u00bb Mais elles lui r\u00e9pondirent: \u00abAch\u00e8ve ce\nque tu as commenc\u00e9, car d\u00e9j\u00e0 on nous attend dans le royaume des cieux!\u00bb\nLe gouverneur ordonna alors qu\u2019on leur coup\u00e2t la t\u00eate. Et au moment o\u00f9\nle bourreau s\u2019approchait d\u2019elles, elles tomb\u00e8rent \u00e0 genoux et pri\u00e8rent\nen ces termes: \u00abDieu, qui nous a arrach\u00e9es aux t\u00e9n\u00e8bres et nous a\nconduites vers la douce lumi\u00e8re, re\u00e7ois nos \u00e2mes dans la vie \u00e9ternelle!\u00bb\nApr\u00e8s quoi elles eurent la t\u00eate tranch\u00e9e et s\u2019envol\u00e8rent au ciel.\nV. Le gouverneur fit ensuite venir saint Blaise et lui dit: \u00abUne\nderni\u00e8re fois, veux-tu, oui ou non, adorer les dieux?\u00bb Et Blaise:\n\u00abImpie, je ne crains pas tes menaces. Je te livre mon corps, fais-en ce\nque tu voudras!\u00bb Le gouverneur donna ordre de le jeter dans l\u2019\u00e9tang.\nMais saint Blaise fit le signe de la croix sur l\u2019eau de l\u2019\u00e9tang, et\naussit\u00f4t celle-ci se figea comme une terre s\u00e8che. Et le saint dit: \u00abSi\nvos dieux sont de vrais dieux, montrez leur pouvoir en entrant dans\ncette eau!\u00bb Et soixante-cinq hommes entr\u00e8rent dans l\u2019eau et furent\nnoy\u00e9s. Et un ange descendit vers saint Blaise et lui dit: \u00abBlaise, sors\nde l\u2019\u00e9tang et va recevoir la couronne que Dieu t\u2019a pr\u00e9par\u00e9e!\u00bb Et, quand\nil fut sorti de l\u2019\u00e9tang, le gouverneur lui dit: \u00abRefuses-tu toujours\nd\u2019adorer les dieux?\u00bb Et Blaise: \u00abApprends, malheureux, que je suis\nserviteur du Christ, et ne saurais adorer les d\u00e9mons!\u00bb Le gouverneur le\ncondamna \u00e0 \u00eatre d\u00e9capit\u00e9. Et le saint, avant de tendre le cou au\nbourreau, pria Dieu que tous ceux qui, souffrant d\u2019une maladie de la\ngorge, imploreraient son aide, fussent exauc\u00e9s et gu\u00e9ris. Et voici\nqu\u2019une voix, du haut du ciel, lui dit que ce qu\u2019il demandait lui \u00e9tait\naccord\u00e9. Apr\u00e8s quoi, le saint fut d\u00e9capit\u00e9, en compagnie des deux petits\nenfants. Ce martyre eut lieu vers l\u2019an du Seigneur 283.\nXXXVII\nSAINT IGNACE, \u00c9V\u00caQUE ET MARTYR\n(4 f\u00e9vrier)\nSaint Ignace \u00e9tait disciple de saint Jean, et \u00e9v\u00eaque d\u2019Antioche. Il\n\u00e9crivit \u00e0 la Vierge Marie une lettre ainsi con\u00e7ue: \u00abA Marie, qui a port\u00e9\nle Christ, son humble serviteur Ignace. En ma qualit\u00e9 de n\u00e9ophyte et de\ndisciple de Jean, \u00e0 qui ton Fils t\u2019a confi\u00e9e en mourant, je viens te\ndemander r\u00e9confort et consolation. Car j\u2019ai entendu raconter les choses\nles plus extraordinaires au sujet de ton fils J\u00e9sus, et j\u2019h\u00e9site \u00e0 les\ncroire. Et je te demande, \u00e0 toi qui l\u2019as toujours connu de pr\u00e8s et qui\nas su ses secrets, de me confirmer la v\u00e9rit\u00e9 de ce que j\u2019ai entendu.\nAdieu! Les n\u00e9ophytes qui sont ici avec moi attendent aussi de toi leur\nr\u00e9confort.\u00bb Et la bienheureuse Vierge Marie, m\u00e8re de Dieu, lui r\u00e9pondit\nen ces termes: \u00abA Ignace, disciple aim\u00e9, l\u2019humble servante de\nJ\u00e9sus-Christ. Ce que Jean t\u2019a racont\u00e9 et appris de J\u00e9sus, tout cela est\nvrai. Crois-y fermement, et garde ton v\u0153u de chr\u00e9tient\u00e9, et conforme \u00e0\nce v\u0153u tes actes et tes sentiments! J\u2019irai d\u2019ailleurs te voir ainsi que\nJean et tous ceux qui sont avec toi. Pers\u00e9v\u00e8re courageusement dans ta\nfoi; et que la pers\u00e9cution ne te trouble pas, mais que ton esprit\nfleurisse et exulte dans le Dieu sauveur! Amen.\u00bb\nII. Saint Ignace s\u2019acquit une telle autorit\u00e9 que m\u00eame l\u2019admirable et\nparfait docteur saint Denis, disciple de l\u2019ap\u00f4tre Paul, ne d\u00e9daigna pas\nd\u2019invoquer son t\u00e9moignage pour la confirmation de ses paroles. Il nous\ndit, en effet lui-m\u00eame, dans son livre sur les noms de Dieu, que\nquelques-uns ont object\u00e9 que le mot d\u2019_amour_ n\u2019\u00e9tait pas de mise pour\nd\u00e9finir le sentiment du chr\u00e9tien \u00e0 l\u2019\u00e9gard de Dieu; mais, pour r\u00e9futer\ncette objection, il ajoute, \u00abSaint Ignace n\u2019a-t-il pas \u00e9crit que son\n_amour_ \u00e9tait crucifi\u00e9?\u00bb\nIII. On lit, dans l\u2019_Histoire tripartite_, que saint Ignace entendit un\njour des anges qui, debout sur une montagne, chantaient des antiennes.\nC\u2019est alors qu\u2019il r\u00e9solut de faire chanter des antiennes \u00e0 l\u2019\u00e9glise, et\nde faire entonner les psaumes d\u2019apr\u00e8s les antiennes.\nIV. Et, apr\u00e8s avoir longtemps pri\u00e9 pour la paix des \u00e9glises, redoutant\nles dangers non pour soi-m\u00eame, mais pour les faibles, il se pr\u00e9senta\ndevant l\u2019empereur Trajan, fier de ses victoires, et qui mena\u00e7ait de mort\ntous les chr\u00e9tiens. Et saint Ignace d\u00e9clara \u00e0 Trajan qu\u2019il \u00e9tait\nchr\u00e9tien; sur quoi l\u2019empereur le fit lier de cha\u00eenes, le confia \u00e0 la\ngarde de dix soldats, et l\u2019envoya \u00e0 Rome, en lui signifiant que, l\u00e0, il\nserait livr\u00e9 en p\u00e2ture aux b\u00eates. Et, pendant qu\u2019on le conduisait \u00e0\nRome, il \u00e9crivait des lettres \u00e0 toutes les \u00e9glises, pour les fortifier\ndans la foi du Christ. Dans une de ces lettres, adress\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9glise de\nRome, il priait cette \u00e9glise de ne rien faire pour s\u2019opposer \u00e0 son\nmartyre. Et il ajoutait: \u00abDepuis la Syrie jusqu\u2019\u00e0 Rome, je lutte d\u00e9j\u00e0\ncontre des b\u00eates f\u00e9roces: car je suis gard\u00e9 par dix soldats plus cruels\nque des l\u00e9opards; mais leur cruaut\u00e9 est pour moi pleine d\u2019instruction.\nEt quant aux b\u00eates bienfaisantes que l\u2019on pr\u00e9pare pour moi \u00e0 Rome, j\u2019ai\nh\u00e2te qu\u2019on les l\u00e2che sur moi, j\u2019ai h\u00e2te de leur offrir ma chair en\np\u00e2ture! Je les inviterai \u00e0 me d\u00e9vorer. Je les supplierai de ne pas\ncraindre de toucher mon corps, comme elles ont fait parfois pour\nd\u2019autres martyrs. Mes chers fr\u00e8res, pardonnez-moi, mais je sais mieux\nque personne ce qui me convient. Le feu, la croix, les b\u00eates, la rupture\ndes os, le morcellement de tous les membres, et tous les supplices que\nle diable pourra inventer, c\u2019est tout cela qui me convient, car tout\ncela me rendra digne d\u2019\u00eatre admis en pr\u00e9sence de J\u00e9sus!\u00bb\nA Rome, Trajan le fit venir, et lui dit: \u00abIgnace, pourquoi excites-tu \u00e0\nla r\u00e9volte mes sujets d\u2019Antioche et les convertis-tu \u00e0 la foi\nchr\u00e9tienne?\u00bb Et Ignace: \u00abPl\u00fbt \u00e0 Dieu que je pusse t\u2019y convertir, toi\naussi; car tu obtiendrais \u00e0 ce prix le seul pouvoir r\u00e9el et durable!\u00bb Et\nTrajan: \u00abSacrifie aux dieux, et je te nommerai le premier de mes\npr\u00eatres!\u00bb Et Ignace: \u00abJe ne sacrifierai pas \u00e0 tes dieux, et je n\u2019ai que\nfaire du titre que tu m\u2019offres. Fais de moi ce que tu voudras, rien ne\nparviendra \u00e0 me changer!\u00bb Alors Trajan dit aux bourreaux: \u00abFrappez-lui\nles \u00e9paules d\u2019un fouet muni de plomb, d\u00e9chirez-lui les c\u00f4tes de pointes\nde fer, et frottez ses plaies de pierres aigu\u00ebs!\u00bb Et comme, sous tous\nces tourments, Ignace restait inflexible, Trajan dit: \u00abQu\u2019on apporte des\ncharbons ardents et qu\u2019on le fasse marcher sur eux, pieds nus.\u00bb Et\nIgnace: \u00abNi le feu ni l\u2019eau bouillante ne pourront \u00e9teindre en moi\nl\u2019amour de J\u00e9sus-Christ!\u00bb Et Trajan: \u00abC\u2019est la sorcellerie qui te permet\nde r\u00e9sister aux supplices que je t\u2019impose!\u00bb Mais Ignace: \u00abNon, les\nchr\u00e9tiens ne sont point des sorciers, et notre loi n\u2019a rien de commun\navec la sorcellerie; et c\u2019est vous qui pratiquez le mal\u00e9fice, en adorant\nles idoles!\u00bb Alors Trajan dit: \u00abD\u00e9chirez-lui le dos avec des ongles de\nfer, et envenimez les plaies en y jetant du sel! Mais Ignace se borna \u00e0\ndire: \u00abQue sont les souffrances de ce monde en comparaison de la gloire\nfuture?\u00bb Alors Trajan lui fit remettre des cha\u00eenes, le fit enfermer au\nfond d\u2019un cachot, d\u00e9fendit qu\u2019on lui donn\u00e2t \u00e0 manger ni \u00e0 boire, et\nd\u00e9clara que, trois jours apr\u00e8s, on le livrerait aux b\u00eates dans le\ncirque.\nDonc, trois jours apr\u00e8s, l\u2019empereur, le s\u00e9nat, et tout le peuple se\nrendirent au cirque pour voir le combat de l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Antioche et des\nb\u00eates f\u00e9roces. Et Trajan dit: \u00abPuisque cet Ignace montre tant d\u2019orgueil\net d\u2019obstination, qu\u2019on lui lie les membres et qu\u2019on l\u00e2che sur lui deux\nlions, afin que rien ne reste de son mis\u00e9rable corps!\u00bb Et Ignace, se\ntournant vers la foule, lui dit: \u00abRomains qui assistez \u00e0 ce combat,\nsachez que ma peine n\u2019est point sans r\u00e9compense, car ce n\u2019est point pour\nma d\u00e9pravation, mais pour ma pi\u00e9t\u00e9 que je souffre ici!\u00bb Et il dit\nencore, d\u2019apr\u00e8s ce que rapporte l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_: \u00abJe suis le\nfroment du Christ, et les dents des b\u00eates vont me broyer afin de me\nchanger en un pain savoureux!\u00bb Ce qu\u2019entendant, l\u2019empereur dit: \u00abGrande\nest la patience de ces chr\u00e9tiens! O\u00f9 est le Grec qui souffrirait tout\ncela pour son Dieu!\u00bb Et Ignace lui r\u00e9pondit: \u00abCe n\u2019est point ma propre\nvertu qui me donne la force de souffrir, mais l\u2019aide du Christ!\u00bb Apr\u00e8s\nquoi il se mit \u00e0 provoquer les lions pour le contraindre \u00e0 le d\u00e9vorer.\nEt les deux terribles lions s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent enfin sur lui et\nl\u2019\u00e9trangl\u00e8rent; mais rien ne put les forcer \u00e0 manger sa chair. Et\nTrajan, \u00e0 ce spectacle, fut rempli d\u2019\u00e9tonnement. Il quitta le cirque,\napr\u00e8s avoir ordonn\u00e9 qu\u2019on ne s\u2019oppos\u00e2t pas \u00e0 ceux qui voudraient enlever\nle corps d\u2019Ignace. Et les chr\u00e9tiens enlev\u00e8rent ce corps, et\nl\u2019ensevelirent avec honneur. Et, quelque temps apr\u00e8s, Trajan re\u00e7ut une\nlettre de Pline le Jeune, o\u00f9 celui-ci interc\u00e9dait en faveur des\nchr\u00e9tiens, louant fort leurs vertus. Alors l\u2019empereur eut regret des\nmaux qu\u2019il avait inflig\u00e9s \u00e0 Ignace; et il d\u00e9cida que, d\u00e9sormais, les\nchr\u00e9tiens ne seraient plus recherch\u00e9s, mais qu\u2019on punirait seulement\nceux qui feraient profession publique de leur foi.\nV. Et l\u2019on raconte encore que saint Ignace, parmi tous les tourments\nqu\u2019il eut \u00e0 subir, ne cessa point d\u2019invoquer le nom de J\u00e9sus-Christ. Et\ncomme ses bourreaux lui demandaient pourquoi il r\u00e9p\u00e9tait si souvent ce\nnom, il r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est que je porte ce nom inscrit dans mon c\u0153ur!\u00bb Et\nen effet, apr\u00e8s sa mort, on ouvrit son c\u0153ur, et on y trouva le nom de\nJ\u00e9sus-Christ \u00e9crit en lettres d\u2019or. Et, \u00e0 la vue de ce miracle, de\nnombreux pa\u00efens se convertirent.\nSaint Bernard dit de ce saint, \u00e0 propos du psaume _Qui habitat_: \u00abLe\ngrand saint Ignace, \u00e9l\u00e8ve du disciple pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 de J\u00e9sus, et martyr\nlui-m\u00eame, saluait Marie, dans les lettres qu\u2019il lui \u00e9crivait, du nom de\nPorte-Christ, Titre en v\u00e9rit\u00e9 admirable, et comm\u00e9moration d\u2019un honneur\ninfini!\u00bb\nXXXVIII\nSAINTE AGATHE, VIERGE ET MARTYRE\n(5 f\u00e9vrier)\nI. Agathe, vierge, de famille noble et d\u2019une grande beaut\u00e9, habitait\nCatane, o\u00f9, d\u00e8s l\u2019enfance, elle cultivait saintement le Seigneur. Or, le\nconsul de Sicile, Quintien, homme d\u2019extraction basse, d\u00e9bauch\u00e9, avare et\nidol\u00e2tre, convoitait de la prendre pour femme. Etant d\u2019extraction basse,\nil pensait qu\u2019un mariage avec une jeune fille noble le ferait respecter;\n\u00e9tant d\u00e9bauch\u00e9, il d\u00e9sirait jouir de la beaut\u00e9 d\u2019Agathe; \u00e9tant avare, il\nguettait ses richesses; \u00e9tant idol\u00e2tre, il r\u00eavait de l\u2019amener \u00e0\nsacrifier aux dieux. Mais comme la jeune fille, sollicit\u00e9e par lui,\nrestait in\u00e9branlable dans sa foi et sa chastet\u00e9, il la livra \u00e0 une\nentremetteuse nomm\u00e9e Aphrodise et \u00e0 ses neuf filles, qui vivaient de\nleur corps; et il ordonna \u00e0 ces cr\u00e9atures d\u2019insister pendant trente\njours aupr\u00e8s d\u2019Agathe pour la faire changer d\u2019avis. Et ces femmes\ns\u2019ing\u00e9niaient \u00e0 la d\u00e9tourner de la bonne voie, tant\u00f4t par la promesse de\ngrands plaisirs, tant\u00f4t par la menace de cruels supplices. Mais sainte\nAgathe leur disait: \u00abMon \u00e2me s\u2019appuie sur la pierre et a ses fondements\ndans le Christ; et vos paroles ne sont que du vent, vos promesses des\npluies, et les supplices dont vous voulez m\u2019effrayer ne sont que des\nflots battant le rivage. En vain tout cela fait assaut contre ma maison;\ncelle-ci est solide et ne tombera pas!\u00bb Mais tout en parlant ainsi elle\npleurait jour et nuit, et priait, et implorait du ciel la palme du\nmartyre. Et Aphrodise, la voyant rester in\u00e9branlable, dit au consul: \u00abCe\nserait chose plus facile d\u2019amollir une pierre ou de changer du fer en\nplomb que d\u2019\u00e9carter de sa direction chr\u00e9tienne l\u2019\u00e2me de cette jeune\nfille!\u00bb\nII. Alors Quintien se fit amener Agathe et lui dit: \u00abDe quelle condition\nes-tu?\u00bb Et elle: \u00abNon seulement je suis noble, mais aussi d\u2019une famille\nillustre, comme peut l\u2019attester toute ma maison!\u00bb Et Quintien: \u00abSi tu es\nnoble, pourquoi as-tu des m\u0153urs d\u2019esclave?\u00bb Et elle: \u00abParce que je suis\nl\u2019esclave du Christ!\u00bb Et Quintien: \u00abSi tu te dis noble, comment peux-tu,\nen m\u00eame temps, te dire esclave?\u00bb Et elle: \u00abL\u2019esclavage du Christ est la\nnoblesse supr\u00eame.\u00bb Alors le consul lui dit de sacrifier aux dieux, ou,\nsi elle s\u2019y refusait, de s\u2019appr\u00eater \u00e0 tous les supplices. Et Agathe lui\ndit: \u00abQue ta femme soit comme ta d\u00e9esse, V\u00e9nus, et que tu sois,\ntoi-m\u00eame, comme a \u00e9t\u00e9 ton dieu Jupiter!\u00bb Alors Quintien la fit\nsouffleter, disant: \u00abNe t\u2019avise pas d\u2019injurier ton juge!\u00bb Mais Agathe\nlui r\u00e9pondit: \u00abJe m\u2019\u00e9tonne que, raisonnable comme tu es, tu aies la\nsottise d\u2019appeler dieux des \u00eatres \u00e0 qui tu ne veux point que ta femme et\ntoi vous ressembliez. Tu dis, en effet, que je t\u2019ai injuri\u00e9 en te\nsouhaitant d\u2019\u00eatre comme Jupiter. Or, si tes dieux sont bons, je ne t\u2019ai\nrien souhait\u00e9 que de bon; et si, au contraire, tu d\u00e9testes leur coupable\namour, tu n\u2019as plus qu\u2019\u00e0 devenir chr\u00e9tien comme je suis chr\u00e9tienne.\u00bb Et\nle consul: \u00abAssez parl\u00e9! Sacrifie aux dieux, ou je te ferai mourir dans\nles pires supplices!\u00bb Et, comme elle bravait ses menaces et\nl\u2019invectivait devant tous, il la fit conduire en prison. Elle y alla\njoyeuse et triomphante, comme \u00e0 un festin.\nIII. Le lendemain, le consul lui dit: \u00abRenie le Christ et adore les\ndieux!\u00bb Puis, sur son refus, il la fit attacher \u00e0 un chevalet pour \u00eatre\ntortur\u00e9e. Et Agathe dit: \u00abJ\u2019\u00e9prouve, parmi ces souffrances, la joie\nqu\u2019\u00e9prouve un homme qui apprend une bonne nouvelle, ou qui voit ce qu\u2019il\na longtemps d\u00e9sir\u00e9 voir, ou qui re\u00e7oit un immense tr\u00e9sor!\u00bb Le consul,\nfurieux, lui fit tordre les seins, et ordonna ensuite de les lui\narracher. Et Agathe: \u00abTyran cruel et impie, n\u2019as-tu pas honte de couper,\nchez une femme, ce que tu as toi-m\u00eame suc\u00e9 chez ta m\u00e8re? Mais sache que\nj\u2019ai d\u2019autres mamelles, dans mon \u00e2me, dont le lait me nourrit, et sur\nlesquelles tu es sans pouvoir!\u00bb Alors le consul la fit remettre en\nprison, d\u00e9fendant qu\u2019aucun m\u00e9decin v\u00eent la visiter, ni qu\u2019on lui donn\u00e2t\nrien \u00e0 manger ni \u00e0 boire. Or, voici qu\u2019\u00e0 minuit un vieillard entra dans\nsa prison, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 d\u2019un enfant qui portait une torche. Et ce vieillard\nlui dit: \u00abCe consul insens\u00e9 qui t\u2019a fait souffrir, tu l\u2019as fait souffrir\ndavantage encore par tes r\u00e9ponses. Et moi, qui ai assist\u00e9 \u00e0 ton\nsupplice, j\u2019ai vu que les plaies de tes seins pouvaient \u00eatre gu\u00e9ries.\u00bb\nEt Agathe: \u00abJamais je n\u2019ai us\u00e9 pour mon corps de rem\u00e8des mat\u00e9riels: ce\nserait une honte que je perdisse aujourd\u2019hui ce que j\u2019ai su garder\njusqu\u2019ici!\u00bb Et le vieillard lui dit: \u00abMa fille, que ta pudeur ne\ns\u2019alarme pas de moi, car je suis chr\u00e9tien!\u00bb Et Agathe: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9, ma\npudeur ne saurait s\u2019alarmer, car, d\u2019abord, tu es un vieillard, et puis,\nmon corps se trouve si affreusement d\u00e9chir\u00e9 qu\u2019il ne peut inspirer de\nconvoitise \u00e0 personne. Mais je te remercie, respectable p\u00e8re, d\u2019avoir\ndaign\u00e9 t\u2019int\u00e9resser \u00e0 moi!\u00bb Et le vieillard: \u00abMais alors, pourquoi ne\nveux-tu pas me permettre de te gu\u00e9rir?\u00bb Agathe r\u00e9pondit: \u00abParce que j\u2019ai\npour ma\u00eetre J\u00e9sus-Christ, qui, s\u2019il le juge bon, peut, avec un seul mot,\nme gu\u00e9rir de suite!\u00bb Alors le vieillard sourit, et lui dit: \u00abEh bien, ma\nfille, je suis l\u2019ap\u00f4tre de J\u00e9sus, et c\u2019est lui qui m\u2019a envoy\u00e9 vers toi\npour t\u2019annoncer en son nom que tu \u00e9tais gu\u00e9rie!\u00bb Sur quoi ce vieillard,\nqui \u00e9tait saint Pierre, disparut, r\u00e9pandant sur son passage une lumi\u00e8re\nsi prodigieuse que tous les gardes de la prison s\u2019enfuirent, \u00e9pouvant\u00e9s.\nEt sainte Agathe se trouva enti\u00e8rement gu\u00e9rie, avec ses deux seins\nrestaur\u00e9s par miracle. Et, comme les portes de la prison \u00e9taient\nouvertes, d\u2019autres prisonniers l\u2019engag\u00e8rent \u00e0 s\u2019enfuir avec eux. Mais\nelle r\u00e9pondit: \u00abA Dieu ne plaise que je perde, en m\u2019enfuyant, la\ncouronne qui m\u2019est r\u00e9serv\u00e9e, et que j\u2019expose aussi les gardes \u00e0 souffrir\nde mon fait!\u00bb\nIV. Quatre jours apr\u00e8s, le consul la fit compara\u00eetre devant lui, et, de\nnouveau, lui ordonna d\u2019adorer les dieux. Et Agathe: \u00abTes paroles ne sont\nque du vent; comment veux-tu, insens\u00e9, que j\u2019adore les pierres, et que\nje renie le Dieu du ciel qui m\u2019a gu\u00e9rie?\u00bb Et le consul: \u00abQui t\u2019a\ngu\u00e9rie?\u00bb Et Agathe: \u00abLe Christ, fils de Dieu!\u00bb Et Quintien: \u00abOses-tu\nciter de nouveau ce nom que je ne veux pas entendre?\u00bb Et Agathe: \u00abTant\nque je vivrai, mon c\u0153ur et mes l\u00e8vres invoqueront le Christ!\u00bb Et\nQuintien: \u00abNous allons bien voir si ton Christ te gu\u00e9rit une seconde\nfois!\u00bb Il ordonna alors de r\u00e9pandre des tessons bris\u00e9s, d\u2019y m\u00ealer des\ncharbons ardents, et de tra\u00eener la jeune fille, toute nue, sur ce lit\nmortel. Mais pendant qu\u2019on proc\u00e9dait au supplice, un grand tremblement\nde terre survint, qui \u00e9branla toute la ville, renversa le palais, et\n\u00e9crasa deux conseillers de Quintien. Et tout le peuple accourut vers le\nconsul, lui reprochant d\u2019avoir caus\u00e9 cette catastrophe par l\u2019injuste\npunition inflig\u00e9e \u00e0 Agathe. Alors Quintien, qui redoutait \u00e0 la fois le\ntremblement de terre et la s\u00e9dition du peuple, fit ramener Agathe dans\nsa prison, o\u00f9 elle se mit en pri\u00e8re et dit: \u00abSeigneur J\u00e9sus, toi qui\nm\u2019as cr\u00e9\u00e9e et gard\u00e9e depuis l\u2019enfance, toi qui as pr\u00e9serv\u00e9 mon corps de\nsouillure et mon esprit de l\u2019amour du si\u00e8cle, toi qui m\u2019as permis de\nvaincre les souffrances, re\u00e7ois maintenant mon \u00e2me dans ta mis\u00e9ricorde!\u00bb\nEt, apr\u00e8s avoir ainsi pri\u00e9 \u00e0 tr\u00e8s haute voix, elle expira. Cela se\npassait vers l\u2019an du Seigneur 253, sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur D\u00e9cius.\nV. Les fid\u00e8les oignirent son corps d\u2019aromates et le plac\u00e8rent dans un\nsarcophage. Et voici qu\u2019un jeune homme rev\u00eatu d\u2019une tunique de soie, et\naccompagn\u00e9 de cent autres beaux jeunes gens en tuniques blanches,\ns\u2019approcha du tombeau, y d\u00e9posa une tablette de marbre, et disparut\naussit\u00f4t avec ses compagnons. Et, sur la tablette \u00e9tait \u00e9crit ceci: \u00abAme\nsainte, spontan\u00e9e, honneur \u00e0 Dieu et d\u00e9livrance de la patrie.\u00bb Ce qui\nsignifie qu\u2019Agathe eut une \u00e2me sainte, s\u2019offrit spontan\u00e9ment au martyre,\nfit honneur \u00e0 Dieu, et sauva sa patrie. Et le don miraculeux de cette\ntablette de marbre eut pour r\u00e9sultat que m\u00eame les pa\u00efens et les Juifs\ncommenc\u00e8rent \u00e0 v\u00e9n\u00e9rer le tombeau de la sainte. Quant \u00e0 Quintien, il se\nrendait \u00e0 la maison de sainte Agathe, dans l\u2019espoir d\u2019y d\u00e9couvrir des\ntr\u00e9sors cach\u00e9s, lorsque les deux chevaux de son char se mirent \u00e0 fr\u00e9mir\ndes dents et \u00e0 ruer; et l\u2019un d\u2019eux le mordit, l\u2019autre, d\u2019un coup de\nsabot, le lan\u00e7a dans le fleuve, o\u00f9 jamais son corps ne put \u00eatre\nretrouv\u00e9.\nVI. Un an environ apr\u00e8s la mort de sainte Agathe, une montagne voisine\nde Catane se rompit et un torrent de feu en jaillit, qui, sautant de\nrocher en rocher et br\u00fblant tout sur son passage, mena\u00e7ait de s\u2019abattre\nbient\u00f4t sur la ville. Alors la foule des pa\u00efens courut au tombeau de la\nsainte, arracha le voile qui le couvrait et l\u2019\u00e9tendit au pied de la\nmontagne; et ce voile arr\u00eata la descente du feu, et sauva la ville. Ce\nmiracle eut lieu le jour m\u00eame de l\u2019anniversaire de la naissance de\nsainte Agathe.\nXXXIX\nSAINT VAST, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(6 f\u00e9vrier)\nVast fut ordonn\u00e9 par saint R\u00e9my \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9 d\u2019Arras. En arrivant \u00e0 la\nporte de cette ville, il rencontra deux mendiants, un boiteux et un\naveugle, qui lui demand\u00e8rent l\u2019aum\u00f4ne. Et il leur dit: \u00abJe n\u2019ai ni or ni\nargent, mais ce que j\u2019ai, je vous le donne!\u00bb Et il pria pour eux, et\ntous deux furent gu\u00e9ris.--Un loup s\u2019\u00e9tait install\u00e9 dans une \u00e9glise\nabandonn\u00e9e: saint Vast lui ordonna de sortir de l\u2019\u00e9glise et de n\u2019y plus\njamais revenir, et le loup ob\u00e9it.\nLa quaranti\u00e8me ann\u00e9e de son \u00e9piscopat, apr\u00e8s avoir converti une foule de\npa\u00efens par sa parole et son exemple, saint Vast vit une colonne de feu\nqui descendait du ciel jusque sur sa maison. Il comprit que sa fin\napprochait; et, en effet, peu de temps apr\u00e8s il s\u2019endormit dans le\nSeigneur, vers l\u2019an 550. Et comme on l\u2019enterrait, le vieux saint Omer,\nqui, \u00e9tant aveugle, se d\u00e9solait de ne pouvoir pas voir le corps du saint\n\u00e9v\u00eaque, recouvra la vue; puis, quand il eut vu le corps du saint, il\ndemanda et obtint de redevenir aveugle.\nXL\nSAINT AMAND, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(6 f\u00e9vrier)\nN\u00e9 de parents nobles, Amand se fit moine d\u00e8s sa jeunesse. Se promenant\ndans son monast\u00e8re, il vit un serpent: il pria Dieu, fit le signe de la\ncroix, et obtint que la b\u00eate rentr\u00e2t dans son nid pour n\u2019en plus jamais\nsortir. Il se rendit, plus tard, au tombeau de saint Martin et y resta\nquinze ans, couvert d\u2019un cilice, et sans autre aliment que de l\u2019eau et\ndu pain d\u2019orge.\nS\u2019\u00e9tant rendu \u00e0 Rome, il voulut prier toute la nuit dans l\u2019\u00e9glise de\nsaint Pierre; mais le gardien de l\u2019\u00e9glise le chassa brutalement. Alors\nle saint s\u2019endormit devant la porte, et saint Pierre lui apparut, qui\nlui ordonna de se rendre en Gaule pour y faire honte de ses crimes au\nroi Dagobert. Mais ce roi, irrit\u00e9, lui enjoignit tout de suite de sortir\nde son royaume.\nCependant Dagobert, qui se d\u00e9solait de n\u2019avoir pas de fils, finit par en\nobtenir un, \u00e0 force de pri\u00e8res; et l\u2019id\u00e9e lui vint de faire baptiser son\nfils par saint Amand. Il fit donc rechercher celui-ci, se prosterna \u00e0\nses pieds, le supplia de lui pardonner et de baptiser le fils que le\nSeigneur lui avait accord\u00e9. Le saint consentit volontiers \u00e0 la premi\u00e8re\nde ces demandes, mais se refusa \u00e0 la seconde, ne voulant se m\u00ealer en\nrien aux choses s\u00e9culi\u00e8res. Il c\u00e9da pourtant aux instances du roi; et,\nau moment o\u00f9 il baptisait l\u2019enfant, celui-ci lui r\u00e9pondit \u00e0 haute voix:\n_Amen_. Le roi le promut alors \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9 de Maestricht. Mais comme\nsaint Amand voyait qu\u2019on y faisait peu de cas de sa pr\u00e9dication, il se\nrendit en Gascogne. L\u00e0, un jongleur qui se moquait de ses paroles fut\nenvahi du d\u00e9mon et se d\u00e9chira de ses propres dents, avouant qu\u2019il avait\nfait injure \u00e0 un homme de Dieu.\nCertain \u00e9v\u00eaque fit garder l\u2019eau dans laquelle saint Amand s\u2019\u00e9tait lav\u00e9\nles mains; et cette eau rendit, plus tard, la vue \u00e0 un aveugle. Une\nautre fois, le saint, avec l\u2019approbation du roi, voulut faire construire\nun monast\u00e8re en un certain lieu; et l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019une ville voisine, \u00e0 qui\nce projet d\u00e9plaisait, envoya ses serviteurs pour chasser le saint, ou\nm\u00eame pour le tuer. Et les serviteurs, abordant le saint, lui dirent par\nruse qu\u2019ils le conduiraient dans un autre lieu plus convenable encore\npour la construction. Et le saint devina leur malice; mais, ayant soif\ndu martyre, il les suivit jusqu\u2019au haut d\u2019une montagne o\u00f9 ils se\nproposaient de le tuer. Or, voici qu\u2019une pluie et un brouillard si \u00e9pais\ncouvrirent la montagne que les serviteurs de l\u2019\u00e9v\u00eaque ne se voyaient pas\nles uns les autres. Ils crurent qu\u2019ils allaient mourir et, prostern\u00e9s\naux pieds du saint, ils le suppli\u00e8rent d\u2019obtenir de Dieu de s\u2019en aller\nvivants. Et, sur la pri\u00e8re du saint, le beau temps reparut, et les\nserviteurs de l\u2019\u00e9v\u00eaque s\u2019en retourn\u00e8rent chez eux; et saint Amand fit\nencore beaucoup d\u2019autres miracles avant de s\u2019endormir dans la paix du\nSeigneur. Ce saint florissait vers l\u2019an 653, sous le r\u00e8gne d\u2019H\u00e9raclius.\nXLI[6]\nSAINTE APOLLINE, VIERGE ET MARTYRE\n(9 f\u00e9vrier)\n [6] Ce chapitre, qui manque dans plusieurs anciens manuscrits, n\u2019est\n probablement pas de Jacques de Voragine.\nSous l\u2019empereur D\u00e9cius une grande pers\u00e9cution s\u00e9vit, \u00e0 Alexandrie,\ncontre les serviteurs de Dieu. Pr\u00e9venant les \u00e9dits de l\u2019empereur, un\nmis\u00e9rable, nomm\u00e9 Divin, excita contre les chr\u00e9tiens une foule\nsuperstitieuse, qui, enflamm\u00e9e par lui, devint tout alt\u00e9r\u00e9e du sang des\nfid\u00e8les. On s\u2019empara d\u2019abord de quelques saintes personnes des deux\nsexes, dont les unes eurent le corps d\u00e9chir\u00e9 membre \u00e0 membre, les yeux\ncrev\u00e9s, le visage mutil\u00e9, et furent ensuite chass\u00e9es de la ville;\nd\u2019autres qu\u2019on avait tra\u00een\u00e9es devant les idoles, et qui, loin de vouloir\nles adorer, les accablaient d\u2019invectives, se voyaient tra\u00een\u00e9es par les\nrues de la ville, les pieds encha\u00een\u00e9s, jusqu\u2019\u00e0 ce que leurs corps s\u2019en\nallassent en morceaux.\nOr il y avait \u00e0 Alexandrie une vierge admirable nomm\u00e9e Apolline, d\u00e9j\u00e0\nfort avanc\u00e9e en \u00e2ge, et tout \u00e9clatante de chastet\u00e9, de puret\u00e9, de pi\u00e9t\u00e9\net de charit\u00e9. Et lorsque la foule furieuse eut envahi les maisons des\nserviteurs de Dieu, Apolline fut conduite au tribunal des impies.\nS\u2019acharnant sur elle, ses pers\u00e9cuteurs commenc\u00e8rent par lui arracher\ntoutes ses dents; puis, ayant allum\u00e9 un grand b\u00fbcher, ils la menac\u00e8rent\nde l\u2019y jeter vive, si elle se refusait \u00e0 blasph\u00e9mer avec eux. Mais elle,\nd\u00e8s qu\u2019elle vit le b\u00fbcher allum\u00e9, se recueillit d\u2019abord un instant en\nelle-m\u00eame, puis, s\u2019\u00e9chappant des mains de ses bourreaux, s\u2019\u00e9lan\u00e7a dans\nle feu dont on la mena\u00e7ait, effrayant m\u00eame la cruaut\u00e9 des pers\u00e9cuteurs.\nEprouv\u00e9e d\u00e9j\u00e0 par divers supplices, elle ne se laissa vaincre ni par ses\nsouffrances, ni par l\u2019ardeur des flammes, qui n\u2019\u00e9tait rien en\ncomparaison de l\u2019ardeur allum\u00e9e en elle par les rayons de la v\u00e9rit\u00e9.\nXLII\nSAINT VALENTIN, PR\u00caTRE ET MARTYR\n(14 f\u00e9vrier)\nValentin \u00e9tait un saint pr\u00eatre. L\u2019empereur Claude se le fit amener, et\nlui dit: \u00abPourquoi donc, Valentin, ne t\u2019acquiers-tu pas notre amiti\u00e9 en\nadorant nos dieux et en renon\u00e7ant \u00e0 tes vaines superstitions?\u00bb Et\nValentin: \u00abSi tu connaissais la gr\u00e2ce de Dieu, tu ne parlerais pas\nainsi, et c\u2019est toi qui, renon\u00e7ant \u00e0 tes idoles, adorerais le Dieu du\nCiel!\u00bb Alors un des familiers de Claude dit: \u00abOserais-tu m\u00e9dire de la\nsaintet\u00e9 de nos dieux?\u00bb Et Valentin: \u00abVos dieux ne sont que de\nmis\u00e9rables cr\u00e9atures humaines, et remplies d\u2019impuret\u00e9.\u00bb Alors Claude:\n\u00abSi ton Christ est le vrai Dieu, dis-moi la v\u00e9rit\u00e9!\u00bb Et Valentin: \u00abLa\nv\u00e9rit\u00e9 est que le Christ est le seul Dieu, et que, si tu crois en lui,\nton \u00e2me sera sauv\u00e9e, ton pouvoir s\u2019accro\u00eetra, tes ennemis seront\nvaincus!\u00bb Et Claude, se tournant vers les assistants, leur dit:\n\u00abRomains, entendez-vous comme cet homme parle bien et avec sagesse?\u00bb\nMais le pr\u00e9fet dit: \u00abOn trompe l\u2019empereur! Faudra-t-il donc que nous\nabandonnions ce que nous avions tenu pour vrai depuis l\u2019enfance?\u00bb Et ces\nparoles endurcirent le c\u0153ur de Claude, qui livra saint Valentin \u00e0 un\nprince de sa cour, en le chargeant de le garder prisonnier chez lui.\nEt quand il fut arriv\u00e9 dans la maison de ce prince, Valentin s\u2019\u00e9cria:\n\u00abSeigneur J\u00e9sus, lumi\u00e8re unique, illumine cette maison afin qu\u2019on te\nreconnaisse comme le vrai Dieu!\u00bb Sur quoi le prince lui dit: \u00abPuisque tu\naffirmes que ton Christ est la lumi\u00e8re, demande-lui de rendre la vue \u00e0\nma fille aveugle! S\u2019il le fait, je croirai en lui!\u00bb Valentin se mit en\npri\u00e8re, rendit la vue \u00e0 l\u2019aveugle, et convertit toute la maison. Mais\nl\u2019empereur ne l\u2019en fit pas moins d\u00e9capiter. Ce martyre eut lieu en l\u2019an\ndu Seigneur 280.\nXLIII\nSAINTE JULIENNE, VIERGE ET MARTYRE\n(16 f\u00e9vrier)\nJulienne \u00e9tait fianc\u00e9e \u00e0 Euloge, pr\u00e9fet de Nicom\u00e9die; mais elle refusait\nd\u2019entrer dans le lit d\u2019Euloge avant qu\u2019il e\u00fbt re\u00e7u la foi du Christ.\nAlors son p\u00e8re, furieux de sa d\u00e9sob\u00e9issance, la fit mettre \u00e0 nu, rouer\nde coups, et la livra ensuite au pr\u00e9fet. Et celui-ci lui dit: \u00abMa douce\nJulienne, pourquoi m\u2019as-tu tromp\u00e9 par tes promesses d\u2019amour, puisque,\naujourd\u2019hui, tu refuses ma main?\u00bb Et elle: \u00abSi tu veux adorer mon Dieu,\nje serai \u00e0 toi; sinon, jamais tu ne seras mon ma\u00eetre!\u00bb Et le pr\u00e9fet:\n\u00abBien-aim\u00e9e, je ne puis consentir \u00e0 ce que tu me demandes, car\nl\u2019empereur me ferait couper le cou!\u00bb Et Julienne: \u00abSi tu crains si fort\nun empereur mortel, combien davantage je dois craindre mon empereur \u00e0\nmoi, qui est immortel! Fais de moi ce que tu voudras, rien ne pourra me\nfl\u00e9chir!\u00bb Alors le pr\u00e9fet la fit battre de verges, puis, pendant une\ndemi-journ\u00e9e, il la fit suspendre par les cheveux et lui fit verser sur\nla t\u00eate du plomb fondu. Et comme, de tout cela, elle n\u2019avait aucun mal,\nil lui fit mettre des cha\u00eenes et l\u2019enferma dans une prison.\nL\u00e0 un diable vint la voir, sous l\u2019apparence d\u2019un ange, et lui dit:\n\u00abJulienne, je suis un ange du Seigneur, et mon ma\u00eetre m\u2019envoie vers toi\npour t\u2019engager \u00e0 sacrifier aux dieux: car le Seigneur a piti\u00e9 de toi, et\nveut t\u2019\u00e9pargner un affreux supplice suivi d\u2019une mort affreuse.\u00bb Alors\nJulienne fondit en larmes et s\u2019\u00e9cria: \u00abJ\u00e9sus mon Seigneur, sauve-moi du\np\u00e9ril de mon \u00e2me en me faisant conna\u00eetre qui est celui qui me donne un\ntel conseil!\u00bb Et une voix d\u2019en haut lui dit de saisir son visiteur et de\nle contraindre \u00e0 avouer lui-m\u00eame qui il \u00e9tait. Julienne ayant donc saisi\nle faux ange, et lui ayant demand\u00e9 qui il \u00e9tait, il r\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait\nun d\u00e9mon, envoy\u00e9 par son p\u00e8re pour la tromper. Julienne lui demanda qui\n\u00e9tait son p\u00e8re. Et le d\u00e9mon r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est Belz\u00e9buth, qui nous conduit\n\u00e0 mal faire, et nous bat cruellement toutes les fois que nous nous\nlaissons vaincre par les chr\u00e9tiens. Aussi suis-je s\u00fbr de payer cher\ncette journ\u00e9e, o\u00f9 je n\u2019ai pu triompher de toi!\u00bb Et, entre autres choses\nqu\u2019il lui avoua, il lui dit que les diables souffrent surtout pendant\nque les chr\u00e9tiens c\u00e9l\u00e8brent la messe, ou pendant que se font les pri\u00e8res\net les pr\u00e9dications. Alors Julienne lui lia les mains derri\u00e8re le dos,\net, l\u2019ayant jet\u00e9 \u00e0 terre, elle le battit rudement avec la cha\u00eene dont on\nl\u2019avait li\u00e9e; et le diable la suppliait avec de grands cris, lui disant:\n\u00abBonne Julienne, ayez piti\u00e9 de moi!\u00bb Puis, le pr\u00e9fet ayant donn\u00e9 ordre\nqu\u2019on la tir\u00e2t de sa prison, elle tra\u00eena derri\u00e8re elle le d\u00e9mon,\ntoujours li\u00e9. Et le d\u00e9mon la priait, en lui disant: \u00abMadame Julienne,\ncessez de me rendre ridicule, ou bien jamais plus je ne pourrai avoir\nd\u2019action sur aucun chr\u00e9tien! On dit que les chr\u00e9tiens sont\nmis\u00e9ricordieux, et vous, cependant, vous ne voulez pas avoir un peu\npiti\u00e9 de moi!\u00bb Mais la sainte n\u2019en continua pas moins \u00e0 le tra\u00eener par\ntout le march\u00e9, apr\u00e8s quoi elle le jeta dans une latrine.\nLe pr\u00e9fet fit \u00e9tendre sainte Julienne sur une roue qui lui broya tous\nles os jusqu\u2019\u00e0 en faire jaillir la moelle; mais un ange d\u00e9truisit la\nroue et gu\u00e9rit la sainte. Ce que voyant, tous les assistants crurent au\nChrist, et subirent aussit\u00f4t le martyre. Cinq cents hommes et cent\ntrente femmes eurent la t\u00eate tranch\u00e9e. Le pr\u00e9fet fit ensuite plonger la\nsainte dans une chaudi\u00e8re de plomb fondu; mais le plomb se refroidit\nsoudain au point de devenir comme un bain ti\u00e8de. Alors le pr\u00e9fet maudit\nses dieux, pour leur impuissance \u00e0 punir une jeune femme qui leur\nfaisait tant d\u2019outrages. Puis il ordonna qu\u2019elle e\u00fbt la t\u00eate tranch\u00e9e.\nEt comme on la conduisait \u00e0 l\u2019\u00e9chafaud, voici que le d\u00e9mon qu\u2019elle avait\nbattu se montra de nouveau, cette fois sous l\u2019apparence d\u2019un jeune\nhomme; et il criait aux bourreaux: \u00abNe m\u00e9nagez pas cette coquine, car\nelle a dit les pires choses de vos dieux, et m\u2019a moi-m\u00eame battu cette\nnuit! Rendez-lui ce qu\u2019elle m\u00e9rite!\u00bb Mais comme Julienne, qui avait les\nyeux ferm\u00e9s, les entrouvrait pour voir celui qui parlait ainsi, le d\u00e9mon\ns\u2019enfuit en criant: \u00abMalheur \u00e0 moi, elle va encore me prendre et me\nlier!\u00bb Et la sainte subit son supplice; et, quelques jours apr\u00e8s, le\npr\u00e9fet, qui voyageait sur mer, p\u00e9rit dans une temp\u00eate avec trente-quatre\nhommes. Leurs corps, que la mer avait vomis sur le rivage, furent\nd\u00e9vor\u00e9s par les b\u00eates et les oiseaux de proie.\nXLIV\nLA CHAIRE DE SAINT PIERRE A ANTIOCHE\n(22 f\u00e9vrier)\nL\u2019\u00e9glise c\u00e9l\u00e8bre en ce jour la Chaire de saint Pierre parce que c\u2019est en\nce jour que ce saint, \u00e0 Antioche, s\u2019assit pour la premi\u00e8re fois dans le\nsi\u00e8ge pontifical. Et l\u2019institution de cette f\u00eate est due \u00e0 quatre\ncauses.\n1\u00ba Comme saint Pierre pr\u00eachait \u00e0 Antioche, le pr\u00e9fet Th\u00e9ophile lui dit:\n\u00abPierre, pourquoi corromps-tu mon peuple?\u00bb Et comme Pierre lui pr\u00eachait\nla foi du Christ, il le fit encha\u00eener et jeter en prison, o\u00f9 il ordonna\nqu\u2019on le laiss\u00e2t sans boire et sans manger. Mais Pierre, d\u00e9j\u00e0\nd\u00e9faillant, reprit assez de forces pour lever les yeux au ciel et pour\ndire: \u00abJ\u00e9sus-Christ, soutien des malheureux, sois mon soutien dans ces\ntribulations!\u00bb Et le Seigneur lui r\u00e9pondit: \u00abCrois-tu donc que je t\u2019aie\nabandonn\u00e9? Bient\u00f4t viendra quelqu\u2019un qui secourra ta mis\u00e8re!\u00bb En effet,\nsaint Paul, en apprenant l\u2019incarc\u00e9ration de Pierre, vint trouver\nTh\u00e9ophile, et se pr\u00e9senta \u00e0 lui comme un artiste d\u2019une habilet\u00e9 extr\u00eame,\nsachant sculpter le bois et le marbre, peindre sur la toile, etc.\nTh\u00e9ophile le pria d\u2019habiter chez lui. Et, peu de jours apr\u00e8s, Paul\np\u00e9n\u00e9tra secr\u00e8tement dans le cachot de Pierre. Voyant celui-ci presque\nmort d\u2019\u00e9puisement, il pleura des larmes am\u00e8res; puis, se jetant dans ses\nbras, il lui dit: \u00abO Pierre, mon fr\u00e8re, ma gloire, ma joie, moiti\u00e9 de\nmon \u00e2me, reprends tes forces!\u00bb Alors Pierre, ouvrant les yeux et le\nreconnaissant, se mit \u00e0 pleurer, mais sans pouvoir parler. Paul lui\nouvrit la bouche et y versa de la nourriture, qui ne tarda pas \u00e0 le\nr\u00e9conforter. Puis, se rendant aupr\u00e8s de Th\u00e9ophile, saint Paul lui dit:\n\u00abO bon Th\u00e9ophile, homme aimable et hospitalier, rappelle-toi qu\u2019un petit\nmal suffit pour d\u00e9truire un grand bien! Qu\u2019as-tu fait de ce serviteur de\nDieu qui s\u2019appelle Pierre? Faible et pauvre, il ne vit que par la\nparole: et c\u2019est un tel homme que tu as pu mettre en prison! Sans\ncompter que, si tu l\u2019avais laiss\u00e9 en libert\u00e9, il aurait pu t\u2019\u00eatre utile;\ncar on dit qu\u2019il gu\u00e9rit les malades et ressuscite les morts!\u00bb Et\nTh\u00e9ophile: \u00abCe sont l\u00e0 des fables, mon cher Paul, car si cet homme\npouvait ressusciter des morts, il pourrait bien se d\u00e9livrer lui-m\u00eame de\nsa prison!\u00bb Et Paul: \u00abOn m\u2019a dit que, de m\u00eame que le Christ, qui ensuite\nest ressuscit\u00e9, n\u2019a pas voulu descendre de sa croix, de m\u00eame ce Pierre,\npour suivre l\u2019exemple de son ma\u00eetre, refuse de se d\u00e9livrer, pr\u00e9f\u00e9rant\nsouffrir pour le Christ.\u00bb Alors Th\u00e9ophile: \u00abEh bien, va lui dire que je\nlui rendrai sa libert\u00e9 s\u2019il ressuscite mon fils, mort depuis quatorze\nans!\u00bb Paul rapporta cette condition \u00e0 Pierre, qui lui dit: \u00abC\u2019est l\u00e0 un\nbien grand miracle qu\u2019on exige de moi: mais la gr\u00e2ce de Dieu le fera par\nmoi!\u00bb Puis, conduit au s\u00e9pulcre du fils de Th\u00e9ophile, il ordonna qu\u2019on\nouvr\u00eet la porte, et le mort ressuscita.--Mais nous devons avouer que ce\nmiracle ne nous para\u00eet pas tr\u00e8s vraisemblable: d\u2019abord \u00e0 cause des\nquatorze ans que Dieu aurait permis que le mort pass\u00e2t dans son tombeau;\net puis, surtout, \u00e0 cause de la ruse et du mensonge que l\u2019histoire pr\u00eate\n\u00e0 saint Paul. Toujours est-il que Th\u00e9ophile et tout le peuple d\u2019Antioche\nfinirent par se convertir au Seigneur, et construisirent une magnifique\n\u00e9glise au milieu de laquelle ils mirent une chaire tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9e pour\nPierre, d\u2019o\u00f9 il put \u00eatre vu et entendu par tous. Il y si\u00e9gea pendant\nsept ans avant de se rendre \u00e0 Rome, o\u00f9 il si\u00e9gea ensuite dans la chaire\nromaine pendant vingt-cinq ans. Et c\u2019est en souvenir de cet \u00e9v\u00e9nement\nque l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre cette f\u00eate, parce que, ce jour-l\u00e0, pour la premi\u00e8re\nfois, les chefs de l\u2019Eglise commenc\u00e8rent \u00e0 \u00eatre \u00e9lev\u00e9s en nom et en\npuissance.\nCette f\u00eate est, comme l\u2019on sait, la troisi\u00e8me de celles o\u00f9 l\u2019Eglise\nc\u00e9l\u00e8bre le glorieux successeur du Christ. Saint Pierre a, en effet,\nm\u00e9rit\u00e9 d\u2019avoir trois f\u00eates, d\u2019abord parce qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 privil\u00e9gi\u00e9, parmi\nles ap\u00f4tres, en trois choses: en autorit\u00e9, en amour du Christ, et en\npouvoir d\u2019op\u00e9rer des miracles. De plus, saint Pierre a \u00e9t\u00e9 le prince de\ntoute l\u2019Eglise, qui est r\u00e9pandue dans les trois parties du monde,\nl\u2019Asie, l\u2019Afrique et l\u2019Europe: de l\u00e0 les trois f\u00eates o\u00f9 l\u2019Eglise\nl\u2019honore. Enfin, saint Pierre, depuis qu\u2019il a re\u00e7u la facult\u00e9 de lier ou\nde d\u00e9lier, nous d\u00e9livre des trois genres de p\u00e9ch\u00e9s, ceux de la pens\u00e9e,\nde la parole et de l\u2019acte, comme aussi de ceux que nous commettons\nenvers Dieu, envers le prochain et envers nous-m\u00eames.\n2\u00ba La seconde cause de l\u2019institution de cette f\u00eate se trouve indiqu\u00e9e\ndans l\u2019_Itin\u00e9raire de Cl\u00e9ment_. Comme saint Pierre s\u2019approchait\nd\u2019Antioche, tous les habitants vinrent au-devant de lui rev\u00eatus de\ncilices, les pieds nus et la t\u00eate couverte de cendres, en signe de leur\nrepentir, car ils avaient cru aux mensonges de Simon le Magicien. Et\nPierre, heureux de ce repentir, fit placer devant lui tous les malades\net les poss\u00e9d\u00e9s; et d\u00e8s qu\u2019il eut invoqu\u00e9 sur eux le nom de Dieu, une\nimmense lumi\u00e8re apparut et tous furent gu\u00e9ris. Pendant la semaine qui\nsuivit, plus de dix mille hommes re\u00e7urent le bapt\u00eame. Ce que voyant, le\npr\u00e9fet Th\u00e9ophile transforma son palais en basilique, et y fit placer\npour l\u2019ap\u00f4tre une chaire tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9e d\u2019o\u00f9 il p\u00fbt \u00eatre vu et entendu par\ntous. Et la contradiction n\u2019est qu\u2019apparente entre cette histoire et\ncelle que nous venons de raconter: car rien n\u2019emp\u00eache que Pierre ait \u00e9t\u00e9\nmis en prison par Th\u00e9ophile et d\u00e9livr\u00e9 par l\u2019entremise de saint Paul,\npuis que, pendant un de ses voyages, les habitants d\u2019Antioche se soient\nlaiss\u00e9s prendre aux mensonges de Simon le Magicien, et s\u2019en soient enfin\nrepentis.\n3\u00ba En troisi\u00e8me lieu cette f\u00eate,--qu\u2019on appelle aussi le Banquet de\nsaint Pierre,--doit son institution \u00e0 une coutume ancienne que l\u2019Eglise\na transform\u00e9e en une f\u00eate chr\u00e9tienne. En effet, ma\u00eetre Jean Beleth\nraconte que c\u2019\u00e9tait l\u2019usage chez les pa\u00efens, au mois de f\u00e9vrier, d\u2019aller\nporter un repas sur la tombe des morts. Les pa\u00efens croyaient que ces\nrepas \u00e9taient mang\u00e9s par les \u00e2mes de leurs parents d\u00e9funts, tandis qu\u2019en\nr\u00e9alit\u00e9 c\u2019\u00e9taient les d\u00e9mons qui s\u2019en r\u00e9galaient. Et comme les premiers\nconvertis au christianisme avaient peine \u00e0 se d\u00e9partir de cette coutume,\non r\u00e9solut de substituer au banquet des morts, le jour de la Chaire de\nsaint Pierre, un banquet c\u00e9l\u00e9br\u00e9 en l\u2019honneur du saint.\n4\u00ba Et cette f\u00eate a aussi pour objet de c\u00e9l\u00e9brer l\u2019institution de la\ntonsure des pr\u00eatres. Car, pendant que Pierre pr\u00eachait \u00e0 Antioche, on lui\nfit raser la t\u00eate en signe d\u2019infamie; et ce signe d\u2019infamie fut ensuite\nadopt\u00e9 par tout le clerg\u00e9, en signe d\u2019honneur. Au point de vue\nsymbolique, la tonsure signifie la conservation de la puret\u00e9, l\u2019abandon\ndes ornements ext\u00e9rieurs et le renoncement aux biens temporels. Et si la\ntonsure est de forme circulaire, c\u2019est pour donner \u00e0 entendre que, le\ncercle \u00e9tant la plus parfaite des figures, les pr\u00eatres doivent veiller \u00e0\nrepr\u00e9senter sur terre la perfection chr\u00e9tienne.\nXLV\nSAINT MATHIAS, AP\u00d4TRE\n(24 f\u00e9vrier)\nLa vie de saint Mathias, telle qu\u2019elle se lit dans les \u00e9glises, a \u00e9t\u00e9\n\u00e9crite, croit-on, par le v\u00e9n\u00e9rable B\u00e8de.\nI. Mathias fut appel\u00e9 \u00e0 prendre, parmi les ap\u00f4tres, la place laiss\u00e9e\nvide par la d\u00e9fection de Judas. Et, puisque l\u2019occasion s\u2019en pr\u00e9sente \u00e0\nnous, nous allons d\u2019abord r\u00e9sumer ce que l\u2019on a dit de l\u2019origine et de\nla jeunesse de Judas lui-m\u00eame. Certaine histoire, qui malheureusement\nest apocryphe et ne m\u00e9rite que peu de cr\u00e9ance, raconte \u00e0 ce sujet ce qui\nsuit:\nIl y avait \u00e0 J\u00e9rusalem un homme appel\u00e9 Ruben (et de son autre nom Simon)\nde la tribu de Dan (ou, selon saint J\u00e9r\u00f4me, de la tribu d\u2019Issachar) et\nmari\u00e9 \u00e0 une femme nomm\u00e9e Cibor\u00e9e. Or, une nuit, apr\u00e8s que les deux \u00e9poux\neussent accompli le devoir conjugal, Cibor\u00e9e, s\u2019\u00e9tant endormie, eut un\nsonge dont elle s\u2019\u00e9veilla tout effray\u00e9e, avec des g\u00e9missements et des\nsoupirs. Et elle dit \u00e0 son mari: \u00abJ\u2019ai vu en r\u00eave que j\u2019enfantais un\nfils monstrueux, qui devait causer la perte de toute notre race.\u00bb Et\nRuben: \u00abQuelle sottise scandaleuse tu dis l\u00e0! Le diable, sans doute, te\nfait d\u00e9lirer!\u00bb Mais elle: \u00abSi notre acte de cette nuit a pour effet que\nje con\u00e7oive un fils, ce sera la preuve que je ne suis point victime\nd\u2019une illusion diabolique, mais que mon r\u00eave est bien la r\u00e9v\u00e9lation de\nla v\u00e9rit\u00e9!\u00bb Et comme, neuf mois apr\u00e8s cette nuit, elle mit au monde un\nfils, son mari et elle furent \u00e9pouvant\u00e9s, et ne surent que faire: car\nils avaient horreur de tuer leur enfant, et, d\u2019autre part, ne pouvaient\nconsentir \u00e0 nourrir le futur destructeur de leur race. Ils d\u00e9cid\u00e8rent\nenfin de poser l\u2019enfant dans un petit panier et de le laisser aller au\ngr\u00e9 des flots. Et ceux-ci pouss\u00e8rent le panier jusqu\u2019\u00e0 une \u00eele nomm\u00e9e\nIscarioth, d\u2019o\u00f9 viendrait le nom de Judas Iscarioth donn\u00e9 \u00e0 l\u2019ap\u00f4tre\nmaudit. Et la reine de cette \u00eele, qui n\u2019avait point d\u2019enfants, ayant\naper\u00e7u le panier pendant qu\u2019elle se promenait sur le rivage, le fit\ntirer de l\u2019eau, et s\u2019\u00e9cria, quand elle vit l\u2019enfant: \u00abOh! comme je\nserais heureuse d\u2019avoir un tel enfant, afin que mon tr\u00f4ne, apr\u00e8s moi, ne\nrest\u00e2t pas vide!\u00bb Et elle fit nourrir l\u2019enfant en cachette, et feignit\nd\u2019\u00eatre enceinte, et pr\u00e9senta l\u2019enfant comme son fils, ce qui fut f\u00eat\u00e9\npar tout le royaume. Le roi, enchant\u00e9 d\u2019\u00eatre p\u00e8re, fit \u00e9lever l\u2019enfant\navec toute la magnificence qui convenait \u00e0 son rang. Or, peu de temps\napr\u00e8s, la reine fut vraiment enceinte du fait de son mari, et mit au\nmonde un fils. Les deux enfants furent \u00e9lev\u00e9s ensemble; mais Judas, dans\nleurs jeux, injuriait et battait souvent l\u2019enfant royal, et le faisait\npleurer: sur quoi la reine, qui savait qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pas son fils, le\nfaisait tr\u00e8s souvent battre \u00e0 son tour. Mais rien ne parvenait \u00e0\ncorriger le m\u00e9chant enfant. Un jour enfin toute la v\u00e9rit\u00e9 se d\u00e9couvrit,\net l\u2019on sut que Judas n\u2019\u00e9tait pas le vrai fils du roi. Alors Judas,\nplein de honte et de jalousie, tua secr\u00e8tement le vrai fils du roi, son\nfr\u00e8re suppos\u00e9. Puis, craignant d\u2019en \u00eatre puni, il s\u2019enfuit avec ses\nfamiliers \u00e0 J\u00e9rusalem, o\u00f9 le pr\u00e9fet Pilate (tant on a raison de dire que\nqui se ressemble s\u2019assemble) reconnut en lui un caract\u00e8re pareil au\nsien, et se prit pour lui d\u2019une vive affection.\nVoil\u00e0 donc Judas r\u00e9gnant en ma\u00eetre \u00e0 la cour de Pilate. Et un jour,\nPilate, consid\u00e9rant un champ de pommes voisin de son palais, \u00e9prouva un\nextr\u00eame d\u00e9sir de go\u00fbter aux pommes de ce champ. Or ce champ appartenait\n\u00e0 Ruben, le p\u00e8re de Judas; mais ni Judas ne connaissait son p\u00e8re, ni\ncelui-ci ne savait que Judas \u00e9tait son fils. Et Judas, voyant le d\u00e9sir\nde Pilate, entra dans le champ et cueillit des pommes. Et comme Ruben le\nsurprit, tous deux commenc\u00e8rent par s\u2019injurier, puis en vinrent aux\ncoups; et Judas finit par tuer Ruben en le frappant d\u2019une pierre sur la\nnuque. Apr\u00e8s quoi il porta les pommes \u00e0 Pilate et lui raconta ce qui\ns\u2019\u00e9tait pass\u00e9. Et lorsque la mort de Ruben fut connue, Pilate donna \u00e0\nson favori Judas tous les biens du mort, et le maria avec la veuve de\ncelui-ci, qui n\u2019\u00e9tait autre que sa m\u00e8re Cibor\u00e9e.\nUn soir, Cibor\u00e9e soupirait si tristement que Judas, son nouveau mari,\nlui demanda ce qu\u2019elle avait. Elle lui r\u00e9pondit: \u00abH\u00e9las! je suis la plus\nmalheureuse de toutes les femmes! J\u2019ai d\u00fb noyer mon unique enfant, on\nm\u2019a tu\u00e9 mon mari, et, pour comble de mis\u00e8re, Pilate m\u2019a forc\u00e9e \u00e0 me\nremarier malgr\u00e9 mon deuil!\u00bb Elle raconta alors l\u2019histoire de l\u2019enfant;\net Judas lui raconta toutes ses aventures; et ils d\u00e9couvrirent ainsi que\nJudas avait tu\u00e9 son p\u00e8re et \u00e9pous\u00e9 sa m\u00e8re. Alors, sur le conseil de\nCibor\u00e9e, le mis\u00e9rable voulut faire p\u00e9nitence, et, \u00e9tant all\u00e9 trouver\nN\u00f4tre-Seigneur J\u00e9sus-Christ, il implora de lui le pardon de ses p\u00e9ch\u00e9s.\nVoil\u00e0 ce qu\u2019on lit dans cette histoire apocryphe. Doit-on tenir pour\nvraie ou non cette suite d\u2019aventures? C\u2019est au lecteur \u00e0 en d\u00e9cider:\nmais, suivant nous, elle m\u00e9rite infiniment plus d\u2019\u00eatre rejet\u00e9e\nqu\u2019admise.\nCe qui est, au contraire, certain, c\u2019est que Notre-Seigneur fit de Judas\nson disciple, et l\u2019\u00e9lut au nombre de ses douze ap\u00f4tres. Et Judas entra\nsi fort dans sa familiarit\u00e9 qu\u2019il devint son procureur. C\u2019\u00e9tait lui, en\neffet, qui portait les aum\u00f4nes qu\u2019on donnait \u00e0 J\u00e9sus; et, sans doute, il\nne se faisait pas faute de les voler. Peu de temps avant la passion de\nNotre-Seigneur, il s\u2019irrita de ce qu\u2019on ne vend\u00eet point un parfum qu\u2019on\navait donn\u00e9 \u00e0 J\u00e9sus, et qui valait trois cents deniers: car, sans doute,\nil avait projet\u00e9 de s\u2019approprier cette somme. Il alla donc trouver les\nJuifs, et leur vendit le Christ pour trente deniers. Notons que deux\nversions ont cours sur ce point. L\u2019une pr\u00e9tend que les deniers obtenus\npar Judas valaient chacun dix deniers ordinaires, de fa\u00e7on qu\u2019en les\nrecevant Judas eut l\u2019\u00e9quivalent des trois cents deniers que lui aurait\nprocur\u00e9s la vente du parfum. D\u2019apr\u00e8s l\u2019autre version, Judas avait\nl\u2019habitude de s\u2019approprier la dixi\u00e8me partie de l\u2019argent qu\u2019on lui\ndonnait \u00e0 garder; et ainsi les trente deniers re\u00e7us des Juifs ont \u00e9t\u00e9,\npour lui, l\u2019\u00e9quivalent du profit qu\u2019il aurait tir\u00e9 de la vente du\nparfum. Mais, d\u00e8s qu\u2019il eut re\u00e7u les trente deniers, la honte le prit;\net il les rapporta, et il alla se pendre \u00e0 un arbre, et son corps creva\npar le milieu, et tous ses boyaux se r\u00e9pandirent sur le sol. Il ne les\nvomit point par la bouche, car sa bouche ne pouvait pas \u00eatre profan\u00e9e,\nayant eu l\u2019honneur de toucher le visage glorieux du Christ. Et il mourut\nen l\u2019air, car, ayant offens\u00e9 les anges dans le ciel et les hommes sur la\nterre, il avait m\u00e9rit\u00e9 de p\u00e9rir entre ciel et terre.\nII. Or, quelques jours apr\u00e8s l\u2019Ascension du Seigneur, saint Pierre se\nleva au milieu des disciples et dit: \u00abFr\u00e8res, il faut que, de ceux qui\nont \u00e9t\u00e9 avec nous tout le temps que le Seigneur J\u00e9sus a v\u00e9cu parmi nous,\nil y en ait un pour t\u00e9moigner avec nous de sa r\u00e9surrection.\u00bb Alors les\ndisciples pr\u00e9sent\u00e8rent deux d\u2019entre eux, \u00e0 savoir: 1\u00ba Joseph, appel\u00e9\nBarsabas, et surnomm\u00e9 le Juste en raison de sa saintet\u00e9; 2\u00ba Mathias,\ndont l\u2019auteur des _Actes_ a jug\u00e9 inutile de faire l\u2019\u00e9loge, estimant que\nle fait de son \u00e9lection \u00e0 l\u2019apostolat rendait tous les \u00e9loges superflus.\nEt, tombant en pri\u00e8re, les ap\u00f4tres dirent: \u00abToi, Seigneur, qui connais\nles c\u0153urs de tous, montre-nous lequel de ces deux hommes tu as choisi\npour prendre la place de Judas, dans le minist\u00e8re et l\u2019apostolat!\u00bb Et\nl\u2019on jeta les sorts, et le sort d\u00e9signa Mathias, qui, d\u2019un commun\naccord, fut adjoint aux onze ap\u00f4tres.\nSaint J\u00e9r\u00f4me fait observer, \u00e0 ce propos, que l\u2019exemple de ce choix ne\nprouve nullement qu\u2019on doive se servir du sort pour les \u00e9lections\nreligieuses: car le privil\u00e8ge du petit nombre ne saurait constituer la\nloi de tous. Comme le dit en effet, B\u00e8de, c\u2019est seulement au jour de la\nPentec\u00f4te que fut consomm\u00e9e l\u2019hostie immol\u00e9e dans la Passion; c\u2019est au\njour de la Pentec\u00f4te que la v\u00e9rit\u00e9 du dogme se trouva enti\u00e8rement\nconstitu\u00e9e. Or, l\u2019\u00e9lection de Mathias \u00e9tant avant la Pentec\u00f4te, on s\u2019y\nest servi du sort pour se conformer \u00e0 la loi ancienne, suivant laquelle\nle grand pr\u00eatre \u00e9tait choisi au sort. Mais, d\u00e8s que la Pentec\u00f4te eut\nachev\u00e9 d\u2019abroger l\u2019ancienne loi, ce n\u2019est plus au sort que furent \u00e9lus\nles sept diacres, mais bien par le choix des disciples; et ils furent\nensuite ordonn\u00e9s par l\u2019imposition des mains des ap\u00f4tres.\nIII. L\u2019ap\u00f4tre Mathias eut pour mission d\u2019\u00e9vang\u00e9liser la Jud\u00e9e. Il y\npr\u00eacha de longues ann\u00e9es, fit de nombreux miracles, et s\u2019endormit enfin\ndans la paix du Seigneur. Certains auteurs affirment, cependant, qu\u2019il\nsouffrit le martyre et p\u00e9rit sur la croix. Son corps est, dit-on,\nenseveli \u00e0 Rome, sous une dalle de porphyre, dans l\u2019\u00e9glise Sainte-Marie\nMajeure, et l\u2019on y montre sa t\u00eate aux fid\u00e8les.\nD\u2019apr\u00e8s une autre l\u00e9gende, qui a cours \u00e0 Tr\u00e8ves, Mathias serait n\u00e9 \u00e0\nBethl\u00e9em, d\u2019une famille noble de la tribu de Juda. Pr\u00eachant en Jud\u00e9e, il\n\u00e9clairait les aveugles, purifiait les l\u00e9preux, chassait les d\u00e9mons,\nrendait aux boiteux la marche, aux sourds l\u2019ou\u00efe, et la vie aux morts.\nIl op\u00e9ra de nombreuses conversions: sur quoi les Juifs, par jalousie, le\nfirent passer en jugement. L\u00e0 deux faux t\u00e9moins, qui l\u2019avaient accus\u00e9,\nlui jet\u00e8rent des pierres; et il voulut que ces pierres fussent\nensevelies avec lui, en t\u00e9moignage contre eux. Et pendant qu\u2019on le\nlapidait il eut la t\u00eate tranch\u00e9e d\u2019une hache, \u00e0 la mani\u00e8re romaine, et\nrendit l\u2019\u00e2me \u00e0 Dieu, les mains tendues vers le ciel. La m\u00eame l\u00e9gende\najoute que son corps, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 transport\u00e9 de Jud\u00e9e \u00e0 Rome, se\ntrouve aujourd\u2019hui dans une \u00e9glise de Tr\u00e8ves.\nIV. Suivant une autre l\u00e9gende, Mathias serait all\u00e9 en Mac\u00e9doine, et y\naurait bu, au nom du Christ, une potion empoisonn\u00e9e qui privait de la\nvue ceux qui en buvaient. Mais non seulement Mathias n\u2019en aurait\nsouffert aucun mal: la l\u00e9gende veut encore qu\u2019il ait rendu la vue, par\nune simple imposition de mains, \u00e0 plus de deux cent cinquante personnes\nque la susdite potion avait aveugl\u00e9es. Les habitants de la province lui\nauraient, ensuite, attach\u00e9 les mains derri\u00e8re le dos et l\u2019auraient\nenferm\u00e9 dans une prison; et le Seigneur, venant \u00e0 lui entour\u00e9 d\u2019une\ngrande lumi\u00e8re, aurait rompu ses liens et l\u2019aurait remis en libert\u00e9. Et\ncomme, ensuite, quelques-uns des Mac\u00e9doniens persistaient dans l\u2019erreur,\nle saint leur aurait dit: \u00abJe vous annonce que vous descendrez vivants\nen enfer!\u00bb Sur quoi la terre se serait ouverte, et les aurait engloutis.\nXLVI\nSAINT GR\u00c9GOIRE, PAPE\n(12 mars)\nLa vie de saint Gr\u00e9goire, \u00e9crite d\u2019abord par Paul, historiographe des\nLombards, a \u00e9t\u00e9 ensuite soigneusement r\u00e9sum\u00e9e par le diacre Jean.\nI. Gr\u00e9goire, fils de Gordien et de Sylvie, \u00e9tait de famille s\u00e9natoriale.\nBien que, d\u00e8s l\u2019adolescence, il e\u00fbt atteint au plus haut sommet de la\nphilosophie, et bien qu\u2019il f\u00fbt, en outre, fort riche, il r\u00e9solut de\nrenoncer \u00e0 tous ses biens et de se consacrer au service de Dieu. Mais\ncomme il ajournait sa conversion, pensant pouvoir servir le Christ tout\nen remplissant les fonctions d\u2019un juge la\u00efque, le go\u00fbt des choses\ns\u00e9culi\u00e8res commen\u00e7a \u00e0 grandir en lui \u00e0 tel point qu\u2019il fut tent\u00e9 de\nservir le monde non seulement en acte, mais aussi en esprit. Enfin,\napr\u00e8s la mort de son p\u00e8re, il fonda six monast\u00e8res en Sicile, et un\nsepti\u00e8me \u00e0 Rome, dans sa propre maison; et l\u00e0, \u00f4tant ses v\u00eatements de\nsoie orn\u00e9s d\u2019or et de pierreries, il v\u00e9cut sous l\u2019humble habit du moine.\nEt il arriva bient\u00f4t \u00e0 un \u00e9tat de perfection qu\u2019il se rappelait, plus\ntard, en ces termes, dans l\u2019introduction d\u2019un de ses _dialogues_: \u00abMon\n\u00e2me malheureuse, accabl\u00e9e sous le poids de ses occupations, aime \u00e0 se\nrappeler le bonheur qu\u2019elle avait jadis pendant mon s\u00e9jour au monast\u00e8re;\nalors tout le cours des choses fugitives lui \u00e9tait indiff\u00e9rent,\naccoutum\u00e9e qu\u2019elle \u00e9tait \u00e0 ne penser qu\u2019aux choses c\u00e9lestes; et souvent\nelle sortait, par la contemplation, du clo\u00eetre de la chair; et la mort\nm\u00eame, qui presque toujours appara\u00eet comme une peine, lui apparaissait\ncomme l\u2019entr\u00e9e dans la vie, et la douce r\u00e9compense de toutes les\npeines.\u00bb Et Gr\u00e9goire infligeait de telles privations \u00e0 son corps que son\nestomac s\u2019\u00e9tait paralys\u00e9, et qu\u2019il souffrait fr\u00e9quemment de ces arr\u00eats\nde vie que les Grecs appellent des \u00absyncopes\u00bb.\nII. Un jour, comme il \u00e9tait occup\u00e9 \u00e0 \u00e9crire dans une cellule du\nmonast\u00e8re dont il \u00e9tait abb\u00e9, un ange lui apparut sous la forme d\u2019un\nnaufrag\u00e9 et lui demanda l\u2019aum\u00f4ne. Gr\u00e9goire lui fit donner six deniers\nd\u2019argent; mais, quelques heures apr\u00e8s, le naufrag\u00e9 revint, disant qu\u2019il\navait beaucoup perdu et trop peu re\u00e7u. Gr\u00e9goire lui fit de nouveau\ndonner six deniers d\u2019argent; et une troisi\u00e8me fois le mendiant revint,\nsollicitant l\u2019aum\u00f4ne avec plus d\u2019insistance que jamais; alors l\u2019\u00e9conome\ndu monast\u00e8re dit \u00e0 Gr\u00e9goire qu\u2019on n\u2019avait plus rien \u00e0 donner, sinon une\n\u00e9cuelle d\u2019argent dans laquelle la m\u00e8re de Gr\u00e9goire avait coutume\nd\u2019envoyer des l\u00e9gumes \u00e0 son fils. Aussit\u00f4t Gr\u00e9goire fit donner cette\n\u00e9cuelle au mendiant, qui la re\u00e7ut avec joie et disparut. Et ce mendiant\n\u00e9tait un ange qui, comme nous le dirons plus loin, se r\u00e9v\u00e9la ensuite\nlui-m\u00eame \u00e0 saint Gr\u00e9goire.\nIII. Certain jour, saint Gr\u00e9goire, passant sur le march\u00e9, vit de jeunes\nesclaves, d\u2019une extr\u00eame beaut\u00e9 de forme et de visage, qui \u00e9taient \u00e0\nvendre. Il demanda au marchand d\u2019o\u00f9 \u00e9taient ces jeunes gens. Le marchand\nr\u00e9pondit qu\u2019ils \u00e9taient de la Grande-Bretagne, et que tous les habitants\nde ce pays avaient les m\u00eames cheveux blonds et la m\u00eame beaut\u00e9 de figure.\nGr\u00e9goire demanda s\u2019ils \u00e9taient chr\u00e9tiens. Et, apprenant qu\u2019ils \u00e9taient\npa\u00efens, il s\u2019\u00e9cria: \u00abH\u00e9las, faut-il que d\u2019aussi beaux visages\nappartiennent encore au prince des t\u00e9n\u00e8bres!\u00bb Il demanda comment\ns\u2019appelait ce peuple, et le marchand lui dit qu\u2019on l\u2019appelait le peuple\n\u00abanglique\u00bb. Et le saint dit: \u00abBien nomm\u00e9s sont-ils, ces Angliques, ou\nplut\u00f4t Ang\u00e9liques, car ils ont vraiment des visages d\u2019anges!\u00bb Alors il\nse rendit aupr\u00e8s du Souverain Pontife et obtint de lui, \u00e0 grand\u2019force de\npri\u00e8res, d\u2019\u00eatre envoy\u00e9 en Bretagne pour convertir les Anglais. Mais \u00e0\npeine s\u2019\u00e9tait-il mis en route que les Romains, troubl\u00e9s de son d\u00e9part,\ndirent au pape: \u00abEn renvoyant Gr\u00e9goire, tu as offens\u00e9 saint Pierre et\nd\u00e9truit Rome!\u00bb Si bien que le pape, effray\u00e9, ordonna que l\u2019on cour\u00fbt \u00e0\nsa poursuite pour le ramener. Et comme Gr\u00e9goire, ayant d\u00e9j\u00e0 fait trois\njours de route, s\u2019occupait \u00e0 lire en certain lieu, et que ses compagnons\ndormaient, une cigale survint qui le for\u00e7a \u00e0 se distraire de sa lecture\net lui dit qu\u2019il e\u00fbt \u00e0 rester dans ce lieu. Aussit\u00f4t Gr\u00e9goire exhorta\nses compagnons \u00e0 le quitter au plus vite, et, reprenant sa lecture, il\nresta immobile jusqu\u2019\u00e0 ce que les messagers du pape, l\u2019ayant rejoint, le\nforc\u00e8rent \u00e0 rentrer avec eux. Il rentra donc \u00e0 Rome, bien malgr\u00e9 lui; et\nle pape le fit sortir de son monast\u00e8re, et le nomma son cardinal-diacre.\nIV. Le Tibre, \u00e9tant sorti de son lit, avait grossi d\u2019une fa\u00e7on si\nd\u00e9mesur\u00e9e qu\u2019il avait coul\u00e9 jusque par-dessus les murs de Rome, et avait\nrenvers\u00e9 plusieurs maisons. Puis, quand l\u2019inondation avait pris fin, une\nfoule de serpents, dragons, et autres monstres, apport\u00e9s par les flots\net laiss\u00e9s par eux, avaient corrompu l\u2019air de leur pourriture, et ainsi\ns\u2019\u00e9tait produite une peste si meurtri\u00e8re que l\u2019on croyait voir des\nfl\u00e8ches tombant du ciel et tuant les Romains. La premi\u00e8re victime de\ncette peste fut le pape P\u00e9lage; apr\u00e8s quoi, le mal prit une telle\nextension que, par la mort des habitants, il vida un tr\u00e8s grand nombre\ndes maisons de Rome. Mais comme l\u2019Eglise de Dieu ne pouvait rester sans\nchef, le peuple entier \u00e9lut pour pape Gr\u00e9goire, bien que celui-ci s\u2019en\nd\u00e9fend\u00eet de toutes ses forces. Le jour o\u00f9 il devait \u00eatre consacr\u00e9, il\nparla au peuple, organisa une procession et des litanies, et exhorta les\nfid\u00e8les \u00e0 prier Dieu avec plus de ferveur. Et pendant que le peuple,\nrassembl\u00e9 autour de lui, priait, la peste fit p\u00e9rir, en moins d\u2019une\nheure, quatre-vingt-dix personnes, parmi les auditeurs; mais Gr\u00e9goire\nn\u2019en continua pas moins \u00e0 pr\u00eacher, exhortant le peuple \u00e0 ne se rel\u00e2cher\nde sa pri\u00e8re que quand la peste aurait disparu. Puis, la procession\nachev\u00e9e, il voulut s\u2019enfuir de Rome, pour emp\u00eacher qu\u2019on le consacr\u00e2t\ncomme pape. Mais il ne le put, car les portes \u00e9taient gard\u00e9es jour et\nnuit afin qu\u2019il ne p\u00fbt sortir. Il obtint enfin de certains marchands\nd\u2019\u00eatre transport\u00e9 hors de la ville dans un tonneau; et, se r\u00e9fugiant\ndans une caverne, au fond des bois, il y resta cach\u00e9 pendant trois\njours. Mais les hommes envoy\u00e9s \u00e0 sa recherche aper\u00e7urent une colonne\nlumineuse qui descendait du ciel jusque sur l\u2019endroit o\u00f9 il \u00e9tait cach\u00e9;\net un moine reconnut, dans cette colonne, des anges qui montaient et\ndescendaient. Aussit\u00f4t Gr\u00e9goire fut pris et tra\u00een\u00e9 \u00e0 Rome par le peuple\ntout entier, et consacr\u00e9 en qualit\u00e9 de souverain pontife.\nLa peste continuant \u00e0 s\u00e9vir, il ordonna que, le jour de P\u00e2ques, on\npromen\u00e2t en procession, autour de la ville, l\u2019image de la sainte Vierge\nque poss\u00e8de l\u2019\u00e9glise de Sainte-Marie Majeure, et qui fut peinte, dit-on,\npar saint Luc, aussi habile dans l\u2019art de la peinture que dans celui de\nla m\u00e9decine. Et aussit\u00f4t l\u2019image sacr\u00e9e dissipa l\u2019infection de l\u2019air,\ncomme si la peste ne pouvait supporter sa pr\u00e9sence; partout o\u00f9 passait\nl\u2019image, l\u2019air devenait pur et vivifiant. Et l\u2019on raconte que, autour de\nl\u2019image, la voix des anges se fit entendre, chantant: \u00abReine des cieux,\nr\u00e9jouis-toi, all\u00e9luia, car ton divin fils est ressuscit\u00e9, all\u00e9luia,\ncomme il l\u2019a dit, all\u00e9luia.\u00bb Et aussit\u00f4t saint Gr\u00e9goire ajouta: \u00abM\u00e8re de\nDieu, priez pour nous, all\u00e9luia!\u00bb Alors il vit, au-dessus de la\nforteresse de Crescence, un grand ange qui essuyait et remettait au\nfourreau un glaive ensanglant\u00e9; et le saint comprit que la peste \u00e9tait\nfinie; et en effet elle l\u2019\u00e9tait. Et depuis lors cette forteresse prit le\nnom de Fort-Saint-Ange. Apr\u00e8s quoi saint Gr\u00e9goire, r\u00e9alisant son ancien\nd\u00e9sir, envoya en Angleterre Augustin, M\u00e9litus, Jean, et quelques autres\npr\u00eatres, et convertit les Anglais, par leur entremise, comme aussi par\nses pri\u00e8res et par ses m\u00e9rites.\nV. Telle \u00e9tait l\u2019humilit\u00e9 de saint Gr\u00e9goire, que jamais il ne permettait\nqu\u2019on f\u00eet son \u00e9loge. A l\u2019\u00e9v\u00eaque Etienne, qui l\u2019avait lou\u00e9 dans ses\nlettres, il r\u00e9pondait: \u00abVous m\u2019accablez d\u2019\u00e9loges dans vos lettres, et\ncependant il est \u00e9crit qu\u2019on doit s\u2019abstenir de louer un homme aussi\nlongtemps qu\u2019il vit.\u00bb De m\u00eame, dans une lettre \u00e0 Anastase, patriarche\nd\u2019Antioche: \u00abLes \u00e9loges que vous me donnez m\u2019embarrassent fort. Car je\nconsid\u00e8re ce que je suis, et j\u2019ai conscience de ne rien avoir qui m\u00e9rite\nde telles \u00e9loges; et, d\u2019autre part, consid\u00e9rant ce que vous \u00eates, je\nn\u2019admets point que vous puissiez mentir.\u00bb Quant aux appellations\nflatteuses, il les rejetait absolument. Il \u00e9crivait \u00e0 Euloge, patriarche\nd\u2019Alexandrie, qui l\u2019avait appel\u00e9 _pape universel_: \u00abJe prie Votre\nSaintet\u00e9 de ne plus m\u2019appeler de ce titre. Car ce n\u2019est point un honneur\npour moi qu\u2019un titre obtenu aux d\u00e9pens de mes fr\u00e8res!\u00bb Et lorsque Jean,\n\u00e9v\u00eaque de Constantinople, eut obtenu par fraude du Synode le titre de\npape universel, saint Gr\u00e9goire \u00e9crivit \u00e0 son sujet: \u00abQui est celui qui,\ncontre les statuts \u00e9vang\u00e9liques, contre les d\u00e9crets canoniques, ose\ns\u2019affubler d\u2019un titre nouveau?\u00bb Il n\u2019admettait m\u00eame point que les autres\n\u00e9v\u00eaques le consid\u00e9rassent comme leur donnant des ordres; et il \u00e9crivait\n\u00e0 Euloge: \u00abJe vous prie de ne plus employer, \u00e0 mon endroit, l\u2019expression\nd\u2019_ordres_, car je sais qui je suis et qui vous \u00eates: en titre, vous\n\u00eates mes fr\u00e8res, en saintet\u00e9, vous \u00eates mes p\u00e8res!\u00bb Dans l\u2019exc\u00e8s de son\nhumilit\u00e9, il ne tol\u00e9rait point que les femmes se dissent ses servantes.\nIl \u00e9crivait \u00e0 la patricienne Rusticana: \u00abUne chose m\u2019a f\u00e2ch\u00e9, dans votre\nlettre: c\u2019est que, \u00e0 plusieurs reprises, vous vous y soyez appel\u00e9e _ma\nservante_. Comment pouvez-vous vous dire la servante d\u2019un homme qui, en\nacceptant la charge de l\u2019\u00e9piscopat, est devenu le serviteur de tous?\u00bb Le\npremier, il se proclama \u00able serviteur des serviteurs de Dieu\u00bb; et il\nordonna que ses successeurs porteraient le m\u00eame titre. Il ne voulut pas\nnon plus, par humilit\u00e9, publier ses livres de son vivant; et, en\ncomparaison des livres des autres, il tenait les siens pour d\u00e9nu\u00e9s de\ntoute valeur. Il \u00e9crivait \u00e0 Innocent, pr\u00e9fet d\u2019Afrique: \u00abQue vous me\ndemandiez communication de mes Commentaires sur _Job_, cela fait honneur\n\u00e0 votre application. Mais si vous d\u00e9sirez vous nourrir d\u2019un aliment\nd\u00e9licieux, lisez plut\u00f4t les ouvrages de votre compatriote saint\nAugustin, et, pouvant jouir de cet or, ne vous occupez point de mon\nmis\u00e9rable billon!\u00bb On lit aussi, dans un livre traduit du grec en latin,\nqu\u2019un saint abb\u00e9 nomm\u00e9 Jean, \u00e9tant venu \u00e0 Rome pour voir les tombeaux\ndes ap\u00f4tres, rencontra le pape Gr\u00e9goire passant par la ville. Et\nGr\u00e9goire, voyant qu\u2019il voulait s\u2019agenouiller devant lui, prit les\ndevants, s\u2019agenouilla le premier devant l\u2019abb\u00e9, et ne se releva qu\u2019apr\u00e8s\nque l\u2019abb\u00e9 se fut relev\u00e9.\nVI. La charit\u00e9 de saint Gr\u00e9goire \u00e9galait son humilit\u00e9. Il \u00e9tait si\ncharitable qu\u2019il pourvoyait aux besoins non seulement des pauvres de\nRome, mais aussi de pauvres des pays les plus lointains. Il avait fait\ndresser une liste de tous les indigents, et leur venait largement en\naide. Il envoyait des secours aux moines du mont Sina\u00ef, entretenait \u00e0\nses frais un monast\u00e8re fond\u00e9 par lui \u00e0 J\u00e9rusalem, et offrait tous les\nans quatre-vingts livres d\u2019or dont vivaient trois mille servantes de\nDieu. Il recevait tous les jours \u00e0 sa table les p\u00e8lerins et autres\n\u00e9trangers, quels qu\u2019ils fussent. Et parmi ces h\u00f4tes il y en eut un qui,\nau moment o\u00f9 saint Gr\u00e9goire s\u2019appr\u00eatait \u00e0 lui verser l\u2019eau du\nlave-mains, disparut sans qu\u2019on s\u00fbt par o\u00f9 il \u00e9tait pass\u00e9. Et, la nuit\nsuivante, le Seigneur apparut \u00e0 saint Gr\u00e9goire, et lui dit: \u00abLes autres\njours, tu me re\u00e7ois dans la personne des pauvres; mais, hier, c\u2019est ma\npropre personne que tu as re\u00e7ue.\u00bb\nUn autre jour, il avait demand\u00e9 \u00e0 son chancelier d\u2019inviter \u00e0 sa table\ndouze p\u00e8lerins. Et, pendant le repas, consid\u00e9rant les convives, il vit\nqu\u2019ils \u00e9taient treize, et le fit remarquer \u00e0 son chancelier. Mais\ncelui-ci, apr\u00e8s les avoir compt\u00e9s, lui dit: \u00abCroyez-moi, Saint-P\u00e8re, ils\nne sont que douze!\u00bb Et Gr\u00e9goire s\u2019aper\u00e7ut alors que l\u2019un des convives,\nassis non loin de lui, changeait constamment de figure, ayant tant\u00f4t\nl\u2019apparence d\u2019un jeune homme, et tant\u00f4t d\u2019un vieillard. Quand le repas\nfut achev\u00e9, Gr\u00e9goire conduisit ce convive dans sa chambre et le supplia\nde daigner lui dire son nom. Et le convive lui r\u00e9pondit: \u00abEh bien, sache\nque je suis ce naufrag\u00e9 \u00e0 qui tu as, jadis, donn\u00e9 l\u2019\u00e9cuelle d\u2019argent o\u00f9\nta m\u00e8re avait l\u2019habitude de t\u2019envoyer des l\u00e9gumes! Et sache aussi que\nc\u2019est depuis le jour o\u00f9 tu m\u2019as donn\u00e9 cette \u00e9cuelle que le Seigneur t\u2019a\ndestin\u00e9 \u00e0 devenir le chef de son Eglise et le successeur de l\u2019ap\u00f4tre\nPierre.\u00bb Et Gr\u00e9goire: \u00abMais toi, comment as-tu su que le Seigneur me\ndestinait \u00e0 ces fonctions?\u00bb Et l\u2019inconnu: \u00abJe l\u2019ai su parce que je suis\nun ange, charg\u00e9 maintenant par le Seigneur de veiller sur toi.\u00bb Et\naussit\u00f4t il disparut.\nVII. Il y avait alors un ermite, homme d\u2019une grande vertu, qui avait\ntout abandonn\u00e9 pour se consacrer \u00e0 Dieu, et qui ne poss\u00e9dait rien qu\u2019une\nchatte, qu\u2019il s\u2019amusait parfois \u00e0 caresser sur ses genoux. Cet ermite\npria Dieu de lui r\u00e9v\u00e9ler en quelle compagnie il serait admis dans la\ndemeure c\u00e9leste, en r\u00e9compense de son renoncement. Et Dieu lui r\u00e9v\u00e9la\nqu\u2019il y serait admis en compagnie de Gr\u00e9goire, le pontife de Rome. Sur\nquoi l\u2019ermite fut d\u00e9sol\u00e9, se disant que sa pauvret\u00e9 ne lui profiterait\ngu\u00e8re, si elle ne suffisait pas pour le mettre au-dessus d\u2019un homme\naussi riche en richesses mondaines. Mais le Seigneur lui dit: \u00abLe riche\nn\u2019est pas celui qui poss\u00e8de la richesse, mais celui qui la d\u00e9sire. Et tu\nne saurais comparer ta pauvret\u00e9 \u00e0 la richesse de Gr\u00e9goire, car tu prends\nplus de plaisir \u00e0 caresser ta chatte que Gr\u00e9goire \u00e0 poss\u00e9der des biens\nqu\u2019il m\u00e9prise, et dont il ne se sert que pour subvenir aux besoins de\ntous.\u00bb Et le solitaire pria Dieu, depuis lors, de lui faire la gr\u00e2ce de\nl\u2019admettre aux r\u00e9compenses r\u00e9serv\u00e9es \u00e0 saint Gr\u00e9goire.\nVIII. Ayant \u00e9t\u00e9 accus\u00e9 devant l\u2019empereur Maurice et ses fils d\u2019avoir\ncaus\u00e9 la mort d\u2019un \u00e9v\u00eaque, Gr\u00e9goire \u00e9crivit \u00e0 un familier de l\u2019empereur\nune lettre o\u00f9 il disait: \u00abFais entendre \u00e0 mes ma\u00eetres que si moi, leur\nesclave, je voulais me m\u00ealer de nuire aux Lombards, la race des Lombards\nn\u2019aurait plus aujourd\u2019hui ni roi, ni chefs, et serait dans la confusion.\nMais je crains trop Dieu pour oser me m\u00ealer de causer la mort de\npersonne.\u00bb Admirable humilit\u00e9: car Gr\u00e9goire, qui \u00e9tait souverain\npontife, s\u2019appelait l\u2019esclave de l\u2019empereur, et appelait celui-ci son\nma\u00eetre! Admirable innocence: car l\u2019empereur lombard Maurice pers\u00e9cutait\nGr\u00e9goire et l\u2019Eglise de Dieu, et Gr\u00e9goire se refusait \u00e0 causer la mort\nde ses pires ennemis! Il \u00e9crivait, entre autres choses, \u00e0 Maurice: \u00abJe\nsuis si plein de p\u00e9ch\u00e9s que, sans doute, vous apaisez Dieu d\u2019autant plus\nque vous me pers\u00e9cutez davantage.\u00bb Mais un jour l\u2019empereur vit se\ndresser devant lui un inconnu qui, v\u00eatu en moine, brandissait devant lui\nune \u00e9p\u00e9e tir\u00e9e du fourreau, et lui pr\u00e9disait la mort par l\u2019\u00e9p\u00e9e.\nAussit\u00f4t Maurice, effray\u00e9, cessa de pers\u00e9cuter Gr\u00e9goire, et pria Dieu de\nle punir plut\u00f4t dans cette vie que de r\u00e9server son ch\u00e2timent pour la vie\n\u00e0 venir. Et aussit\u00f4t la voix divine ordonna, dans une vision, que\nMaurice, sa femme, ses fils et ses filles fussent livr\u00e9s, pour \u00eatre\ntu\u00e9s, au soldat Phocas. Et ainsi fut fait: car, peu de temps apr\u00e8s, un\nsoldat nomm\u00e9 Phocas tua l\u2019empereur avec toute sa famille, et lui succ\u00e9da\nau tr\u00f4ne imp\u00e9rial.\nIX. Un jour de P\u00e2ques, Gr\u00e9goire, c\u00e9l\u00e9brant la messe dans l\u2019\u00e9glise de\nSainte-Marie Majeure, venait de dire: _Pax Domini!_ Et voici qu\u2019un ange\nlui r\u00e9pondit \u00e0 haute voix: _Et cum spiritu tuo!_ C\u2019est depuis lors que\nle pape, au jour de P\u00e2ques, officie dans cette \u00e9glise, et, que,\nlorsqu\u2019il dit _Pax Domini_, personne des assistants n\u2019a le droit de lui\nr\u00e9pondre.\nX. Il y avait eu autrefois \u00e0 Rome un empereur pa\u00efen nomm\u00e9 Trajan qui,\nquoique pa\u00efen, avait montr\u00e9 une grande bont\u00e9. On racontait que, un jour\nqu\u2019il se h\u00e2tait de partir pour une guerre, une veuve \u00e9tait venue le\ntrouver, toute en larmes, lui disant: \u00abJe te supplie de venger le sang\nde mon fils, tu\u00e9 injustement!\u00bb Trajan lui avait r\u00e9pondu que, s\u2019il\nrevenait vivant de la guerre, il vengerait la mort du jeune homme. Mais\nla veuve: \u00abEt si tu meurs \u00e0 la guerre, qui me fera justice?\u00bb Et Trajan:\n\u00abCelui qui r\u00e9gnera apr\u00e8s moi!\u00bb Et la veuve: \u00abMais toi, quel profit en\nauras-tu, si c\u2019est un autre qui me fait justice?\u00bb Et Trajan: \u00abAucun\nprofit!\u00bb Et la veuve: \u00abNe vaut-il pas mieux pour toi que tu me fasses\njustice toi-m\u00eame, de mani\u00e8re \u00e0 t\u2019assurer la r\u00e9compense de ta bonne\naction?\u00bb Et Trajan, \u00e9mu de piti\u00e9, \u00e9tait descendu de son cheval, et\ns\u2019\u00e9tait occup\u00e9 de faire justice du meurtre de l\u2019innocent. On raconte\naussi qu\u2019un fils de Trajan, parcourant \u00e0 cheval les rues de la ville,\navait tu\u00e9 le fils d\u2019une pauvre femme: sur quoi l\u2019empereur avait donn\u00e9\nson propre fils comme esclave \u00e0 la m\u00e8re de la victime, et avait\nmagnifiquement dot\u00e9 cette femme.\nOr, comme un jour, Gr\u00e9goire passait par le Forum de Trajan, le souvenir\nlui revint de la justice et de la bont\u00e9 de ce vieil empereur: si bien\nque, en arrivant \u00e0 la basilique de Saint-Pierre, il pleura am\u00e8rement sur\nlui et pria pour lui. Et voici qu\u2019une voix d\u2019en-haut lui r\u00e9pondit:\n\u00abGr\u00e9goire, j\u2019ai accueilli ta demande et lib\u00e9r\u00e9 Trajan de la peine\n\u00e9ternelle; mais prends bien garde \u00e0 l\u2019avenir de ne plus prier pour aucun\ndamn\u00e9!\u00bb D\u2019apr\u00e8s Damasc\u00e8ne, la voix aurait simplement dit \u00e0 Gr\u00e9goire:\n\u00abJ\u2019exauce ta pri\u00e8re et je pardonne \u00e0 Trajan.\u00bb Ce point est absolument\nhors de doute, mais on ne s\u2019accorde pas sur les d\u00e9tails qui l\u2019entourent.\nLes uns pr\u00e9tendent que Trajan a \u00e9t\u00e9 rappel\u00e9 \u00e0 la vie, de fa\u00e7on \u00e0 pouvoir\ndevenir chr\u00e9tien et obtenir ainsi son pardon. D\u2019autres disent que l\u2019\u00e2me\nde Trajan ne fut pas absolument lib\u00e9r\u00e9e du supplice \u00e9ternel, mais que sa\npeine fut simplement suspendue jusqu\u2019au jour du jugement dernier.\nD\u2019autres encore soutiennent que la punition de Trajan fut simplement\nadoucie, \u00e0 la demande de Gr\u00e9goire. D\u2019autres--comme le diacre Jean, qui a\ncompil\u00e9 l\u2019histoire du saint--affirment que celui-ci n\u2019a point pri\u00e9 pour\nTrajan, mais pleur\u00e9 pour lui. D\u2019autres estiment que Trajan a \u00e9t\u00e9 exempt\u00e9\nde la peine mat\u00e9rielle, qui consiste \u00e0 \u00eatre tourment\u00e9 en enfer, mais\nqu\u2019il n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 exempt\u00e9 de la peine morale, qui consiste \u00e0 \u00eatre priv\u00e9\nde la vue de Dieu.\nCertains auteurs veulent aussi que la voix c\u00e9leste, apr\u00e8s avoir accord\u00e9\n\u00e0 Gr\u00e9goire le pardon de Trajan, ait ajout\u00e9: \u00abMais toi, pour avoir pri\u00e9\npour un damn\u00e9, tu dois \u00eatre puni! Choisis donc entre deux peines: ou\nbien deux jours de souffrances en purgatoire apr\u00e8s ta mort, ou bien,\npour tout le temps qui te reste \u00e0 vivre, une vie de souffrance et de\nmaladie!\u00bb Et le saint aurait choisi ce dernier parti. Le fait est que,\ndepuis lors, il ne cessa plus d\u2019\u00eatre malade, tourment\u00e9 tant\u00f4t par la\nfi\u00e8vre, tant\u00f4t par la goutte, tant\u00f4t par des maux d\u2019estomac\nintol\u00e9rables. Il \u00e9crit, dans une de ses lettres: \u00abLa goutte et d\u2019autres\nmaladies me font tant souffrir que la vie me p\u00e8se, et que j\u2019aspire au\nrem\u00e8de que me sera la mort.\u00bb\nXI. Une femme qui, parfois, offrait du pain \u00e0 l\u2019\u00e9glise, suivant l\u2019usage\ndes fid\u00e8les, se mit un jour \u00e0 sourire en entendant saint Gr\u00e9goire\ns\u2019\u00e9crier \u00e0 l\u2019autel, pendant la cons\u00e9cration de l\u2019hostie: \u00abQue le corps\nde Notre-Seigneur J\u00e9sus-Christ te profite dans la vie \u00e9ternelle!\u00bb\nAussit\u00f4t le saint d\u00e9tourna la main qui allait mettre l\u2019hostie dans la\nbouche de cette femme, et d\u00e9posa la sainte hostie sur l\u2019autel. Puis, en\npr\u00e9sence de tout le peuple, il demanda \u00e0 la femme de quoi elle avait os\u00e9\nrire. Et la femme r\u00e9pondit: \u00abJ\u2019ai ri parce que tu appelais \u00abcorps de\nDieu\u00bb un pain que j\u2019avais p\u00e9tri de mes propres mains.\u00bb Alors Gr\u00e9goire se\nprosterna et pria Dieu pour l\u2019incr\u00e9dulit\u00e9 de cette femme; et, quand il\nse releva, il vit que l\u2019hostie d\u00e9pos\u00e9e sur l\u2019autel s\u2019\u00e9tait chang\u00e9e en un\nmorceau de chair ayant la forme d\u2019un doigt. Il montra alors cette chair\n\u00e0 la femme incr\u00e9dule, qui revint \u00e0 la foi. Et le saint pria de nouveau,\net la chair redevint du pain, et Gr\u00e9goire la donna en communion \u00e0 la\nfemme.\nXII. Certains princes ayant demand\u00e9 au pape des reliques pr\u00e9cieuses,\nGr\u00e9goire leur donna un petit fragment de la dalmatique de saint Jean\nl\u2019Evang\u00e9liste. Or les princes, tenant une telle relique pour indigne\nd\u2019eux, l\u00e0 rendirent d\u00e9daigneusement \u00e0 saint Gr\u00e9goire. Alors celui-ci,\napr\u00e8s avoir pri\u00e9, per\u00e7a l\u2019\u00e9toffe avec la pointe d\u2019un couteau; et\naussit\u00f4t un flot de sang en jaillit, attestant ainsi miraculeusement le\nprix de la relique.\nXIII. Un riche Romain qui avait abandonn\u00e9 sa femme, et que Gr\u00e9goire\navait puni de l\u2019excommunication, voulut se venger du pontife; ne pouvant\nrien par lui-m\u00eame contre lui, il s\u2019adressa \u00e0 des magiciens qui lui\npromirent d\u2019envoyer un d\u00e9mon dans le corps du cheval de Gr\u00e9goire, de\nfa\u00e7on \u00e0 faire p\u00e9rir celui-ci. Et voici que, au moment o\u00f9 Gr\u00e9goire\nmontait sur son cheval, l\u2019animal, poss\u00e9d\u00e9 du d\u00e9mon, se mit \u00e0 ruer si\nfort que personne ne parvenait \u00e0 le retenir. Mais Gr\u00e9goire vit aussit\u00f4t\nle caract\u00e8re diabolique de l\u2019entreprise; et, d\u2019un seul signe de croix,\nil apaisa la fureur du cheval, et rendit aveugles les magiciens, qui\nvinrent confesser leur crime et furent ensuite admis \u00e0 la gr\u00e2ce du\nbapt\u00eame. Gr\u00e9goire refusa cependant de les gu\u00e9rir de leur c\u00e9cit\u00e9, de peur\nqu\u2019ils ne revinssent \u00e0 leur magie, mais il les fit nourrir, leur vie\ndurant, aux frais de l\u2019Eglise.\nXIV. On lit encore, dans le livre que les Grecs appellent _Lymon_, le\ntrait que voici. L\u2019abb\u00e9 du monast\u00e8re fond\u00e9 par saint Gr\u00e9goire vint un\njour dire au saint que l\u2019un des moines avait en sa possession trois\npi\u00e8ces d\u2019argent. Et Gr\u00e9goire, pour faire un exemple, excommunia ce\nmoine. Or, peu de temps apr\u00e8s, le moine mourut, et Gr\u00e9goire, en\napprenant sa mort, fut d\u00e9sol\u00e9 de l\u2019avoir laiss\u00e9 mourir sans absolution.\nIl \u00e9crivit du moins, sur une feuille de papier, un acte par lequel il\nabsolvait le d\u00e9funt de l\u2019excommunication prononc\u00e9e contre lui; et il\nchargea un de ses diacres de placer ce papier sur la poitrine du moine.\nEt, la nuit suivante, le moine apparut \u00e0 son abb\u00e9 et lui dit que, depuis\nsa mort, il avait \u00e9t\u00e9 tenu en prison, mais qu\u2019il venait enfin de\nrecevoir sa gr\u00e2ce.\nXV. Saint Gr\u00e9goire institua l\u2019office et le chant eccl\u00e9siastiques, ainsi\nqu\u2019une \u00e9cole de chant. Et il fit \u00e9lever, \u00e0 cette intention, deux\nmaisons: l\u2019une proche la basilique de Saint-Pierre, l\u2019autre proche\nl\u2019\u00e9glise de Latran. On montre aujourd\u2019hui encore, dans l\u2019une de ces\nmaisons, le lit sur lequel il s\u2019\u00e9tendait pour composer ses chants, le\nfouet dont il mena\u00e7ait les \u00e9l\u00e8ves de l\u2019\u00e9cole, ainsi qu\u2019un antiphonaire\n\u00e9crit de sa main. C\u2019est aussi lui qui ajouta au canon de la messe les\nparoles suivantes: \u00abEt nous te prions de maintenir nos jours dans ta\npaix, de nous sauver de la damnation \u00e9ternelle, et de nous admettre dans\nle troupeau de tes \u00e9lus!\u00bb\nEnfin saint Gr\u00e9goire, apr\u00e8s avoir si\u00e9g\u00e9 sur le tr\u00f4ne de saint Pierre\npendant treize ans, six mois, et dix jours, s\u2019endormit dans le Seigneur,\ntout plein de bonnes \u0153uvres. Sa mort eut lieu en l\u2019an 604, sous le r\u00e8gne\nde Phocas.\nXVI. Apr\u00e8s sa mort, Rome et toute la r\u00e9gion furent envahies par la\nfamine; et les pauvres, que Gr\u00e9goire avait coutume de nourrir\ng\u00e9n\u00e9reusement, venaient trouver son successeur et lui disaient:\n\u00abSeigneur, notre p\u00e8re Gr\u00e9goire avait coutume de nous nourrir, que Ta\nSaintet\u00e9 ne nous laisse pas mourir de faim!\u00bb Mais ces paroles irritaient\nle pape, qui r\u00e9pondait: \u00abGr\u00e9goire a toujours eu en vue la popularit\u00e9 et\ny a tout sacrifi\u00e9; mais nous, nous ne pouvons rien pour vous!\u00bb Sur quoi\nil renvoyait les pauvres sans les secourir. Alors saint Gr\u00e9goire lui\napparut trois fois, et le gronda doucement de sa duret\u00e9 comme de son\ninjustice. Mais le pape ne prit aucun soin de s\u2019amender. La quatri\u00e8me\nfois, Gr\u00e9goire lui apparut avec un visage terrible et le frappa \u00e0 la\nt\u00eate: et le pape mourut peu de temps apr\u00e8s.\nPendant que la m\u00eame famine durait encore, quelques envieux commenc\u00e8rent\n\u00e0 d\u00e9pr\u00e9cier saint Gr\u00e9goire, affirmant qu\u2019il avait gaspill\u00e9, en prodigue,\ntout le tr\u00e9sor de l\u2019Eglise. Et, pour s\u2019en venger sur sa m\u00e9moire, ils\nengag\u00e8rent le clerg\u00e9 \u00e0 br\u00fbler les \u00e9crits du saint. On en br\u00fbla\neffectivement un certain nombre; et l\u2019on s\u2019appr\u00eatait \u00e0 br\u00fbler le reste,\nlorsque le diacre Pierre, qui avait \u00e9t\u00e9 le familier du saint, et \u00e0 qui\ncelui-ci avait dict\u00e9 les quatre livres de ses _Dialogues_, s\u2019opposa\nvivement \u00e0 cette destruction. Il dit d\u2019abord qu\u2019elle ne pouvait servir \u00e0\nrien, les \u00e9crits du saint s\u2019\u00e9tant r\u00e9pandus dans toutes les parties du\nmonde. Et il ajouta que c\u2019\u00e9tait un horrible sacril\u00e8ge de d\u00e9truire\nl\u2019\u0153uvre d\u2019un homme sur la t\u00eate duquel il avait vu si souvent descendre\nl\u2019Esprit-Saint sous la forme d\u2019une colombe. Et le diacre dit que, pour\nattester la v\u00e9rit\u00e9 de cette affirmation, il \u00e9tait pr\u00eat \u00e0 mourir\naussit\u00f4t; et il d\u00e9clara que, s\u2019il n\u2019obtenait point la mort qu\u2019il\ndemandait, il consentirait \u00e0 ce que les livres de son ma\u00eetre fussent\nd\u00e9truits. Car saint Gr\u00e9goire lui avait dit que, si jamais il r\u00e9v\u00e9lait le\nmiracle de la sainte colombe, il mourrait sur-le-champ. Apr\u00e8s quoi le\nv\u00e9n\u00e9rable Pierre rev\u00eatit son costume solennel de diacre, et jura, sur\nles saints Evangiles, la v\u00e9rit\u00e9 de ce qu\u2019il avait affirm\u00e9; et, au moment\no\u00f9 il achevait son serment, son \u00e2me s\u2019envola au ciel sans \u00e9prouver les\ndouleurs de la mort.\nXVII. Un moine du monast\u00e8re de saint Gr\u00e9goire avait amass\u00e9 une somme\nd\u2019argent. Alors le saint apparut en r\u00eave \u00e0 un autre moine et lui dit de\nsignifier \u00e0 son compagnon qu\u2019il e\u00fbt \u00e0 distribuer son p\u00e9cule et \u00e0 faire\np\u00e9nitence, faute de quoi il mourrait le troisi\u00e8me jour. Ce qu\u2019entendant,\nle moine, \u00e9pouvant\u00e9, fit p\u00e9nitence et distribua son p\u00e9cule. Mais il n\u2019en\nfut pas moins saisi d\u2019une fi\u00e8vre si forte que, pendant trois jours, il\nparut sur le point de rendre l\u2019\u00e2me. Ses fr\u00e8res, l\u2019entourant, chantaient\ndes psaumes, jusqu\u2019\u00e0 ce que, le troisi\u00e8me jour, s\u2019interrompant de\nchanter, ils se mirent \u00e0 l\u2019accabler de reproches. Mais voici que soudain\nle moine, revivant, et rouvrant les yeux avec un sourire, leur dit: \u00abQue\nle Seigneur vous pardonne, mes fr\u00e8res, de m\u2019avoir si durement jug\u00e9! Et\nsi d\u00e9sormais vous voyez quelqu\u2019un en train de mourir, puissiez-vous lui\naccorder non des reproches, mais votre compassion! Sachez donc que je\nviens de passer en jugement, avec un diable pour accusateur, et que,\navec l\u2019aide de saint Gr\u00e9goire, j\u2019ai bien r\u00e9pondu \u00e0 toutes les objections\nde l\u2019ennemi, sauf \u00e0 une seule, que j\u2019ai d\u00fb reconna\u00eetre pour fond\u00e9e et \u00e0\ncause de laquelle j\u2019ai subi ces trois jours de tortures. Puis il\ns\u2019\u00e9cria: \u00abO Andr\u00e9, Andr\u00e9, tu p\u00e9riras d\u00e8s cette ann\u00e9e, toi qui, par tes\nmauvais conseils, m\u2019as expos\u00e9 \u00e0 un tel danger!\u00bb Et l\u00e0-dessus le moine\nmourut. Or il y avait \u00e0 Rome un certain Andr\u00e9 qui, \u00e0 l\u2019instant m\u00eame o\u00f9\nle moine le nomma ainsi par son nom, fut atteint d\u2019un mal \u00e9pouvantable,\nmais sans parvenir \u00e0 mourir malgr\u00e9 ses souffrances. Et ce malheureux\nayant appel\u00e9 pr\u00e8s de lui les moines du monast\u00e8re, leur avoua que, sur\nson conseil, le moine d\u00e9funt avait vol\u00e9 quelques-uns des manuscrits de\nla biblioth\u00e8que et les avait vendus \u00e0 des \u00e9trangers. Et \u00e0 peine eut-il\nachev\u00e9 cette confession qu\u2019il ferma les yeux et rendit l\u2019\u00e2me.\nXVIII. En un temps o\u00f9 l\u2019office ambrosien \u00e9tait encore employ\u00e9 dans les\n\u00e9glises plus volontiers que l\u2019office gr\u00e9gorien, le pape Adrien r\u00e9unit un\nconcile qui d\u00e9cida que l\u2019office gr\u00e9gorien devait seul \u00eatre\nuniversellement observ\u00e9. Et, conform\u00e9ment \u00e0 cette d\u00e9cision, l\u2019empereur\nCharlemagne obligeait, par des menaces et des supplices le clerg\u00e9 de\ntoutes ses provinces \u00e0 employer l\u2019office gr\u00e9gorien, br\u00fblait les livres\nde l\u2019office ambrosien, et mettait en prison bon nombre de pr\u00eatres qui\nvoulaient rester fid\u00e8les \u00e0 cet office. Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque saint Eug\u00e8ne\nconseilla au pape de rappeler le concile; et ce nouveau concile d\u00e9cida\nque le missel ambrosien et le missel gr\u00e9gorien seraient plac\u00e9s, c\u00f4te \u00e0\nc\u00f4te, sur l\u2019autel de Saint-Pierre, que les portes de l\u2019\u00e9glise seraient\nferm\u00e9es et cachet\u00e9es du sceau des \u00e9v\u00eaques et du concile; et que ceux-ci,\ntoute la nuit, prieraient Dieu de leur r\u00e9v\u00e9ler, par quelque signe,\nlequel des deux offices devait \u00eatre employ\u00e9 de pr\u00e9f\u00e9rence dans les\n\u00e9glises. Et, tout cela ayant \u00e9t\u00e9 fait, lorsqu\u2019on rouvrit les portes de\nl\u2019\u00e9glise, le lendemain matin, les deux missels qu\u2019on avait laiss\u00e9s\nferm\u00e9s furent trouv\u00e9s tous deux \u00e9galement ouverts. Mais une autre\nversion veut que le missel gr\u00e9gorien ait \u00e9t\u00e9 miraculeusement divis\u00e9, et\nqu\u2019on ait trouv\u00e9 ses pages \u00e9parses sur l\u2019autel, tandis que le missel\nambrosien \u00e9tait ouvert, mais restait \u00e0 la place o\u00f9 on l\u2019avait mis: ce\nqui fut consid\u00e9r\u00e9 comme un signe pour faire entendre que l\u2019office\ngr\u00e9gorien devait se r\u00e9pandre \u00e0 travers le monde, tandis que l\u2019ambrosien\ndevait continuer \u00e0 \u00eatre employ\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise de Saint-Ambroise. Et, en\neffet, c\u2019est l\u00e0 ce que d\u00e9cid\u00e8rent les P\u00e8res du concile et qui est en\nusage aujourd\u2019hui encore.\nXIX. Le diacre Jean, qui a compil\u00e9 la vie de saint Gr\u00e9goire, raconte\nceci. Un jour, pendant qu\u2019il \u00e9tait occup\u00e9 \u00e0 son travail, un inconnu se\nmontra devant lui, portant les signes sacerdotaux, et v\u00eatu d\u2019un manteau\nblanc si transparent qu\u2019on voyait, par-dessous, le noir de la tunique.\nCet inconnu s\u2019approcha du diacre et \u00e9clata de rire. Et comme Jean lui\ndemandait ce qui pouvait faire rire de la sorte un personnage aussi\ngrave, il lui r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est de te voir \u00e9crivant l\u2019histoire de morts\nque tu n\u2019as jamais connus de leur vivant!\u00bb Et Jean lui dit: \u00abJe n\u2019ai pas\nconnu personnellement saint Gr\u00e9goire, c\u2019est vrai, mais j\u2019\u00e9cris sur lui\nce que l\u2019on m\u2019en a rapport\u00e9.\u00bb Et l\u2019\u00e9tranger: \u00abAu reste, peu m\u2019importe ce\nque tu fais; mais moi, je ne cesserai pas de faire ce que je puis!\u00bb Et,\nl\u00e0-dessus, le voici qui \u00e9teint la lampe \u00e0 la lumi\u00e8re de laquelle\n\u00e9crivait le diacre, et qui lui donne un coup si fort que le pauvre\ndiacre s\u2019imagine \u00eatre tu\u00e9. Alors se pr\u00e9sente \u00e0 lui saint Gr\u00e9goire, ayant\n\u00e0 sa droite saint Nicolas, \u00e0 sa gauche le diacre Pierre; et il lui dit:\n\u00abHomme de peu de foi, pourquoi as-tu dout\u00e9?\u00bb Et comme l\u2019inconnu se\ncachait sous le lit, Gr\u00e9goire prend des mains de Pierre une grande\ntorche et br\u00fble le visage de cet inconnu au point de le rendre noir,\ncomme un Ethiopien. Une \u00e9tincelle tombe alors sur le manteau blanc et le\nconsume; et cet inconnu, qui n\u2019est autre que le diable, appara\u00eet noir\ncomme de la suie. Et le diacre Pierre dit \u00e0 saint Gr\u00e9goire: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9\nnous l\u2019avons bien noirci!\u00bb Et Gr\u00e9goire: \u00abCe n\u2019est pas nous qui l\u2019avons\nnoirci, nous l\u2019avons simplement fait para\u00eetre tel qu\u2019il \u00e9tait!\u00bb Sur quoi\nils s\u2019envolent, laissant dans la cellule de Jean un grande lumi\u00e8re.\nXLVII\nSAINT LONGIN, MARTYR\n(15 mars)\nLongin \u00e9tait le centurion qui avait \u00e9t\u00e9 charg\u00e9 par Pilate d\u2019assister,\navec ses soldats, \u00e0 la crucifixion du Seigneur, et qui avait perc\u00e9 de sa\nlance le flanc divin. Il se convertit \u00e0 la foi en voyant les signes qui\nsuivirent la mort de J\u00e9sus, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019\u00e9clipse du soleil et le\ntremblement de terre. Mais on dit que ce qui contribua surtout \u00e0 le\nconvertir fut que, souffrant d\u2019un mal d\u2019yeux, il toucha par hasard ses\nyeux avec une goutte du sang du Christ, qui d\u00e9coulait le long de sa\nlance, et recouvra aussit\u00f4t la sant\u00e9. Il renon\u00e7a au service militaire,\nse fit instruire par les ap\u00f4tres, et, pendant vingt-huit ans, mena la\nvie monastique \u00e0 C\u00e9sar\u00e9e de Cappadoce, faisant de nombreuses conversions\npar sa parole et son exemple.\nIl fut amen\u00e9 devant le gouverneur de la province, qui, sur son refus de\nsacrifier aux idoles, lui fit arracher toutes les dents et couper la\nlangue. Mais Longin ne perdit point, pour cela, le don de la parole.\nSaisissant une hache, il se mit \u00e0 briser toutes les idoles, en disant:\n\u00abSi ce sont des dieux, qu\u2019ils le fassent voir!\u00bb Et de toutes les idoles\nsortirent des d\u00e9mons, qui entr\u00e8rent dans le corps du gouverneur et de\nses compagnons. Et Longin dit \u00e0 ces d\u00e9mons: \u00abPourquoi habitez-vous dans\nles idoles?\u00bb Ils r\u00e9pondirent: \u00abNous nous logeons partout o\u00f9 n\u2019est pas\ninvoqu\u00e9 le nom du Christ et o\u00f9 ne figure pas le signe de la croix!\u00bb\nCependant le gouverneur avait perdu la vue. Et Longin lui dit: \u00abSache,\nmon pauvre ami, que tu ne pourras \u00eatre gu\u00e9ri qu\u2019apr\u00e8s m\u2019avoir tu\u00e9! Mais\naussit\u00f4t que tu m\u2019auras tu\u00e9 je prierai pour toi, et obtiendrai la\ngu\u00e9rison de ton corps et de ton \u00e2me!\u00bb Le gouverneur lui fit donc\ntrancher la t\u00eate; apr\u00e8s quoi, se prosternant devant son cadavre, il\npleura et fit p\u00e9nitence; et aussit\u00f4t il recouvra la vue et la sant\u00e9; et\nil acheva sa vie dans les bonnes \u0153uvres.\nXLVIII\nSAINT PATRICE, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(17 mars)\nI. Saint Patrice vivait vers l\u2019an du Seigneur 280. Un jour, pendant\nqu\u2019il pr\u00eachait la Passion du Christ au roi d\u2019Ecosse, il transper\u00e7a par\naccident le pied de ce roi avec la pointe du bourdon sur lequel il\ns\u2019appuyait. Et le roi se laissa faire et souffrit sans se plaindre,\ns\u2019imaginant que le saint \u00e9v\u00eaque l\u2019avait bless\u00e9 \u00e0 dessein, et que, pour\n\u00eatre admis \u00e0 la foi du Christ, on avait d\u2019abord \u00e0 subir des souffrances\npareilles \u00e0 celles qu\u2019avait subies le Christ. Et quand le saint comprit\nla pieuse erreur du roi, il en fut \u00e9merveill\u00e9. Il le gu\u00e9rit par ses\npri\u00e8res et obtint, en outre, pour tout son royaume, que nul animal\nvenimeux ne p\u00fbt y nuire. On dit m\u00eame que, gr\u00e2ce \u00e0 saint Patrice,\nl\u2019\u00e9corce du bois, en Ecosse, a le pouvoir de gu\u00e9rir les venins.\nII. Certain homme avait vol\u00e9 \u00e0 son voisin un mouton et l\u2019avait mang\u00e9.\nSaint Patrice exhorta \u00e0 plusieurs reprises le voleur, quel qu\u2019il f\u00fbt, \u00e0\navouer son vol et \u00e0 faire p\u00e9nitence; et comme personne ne se d\u00e9clarait,\nil ordonna un jour, au nom de J\u00e9sus, en pleine \u00e9glise, que, dans le\nventre du voleur, le mouton d\u00e9rob\u00e9 se f\u00eet conna\u00eetre en b\u00ealant. Et\naussit\u00f4t le mouton se mit \u00e0 b\u00ealer dans le ventre du voleur, qui avoua sa\nfaute et fit p\u00e9nitence. Et les autres habitants s\u2019abstinrent d\u00e9sormais\nde voler.\nIII. Saint Patrice avait coutume de saluer pieusement toutes les croix\nqu\u2019il rencontrait. Mais, un jour, il passa devant une grande et belle\ncroix sans la voir. Ses compagnons le lui ayant fait observer, une voix\nsortit de terre et lui dit: \u00abSi tu n\u2019as pas vu cette croix, c\u2019est que\nl\u2019homme qui est enterr\u00e9 sous elle est un pa\u00efen, et indigne de l\u2019embl\u00e8me\nsacr\u00e9!\u00bb Et saint Patrice fit enlever la croix, qu\u2019on avait mise l\u00e0 par\nerreur.\nIV. Pr\u00eachant en Irlande, et n\u2019obtenant que peu de fruit de sa\npr\u00e9dication, saint Patrice pria Dieu de se r\u00e9v\u00e9ler aux Irlandais par\nquelque signe qui les effray\u00e2t et les amen\u00e2t \u00e0 faire p\u00e9nitence. Alors,\nsur l\u2019ordre de Dieu, il dessina un grand cercle avec son b\u00e2ton, et\naussit\u00f4t la terre s\u2019ouvrit dans ce cercle, et un puits tr\u00e8s profond\napparut. Et saint Patrice apprit, par r\u00e9v\u00e9lation, que ce puits\nconduisait \u00e0 un purgatoire, et que ceux qui voudraient y descendre y\nexpieraient leurs p\u00e9ch\u00e9s et seraient dispens\u00e9s de tout purgatoire apr\u00e8s\nleur mort, mais que la plupart de ceux qui y entreraient n\u2019en pourraient\nplus jamais sortir. Et quelques-uns entr\u00e8rent dans le puits, mais, en\neffet, ils ne revinrent plus.\nOr, longtemps apr\u00e8s la mort de saint Patrice, un noble nomm\u00e9 Nicolas,\nqui avait commis beaucoup de p\u00e9ch\u00e9s, consentit \u00e0 faire p\u00e9nitence en\nentrant dans le purgatoire du saint. Apr\u00e8s s\u2019\u00eatre pr\u00e9par\u00e9 pendant quinze\njours par le je\u00fbne et la pri\u00e8re, il se fit ouvrir l\u2019acc\u00e8s du puits, et\nse trouva dans un oratoire o\u00f9 des moines, v\u00eatus de blanc et occup\u00e9s \u00e0\nofficier, lui dirent de s\u2019armer de constance, car il aurait \u00e0 subir, de\nla part du diable, de nombreuses tentations. Mais ils ajout\u00e8rent que, au\nmoment o\u00f9 il commencerait \u00e0 souffrir, il ne devait pas manquer de\ns\u2019\u00e9crier: \u00abJ\u00e9sus-Christ, fils du Dieu vivant, aie piti\u00e9 de moi malgr\u00e9\nmes p\u00e9ch\u00e9s!\u00bb Puis ces moines disparurent, et Nicolas se trouva entour\u00e9\nde d\u00e9mons qui, d\u2019abord, essay\u00e8rent, par de douces promesses, de\nl\u2019engager \u00e0 leur ob\u00e9ir. Puis, sur son refus, il entendit des\nrugissements de b\u00eates f\u00e9roces, et ce fut comme si tous les \u00e9l\u00e9ments se\nfussent boulevers\u00e9s. Alors, tremblant d\u2019\u00e9pouvante, il s\u2019\u00e9cria:\n\u00abJ\u00e9sus-Christ, fils du Dieu vivant, aie piti\u00e9 de moi malgr\u00e9 mes p\u00e9ch\u00e9s!\u00bb\nEt aussit\u00f4t le tumulte s\u2019apaisa. Nicolas fut ensuite conduit dans un\nautre lieu o\u00f9 une foule de d\u00e9mons l\u2019entour\u00e8rent et lui dirent: \u00abTe\nfigures-tu que tu puisses nous \u00e9chapper? Non, certes, et c\u2019est \u00e0 pr\u00e9sent\nque nous allons commencer \u00e0 te tourmenter!\u00bb Sur quoi il se trouva devant\nun grand feu et les d\u00e9mons lui dirent: \u00abSi tu ne c\u00e8des pas, nous te\njetterons dans ce feu!\u00bb Et en effet ils le saisirent et le jet\u00e8rent dans\nle feu. Mais lui, d\u00e8s qu\u2019il sentit la flamme, il invoqua J\u00e9sus-Christ,\net aussit\u00f4t le feu s\u2019\u00e9teignit. Il fut ensuite conduit dans un autre\nlieu, o\u00f9 il vit des hommes, qu\u2019on br\u00fblait vifs, d\u2019autres qu\u2019on \u00e9crasait\nsur des pointes de fer rouge, d\u2019autres qui, \u00e9tendus \u00e0 plat ventre,\nmordaient la terre en demandant gr\u00e2ce, pendant que des d\u00e9mons les\nrouaient de coups. A d\u2019autres, des serpents d\u00e9voraient les membres; \u00e0\nd\u2019autres, des monstres arrachaient les entrailles avec des pointes de\nfer rouge. Et comme Nicolas refusait toujours d\u2019ob\u00e9ir aux diables,\nceux-ci se pr\u00e9par\u00e8rent \u00e0 lui faire subir ces divers tourments. Mais, de\nnouveau, il invoqua J\u00e9sus, et fut d\u00e9livr\u00e9 de ces tourments, il fut\nensuite transport\u00e9 dans un autre lieu o\u00f9 il vit des hommes qu\u2019on\nenfermait dans une glaci\u00e8re, et o\u00f9 se trouvait une grande roue, portant\ndes hommes accroch\u00e9s \u00e0 chacun de ses rayons; et cette roue tournait si\nvite qu\u2019elle semblait former un cercle de feu. Il vit aussi une grande\nmaison contenant des fosses pleines de m\u00e9tal en fusion; et dans ces\nfosses des hommes plongeaient qui un pied, qui les deux pieds, qui le\ncorps jusqu\u2019aux genoux, qui le corps jusqu\u2019au ventre, qui le corps\njusqu\u2019\u00e0 la poitrine, qui le corps jusqu\u2019au cou, qui le corps jusqu\u2019aux\nyeux; et Nicolas traversait tous ces lieux en invoquant J\u00e9sus-Christ. Il\nvit, plus loin, un \u00e9norme trou d\u2019o\u00f9 s\u2019\u00e9chappaient une fum\u00e9e affreuse et\nune puanteur intol\u00e9rable; et des hommes s\u2019effor\u00e7aient d\u2019en sortir, mais\nles d\u00e9mons les y replongeaient. Et les d\u00e9mons dirent \u00e0 Nicolas: \u00abCe lieu\nque tu vois, c\u2019est le cercle de l\u2019enfer qu\u2019habite notre Seigneur\nBelz\u00e9buth. Et si tu refuses de nous ob\u00e9ir, nous te jetterons dans ce\ntrou; et quand tu y seras entr\u00e9, jamais plus tu ne pourras en sortir!\u00bb\nNicolas resta inflexible; et les d\u00e9mons le jet\u00e8rent dans le trou, et la\nsouffrance qu\u2019il ressentit fut si vive qu\u2019il oublia presque d\u2019invoquer\nle nom du Seigneur. Il finit cependant par s\u2019\u00e9crier,--de c\u0153ur, n\u2019ayant\nplus de voix: \u00abJ\u00e9sus-Christ, etc.\u00bb Et aussit\u00f4t il sortit du trou, et\ntoute la foule des d\u00e9mons s\u2019\u00e9vanouit. Il fut ensuite conduit dans un\nlieu o\u00f9 il avait \u00e0 passer sur un pont tr\u00e8s \u00e9troit, et poli comme une\nglace, et sous lequel coulait un grand fleuve de soufre et de feu. D\u00e9j\u00e0\nil d\u00e9sesp\u00e9rait de pouvoir franchir ce pont, lorsqu\u2019il se rappela la\npri\u00e8re qui, bien souvent d\u00e9j\u00e0, l\u2019avait sauv\u00e9 du danger. Et, posant avec\nconfiance son pied sur le pont, il s\u2019\u00e9cria: \u00abJ\u00e9sus-Christ, aie piti\u00e9,\netc.\u00bb Alors s\u2019\u00e9leva une clameur si \u00e9pouvantable que c\u2019est \u00e0 grand\u2019peine\nque Nicolas s\u2019emp\u00eacha de tomber; mais de nouveau il invoqua J\u00e9sus, et il\nr\u00e9p\u00e9ta l\u2019invocation \u00e0 chaque pas qu\u2019il fit sur le pont, et ainsi il put\ntraverser ce pont jusqu\u2019au bout. Et quand il l\u2019eut travers\u00e9, il se\ntrouva dans une prairie d\u2019une douceur merveilleuse, o\u00f9 s\u2019\u00e9panouissaient\nmille vari\u00e9t\u00e9s de fleurs admirables. Et deux beaux jeunes gens vinrent \u00e0\nsa rencontre et le conduisirent devant la porte d\u2019une ville toute\nresplendissante d\u2019or et de pierreries; et de la porte de cette ville se\nd\u00e9gageait un parfum si plaisant que Nicolas oublia, en le respirant,\ntoutes les terreurs et toutes les souffrances o\u00f9 il venait d\u2019\u00e9chapper.\nEt les deux jeunes gens lui dirent que cette ville \u00e9tait le paradis.\nMais comme Nicolas voulait y entrer, les deux jeunes gens lui dirent\nqu\u2019il e\u00fbt d\u2019abord \u00e0 rejoindre les siens sur la terre, en repassant par\no\u00f9 il avait pass\u00e9; mais que, cette fois, les d\u00e9mons ne lui feraient plus\naucun mal, et s\u2019enfuiraient, \u00e9pouvant\u00e9s, \u00e0 sa vue. Et les jeunes gens\najout\u00e8rent que, trente jours apr\u00e8s, Nicolas pourrait s\u2019endormir dans le\nSeigneur, et devenir \u00e0 jamais citoyen de la ville c\u00e9leste. Alors Nicolas\nremonta sur la terre, \u00e0 l\u2019endroit d\u2019o\u00f9 il \u00e9tait parti. Il fit part \u00e0\ntous de ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9; et, trente jours apr\u00e8s, il s\u2019endormit\nheureusement dans le Seigneur.\nXLIX\nSAINT BENOIT, ABB\u00c9\n(21 mars)\nLa vie de saint Beno\u00eet a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite par saint Gr\u00e9goire.\nI. Beno\u00eet \u00e9tait originaire de la province de Nursie, mais ses parents\nl\u2019avaient conduit, tout enfant encore, \u00e0 Rome, afin qu\u2019il s\u2019y livr\u00e2t aux\n\u00e9tudes lib\u00e9rales. Et lui, d\u00e8s l\u2019enfance, il renon\u00e7a \u00e0 ces \u00e9tudes et\ns\u2019enfuit de Rome, pour aller vivre au d\u00e9sert. Sa nourrice, qui l\u2019aimait\ntendrement, le suivit jusqu\u2019\u00e0 un certain lieu appel\u00e9 \u0152side. L\u00e0, voulant\ncuire du pain, elle emprunta un crible pour passer le froment; et, comme\nelle avait mis ce crible sur la table, elle le fit tomber par m\u00e9garde,\nde telle sorte qu\u2019il se brisa en deux. Alors Beno\u00eet, la voyant pleurer,\nprit les deux moiti\u00e9s, fit une pri\u00e8re sur elles, et obtint qu\u2019elles se\nrejoignissent sans trace de fracture. Puis, fuyant sa nourrice, il se\nr\u00e9fugia dans une caverne o\u00f9, pendant trois ans, il v\u00e9cut ignor\u00e9 de tous\nles hommes \u00e0 l\u2019exception d\u2019un moine nomm\u00e9 Romain, qui pourvoyait \u00e0 son\nentretien. La caverne o\u00f9 se trouvait Beno\u00eet \u00e9tant d\u2019un acc\u00e8s difficile,\nce Romain attachait un pain \u00e0 une longue corde, et le lan\u00e7ait ainsi \u00e0\nBeno\u00eet du haut de la montagne. Et il avait attach\u00e9 \u00e0 la corde une\nclochette dont le son avertissait le jeune ermite d\u2019avoir \u00e0 sortir pour\nprendre le pain. Or le vieil ennemi des hommes, voyant cela, brisa la\nclochette, de mani\u00e8re \u00e0 ce que Beno\u00eet ne f\u00fbt plus averti de l\u2019arriv\u00e9e de\nson pain. Et voil\u00e0 que certain pr\u00eatre, qui se pr\u00e9parait \u00e0 f\u00eater le jour\nde P\u00e2ques, vit appara\u00eetre le Seigneur, qui lui dit: \u00abTu t\u2019appr\u00eates l\u00e0 \u00e0\nun festin, et, au m\u00eame moment, dans une caverne de la montagne, mon\nserviteur souffre de la faim!\u00bb Aussit\u00f4t le pr\u00eatre se leva; et, quand il\neut enfin trouv\u00e9 la retraite de Beno\u00eet, il lui dit: \u00abL\u00e8ve-toi et\nmangeons ensemble le repas que j\u2019apporte, car c\u2019est aujourd\u2019hui la f\u00eate\nde P\u00e2ques!\u00bb Et Beno\u00eet lui dit: \u00abOui, c\u2019est une vraie f\u00eate, puisque j\u2019ai\nle bonheur de te voir!\u00bb Car, dans son isolement, il ne savait pas que\nc\u2019\u00e9tait en effet le jour de P\u00e2ques. Et le pr\u00eatre lui dit: \u00abSache que\nc\u2019est aujourd\u2019hui vraiment le jour de la R\u00e9surrection, et que le\nSeigneur lui-m\u00eame m\u2019envoie vers toi pour te relever de ton abstinence!\u00bb\nApr\u00e8s quoi, ayant b\u00e9ni Dieu, ils mang\u00e8rent ensemble.\nUn autre jour, un merle noir se mit \u00e0 voler avec insistance tout contre\nle visage de Beno\u00eet; mais celui-ci fit un signe de croix, et aussit\u00f4t\nl\u2019oiseau disparut. Un autre jour encore, le diable lui remit devant les\nyeux l\u2019image d\u2019une femme qu\u2019il avait vue jadis, et alluma dans sa chair\nune telle convoitise que peu s\u2019en fallut que Beno\u00eet, vaincu par la\nvolupt\u00e9, n\u2019abandonn\u00e2t sa solitude. Mais soudain, revenant \u00e0 lui, il se\nmit \u00e0 nu, se roula dans les \u00e9pines et les ronces qui entouraient sa\ncellule, se d\u00e9chira tout le corps, et fit sortir la plaie de son \u00e2me par\nles plaies de sa peau; et ainsi il vainquit le p\u00e9ch\u00e9. Et, depuis ce\ntemps, jamais plus il ne connut la tentation charnelle.\nCependant sa renomm\u00e9e se r\u00e9pandait aux alentours. Et lorsque mourut\nl\u2019abb\u00e9 d\u2019un monast\u00e8re voisin, tous les moines vinrent le trouver pour le\nprier de se mettre \u00e0 leur t\u00eate. Longtemps Beno\u00eet refusa, leur disant\nqu\u2019il n\u2019\u00e9tait point le chef qui leur convenait, vu leurs m\u0153urs. Mais il\nfinit par consentir. Et, comme il appliquait la r\u00e8gle avec une grande\nrigueur, les moines se reproch\u00e8rent de l\u2019avoir pris pour abb\u00e9. Un jour\ndonc ils m\u00eal\u00e8rent du poison \u00e0 son vin, et le lui offrirent au moment o\u00f9\nil allait se coucher. Mais Beno\u00eet fit le signe de la croix, et aussit\u00f4t\nle vase de verre se brisa, comme cass\u00e9 par une pierre. Et Beno\u00eet,\ncomprenant que ce vase contenait un breuvage de mort, puisqu\u2019il n\u2019avait\npu supporter le signe de la vie, se leva, avec un sourire tranquille, et\ndit: \u00abQue Dieu tout-puissant vous pardonne, mes fr\u00e8res! Mais ne vous\nl\u2019avais-je pas dit, que vos m\u0153urs et les miennes ne se convenaient pas?\u00bb\nEt l\u00e0-dessus il s\u2019en retourna dans sa caverne, o\u00f9 sa saintet\u00e9 s\u2019affirma\npar de nombreux miracles. Les fid\u00e8les venaient \u00e0 lui en si grande foule\nqu\u2019il fonda douze monast\u00e8res.\nDans un de ces monast\u00e8res se trouvait un moine qui, pendant que ses\nfr\u00e8res priaient, sortait de la chapelle pour se livrer \u00e0 des occupations\ntemporelles. Inform\u00e9 de cette conduite par l\u2019abb\u00e9 du monast\u00e8re, Beno\u00eet\nvit que ce moine, \u00e0 la chapelle, \u00e9tait entra\u00een\u00e9 dehors par un petit nain\nnoir, qui le tirait par le pan de sa robe. Et il dit \u00e0 l\u2019abb\u00e9 et \u00e0 un\nmoine nomm\u00e9 Maur: \u00abNe voyez-vous pas cet homme qui l\u2019entra\u00eene?\u00bb Ils\nr\u00e9pondirent: \u00abNon!\u00bb Et il leur dit: \u00abPrions, afin que, vous aussi, vous\nle voyiez!\u00bb Et ils pri\u00e8rent, et alors saint Maur vit le nain, mais\nl\u2019abb\u00e9 ne put le voir. Le lendemain, Beno\u00eet rencontra hors de la\nchapelle le moine entra\u00een\u00e9 par le diable; il le frappa de son b\u00e2ton; et,\ndepuis lors, ce moine ne manqua plus aux offices, comme si, de son coup\nde b\u00e2ton, Beno\u00eet avait assomm\u00e9 le diable qui l\u2019entra\u00eenait.\nTrois des monast\u00e8res \u00e9taient plac\u00e9s sur une montagne escarp\u00e9e; et les\nmoines, qui avaient \u00e0 descendre jusqu\u2019en bas pour puiser de l\u2019eau,\nsuppliaient Beno\u00eet de transporter ailleurs leurs monast\u00e8res. Or, une\nnuit, Beno\u00eet gravit la montagne avec un jeune fr\u00e8re, pria longtemps, et\nposa trois pierres en un certain lieu. Et le lendemain il dit aux\nmoines: \u00abAllez \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 vous trouverez trois pierres, et, l\u00e0,\ncreusez le sol!\u00bb Ils y all\u00e8rent, virent que l\u2019eau suintait d\u00e9j\u00e0 du\nrocher, creus\u00e8rent une fosse; et aussit\u00f4t celle-ci se remplit d\u2019eau; et\naujourd\u2019hui encore l\u2019eau en jaillit en telle abondance qu\u2019elle descend\njusqu\u2019au bas de la montagne.\nUn jour, un homme fauchait les ronces pr\u00e8s du monast\u00e8re, lorsque le fer\nde sa faux se d\u00e9tacha du manche et tomba dans un ab\u00eeme sans fond, ce\ndont l\u2019homme s\u2019affligea fort. Mais saint Beno\u00eet mit le manche de la faux\ndans le creux de la fontaine, et bient\u00f4t le fer, sortant du rocher,\nnagea jusqu\u2019au manche. Une autre fois, le jeune moine Placide, pendant\nqu\u2019il puisait de l\u2019eau, tomba dans le torrent, et, en un clin d\u2019\u0153il,\nroula jusqu\u2019au bas de la montagne. Saint Beno\u00eet, dans sa cellule, en eut\naussit\u00f4t la vision, et appelant le moine Maur, lui ordonna d\u2019aller\nchercher Placide. Saint Maur, apr\u00e8s avoir re\u00e7u la b\u00e9n\u00e9diction de saint\nBeno\u00eet, se plongea dans le torrent, avec l\u2019impression de marcher sur la\nterre ferme. Il rejoignit Placide, le retira de l\u2019eau par les cheveux,\net vint en rendre compte \u00e0 saint Beno\u00eet, qui en attribua tout le m\u00e9rite\n\u00e0 l\u2019ob\u00e9issance de saint Maur.\nUn pr\u00eatre, nomm\u00e9 Florent, jaloux du saint, empoisonna un pain et le lui\nenvoya comme un pr\u00e9sent. Le saint accepta l\u2019envoi avec reconnaissance et\ndit \u00e0 un corbeau qu\u2019il avait l\u2019habitude de nourrir: \u00abAu nom de\nJ\u00e9sus-Christ, prends ce pain et va le jeter en un endroit o\u00f9 aucun homme\nne puisse y toucher!\u00bb Alors le corbeau se mit \u00e0 voler autour du pain\navec le bec ouvert et les ailes d\u00e9ploy\u00e9es, comme expliquant qu\u2019il aurait\nvoulu ob\u00e9ir, et ne le pouvait pas. Et le saint lui disait: \u00abPrends, ne\ncrains rien, et fais ce que je te dis!\u00bb Enfin le corbeau prit le pain et\ns\u2019envola; et il revint sain et sauf au bout de trois jours. Sur quoi\nFlorent, voyant qu\u2019il ne pouvait tuer le corps du ma\u00eetre, entreprit de\nfaire p\u00e9rir l\u2019\u00e2me de ses disciples. Il amena dans le jardin du monast\u00e8re\nsept jeunes femmes nues qui chantaient et dansaient, pour engager les\nmoines \u00e0 la volupt\u00e9. Ce que voyant de la fen\u00eatre de sa cellule, Beno\u00eet\ncraignit pour ses disciples, et, prenant avec lui quelques-uns d\u2019entre\neux, s\u2019en alla demeurer ailleurs. Mais au moment o\u00f9 Florent, debout sur\nle seuil, se r\u00e9jouissait de le voir partir, il fit un faux pas et se tua\nsur le coup. Alors Maur, courant vers saint Beno\u00eet, lui cria avec\nenthousiasme: \u00abReviens, car l\u2019homme qui te pers\u00e9cutait vient de mourir!\u00bb\nMais, en l\u2019entendant, Beno\u00eet soupira, d\u00e9sol\u00e9 \u00e0 la fois de la mort de son\nennemi et de ce que son disciple pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 se f\u00fbt r\u00e9joui de cette mort. Il\ninfligea au moine une p\u00e9nitence, et poursuivit son chemin.\nMais, en changeant de s\u00e9jour, il ne changea point d\u2019adversaire. Arriv\u00e9\nau mont Cassin, il transforma en une \u00e9glise, d\u00e9di\u00e9e \u00e0 saint\nJean-Baptiste, un temple d\u2019Apollon qui se trouvait l\u00e0; et il convertit \u00e0\nla foi les habitants du voisinage. Mais le vieil ennemi lui apparaissait\ntous les jours sous les formes les plus terribles, et, lan\u00e7ant des\nflammes par les yeux, lui disait: \u00abB\u00e9ni! B\u00e9ni!\u00bb Et comme le saint ne\nr\u00e9pondait rien, le diable reprenait: \u00abMaudit, maudit, et non B\u00e9ni,\npourquoi t\u2019acharnes-tu \u00e0 me pers\u00e9cuter?\u00bb Un autre jour, les fr\u00e8res\nvoulant soulever une pierre pour b\u00e2tir l\u2019\u00e9glise, d\u00e9couvrirent que la\npierre \u00e9tait si lourde qu\u2019on ne pouvait la soulever. Alors saint Beno\u00eet\nfit le signe de la croix, et aussit\u00f4t il souleva la pierre avec une\nextr\u00eame facilit\u00e9, ce qui prouva que c\u2019\u00e9tait le diable qui avait pes\u00e9 sur\nelle. Une autre fois, le diable apparut \u00e0 saint Beno\u00eet et l\u2019informa\nqu\u2019il se rendait aupr\u00e8s des fr\u00e8res occup\u00e9s \u00e0 construire l\u2019\u00e9glise.\nAussit\u00f4t Beno\u00eet envoya \u00e0 ceux-ci un novice pour leur dire: \u00abFr\u00e8res,\nsoyez prudents, car le m\u00e9chant esprit est pr\u00e8s de vous!\u00bb Et \u00e0 peine le\nmessager leur avait-il dit ces paroles, que le diable fit tomber un pan\nde mur, qui \u00e9crasa sous sa chute le pauvre novice. Mais saint Beno\u00eet se\nfit apporter le mort, tout meurtri, dans un sac, et, ayant pri\u00e9 sur lui,\nle ressuscita.\nUn la\u00efc pieux venait tous les ans voir saint Beno\u00eet; et il avait coutume\nde faire la route \u00e0 jeun, par mani\u00e8re de mortification. Or, un jour, un\nvoyageur inconnu se joignit \u00e0 lui; et, comme l\u2019heure s\u2019avan\u00e7ait, cet\ninconnu montra au p\u00e8lerin des provisions qu\u2019il portait, et lui dit\n\u00abFr\u00e8re, restaurons-nous, pour ne pas \u00eatre trop fatigu\u00e9s!\u00bb Deux fois\nl\u2019\u00e9tranger fit cette offre au p\u00e8lerin, qui persista dans son abstinence.\nMais une troisi\u00e8me fois, comme on s\u2019\u00e9tait assis dans une belle prairie\naupr\u00e8s d\u2019une source, le p\u00e8lerin, ext\u00e9nu\u00e9, finit par se laisser tenter.\nEt Beno\u00eet, d\u00e8s qu\u2019il le vit entrer chez lui, lui dit: \u00abH\u00e9 bien, mon\nfr\u00e8re, le m\u00e9chant ennemi a \u00e9chou\u00e9 deux fois \u00e0 te persuader, mais la\ntroisi\u00e8me fois il y a r\u00e9ussi!\u00bb Et le p\u00e8lerin, tout honteux, se jeta aux\npieds du saint.\nTotila, roi des Goths, voulut savoir si saint Beno\u00eet avait vraiment le\ndon de vision. Il imagina donc d\u2019envoyer au saint, avec une grande\npompe, un de ses \u00e9cuyers, rev\u00eatu du manteau royal. Et le saint, en\nl\u2019apercevant, lui cria: \u00abMon fils, \u00f4te tout ce que tu portes l\u00e0 sur toi,\ncar cela ne t\u2019appartient pas!\u00bb Et l\u2019\u00e9cuyer se d\u00e9v\u00eatit aussit\u00f4t de son\nappareil royal, \u00e9pouvant\u00e9 d\u2019avoir os\u00e9 tendre un pi\u00e8ge \u00e0 un tel homme.\nUn clerc qui \u00e9tait poss\u00e9d\u00e9 du d\u00e9mon fut amen\u00e9 \u00e0 saint Beno\u00eet, qui le\ngu\u00e9rit et lui dit: \u00abVa, mais garde toi de manger de la viande et aussi\nd\u2019entrer dans les saints ordres; car le jour o\u00f9 tu entreras dans les\nordres, le diable reprendra ses droits sur toi.\u00bb Et le clerc suivit\nlongtemps cette recommandation; mais un jour, d\u00e9pit\u00e9 de voir promus aux\nordres sacr\u00e9s des clercs plus jeunes et moins dignes que lui, il oublia\nl\u2019avis de saint Beno\u00eet et re\u00e7ut les ordres; et aussit\u00f4t le diable\nrecommen\u00e7a \u00e0 le tourmenter et ne le l\u00e2cha plus qu\u2019il n\u2019e\u00fbt caus\u00e9 sa\nmort.\nUn homme envoya \u00e0 saint Beno\u00eet deux flacons de vin; mais l\u2019enfant qui\nles portait en cacha un sur la route, et ne donna que l\u2019autre au saint.\nCelui-ci re\u00e7ut le flacon avec reconnaissance, et, au moment o\u00f9 l\u2019enfant\nrepartait, il lui dit: \u00abMon fils, garde-toi de boire du flacon que tu as\ncach\u00e9, mais penche-le avec pr\u00e9caution et tu verras ce qu\u2019il contient!\u00bb\nL\u2019enfant, confus, s\u2019enfuit au plus vite, et, arriv\u00e9 aupr\u00e8s du flacon, le\npencha avec pr\u00e9caution; et il en vit sortir un affreux serpent.\nUn soir, comme saint Beno\u00eet mangeait son souper, un moine, qui \u00e9tait\nfils d\u2019un s\u00e9nateur, fut charg\u00e9 de le servir et de lui tenir la lumi\u00e8re.\nEt ce jeune homme se dit: \u00abQui est cet homme, pour que je le serve \u00e0\ntable et lui tienne la lumi\u00e8re?\u00bb Et aussit\u00f4t le saint lui dit: \u00abSonde\nton c\u0153ur, mon fils, sonde ton c\u0153ur!\u00bb Puis, appelant ses fr\u00e8res, il fit\nenlever la lampe des mains du jeune moine et ordonna \u00e0 celui-ci de\ns\u2019enfermer dans sa cellule.\nUn certain Goth nomm\u00e9 Galla, et qui appartenait \u00e0 l\u2019h\u00e9r\u00e9sie arienne,\nbr\u00fblait d\u2019une haine si f\u00e9roce contre les religieux catholiques, qu\u2019il\ntuait tous les clercs ou moines qu\u2019il rencontrait. Un jour cet homme\navait envahi les biens d\u2019un paysan et torturait celui-ci des pires\nsupplices; alors le paysan d\u00e9clara qu\u2019il avait mis sa personne et ses\nbiens sous la protection de Beno\u00eet. Sur quoi Galla fit surseoir au\nsupplice du paysan, mais lui fit lier les mains et lui ordonna de\nmarcher devant lui, pour lui montrer ce Beno\u00eet \u00e0 qui il avait c\u00e9d\u00e9 ses\nbiens. Et le paysan le conduisit au monast\u00e8re de saint Beno\u00eet, et lui\nmontra celui-ci occup\u00e9 \u00e0 lire tranquillement dans sa cellule. Galla,\ndans sa folle fureur, cria au saint: \u00abAllons, l\u00e8ve-toi, et restitue \u00e0 ce\npaysan les biens qu\u2019il t\u2019a confi\u00e9s!\u00bb Au son de cette voix inconnue,\nsaint Beno\u00eet leva les yeux; et, au moment o\u00f9 son regard s\u2019arr\u00eatait sur\nle paysan, les fortes courroies qui liaient les mains de celui-ci se\nrompirent d\u2019un seul coup. Et Galla, effray\u00e9 d\u2019un tel miracle, se jeta\naux pieds du saint, se recommandant \u00e0 ses pri\u00e8res. Mais le saint ne se\nleva point de sa lecture; il se borna \u00e0 appeler des fr\u00e8res, et les\nchargea d\u2019emmener Galla dans la chapelle, pour qu\u2019il re\u00e7\u00fbt la\nb\u00e9n\u00e9diction. Et lorsque le Goth revint aupr\u00e8s de lui, il l\u2019engagea \u00e0 se\nrel\u00e2cher de sa folle cruaut\u00e9. Et Galla, avant de repartir, promit de ne\njamais rien exiger du paysan, que le saint avait d\u00e9livr\u00e9 par son seul\nregard.\nUne grande famine d\u00e9solait toute la Campanie; et, dans le monast\u00e8re de\nsaint Beno\u00eet, les fr\u00e8res s\u2019aper\u00e7urent un jour qu\u2019ils ne poss\u00e9daient plus\nque cinq pains. Mais saint Beno\u00eet, les voyant afflig\u00e9s, leur adressa une\nindulgente admonestation pour les corriger de leur pusillanimit\u00e9; apr\u00e8s\nquoi, pour les consoler, il leur dit: \u00abComment pouvez-vous \u00eatre en peine\nd\u2019une chose aussi peu importante? Aujourd\u2019hui le pain manque, mais rien\nne vous prouve que demain vous n\u2019en aurez pas en abondance!\u00bb Or, le\nlendemain, on trouva devant les portes de la cellule de saint Beno\u00eet\ndeux cents muids de farine, sans qu\u2019on puisse savoir, aujourd\u2019hui\nencore, \u00e0 quel messager Dieu a confi\u00e9 le soin de les apporter. A la vue\nde ce miracle, les fr\u00e8res, rendant gr\u00e2ces \u00e0 Dieu, apprirent \u00e0 ne plus\nd\u00e9sesp\u00e9rer parmi la disette.\nOn amena un jour \u00e0 saint Beno\u00eet un enfant atteint du mal \u00e9l\u00e9phantin, au\npoint que ses cheveux tombaient et que toute la peau de son cr\u00e2ne\nenflait; et \u00e0 ce mal se joignait une faim que rien ne pouvait apaiser.\nMais le saint le gu\u00e9rit aussit\u00f4t; et, par la suite, cet enfant pers\u00e9v\u00e9ra\ndans les bonnes \u0153uvres jusqu\u2019au jour o\u00f9 il s\u2019endormit dans le Seigneur.\nEnvoyant deux fr\u00e8res en un certain lieu o\u00f9 il voulait faire construire\nun monast\u00e8re, saint Beno\u00eet leur promit de venir les y rejoindre, \u00e0 une\ndate d\u00e9termin\u00e9e, pour leur donner ses instructions. Or, dans la nuit du\njour o\u00f9 il leur avait promis de les rejoindre, les deux fr\u00e8res le virent\nen r\u00eave, et entendirent qu\u2019il leur donnait diverses instructions. Mais\nils refus\u00e8rent d\u2019attacher de l\u2019importance \u00e0 un r\u00eave, et, apr\u00e8s avoir\nvainement attendu saint Beno\u00eet, ils revinrent vers lui et lui dirent:\n\u00abP\u00e8re, nous t\u2019avons attendu suivant ta promesse, et tu n\u2019es pas venu!\u00bb\nEt le saint: \u00abQue dites-vous l\u00e0, mes fr\u00e8res? Ne me suis-je pas montr\u00e9 \u00e0\nvous et ne vous ai-je pas donn\u00e9 toutes mes instructions? Allez, et\nfaites ce que je vous ai prescrit dans votre r\u00eave!\u00bb\nNon loin du monast\u00e8re de saint Beno\u00eet vivaient deux religieuses de\nfamille noble, qui avaient le malheur de ne pas savoir retenir leur\nlangue, et qui, par leurs bavardages, f\u00e2chaient souvent leur confesseur.\nCelui-ci se plaignit d\u2019elles \u00e0 saint Beno\u00eet, qui leur fit dire: \u00abRetenez\nvotre langue, ou bien je vous excommunierai!\u00bb Il n\u2019avait fait cette\nmenace que pour les corriger; mais elles, sans se corriger, moururent\ntoutes deux peu de temps apr\u00e8s, et furent ensevelies dans la chapelle de\nleur couvent. Et l\u00e0, \u00e0 la messe, au moment o\u00f9 le diacre pronon\u00e7ait les\nparoles: \u00ab_Que celui qui n\u2019est pas admis \u00e0 la communion s\u2019en aille!_\u00bb la\nnourrice de ces deux femmes les vit, plusieurs fois de suite, se dresser\ndans leurs tombeaux et sortir de l\u2019\u00e9glise. Et lorsque saint Beno\u00eet en\nfut inform\u00e9, il dit: \u00abOffrez de ma part cette offrande pour elles, et\nleur excommunication sera lev\u00e9e!\u00bb Ainsi fut fait; et, depuis lors, les\ndeux femmes ne sortirent plus de leurs tombeaux.\nUn moine, \u00e9tant all\u00e9 voir ses parents sans avoir re\u00e7u la b\u00e9n\u00e9diction,\nmourut pendant qu\u2019il \u00e9tait chez eux. On l\u2019ensevelit; mais, \u00e0 deux\nreprises, la terre rejeta son cadavre. Alors les parents vinrent prier\nsaint Beno\u00eet d\u2019intervenir. Et le saint, prenant une hostie consacr\u00e9e,\nleur dit: \u00abMettez ceci sur la poitrine de votre fils avant de\nl\u2019ensevelir de nouveau!\u00bb Les parents firent ainsi, et la terre ne rejeta\nplus le cadavre.\nUn moine, qui s\u2019ennuyait au monast\u00e8re, importuna si fort saint Beno\u00eet de\nses dol\u00e9ances, que le saint, irrit\u00e9, lui permit de s\u2019en aller. Mais le\nmoine, \u00e0 peine sorti du monast\u00e8re, rencontra un dragon qui, la gueule\nouverte, voulait le d\u00e9vorer. Et il se mit \u00e0 crier au secours. Les fr\u00e8res\naccoururent et ne virent point trace de dragon, mais ramen\u00e8rent dans sa\ncellule le moine, tout tremblant, qui promit bien de ne plus s\u2019en aller.\nPendant une famine qui d\u00e9solait la r\u00e9gion, saint Beno\u00eet fit donner aux\npauvres tout ce que l\u2019on pouvait trouver, de telle sorte que rien ne\nresta plus au monast\u00e8re, qu\u2019un peu d\u2019huile dans un vase de verre. Et\ncette huile aussi, saint Beno\u00eet ordonna au fr\u00e8re \u00e9conome de la donner \u00e0\nun pauvre. Mais l\u2019\u00e9conome refusa d\u2019ob\u00e9ir, afin que, du moins, cette\nhuile rest\u00e2t pour les fr\u00e8res. Ce qu\u2019apprenant, saint Beno\u00eet la fit jeter\npar la fen\u00eatre, ne voulant point que quelque chose rest\u00e2t au monast\u00e8re\nqui f\u00fbt le produit de la d\u00e9sob\u00e9issance. Mais le vase eut beau tomber sur\nd\u2019\u00e9normes rochers, il ne se brisa point, et pas une seule goutte d\u2019huile\nne se r\u00e9pandit. Saint Beno\u00eet fit alors reprendre le vase et le fit\ndonner au pauvre. Et aussit\u00f4t un grand tonneau, qui \u00e9tait dans la cave\ndu monast\u00e8re, se remplit d\u2019huile, \u00e0 tel point que tout le pav\u00e9 en fut\ninond\u00e9.\nSaint Beno\u00eet \u00e9tait un jour all\u00e9 voir sa s\u0153ur et avait d\u00een\u00e9 avec elle;\nmais, malgr\u00e9 les supplications de sa s\u0153ur, il avait refus\u00e9 de passer la\nnuit sous son toit. Et sa s\u0153ur pria Dieu avec force larmes, et aussit\u00f4t\nune pluie torrentielle succ\u00e9da au beau temps, de fa\u00e7on qu\u2019on ne pouvait\nsonger \u00e0 sortir, m\u00eame pour faire un pas. Et saint Beno\u00eet, contrist\u00e9,\ndit: \u00abDieu te pardonne, ma s\u0153ur, qu\u2019as-tu fait l\u00e0?\u00bb Et la s\u0153ur: \u00abJe t\u2019ai\npri\u00e9, et tu as refus\u00e9 de m\u2019entendre; alors j\u2019ai pri\u00e9 Dieu et il m\u2019a\nentendue! Il a chang\u00e9 mes larmes en pluie pour te forcer \u00e0 rester pr\u00e8s\nde moi.\u00bb Et, en effet, le saint passa la nuit pr\u00e8s d\u2019elle, et jusqu\u2019au\nmatin tous deux s\u2019entretinrent des choses sacr\u00e9es. Or, voici que, trois\njours apr\u00e8s, saint Beno\u00eet, dans sa cellule, vit l\u2019\u00e2me de sa s\u0153ur montant\nau ciel sous la forme d\u2019une colombe. Il fit transporter son corps au\nmonast\u00e8re, et l\u2019ensevelit dans le tombeau qu\u2019il avait pr\u00e9par\u00e9 pour elle.\nUne nuit, saint Beno\u00eet, debout \u00e0 la fen\u00eatre de sa cellule, vit une\ngrande lumi\u00e8re se substituer aux t\u00e9n\u00e8bres. Et il aper\u00e7ut, dans un rayon\nplus \u00e9clatant que tous ceux du soleil, l\u2019\u00e2me de l\u2019\u00e9v\u00eaque de Capoue,\nGermain, qu\u2019on emportait au ciel. Il comprit aussit\u00f4t que cette \u00e2me\nvenait de quitter le corps de l\u2019\u00e9v\u00eaque; et, en effet, saint Germain\n\u00e9tait mort en ce m\u00eame instant.\nL\u2019ann\u00e9e de sa mort, saint Beno\u00eet annon\u00e7a \u00e0 ses fr\u00e8res qu\u2019il allait\nmourir. Et six jours avant sa fin, il se fit creuser sa fosse. Le\nlendemain, une fi\u00e8vre le saisit, qui alla tous les jours s\u2019aggravant. Le\nsixi\u00e8me jour, il se fit transporter \u00e0 la chapelle et re\u00e7ut le corps du\nSeigneur en mani\u00e8re de viatique. Puis, soutenu par ses disciples, il se\ntint debout, les mains lev\u00e9es au ciel, et rendit le dernier soupir au\nmilieu d\u2019une pri\u00e8re.\nII. Or, ce m\u00eame jour, deux fr\u00e8res, dont l\u2019un \u00e9tait enferm\u00e9 dans sa\ncellule, et dont l\u2019autre se trouvait tr\u00e8s loin, eurent tous deux la\nr\u00e9v\u00e9lation de la mort du saint. Car ils virent une voie lumineuse qui,\npartant de la cellule de saint Beno\u00eet, montait \u00e0 l\u2019orient jusqu\u2019au ciel.\nEt un inconnu leur demanda ce qu\u2019\u00e9tait cette voie. Et comme tous deux\nr\u00e9pondaient qu\u2019ils l\u2019ignoraient, l\u2019inconnu leur dit: \u00abSachez donc que\nc\u2019est la voie par laquelle le bienheureux Beno\u00eet monte au ciel!\u00bb\nIl fut enseveli dans l\u2019oratoire de Saint-Jean-Baptiste, qu\u2019il avait fait\nconstruire sur les ruines d\u2019un temple d\u2019Apollon. Il florissait vers l\u2019an\ndu Seigneur 518, au temps de Justin l\u2019Ancien.\nL\nSAINT TIMOTH\u00c9E, PR\u00caTRE ET MARTYR\n(24 mars)\nSaint Timoth\u00e9e \u00e9tait d\u2019Antioche; mais c\u2019est \u00e0 Rome que se f\u00eate\nl\u2019anniversaire de sa naissance, parce que c\u2019est dans cette ville qu\u2019il\nfut ordonn\u00e9 pr\u00eatre, sous le pape Melchiade, par Sylvestre, qui devint\nplus tard \u00e9v\u00eaque de Rome. Et Sylvestre non seulement l\u2019ordonna pr\u00eatre et\nle re\u00e7ut dans sa maison, mais il ne craignit pas de louer en public sa\nvie et sa doctrine. Pendant un an et trois mois, Timoth\u00e9e enseigna la\nv\u00e9rit\u00e9 du Christ, faisant de nombreuses conversions; apr\u00e8s quoi, Dieu\nl\u2019ayant jug\u00e9 digne du martyre, il fut pris par les pa\u00efens, livr\u00e9 au\npr\u00e9fet Tarquin, soumis \u00e0 un long emprisonnement et \u00e0 mille tortures, et\nenfin, en bon athl\u00e8te de Dieu, d\u00e9capit\u00e9 en compagnie d\u2019assassins. La\nnuit suivante, saint Sylvestre emporta son corps dans sa maison, o\u00f9 il\nmanda aussit\u00f4t l\u2019\u00e9v\u00eaque Melchiade. Celui-ci vint avec ses pr\u00eatres et\ndiacres, passa toute la nuit en pri\u00e8res aupr\u00e8s du corps, et consacra\nainsi son martyre. Le lendemain, une pieuse femme nomm\u00e9e Th\u00e9one demanda\nau pape susdit de pouvoir enterrer Timoth\u00e9e dans son jardin, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du\nlieu o\u00f9 reposait l\u2019ap\u00f4tre Paul: s\u2019offrant, si on lui donnait le corps, \u00e0\nlui \u00e9lever \u00e0 ses frais un tombeau. Et les chr\u00e9tiens accueillirent sa\ndemande d\u2019autant plus volontiers qu\u2019ils \u00e9taient heureux de voir enseveli\n\u00e0 c\u00f4t\u00e9 de saint Paul ce martyr, qui avait \u00e9t\u00e9 jadis le disciple du grand\nap\u00f4tre.\nLI\nL\u2019ANNONCIATION\n(25 mars)\nI. La f\u00eate de l\u2019Annonciation c\u00e9l\u00e8bre le souvenir du jour o\u00f9 un ange a\nannonc\u00e9 l\u2019av\u00e8nement du fils de Dieu dans la chair.\nLa Vierge \u00e9tait rest\u00e9e, depuis sa troisi\u00e8me ann\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 sa\nquatorzi\u00e8me, dans le temple avec les autres vierges. Puis, sur la\nr\u00e9v\u00e9lation de Dieu, elle avait \u00e9t\u00e9 fianc\u00e9e \u00e0 Joseph, et celui-ci s\u2019\u00e9tait\nrendu \u00e0 Bethl\u00e9em, d\u2019o\u00f9 il \u00e9tait originaire, afin de pr\u00e9parer les choses\nn\u00e9cessaires pour les noces. Et Marie, pendant ce temps, \u00e9tait revenue\ndans la maison de ses parents, \u00e0 Nazareth. C\u2019est l\u00e0 que l\u2019ange Gabriel\nlui apparut, et la salua, en lui disant: \u00abJe vous salue, Marie, pleine\nde gr\u00e2ce, le Seigneur est avec vous, vous \u00eates b\u00e9nie entre toutes les\nfemmes!\u00bb Ce qu\u2019entendant, Marie fut profond\u00e9ment troubl\u00e9e des paroles de\nl\u2019ange et se demanda ce que signifiait cette salutation. Notons \u00e0 ce\npropos qu\u2019elle fut troubl\u00e9e des paroles de l\u2019ange, non de sa vision: car\nsouvent elle voyait des anges. Et l\u2019ange, la r\u00e9confortant, lui dit: \u00abNe\ncraignez pas, Marie, car vous ayez trouv\u00e9 gr\u00e2ce aupr\u00e8s du Seigneur.\nVoici que vous allez concevoir et mettre au monde un fils, qui\ns\u2019appellera J\u00e9sus, c\u2019est-\u00e0-dire le Sauveur, parce qu\u2019il sauvera son\npeuple de ses p\u00e9ch\u00e9s.\u00bb Et Marie dit \u00e0 l\u2019ange: \u00abComment sera-ce possible,\npuisque je ne connais aucun homme?\u00bb Elle voulait dire par l\u00e0: \u00abPuisque\nje suis r\u00e9solue \u00e0 ne point conna\u00eetre d\u2019homme!\u00bb Et l\u2019ange, r\u00e9pondant, lui\ndit: \u00abL\u2019Esprit-Saint surviendra en vous, et vous fera concevoir.\u00bb Alors\nMarie, \u00e9tendant les mains et levant les yeux au ciel, dit: \u00abMe voici, la\nservante du Seigneur! Que me soit fait suivant ta parole!\u00bb Puis, se\nrelevant, elle se rendit sur la montagne, aupr\u00e8s d\u2019Elisabeth; et comme\nelle la saluait, l\u2019enfant saint Jean bondit de joie dans le ventre de sa\nm\u00e8re.\nII. Un soldat riche et noble avait renonc\u00e9 au si\u00e8cle et \u00e9tait entr\u00e9 dans\nl\u2019Ordre de C\u00eeteaux. Mais il \u00e9tait si illettr\u00e9 que les moines, rougissant\nde son ignorance, charg\u00e8rent un ma\u00eetre de lui donner des le\u00e7ons. Or il\neut beau recevoir des le\u00e7ons; il ne put rien apprendre que deux mots:\n_Ave Maria_, qu\u2019il allait r\u00e9p\u00e9tant toute la journ\u00e9e. Quand il mourut, et\nqu\u2019on l\u2019ensevelit avec les autres fr\u00e8res, voici que sur sa tombe poussa\nun lys magnifique, qui portait inscrit sur chacune de ses feuilles en\nlettres d\u2019or: _Ave Maria_. Les fr\u00e8res, \u00e9tonn\u00e9s d\u2019un si grand miracle,\nenlev\u00e8rent la terre du tombeau, et virent que le lys prenait sa racine\ndans la bouche du mort. Ainsi ils comprirent avec quelle d\u00e9votion il\navait dit ces deux mots.\nIII. Un brigand s\u2019\u00e9tait construit une forteresse au bord d\u2019une route, et\nd\u00e9pouillait sans mis\u00e9ricorde tous les passants; mais il r\u00e9citait tous\nles jours la Salutation Ang\u00e9lique, sans qu\u2019aucun emp\u00eachement p\u00fbt l\u2019y\nfaire manquer. Un jour vint \u00e0 passer un saint moine, que les compagnons\ndu brigand se mirent en devoir de d\u00e9pouiller: mais l\u2019homme de Dieu leur\ndemanda \u00e0 \u00eatre conduit pr\u00e8s de leur chef, disant qu\u2019il avait un secret \u00e0\nlui communiquer. Amen\u00e9 en pr\u00e9sence du brigand, il demanda \u00e0 celui-ci de\nr\u00e9unir tous les habitants de la forteresse, afin qu\u2019il leur pr\u00each\u00e2t la\nparole de Dieu. Mais, lorsqu\u2019ils furent assembl\u00e9s, le religieux dit:\n\u00abVous n\u2019\u00eates pas tous l\u00e0; quelqu\u2019un manque!\u00bb Et comme on lui disait que\npersonne ne manquait: \u00abCherchez bien,\u00bb reprenait-il; \u00abvous verrez qu\u2019il\nmanque quelqu\u2019un! \u00abAlors un des brigands s\u2019\u00e9cria: \u00abEn effet, un des\nvalets n\u2019est pas ici!\u00bb Et le moine: \u00abC\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment lui que\nj\u2019attends.\u00bb On l\u2019envoya donc chercher, mais, \u00e0 la vue de l\u2019homme de\nDieu, il roula des yeux effray\u00e9s, se d\u00e9mena comme un insens\u00e9, et refusa\nd\u2019approcher. Et l\u2019homme de Dieu lui dit: \u00abAu nom de Notre-Seigneur\nJ\u00e9sus-Christ je t\u2019adjure de dire qui tu es et pourquoi tu es venu ici!\u00bb\nLe valet r\u00e9pondit: \u00abPuisque je suis forc\u00e9 de parler, sachez que je ne\nsuis pas un homme, mais un d\u00e9mon, qui, sous forme humaine, demeure\ndepuis quatorze ans aupr\u00e8s de ce brigand. Notre chef m\u2019avait envoy\u00e9\naupr\u00e8s de lui pour guetter le jour o\u00f9 il n\u00e9gligerait de r\u00e9citer la\nSalutation Ang\u00e9lique; car, ce jour-l\u00e0, il nous aurait appartenu, et\nj\u2019avais ordre de l\u2019\u00e9trangler sur-le-champ. Seule, cette pri\u00e8re\nquotidienne l\u2019emp\u00eachait de tomber en notre pouvoir. Mais j\u2019ai eu beau le\nguetter: pas une fois il n\u2019a manqu\u00e9 \u00e0 la r\u00e9citer.\u00bb Ce qu\u2019entendant, le\nbrigand, stup\u00e9fait, tomba aux pieds de l\u2019homme de Dieu, demanda son\npardon, et se convertit d\u00e9sormais \u00e0 une vie meilleure.\nLII\nLA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR\nLa passion du Christ fut, en premier lieu, ignominieuse. Elle eut lieu\nsur le mont du Calvaire, o\u00f9 l\u2019on ch\u00e2tiait les malfaiteurs. Elle e\u00fbt lieu\nau moyen de la croix, qui \u00e9tait le supplice le plus honteux de tous. Et\nelle eut lieu dans une compagnie ignominieuse, puisque le Christ fut\ncrucifi\u00e9 entre deux larrons. L\u2019un d\u2019eux, celui qui \u00e9tait \u00e0 droite, et\ns\u2019appelait Dismas (d\u2019apr\u00e8s l\u2019\u00e9vangile de Nicod\u00e8me), se convertit et fut\nsauv\u00e9; l\u2019autre, appel\u00e9 Gesmas, fut damn\u00e9 pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9.\nEn second lieu, la passion du Christ fut injuste: car il n\u2019avait point\np\u00e9ch\u00e9, et l\u2019on n\u2019avait point trouv\u00e9 de ruse dans sa bouche. On\nl\u2019accusait surtout de trois choses: de s\u2019opposer \u00e0 ce qu\u2019on pay\u00e2t le\ntribut, de se dire roi, et de se pr\u00e9tendre le Fils de Dieu.\nEn troisi\u00e8me lieu, la passion de Christ fut d\u2019autant plus douloureuse\nqu\u2019elle lui fut inflig\u00e9e par les hommes de sa race, qui auraient d\u00fb \u00eatre\nses amis, et \u00e0 qui il avait rendu d\u2019innombrables services.\nEn quatri\u00e8me lieu, la passion du Christ fut douloureuse \u00e0 cause de la\nd\u00e9licatesse de son corps, et parce qu\u2019il eut \u00e0 la subir en chacun de ses\nsens. Il la subit en effet dans les yeux, car il pleura. (Il pleura deux\nautres fois, en voyant pleurer la famille de Lazare, et en pr\u00e9voyant la\nruine de J\u00e9rusalem: mais, dans le premier cas, ce furent des larmes\nd\u2019amour, dans le second des larmes de piti\u00e9, tandis que les larmes de sa\npassion furent des larmes de douleur.) Il subit sa passion dans son\nou\u00efe, car il eut \u00e0 entendre toutes sortes d\u2019opprobres et de blasph\u00e8mes.\nIl eut \u00e0 la subir dans son odorat: car le calvaire o\u00f9 il fut crucifi\u00e9\n\u00e9tait infect\u00e9 de la puanteur des cadavres qu\u2019on y laissait apr\u00e8s le\nsupplice. Il subit la passion dans son go\u00fbt: car, ayant demand\u00e9 \u00e0 boire,\nil obtint du vinaigre m\u00eal\u00e9 de myrrhe et de fiel. Le vinaigre, dit-on,\nfaisait mourir plus vite les crucifi\u00e9s; le fiel avait pour objet de\nfaire souffrir J\u00e9sus dans son go\u00fbt. Et J\u00e9sus subit la passion dans son\ntoucher: car il n\u2019y eut pas une partie de son corps depuis la plante des\npieds jusqu\u2019au haut de la t\u00eate, qui n\u2019e\u00fbt \u00e0 souffrir de la cruaut\u00e9 des\nbourreaux.\nMais autant cette passion fut douloureuse pour le Christ, autant pour\nnous elle fut fructueuse. Et son utilit\u00e9 est triple, \u00e0 savoir par la\nr\u00e9mission des p\u00e9ch\u00e9s, la collation de la gr\u00e2ce, et la d\u00e9monstration de\nla gloire c\u00e9leste.\nLa passion du Christ eut trois auteurs, qui tous furent justement punis\nde leurs crimes. C\u2019est d\u2019abord Judas, qui livra le Christ par avidit\u00e9,\npuis les Juifs, qui le livr\u00e8rent par envie, enfin Pilate, qui le livra\npar l\u00e2chet\u00e9. Mais le r\u00e9cit du ch\u00e2timent de Judas se trouve dans\nl\u2019histoire de saint Mathias, celui du ch\u00e2timent des Juifs, dans\nl\u2019histoire de saint Jacques le Mineur. Quant au ch\u00e2timent et \u00e0 toute la\nvie de Pilate, le r\u00e9cit suivant nous en est donn\u00e9 par une histoire, qui\nest, en v\u00e9rit\u00e9, apocryphe.\nUn roi nomm\u00e9 Tyrus, ayant s\u00e9duit une jeune fille nomm\u00e9e Pyla, fille d\u2019un\nmeunier nomm\u00e9 Atus, eut d\u2019elle un fils; et Pyla donna \u00e0 son fils un nom\ncompos\u00e9 du sien propre et du nom de son p\u00e8re, \u00e0 savoir Pylatus. Et\nlorsque Pilate eut trois ans, sa m\u00e8re le transmit au roi, qui le donna\npour compagnon de jeux \u00e0 son fils l\u00e9gitime, \u00e0 peu pr\u00e8s du m\u00eame \u00e2ge. Mais\nle fils l\u00e9gitime, de m\u00eame qu\u2019il \u00e9tait plus noble de naissance que\nPilate, \u00e9tait encore plus habile que lui \u00e0 tous les exercices de son\n\u00e2ge: de telle sorte que Pilate, min\u00e9 par la jalousie jusqu\u2019\u00e0 ressentir\nune douleur dans le foie, tua son fr\u00e8re. Ce qu\u2019apprenant, le roi\nconvoqua son assembl\u00e9e pour la consulter sur ce qu\u2019il devait faire du\nmeurtrier. Tous furent d\u2019avis de le mettre \u00e0 mort; mais le roi, rentrant\nen lui-m\u00eame, ne voulut point doubler un crime d\u2019un autre crime, et\nenvoya son fils \u00e0 Rome, en otage du tribut annuel qu\u2019il devait \u00e0\nl\u2019empire.\nOr se trouvait \u00e0 Rome, en m\u00eame temps, le fils du roi de France, envoy\u00e9\nde la m\u00eame fa\u00e7on, en otage. Pilate l\u2019eut pour compagnon, et, le voyant\nsup\u00e9rieur \u00e0 lui tant pour les m\u0153urs que pour le talent, en fut jaloux et\nle tua. Et comme les Romains se demandaient ce qu\u2019ils pourraient faire\nde lui, ils se dirent: \u00abUn gaillard qui a d\u00e9j\u00e0 tu\u00e9 son fr\u00e8re et son\ncompagnon peut \u00eatre tr\u00e8s utile \u00e0 la r\u00e9publique pour dompter ses\nennemis!\u00bb Ils l\u2019envoy\u00e8rent donc, en qualit\u00e9 de juge, dans l\u2019\u00eele de Pont,\ndont les habitants ne pouvaient supporter aucun juge. Et Pilate, sachant\nque sa vie \u00e9tait l\u2019enjeu de ses succ\u00e8s, fit si bien, par les promesses\net les menaces, par les r\u00e9compenses et les supplices, qu\u2019il dompta cette\nrace, qu\u2019on croyait indomptable. En souvenir de quoi il fut appel\u00e9\nPilate le Pontien ou Ponce Pilate.\nOr H\u00e9rode, en apprenant l\u2019habilet\u00e9 de cet homme, l\u2019invita \u00e0 venir \u00e0\nJ\u00e9rusalem, et lui transmit son pouvoir sur les Juifs. Mais Pilate, plus\ntard, obtint de Tib\u00e8re, \u00e0 force d\u2019argent, de remplacer H\u00e9rode dans toute\nson autorit\u00e9: ce qui eut pour effet de brouiller Pilate et H\u00e9rode,\njusqu\u2019au jour o\u00f9 celui-ci, pour se r\u00e9concilier, envoya \u00e0 Pilate\nNotre-Seigneur J\u00e9sus.\nLorsque Pilate eut transmis J\u00e9sus aux Juifs pour le crucifier, il\ncraignit que l\u2019empereur Tib\u00e8re ne s\u2019offens\u00e2t de ce qu\u2019il avait condamn\u00e9\nle sang innocent, et, pour se justifier, il envoya \u00e0 l\u2019empereur un de\nses familiers. Tib\u00e8re souffrait alors d\u2019une grave maladie, et comme on\nlui disait qu\u2019il y avait \u00e0 J\u00e9rusalem un m\u00e9decin qui, d\u2019un seul mot,\ngu\u00e9rissait toutes les maladies, l\u2019empereur (ignorant que ce m\u00e9decin\nvenait d\u2019\u00eatre mis \u00e0 mort par Pilate), dit \u00e0 un de ses familiers, nomm\u00e9\nVolusien: \u00abVa vite au-del\u00e0 des mers, et dis \u00e0 Pilate de m\u2019envoyer ce\nm\u00e9decin!\u00bb Volusien se mit en route; mais Pilate, effray\u00e9, demanda un\nd\u00e9lai de quatorze jours.\nPendant ce temps Volusien, ayant rencontr\u00e9 une femme nomm\u00e9e V\u00e9ronique,\nqui avait connu J\u00e9sus, lui demanda o\u00f9 il pourrait trouver celui-ci. Et\nV\u00e9ronique lui dit: \u00abH\u00e9las, J\u00e9sus \u00e9tait mon ma\u00eetre et mon Dieu, mais\nPilate, par envie, l\u2019a condamn\u00e9 et fait crucifier!\u00bb Volusien fut d\u00e9sol\u00e9\net dit: \u00abJe regrette de ne pouvoir pas accomplir l\u2019ordre de mon ma\u00eetre.\u00bb\nEt V\u00e9ronique: \u00abComme J\u00e9sus \u00e9tait toujours en route pour pr\u00eacher, et que\nsa pr\u00e9sence me manquait fort, je me rendis un jour chez un peintre pour\nqu\u2019il me f\u00eet son portrait, sur une toile que je lui portais. Or le\nSeigneur, m\u2019ayant rencontr\u00e9e, et ayant su o\u00f9 j\u2019allais, appuya ma toile\ncontre sa face, et je vis que son image s\u2019y \u00e9tait grav\u00e9e. Que si\nl\u2019empereur ton ma\u00eetre regarde pieusement cette image, il sera aussit\u00f4t\ngu\u00e9ri.\u00bb Et Volusien: \u00abPeut-on acqu\u00e9rir cette image pour de l\u2019or ou de\nl\u2019argent?\u00bb Et V\u00e9ronique: \u00abNon, mais on peut en acqu\u00e9rir le b\u00e9n\u00e9fice par\nune pi\u00e9t\u00e9 sinc\u00e8re. Je vais aller \u00e0 Rome avec toi, je montrerai l\u2019image \u00e0\nC\u00e9sar, et puis je reviendrai ici!\u00bb Ainsi fut fait, et Volusien dit \u00e0\nTib\u00e8re: \u00abCe J\u00e9sus que tu d\u00e9sirais voir a \u00e9t\u00e9 injustement condamn\u00e9 et\ncrucifi\u00e9 par Pilate et les Juifs. Mais j\u2019ai amen\u00e9 avec moi une femme qui\nposs\u00e8de une image de J\u00e9sus, et qui dit que, si tu regardes cette image\navec d\u00e9votion, tu recouvreras bient\u00f4t la sant\u00e9.\u00bb Alors Tib\u00e8re fit tendre\ntout le chemin d\u2019\u00e9toffes de soie, et se fit pr\u00e9senter l\u2019image et, d\u00e8s\nqu\u2019il l\u2019eut regard\u00e9e, il recouvra la sant\u00e9.\nPonce Pilate fut alors conduit \u00e0 Rome, et Tib\u00e8re, furieux, ordonna qu\u2019on\nle f\u00eet venir devant lui. Mais Pilate avait pris la pr\u00e9caution de rev\u00eatir\nla tunique sans couture de N\u00f4tre-Seigneur: de telle sorte que Tib\u00e8re, en\nle voyant, oublia toute sa fureur, et ne put s\u2019emp\u00eacher de le traiter\navec d\u00e9f\u00e9rence. A peine l\u2019eut-il cong\u00e9di\u00e9, que sa fureur le ressaisit de\nplus belle: mais, chaque fois qu\u2019il le revoyait, sa fureur tombait, au\ngrand \u00e9tonnement de tous. Enfin, sur l\u2019ordre de Dieu, et peut-\u00eatre sur\nle conseil d\u2019un chr\u00e9tien, Tib\u00e8re fit d\u00e9pouiller Pilate de sa tunique,\net, pouvant d\u00e9sormais s\u2019abandonner \u00e0 sa fureur contre lui, il le fit\njeter en prison pour y attendre la mort honteuse qu\u2019il lui r\u00e9servait. Ce\nqu\u2019apprenant, Pilate prit son couteau et se tua. Son cadavre fut attach\u00e9\n\u00e0 une grosse pierre et lanc\u00e9 dans le Tibre; mais les esprits malins et\nsordides s\u2019empar\u00e8rent avec joie de ce corps malin et sordide; tant\u00f4t le\nplongeant dans l\u2019eau, tant\u00f4t le ravissant dans les airs, ils causaient\nd\u2019innombrables inondations, temp\u00eates, etc., dont tout le monde \u00e9tait\neffray\u00e9. Aussi les Romains retir\u00e8rent-ils du Tibre ce cadavre malfaisant\net l\u2019envoy\u00e8rent-ils \u00e0 Vienne, par d\u00e9rision, pour y \u00eatre plong\u00e9 dans le\nRh\u00f4ne, car le nom de Vienne provient de _Via gehenn\u00e6_, qui veut dire:\nVoie de la mal\u00e9diction. Mais, l\u00e0 encore, les mauvais esprits\nrecommenc\u00e8rent leurs tours, si bien que les habitants de Vienne, press\u00e9s\nde se d\u00e9faire de ce vase de mal\u00e9diction, l\u2019ensevelirent sur le\nterritoire de la ville de Lausanne. Mais les habitants de cette ville,\nvoulant eux aussi s\u2019en d\u00e9barrasser, le jet\u00e8rent au fond d\u2019un puits\nentour\u00e9 de hautes montagnes, et l\u2019on dit que, aujourd\u2019hui encore, on\nvoit bouillonner, en ce lieu, des machinations diaboliques.\nTel est le r\u00e9cit qu\u2019on lit dans la susdite histoire apocryphe: je laisse\nau lecteur le soin de juger du degr\u00e9 de confiance qu\u2019il m\u00e9rite. Et je\ndois ajouter que, d\u2019apr\u00e8s l\u2019_Histoire scholastique_, Pilate fut accus\u00e9\npar les Juifs, devant Tib\u00e8re, d\u2019avoir permis le massacre des Innocents,\net d\u2019avoir fait placer dans les temples des images pa\u00efennes, et d\u2019avoir\naffect\u00e9 \u00e0 son usage personnel l\u2019argent d\u00e9pos\u00e9 dans les troncs: toutes\naccusations qui lui valurent d\u2019\u00eatre exil\u00e9 \u00e0 Lyon, d\u2019o\u00f9 il \u00e9tait\noriginaire, et o\u00f9 il est mort, l\u2019opprobre de sa race. D\u2019autre part\nEus\u00e8be et B\u00e8de, dans leur chronique, ne parlent point de son exil, mais\ndisent seulement que, accabl\u00e9 de justes calamit\u00e9s, il se tua de ses\npropres mains.\nLIII\nLA R\u00c9SURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR\nLa r\u00e9surrection du Christ eut lieu le troisi\u00e8me jour apr\u00e8s sa mort. Elle\neut lieu sans que le s\u00e9pulcre s\u2019ouvr\u00eet. Car de m\u00eame que N\u00f4tre-Seigneur a\npu sortir du ventre de sa m\u00e8re sans que celui-ci s\u2019ouvr\u00eet, de m\u00eame qu\u2019il\na pu entrer aupr\u00e8s de ses disciples sans que la porte s\u2019ouvr\u00eet, de m\u00eame\nil a pu se relever de son s\u00e9pulcre sans que celui-ci s\u2019ouvr\u00eet. On lit \u00e0\nce propos, dans l\u2019_Histoire scholastique_, que, l\u2019an du Seigneur 505, un\nmoine de Saint-Laurent Hors les Murs eut un jour la surprise de voir sa\nceinture se projeter devant lui sans \u00eatre d\u00e9nou\u00e9e ni rompue; et qu\u2019il\nentendit, au m\u00eame moment, une voix lui disant: \u00abC\u2019est ainsi que le\nChrist a pu sortir de son s\u00e9pulcre sans que celui-ci s\u2019ouvr\u00eet.\u00bb\nLe Christ est ressuscit\u00e9 avec son corps propre et r\u00e9el.\nNous avons, de cela, cinq preuves: 1\u00ba la parole de l\u2019ange, qui ne\nsaurait mentir; 2\u00ba les fr\u00e9quentes apparitions du Christ; 3\u00ba le fait\nqu\u2019il a mang\u00e9 avec ses disciples; 4\u00ba le fait qu\u2019il s\u2019est laiss\u00e9 toucher,\nce qui prouve que son corps \u00e9tait v\u00e9ritable; 5\u00ba le fait qu\u2019il a montr\u00e9\nses cicatrices, ce qui prouve que ce corps \u00e9tait le m\u00eame qui avait subi\nla passion. Et toutes ces preuves nous portent \u00e0 croire que les\ndisciples ont eu des doutes sur la r\u00e9alit\u00e9 de la r\u00e9surrection corporelle\ndu Christ.\nSaint Denis rapporte, dans son \u00e9p\u00eetre \u00e0 D\u00e9mophile, que le Christ, apr\u00e8s\nson Ascension, est apparu \u00e0 un saint homme nomm\u00e9 Carpe et lui a dit: \u00abJe\nsuis pr\u00eat \u00e0 souffrir de nouveau pour le salut des hommes.\u00bb C\u2019est ce m\u00eame\nCarpe qui, voyant un chr\u00e9tien perverti par un infid\u00e8le, en eut tant de\nchagrin qu\u2019il en devint malade. C\u2019\u00e9tait un homme d\u2019une telle saintet\u00e9,\nque jamais il ne c\u00e9l\u00e9brait la messe sans \u00eatre honor\u00e9 d\u2019une vision\ndivine. Et comme il devait prier pour la conversion des deux infid\u00e8les,\nil ne pouvait s\u2019emp\u00eacher de demander en m\u00eame temps que le feu du ciel\ns\u2019abatt\u00eet sur eux et m\u00eet fin au scandale de leur vie. Or, \u00e0 minuit,\npendant qu\u2019il exprimait ce v\u0153u, la maison o\u00f9 il \u00e9tait lui apparut\ndivis\u00e9e en deux; et au milieu \u00e9tait une immense fournaise, tandis\nqu\u2019au-dessus, dans le ciel ouvert, J\u00e9sus tr\u00f4nait entour\u00e9 de la multitude\ndes anges. Puis, tout pr\u00e8s de la fournaise, vinrent se placer en\ntremblant les deux infid\u00e8les; des serpents s\u2019effor\u00e7aient, en les mordant\net en les entourant, de les entra\u00eener, de force, dans la fournaise; et\nil y avait l\u00e0 des hommes qui les y poussaient aussi. Et Carpe fut si\nravi de ce ch\u00e2timent qu\u2019il oublia de regarder la vision sup\u00e9rieure,\nregrettant seulement que les deux p\u00e9cheurs tardassent aussi longtemps \u00e0\ntomber dans la fournaise. Or, lorsque enfin il se d\u00e9cida \u00e0 relever la\nt\u00eate, il vit que J\u00e9sus, ayant piti\u00e9 des deux malheureux, se levait de\nson tr\u00f4ne c\u00e9leste, descendait vers eux avec la multitude des anges, leur\ntendait la main, et les sauvait de la fournaise. Apr\u00e8s quoi J\u00e9sus dit \u00e0\nCarpe: \u00abFrappez-moi encore, je suis pr\u00eat \u00e0 souffrir de nouveau pour\nsauver les hommes!\u00bb\nLe Christ ressuscit\u00e9 est apparu cinq fois le jour m\u00eame de sa\nr\u00e9surrection, et cinq fois encore durant les jours suivants: 1\u00ba il\napparut d\u2019abord \u00e0 Marie-Madeleine, afin de montrer qu\u2019il \u00e9tait mort pour\nsauver les p\u00e9cheurs; 2\u00ba il apparut ensuite aux femmes qui revenaient du\ntombeau; 3\u00ba il apparut ensuite \u00e0 Simon, mais sans qu\u2019on sache o\u00f9 ni \u00e0\nquel moment; 4\u00ba il apparut ensuite aux disciples allant \u00e0 Emma\u00fcs; 5\u00ba il\napparut aux disciples r\u00e9unis; 6\u00ba le jour de l\u2019octave de sa r\u00e9surrection,\nle Christ apparut aux disciples r\u00e9unis, en pr\u00e9sence de Thomas, qui avait\ndit qu\u2019il ne croirait que quand il verrait; 7\u00ba il apparut \u00e0 ses\ndisciples occup\u00e9s \u00e0 p\u00eacher le poisson; 8\u00ba il leur apparut sur le mont\nThabor; 9\u00ba il leur apparut pendant qu\u2019ils \u00e9taient couch\u00e9s dans le\nc\u00e9nacle, et les bl\u00e2ma de leur cr\u00e9dulit\u00e9 et de la duret\u00e9 de leur c\u0153ur;\n10\u00ba enfin il leur apparut sur le mont des Oliviers au moment de son\nascension.\nEt il y a encore trois autres apparitions qui nous sont rapport\u00e9es comme\ns\u2019\u00e9tant produites le jour de sa r\u00e9surrection, mais, de celles-l\u00e0, les\ntextes saints ne font point mention: 1\u00ba il apparut \u00e0 Jacques, fils\nd\u2019Alph\u00e9e, ainsi qu\u2019on le trouvera expos\u00e9 dans l\u2019histoire de ce saint; 2\u00ba\nd\u2019apr\u00e8s l\u2019Evangile de Nicod\u00e8me, il apparut \u00e0 Joseph d\u2019Arimathie. Nous\nlisons, en effet, dans cet \u00e9vangile que les Juifs, en apprenant que\nJoseph avait r\u00e9clam\u00e9 le corps de J\u00e9sus et l\u2019avait plac\u00e9 dans son\nmonument, s\u2019empar\u00e8rent de lui et l\u2019enferm\u00e8rent dans une chambre\nsoigneusement scell\u00e9e, avec l\u2019intention de le mettre \u00e0 mort apr\u00e8s le\nsabbat; et voil\u00e0 que J\u00e9sus, la nuit m\u00eame de sa r\u00e9surrection, fit\nsoulever par quatre anges la maison o\u00f9 \u00e9tait enferm\u00e9 Joseph, s\u2019approcha\nde celui-ci, lui donna un baiser, et, l\u2019emmenant avec, lui, le\nreconduisit dans sa maison d\u2019Arimathie; 3\u00ba enfin on croit g\u00e9n\u00e9ralement\nque le Christ est apparu, en premier lieu, \u00e0 la Vierge Marie. Les\n\u00e9vang\u00e9listes, en v\u00e9rit\u00e9, n\u2019en disent rien; mais si l\u2019on devait\ninterpr\u00e9ter leur silence comme une n\u00e9gation, on devrait en conclure que,\npas une seule fois, le Christ ressuscit\u00e9 ne serait apparu \u00e0 sa m\u00e8re.\nOn sait que, dans l\u2019intervalle de sa passion et de sa r\u00e9surrection, le\nChrist est descendu dans les limbes, pour y faire sortir les saints\nP\u00e8res qui y attendaient sa venue. L\u2019Evangile ne nous donne aucun d\u00e9tail\nsur cette descente aux limbes; mais nous en trouvons un r\u00e9cit,\nd\u2019ailleurs tr\u00e8s sujet \u00e0 caution, dans l\u2019\u00e9vangile de Nicod\u00e8me. D\u2019apr\u00e8s ce\nlivre, deux fils du vieux Sim\u00e9on, Carin et Leucius, ressuscit\u00e8rent avec\nle Christ, et se montr\u00e8rent \u00e0 Anne, \u00e0 Ca\u00efphe, \u00e0 Nicod\u00e8me, \u00e0 Joseph\nd\u2019Arimathie et \u00e0 Gamaliel. Et comme on leur demandait ce que le Christ\navait fait, aux enfers, ils r\u00e9pondirent: \u00abPendant que nous \u00e9tions\nplong\u00e9s dans les t\u00e9n\u00e8bres, en compagnie de nos p\u00e8res les patriarches,\nsoudain une lumi\u00e8re d\u2019or et de pourpre nous a environn\u00e9s.\u00bb Aussit\u00f4t\nAdam, le p\u00e8re du genre humain, s\u2019est \u00e9cri\u00e9 joyeusement: \u00abCette lumi\u00e8re\nest celle de l\u2019auteur de toute lumi\u00e8re, qui nous a promis de nous\nenvoyer sa lumi\u00e8re \u00e9ternelle!\u00bb Puis Isa\u00efe s\u2019est \u00e9cri\u00e9: \u00abCeci est le Fils\nde Dieu, lumi\u00e8re du P\u00e8re, de m\u00eame que je l\u2019ai pr\u00e9dit de mon vivant,\nquand j\u2019ai dit que le peuple, qui marchait dans les t\u00e9n\u00e8bres, verrait\nune grande lumi\u00e8re.\u00bb Puis est survenu notre p\u00e8re Sim\u00e9on qui a dit:\n\u00abGlorifiez le Seigneur, que j\u2019ai tenu enfant dans mes mains, et de qui\nj\u2019ai dit, sous la dict\u00e9e de l\u2019Esprit-Saint: maintenant mes yeux ont vu\ncela.\u00bb Puis est survenu un ermite qui nous a dit: \u00abJe suis Jean, qui ai\nbaptis\u00e9 le Christ, et lui ai pr\u00e9par\u00e9 les voies, et qui l\u2019ai d\u00e9sign\u00e9 du\ndoigt en disant: voici l\u2019Agneau de Dieu! Je suis descendu ici\naujourd\u2019hui pour vous annoncer que le Christ va bient\u00f4t venir pr\u00e8s de\nvous.\u00bb Puis Seth dit: \u00abComme je me rendais aux portes du paradis, pour\nprier Dieu de me transmettre, par son ange, un peu d\u2019huile de l\u2019arbre de\nmis\u00e9ricorde, afin que j\u2019en oignisse le corps de mon p\u00e8re Adam, l\u2019ange\nMichel m\u2019apparut et me dit que je ne pourrais pas avoir de cette huile\navant que se fussent \u00e9coul\u00e9s cinq mille cinq cents ans.\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, tous les patriarches et proph\u00e8tes furent remplis de joie;\nmais Satan, prince de la mort, dit \u00e0 l\u2019enfer: \u00abPr\u00e9pare-toi \u00e0 recevoir\nJ\u00e9sus, qui se glorifie d\u2019\u00eatre le Fils de Dieu, et qui cependant craint\nla mort, car il a dit que son \u00e2me \u00e9tait triste jusqu\u2019\u00e0 la mort, etc. Il\na rendu l\u2019ou\u00efe \u00e0 bien des hommes que j\u2019avais faits sourds, et remis sur\nleurs pieds bien des hommes que j\u2019avais faits boiteux.\u00bb A quoi l\u2019enfer\nr\u00e9pondit: \u00abSi tu es puissant, quel homme est donc ce J\u00e9sus, qui, tout en\ncraignant la mort, r\u00e9siste \u00e0 ta puissance?\u00bb Et Satan: \u00abJe l\u2019ai tent\u00e9,\nj\u2019ai excit\u00e9 le peuple contre lui, j\u2019ai aiguis\u00e9 la lance qui l\u2019a\ntransperc\u00e9, je lui ai m\u00eal\u00e9 du fiel et du vinaigre, j\u2019ai pr\u00e9par\u00e9 le bois\nde sa croix. D\u2019un instant \u00e0 l\u2019autre, il va mourir, et je te l\u2019am\u00e8nerai.\u00bb\nL\u2019enfer lui r\u00e9pondit: \u00abAu nom de ton pouvoir et du mien, je te conjure\nde ne pas me l\u2019amener ici, car j\u2019ai eu d\u00e9j\u00e0 \u00e0 reconna\u00eetre la\ntoute-puissance de sa parole, et je n\u2019ai pas pu l\u2019emp\u00eacher, tout\nr\u00e9cemment encore, de m\u2019enlever Lazare.\u00bb Au m\u00eame instant, une voix haute\ncomme le tonnerre s\u2019est fait entendre, qui disait: \u00abEnfer, rel\u00e8ve tes\nportes, car voici que va entrer le roi de gloire!\u00bb A ces mots, les\nd\u00e9mons accoururent et ferm\u00e8rent les portes d\u2019airain avec des barres de\nfer. Et David s\u2019\u00e9cria: \u00abN\u2019ai-je point pr\u00e9dit que le Seigneur briserait\nles portes d\u2019airain?\u00bb De nouveau, la voix retentit et dit: \u00abEnfer,\nrel\u00e8ve tes portes!\u00bb Puis le Roi de gloire entra; et tendant sa main, il\nprit la main d\u2019Adam et lui dit: \u00abPaix \u00e0 toi et \u00e0 tous les justes d\u2019entre\ntes fils!\u00bb Puis il sortit des enfers, et tous les saints le suivirent.\nJ\u00e9sus remit ensuite Adam \u00e0 l\u2019archange Michel, qui le fit entrer au\nparadis. Et comme nous y entrions tous, nous v\u00eemes venir \u00e0 nous deux\nvieillards, dont l\u2019un nous dit: \u00abJe suis Enoch, et mon compagnon est\nElie, qui s\u2019est \u00e9lev\u00e9 jusqu\u2019ici dans un char de feu. Tous deux, nous\nn\u2019avons pas encore go\u00fbt\u00e9 de la mort, car nous sommes destin\u00e9s \u00e0 attendre\nla venue de l\u2019Ant\u00e9christ, \u00e0 combattre avec lui, \u00e0 \u00eatre tu\u00e9s par lui, et,\nle troisi\u00e8me jour, \u00e0 \u00eatre \u00e9lev\u00e9s dans les nuages.\u00bb Pendant qu\u2019Enoch\nparlait, survint un homme qui portait une croix sur ses \u00e9paules; et il\nleur dit: \u00abJ\u2019\u00e9tais un larron, et, \u00e9tant crucifi\u00e9 pr\u00e8s de J\u00e9sus, j\u2019ai cru\nen lui, et l\u2019ai pri\u00e9 de se souvenir de moi dans le royaume de son P\u00e8re.\nAlors il m\u2019a r\u00e9pondu que, aujourd\u2019hui m\u00eame, je serais avec lui dans le\nparadis. Et il m\u2019a dit que si l\u2019on refusait de me laisser entrer, le\nsigne de cette croix suffirait \u00e0 me faire ouvrir les portes. En effet,\non vient de m\u2019admettre ici, et de m\u2019indiquer ma place sur le c\u00f4t\u00e9 droit\ndu paradis.\u00bb Et lorsque Carin et Leucius eurent dit cela, soudain ils se\ntransfigur\u00e8rent, et on ne les revit plus.\nLIV\nSAINT SECOND, MARTYR\n(30 mars)\n1. Second \u00e9tait un vaillant soldat, en m\u00eame temps qu\u2019un admirable\nchevalier du Christ, pour qui il souffrit glorieusement le martyre dans\nla ville d\u2019Asti; et, aujourd\u2019hui encore, cette ville s\u2019honore de son\nsouvenir et le v\u00e9n\u00e8re comme un saint patron. Il fut d\u2019abord instruit\ndans la foi du Christ par le bienheureux Caloc\u00e9rus, que le pr\u00e9fet\nSapritius avait fait enfermer dans la prison d\u2019Asti. Or comme, un jour,\nce Sapritius se pr\u00e9parait \u00e0 sortir d\u2019Asti pour se rendre \u00e0 Tortone et\npour y pr\u00e9sider \u00e0 l\u2019ex\u00e9cution d\u2019un autre prisonnier chr\u00e9tien, le\nbienheureux Marcien, Second lui demanda de pouvoir l\u2019accompagner,\nsoi-disant pour se distraire, mais en r\u00e9alit\u00e9 pour voir Marcien. Et\nvoici qu\u2019au sortir des murs d\u2019Asti une colombe descendit sur le casque\nde Second; et Sapritius dit \u00e0 son compagnon: \u00abVois-tu, Second, comme nos\ndieux t\u2019aiment? Ils te font rendre hommage par les oiseaux du ciel!\u00bb\nPlus tard, quand ils arriv\u00e8rent au fleuve Tanaro, Second vit un ange qui\nmarchait sur l\u2019eau et qui lui disait: \u00abSecond, aie la foi, et tu\nmarcheras de m\u00eame sur les adorateurs des idoles!\u00bb Et Sapritius: \u00abMon\nfr\u00e8re Second, j\u2019entends les dieux qui t\u2019adressent la parole!\u00bb Et quand\nils arriv\u00e8rent \u00e0 un autre fleuve, nomm\u00e9 la Bormida, de nouveau un ange\nleur apparut, marchant sur les eaux; et il dit \u00e0 Second: \u00abCrois-tu en\nJ\u00e9sus, ou bien doutes-tu?\u00bb Et Second r\u00e9pondit: \u00abJe crois \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 de\nsa passion!\u00bb Et Sapritius dit: \u00abQu\u2019entends-je l\u00e0?\u00bb. En arrivant \u00e0\nTortone, ils virent sur la porte de la prison le bienheureux Marcien,\nqui, mis en libert\u00e9 par un ange, dit \u00e0 Second: \u00abSecond, entre dans la\nvoie de v\u00e9rit\u00e9, et marches-y, et tu recevras la palme de la foi!\u00bb Et\nSapritius lui dit: \u00abQui est cet homme, qui nous parle ainsi comme en\nsonge?\u00bb Et Second r\u00e9pondit: \u00abCe qui te fait l\u2019effet d\u2019un songe est pour\nmoi un avertissement et une consolation!\u00bb\nII. Second se rendit ensuite \u00e0 Milan; et, devant les portes de la ville,\nil rencontra Faustin et Jonitas, qui eux aussi \u00e9taient prisonniers pour\nleur foi, mais qu\u2019un ange avait fait sortir de la prison et conduits\njusque-l\u00e0. Et ces deux saints hommes le baptis\u00e8rent avec l\u2019eau d\u2019un\nnuage qui se changea en pluie. Alors voici soudain qu\u2019une colombe\ndescendit du ciel, apportant une hostie consacr\u00e9e, qu\u2019elle donna \u00e0\nFaustin et \u00e0 Jonitas, qui, \u00e0 leur tour, la remirent \u00e0 Second, en le\nchargeant d\u2019aller la porter au bienheureux Marcien. Second rebroussa\nchemin; et, la nuit, comme il \u00e9tait parvenu au bord du P\u00f4, un ange vint\nau-devant de lui, prit son cheval par la bride, et lui fit traverser les\neaux du fleuve comme sur un pont; puis, \u00e0 Tortone, il fit entrer Second\ndans la cellule o\u00f9 Marcien \u00e9tait revenu s\u2019enfermer. Ainsi Second put\nremettre \u00e0 Marcien la sainte hostie; et Marcien, la prenant, dit: \u00abQue\nle corps et le sang du Seigneur soient avec moi dans la vie \u00e9ternelle!\u00bb\nPuis, sur l\u2019ordre de l\u2019ange, Second sortit de la prison et se rendit \u00e0\nson h\u00f4tellerie. Et, le lendemain, lorsque Marcien eut subi le martyre,\nSecond enleva son corps et l\u2019ensevelit.\nIII. Ce qu\u2019apprenant, Sapritius le fit venir et lui dit: \u00abA ce que je\nvois, tu fais profession d\u2019\u00eatre chr\u00e9tien?--Oui.--Aspires-tu donc \u00e0\nmourir dans les supplices?--C\u2019est toi, plut\u00f4t, qui m\u00e9riterais de mourir\nainsi!\u00bb Puis, comme il se refusait \u00e0 sacrifier aux idoles, le pr\u00e9fet le\nfit d\u00e9pouiller de ses v\u00eatements, mais aussit\u00f4t un ange s\u2019approcha de lui\net le couvrit d\u2019un manteau. Sapritius le fit alors suspendre sur un\nchevalet, et ordonna qu\u2019il f\u00fbt tortur\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 ce que se rompissent\ntoutes les articulations de ses bras; mais, de nouveau, le Seigneur lui\nrendit aussit\u00f4t la sant\u00e9. Le pr\u00e9fet, exasp\u00e9r\u00e9, le fit enfermer dans la\nprison. Mais l\u00e0 un ange lui apparut qui lui dit \u00abL\u00e8ve-toi, Second, et\nsuis-moi! Je te conduirai vers ton Cr\u00e9ateur.\u00bb Puis l\u2019ange le conduisit\njusqu\u2019\u00e0 la ville d\u2019Asti et le fit entrer dans la prison ou se trouvait\nCaloc\u00e9rus; et le Sauveur y \u00e9tait aussi. L\u2019apercevant, Second se jeta \u00e0\nses pieds. Mais le Sauveur: \u00abNe crains rien, Second, car je suis ton\nMa\u00eetre, et je t\u2019arracherai \u00e0 tous les maux!\u00bb Apr\u00e8s quoi, les ayant\nb\u00e9nis, il remonta au ciel.\nIV. Or le lendemain matin, \u00e0 Tortone, les gardes envoy\u00e9s par Sapritius\ntrouv\u00e8rent la prison ferm\u00e9e comme la veille, mais n\u2019y trouv\u00e8rent plus\nSecond. Sapritius revint alors \u00e0 Asti. Afin de ch\u00e2tier au moins\nCaloc\u00e9rus, il se fit amener celui-ci; mais voil\u00e0 qu\u2019on lui annonce que\nSecond est dans la prison avec Caloc\u00e9rus! Le pr\u00e9fet les fit donc venir\ntous deux, et leur dit: \u00abCe sont nos dieux qui, sachant que vous les\nd\u00e9daigniez, veulent que vous p\u00e9rissiez ensemble!\u00bb Et, sur leur nouveau\nrefus de sacrifier aux idoles, il leur fit r\u00e9pandre sur la t\u00eate et dans\nla bouche un m\u00e9lange de poix et de r\u00e9sine bouillante. Mais eux, ils\nbuvaient ce m\u00e9lange comme une eau d\u00e9licieuse, et disaient d\u2019une voix\nclaire: \u00abSeigneur, que tes dons sont doux \u00e0 ma gorge!\u00bb Enfin Sapritius\nordonna que tous deux fussent d\u00e9capit\u00e9s, Second \u00e0 Asti, et Caloc\u00e9rus\ndans la ville d\u2019Albenga. Et, aussit\u00f4t que saint Second eut \u00e9t\u00e9 d\u00e9capit\u00e9,\ndes anges enlev\u00e8rent son corps, et l\u2019ensevelirent avec beaucoup de\nchants et de louanges. Ce martyre eut lieu le troisi\u00e8me jour des\ncalendes d\u2019avril.\nLV\nSAINT MAMERTIN, ABB\u00c9\n(30 mars)\nMamertin fut d\u2019abord pa\u00efen. Pendant qu\u2019il adorait une idole, il perdit\nun \u0153il, et une de ses mains se dess\u00e9cha. Il crut avoir offens\u00e9 ses\ndieux, et voulut courir au temple pour obtenir son pardon. Mais il\nrencontra en route un saint homme nomm\u00e9 Savin, qui lui demanda d\u2019o\u00f9 lui\n\u00e9tait venue son infirmit\u00e9. Il r\u00e9pondit: \u00abJ\u2019ai offens\u00e9 mes dieux et\nmaintenant je vais les prier de me rendre ce que, dans leur col\u00e8re, ils\nm\u2019ont enlev\u00e9.\u00bb Et Savin: \u00abTu te trompes, mon fr\u00e8re, en prenant les\nd\u00e9mons pour des dieux. Va plut\u00f4t trouver Germain, \u00e9v\u00eaque d\u2019Auxerre et,\nsi tu suis ses conseils, tu seras gu\u00e9ri!\u00bb Mamertin partit aussit\u00f4t; mais\nla pluie le for\u00e7a \u00e0 s\u2019arr\u00eater, en route, dans un lieu o\u00f9 \u00e9taient\nensevelis saint Amator et plusieurs autres saints \u00e9v\u00eaques. Dans une\ncellule plac\u00e9e sur une tombe de saint Concordien, il trouva un abri pour\nla nuit. Et il vit en r\u00eave un homme qui, venant jusqu\u2019\u00e0 la porte de la\ncellule, appelait saint Concordien pour assister \u00e0 une f\u00eate, o\u00f9 il\ndisait que se trouvaient d\u00e9j\u00e0 saint Amator, saint P\u00e8lerin et d\u2019autres\n\u00e9v\u00eaques. Et une voix r\u00e9pondit de la tombe: \u00abJe ne puis venir cette nuit,\n\u00e9tant forc\u00e9 de veiller sur mon h\u00f4te, pour l\u2019emp\u00eacher d\u2019\u00eatre d\u00e9vor\u00e9 par\nles serpents qui habitent ici.\u00bb Mais bient\u00f4t l\u2019inconnu revint et dit:\n\u00abSaint Concordien, l\u00e8ve-toi, viens, et emm\u00e8ne avec toi ton sous-diacre\nVivien et son acolyte Junien! Alexandre se chargera de veiller sur ton\nh\u00f4te.\u00bb Et Mamertin vit ensuite que saint Concordien, le prenant par la\nmain, l\u2019emmenait avec lui; mais, lorsqu\u2019ils furent arriv\u00e9s pr\u00e8s des\nautres \u00e9v\u00eaques, saint Amator dit: \u00abQui est cet \u00e9tranger que tu nous\nam\u00e8nes?\u00bb Et saint Concordien: \u00abC\u2019est mon h\u00f4te!\u00bb Et saint Amator:\n\u00abChasse-le d\u2019ici, car il est impur et ne saurait rester avec nous!\u00bb Sur\nquoi Mamertin, toujours en r\u00eave, se prosterna devant saint Amator, qui\nlui ordonna de se rendre au plus vite aupr\u00e8s de saint Germain. Aussi,\nd\u00e8s qu\u2019il fut \u00e9veill\u00e9, courut-il vers ce saint; et d\u00e8s que celui-ci eut\nentendu l\u2019histoire de son r\u00eave, il retourna avec lui au tombeau de saint\nConcordien. L\u00e0, sous la pierre du tombeau, ils virent un grand nombre de\nserpents dont la longueur d\u00e9passait dix pieds. Et saint Germain leur\nordonna de sortir de l\u00e0, pour aller se cacher dans un lieu o\u00f9 ils ne\npourraient faire de mal \u00e0 personne. C\u2019est ainsi que Mamertin fut\nbaptis\u00e9. Il recouvra aussit\u00f4t la sant\u00e9, et entra dans le monast\u00e8re de\nsaint Germain, dont il devint abb\u00e9, apr\u00e8s la mort de saint Ollodius.\nIl y avait alors, dans ce monast\u00e8re, un saint moine nomm\u00e9 Marin, dont\nMamertin voulut \u00e9prouver l\u2019ob\u00e9issance. Il lui confia donc la t\u00e2che la\nplus vile du monast\u00e8re, qui consistait \u00e0 pa\u00eetre les b\u0153ufs. Et saint\nMarin, pendant qu\u2019il gardait ses b\u0153ufs et ses vaches dans le bois,\nrayonnait d\u2019une telle saintet\u00e9, que tous les oiseaux du bois accouraient\n\u00e0 lui pour qu\u2019il les nourr\u00eet de sa main. Un sanglier s\u2019\u00e9tant r\u00e9fugi\u00e9\ndans sa cellule, il le sauva des chiens qui le poursuivaient, et lui\npermit de s\u2019en aller librement. Un jour, des voleurs le d\u00e9pouill\u00e8rent de\nses v\u00eatements, ne lui laissant qu\u2019une petite tunique. Et le voici qui\ncourt derri\u00e8re eux, et qui leur crie: \u00abRevenez, Messieurs, car j\u2019ai\nencore trouv\u00e9 ce denier dans la doublure de ma tunique! Et peut-\u00eatre en\naurez-vous besoin!\u00bb Aussit\u00f4t les voleurs, retournant sur leurs pas, lui\nenlev\u00e8rent la tunique avec le denier et le laiss\u00e8rent compl\u00e8tement nu.\nApr\u00e8s quoi ils reprirent le chemin de leur caverne; mais ils march\u00e8rent\ntoute la nuit, et, \u00e0 l\u2019aube, ils se retrouv\u00e8rent devant la cellule du\nsaint berger. Celui-ci, les ayant salu\u00e9s tendrement, les re\u00e7ut dans sa\ncellule, leur lava les pieds, et s\u2019occupa de leur pr\u00e9parer \u00e0 manger. Ce\nque voyant, les voleurs, stup\u00e9faits, eurent honte de leur conduite et se\nconvertirent tous \u00e0 la foi.\nUn jour, un jeune moine du monast\u00e8re de saint Mamertin s\u2019\u00e9tait amus\u00e9 \u00e0\ntendre un pi\u00e8ge \u00e0 un ours qui attaquait les brebis; et l\u2019ours, la nuit,\ns\u2019\u00e9tait laiss\u00e9 prendre. Mais saint Mamertin, ayant devin\u00e9 la chose du\nfond de son lit, se leva, alla trouver l\u2019ours, et lui dit: \u00abQue fais-tu\nl\u00e0, malheureux? Va-t\u2019en bien vite pour n\u2019\u00eatre pas pris!\u00bb Et il le\nd\u00e9livra et le laissa partir.\nLorsqu\u2019il mourut, on porta son corps \u00e0 Auxerre. Mais, comme on passait\npr\u00e8s d\u2019une prison, le corps devint tout \u00e0 coup si lourd qu\u2019on ne put le\nfaire avancer, jusqu\u2019au moment o\u00f9 un des prisonniers, dont les cha\u00eenes\ns\u2019\u00e9taient rompues miraculeusement, accourut et aida \u00e0 porter le corps\njusqu\u2019\u00e0 la ville. Saint Mamertin fut enterr\u00e9 en grande pompe dans\nl\u2019\u00e9glise de Saint-Germain.\nLVI\nSAINTE MARIE L\u2019\u00c9GYPTIENNE, P\u00c9CHERESSE\n(2 avril)\nSainte Marie l\u2019Egyptienne, qu\u2019on appelle aussi la P\u00e9cheresse, mena\npendant quarante-sept ans, au d\u00e9sert, une vie de repentir et de\nprivations. Certain abb\u00e9, nomm\u00e9 Zosime, qui avait franchi le Jourdain et\nparcourait le d\u00e9sert, dans l\u2019espoir d\u2019y rencontrer quelque saint ermite,\naper\u00e7ut un jour devant lui une cr\u00e9ature bizarre, toute nue, avec un\ncorps tout noir et br\u00fbl\u00e9 du soleil. Cette cr\u00e9ature aussit\u00f4t s\u2019enfuit, et\nZosime se mit \u00e0 courir \u00e0 sa poursuite, de toute la force de ses jambes.\nAlors elle lui dit: \u00abAbb\u00e9 Zosime, pourquoi me poursuis-tu? Pardonne-moi\nde ne pouvoir me retourner vers toi; mais c\u2019est que je suis une femme et\nque je suis nue! Lance-moi ton manteau, afin que, m\u2019en \u00e9tant couverte,\nje puisse te regarder sans honte!\u00bb L\u2019abb\u00e9, stup\u00e9fait de s\u2019entendre\nappeler par son nom, lui jeta son manteau, et, se prosternant devant\nelle la pria de le b\u00e9nir. Mais elle: \u00abC\u2019est \u00e0 toi plut\u00f4t de me b\u00e9nir,\nmon p\u00e8re, toi qui as rev\u00eatu la dignit\u00e9 du sacerdoce!\u00bb Et Zosime, voyant\nqu\u2019elle connaissait non seulement son nom, mais aussi sa qualit\u00e9 de\npr\u00eatre, s\u2019\u00e9tonnait davantage encore, et mettait encore plus d\u2019insistance\n\u00e0 lui demander sa b\u00e9n\u00e9diction. Alors elle dit: \u00abQue b\u00e9ni soit Dieu,\nr\u00e9dempteur de nos \u00e2mes!\u00bb Et pendant qu\u2019elle priait, avec les mains\n\u00e9tendues, il vit qu\u2019elle \u00e9tait soulev\u00e9e de terre \u00e0 la hauteur d\u2019une\ncoud\u00e9e. Sur quoi un doute surgit dans l\u2019\u00e2me du vieil abb\u00e9, qui se\ndemanda si ce n\u2019\u00e9tait pas un esprit, faisant semblant de prier pour le\nd\u00e9cevoir. Mais elle: \u00abQue Dieu te rassure, abb\u00e9, et t\u2019emp\u00eache de prendre\nune pauvre p\u00e9cheresse pour un mauvais esprit!\u00bb Zosime la somma alors, au\nnom du Seigneur, d\u2019avoir \u00e0 lui dire qui elle \u00e9tait. Et elle: \u00abP\u00e8re,\npardonne-moi, mais si je t\u2019avoue qui je suis, tu t\u2019enfuiras effray\u00e9\ncomme \u00e0 la vue d\u2019un serpent, et tes oreilles seront souill\u00e9es de mes\nparoles, et l\u2019air sera empest\u00e9 de mon impuret\u00e9!\u00bb Mais, comme Zosime\ninsistait, elle finit par lui dire:\n\u00abJe m\u2019appelle Marie, et suis n\u00e9e en Egypte. Venue \u00e0 Alexandrie, vers\nl\u2019\u00e2ge de douze ans, j\u2019y ai fait pendant dix-sept ans m\u00e9tier de fille\npublique, vendant mon corps \u00e0 qui en voulait. Mais, un jour, comme des\nhabitants de la ville partaient pour adorer la sainte Croix \u00e0 J\u00e9rusalem,\nje priai les matelots de me laisser m\u2019embarquer avec eux. Ils me\ndemand\u00e8rent si j\u2019avais l\u2019argent du passage. Et je leur r\u00e9pondis que je\nn\u2019avais point d\u2019argent, mais que, pour payer mon passage, je leur\noffrais mon corps. Et ainsi ils me prirent, et ce fut mon corps qui\nservit \u00e0 les payer. Mais voici qu\u2019\u00e0 J\u00e9rusalem, comme je me pr\u00e9sentais\navec les autres p\u00e8lerins aux portes de l\u2019\u00e9glise, je me sentis soudain\nrepouss\u00e9e par une force invisible, qui ne me permit point d\u2019entrer dans\nl\u2019\u00e9glise. Vingt fois je m\u2019approchai des portes; vingt fois, sur le\nseuil, cette force invisible me retint et m\u2019emp\u00eacha d\u2019entrer. Et tous\nles autres entraient librement, sans que rien les en emp\u00each\u00e2t: de telle\nsorte que, sit\u00f4t revenue \u00e0 l\u2019auberge, je compris que c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une\ncons\u00e9quence de ma vie criminelle; et je me mis \u00e0 me d\u00e9chirer la\npoitrine, \u00e0 verser des larmes am\u00e8res, et \u00e0 soupirer du plus profond de\nmon c\u0153ur. Puis, apercevant sur le mur une image de la bienheureuse\nVierge Marie, je me mis \u00e0 la supplier de m\u2019obtenir le pardon de mes\np\u00e9ch\u00e9s, et la permission d\u2019entrer dans l\u2019\u00e9glise pour adorer la sainte\nCroix; en \u00e9change de quoi je promis de renoncer au monde et de vivre\nd\u00e9sormais dans la chastet\u00e9. Cette pri\u00e8re me rendit confiance, et de\nnouveau je me pr\u00e9sentais aux portes de l\u2019\u00e9glise; et voil\u00e0 que, cette\nfois, je pus y entrer sans aucun emp\u00eachement. Et, pendant que j\u2019adorais\npieusement la sainte Croix, un inconnu me remit trois pi\u00e8ces de monnaie,\navec lesquels j\u2019achetai trois pains. Et j\u2019entendis une voix qui me\ndisait: \u00abTraverse le Jourdain, et tu seras sauv\u00e9e!\u00bb Je traversai donc le\nJourdain et vins dans ce d\u00e9sert, o\u00f9, depuis quarante-six ans, je demeure\nsans avoir jamais vu figure humaine, vivant des trois pains que j\u2019ai\nemport\u00e9s avec moi, et qui, devenus maintenant durs comme des pierres,\nsuffisent encore \u00e0 ma nourriture. Quant \u00e0 mes v\u00eatements, depuis\nlongtemps d\u00e9j\u00e0 ils sont tomb\u00e9s en morceaux. Et, pendant les dix-sept\npremi\u00e8res ann\u00e9es de mon s\u00e9jour au d\u00e9sert, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 tourment\u00e9e de\ntentations charnelles; mais, \u00e0 pr\u00e9sent, par la gr\u00e2ce de Dieu, je les ai\ntoutes vaincues. Voil\u00e0 mon histoire. Je te l\u2019ai racont\u00e9e afin que tu\ndaignes prier Dieu pour moi!\u00bb\nAlors le vieillard, se prosternant \u00e0 terre, b\u00e9nit le Seigneur dans la\npersonne de sa servante. Et celle-ci lui dit: \u00abEcoute ce que je vais te\ndemander! C\u2019est que, le jour de P\u00e2ques, tu passes de nouveau le\nJourdain, en apportant avec toi une hostie consacr\u00e9e. Je t\u2019attendrai sur\nle rivage, et recevrai de ta main le corps du Seigneur, car je n\u2019ai plus\ncommuni\u00e9 depuis le jour de mon arriv\u00e9e ici!\u00bb Le vieillard s\u2019en retourna\ndonc dans son monast\u00e8re; et, l\u2019ann\u00e9e suivante, aux approches de la f\u00eate\nde P\u00e2ques, il revint jusqu\u2019\u00e0 la rive du Jourdain, emportant avec lui une\nhostie consacr\u00e9e. Et voici qu\u2019il aper\u00e7ut la femme debout sur l\u2019autre\nrive. Et voici que, ayant fait le signe de la croix sur les eaux, elle\nse mit \u00e0 marcher sur elles et parvint ainsi jusqu\u2019au vieillard.\nCelui-ci, \u00e9merveill\u00e9 de ce miracle, voulut se prosterner humblement \u00e0\nses pieds. Mais elle lui dit: \u00abMon p\u00e8re, garde-toi de te prosterner\ndevant moi, surtout maintenant que tu es porteur du corps du Christ;\nmais daigne seulement revenir encore vers moi l\u2019ann\u00e9e prochaine!\u00bb Puis,\nayant re\u00e7u le sacrement, elle fit de nouveau un signe de croix, et de\nnouveau marcha sur les eaux jusqu\u2019\u00e0 l\u2019autre rive.\nL\u2019ann\u00e9e suivante, Zosime ne la trouva plus sur le rivage. Il passa le\nfleuve, se rendit \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 il l\u2019avait vue la premi\u00e8re fois; et l\u00e0\nil la vit, morte, \u00e9tendue sur le sable. Alors il fondit en larmes; et il\nn\u2019osait point toucher ses restes, par crainte de lui d\u00e9plaire, car elle\n\u00e9tait nue. Mais tandis qu\u2019il songeait aux moyens de l\u2019ensevelir, il lut\nune inscription trac\u00e9e sur le sable: \u00abZosime, ensevelis mon corps, rends\nmes cendres \u00e0 la terre, et prie pour moi le Seigneur, sur l\u2019ordre de qui\nj\u2019ai enfin \u00e9t\u00e9 d\u00e9livr\u00e9e de ce monde, le second jour d\u2019avril!\u00bb Ainsi le\nvieillard d\u00e9couvrit qu\u2019elle \u00e9tait morte presque aussit\u00f4t apr\u00e8s avoir\nre\u00e7u la sainte communion. Et comme il s\u2019\u00e9puisait \u00e0 creuser une fosse, il\nvit un lion, qui, doucement, s\u2019approchait de lui. Et il lui dit: \u00abCette\nsainte femme m\u2019a ordonn\u00e9 d\u2019ensevelir son corps; mais, vieux comme je le\nsuis, et n\u2019ayant point de b\u00eache, je ne parviens pas \u00e0 creuser la fosse.\nToi donc, mon ami, creuse une fosse, afin que nous puissions ensevelir\nle corps v\u00e9n\u00e9r\u00e9 de Marie l\u2019Egyptienne!\u00bb Et aussit\u00f4t le lion se mit \u00e0\ncreuser une grande fosse, apr\u00e8s quoi il s\u2019en alla, doux comme un agneau;\net le vieillard s\u2019en retourna vers son monast\u00e8re en glorifiant Dieu.\nLVII\nSAINT AMBROISE, \u00c9V\u00caQUE ET DOCTEUR\n(4 avril)\nLa vie de saint Ambroise a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite par Paulin, \u00e9v\u00eaque de Nole, dans\nune lettre \u00e0 saint Augustin.\nI. Saint Ambroise \u00e9tait fils d\u2019un pr\u00e9fet de Rome nomm\u00e9 Ambroise. Pendant\nqu\u2019il dormait dans son berceau, un essaim d\u2019abeilles descendit sur lui,\net les abeilles entraient dans sa bouche comme dans une ruche; apr\u00e8s\nquoi elles s\u2019envol\u00e8rent si haut que l\u2019\u0153il humain les perdait de vue.\nAlors le p\u00e8re de l\u2019enfant s\u2019\u00e9cria: \u00abCet enfant, s\u2019il vit, deviendra\nquelque chose de grand!\u00bb Plus tard Ambroise, \u00e9tant adolescent, et voyant\nque sa m\u00e8re et sa s\u0153ur baisaient les mains des pr\u00eatres, offrit un jour \u00e0\nsa s\u0153ur ses propres mains \u00e0 baiser, par mani\u00e8re de jeu, et ajouta\nqu\u2019elle aurait un jour \u00e0 les lui baiser s\u00e9rieusement. Il \u00e9tudia les\nlettres \u00e0 Rome, et plaida au pr\u00e9toire avec tant d\u2019\u00e9clat que l\u2019empereur\nValentinien le chargea de gouverner les provinces de la Ligurie et de\nl\u2019Emilie. Il vint donc \u00e0 Milan, o\u00f9 tout le peuple s\u2019\u00e9tait r\u00e9uni pour\n\u00e9lire un \u00e9v\u00eaque. Et comme les ariens et les catholiques se querellaient\nau sujet de cette \u00e9lection, Ambroise intervint entre eux pour apaiser\nleur querelle. Et voici qu\u2019une voix d\u2019enfant se fit entendre tout \u00e0\ncoup, disant qu\u2019Ambroise lui-m\u00eame devait \u00eatre \u00e9lu \u00e9v\u00eaque: ce \u00e0 quoi tout\nle peuple consentit, de telle sorte qu\u2019Ambroise fut \u00e9lu par acclamation.\nMais lui, d\u00e8s qu\u2019il le sut, s\u2019effor\u00e7a de les d\u00e9tourner de ce choix en\nles terrorisant: sortant de l\u2019\u00e9glise il se rendit \u00e0 son tribunal, et,\ncontre son habitude, condamna plusieurs pr\u00e9venus \u00e0 des peines\ncorporelles. Cependant le peuple persistait dans son choix et continuait\n\u00e0 l\u2019acclamer, disant: \u00abQue la faute de ton p\u00e9ch\u00e9 retombe sur nous!\u00bb\nAlors, tout troubl\u00e9, Ambroise rentra chez lui et y fit venir, au su de\ntous, des filles publiques, esp\u00e9rant que la vue de ce scandale\nd\u00e9tournerait le peuple de le prendre pour \u00e9v\u00eaque. Mais cela m\u00eame ne\nservit de rien, car le peuple persistait \u00e0 lui dire: \u00abQue ta faute\nretombe sur nous!\u00bb Alors Ambroise, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, r\u00e9solut de s\u2019enfuir au\nmilieu de la nuit, et se mit en route dans la direction du Tessin. Mais,\napr\u00e8s avoir march\u00e9 toute la nuit, il se retrouva, le matin, devant une\nporte de Milan qu\u2019on appelle la Porte Romaine. Il y fut reconnu par le\npeuple, et gard\u00e9 par lui; et l\u2019on rendit compte de la chose \u00e0 l\u2019empereur\nValentinien, qui fut enchant\u00e9 de voir qu\u2019on prenait pour \u00e9v\u00eaque un de\nses fonctionnaires. Et le bon pr\u00e9fet, p\u00e8re d\u2019Ambroise, se r\u00e9jouissait de\nvoir sa pr\u00e9diction r\u00e9alis\u00e9e. Cependant Ambroise, \u00e0 Milan, \u00e9tait de\nnouveau parvenu \u00e0 se cacher, mais de nouveau il fut retrouv\u00e9. Il re\u00e7ut\nle bapt\u00eame, car il n\u2019\u00e9tait encore que cat\u00e9chum\u00e8ne, et, huit jours apr\u00e8s,\nil montait dans la chaire \u00e9piscopale. Et comme, quatre ans plus tard, il\n\u00e9tait retourn\u00e9 \u00e0 Rome et que sa s\u0153ur lui baisait respectueusement la\nmain, il lui dit en riant: \u00abEh bien, ne l\u2019avais-je pas pr\u00e9dit, que tu\naurais un jour \u00e0 me baiser la main pour de bon?\u00bb\nII. Ambroise vint un jour ordonner un \u00e9v\u00eaque dans une ville o\u00f9\nl\u2019imp\u00e9ratrice Justine et d\u2019autres h\u00e9r\u00e9tiques voulaient faire \u00e9lire un\nhomme de leur secte. Et voici qu\u2019une jeune fille arienne, plus hardie\nque les autres, monta dans la chaire o\u00f9 se tenait saint Ambroise, et se\nmit \u00e0 le tirer par le pan de son manteau; elle esp\u00e9rait l\u2019entra\u00eener vers\nun groupe de femmes qui l\u2019auraient frapp\u00e9 et jet\u00e9 hors de l\u2019\u00e9glise. Mais\nAmbroise lui dit: \u00abSi indigne que je sois de mon sacerdoce, tu n\u2019as pas\nle droit de porter la main sur un pr\u00eatre! Crains le jugement de Dieu, et\nprends garde que quelque mal n\u2019en r\u00e9sulte pour toi!\u00bb Paroles que\nl\u2019\u00e9v\u00e9nement ne tarda pas \u00e0 confirmer: car, le lendemain, la jeune fille\nmourut, et Ambroise la conduisit jusqu\u2019au lieu de sa s\u00e9pulture, rendant\nainsi le bien pour le mal. Et l\u2019exemple de cette mort effraya toute la\nville.\nRevenu \u00e0 Milan, saint Ambroise eut \u00e0 \u00e9viter d\u2019innombrables pi\u00e8ges de\nl\u2019imp\u00e9ratrice Justine qui, par l\u2019argent et par les honneurs, excitait le\npeuple contre lui. Et comme plusieurs s\u2019effor\u00e7aient de le contraindre \u00e0\nquitter la ville, l\u2019un d\u2019eux, plus mal avis\u00e9 que les autres, loua une\nmaison tout contre l\u2019\u00e9glise et y tint pr\u00eat un char \u00e0 quatre chevaux, de\nfa\u00e7on \u00e0 pouvoir emmener au plus vite l\u2019\u00e9v\u00eaque quand, avec l\u2019aide de\nJustine, il serait parvenu \u00e0 s\u2019emparer de lui. Mais Dieu voulut que, le\njour o\u00f9 cet homme avait esp\u00e9r\u00e9 emmener saint Ambroise hors de Milan, ce\nfut lui-m\u00eame qui d\u00fbt partir pour l\u2019exil sur son quadrige. Et Ambroise,\nrendant le bien pour le mal, s\u2019occupa de pourvoir \u00e0 son entretien.\nCertain h\u00e9r\u00e9tique, homme acharn\u00e9 \u00e0 la discussion et tr\u00e8s difficile \u00e0\nconvertir, comme un jour il entendait pr\u00eacher saint Ambroise, vit un\nange qui lui soufflait \u00e0 l\u2019oreille les paroles de son discours. Ce que\nvoyant, cet homme se mit \u00e0 d\u00e9fendre la foi qu\u2019il attaquait.\nIII. Il y avait \u00e0 Milan un sorcier qui conjurait les d\u00e9mons et les\nenvoyait vers Ambroise pour le tourmenter; mais les d\u00e9mons, revenant\nvers lui, d\u00e9claraient tous qu\u2019ils ne pouvaient s\u2019approcher ni\nd\u2019Ambroise, ni de sa maison, parce qu\u2019un feu terrible entourait tout cet\n\u00e9difice, si bien que, m\u00eame \u00e0 distance, ils en sentaient la br\u00fblure. Un\nautre d\u00e9mon, qui s\u2019\u00e9tait empar\u00e9 de l\u2019esprit d\u2019un homme, sortait de\nl\u2019esprit de cet homme toutes les fois que celui-ci entrait \u00e0 Milan, et\nreprenait possession de lui toutes les fois que l\u2019homme sortait de la\nville. Interrog\u00e9 sur les motifs de sa conduite, ce d\u00e9mon r\u00e9pondit qu\u2019il\navait peur de se trouver en contact avec saint Ambroise. Il y eut aussi\nun homme qui, \u00e0 l\u2019instigation de Justine, entra de nuit dans la chambre\ndu saint pour le poignarder; mais au moment o\u00f9 il levait le bras, pr\u00eat \u00e0\nfrapper, son bras se trouva soudain dess\u00e9ch\u00e9.\nLes habitants de la ville de Thessalonique s\u2019\u00e9taient rendus coupables\nenvers l\u2019empereur; et celui-ci, sur la pri\u00e8re d\u2019Ambroise, leur avait\nd\u2019abord pardonn\u00e9; mais ensuite, excit\u00e9 par la malice de ses courtisans,\nil avait fait mettre \u00e0 mort plusieurs des habitants de la ville.\nAmbroise, d\u00e8s qu\u2019il l\u2019apprit, interdit \u00e0 l\u2019empereur l\u2019acc\u00e8s de son\n\u00e9glise. Et comme Th\u00e9odose lui disait que le sage David lui-m\u00eame avait\ncommis un meurtre et un adult\u00e8re, l\u2019\u00e9v\u00eaque lui r\u00e9pondit: \u00abTu l\u2019as imit\u00e9\ndans ses erreurs, imite-le maintenant dans sa p\u00e9nitence!\u00bb Et l\u2019empereur\nfut si touch\u00e9 de ces paroles qu\u2019il entreprit aussit\u00f4t de faire\np\u00e9nitence.\nIV. Se promenant un jour dans Milan, saint Ambroise fit un faux pas, et\ntomba. Un passant, \u00e0 cette vue, se mit \u00e0 rire. Mais le saint lui dit:\n\u00abToi qui es debout, prends garde \u00e0 ne pas tomber!\u00bb Et, en effet, au m\u00eame\ninstant, le rieur s\u2019\u00e9tendit \u00e0 terre et eut \u00e0 d\u00e9plorer sa propre chute,\napr\u00e8s s\u2019\u00eatre moqu\u00e9 de celle d\u2019autrui.\nUn autre jour, Ambroise, s\u2019\u00e9tant rendu au palais d\u2019un magistrat nomm\u00e9\nMac\u00e9donius, aupr\u00e8s de qui il voulait interc\u00e9der pour un accus\u00e9, trouva\nles portes du palais ferm\u00e9es et ne put se faire admettre. Sur quoi il\ndit au magistrat: \u00abToi aussi, bient\u00f4t, tu viendras \u00e0 mon \u00e9glise, et tu\nen trouveras les portes ouvertes, mais tu ne parviendras pas \u00e0 y\nentrer!\u00bb Et, en effet, peu de temps apr\u00e8s, Mac\u00e9donius, poursuivi par ses\nennemis, voulut se r\u00e9fugier dans l\u2019\u00e9glise; mais bien que toutes les\nportes fussent ouvertes, un pouvoir invisible l\u2019emp\u00eacha d\u2019entrer.\nSaint Ambroise institua dans l\u2019\u00e9glise de Milan des chants et un office\nqui y sont c\u00e9l\u00e9br\u00e9s, aujourd\u2019hui encore. Il vivait avec tant d\u2019aust\u00e9rit\u00e9\nqu\u2019il je\u00fbnait tous les jours, sauf le jour du sabbat, le dimanche et les\njours de grande f\u00eate. Telle \u00e9tait sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 qu\u2019il donnait aux\n\u00e9glises et aux pauvres tout ce qu\u2019il pouvait avoir, ne gardant rien pour\nlui-m\u00eame. Telle \u00e9tait sa compassion que, lorsque quelqu\u2019un lui racontait\nun de ses p\u00e9ch\u00e9s, il en pleurait si am\u00e8rement que le p\u00e9cheur \u00e9tait forc\u00e9\nde pleurer avec lui. Telles \u00e9taient son humilit\u00e9 et sa passion au\ntravail qu\u2019il \u00e9crivait tous ses livres de sa propre main, aussi\nlongtemps que ses forces le lui permettaient. Telles \u00e9taient sa pi\u00e9t\u00e9 et\nla douceur de son \u00e2me qu\u2019en apprenant la mort d\u2019un saint pr\u00eatre ou\n\u00e9v\u00eaque il pleurait au point de ne pouvoir pas \u00eatre consol\u00e9: et il\nexpliquait qu\u2019il ne pleurait point parce que ces saints hommes \u00e9taient\nentr\u00e9s dans la gloire, mais parce qu\u2019ils l\u2019y avaient pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 lui-m\u00eame,\nlaissant un vide impossible \u00e0 remplir. Et tels \u00e9taient son courage et sa\nfermet\u00e9 qu\u2019il avait coutume de reprocher ouvertement leurs vices \u00e0\nl\u2019empereur et aux princes.\nV. On raconte que saint Ambroise, pendant un voyage \u00e0 Rome, re\u00e7ut\nl\u2019hospitalit\u00e9 dans une villa de Toscane, chez un homme extr\u00eamement\nriche, et qu\u2019il s\u2019informa avec insistance aupr\u00e8s de son h\u00f4te sur sa\ncondition de fortune. A quoi l\u2019h\u00f4te r\u00e9pondit: \u00abMa condition, seigneur, a\ntoujours \u00e9t\u00e9 heureuse et glorieuse. Voyez, j\u2019ai des richesses infinies,\nun nombre incalculable d\u2019esclaves et de serviteurs; toujours tous mes\nv\u0153ux ont \u00e9t\u00e9 r\u00e9alis\u00e9s, et jamais rien ne m\u2019est arriv\u00e9 de contraire, ni\nm\u00eame de d\u00e9sagr\u00e9able.\u00bb Ce qu\u2019entendant, saint Ambroise fut stup\u00e9fait; et\nil dit \u00e0 ses compagnons de route: \u00abLevez-vous, et fuyons au plus vite\nd\u2019ici, car le Seigneur n\u2019a point de place dans cette maison. H\u00e2tez-vous,\nmes enfants, h\u00e2tons-nous de fuir, de peur que la vengeance divine ne\nnous surprenne ici et ne nous enveloppe dans l\u2019expiation des p\u00e9ch\u00e9s de\nces gens-l\u00e0!\u00bb Et \u00e0 peine Ambroise et ses compagnons avaient-ils quitt\u00e9\nla maison, que, soudain, la terre s\u2019ouvrit et engloutit, sans laisser de\ntrace, ce riche et tout ce qui lui appartenait. Ce que voyant, Ambroise\ndit: \u00abVoyez, mes fr\u00e8res, comme Dieu nous traite avec mis\u00e9ricorde quand\nil nous envoie des \u00e9preuves, et comme il nous traite avec s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 quand\nil nous envoie une longue suite de plaisirs!\u00bb Et l\u2019on ajoute que,\naujourd\u2019hui encore, un foss\u00e9 tr\u00e8s profond reste creus\u00e9 en ce lieu, pour\ngarder le t\u00e9moignage de cet \u00e9v\u00e9nement.\nVI. Cependant, saint Ambroise voyait cro\u00eetre de jour en jour parmi les\nhommes la cupidit\u00e9, cette source de tous les maux. Il la voyait cro\u00eetre\nsurtout chez les fonctionnaires, qui trafiquaient de tout, et aussi chez\nles dignitaires de l\u2019Eglise. Et cette vue lui inspira une telle douleur\nqu\u2019il pria Dieu de le d\u00e9livrer du commerce d\u2019un si\u00e8cle aussi corrompu.\nDieu entendit sa pri\u00e8re; et, un jour, le saint \u00e9v\u00eaque annon\u00e7a \u00e0 ses\nfr\u00e8res qu\u2019apr\u00e8s les f\u00eates de P\u00e2ques il ne serait plus avec eux. Or,\nquelques jours avant P\u00e2ques, pendant que, couch\u00e9 dans son lit, il\ndictait \u00e0 son secr\u00e9taire une explication du psaume XLIII, le secr\u00e9taire\nvit soudain une langue de feu descendre sur lui, et p\u00e9n\u00e9trer dans sa\nbouche. Et aussit\u00f4t le visage du saint rev\u00eatit une blancheur de neige,\npour reprendre bient\u00f4t apr\u00e8s sa couleur ordinaire. Et, ce m\u00eame jour, le\nsaint dut cesser d\u2019\u00e9crire comme de dicter, de telle sorte qu\u2019il ne put\npas m\u00eame achever le commentaire du psaume; et la faiblesse de son corps\nallait augmentant d\u2019heure en heure. Alors le comte d\u2019Italie rassembla\ntous les notables de Milan, leur dit que la mort d\u2019un tel homme serait\nun danger mortel pour le pays, et leur demanda d\u2019aller trouver le saint\npour l\u2019engager \u00e0 obtenir de Dieu la prolongation de sa vie, durant une\nann\u00e9e. Mais saint Ambroise s\u2019y refusa, disant: \u00abJe n\u2019ai ni honte, ni\npeur de mourir.\u00bb\nQuatre diacres, qui se trouvaient dans une chambre tr\u00e8s \u00e9loign\u00e9e de\ncelle o\u00f9 \u00e9tait couch\u00e9 saint Ambroise, discutaient entre eux la question\nde savoir qui l\u2019on devrait \u00e9lire pour \u00e9v\u00eaque \u00e0 la mort du saint. Et au\nmoment o\u00f9 l\u2019un d\u2019eux citait le nom de Simplicien, saint Ambroise, de son\nlit, s\u2019\u00e9cria trois fois: \u00abIl est vieux, mais c\u2019est le meilleur de tous!\u00bb\nEt, en effet, ce fut Simplicien qui fut \u00e9lu en remplacement d\u2019Ambroise.\nEt celui-ci, sur le lit o\u00f9 il agonisait, vit ensuite J\u00e9sus s\u2019approcher\nde lui et lui sourire tendrement. Et comme Honor\u00e9, \u00e9v\u00eaque de Verceil,\nqui attendait d\u2019un instant \u00e0 l\u2019autre, la nouvelle de la mort d\u2019Ambroise,\ns\u2019\u00e9tait laiss\u00e9 aller au sommeil, il entendit en r\u00eave une voix qui, trois\nfois, lui r\u00e9p\u00e9tait: \u00abL\u00e8ve-toi, car l\u2019heure approche o\u00f9 il va mourir!\u00bb\nSur quoi l\u2019\u00e9v\u00eaque se rendit en grande h\u00e2te \u00e0 Milan, donna \u00e0 Ambroise la\nsainte communion, lui \u00e9tendit les bras en forme de croix, et recueillit\nson dernier soupir. Cette mort eut lieu en l\u2019an du Seigneur 399.\nEt dans la nuit de P\u00e2ques, qui fut celle de la translation \u00e0 l\u2019\u00e9glise du\ncorps de saint Ambroise, une foule de petits enfants chr\u00e9tiens virent\ncelui-ci en r\u00eave; les uns le virent assis dans sa chaire, les autres y\nmontant; et il y en eut qui racont\u00e8rent \u00e0 leurs parents qu\u2019ils avaient\nvu une \u00e9toile au-dessus de sa t\u00eate.\nVII. Saint Ambroise peut \u00eatre cit\u00e9 comme le mod\u00e8le d\u2019une foule de vertus\nchr\u00e9tiennes. Il peut \u00eatre cit\u00e9, premi\u00e8rement, comme un mod\u00e8le de\ng\u00e9n\u00e9rosit\u00e9. Tout ce qu\u2019il avait appartenait aux pauvres. Et lorsque\nl\u2019empereur voulut lui prendre une \u00e9glise, il r\u00e9pondit: \u00abSi vous me\ndemandiez ce qui m\u2019appartient, je vous le donnerais, bien que tout ce\nqui m\u2019appartient appartienne aux pauvres.\u00bb Secondement, il peut \u00eatre\ncit\u00e9 comme un mod\u00e8le de chastet\u00e9, car il resta vierge toute sa vie.\nTroisi\u00e8mement, il nous offre l\u2019exemple de la fermet\u00e9 dans la foi, car \u00e0\nl\u2019empereur, qui voulait lui \u00f4ter l\u2019\u00e9glise, il r\u00e9pondit: \u00abVous m\u2019\u00f4terez\nla vie avant de m\u2019arracher de mon si\u00e8ge!\u00bb Quatri\u00e8mement, saint Ambroise\nnous est un mod\u00e8le de la soif du martyre. Un pr\u00e9fet de Valentinien\nl\u2019ayant menac\u00e9 de le mettre \u00e0 mort, il lui r\u00e9pondit: \u00abFasse Dieu que tu\npuisses r\u00e9aliser ta menace, et que tous tes traits \u00e9pargnent l\u2019Eglise\npour n\u2019accabler que moi seul!\u00bb En cinqui\u00e8me lieu, saint Ambroise nous\nest un mod\u00e8le d\u2019application \u00e0 la pri\u00e8re. Nous lisons, en effet, dans le\nXIe livre de l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_ que, contre les fureurs de\nJustine, il ne se d\u00e9fendait que par le je\u00fbne, la veille et les pri\u00e8res\nau pied de l\u2019autel.\nEn sixi\u00e8me lieu, saint Ambroise peut \u00eatre cit\u00e9 comme un mod\u00e8le de\nconstance. Sa constance nous appara\u00eet surtout en trois choses: 1\u00ba dans\nsa d\u00e9fense de la v\u00e9rit\u00e9 catholique contre les attaques de Justine, m\u00e8re\nde l\u2019empereur Valentinien, et protectrice de l\u2019h\u00e9r\u00e9sie arienne; 2\u00ba dans\nsa d\u00e9fense de la libert\u00e9 de l\u2019Eglise, lorsque l\u2019empereur voulut lui\nenlever certaine basilique pour la livrer aux ariens. Il nous dit\nlui-m\u00eame, dans son 23e d\u00e9cret, comment il r\u00e9sista \u00e0 l\u2019empereur, en lui\ndisant: \u00abNe commets point la faute, empereur, de pr\u00e9tendre que tu aies\naucun droit dans les choses divines! A l\u2019empereur appartiennent les\npalais, mais les \u00e9glises sont aux pr\u00eatres. Naboth, autrefois, a d\u00e9fendu\nde son propre sang la vigne qu\u2019on voulait lui prendre: s\u2019il a refus\u00e9 de\nc\u00e9der sa vigne, comment peux-tu t\u2019imaginer que nous te c\u00e9derons une\n\u00e9glise du Christ? Le tribut est \u00e0 C\u00e9sar, et nous ne refusons pas de le\nlui donner; mais les \u00e9glises sont \u00e0 Dieu, et nous ne pouvons donc pas\nles donner \u00e0 C\u00e9sar.\u00bb Enfin, 3\u00ba la constance de saint Ambroise nous\nappara\u00eet dans la fa\u00e7on dont il a su bl\u00e2mer le vice et l\u2019iniquit\u00e9. On lit\ndans l\u2019_Histoire tripartite_ que, le peuple de Thessalonique s\u2019\u00e9tant\nr\u00e9volt\u00e9 et ayant tu\u00e9 quelques fonctionnaires, l\u2019empereur Th\u00e9odose en fut\nsi irrit\u00e9 qu\u2019il fit mettre \u00e0 mort tous les habitants de la ville, au\nnombre de pr\u00e8s de cinq mille, sans distinguer les innocents des\ncoupables. Or, lorsqu\u2019il vint ensuite \u00e0 Milan et voulut entrer dans\nl\u2019\u00e9glise, saint Ambroise le re\u00e7ut devant la porte et lui interdit\nl\u2019entr\u00e9e, en lui disant: \u00abComment, empereur, apr\u00e8s un tel crime, ne\nreconnais-tu pas l\u2019\u00e9normit\u00e9 de ta pr\u00e9somption? Ou bien, peut-\u00eatre, ta\ndignit\u00e9 imp\u00e9riale t\u2019emp\u00eacherait-elle de reconna\u00eetre tes p\u00e9ch\u00e9s? Tu es\nprince, \u00f4 empereur, mais tu es, comme les autres hommes, l\u2019esclave de\nDieu. Comment oserais-tu \u00e9tendre vers Dieu des mains encore tach\u00e9es du\nsang innocent? Comment oserais-tu prier Dieu, dans son temple, avec la\nm\u00eame bouche qui a prof\u00e9r\u00e9 un ordre injuste et monstrueux? Allons,\nretire-toi, afin de ne pas accro\u00eetre d\u2019un second p\u00e9ch\u00e9 le poids du\npremier!\u00bb Et l\u2019empereur, pleurant et g\u00e9missant, reprit le chemin de son\npalais. Et comme le chef de ses troupes lui demandait la cause de sa\ntristesse: \u00abH\u00e9las! r\u00e9pondit-il, aux esclaves et aux mendiants les\n\u00e9glises sont ouvertes, et moi seul n\u2019ai pas le droit d\u2019y p\u00e9n\u00e9trer!\u00bb\nAlors Rufin: \u00abSi tu veux, je vais courir vers Ambroise, pour qu\u2019il te\nd\u00e9livre de son excommunication!\u00bb Et il insista si fort que Th\u00e9odose\nfinit par le laisser aller. Mais d\u00e8s qu\u2019Ambroise vit Rufin, il lui dit:\n\u00abTu imites l\u2019impudence des chiens, Rufin, en aboyant contre la majest\u00e9\ndivine!\u00bb Et comme Rufin le suppliait pour son ma\u00eetre, Ambroise, enflamm\u00e9\ndu feu c\u00e9leste, lui dit: \u00abJe te d\u00e9clare que je lui interdis l\u2019acc\u00e8s du\nsaint lieu. Et s\u2019il change son pouvoir en tyrannie, volontiers\nj\u2019accepterai la mort!\u00bb Rufin rapporta ces paroles \u00e0 l\u2019empereur, qui dit:\n\u00abJe vais aller vers Ambroise, pour recevoir, en face, ses justes\nreproches.\u00bb Alors Ambroise, continuant \u00e0 lui d\u00e9fendre l\u2019entr\u00e9e de\nl\u2019\u00e9glise, lui dit: \u00abQuelle p\u00e9nitence as-tu faite apr\u00e8s un tel crime?\u00bb Et\nl\u2019empereur lui dit: \u00abC\u2019est \u00e0 toi de l\u2019imposer, \u00e0 moi d\u2019ob\u00e9ir!\u00bb Et il fit\np\u00e9nitence publique jusqu\u2019\u00e0 ce que son excommunication f\u00fbt lev\u00e9e. Plus\ntard, \u00e9tant entr\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise, il p\u00e9n\u00e9tra dans le ch\u0153ur, mais Ambroise\nlui demanda ce qu\u2019il venait y faire, et comme il r\u00e9pondait qu\u2019il \u00e9tait\nvenu pour assister au saint sacrifice, Ambroise lui dit: \u00abO empereur, le\nch\u0153ur de l\u2019\u00e9glise est r\u00e9serv\u00e9 aux seuls pr\u00eatres. Retire-toi donc d\u2019ici,\net va rejoindre le reste des fid\u00e8les dans la nef: car la pourpre fait de\ntoi un empereur, mais nullement un pr\u00eatre!\u00bb Et l\u2019empereur ob\u00e9it\naussit\u00f4t. Et comme, de retour \u00e0 Constantinople, il se tenait dans la nef\nde la cath\u00e9drale, l\u2019\u00e9v\u00eaque lui fit dire d\u2019entrer dans le ch\u0153ur; mais\nTh\u00e9odose s\u2019y refusa, disant: \u00abJe sais maintenant, gr\u00e2ce \u00e0 Ambroise, la\ndiff\u00e9rence qu\u2019il y a entre un empereur et un pr\u00eatre.\u00bb\nEn septi\u00e8me lieu, saint Ambroise peut \u00eatre cit\u00e9 comme mod\u00e8le pour la\nsaintet\u00e9 de sa doctrine: car sa doctrine est si pleine de profondeur que\nsaint J\u00e9r\u00f4me a pu dire de lui, dans ses _Douze Docteurs_: \u00abToutes les\nphrases de saint Ambroise sont des colonnes de la foi et de toutes les\nvertus.\u00bb Et saint Augustin ajoute que \u00ables adversaires eux-m\u00eames n\u2019ont\njamais os\u00e9 reprendre la doctrine d\u2019Ambroise, ni le sens tr\u00e8s pur qu\u2019il a\neu des Livres Saints\u00bb. Et telle \u00e9tait l\u2019autorit\u00e9 de saint Ambroise que,\npour tous les auteurs du temps, chacune de ses paroles faisait foi. Dans\nsa lettre \u00e0 Janvier, Augustin raconte que, sa m\u00e8re, s\u2019\u00e9tonnant de ce que\nl\u2019on ne je\u00fbn\u00e2t pas \u00e0 Milan le jour du sabbat, en demanda la cause \u00e0\nAmbroise, qui lui dit: \u00abQuand je vais \u00e0 Rome, je je\u00fbne le jour du\nsabbat. Et de m\u00eame toi, lorsque tu te trouves dans un dioc\u00e8se, fais en\nsorte d\u2019en suivre les usages, si tu ne veux scandaliser personne, ni\n\u00eatre scandalis\u00e9e par personne!\u00bb Et Augustin ajoute que, depuis lors,\napr\u00e8s avoir beaucoup r\u00e9fl\u00e9chi \u00e0 ces paroles, il en est venu \u00e0 les tenir\npour un oracle c\u00e9leste.\nLa vie et la passion des saints Tiburce et Val\u00e9rien,--que l\u2019\u00e9glise f\u00eate\n\u00e9galement le 4 avril,--se trouveront racont\u00e9es dans l\u2019histoire de sainte\nC\u00e9cile.\nLVIII\nSAINT SIXTE, PAPE ET MARTYR\n(6 avril)\nI. Le pape Sixte \u00e9tait originaire d\u2019Ath\u00e8nes et avait d\u2019abord \u00e9tudi\u00e9 la\nphilosophie. Il devint, plus tard, disciple du Christ, et fut \u00e9lu\nsouverain Pontife. Il comparut devant D\u00e9cius et Val\u00e9rien, avec ses deux\ndiacres Felicissime et Agapite. Et D\u00e9cius, voyant qu\u2019il ne parvenait pas\n\u00e0 le persuader par ses arguments, le fit conduire au temple de Mars pour\ny sacrifier aux idoles, faute de quoi il aurait \u00e0 \u00eatre jet\u00e9 en prison.\nEt saint Laurent, courant derri\u00e8re Sixte, lui disait: \u00abP\u00e8re, o\u00f9 vas-tu\nsans ton fils? Pr\u00eatre, o\u00f9 vas-tu sans ton assistant?\u00bb Et Sixte: \u00abMon\nfils, ne crois pas que je t\u2019abandonne; mais de plus grands combats\nt\u2019attendent encore pour la foi du Christ. Dans trois jours tu me\nsuivras, comme le l\u00e9vite suit le pr\u00eatre. Et, en attendant, re\u00e7ois les\ntr\u00e9sors de l\u2019Eglise, et distribue-les \u00e0 qui bon te semblera!\u00bb Laurent\ndistribua ces tr\u00e9sors aux chr\u00e9tiens pauvres. Et le pr\u00e9fet Val\u00e9rien\nvoyant que Sixte refusait de sacrifier aux idoles, ordonna qu\u2019il e\u00fbt la\nt\u00eate tranch\u00e9e. Or, comme on le conduisait au supplice, de nouveau saint\nLaurent courut derri\u00e8re lui en lui disant: \u00abNe m\u2019abandonne pas, saint\np\u00e8re, car j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 d\u00e9pens\u00e9 les tr\u00e9sors que tu m\u2019as remis!\u00bb Sur quoi les\nsoldats, l\u2019entendant parler de tr\u00e9sors, s\u2019empar\u00e8rent de lui. Puis ils\ntranch\u00e8rent la t\u00eate de Sixte et celles de ses deux compagnons.\nII. Le m\u00eame jour, l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre la f\u00eate de la Transfiguration du\nSeigneur. Et certaines \u00e9glises c\u00e9l\u00e8brent aussi la f\u00eate du Sang du Christ\navec le vin nouveau, lorsqu\u2019elles peuvent s\u2019en procurer; et le peuple\ncommunie de ce vin. Cela se fait en souvenir de ce que, durant la C\u00e8ne,\nle Seigneur a dit \u00e0 ses disciples: \u00abMaintenant je ne boirai plus de ce\njus de la vigne, jusqu\u2019\u00e0 ce que j\u2019en boive du nouveau dans le royaume de\nmon p\u00e8re.\u00bb On dit cependant que ce n\u2019est point ce jour-l\u00e0 qu\u2019eut lieu la\ntransfiguration, mais qu\u2019elle fut seulement, ce jour-l\u00e0, r\u00e9v\u00e9l\u00e9e par les\nap\u00f4tres. Elle eut lieu, en r\u00e9alit\u00e9, au commencement du printemps; mais\nd\u00e9fense fut faite aux disciples d\u2019en parler, et ce n\u2019est que ce jour-l\u00e0\nqu\u2019ils la r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent. C\u2019est du moins ce qu\u2019on lit dans le livre appel\u00e9\n_Mitral_.\nLIX\nSAINT GEORGES, MARTYR\n(23 avril)\nI. Georges \u00e9tait originaire de Cappadoce, et servait dans l\u2019arm\u00e9e\nromaine, avec le grade de tribun. Le hasard d\u2019un voyage le conduisit un\njour dans les environs d\u2019une ville de la province de Libye, nomm\u00e9e\nSil\u00e8ne. Or, dans un vaste \u00e9tang voisin de cette ville habitait un dragon\neffroyable qui, maintes fois, avait mis en fuite la foule arm\u00e9e contre\nlui, et qui, s\u2019approchant parfois des murs de la ville, empoisonnait de\nson souffle tous ceux qui se trouvaient \u00e0 sa port\u00e9e. Pour apaiser la\nfureur de ce monstre et pour l\u2019emp\u00eacher d\u2019an\u00e9antir la ville tout\nenti\u00e8re, les habitants s\u2019\u00e9taient mis d\u2019abord \u00e0 lui offrir, tous les\njours, deux brebis. Mais bient\u00f4t le nombre des brebis se trouva si\nr\u00e9duit qu\u2019on dut, chaque jour, livrer au dragon une brebis et une\ncr\u00e9ature humaine. On tirait donc au sort le nom d\u2019un jeune homme ou\nd\u2019une jeune fille; et aucune famille n\u2019\u00e9tait except\u00e9e de ce choix. Et\nd\u00e9j\u00e0 presque tous les jeunes gens de la ville avaient \u00e9t\u00e9 d\u00e9vor\u00e9s\nlorsque, le jour m\u00eame de l\u2019arriv\u00e9e de saint Georges, le sort avait\nd\u00e9sign\u00e9 pour victime la fille unique du roi. Alors ce vieillard, d\u00e9sol\u00e9,\navait dit: \u00abPrenez mon or et mon argent, et la moiti\u00e9 de mon royaume,\nmais rendez-moi ma fille, afin que lui soit \u00e9pargn\u00e9e une mort si\naffreuse!\u00bb Mais son peuple, furieux, lui r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est toi-m\u00eame, \u00f4\nroi, qui as fait cet \u00e9dit; et maintenant que, \u00e0 cause de lui, tous nos\nenfants ont p\u00e9ri, tu voudrais que ta fille \u00e9chapp\u00e2t \u00e0 la loi? Non, il\nfaut qu\u2019elle p\u00e9risse comme les autres, ou bien nous te br\u00fblerons avec\ntoute ta maison!\u00bb Ce qu\u2019entendant, le roi fondit en larmes, et dit \u00e0 sa\nfille: \u00abH\u00e9las, ma douce enfant, que ferai-je de toi? Et ne me sera-t-il\npas donn\u00e9 de voir un jour tes noces?\u00bb Apr\u00e8s quoi, voyant qu\u2019il ne\nparviendrait pas \u00e0 obtenir le salut de sa fille, il la rev\u00eatit de robes\nroyales, la couvrit de baisers, et lui dit: \u00abH\u00e9las, ma douce enfant,\nj\u2019esp\u00e9rais voir se nourrir sur ton sein des enfants royaux, et voici que\ntu dois me quitter pour aller servir de p\u00e2ture \u00e0 cet horrible dragon!\nH\u00e9las, ma douce enfant, j\u2019esp\u00e9rais pouvoir inviter \u00e0 tes noces tous les\nprinces du pays, et orner de perles mon palais, et entendre le son\njoyeux des orgues et des tambours; et voici que je dois t\u2019envoyer \u00e0 ce\ndragon qui doit te d\u00e9vorer!\u00bb Et il la renvoya en lui disant encore:\n\u00abH\u00e9las, ma fille, que ne suis-je mort avant ce triste jour!\u00bb Alors la\njeune fille tomba aux pieds de son p\u00e8re, pour recevoir sa b\u00e9n\u00e9diction;\napr\u00e8s quoi, sortant de la ville, elle marcha vers l\u2019\u00e9tang o\u00f9 \u00e9tait le\nmonstre.\nSaint Georges, qui passait par l\u00e0, la vit toute en larmes, et lui\ndemanda ce qu\u2019elle avait. Et elle: \u00abBon jeune homme, remonte vite sur\nton cheval et fuis, pour ne pas mourir de la m\u00eame mort dont je vais\nmourir!\u00bb Et saint Georges: \u00abNe crains point cela, mon enfant, mais\ndis-moi pourquoi tu pleures ainsi, sous les yeux de cette foule qui se\ntient debout sur les murs?\u00bb Et elle: \u00abA ce que je vois, bon jeune homme,\ntu as le c\u0153ur g\u00e9n\u00e9reux, et tu veux p\u00e9rir avec moi! Mais, je t\u2019en\nsupplie, enfuis-toi au plus vite!\u00bb Et Georges: \u00abJe ne partirai point\nd\u2019ici que tu ne m\u2019aies dit ce que tu as!\u00bb Alors, la jeune fille lui\nraconta toute son histoire, et Georges lui dit: \u00abMon enfant, sois sans\ncrainte, car, au nom du Christ, je te secourrai!\u00bb Mais elle: \u00abVaillant\nchevalier, h\u00e2te-toi de te secourir toi-m\u00eame, pour ne point p\u00e9rir avec\nmoi! C\u2019est assez que je sois seule \u00e0 p\u00e9rir!\u00bb\nEt pendant qu\u2019ils parlaient ainsi, le dragon souleva sa t\u00eate au-dessus\nde l\u2019\u00e9tang. La jeune fille, toute tremblante, s\u2019\u00e9cria: \u00abFuis, cher\nseigneur, fuis au plus vite!\u00bb Mais Georges, apr\u00e8s \u00eatre remont\u00e9 sur son\ncheval et s\u2019\u00eatre muni du signe de la croix, assaillit bravement le\ndragon qui s\u2019avan\u00e7ait vers lui et, brandissant sa lance et se\nrecommandant \u00e0 Dieu, il fit au monstre une blessure qui le renversa sur\nle sol. Et le saint dit \u00e0 la jeune fille: \u00abMon enfant, ne crains rien,\net lance ta ceinture autour du cou du dragon!\u00bb La jeune fille fit ainsi,\net le dragon, se redressant, se mit \u00e0 la suivre comme un petit chien\nqu\u2019on m\u00e8nerait en laisse.\nMais, en le voyant s\u2019avancer vers la ville, les habitants \u00e9pouvant\u00e9s\nprirent la fuite, bien certains que tous allaient \u00eatre d\u00e9vor\u00e9s. Saint\nGeorges leur fit signe de revenir, et leur dit: \u00abSoyez sans crainte, car\nle Seigneur m\u2019a permis de vous d\u00e9livrer des m\u00e9faits de ce monstre!\nCroyez au Christ, recevez le bapt\u00eame, et je tuerai votre pers\u00e9cuteur!\u00bb\nAlors le roi et tout son peuple se firent baptiser; on baptisa, ce\njour-l\u00e0 vingt mille hommes ainsi qu\u2019une foule de femmes et d\u2019enfants. Et\nsaint Georges, tirant son \u00e9p\u00e9e, tua le dragon, qui fut emport\u00e9 hors de\nla ville sur un char attel\u00e9 de quatre paires de b\u0153ufs. Et le roi fit\n\u00e9lever, en l\u2019honneur de la sainte Vierge et de saint Georges, une\nimmense \u00e9glise, de laquelle jaillit une source vive dont l\u2019eau gu\u00e9rit\ntoutes les maladies de langueur. Le roi offrit aussi \u00e0 saint Georges une\ngrosse somme d\u2019argent; mais le saint, sans rien prendre pour lui, la fit\ndistribuer aux pauvres. Il enseigna ensuite au roi quatre choses: Il lui\napprit: 1\u00ba \u00e0 avoir soin de l\u2019\u00e9glise de Dieu; 2\u00ba \u00e0 honorer les pr\u00eatres;\n3\u00ba \u00e0 suivre assid\u00fbment les offices divins; 4\u00ba \u00e0 garder toujours le\nsouvenir des pauvres. Apr\u00e8s quoi, ayant encore embrass\u00e9 le vieux roi, il\nprit cong\u00e9 de lui.\nD\u2019autres auteurs racontent cependant l\u2019histoire d\u2019une autre fa\u00e7on. Ils\ndisent que, au moment o\u00f9 le dragon s\u2019avan\u00e7ait pour d\u00e9vorer la jeune\nfille, saint Georges, ayant fait le signe de la croix, se jeta sur lui\net le tua du coup.\nII. En ce temps-l\u00e0, sous le r\u00e8gne de Diocl\u00e9tien et Maximien, le pr\u00e9fet\nDacien ouvrit contre les fid\u00e8les une pers\u00e9cution si violente que, dans\nl\u2019espace d\u2019un mois, dix-sept mille d\u2019entre eux re\u00e7urent la couronne du\nmartyre, et que beaucoup d\u2019autres, \u00e0 force de souffrir dans les\ntourments, fl\u00e9chirent et se r\u00e9sign\u00e8rent \u00e0 sacrifier aux idoles. Ce que\nvoyant, saint Georges, \u00e9perdu de douleur, se d\u00e9pouilla de tous ses\nbiens, rejeta ses habits guerriers pour rev\u00eatir le manteau des\nchr\u00e9tiens, et, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant au milieu de la place publique, s\u2019\u00e9cria: \u00abTous\nvos dieux ne sont que des d\u00e9mons; et c\u2019est notre Seigneur qui a cr\u00e9\u00e9 le\nciel et la terre!\u00bb Le pr\u00e9fet, irrit\u00e9, lui dit: \u00abComment oses-tu,\npr\u00e9somptueux, blasph\u00e9mer contre nos dieux! Qui es-tu, et d\u2019o\u00f9 viens-tu?\u00bb\nEt saint Georges: \u00abJe me nomme Georges, je descends d\u2019une famille noble\nde la Cappadoce et, avec l\u2019aide de mon Dieu, j\u2019ai combattu en Palestine;\nmais maintenant j\u2019ai renonc\u00e9 \u00e0 tout pour servir plus librement le Dieu\ndu ciel.\u00bb Alors le pr\u00e9fet, ne pouvant le fl\u00e9chir, le fit \u00e9tendre sur un\nchevalet et ordonna que tous ses membres fussent d\u00e9chir\u00e9s, l\u2019un apr\u00e8s\nl\u2019autre, par des ongles de fer; il lui fit aussi br\u00fbler le corps avec\ndes torches ardentes, et fit frotter avec du sel les plaies par o\u00f9\nsortaient ses entrailles. Mais, la nuit suivante, le Seigneur apparut \u00e0\nsaint Georges avec une grande lumi\u00e8re, et le r\u00e9conforta si doucement,\npar sa vision et par ses paroles, que toutes les souffrances lui\nparurent l\u00e9g\u00e8res. Et Dacien, voyant que les tourments n\u2019avaient point de\nprise sur lui, fit venir un magicien, et lui dit: \u00abCes chr\u00e9tiens ont des\nsortil\u00e8ges qui leur adoucissent les tourments et les rendent\nintraitables.\u00bb Et le magicien r\u00e9pondit: \u00abSi je ne parviens pas \u00e0 avoir\nraison des sortil\u00e8ges de Georges, je consens que tu m\u2019\u00f4tes la vie!\u00bb Sur\nquoi, apr\u00e8s avoir invoqu\u00e9 ses dieux, il versa du poison dans du vin, et\nfit boire ce vin \u00e0 saint Georges: celui-ci le but en faisant un signe de\ncroix, et n\u2019en souffrit aucun mal. Le magicien mit alors dans le vin une\ndose plus forte de poison; le saint fit un signe de croix, et but le vin\nsans avoir aucun mal. Ce que voyant, le magicien se prosterna \u00e0 ses\npieds, le supplia en pleurant de lui pardonner, et demanda \u00e0 devenir\nchr\u00e9tien: le pr\u00e9fet lui fit couper la t\u00eate peu de temps apr\u00e8s. Quant \u00e0\nsaint Georges, il le fit placer sur une roue qu\u2019entouraient de toutes\nparts des glaives \u00e0 deux tranchants; mais la roue se brisa au premier\nmouvement, et saint Georges fut retrouv\u00e9 sain et sauf o\u00f9 on l\u2019avait mis.\nDacien le fit alors plonger dans une chaudi\u00e8re de plomb fondu; mais lui,\nayant fait le signe de la croix, il n\u2019\u00e9prouva que la sensation d\u2019un bain\nrafra\u00eechissant.\nAlors Dacien, voyant que menaces et tortures \u00e9taient sans prise sur lui,\npensa l\u2019amollir par des flatteries et lui dit: \u00abTu vois, mon cher\nGeorges, quelle est la mansu\u00e9tude de nos dieux, qui te laissent\npatiemment blasph\u00e9mer contre eux, et qui n\u2019en restent pas moins pr\u00eats \u00e0\nte favoriser pour peu que tu consentes \u00e0 te convertir! Fais donc ce que\nje te conseille, mon cher enfant, renonce \u00e0 ta superstition et sacrifie\n\u00e0 nos dieux, afin d\u2019obtenir d\u2019eux et de nous d\u2019immenses honneurs!\u00bb Et\nsaint Georges lui r\u00e9pondit en souriant: \u00abPourquoi n\u2019as-tu pas, d\u00e8s le\nd\u00e9but, cherch\u00e9 \u00e0 me persuader par de douces paroles plut\u00f4t que par des\ntourments? Soit, je suis pr\u00eat \u00e0 faire ce que tu me conseilles!\u00bb Dacien,\ntout joyeux de cette promesse, fit annoncer \u00e0 son de trompe que tout le\npeuple e\u00fbt \u00e0 se rendre au temple, o\u00f9 Georges, apr\u00e8s une longue\nr\u00e9sistance, allait enfin sacrifier aux dieux. Toute la ville fut\npavois\u00e9e comme pour une f\u00eate, et des milliers de personnes se press\u00e8rent\ndevant le temple. Et Georges, d\u00e8s qu\u2019il y fut entr\u00e9, s\u2019agenouilla et\npria le Seigneur de d\u00e9truire sur-le-champ ce temple avec ses idoles. Et\nsur-le-champ un feu, tombant du ciel, br\u00fbla le temple, les idoles et les\npr\u00eatres; et la terre, s\u2019entr\u2019ouvrant, engloutit leurs restes. C\u2019est de\nce miracle que parle saint Ambroise quand il nous dit: \u00abGeorges, le\nfid\u00e8le soldat du Christ, en un temps o\u00f9 le christianisme \u00e9tait cach\u00e9,\nseul osa courageusement proclamer sa foi dans le Fils de Dieu. Et la\ngr\u00e2ce divine, lui donna en r\u00e9compense, une telle fermet\u00e9 qu\u2019il brava\nmille menaces et mille tortures. O bienheureux et admirable combattant\nde Dieu! Et non seulement il ne se laissa point s\u00e9duire par l\u2019offre du\npouvoir temporel, mais, se jouant de son pers\u00e9cuteur il an\u00e9antit le\ntemple avec toutes ses idoles.\u00bb Alors Dacien se fit amener Georges et\nlui dit: \u00abPar quels mal\u00e9fices as-tu os\u00e9, sc\u00e9l\u00e9rat, commettre un tel\nforfait?\u00bb Et Georges: \u00abMa\u00eetre, tu te trompes. Viens avec moi dans un\nautre temple, et tu me verras sacrifier aux idoles!\u00bb Et lui: \u00abJe devine\nta ruse! tu veux me faire p\u00e9rir, comme tu as fait d\u00e9j\u00e0 p\u00e9rir mon temple\net mes dieux!\u00bb Alors Georges: \u00abMais, malheureux, si tes dieux n\u2019ont pas\npu se secourir eux-m\u00eames, comment pourraient-ils t\u2019\u00eatre d\u2019aucun\nsecours?\u00bb\nDacien, exasp\u00e9r\u00e9, dit \u00e0 sa femme Alexandrie: \u00abJe mourrai de d\u00e9pit, car\ncet homme est plus fort que moi!\u00bb Mais elle: \u00abTyran sanguinaire, ne\nt\u2019ai-je pas dit de ne plus tourmenter les chr\u00e9tiens, parce que leur Dieu\ncombattait pour eux? Sache maintenant que, moi aussi, je veux devenir\nchr\u00e9tienne!\u00bb Le pr\u00e9fet, \u00e9tonn\u00e9, s\u2019\u00e9cria: \u00abComment? Toi-m\u00eame tu t\u2019es\nlaiss\u00e9e s\u00e9duire?\u00bb Et il la fit suspendre par les cheveux et battre de\nverges. Et elle, pendant qu\u2019on la battait, dit \u00e0 Georges: \u00abGeorges,\nlumi\u00e8re de v\u00e9rit\u00e9, que penses-tu qu\u2019il advienne de moi, qui vais mourir\nsans avoir \u00e9t\u00e9 r\u00e9g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par l\u2019eau du bapt\u00eame?\u00bb Et Georges: \u00abN\u2019aie point\nde doute \u00e0 ce sujet, ma fille, car l\u2019effusion de ton sang te tiendra\nlieu de bapt\u00eame et te vaudra la couronne c\u00e9leste!\u00bb Alors Alexandrie,\napr\u00e8s avoir pri\u00e9 le Seigneur, rendit l\u2019\u00e2me. C\u2019est ce qu\u2019atteste saint\nAmbroise et il ajoute que \u00abcet exemple nous prouve que le martyre\npermet, \u00e0 d\u00e9faut du bapt\u00eame, de poss\u00e9der le royaume des cieux\u00bb.\nLe lendemain, Dacien ordonna que saint Georges f\u00fbt tra\u00een\u00e9 par toute la\nville, puis d\u00e9capit\u00e9. Et le saint pria Dieu que quiconque implorerait\nson aide obt\u00eent la r\u00e9alisation de son d\u00e9sir; et une voix divine se fit\nentendre qui lui dit que sa pri\u00e8re \u00e9tait exauc\u00e9e. Puis, ayant fini de\nprier, saint Georges eut la t\u00eate tranch\u00e9e. Quant \u00e0 Dacien, comme il\nquittait le lieu du supplice pour rentrer dans son palais, le feu du\nciel tomba sur lui et le consuma avec ses ministres.\nIII. Gr\u00e9goire de Tours raconte que des moines qui portaient des reliques\nde saint Georges, et qui s\u2019\u00e9taient arr\u00eat\u00e9s en route dans un certain\noratoire, ne purent soulever la ch\u00e2sse o\u00f9 \u00e9taient ces reliques, aussi\nlongtemps qu\u2019ils n\u2019en eurent pas laiss\u00e9 une partie dans cet oratoire.\nIV. On lit dans l\u2019histoire d\u2019Antioche que, durant la croisade, comme les\nchr\u00e9tiens allaient assi\u00e9ger J\u00e9rusalem, un jeune homme merveilleusement\nbeau apparut \u00e0 un pr\u00eatre. Il lui dit qu\u2019il \u00e9tait saint Georges, chef des\narm\u00e9es chr\u00e9tiennes, et que si les crois\u00e9s emportaient de ses reliques \u00e0\nJ\u00e9rusalem, il serait l\u00e0 avec eux. Et comme les crois\u00e9s, assi\u00e9geant la\nville, n\u2019osaient point grimper aux \u00e9chelles par crainte des Sarrasins\nqui d\u00e9fendaient les murs, saint Georges se montra \u00e0 eux, v\u00eatu d\u2019une\narmure blanche qu\u2019ornait une croix rouge. Il leur fit signe de le suivre\nsans crainte \u00e0 l\u2019assaut des murs. Et eux, ainsi encourag\u00e9s, ils\nrepouss\u00e8rent les Sarrasins et conquirent la ville.\nLX\nSAINT MARC, \u00c9VANG\u00c9LISTE\n(25 avril)\nI. L\u2019\u00e9vang\u00e9liste Marc \u00e9tait de la tribu de L\u00e9vi et remplissait les\nfonctions de pr\u00eatre. Baptis\u00e9 par saint Pierre et instruit par lui dans\nla foi chr\u00e9tienne, il l\u2019accompagna lorsque ce saint partit pour Rome. Et\nl\u00e0, comme saint Pierre pr\u00eachait l\u2019\u00e9vangile, les fid\u00e8les pri\u00e8rent Marc de\nmettre par \u00e9crit le r\u00e9cit de la vie du Seigneur, de fa\u00e7on \u00e0 leur en\nlaisser un souvenir durable. Marc \u00e9crivit donc ce r\u00e9cit, tel qu\u2019il\nl\u2019entendait de la bouche de son ma\u00eetre saint Pierre; et celui-ci, apr\u00e8s\navoir examin\u00e9 son travail et en avoir constat\u00e9 la parfaite exactitude,\nl\u2019approuva comme pouvant \u00eatre admis par tous les fid\u00e8les.\nPuis, voyant la constance de Marc dans la foi, il l\u2019envoya \u00e0 Aquil\u00e9e, o\u00f9\nsa pr\u00e9dication convertit au christianisme une foule innombrable, et o\u00f9\nl\u2019on conserve aujourd\u2019hui encore, tr\u00e8s pieusement, un manuscrit de son\n\u00e9vangile qui passe pour \u00e9crit de sa main. Enfin saint Marc, ayant achev\u00e9\nson \u0153uvre \u00e0 Aquil\u00e9e, revint \u00e0 Rome, emmenant avec lui un citoyen\nd\u2019Aquil\u00e9e, Hermagoras, qu\u2019il avait converti, et que saint Pierre, sur sa\nrecommandation, consacra \u00e9v\u00eaque de sa ville natale. Cet Hermagoras\ngouverna d\u00e8s lors son dioc\u00e8se d\u2019une fa\u00e7on exemplaire, jusqu\u2019au jour o\u00f9,\npris par les infid\u00e8les, il re\u00e7ut la couronne glorieuse du martyre.\nQuant \u00e0 Marc, saint Pierre l\u2019envoya ensuite \u00e0 Alexandrie, o\u00f9, le\npremier, il pr\u00eacha la parole de Dieu. Le savant juif Philon avoue\nlui-m\u00eame que, d\u00e8s son arriv\u00e9e dans cette ville, une multitude d\u2019hommes\nse trouv\u00e8rent unis dans la foi et la continence. Papias, \u00e9v\u00eaque\nd\u2019Hi\u00e9ropolis, a d\u2019ailleurs r\u00e9sum\u00e9 en beau style quelques-uns de ses\nsermons, et Pierre Damien nous dit de lui: \u00abDieu lui accorda une si\npr\u00e9cieuse faveur que, d\u00e8s son arriv\u00e9e \u00e0 Alexandrie, tous ceux qu\u2019il\nconvertit acquirent aussit\u00f4t une perfection de m\u0153urs presque monastique,\nce \u00e0 quoi lui-m\u00eame les a d\u2019ailleurs encourag\u00e9s non seulement par ses\nmiracles, mais aussi par l\u2019exemple de ses propres m\u0153urs. Et Dieu lui a\nencore permis de revenir, apr\u00e8s sa mort, en Italie, de telle sorte que\nla terre o\u00f9 il a \u00e9crit son \u00e9vangile a obtenu l\u2019honneur de poss\u00e9der ses\nreliques. Bienheureuse es-tu, Alexandrie, qui as \u00e9t\u00e9 empourpr\u00e9e de son\nsang triomphal! Bienheureuse es-tu, Italie, qui as \u00e9t\u00e9 enrichie du\ntr\u00e9sor de ses restes!\u00bb\nTelle \u00e9tait l\u2019humilit\u00e9 de saint Marc qu\u2019il se coupa le pouce afin de ne\npouvoir pas \u00eatre ordonn\u00e9 pr\u00eatre: mais saint Pierre passa outre, et le\nconsacra \u00e9v\u00eaque d\u2019Alexandrie. On raconte que, en arrivant dans cette\nville, son soulier se rompit et qu\u2019il le donna \u00e0 r\u00e9parer \u00e0 un savetier\nrencontr\u00e9 sur sa route. Le savetier, en r\u00e9parant le soulier, se blessa\ngri\u00e8vement \u00e0 la main gauche, sur quoi il s\u2019\u00e9cria: \u00abAh! Dieu unique!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, saint Marc dit: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9 le Seigneur b\u00e9nit mon chemin!\u00bb\nPuis, ayant fait de la boue avec sa salive, il en frotta la main du\nsavetier et aussit\u00f4t la gu\u00e9rit. Cet homme, \u00e9tonn\u00e9 de sa puissance, le\nfit entrer dans sa maison et se mit \u00e0 lui demander qui il \u00e9tait et d\u2019o\u00f9\nil venait. Saint Marc lui r\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait le serviteur du Seigneur\nJ\u00e9sus. Le savetier dit: \u00abJe voudrais bien voir ton ma\u00eetre!\u00bb Et saint\nMarc lui r\u00e9pondit: \u00abJe vais te le faire voir!\u00bb Puis il se mit \u00e0\nl\u2019\u00e9vang\u00e9liser, et le baptisa avec toute sa maison. Mais bient\u00f4t des\nhommes de la ville, apprenant l\u2019arriv\u00e9e d\u2019un Juif qui m\u00e9prisait leurs\ndieux, lui tendirent des pi\u00e8ges; et lui, en ayant \u00e9t\u00e9 inform\u00e9, il cr\u00e9a\n\u00e9v\u00eaque \u00e0 sa place l\u2019homme qu\u2019il avait gu\u00e9ri, et qui s\u2019appelait Aniane;\napr\u00e8s quoi lui-m\u00eame se rendit en Pentapole, o\u00f9 il resta deux ans. Il\nrevint ensuite \u00e0 Alexandrie, o\u00f9 il avait construit une \u00e9glise au bord de\nla mer, dans l\u2019endroit qui se nomme l\u2019Abattoir; et il trouva que le\nnombre des fid\u00e8les s\u2019\u00e9tait encore augment\u00e9. Mais les pr\u00eatres des faux\ndieux mirent de nouveau tout en \u0153uvre pour s\u2019emparer de lui. Et, le jour\nde P\u00e2ques, pendant qu\u2019il c\u00e9l\u00e9brait la messe, ils l\u2019entour\u00e8rent, lui\npass\u00e8rent une corde au cou et le tra\u00een\u00e8rent par les rues de la ville,\ncomme un b\u0153uf men\u00e9 \u00e0 l\u2019abattoir. Ses chairs pendaient jusqu\u2019\u00e0 terre, et\nle pav\u00e9 s\u2019arrosait de son sang. Dans la prison o\u00f9 on l\u2019enferma ensuite,\nil fut consol\u00e9 par des anges; et Notre-Seigneur J\u00e9sus-Christ lui-m\u00eame\ndaigna le visiter et lui dire: \u00abQue la paix soit avec toi, Marc, mon\n\u00e9vang\u00e9liste! Ne crains rien, car je suis pr\u00e8s de toi pour te d\u00e9fendre.\u00bb\nLe lendemain, les pr\u00eatres le tra\u00een\u00e8rent de nouveau, la corde au cou, \u00e0\ntravers la ville. Mais au moment o\u00f9 il disait: _In manus tuas commendo\nspiritum meum!_ il rendit son \u00e2me au Seigneur. Cela se passait sous le\nr\u00e8gne de N\u00e9ron.\nEt comme les pa\u00efens voulaient br\u00fbler le corps du martyr, soudain l\u2019air\nse troubla, la gr\u00eale s\u2019abattit, le tonnerre mugit, les \u00e9clairs\njaillirent; si bien que chacun dut prendre la fuite, laissant intact le\ncorps de saint Marc, que les chr\u00e9tiens se h\u00e2t\u00e8rent de prendre et\nd\u2019ensevelir pieusement dans son \u00e9glise. Saint Marc avait un long nez,\ndes sourcils \u00e9pais, de beaux yeux, une barbe touffue, une taille moyenne\net un port excellent. Il \u00e9tait \u00e2g\u00e9 d\u2019une cinquantaine d\u2019ann\u00e9es lorsqu\u2019il\nsouffrit le martyre. Son miracle de la main gu\u00e9rie a \u00e9t\u00e9 c\u00e9l\u00e9br\u00e9 par\nsaint Ambroise.\nII. L\u2019an du Seigneur 468, sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur L\u00e9on, les\nV\u00e9nitiens transport\u00e8rent le corps de saint Marc, d\u2019Alexandrie, \u00e0 Venise,\no\u00f9 l\u2019on construisit en l\u2019honneur du saint une \u00e9glise d\u2019une beaut\u00e9\nmerveilleuse. Ce furent certains marchands v\u00e9nitiens qui, se trouvant \u00e0\nAlexandrie, obtinrent, par des pri\u00e8res et des promesses, que les deux\npr\u00eatres pr\u00e9pos\u00e9s \u00e0 la garde du corps leur permissent d\u2019emporter\nsecr\u00e8tement le corps et de l\u2019emmener \u00e0 Venise. Mais quand ils\nsoulev\u00e8rent la pierre du tombeau, un si fort parfum se r\u00e9pandit par\ntoute la ville d\u2019Alexandrie que chacun se demandait avec \u00e9tonnement d\u2019o\u00f9\npouvait venir cette douce odeur. Et comme, durant le voyage, les\nmarchands avaient dit \u00e0 l\u2019\u00e9quipage d\u2019un autre bateau quel \u00e9tait le saint\ncorps qu\u2019ils emportaient avec eux, des hommes de cet \u00e9quipage leur\ndirent: \u00abPeut-\u00eatre les Egyptiens vous ont-ils tromp\u00e9s, en vous donnant\nun autre corps que celui de saint Marc?\u00bb Mais aussit\u00f4t le vaisseau o\u00f9\n\u00e9tait le corps se retourna contre l\u2019autre vaisseau, fondit sur lui, lui\nfit une br\u00e8che, et aurait achev\u00e9 de l\u2019an\u00e9antir si tout l\u2019\u00e9quipage ne\ns\u2019\u00e9tait empress\u00e9 de proclamer que le corps \u00e9tait bien celui de saint\nMarc. Une autre fois, le pilote ayant perdu son chemin, dans la nuit, et\nne sachant plus o\u00f9 se trouvait le vaisseau, saint Marc apparut au moine\ncharg\u00e9 de garder son corps, et lui dit: \u00abVa dire aux matelots de plier\ntout de suite les voiles pour ralentir la course du vaisseau, car la\nterre est toute proche!\u00bb Les matelots suivirent ce conseil, et bien leur\nen prit: car le lendemain, au petit jour, ils s\u2019aper\u00e7urent qu\u2019ils\n\u00e9taient dans le voisinage d\u2019une \u00eele sur laquelle, sans la protection de\nsaint Marc, le vaisseau se serait bris\u00e9. Et, dans tous les pays o\u00f9 le\nvaisseau faisait rel\u00e2che, les habitants, sans qu\u2019on leur e\u00fbt rien dit du\ntr\u00e9sor qu\u2019il portait, accouraient en s\u2019\u00e9criant: \u00abOh! comme vous \u00eates\nheureux de pouvoir porter le corps de saint Marc! Laissez-nous l\u2019adorer\npieusement!\u00bb Et il y avait sur le vaisseau un matelot qui restait\nincr\u00e9dule: mais le diable s\u2019empara de lui et le tourmenta jusqu\u2019\u00e0 ce\nque, mis en pr\u00e9sence du corps, il e\u00fbt d\u00e9clar\u00e9 qu\u2019il y croyait. Et depuis\nlors cet homme, ainsi d\u00e9livr\u00e9 du diable, eut pour saint Marc une\nd\u00e9votion toute particuli\u00e8re.\nA Venise, le corps du saint fut plac\u00e9 sous une des colonnes de marbre de\nl\u2019\u00e9glise; et un petit nombre de personnes seulement furent admises \u00e0\nconna\u00eetre l\u2019endroit o\u00f9 il \u00e9tait d\u00e9pos\u00e9, de fa\u00e7on qu\u2019il p\u00fbt \u00eatre gard\u00e9\nplus s\u00fbrement. Or voici que, ces quelques personnes \u00e9tant mortes, on se\ntrouva ne plus savoir du tout o\u00f9 \u00e9tait d\u00e9pos\u00e9 le saint tr\u00e9sor; et toutes\nles recherches qu\u2019on fit pour le d\u00e9couvrir rest\u00e8rent sans effet. Grande\nfut la d\u00e9solation, aussi bien parmi les la\u00efcs que parmi les clercs. La\nfoule tremblait \u00e0 la pens\u00e9e que son saint patron avait peut-\u00eatre \u00e9t\u00e9\nd\u00e9rob\u00e9. Un je\u00fbne solennel fut ordonn\u00e9, une procession parcourut en\ngrande pompe toutes les rues de Venise. Et voici que, \u00e0 la vue et \u00e0\nl\u2019\u00e9merveillement de tous, les pierres de l\u2019une des colonnes s\u2019\u00e9branlent\net tombent, mettant \u00e0 d\u00e9couvert le caveau o\u00f9 est cach\u00e9 le corps. Toute\nla ville, ravie de bonheur, remercie Dieu d\u2019un tel miracle, et depuis\nlors, le jour anniversaire de ce miracle est c\u00e9l\u00e9br\u00e9 \u00e0 Venise comme une\nf\u00eate solennelle.\nIII. Un jeune homme qui avait la poitrine rong\u00e9e par un cancer implora\nl\u2019assistance de saint Marc: la nuit suivante, il vit en r\u00eave un p\u00e8lerin\nqui marchait d\u2019un pas rapide sur une route. Le jeune homme lui ayant\ndemand\u00e9 qui il \u00e9tait et pourquoi il marchait si vite, le p\u00e8lerin\nr\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait saint Marc, et qu\u2019il courait au secours d\u2019un\nvaisseau en danger; apr\u00e8s quoi, \u00e9tendant la main, il toucha le malade,\nqui se r\u00e9veilla enti\u00e8rement gu\u00e9ri. Or, peu de temps apr\u00e8s, un vaisseau\nentra dans le port de Venise; et l\u2019\u00e9quipage raconta que, \u00e9tant en\ndanger, il avait invoqu\u00e9 saint Marc, qui l\u2019avait secouru.\nIV. Des marchands v\u00e9nitiens se rendaient \u00e0 Alexandrie, dans un vaisseau\nqui appartenait \u00e0 des Sarrasins. Une temp\u00eate s\u2019\u00e9tant \u00e9lev\u00e9e, les\nmarchands saut\u00e8rent dans une barque, et, \u00e0 l\u2019instant m\u00eame o\u00f9 ils\nsortaient du vaisseau, celui-ci fut englouti par les vagues, et tous les\nSarrasins furent noy\u00e9s. Seul, l\u2019un d\u2019entre eux, se voyant pr\u00e8s de p\u00e9rir,\ninvoqua saint Marc, et fit v\u0153u, s\u2019il \u00e9tait sauv\u00e9, de recevoir le bapt\u00eame\ndans l\u2019\u00e9glise du saint. Et aussit\u00f4t lui apparut un \u00e9tranger tout v\u00eatu de\nlumi\u00e8re, qui, le retirant des flots, l\u2019installa dans la barque avec les\nV\u00e9nitiens.\nOr, cet homme, \u00e9tant arriv\u00e9 \u00e0 Alexandrie, oublia sa miraculeuse\nd\u00e9livrance et le v\u0153u qu\u2019il avait fait en \u00e9change. Mais saint Marc lui\napparut de nouveau, pour lui faire honte de son ingratitude: si bien que\nle Sarrasin, tout confus, se mit en route pour Venise, o\u00f9 il re\u00e7ut avec\nle bapt\u00eame le nom de Marc, et d\u00e9sormais il crut parfaitement au Christ,\net termina sa vie dans les bonnes \u0153uvres.\nV. Un homme qui travaillait au haut du campanile de Saint-Marc, \u00e0\nVenise, perdit pied tout \u00e0 coup et se mit \u00e0 tomber; mais ayant implor\u00e9\nsaint Marc pendant sa chute, il put s\u2019accrocher \u00e0 une poutre qu\u2019il\ntrouva devant lui, et descendit de l\u00e0 sans danger le long d\u2019une corde\nqu\u2019on lui lan\u00e7a, apr\u00e8s quoi il s\u2019en retourna achever son travail.\nVI. Un fid\u00e8le chr\u00e9tien, qui \u00e9tait au service d\u2019un noble de Provence,\navait fait le v\u0153u de visiter le tombeau de saint Marc, mais ne pouvait\nobtenir de son ma\u00eetre la permission de se rendre \u00e0 Venise. Enfin,\nsacrifiant sa peur du ch\u00e2timent corporel \u00e0 sa peur de la disgr\u00e2ce\nc\u00e9leste, il partit sans demander la permission, et alla prier au tombeau\ndu saint. Quand il revint aupr\u00e8s de son ma\u00eetre, celui-ci, furieux,\nordonna de lui crever les yeux. Aussit\u00f4t ses esclaves, plus cruels\nencore que leur ma\u00eetre, \u00e9tendirent sur le sol leur pieux compagnon, et\nse mirent en devoir de lui crever les yeux avec des pointes de fer. Mais\ntout leur z\u00e8le ne leur servait \u00e0 rien, car les pointes se brisaient en\ntouchant les yeux. Alors le ma\u00eetre ordonna de rompre \u00e0 coups de hache\nles membres du malheureux, et de lui couper les pieds; mais le fer des\nhaches s\u2019amollissait et devenait du plomb. Alors le ma\u00eetre ordonna de\nlui briser les dents avec des marteaux de fer. Mais de nouveau le fer\ns\u2019amollit, comme h\u00e9b\u00e9t\u00e9 par la puissance de Dieu. Ce que voyant, le\nma\u00eetre, stup\u00e9fait, se repentit, demanda pardon \u00e0 l\u2019esclave, et alla\nprier avec lui au tombeau de saint Marc.\nVII. Un soldat fut si gri\u00e8vement bless\u00e9 au bras, dans une bataille,\nqu\u2019il eut la main presque d\u00e9tach\u00e9e. Et m\u00e9decins et amis lui\nconseillaient de se la faire couper: mais il h\u00e9sitait, ayant honte de\ndevenir manchot, car il \u00e9tait r\u00e9put\u00e9 pour tr\u00e8s adroit de ses mains. Il\ndemanda enfin qu\u2019on lui rem\u00eet en place la main pendante, et qu\u2019on\nl\u2019attach\u00e2t avec des linges: apr\u00e8s quoi il invoqua l\u2019aide de saint Marc,\net aussit\u00f4t sa main recouvra son ancienne sant\u00e9. Seule une cicatrice\nresta toujours visible, pour porter t\u00e9moignage du pr\u00e9cieux miracle.\nVIII. Un habitant de Mantoue, ayant \u00e9t\u00e9 faussement accus\u00e9 par des\ninf\u00e2mes, fut mis en prison. Il y \u00e9tait depuis quarante jours et\ns\u2019ennuyait fort, lorsque enfin, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre mortifi\u00e9 par trois jours de\nje\u00fbne, il invoqua l\u2019appui de saint Marc. Aussit\u00f4t le saint lui apparut,\net lui dit de sortir de sa prison. Mais l\u2019homme, jugeant la chose\nimpossible, crut qu\u2019il avait r\u00eav\u00e9 et ne tint nul compte de l\u2019ordre du\nsaint. Une seconde fois, puis une troisi\u00e8me fois, le saint lui apparut\net lui renouvela son ordre. Alors le prisonnier, voyant que la porte de\nsa cellule \u00e9tait ouverte, sortit, apr\u00e8s avoir bris\u00e9 comme de l\u2019\u00e9toupe\nles cha\u00eenes de ses pieds. Et il allait, en plein jour, au milieu des\ngardiens et des autres habitants de la ville, sans que personne d\u2019entre\neux p\u00fbt le voir. Il parvint ainsi \u00e0 Venise, o\u00f9 il s\u2019empressa d\u2019aller\npieusement rendre gr\u00e2ces au tombeau de saint Marc.\nIX. Comme toute la Pouille souffrait de disette, et que la pluie\ns\u2019obstinait \u00e0 ne point tomber pour arroser le sol, on apprit que cette\ncalamit\u00e9 venait de ce que les habitants ne c\u00e9l\u00e9braient point la f\u00eate de\nsaint Marc. Ils s\u2019empress\u00e8rent donc d\u2019invoquer ce saint, avec la\npromesse de c\u00e9l\u00e9brer solennellement sa f\u00eate; et aussit\u00f4t saint Marc, les\nd\u00e9livrant de la s\u00e9cheresse, leur accorda un air sain et la pluie qu\u2019ils\nd\u00e9siraient.\nLXI\nSAINT MARCELIN, PAPE\n(26 avril)\nSaint Marcelin, pape, gouverna l\u2019\u00e9glise de Rome pendant neuf ans et\nquatre mois. Sur l\u2019ordre de Diocl\u00e9tien et de Maximien, il fut arr\u00eat\u00e9 et\nmis en demeure de sacrifier aux idoles. Il s\u2019y refusa d\u2019abord; mais,\ncomme on le mena\u00e7ait de diverses tortures, la peur de la souffrance fit\nqu\u2019il consentit \u00e0 sacrifier, sur l\u2019autel, deux grains d\u2019encens. Grande\nfut la joie des infid\u00e8les, mais plus grande encore la tristesse des\nfid\u00e8les. Ceux-ci se rendent en foule aupr\u00e8s de Marcelin et lui\nreprochent son manque de courage; et Marcelin, tout confus, demande \u00e0\n\u00eatre jug\u00e9 par l\u2019assembl\u00e9e des \u00e9v\u00eaques. Mais les \u00e9v\u00eaques lui disent: \u00abEn\nta qualit\u00e9 de souverain pontife, aucun homme sur terre ne saurait \u00eatre\nton juge; mais recueille-toi en toi-m\u00eame, et juge-toi de ta propre\nbouche!\u00bb Alors Marcelin, plein de repentir et pleurant am\u00e8rement, se\nd\u00e9posa lui-m\u00eame de ses fonctions de pape; mais la foule s\u2019empressa de le\nr\u00e9\u00e9lire. Ce qu\u2019apprenant, les empereurs le firent de nouveau arr\u00eater; et\ncomme, cette fois, il se refusait absolument \u00e0 sacrifier aux dieux, ils\nordonn\u00e8rent qu\u2019il e\u00fbt la t\u00eate tranch\u00e9e; apr\u00e8s quoi, leur rage s\u2019accrut \u00e0\ntel point qu\u2019en un seul mois ils firent p\u00e9rir dix-sept mille chr\u00e9tiens.\nQuant \u00e0 Marcelin, se jugeant indigne de la s\u00e9pulture chr\u00e9tienne, il\nd\u00e9cr\u00e9ta, avant de mourir, que tous ceux qui voudraient l\u2019ensevelir\nseraient excommuni\u00e9s. Et ainsi son corps resta priv\u00e9 de s\u00e9pulture\npendant trente-cinq jours. Mais, au bout de ce temps, saint Pierre\napparut \u00e0 son successeur, le pape Marcel, et lui dit: \u00abMon fr\u00e8re Marcel,\npourquoi tardes-tu \u00e0 m\u2019ensevelir?\u00bb Et Marcel: \u00abMais, ma\u00eetre, est-ce que\nvous n\u2019\u00eates pas enseveli depuis longtemps?\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre: \u00abJe me\nconsid\u00e9rerai comme n\u2019\u00e9tant pas enseveli aussi longtemps que je verrai\nMarcelin priv\u00e9 de s\u00e9pulture.\u00bb Et le pape: \u00abMais, ma\u00eetre, ne savez-vous\ndonc pas qu\u2019il a excommuni\u00e9 tout ceux qui penseraient \u00e0 l\u2019ensevelir?\u00bb Et\nsaint Pierre: \u00abNe sais-tu pas qu\u2019il est \u00e9crit que celui qui s\u2019humilie\nsera \u00e9lev\u00e9? Va donc, et ensevelis Marcelin au pied de mon tombeau!\u00bb Et\nle pape fit ainsi; ob\u00e9issant \u00e0 l\u2019ordre de l\u2019ap\u00f4tre.\nLXII\nSAINT VITAL, MARTYR\n(28 avril)\nSaint Vital, chevalier consulaire, eut pour fils, de sa femme Val\u00e9rie,\nles deux saints Gervais et Protais. Entrant un jour dans la ville de\nRavenne en compagnie d\u2019un juge nomm\u00e9 Paulin, il se trouva assister \u00e0\nl\u2019ex\u00e9cution d\u2019un m\u00e9decin chr\u00e9tien qui avait nom Urcisin. Et comme\ncelui-ci, d\u00e9j\u00e0 \u00e9prouv\u00e9 par divers supplices, paraissait effray\u00e9, saint\nVital lui cria: \u00abH\u00e9, mon fr\u00e8re le m\u00e9decin, toi qui avais l\u2019habitude de\ngu\u00e9rir les autres, ne te laisse pas mourir toi-m\u00eame de la mort\n\u00e9ternelle, et ne perds pas la couronne que Dieu t\u2019a pr\u00e9par\u00e9e!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, Urcisin reprit courage, et, rougissant de sa l\u00e2chet\u00e9,\naccepta avec joie le martyre; et saint Vital, apr\u00e8s l\u2019avoir enseveli\nchr\u00e9tiennement, refusa d\u2019aller rejoindre son ma\u00eetre Paulin. Celui-ci,\nfurieux, le fit \u00e9tendre sur un chevalet. Et Vital lui dit: \u00abComment\npeux-tu croire, insens\u00e9, que tu parviendras \u00e0 me d\u00e9tourner de ma foi,\nmoi qui ai souvent emp\u00each\u00e9 les autres d\u2019en \u00eatre d\u00e9tourn\u00e9s?\u00bb Et Paulin\ndit \u00e0 ses serviteurs: \u00abConduisez-le au temple, et, s\u2019il refuse de\nsacrifier, creusez une fosse tr\u00e8s profonde, jusqu\u2019\u00e0 ce que vous ayez\ntrouv\u00e9 de l\u2019eau; et alors ensevelissez-le tout vivant, la t\u00eate en bas!\u00bb\nC\u2019est ce qu\u2019ils firent, et ainsi saint Vital fut enseveli vivant, sous\nle r\u00e8gne de l\u2019empereur N\u00e9ron. Mais le pr\u00eatre pa\u00efen, qui avait sugg\u00e9r\u00e9\naux juges l\u2019id\u00e9e de cette mort, fut aussit\u00f4t envahi par un d\u00e9mon.\nPendant sept jours il d\u00e9lira sur le lieu o\u00f9 avait \u00e9t\u00e9 ensevelie sa\nvictime, disant: \u00abTu me br\u00fbles, Vital!\u00bb Et, le septi\u00e8me jour, il se\npr\u00e9cipita dans le fleuve et p\u00e9rit mis\u00e9rablement.\nLa femme de saint Vital, sainte Val\u00e9rie, se rendant \u00e0 Milan, rencontra\ndes pa\u00efens qui sacrifiaient aux idoles et qui l\u2019engag\u00e8rent \u00e0 prendre sa\npart de leur sacrifice. Mais elle r\u00e9pondit: \u00abSachez que je suis\nchr\u00e9tienne et que je n\u2019ai pas le droit de me m\u00ealer \u00e0 vos c\u00e9r\u00e9monies!\u00bb\nAlors ces hommes se jet\u00e8rent sur elle et la battirent si cruellement que\nses serviteurs l\u2019emport\u00e8rent \u00e0 Milan \u00e0 demi morte, et que, trois jours\napr\u00e8s, son \u00e2me s\u2019envola joyeusement vers le Seigneur.\nLXIII\nSAINT PIERRE LE NOUVEAU, MARTYR\n(29 avril)\nI. Pierre le Nouveau, martyr, de l\u2019ordre des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs, naquit\ndans la ville de V\u00e9rone. De m\u00eame qu\u2019une lumi\u00e8re brillante jaillissant de\nla fum\u00e9e, ou qu\u2019un lys blanc surgissant parmi des ronces, ou qu\u2019une rose\ns\u2019\u00e9panouissant entre des \u00e9pines, ce grand confesseur de la foi naquit de\nparents aveugl\u00e9s par l\u2019erreur: car son p\u00e8re et sa m\u00e8re appartenaient\ntous deux \u00e0 la secte h\u00e9r\u00e9tique, dont lui-m\u00eame sut, d\u00e8s l\u2019enfance, se\ntenir \u00e0 l\u2019\u00e9cart.\nIl avait sept ans, et revenait un jour de l\u2019\u00e9cole, lorsque son oncle,\nh\u00e9r\u00e9tique comme ses parents, lui demanda ce que ses ma\u00eetres lui\napprenaient. L\u2019enfant r\u00e9pondit qu\u2019ils lui apprenaient \u00e0 dire: \u00abJe crois\nen Dieu, p\u00e8re tout-puissant, cr\u00e9ateur du ciel et de la terre, etc.\u00bb Sur\nquoi l\u2019oncle: \u00abNe dis pas que Dieu est le cr\u00e9ateur du ciel et de la\nterre, car ce n\u2019est pas Dieu, mais le diable, qui a cr\u00e9\u00e9 toutes les\nchoses qui se voient!\u00bb Mais l\u2019enfant r\u00e9pondit qu\u2019il pr\u00e9f\u00e9rait dire comme\non le lui avait appris \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et croire \u00e0 ce qu\u2019il avait lu dans les\nlivres saints. En vain son oncle s\u2019effor\u00e7ait de le convaincre, \u00e0 grand\nrenfort d\u2019autorit\u00e9s de sa secte: l\u2019enfant, plein de l\u2019Esprit-Saint,\nretournait contre lui tous ses arguments, le frappant ainsi de son\npropre glaive, sans lui laisser d\u2019issue par o\u00f9 s\u2019\u00e9chapper. Et l\u2019oncle,\nfurieux de se voir confondre par un enfant, se plaignit au p\u00e8re du petit\nPierre, insistant pour que celui-ci quitt\u00e2t aussit\u00f4t l\u2019\u00e9cole qu\u2019il\nfr\u00e9quentait. \u00abJe crains, en effet, disait-il, que ce Pierrot, ses \u00e9tudes\nachev\u00e9es, se rallie \u00e0 l\u2019odieuse \u00e9glise de Rome, et aide par l\u00e0 \u00e0\nd\u00e9truire notre foi!\u00bb En quoi cet h\u00e9r\u00e9tique, \u00e0 son insu, se montra bon\nproph\u00e8te, car Pierre \u00e9tait en effet destin\u00e9 \u00e0 d\u00e9truire la perfide\nh\u00e9r\u00e9sie d\u2019Arius. Mais Dieu fit en sorte que le p\u00e8re refusa de suivre le\nconseil de son fr\u00e8re, se disant qu\u2019il pourrait toujours ramener son fils\naux doctrines de sa secte lorsque l\u2019enfant aurait achev\u00e9 son \u00e9ducation.\nOr l\u2019enfant, jugeant que c\u2019\u00e9tait chose peu s\u00fbre d\u2019habiter avec des\nscorpions, et d\u00e9daignant le monde, et ha\u00efssant l\u2019erreur de ses parents,\ns\u2019empressa, d\u00e8s sa sortie de l\u2019\u00e9cole, d\u2019entrer dans l\u2019ordre des Fr\u00e8res\nPr\u00eacheurs. Le pape Innocent nous dit \u00e0 ce sujet, dans son \u00e9p\u00eetre:\n\u00abRenon\u00e7ant de bonne heure aux mensonges du monde, le bienheureux Pierre\ns\u2019affilia \u00e0 l\u2019ordre des Pr\u00eacheurs. Il y passa pr\u00e8s de trente ans et\nlutta vaillamment pour la d\u00e9fense de sa foi, jusqu\u2019au jour o\u00f9 ses\nennemis, exasp\u00e9r\u00e9s des coups qu\u2019il leur portait, lui fournirent\nl\u2019occasion d\u2019un enviable martyre. Et ainsi Pierre, s\u2019appuyant sur la\npierre de la foi, s\u2019\u00e9leva enfin jusqu\u2019au tr\u00f4ne du Christ. Toute sa vie,\naussi, il garda intacte la virginit\u00e9 de son corps et de son \u00e2me, et\njamais il n\u2019\u00e9prouva l\u2019atteinte d\u2019aucun p\u00e9ch\u00e9 mortel, suivant ce qu\u2019ont\nattest\u00e9 ses confesseurs. Et toute sa vie il mortifia sa chair en\ns\u2019abstenant de tout exc\u00e8s de nourriture ou de boisson. Et, de peur que,\ndurant son repos, il ne f\u00fbt tent\u00e9 de succomber aux pi\u00e8ges de l\u2019ennemi,\nil s\u2019exer\u00e7ait sans rel\u00e2che \u00e0 d\u00e9fendre sa foi. La nuit m\u00eame, apr\u00e8s un\ncourt sommeil, il se levait, et \u00e9tudiait les v\u00e9rit\u00e9s du dogme. Quant \u00e0\nses journ\u00e9es, il les employait \u00e0 pr\u00eacher contre les tentations du monde,\nou bien \u00e0 recevoir des confessions, ou bien \u00e0 r\u00e9futer par d\u2019excellentes\nraisons la doctrine empoisonn\u00e9e des h\u00e9r\u00e9tiques, et l\u2019on sait combien,\navec l\u2019aide de Dieu, il parvint \u00e0 briller dans ces r\u00e9futations. Pieux,\nhumble et doux, ob\u00e9issant, patient, plein de charit\u00e9 et de compassion,\nil attirait \u00e0 lui tous les c\u0153urs par le parfum m\u00eame de ses vertus. Et\ndans l\u2019ardeur de sa foi, il suppliait le Seigneur de ne point l\u2019\u00f4ter de\nce monde autrement qu\u2019en l\u2019autorisant \u00e0 boire le calice de la passion:\net sa pri\u00e8re finit par \u00eatre exauc\u00e9e.\u00bb\nII. Nombreux furent les miracles qu\u2019il fit de son vivant. Comme, un\njour, \u00e0 Milan, il interrogeait un \u00e9v\u00eaque h\u00e9r\u00e9tique que les fid\u00e8les\navaient fait prisonnier, et comme nombre d\u2019\u00e9v\u00eaques, de pr\u00eatres et\nd\u2019habitants de la ville se trouvaient r\u00e9unis autour de lui, et comme\ncette foule souffrait d\u2019une chaleur torride, l\u2019h\u00e9r\u00e9tique s\u2019\u00e9cria en\npr\u00e9sence de tous: \u00abO Pierre, si tu es aussi saint que l\u2019affirme ce\npeuple stupide, pourquoi le laisses-tu \u00e9touffer de chaleur, et ne\ndemandes-tu pas \u00e0 ton Dieu d\u2019envoyer un nuage, qui rafra\u00eechisse l\u2019air?\u00bb\nEt Pierre, lui r\u00e9pondit: \u00abSi tu veux promettre de renoncer \u00e0 ton h\u00e9r\u00e9sie\net de te convertir \u00e0 la foi catholique, je prierai Dieu, et il fera ce\nque tu demandes!\u00bb Alors tous les h\u00e9r\u00e9tiques, qui entouraient leur \u00e9v\u00eaque\nlui cri\u00e8rent: \u00abPromets, promets!\u00bb Ils croyaient, en effet, impossible le\nmiracle annonc\u00e9 par Pierre, car on ne voyait pas au ciel l\u2019ombre m\u00eame du\nmoindre nuage. Et, au contraire, les catholiques s\u2019affligeaient de la\nproposition de Pierre, craignant qu\u2019un \u00e9chec ne nuis\u00eet aux int\u00e9r\u00eats de\nleur foi. Et comme l\u2019h\u00e9r\u00e9tique refusait de s\u2019engager, Pierre lui dit,\nd\u2019un ton plein de confiance: \u00abN\u2019importe! Afin que le vrai Dieu, cr\u00e9ateur\ndes choses visibles et invisibles, se montre ici pour la consolation des\nfid\u00e8les et la confusion des h\u00e9r\u00e9tiques, je le prie de faire en sorte\nqu\u2019un nuage vienne se placer entre le soleil et cette foule!\u00bb Apr\u00e8s quoi\nil fit le signe de la croix, et aussit\u00f4t un nuage se d\u00e9ploya au ciel;\net, pendant une grande heure, ce nuage abrita la foule de la chaleur du\nsoleil, \u00e0 la mani\u00e8re d\u2019un pavillon.\nIII. On conduisit un jour vers saint Pierre, \u00e0 Milan, un homme nomm\u00e9\nAsserbus, qui, depuis cinq ans, \u00e9tait paralys\u00e9 au point de devoir \u00eatre\ntra\u00een\u00e9 dans un petit chariot. Saint Pierre fit sur lui le signe de la\ncroix, et aussit\u00f4t le paralytique se releva gu\u00e9ri. Et le saint fit\nencore, de son vivant, bien d\u2019autres miracles, dont quelques-uns nous\nsont rappel\u00e9s par le pape Innocent dans l\u2019\u00e9p\u00eetre d\u00e9j\u00e0 cit\u00e9e. Telle\nl\u2019histoire d\u2019un jeune homme noble qui avait dans la gorge une horrible\ntumeur, l\u2019emp\u00eachant de parler comme de respirer: le saint fit sur lui le\nsigne de la croix et le couvrit de son propre manteau, et aussit\u00f4t il le\ngu\u00e9rit. Et plus tard le m\u00eame noble, souffrant de douleurs internes, et\nse voyant menac\u00e9 de mort, se fit apporter ce manteau, qu\u2019il avait\nconserv\u00e9. A peine s\u2019en fut-il couvert, qu\u2019il vomit un ver \u00e0 deux t\u00eates\net tout noir de poils; et aussit\u00f4t il se sentit gu\u00e9ri. Une autre fois,\nsaint Pierre rendit la parole \u00e0 un jeune homme muet, en lui introduisant\nun doigt dans la bouche et en brisant le lien qui retenait sa langue.\nIV. Or, comme la peste de l\u2019h\u00e9r\u00e9sie s\u00e9vissait en Lombardie, et que d\u00e9j\u00e0\nplusieurs villes en \u00e9taient contamin\u00e9es, le souverain pontife d\u00e9l\u00e9gua\ndans les diverses parties de la province des inquisiteurs, tous\nappartenant \u00e0 l\u2019ordre des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs, et leur confia le soin de\nd\u00e9truire cette peste diabolique. A Milan le nombre des h\u00e9r\u00e9tiques \u00e9tait\nparticuli\u00e8rement grand, et l\u2019h\u00e9r\u00e9sie y poss\u00e9dait des partisans qui\njoignaient \u00e0 leur influence politique une \u00e9loquence pleine de ruses et\nun savoir malfaisant. Aussi le souverain pontife, connaissant\nl\u2019intr\u00e9pide bravoure de Pierre, sa fermet\u00e9, et son \u00e9loquence, le choisit\npour mener la lutte \u00e0 Milan et dans le Milanais, lui conc\u00e9dant \u00e0 cet\neffet autorit\u00e9 pl\u00e9ni\u00e8re. Et le saint, prenant \u00e0 c\u0153ur sa mission,\nharcelait les h\u00e9r\u00e9tiques sans leur laisser de repos; il confondait leurs\narguments, les r\u00e9futait, leur opposait la v\u00e9rit\u00e9 divine, de telle sorte\nque personne ne pouvait r\u00e9sister \u00e0 sa sagesse et \u00e0 l\u2019Esprit qui parlait\npar lui. Ce que voyant, les h\u00e9r\u00e9tiques, constern\u00e9s, se mirent \u00e0 m\u00e9diter\nsa mort, avec l\u2019id\u00e9e qu\u2019ils retrouveraient la paix s\u2019ils parvenaient \u00e0\nse d\u00e9barrasser d\u2019un aussi vaillant adversaire. Et un jour, comme Pierre\nrevenait de C\u00f4me \u00e0 Milan, il re\u00e7ut en chemin la palme du martyre. Le\npape Innocent raconte que, sur la route, le saint fut assailli par un\nh\u00e9r\u00e9tique qui, se jetant sur lui comme le loup sur l\u2019agneau, lui porta \u00e0\nla t\u00eate de cruelles blessures. Et le saint ne fit entendre ni plainte ni\nmurmure, mais plut\u00f4t s\u2019offrit en victime \u00e0 son assassin, et, souffrant\npatiemment, se contenta de dire: \u00abSeigneur, je remets mon \u00e2me entre tes\nmains!\u00bb Apr\u00e8s quoi il r\u00e9cita encore le symbole de la foi, ainsi que\nl\u2019ont rapport\u00e9 son assassin lui-m\u00eame,--qui tomba aux mains des fid\u00e8les\npeu de temps apr\u00e8s,--et un fr\u00e8re dominicain qui accompagnait Pierre, et\nqui, frapp\u00e9 lui aussi, surv\u00e9cut quelques jours \u00e0 ses blessures. Puis,\nvoyant que le martyr tardait \u00e0 mourir, l\u2019assassin tira son couteau et\nlui transper\u00e7a le flanc. Ainsi Pierre eut l\u2019insigne bonheur de pouvoir\n\u00eatre \u00e0 la fois, dans cette m\u00eame journ\u00e9e, confesseur, martyr et aussi\nproph\u00e8te; car le matin, au moment de se mettre en route, comme ses\nfr\u00e8res lui disaient que, fatigu\u00e9 et souffrant de la fi\u00e8vre, il aurait\npeine \u00e0 aller d\u2019une seule traite jusqu\u2019\u00e0 Milan, il leur avait r\u00e9pondu:\n\u00abSi je ne parviens pas jusqu\u2019au couvent de mes fr\u00e8res, saint Simplicien\npourra toujours me donner un abri pour la nuit. Or, le soir, lorsque son\ncorps sacr\u00e9 fut ramen\u00e9 \u00e0 Milan, les fr\u00e8res, en raison de la fr\u00e9quence de\nla foule, se trouv\u00e8rent emp\u00each\u00e9s de le conduire jusqu\u2019\u00e0 leur couvent, si\nbien qu\u2019ils le d\u00e9pos\u00e8rent dans l\u2019\u00e9glise de saint Simplicien, o\u00f9 il resta\ntoute la nuit. Mais son assassin et ses complices furent tromp\u00e9s dans\nleurs pr\u00e9visions: car Pierre, par son martyre, contribua autant et plus\nque par les actes de sa vie \u00e0 convertir les h\u00e9r\u00e9tiques. Il y contribua\nsi puissamment, par le souvenir de ses m\u00e9rites et par d\u2019\u00e9clatants\nmiracles, que la plupart des h\u00e9r\u00e9tiques renonc\u00e8rent \u00e0 leurs erreurs pour\nrentrer dans le sein de l\u2019\u00e9glise romaine. La ville et le comt\u00e9 de Milan\nse trouv\u00e8rent, en quelques jours, purg\u00e9s de l\u2019h\u00e9r\u00e9sie. Et bon nombre des\nplus influents et des plus fameux, parmi les pr\u00e9dicateurs de l\u2019h\u00e9r\u00e9sie,\nentr\u00e8rent dans l\u2019ordre des Pr\u00eacheurs, ordre qui, aujourd\u2019hui encore,\ncontinue \u00e0 lutter \u00e9nergiquement contre l\u2019h\u00e9r\u00e9sie. Ainsi notre Samson, en\nmourant, tua plus de Philistins qu\u2019il n\u2019en aurait tu\u00e9s s\u2019il f\u00fbt rest\u00e9 en\nvie[7].\n [7] Le martyre de saint Pierre le Nouveau avait eu lieu en 1252, deux\n ou trois ans \u00e0 peine avant le temps o\u00f9 Jacques de Voragine \u00e9crivait\n sa _L\u00e9gende_.\nV. Et, apr\u00e8s sa mort, Dieu permit que son triomphe f\u00fbt illustr\u00e9 par de\nnombreux miracles, dont quelques-uns nous sont rapport\u00e9s par le pape\nInnocent. C\u2019est ainsi que, plusieurs fois, les lampes suspendues\nau-dessus de son tombeau, s\u2019allum\u00e8rent d\u2019elles-m\u00eames. Un homme qui,\n\u00e9tant \u00e0 table, d\u00e9pr\u00e9ciait la saintet\u00e9 et les miracles de Pierre, sentit\nsoudain le morceau qu\u2019il mangeait s\u2019arr\u00eater dans sa gorge de mani\u00e8re\nqu\u2019il ne pouvait ni l\u2019avaler ni le rejeter. D\u00e9j\u00e0 son visage avait chang\u00e9\nde couleur, d\u00e9j\u00e0 il devinait l\u2019approche de la mort, lorsque, se\nrepentant, il fit v\u0153u de ne plus jamais employer sa langue \u00e0 mal parler\ndu saint: et aussit\u00f4t il rejeta la bouch\u00e9e qui l\u2019\u00e9tranglait, et se\ntrouva d\u00e9livr\u00e9.\nVI. Lorsque le pape Innocent IV inscrivit Pierre au nombre des saints,\nles Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs, r\u00e9unis en chapitre \u00e0 Milan, voulurent d\u00e9terrer le\ncorps du saint pour le transporter sous un autel. Et, bien que plus\nd\u2019une ann\u00e9e se f\u00fbt \u00e9coul\u00e9e depuis le martyre, le corps fut trouv\u00e9 intact\ncomme s\u2019il n\u2019\u00e9tait enseveli que depuis la veille. Les fr\u00e8res\nl\u2019\u00e9tendirent sur une estrade, o\u00f9 le peuple f\u00fbt admis \u00e0 le voir et \u00e0\nl\u2019honorer.\nCertain jeune homme du nom de Guiffroy, de la ville de C\u00f4me, gardait un\nfragment de la tunique de saint Pierre. Un h\u00e9r\u00e9tique, pour se moquer de\nlui, lui conseilla de jeter au feu ce fragment, disant que, si les\nflammes l\u2019\u00e9pargnaient, la saintet\u00e9 de Pierre serait par l\u00e0 prouv\u00e9e, et\nque lui-m\u00eame, dans ce cas, se convertirait. Guiffroy jeta donc le\nfragment du manteau de saint Pierre sur des charbons enflamm\u00e9s; mais le\nfragment se tint d\u2019abord en l\u2019air au-dessus du feu, puis, retombant sur\nlui, l\u2019\u00e9teignit du coup. Alors l\u2019incr\u00e9dule dit: \u00abUn fragment de mon\nmanteau en fera tout autant!\u00bb On alluma d\u2019autres charbons et on y pla\u00e7a,\nen face l\u2019un de l\u2019autre, les deux fragments de manteaux. Et le manteau\nde l\u2019h\u00e9r\u00e9tique fut, tout de suite, br\u00fbl\u00e9, tandis que celui de saint\nPierre \u00e9teignit le feu sans qu\u2019un seul de ses poils f\u00fbt endommag\u00e9. Ce\nque voyant, l\u2019h\u00e9r\u00e9tique revint \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9, et fit part \u00e0 tous du\nmiracle dont il avait \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin.\nVII. On raconte que certain h\u00e9r\u00e9tique, dialecticien \u00e9loquent et\ninfatigable, discutant avec saint Pierre, le pressait d\u2019arguments si\nsubtils que le saint, d\u00e9sol\u00e9, entra dans une \u00e9glise voisine, et pria\nDieu, avec des larmes, de d\u00e9fendre pour lui la cause de sa foi. Apr\u00e8s\nquoi, revenant vers l\u2019h\u00e9r\u00e9tique, il lui dit d\u2019exposer de nouveau ses\nraisons. Mais l\u2019h\u00e9r\u00e9tique \u00e9tait devenu muet, au point qu\u2019il ne put\nprononcer une seule parole: ce qui arriva \u00e0 la grande confusion de son\nparti, et les fid\u00e8les en rendirent de grandes gr\u00e2ces \u00e0 Dieu.\nVIII. Un h\u00e9r\u00e9tique nomm\u00e9 Opiso, \u00e9tant un jour entr\u00e9 dans la chapelle des\nfr\u00e8res, \u00e0 Milan, et ayant aper\u00e7u deux deniers sur la tombe de saint\nPierre, s\u2019empara de ces deniers en disant: \u00abVoil\u00e0 qui est bon pour\nm\u2019offrir \u00e0 boire!\u00bb Et aussit\u00f4t il fut saisi d\u2019un tremblement, et se\ntrouva incapable de faire un seul pas. Epouvant\u00e9, il restitua les deux\ndeniers et se convertit.\nIX. Dans un couvent de Florence, une religieuse, \u00e9tant en pri\u00e8re le jour\ndu martyre du saint, vit la Vierge Marie assise sur son tr\u00f4ne de gloire\net faisant asseoir pr\u00e8s d\u2019elle deux fr\u00e8res de l\u2019ordre des Pr\u00eacheurs.\nElle demanda qui \u00e9taient ces fr\u00e8res; et une voix lui r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est le\nfr\u00e8re Pierre et son compagnon, qui viennent de s\u2019\u00e9lever jusqu\u2019au ciel\ncomme la fum\u00e9e de l\u2019encens.\u00bb Et, plus tard, cette religieuse, souffrant\nd\u2019une grave maladie, invoqua saint Pierre et fut aussit\u00f4t gu\u00e9rie.\nX. Un clerc qui revenait de Maguelone \u00e0 Montpellier, se fit un effort\ndans l\u2019a\u00eene, en sautant; et il souffrait horriblement, et ne pouvait\nmarcher. Il entendit raconter qu\u2019une femme atteinte d\u2019un cancer avait\n\u00e9tendu sur sa plaie un peu de terre arros\u00e9e du sang de Saint Pierre, et\nainsi avait \u00e9t\u00e9 gu\u00e9rie. Alors il dit: \u00abMon Dieu, je n\u2019ai point de cette\nterre; mais puisque, par les m\u00e9rites du saint, tu as pu donner \u00e0 cette\nterre un tel pouvoir, tu peux bien le donner aussi \u00e0 celle que j\u2019ai sous\nles pieds!\u00bb Et, ramassant une poign\u00e9e de terre, apr\u00e8s avoir invoqu\u00e9 le\nmartyr, il se frotta l\u2019a\u00eene et fut aussit\u00f4t gu\u00e9ri.\nXI. L\u2019an du Seigneur 1259[8], un habitant d\u2019Apostelle, nomm\u00e9 Beno\u00eet,\navait les jambes enfl\u00e9es comme des outres, le ventre ballonn\u00e9 comme une\nfemme en couches, le visage d\u00e9vor\u00e9 d\u2019une \u00e9norme tumeur, et chacun \u00e9tait\neffray\u00e9 de lui comme d\u2019un monstre. Or comme, un jour, il demandait\nl\u2019aum\u00f4ne \u00e0 une vieille femme, celle-ci lui dit: \u00abTu aurais plut\u00f4t besoin\nd\u2019une fosse que de tout autre bien; mais suis mon conseil, va au couvent\ndes Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs, confesse tes p\u00e9ch\u00e9s, et invoque l\u2019aide de saint\nPierre Martyr!\u00bb L\u2019homme se rendit au couvent des Fr\u00e8res, mais en trouva\nla porte encore ferm\u00e9e. Il s\u2019\u00e9tendit devant cette porte et s\u2019endormit.\nEt voici que lui apparut un Fr\u00e8re qui, le cachant sous sa cape,\nl\u2019introduisit dans l\u2019\u00e9glise; et, en effet, quand Beno\u00eet s\u2019\u00e9veilla, il se\ntrouvait dans l\u2019\u00e9glise et compl\u00e8tement gu\u00e9ri. Ce qui fut une grande\nsource d\u2019\u00e9tonnement et d\u2019admiration pour tous ceux qui, ayant vu la\nveille cet homme presque mort, le retrouv\u00e8rent soudain rendu \u00e0 la sant\u00e9.\n [8] Cette date ne peut malheureusement pas aider \u00e0 conna\u00eetre l\u2019ann\u00e9e\n o\u00f9 fut \u00e9crite la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, car la plupart des miracles de\n saint Pierre Martyr paraissent avoir \u00e9t\u00e9 interpol\u00e9s par des copistes\n de l\u2019ordre des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs. Certains manuscrits en \u00e9num\u00e8rent\n ainsi plus de cent.\nLXIV\nSAINT PHILIPPE, AP\u00d4TRE\n(1er mai)\nL\u2019ap\u00f4tre Philippe pr\u00eachait depuis vingt ans en Scythie, lorsque les\npa\u00efens s\u2019empar\u00e8rent de lui, et voulurent le contraindre \u00e0 sacrifier\ndevant une statue du dieu Mars. Mais soudain un \u00e9norme dragon, sortant\ndu pied de la statue, mit \u00e0 mort le fils du pr\u00eatre, qui pr\u00e9parait le feu\ndu sacrifice, et les deux tribuns qui avaient fait arr\u00eater Philippe; en\nm\u00eame temps qu\u2019il r\u00e9pandait une haleine si f\u00e9tide, que tout le reste des\nassistants en \u00e9tait \u00e9touff\u00e9. Et Philippe dit: \u00abCroyez-moi, brisez cette\nstatue, et \u00e0 sa place, adorez la croix du Seigneur, afin que ceux\nd\u2019entre vous qui souffrent soient gu\u00e9ris, et que ces trois morts\nressuscitent!\u00bb Mais les pa\u00efens, de plus en plus malades, criaient: \u00abFais\nseulement que nous soyons gu\u00e9ris, et nous te promettons de d\u00e9truire\naussit\u00f4t la statue!\u00bb Alors, Philippe, parlant au dragon, lui ordonna de\ns\u2019enfuir dans un lieu d\u00e9sert, o\u00f9 il ne p\u00fbt faire de mal \u00e0 personne: le\ndragon ob\u00e9it, s\u2019enfuit et ne se montra jamais plus. Apr\u00e8s quoi Philippe\ngu\u00e9rit tous ceux que l\u2019haleine du dragon avait rendus malades, et obtint\nque les trois morts fussent rendus \u00e0 la vie. Il convertit ainsi la ville\nenti\u00e8re, et passa un an encore \u00e0 pr\u00eacher dans ses murs. Puis, y ayant\nordonn\u00e9 des pr\u00eatres et des diacres, il se rendit dans une ville d\u2019Asie\nappel\u00e9e Hierapolis, o\u00f9 il \u00e9teignit l\u2019h\u00e9r\u00e9sie des Ebionites, qui\npr\u00e9tendaient que le Christ s\u2019\u00e9tait incarn\u00e9 dans une chair diff\u00e9rente de\nnotre chair humaine.\nIl avait avec lui ses deux filles, d\u2019une grande saintet\u00e9, par\nl\u2019entremise desquelles Dieu convertissait \u00e0 la foi de nombreuses \u00e2mes.\nQuant \u00e0 Philippe, une semaine avant sa mort, il convoqua les \u00e9v\u00eaques et\nles pr\u00eatres, et leur dit: \u00abLe Seigneur m\u2019accorde encore sept jours pour\ncontinuer \u00e0 vous instruire.\u00bb Il \u00e9tait alors \u00e2g\u00e9 de quatre-vingt-sept\nans. Et en effet, une semaine apr\u00e8s, il fut pris par les infid\u00e8les et\nattach\u00e9 par eux \u00e0 une croix, \u00e0 l\u2019exemple du ma\u00eetre divin dont il\npr\u00eachait la doctrine. C\u2019est ainsi que son \u00e2me s\u2019envola heureusement au\ntr\u00f4ne du Seigneur; et on ensevelit pr\u00e8s de lui les deux vierges, ses\nfilles, l\u2019une \u00e0 sa droite, l\u2019autre \u00e0 sa gauche.\nIsidore nous dit, dans son livre sur l\u2019origine, la vie et la mort des\nsaints: \u00abPhilippe le Galil\u00e9en pr\u00eacha le Christ, convertit \u00e0 la foi les\nnations barbares des bords de l\u2019Oc\u00e9an, et fut enfin crucifi\u00e9, lapid\u00e9, et\nmis \u00e0 mort, \u00e0 Hierapolis, dans la province de Phrygie, o\u00f9 il repose\nentre ses deux filles.\u00bb\nD\u2019un autre Philippe, qui fit partie des sept premiers diacres, saint\nJ\u00e9r\u00f4me nous dit qu\u2019il est mort \u00e0 C\u00e9sar\u00e9e, le huiti\u00e8me jour des ides de\njuillet, apr\u00e8s avoir accompli de nombreux miracles, et qu\u2019il fut enterr\u00e9\navec ses trois filles, tandis qu\u2019une quatri\u00e8me repose \u00e0 Eph\u00e8se. Mais le\npremier Philippe diff\u00e8re de celui-l\u00e0, ayant \u00e9t\u00e9 ap\u00f4tre et non diacre,\nayant \u00e9t\u00e9 enterr\u00e9 \u00e0 Hierapolis et non \u00e0 C\u00e9sar\u00e9e, et ayant eu deux filles\net non quatre. L\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_, en v\u00e9rit\u00e9, para\u00eet affirmer\nque ce fut l\u2019ap\u00f4tre Philippe qui eut quatre filles dou\u00e9es du don de\nproph\u00e9tie; mais l\u2019opinion de saint J\u00e9r\u00f4me, sur ce point, m\u00e9rite plus de\ncr\u00e9ance.\nLXV\nSAINT JACQUES LE MINEUR, AP\u00d4TRE\n(1er mai)\nI. Le saint Jacques dont nous allons parler est d\u00e9sign\u00e9 sous diff\u00e9rents\nnoms. On l\u2019appelle notamment Jacques fils d\u2019Alph\u00e9e, ou Jacques le fr\u00e8re\ndu Seigneur, ou encore Jacques le Mineur et Jacques le Juste. Il est\nJacques, fils d\u2019Alph\u00e9e, non seulement \u00e0 cause du nom de son p\u00e8re, mais\naussi \u00e0 cause du sens d\u2019Alph\u00e9e, qui signifie sage, ou le\u00e7on, o\u00f9 encore\nmilli\u00e8me. Et, en effet, saint Jacques fut sage dans la science divine,\nil fut une le\u00e7on pour les autres, il fuit le monde qu\u2019il d\u00e9daignait, et\nil voulut \u00eatre le milli\u00e8me par humilit\u00e9. Son nom de \u00abfr\u00e8re du Seigneur\u00bb\nlui vient, croit-on, de ce qu\u2019il ressemblait si fort au Seigneur, par\nles traits du visage, que plus d\u2019une fois on le confondit avec lui.\nAussi, lorsque les Juifs vinrent s\u2019emparer du Christ, craignirent-ils de\nprendre Jacques au lieu du Christ; et c\u2019est pour ce motif qu\u2019ils\nordonn\u00e8rent \u00e0 Judas de leur d\u00e9signer le Christ en lui donnant un baiser.\nCette explication du nom de saint Jacques nous est, en outre, confirm\u00e9e\npar saint Ignace dans sa lettre \u00e0 l\u2019\u00e9vang\u00e9liste Jean, o\u00f9 nous lisons:\n\u00abAvec ta permission, je voudrais me rendre \u00e0 J\u00e9rusalem pour voir le\nv\u00e9n\u00e9rable Jacques, surnomm\u00e9 le Juste, dont on dit qu\u2019il ressemblait si\nfort \u00e0 J\u00e9sus-Christ de figure, de mani\u00e8res, et de langage, qu\u2019on aurait\npu le tenir pour son fr\u00e8re jumeau.\u00bb\nOu bien encore ce surnom peut venir de ce que J\u00e9sus et Jacques \u00e9taient\nenfants de deux s\u0153urs, et que le p\u00e8re de Jacques, Cl\u00e9ophas, \u00e9tait le\nfr\u00e8re de Joseph. Mais, en tout cas, ce nom de \u00abfr\u00e8re du Seigneur\u00bb ne\nsaurait venir, comme d\u2019aucuns l\u2019ont pr\u00e9tendu, de ce que Jacques f\u00fbt le\nfils de Joseph, le mari de la Vierge: car il \u00e9tait fils de Marie, fille\nde Cl\u00e9ophas, qui lui-m\u00eame \u00e9tait fr\u00e8re de Joseph, le mari de la Vierge.\nLes Juifs, en effet, appelaient fr\u00e8res tous ceux que rattachaient entre\neux les liens du sang. Quant au nom de Jacques Mineur, il s\u2019oppose \u00e0\ncelui de Jacques Majeur, le fils de Z\u00e9b\u00e9d\u00e9e, qui, bien qu\u2019il ait re\u00e7u la\nvocation apr\u00e8s l\u2019autre Jacques, \u00e9tait cependant son a\u00een\u00e9 par l\u2019\u00e2ge.\nEnfin, le surnom de Juste nous rappelle l\u2019\u00e9minente saintet\u00e9 de Jacques,\nqui, d\u2019apr\u00e8s saint J\u00e9r\u00f4me, \u00e9tait l\u2019objet d\u2019une v\u00e9n\u00e9ration si profonde\nque le peuple se disputait l\u2019honneur de toucher les pans de son manteau.\nEt voici, ce qu\u2019\u00e9crit de sa saintet\u00e9 H\u00e9g\u00e9sippe, qui eut l\u2019occasion de\nconna\u00eetre les ap\u00f4tres: \u00abLa direction de l\u2019Eglise fut confi\u00e9e \u00e0 Jacques,\nle fr\u00e8re du Seigneur, que tous se sont toujours accord\u00e9 \u00e0 appeler le\nJuste. Telle \u00e9tait sa saintet\u00e9, d\u00e8s le ventre de sa m\u00e8re, que jamais il\nne but de vin ni de bi\u00e8re, jamais il ne mangea de viande, jamais il ne\ns\u2019oignit d\u2019huile, jamais il n\u2019eut besoin de prendre des bains. Toute sa\nvie il fut v\u00eatu d\u2019un simple manteau de toile. Et, \u00e0 force de\ns\u2019agenouiller pour prier, on voyait sur ses genoux des durillons comme\nceux qui se forment sous les pieds. Aussi lui seul, parmi les ap\u00f4tres,\nen raison de sa saintet\u00e9, \u00e9tait-il admis \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans le Saint des\nSaints.\u00bb On dit \u00e9galement qu\u2019il fut le premier, parmi les ap\u00f4tres, \u00e0\nc\u00e9l\u00e9brer la messe, les disciples lui ayant fait l\u2019honneur de lui confier\nla c\u00e9l\u00e9bration de la premi\u00e8re messe \u00e0 J\u00e9rusalem, apr\u00e8s l\u2019ascension du\nSeigneur, et avant m\u00eame qu\u2019il f\u00fbt ordonn\u00e9 \u00e9v\u00eaque. Saint J\u00e9r\u00f4me ajoute,\ndans son \u00e9crit contre Jovinien, que Jacques le Mineur ne connut jamais\nles plaisirs de la chair. Lorsque J\u00e9sus mourut sur la croix, Jacques fit\nle v\u0153u de ne rien manger jusqu\u2019\u00e0 ce que son ma\u00eetre f\u00fbt ressuscit\u00e9\nd\u2019entre les morts. Le jour m\u00eame de sa r\u00e9surrection, J\u00e9sus lui apparut,\net dit \u00e0 ceux qui \u00e9taient avec lui: \u00abPr\u00e9parez la table et le pain!\u00bb\nPuis, prenant le pain, il le b\u00e9nit et le donna \u00e0 Jacques, en lui disant:\n\u00abL\u00e8ve-toi et mange, mon fr\u00e8re, car le Fils de l\u2019Homme est ressuscit\u00e9\nd\u2019entre les morts!\u00bb\nLa septi\u00e8me ann\u00e9e de son \u00e9piscopat, au jour de P\u00e2ques, les ap\u00f4tres se\nr\u00e9unirent \u00e0 J\u00e9rusalem et rapport\u00e8rent \u00e0 Jacques tout ce que le Seigneur\navait fait par leur entremise depuis leur s\u00e9paration. Apr\u00e8s quoi\nJacques, pendant sept jours, pr\u00eacha dans le temple avec les autres\nap\u00f4tres, en pr\u00e9sence de Ca\u00efphe et d\u2019un grand nombre de Juifs; et d\u00e9j\u00e0\nceux-ci \u00e9taient sur le point de demander le bapt\u00eame, lorsque soudain un\nautre Juif, entrant dans le temple, se mit \u00e0 crier: \u00abO hommes d\u2019Isra\u00ebl,\nque faites-vous? Vous laisserez-vous longtemps encore tromper par ces\nmagiciens?\u00bb Et cet homme excita le peuple \u00e0 un tel degr\u00e9 que les ap\u00f4tres\nfaillirent \u00eatre lapid\u00e9s. Il s\u2019\u00e9lan\u00e7a lui-m\u00eame sur l\u2019estrade d\u2019o\u00f9 Jacques\npr\u00eachait, et le pr\u00e9cipita au bas de cette estrade, de fa\u00e7on qu\u2019il le\nrendit boiteux pour le reste de sa vie. Ainsi, sept ans apr\u00e8s\nl\u2019ascension du Christ, Jacques eut une premi\u00e8re fois \u00e0 souffrir pour son\nma\u00eetre.\nLa trenti\u00e8me ann\u00e9e de son \u00e9piscopat, les Juifs, d\u00e9pit\u00e9s de ne pouvoir\ntuer saint Paul, qui en avait appel\u00e9 \u00e0 C\u00e9sar et avait \u00e9t\u00e9 mand\u00e9 \u00e0 Rome,\ntourn\u00e8rent leur fi\u00e8vre de pers\u00e9cution contre saint Jacques, et\ncherch\u00e8rent une occasion de le faire p\u00e9rir. H\u00e9g\u00e9sippe, le contemporain\ndes ap\u00f4tres, nous raconte que les Juifs vinrent trouver Jacques et lui\ndirent: \u00abNous te demandons de ramener dans la bonne voie les gens du\npeuple qui, dans leur aveuglement, croient que J\u00e9sus \u00e9tait le Messie. Si\ntu d\u00e9tournes de J\u00e9sus la foule qui va se r\u00e9unir pour les f\u00eates de\nP\u00e2ques, nous t\u2019ob\u00e9irons tous, et te rendrons tous hommage comme au plus\njuste d\u2019entre nous.\u00bb Ils le conduisirent ensuite au haut du temple et se\nmirent \u00e0 lui crier: \u00abHomme juste, toi \u00e0 qui nous devons tous ob\u00e9ir,\ndis-nous ton avis sur l\u2019erreur des gens du peuple au sujet de ce J\u00e9sus\nqu\u2019on a crucifi\u00e9!\u00bb Mais Jacques, trompant leur attente, s\u2019\u00e9cria d\u2019une\nvoix immense: \u00abQue m\u2019interrogez-vous sur le Fils de l\u2019Homme? Le voici\nlui-m\u00eame assis dans le ciel \u00e0 la droite de son P\u00e8re, en attendant qu\u2019il\nrevienne juger les vivants et les morts!\u00bb Ce qu\u2019entendant, les chr\u00e9tiens\nfurent remplis de joie; mais les scribes et les pharisiens se dirent:\n\u00abNous avons eu tort d\u2019invoquer son t\u00e9moignage! Montons \u00e0 pr\u00e9sent jusqu\u2019\u00e0\nlui et pr\u00e9cipitons-le \u00e0 terre, afin que la foule, effray\u00e9e, ne s\u2019avise\npas de croire \u00e0 ses paroles!\u00bb L\u00e0-dessus, ils s\u2019\u00e9cri\u00e8rent: \u00abEh quoi! le\njuste lui-m\u00eame est tomb\u00e9 dans l\u2019erreur!\u00bb Puis ils mont\u00e8rent sur le haut\ndu temple et le pr\u00e9cipit\u00e8rent sur le sol, o\u00f9 ils se mirent \u00e0 lui jeter\ndes pierres. Mais lui, se relevant sur ses genoux, disait: \u00abJe t\u2019en\nprie, ma\u00eetre, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu\u2019ils font!\u00bb Alors un\ndes pr\u00eatres, fils de Rahab, s\u2019\u00e9cria: \u00abQue faites-vous, insens\u00e9s? Voici\nque ce juste que vous lapidez prie pour vous!\u00bb Alors un des Juifs,\nsaisissant un marteau de foulon, ass\u00e9na sur la t\u00eate de saint Jacques un\ncoup vigoureux qui fit jaillir la cervelle. Et ainsi le martyr rendit\nson \u00e2me \u00e0 Dieu, sous le r\u00e8gne de N\u00e9ron. Il fut enseveli pr\u00e8s du temple.\nLa foule voulut venger sa mort et s\u2019emparer de ses meurtriers, mais\nceux-ci, d\u00e9j\u00e0, avaient pris la fuite.\nII. Jos\u00e8phe rapporte que c\u2019est en ch\u00e2timent du meurtre de Jacques qu\u2019a\n\u00e9t\u00e9 autoris\u00e9e la destruction de J\u00e9rusalem, ainsi que la dispersion des\nJuifs. Mais plus encore que la mort de Jacques, c\u2019est la mort du\nSeigneur qui a attir\u00e9 sur J\u00e9rusalem ce terrible ch\u00e2timent, selon ce\nqu\u2019avait dit le Seigneur lui-m\u00eame: \u00abOn ne te laissera pas pierre sur\npierre, puisque tu n\u2019as point connu le temps de ta visitation!\u00bb Mais\ncomme Dieu ne veut pas la mort du p\u00e9cheur, cinquante ans de d\u00e9lai furent\nlaiss\u00e9s aux Juifs pour faire p\u00e9nitence, en m\u00eame temps que la pr\u00e9dication\ndes ap\u00f4tres, et en particulier celle de saint Jacques le Mineur, les\nexhortait sans cesse \u00e0 se repentir. Et ce n\u2019est pas tout. Ne pouvant\nconvertir les Juifs par la pr\u00e9dication des ap\u00f4tres, le Seigneur voulut\nau moins les effrayer par des prodiges; et Jos\u00e8phe nous rapporte toute\nune s\u00e9rie de prodiges qui se produisirent pendant ces cinquante ann\u00e9es\nde d\u00e9lai. Une \u00e9toile, pareille \u00e0 un glaive, flamboya au-dessus de la\nville pendant une ann\u00e9e enti\u00e8re. Un jour de f\u00eate des Azymes, \u00e0 neuf\nheures de la nuit, une lumi\u00e8re aussi brillante que celle du midi entoura\nle temple. Dans la m\u00eame f\u00eate, une g\u00e9nisse qu\u2019on allait sacrifier, d\u00e9j\u00e0\nlivr\u00e9e aux mains des pr\u00eatres, enfanta un agneau. Plusieurs jours apr\u00e8s,\nau coucher du soleil, on vit courir de toutes parts, sur les nuages, des\nchars remplis de troupes en armes. La nuit de la Pentec\u00f4te, les pr\u00eatres\nqui entraient dans le temple pour pr\u00e9parer les sacrifices, entendirent\nd\u2019\u00e9tranges bruits comme d\u2019\u00e9croulement, pendant que des voix invisibles\ndisaient: \u00abQuittons ces lieux!\u00bb Enfin, quatre ans avant la guerre, le\njour de la f\u00eate des Tabernacles, un certain J\u00e9sus, fils d\u2019Ananias, se\nmit \u00e0 crier: \u00abVoix de l\u2019Orient, voix de l\u2019Occident, voix des quatre\npoints cardinaux, voix sur J\u00e9rusalem et sur le temple, voix sur les\n\u00e9poux et les \u00e9pouses, voix sur le peuple tout entier!\u00bb Cet homme fut\nsaisi, frapp\u00e9 de verges, mais toujours il r\u00e9p\u00e9tait les m\u00eames paroles,\ncriant plus fort \u00e0 chaque coup re\u00e7u. On le conduisit devant le juge, on\nle tortura jusqu\u2019\u00e0 mettre \u00e0 nu les os de ses membres. Mais lui, sans\npleurer ni demander gr\u00e2ce, hurlait toujours les m\u00eames paroles, ajoutant\nencore: \u00abMalheur \u00e0 toi, malheur \u00e0 toi, J\u00e9rusalem!\u00bb\nAlors, comme les Juifs ne se laissaient ni toucher par les\navertissements ni effrayer par les prodiges, le Seigneur envoya \u00e0\nJ\u00e9rusalem Vespasien et Titus, qui d\u00e9truisirent la ville de fond en\ncomble. Et voici quelle fut l\u2019occasion de leur arriv\u00e9e \u00e0 J\u00e9rusalem, \u00e0 ce\nque nous raconte certaine histoire, en v\u00e9rit\u00e9 apocryphe. Pilate,\ncomprenant qu\u2019il avait condamn\u00e9 un innocent, et craignant la col\u00e8re de\nl\u2019empereur Tib\u00e8re, lui envoya, pour s\u2019excuser de la mort de J\u00e9sus, un\nmessager nomm\u00e9 Albain. Or, \u00e0 cette \u00e9poque, Vespasien gouvernait, au nom\nde Tib\u00e8re, le pays des Galates, et Albain, pouss\u00e9 par la temp\u00eate sur la\nc\u00f4te de Galatie, fut amen\u00e9 en pr\u00e9sence de Vespasien. Et c\u2019\u00e9tait la\ncoutume du pays que tout naufrag\u00e9 qui y d\u00e9barquait devenait l\u2019esclave du\nprince. Vespasien demanda \u00e0 Albain qui il \u00e9tait, d\u2019o\u00f9 il venait, et o\u00f9\nil allait. Et Albain: \u00abJe suis habitant de J\u00e9rusalem, je viens de cette\nville, et je me rends \u00e0 Rome.\u00bb Alors Vespasien: \u00abTu viens du pays des\nmages, et, par suite, tu dois conna\u00eetre le secret de gu\u00e9rir. Vois donc \u00e0\nme donner tes soins!\u00bb Car Vespasien avait dans le nez, depuis l\u2019enfance,\nune esp\u00e8ce de vermine, d\u2019o\u00f9 lui \u00e9tait venu son surnom m\u00eame de Vespasien.\nAlbain r\u00e9pondit: \u00abSeigneur, je ne connais point la m\u00e9decine, et ne puis\ndonc pas te gu\u00e9rir.\u00bb Mais Vespasien: \u00abSi tu ne me gu\u00e9ris, tu seras mis \u00e0\nmort!\u00bb Alors Albain lui dit: \u00abCelui qui a su rendre la vue aux aveugles,\nexorcis\u00e9 les d\u00e9mons, ressuscit\u00e9 les morts, celui-l\u00e0 pourra te gu\u00e9rir,\nnon pas moi!\u00bb Et Vespasien: \u00abQui est donc celui-l\u00e0?\u00bb Et Albain: \u00abC\u2019est\nJ\u00e9sus de Nazareth, que les Juifs ont mis \u00e0 mort par jalousie. Si tu\ncrois en lui, tu retrouveras aussit\u00f4t la sant\u00e9!\u00bb Et Vespasien: \u00abJe crois\nque, s\u2019il a pu ressusciter les morts, il pourra me d\u00e9livrer de mon\ninfirmit\u00e9!\u00bb Et aussit\u00f4t les vers lui sortirent du nez, et il retrouva la\nsant\u00e9. Rempli de joie, il s\u2019\u00e9cria: \u00abOui, certes, c\u2019\u00e9tait un Fils de\nDieu, celui qui a pu me gu\u00e9rir! Et je vais demander \u00e0 C\u00e9sar la\npermission de me rendre \u00e0 J\u00e9rusalem, pour ch\u00e2tier tous ceux qui ont\nlivr\u00e9 cet homme et l\u2019ont fait mourir. Quant \u00e0 toi, Albain, retourne\naupr\u00e8s de ton ma\u00eetre, je te rends la libert\u00e9!\u00bb Vespasien alla donc \u00e0\nRome, afin d\u2019obtenir de Tib\u00e8re la permission de d\u00e9truire J\u00e9rusalem et\ntoute la Jud\u00e9e. Et pendant de nombreuses ann\u00e9es il r\u00e9unit des troupes,\nsous le r\u00e8gne de N\u00e9ron, pendant que les Juifs, de leur c\u00f4t\u00e9, se\nr\u00e9voltaient contre l\u2019Empire. Mais d\u2019autres chroniques affirment que ce\nn\u2019\u00e9tait point le z\u00e8le pour le Christ qui le faisait agir, mais le d\u00e9sir\nde r\u00e9primer l\u2019insurrection des Juifs. Enfin il se mit en route vers\nJ\u00e9rusalem, avec une nombreuse arm\u00e9e, et, le jour de P\u00e2ques, il mit le\nsi\u00e8ge autour de la ville, o\u00f9 se trouva ainsi enferm\u00e9e une foule de Juifs\nvenus de la campagne pour les f\u00eates. Sur son chemin, il attaqua une\nville de Jud\u00e9e nomm\u00e9e Jonapata, dont Jos\u00e8phe \u00e9tait le chef; et celui-ci,\napr\u00e8s une courageuse r\u00e9sistance, voyant que la destruction de la ville\n\u00e9tait imminente, se r\u00e9fugia avec onze autres Juifs dans un souterrain,\no\u00f9 ses compagnons et lui souffrirent de la faim pendant quatre jours.\nCes malheureux, malgr\u00e9 l\u2019avis de Jos\u00e8phe, aimaient mieux mourir l\u00e0 que\nde se soumettre au joug de Vespasien. Ils r\u00e9solurent donc de se tuer les\nuns les autres, afin d\u2019offrir leur sang \u00e0 Dieu en sacrifice; et comme\nJos\u00e8phe \u00e9tait le principal d\u2019entre eux, c\u2019\u00e9tait lui qu\u2019on voulait mettre\n\u00e0 mort le premier. Mais Jos\u00e8phe, personnage prudent, et qui tenait \u00e0 la\nvie, se constitua le juge du sacrifice, et d\u00e9cida que l\u2019on tirerait au\nsort, deux par deux, ceux qui auraient \u00e0 \u00eatre tu\u00e9s les premiers. Apr\u00e8s\nquoi, il livra \u00e0 la mort tant\u00f4t l\u2019un tant\u00f4t l\u2019autre de ses compagnons,\njusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019enfin ne rest\u00e8rent plus que lui-m\u00eame et l\u2019homme qui devait\ntirer au sort avec lui. Alors Jos\u00e8phe, adroitement, prit \u00e0 cet homme son\n\u00e9p\u00e9e, et lui demanda ensuite s\u2019il pr\u00e9f\u00e9rait vivre ou mourir. L\u2019homme,\n\u00e9pouvant\u00e9, le supplia de lui conserver la vie. Jos\u00e8phe s\u2019adressa en\nsecret \u00e0 un familier de Vespasien, et le pria de demander \u00e0 son ma\u00eetre\nque gr\u00e2ce lui f\u00fbt faite de la vie. Amen\u00e9 devant Vespasien, il lui dit:\n\u00abPrince, je t\u2019informe que l\u2019empereur de Rome vient de mourir, et que le\nS\u00e9nat t\u2019a nomm\u00e9 pour le remplacer!\u00bb Et Vespasien: \u00abSi tu es proph\u00e8te,\npourquoi n\u2019as-tu pas pr\u00e9dit \u00e0 cette ville qu\u2019elle aurait \u00e0 se soumettre\n\u00e0 moi?\u00bb Cependant, quelques jours apr\u00e8s, des d\u00e9l\u00e9gu\u00e9s arriv\u00e8rent de Rome\npour annoncer \u00e0 Vespasien qu\u2019il \u00e9tait \u00e9lev\u00e9 \u00e0 l\u2019Empire. Le nouvel\nempereur partit pour Rome, laissant \u00e0 son fils Titus le soin de\npoursuivre le si\u00e8ge de J\u00e9rusalem.\nLa m\u00eame histoire apocryphe raconte ensuite que Titus, en apprenant\nl\u2019honneur \u00e9chu \u00e0 son p\u00e8re, fut rempli d\u2019une joie qui lui tordit les\nnerfs et paralysa ses membres. Ce qu\u2019apprenant, Jos\u00e8phe devina la cause\nv\u00e9ritable de la maladie, et s\u2019ing\u00e9nia \u00e0 y trouver un rem\u00e8de, se fondant\nsur le principe que les contraires peuvent \u00eatre gu\u00e9ris par leurs\ncontraires. Or, Titus avait un esclave qui lui \u00e9tait si odieux qu\u2019il ne\npouvait, sans souffrir, le voir ni m\u00eame entendre prononcer son nom.\nJos\u00e8phe dit donc \u00e0 Titus: \u00abSi tu veux \u00eatre gu\u00e9ri, aie soin de saluer\ntous ceux que tu verras en ma compagnie!\u00bb Titus s\u2019engagea \u00e0 le faire. Et\naussit\u00f4t Jos\u00e8phe fit pr\u00e9parer un festin o\u00f9 il se pla\u00e7a en face de Titus,\nen faisant asseoir \u00e0 sa droite l\u2019esclave d\u00e9test\u00e9. Et d\u00e8s que Titus\nl\u2019aper\u00e7ut, il eut un fr\u00e9missement d\u2019aversion qui, aussit\u00f4t, r\u00e9chauffa\nses nerfs, refroidis par l\u2019exc\u00e8s de joie, et le gu\u00e9rit de sa paralysie.\nEt, depuis lors, il rendit sa faveur \u00e0 l\u2019esclave et admit Jos\u00e8phe dans\nson amiti\u00e9. Telle est l\u2019histoire; mais je laisse au jugement du lecteur\nle soin de d\u00e9cider si une telle histoire valait m\u00eame la peine d\u2019\u00eatre\nrapport\u00e9e.\nLe fait est que J\u00e9rusalem fut assi\u00e9g\u00e9e par Titus, pendant deux ans, et\nqu\u2019entre autres maux, dont elle eut \u00e0 souffrir au cours de ce si\u00e8ge,\nelle eut \u00e0 souffrir une famine si affreuse que les parents arrachaient\nla nourriture non seulement des mains mais de la bouche m\u00eame des\nenfants, et les enfants de la bouche des parents; les plus vigoureux des\njeunes gens erraient par les rues comme des fant\u00f4mes et tombaient morts,\n\u00e9puis\u00e9s de faim; souvent ceux qui ensevelissaient les morts mouraient\nsur les cadavres, si bien qu\u2019on finit par ne plus ensevelir les morts,\net qu\u2019on se borna \u00e0 les pr\u00e9cipiter en masse du haut des murs. Titus,\nvoyant les foss\u00e9s remplis de ces cadavres, leva les mains au ciel,\npleura, et dit: \u00abSeigneur, tu vois que ce n\u2019est point moi qui les ai\nfait mourir!\u00bb Et la famine \u00e9tait telle que les assi\u00e9g\u00e9s mangeaient leurs\nchaussures. Une femme noble et riche, voyant des pillards envahir et\nd\u00e9pouiller sa maison, s\u2019\u00e9cria, tandis qu\u2019elle \u00e9levait en l\u2019air son\nenfant nouveau-n\u00e9: \u00abFils plus infortun\u00e9 d\u2019une m\u00e8re infortun\u00e9e, pour quel\ndestin te r\u00e9serverais-je au milieu de tant de mis\u00e8res? Viens, mon\nenfant, sois pour ta m\u00e8re une nourriture, pour les pillards un scandale,\npour les si\u00e8cles un avertissement!\u00bb Sur quoi elle \u00e9trangla son fils, le\nfit cuire, en mangea la moiti\u00e9, et cacha l\u2019autre moiti\u00e9. Or, voici que\nles pillards, sentant une odeur de viande cuite, se pr\u00e9cipit\u00e8rent dans\nla maison et menac\u00e8rent la femme de la tuer si elle ne leur livrait sa\nprovision de viande. Alors la femme, leur montrant les membres de son\nenfant: \u00abTenez, leur dit-elle, je vous ai r\u00e9serv\u00e9 la meilleure partie!\u00bb\nUne telle horreur les envahit qu\u2019ils ne surent que r\u00e9pondre. Et elle:\n\u00abC\u2019est mon fils, leur dit-elle, le p\u00e9ch\u00e9 est sur moi: mangez sans\ncrainte, puisque moi-m\u00eame, qui l\u2019ai mis au monde, en ai mang\u00e9 la\npremi\u00e8re; et si l\u2019horreur vous retient, j\u2019ach\u00e8verai seule de manger ce\ndont j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 mang\u00e9 la moiti\u00e9!\u00bb\nEnfin, la seconde ann\u00e9e du r\u00e8gne de Vespasien, Titus prit J\u00e9rusalem,\nd\u00e9truisit le temple de fond en comble; et, de m\u00eame que les Juifs avaient\nachet\u00e9 le Christ pour trente deniers, de m\u00eame Titus ordonna qu\u2019on\nvend\u00eet trente Juifs pour un seul denier. Jos\u00e8phe raconte que\nquatre-vingt-dix-sept mille Juifs furent vendus, et que onze mille\np\u00e9rirent par la faim ou le fer. On raconte encore que Titus, en entrant\n\u00e0 J\u00e9rusalem, aper\u00e7ut un mur plus \u00e9pais que les autres; il y fit\npratiquer une ouverture, et l\u2019on vit derri\u00e8re le mur un vieillard\nd\u2019aspect v\u00e9n\u00e9rable qui, aux questions qu\u2019on lui posa, r\u00e9pondit qu\u2019il\ns\u2019appelait Joseph, qu\u2019il \u00e9tait de la ville d\u2019Arimathie, et que les Juifs\nl\u2019avaient enferm\u00e9 et mur\u00e9 l\u00e0 parce qu\u2019il avait enseveli le corps du\nChrist. Il ajouta que, depuis lors, il avait \u00e9t\u00e9 nourri et soutenu par\ndes anges descendant du ciel. Mais, d\u2019autre part, l\u2019\u00e9vangile de Nicod\u00e8me\nnous dit que Joseph d\u2019Arimathie, ayant \u00e9t\u00e9 mur\u00e9 par les Juifs, avait \u00e9t\u00e9\nd\u00e9livr\u00e9 par le Christ et ramen\u00e9 par lui dans sa ville natale. Apr\u00e8s\ncela, rien n\u2019emp\u00eache d\u2019admettre que, revenu \u00e0 Arimathie, Joseph ait\ncontinu\u00e9 \u00e0 pr\u00eacher le Christ et ait \u00e9t\u00e9 mur\u00e9 par les Juifs une seconde\nfois.\nA la mort de Vespasien, Titus succ\u00e9da \u00e0 son p\u00e8re sur le tr\u00f4ne: homme\nplein de cl\u00e9mence et de g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, dont Eus\u00e8be de C\u00e9sar\u00e9e et J\u00e9r\u00f4me\nnous rapportent que, certain jour, se rappelant qu\u2019il n\u2019avait fait ce\njour-l\u00e0 aucune bonne action, il s\u2019est \u00e9cri\u00e9: \u00abO mes amis, j\u2019ai perdu ma\njourn\u00e9e!\u00bb Longtemps apr\u00e8s, certains Juifs voulurent reconstruire\nJ\u00e9rusalem. Mais, \u00e9tant sortis de leurs maisons, le matin, pour y\ntravailler, ils aper\u00e7urent \u00e0 terre des croix faites de ros\u00e9e: ils\ns\u2019enfuirent, \u00e9pouvant\u00e9s. Le matin suivant, quand ils se remirent \u00e0\nl\u2019ouvrage, chacun d\u2019eux vit une croix de sang peinte sur son manteau, ce\nqui, de nouveau, les mit en fuite. Enfin, le troisi\u00e8me jour, une vapeur\nbr\u00fblante sortit du sol, qui les consuma. C\u2019est du moins ce que raconte\nMilet, dans sa chronique.\nLXVI\nL\u2019INVENTION DE LA SAINTE CROIX\n(3 mai)\nSous le nom de l\u2019Invention de la Sainte Croix, l\u2019Eglise f\u00eate\nl\u2019anniversaire du jour o\u00f9 a \u00e9t\u00e9 retrouv\u00e9e la croix de Notre-Seigneur.\nCet \u00e9v\u00e9nement eut lieu plus de deux cents ans apr\u00e8s la r\u00e9surrection du\nChrist.\nOn lit dans l\u2019_Evangile de Nicod\u00e8me_ que, un jour que le vieil Adam\n\u00e9tait malade, son fils Seth se rendit jusqu\u2019\u00e0 la porte du Paradis et\ndemanda de l\u2019huile de l\u2019arbre de mis\u00e9ricorde, afin d\u2019en frotter le corps\nde son p\u00e8re et de lui rendre ainsi la sant\u00e9. Or, l\u2019archange Michel lui\napparut et lui dit: \u00abN\u2019esp\u00e8re pas obtenir, par tes larmes ni par tes\npri\u00e8res, de l\u2019huile de l\u2019arbre de mis\u00e9ricorde, car les hommes ne\npourront obtenir de cette huile que dans cinq mille cinq cents\nans\u00bb,--c\u2019est-\u00e0-dire apr\u00e8s la passion du Christ. Une autre chronique\nraconte que l\u2019archange Michel offrit cependant \u00e0 Seth un rameau de\nl\u2019arbre miraculeux, en lui ordonnant de le planter sur le mont Liban.\nUne autre histoire, en v\u00e9rit\u00e9 apocryphe, ajoute que cet arbre \u00e9tait le\nm\u00eame qui avait fait p\u00e9cher Adam, et que l\u2019ange, en donnant le rameau \u00e0\nSeth, lui dit que, le jour o\u00f9 ce rameau porterait des fruits, son p\u00e8re\nrecouvrerait la sant\u00e9. Et Seth, de retour chez lui trouva son p\u00e8re d\u00e9j\u00e0\nmort; il planta le rameau sur la tombe d\u2019Adam, et le rameau devint un\ngrand arbre qui vivait encore au temps de Salomon.\nCe prince, frapp\u00e9 de la beaut\u00e9 de l\u2019arbre, le fit couper afin qu\u2019il\nserv\u00eet \u00e0 la construction du temple; mais l\u00e0, on ne put trouver aucun\nendroit o\u00f9 le placer: car tant\u00f4t il paraissait trop long et tant\u00f4t trop\ncourt; et, quand les ouvriers essayaient de le couper \u00e0 la longueur\nvoulue, ils s\u2019apercevaient ensuite qu\u2019ils l\u2019avaient trop coup\u00e9: de telle\nsorte que, impatient\u00e9s, ils le jet\u00e8rent en travers d\u2019un lac, pour servir\nde pont. Or la reine de Saba, venant \u00e0 J\u00e9rusalem pour consulter la\nsagesse de Salomon, et ayant \u00e0 traverser le susdit lac, vit en esprit\nque le Sauveur du monde serait un jour attach\u00e9 au bois de cet arbre.\nElle refusa donc de mettre le pied sur lui, et, au contraire,\ns\u2019agenouilla pour l\u2019adorer. Une autre histoire veut que la reine de Saba\nait vu le bois miraculeux dans le temple m\u00eame, et que de retour dans son\npays, elle ait \u00e9crit \u00e0 Salomon qu\u2019\u00e0 ce bois serait un jour attach\u00e9\nl\u2019homme dont la mort mettrait fin au royaume des Juifs; sur quoi Salomon\naurait fait enlever l\u2019arbre et aurait ordonn\u00e9 de l\u2019enfouir profond\u00e9ment\nsous terre. Et, \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 l\u2019arbre \u00e9tait enfoui, se forma plus tard\nla piscine probatique: si bien que ce n\u2019\u00e9tait pas seulement la descente\nd\u2019un ange, mais aussi la vertu du bois cach\u00e9 sous terre, qui produisait,\ndans cette piscine, la commotion de l\u2019eau et gu\u00e9rissait les malades.\nEnfin l\u2019on raconte que, aux approches de la passion du Christ, le bois\nsortit de terre, et que les Juifs, le voyant surnager \u00e0 la surface de\nl\u2019eau, le prirent pour en faire la croix du Seigneur. Mais la tradition\naffirme, d\u2019autre part, que la croix du Christ fut faite de quatre bois\ndiff\u00e9rents, \u00e0 savoir de palmier, de cypr\u00e8s, d\u2019olivier et de c\u00e8dre,\nchacune de ces esp\u00e8ces servant \u00e0 l\u2019une des quatre parties de la croix,\nc\u2019est-\u00e0-dire la poutre verticale, l\u2019horizontale, la tablette plac\u00e9e au\nsommet, et le tronc soutenant la croix, ou encore, selon Gr\u00e9goire de\nTours, la tablette plac\u00e9e sous les pieds du Christ. Mais jusqu\u2019\u00e0 quel\npoint sont vraies les diverses l\u00e9gendes que nous venons de rapporter,\nc\u2019est ce dont le lecteur jugera par lui-m\u00eame: car le fait est qu\u2019on ne\nles trouve mentionn\u00e9es dans aucune chronique ni histoire authentique.\nApr\u00e8s la passion du Christ, le bois pr\u00e9cieux de la croix resta cach\u00e9\nsous terre pendant plus de deux cents ans; il fut enfin retrouv\u00e9 par\nH\u00e9l\u00e8ne, m\u00e8re de l\u2019empereur Constantin, dans les circonstances que nous\nallons raconter.\nEn ce temps-l\u00e0, une multitude innombrable de barbares se rassembla sur\nla rive du Danube, s\u2019appr\u00eatant \u00e0 traverser le fleuve afin de soumettre \u00e0\nleur domination l\u2019Occident tout entier. A cette nouvelle, l\u2019empereur\nConstantin se mit en marche avec son arm\u00e9e et vint camper sur l\u2019autre\nrive du Danube; mais, comme le nombre des barbares augmentait toujours,\net que d\u00e9j\u00e0 ils commen\u00e7aient \u00e0 traverser le fleuve, Constantin fut saisi\nde frayeur \u00e0 la pens\u00e9e de la bataille qu\u2019il aurait \u00e0 livrer. Or la nuit,\nun ange le r\u00e9veilla et lui dit de lever la t\u00eate; et Constantin aper\u00e7ut\nau ciel l\u2019image d\u2019une croix faite d\u2019une lumi\u00e8re \u00e9clatante; et au-dessus\nde l\u2019image \u00e9tait \u00e9crit, en lettres d\u2019or: \u00abCe signe te donnera la\nvictoire!\u00bb Alors, r\u00e9confort\u00e9 par la vision c\u00e9leste, il fit faire une\ncroix de bois, et la fit porter en avant de son arm\u00e9e: puis, fondant sur\nl\u2019ennemi, il l\u2019extermina ou le mit en fuite. Apr\u00e8s quoi il convoqua les\npr\u00eatres des divers temples, et leur demanda de quel dieu cette croix\n\u00e9tait le signe. Les pr\u00eatres ne savaient que r\u00e9pondre, lorsque survinrent\ndes chr\u00e9tiens, qui expliqu\u00e8rent \u00e0 l\u2019empereur le myst\u00e8re de la Sainte\nCroix et le dogme de la Trinit\u00e9. Et Constantin, les ayant entendus, crut\nau Christ: il re\u00e7ut le bapt\u00eame des mains du pape Eus\u00e8be, ou, suivant\nd\u2019autres auteurs, de celles d\u2019Eus\u00e8be, \u00e9v\u00eaque de C\u00e9sar\u00e9e.\nMais, ici encore, nous avons affaire \u00e0 une l\u00e9gende qui se trouve\ncontredite par l\u2019_Histoire tripartite_, par l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_,\npar la vie de saint Sylvestre et par la chronique des papes. Aussi une\nautre tradition affirme-t-elle que le Constantin en question n\u2019\u00e9tait pas\nle fameux empereur qui fut converti et baptis\u00e9 par le saint pape\nSylvestre, mais que c\u2019\u00e9tait un autre Constantin, p\u00e8re de celui-l\u00e0. Et\ncette tradition ajoute que, \u00e0 la mort de son p\u00e8re, Constantin, se\nrappelant la victoire que le d\u00e9funt avait due \u00e0 la vertu de la sainte\ncroix, envoya sa m\u00e8re H\u00e9l\u00e8ne \u00e0 J\u00e9rusalem pour y retrouver cette croix\nmiraculeuse.\nL\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_ nous donne, de la victoire de Constantin,\nune autre version. Suivant elle, la bataille aurait eu lieu pr\u00e8s du Pont\nAlbin, o\u00f9 Constantin se serait rencontr\u00e9 avec Maxence, qui voulait\nenvahir l\u2019empire romain. Et comme l\u2019empereur, anxieux, levait les yeux\nau ciel pour en implorer du secours, il vit \u00e0 l\u2019orient, sur le ciel, le\nsigne resplendissant de la croix entour\u00e9 d\u2019anges, qui lui dirent:\n\u00abConstantin, ce signe te donnera la victoire!\u00bb Et comme Constantin se\ndemandait ce que cela signifiait, le Christ lui apparut la nuit, avec le\nm\u00eame signe, et lui ordonna d\u2019en faire ex\u00e9cuter une image, qui lui\nservirait d\u2019aide dans la bataille. Alors Constantin, s\u00fbr d\u00e9sormais de la\nvictoire, fit sur son front le signe de la croix, et prit dans sa main\nune croix d\u2019or. Apr\u00e8s quoi il pria Dieu que sa main, qui avait tenu le\nsigne de la croix, n\u2019e\u00fbt pas \u00e0 \u00eatre tach\u00e9e de sang romain. Et en effet\nMaxence, au moment o\u00f9 il traversait le fleuve, oublia qu\u2019il avait fait\nminer les ponts pour tromper Constantin, passa lui-m\u00eame sur un pont\nmin\u00e9, et se noya dans le fleuve. Alors Constantin fut reconnu empereur\nsans opposition; et une chronique, suffisamment autoris\u00e9e, ajoute que,\ncependant, il h\u00e9sita quelque temps encore \u00e0 se convertir tout \u00e0 fait,\njusqu\u2019au jour o\u00f9, saint Pierre et saint Paul lui \u00e9tant apparus, il fut\ngu\u00e9ri de sa l\u00e8pre, et re\u00e7ut enfin le bapt\u00eame des mains du pape\nSylvestre. D\u2019autre part saint Ambroise, dans sa lettre \u00e0 Th\u00e9odose, et\nl\u2019_Histoire tripartite_, affirment que, m\u00eame alors, il ajourna son\nbapt\u00eame, afin d\u2019\u00eatre baptis\u00e9 dans les flots du Jourdain. Et c\u2019est aussi\nce que nous dit la chronique de saint J\u00e9r\u00f4me.\nMais, quoi qu\u2019il en soit de cette question, le fait est que c\u2019est la\nm\u00e8re de Constantin, H\u00e9l\u00e8ne, qui pr\u00e9sida \u00e0 l\u2019Invention de la Sainte\nCroix. Cette H\u00e9l\u00e8ne, suivant les uns, aurait \u00e9t\u00e9 d\u2019abord fille\nd\u2019auberge, et le p\u00e8re de Constantin l\u2019aurait \u00e9pous\u00e9e pour sa beaut\u00e9.\nD\u2019autres affirment qu\u2019elle \u00e9tait fille unique de Co\u00ebl, roi des Bretons,\nque le p\u00e8re de Constantin l\u2019avait \u00e9pous\u00e9e lorsqu\u2019il \u00e9tait venu en\nBretagne, et que, ainsi, apr\u00e8s la mort de Co\u00ebl, il \u00e9tait devenu le\nma\u00eetre de l\u2019\u00eele. C\u2019est aussi ce qu\u2019affirment les Bretons, bien qu\u2019une\nautre version veuille qu\u2019H\u00e9l\u00e8ne ait \u00e9t\u00e9 de Tr\u00e8ves.\nArriv\u00e9e \u00e0 J\u00e9rusalem, H\u00e9l\u00e8ne fit mander devant elle tous les savants\njuifs de la r\u00e9gion. Et ceux-ci, effray\u00e9s, se disaient l\u2019un \u00e0 l\u2019autre:\n\u00abPour quel motif la reine peut-elle bien nous avoir convoqu\u00e9s?\u00bb\nAlors l\u2019un d\u2019eux, nomm\u00e9 Judas, dit: \u00abJe sais qu\u2019elle veut apprendre de\nnous o\u00f9 se trouve le bois de la croix sur laquelle a \u00e9t\u00e9 crucifi\u00e9 J\u00e9sus.\nOr mon a\u00efeul Zach\u00e9e a dit \u00e0 mon p\u00e8re Simon, qui me l\u2019a r\u00e9p\u00e9t\u00e9 en\nmourant: \u00abMon fils, quand on t\u2019interrogera sur la croix de J\u00e9sus, ne\nmanque pas \u00e0 r\u00e9v\u00e9ler o\u00f9 elle se trouve, faute de quoi on te fera subir\nmille tourments; et cependant ce jour-l\u00e0 sera la fin du r\u00e8gne des Juifs,\net ceux-l\u00e0 r\u00e9gneront d\u00e9sormais qui adoreront la croix, car l\u2019homme qu\u2019on\na crucifi\u00e9 \u00e9tait le Fils de Dieu!\u00bb Et j\u2019ai dit \u00e0 mon p\u00e8re: \u00abMon p\u00e8re, si\nnos a\u00efeux ont su que J\u00e9sus \u00e9tait le fils de Dieu, pourquoi l\u2019ont-ils\ncrucifi\u00e9?\u00bb Et mon p\u00e8re m\u2019a r\u00e9pondu: \u00abLe Seigneur sait que mon p\u00e8re\nZach\u00e9e s\u2019est toujours refus\u00e9 \u00e0 approuver leur conduite. Ce sont les\nPharisiens qui ont fait crucifier J\u00e9sus, parce qu\u2019il d\u00e9non\u00e7ait leurs\nvices. Et J\u00e9sus est ressuscit\u00e9, le troisi\u00e8me jour, et est mont\u00e9 au ciel\nen pr\u00e9sence de ses disciples. Et mon oncle Etienne a cru en lui; ce\npourquoi les Juifs, dans leur folie, l\u2019ont lapid\u00e9. Vois donc, mon fils,\n\u00e0 ne jamais blasph\u00e9mer J\u00e9sus ni ses disciples!\u00bb Ainsi parla Judas; et\nles Juifs lui dirent: \u00abJamais nous n\u2019avons entendu rien de pareil.\u00bb Mais\nlorsqu\u2019ils se trouv\u00e8rent devant la reine, et que celle-ci leur demanda\nen quel lieu J\u00e9sus avait \u00e9t\u00e9 crucifi\u00e9, tous refus\u00e8rent de la renseigner:\nsi bien qu\u2019elle ordonna, qu\u2019ils fussent jet\u00e9s au feu. Alors les Juifs,\n\u00e9pouvant\u00e9s, lui d\u00e9sign\u00e8rent Judas, en disant: \u00abPrincesse, cet homme-ci,\nfils d\u2019un proph\u00e8te, sait toutes choses mieux que nous, et te r\u00e9v\u00e9lera ce\nque tu veux conna\u00eetre!\u00bb Alors la reine les cong\u00e9dia tous \u00e0 l\u2019exception\nde Judas, \u00e0 qui elle dit: \u00abChoisis entre la vie et la mort! Si tu veux\nvivre, indique-moi le lieu qu\u2019on appelle Golgotha, et dis-moi o\u00f9 je\npourrai d\u00e9couvrir la croix du Christ!\u00bb Judas lui r\u00e9pondit: \u00abComment le\nsaurais-je, puisque deux cents ans se sont \u00e9coul\u00e9s depuis lors, et qu\u2019\u00e0\nce moment je n\u2019\u00e9tais pas n\u00e9?\u00bb Et la reine: \u00abJe te ferai mourir de faim,\nsi tu ne veux pas me dire la v\u00e9rit\u00e9!\u00bb Sur quoi elle fit jeter Judas dans\nun puits \u00e0 sec, et d\u00e9fendit qu\u2019on lui donn\u00e2t aucune nourriture.\nLe septi\u00e8me jour, Judas, \u00e9puis\u00e9 par la faim, demanda \u00e0 sortir du puits,\npromettant de r\u00e9v\u00e9ler o\u00f9 \u00e9tait la croix. Et comme il arrivait \u00e0\nl\u2019endroit o\u00f9 elle \u00e9tait cach\u00e9e, il sentit dans l\u2019air un merveilleux\nparfum d\u2019aromates; de telle sorte que, stup\u00e9fait, il s\u2019\u00e9cria: \u00abEn\nv\u00e9rit\u00e9, J\u00e9sus, tu es le sauveur du monde!\u00bb\nOr, il y avait en ce lieu un temple de V\u00e9nus qu\u2019avait fait construire\nl\u2019empereur Adrien, de fa\u00e7on que quiconque y viendrait adorer le Christ\npar\u00fbt en m\u00eame temps adorer V\u00e9nus. Et, pour ce motif, les chr\u00e9tiens\navaient cess\u00e9 de fr\u00e9quenter ce lieu. Mais H\u00e9l\u00e8ne fit raser le temple;\napr\u00e8s quoi Judas commen\u00e7a lui-m\u00eame \u00e0 fouiller le sol et d\u00e9couvrit, \u00e0\nvingt pas sous terre, trois croix qu\u2019il fit aussit\u00f4t porter \u00e0 la reine.\nRestait seulement \u00e0 reconna\u00eetre celle de ces croix o\u00f9 avait \u00e9t\u00e9 attach\u00e9\nle Christ. On les posa toutes trois sur une grande place, et Judas,\nvoyant passer le cadavre d\u2019un jeune homme qu\u2019on allait enterrer, arr\u00eata\nle cort\u00e8ge, et mit sur le cadavre l\u2019une des croix, puis une autre. Le\ncadavre restait toujours immobile. Alors Judas mit sur lui la troisi\u00e8me\ncroix; et aussit\u00f4t le mort revint \u00e0 la vie. D\u2019autres historiens\nracontent que c\u2019est Macaire, \u00e9v\u00eaque de J\u00e9rusalem, qui reconnut la vraie\ncroix, en ravivant par elle une femme d\u00e9j\u00e0 presque morte. Et saint\nAmbroise affirme que Macaire reconnut la croix \u00e0 l\u2019inscription plac\u00e9e\njadis par Pilate au-dessus d\u2019elle.\nJudas se fit ensuite baptiser, prit le nom de Cyriaque, et, \u00e0 la mort de\nMacaire, fut ordonn\u00e9 \u00e9v\u00eaque de J\u00e9rusalem. Or sainte H\u00e9l\u00e8ne, d\u00e9sirant\navoir les clous qui avaient transperc\u00e9 J\u00e9sus, demanda \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque de les\nrechercher. Cyriaque se rendit de nouveau sur le Golgotha, et se mit en\npri\u00e8re; et aussit\u00f4t, \u00e9tincelants comme de l\u2019or, se montr\u00e8rent les clous,\nqu\u2019il s\u2019empressa de porter \u00e0 la reine. Et celle-ci, s\u2019agenouillant et\nbaissant la t\u00eate, les adora pieusement.\nElle rapporta \u00e0 son fils Constantin une partie de la croix, laissant\nl\u2019autre partie dans l\u2019endroit o\u00f9 elle l\u2019avait trouv\u00e9e. Elle donna\n\u00e9galement \u00e0 son fils les clous, qui, d\u2019apr\u00e8s Gr\u00e9goire de Tours, \u00e9taient\nau nombre de quatre. Deux de ces clous furent plac\u00e9s dans les freins\ndont Constantin se servait pour la guerre; un troisi\u00e8me fut plac\u00e9 sur la\nstatue de Constantin qui dominait la ville de Rome. Quant au quatri\u00e8me,\nH\u00e9l\u00e8ne le jeta elle-m\u00eame dans la mer Adriatique, qui jusqu\u2019alors avait\n\u00e9t\u00e9 un gouffre dangereux pour les navigateurs. Et c\u2019est elle aussi qui\nordonna qu\u2019on f\u00eat\u00e2t tous les ans, en grande solennit\u00e9, l\u2019anniversaire de\nl\u2019invention de la Sainte Croix.\nLe saint \u00e9v\u00eaque Cyriaque fut, plus tard, mis \u00e0 mort par Julien\nl\u2019Apostat, qui s\u2019effor\u00e7ait de d\u00e9truire en tous lieux le signe de la\ncroix. Julien, avant de partir pour la guerre contre les Perses, invita\nCyriaque \u00e0 sacrifier aux idoles; et, sur son refus, il lui fit couper la\nmain droite, en disant: \u00abCette main a \u00e9crit bien des lettres qui ont\nd\u00e9tourn\u00e9 plus d\u2019une \u00e2me du culte des dieux!\u00bb Mais l\u2019\u00e9v\u00eaque lui r\u00e9pondit:\n\u00abInsens\u00e9, tu me rends l\u00e0 un pr\u00e9cieux service; car cette main \u00e9tait un\nscandale pour moi, ayant jadis \u00e9crit bien des lettres aux synagogues\npour d\u00e9tourner les Juifs du culte du Christ.\u00bb Alors Julien lui fit\nverser dans la bouche du plomb fondu, et puis, l\u2019ayant fait \u00e9tendre sur\nun lit de fer, il fit jeter sur lui des charbons ardents m\u00eal\u00e9s de sel et\nde graisse. Cyriaque, cependant, restait inflexible. Et Julien lui dit:\n\u00abSi tu ne veux pas sacrifier aux dieux, proclame du moins que tu n\u2019es\npas chr\u00e9tien!\u00bb Sur le refus de Cyriaque, il le fit jeter parmi des\nserpents venimeux; mais aussit\u00f4t les serpents p\u00e9rirent, sans faire aucun\nmal \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque. Julien le fit jeter dans une chaudi\u00e8re pleine d\u2019huile\nbouillante; et Cyriaque, au moment d\u2019y entrer, pria Dieu de lui accorder\nle second bapt\u00eame du martyre. Sur quoi Julien, exasp\u00e9r\u00e9, ordonna qu\u2019on\nlui per\u00e7\u00e2t la poitrine \u00e0 coups de glaive; et c\u2019est ainsi que le saint\n\u00e9v\u00eaque rendit son \u00e2me \u00e0 Dieu.\nQuant \u00e0 la vertu souveraine de la sainte Croix, elle nous est prouv\u00e9e\npar l\u2019histoire d\u2019un pieux intendant que certain magicien conduisit, par\nruse, dans un lieu o\u00f9 il avait \u00e9voqu\u00e9 les d\u00e9mons. L\u2019intendant aper\u00e7ut\ndans ce lieu un grand Ethiopien, assis sur un tr\u00f4ne \u00e9lev\u00e9, et entour\u00e9\nd\u2019autres noirs portant des lances et des verges. L\u2019Ethiopien, qui \u00e9tait\nLucifer lui-m\u00eame, dit \u00e0 l\u2019intendant: \u00abSi tu veux m\u2019adorer et me servir,\net renier ton Christ, je te ferai asseoir \u00e0 ma droite!\u00bb Mais l\u2019intendant\nd\u00e9clara qu\u2019il pr\u00e9f\u00e9rait rester le serviteur du Christ; et, au moment o\u00f9\nil faisait le signe de la croix, toute la foule des d\u00e9mons s\u2019\u00e9vanouit.\nPlus tard, le m\u00eame intendant entra, avec son ma\u00eetre, dans l\u2019\u00e9glise de\nSainte-Sophie; et l\u00e0, comme tous deux se tenaient debout devant une\nimage du Christ, le ma\u00eetre vit que cette image avait les yeux fix\u00e9s sur\nl\u2019intendant. Il fit alors passer celui-ci \u00e0 droite, puis \u00e0 gauche: les\nyeux de l\u2019image suivaient ses mouvements, et restaient toujours fix\u00e9s\nsur lui. Le ma\u00eetre, \u00e9merveill\u00e9, demanda \u00e0 son intendant par quoi il\ns\u2019\u00e9tait rendu digne d\u2019un si grand honneur. Et l\u2019intendant r\u00e9pondit qu\u2019il\nn\u2019avait conscience d\u2019aucun acte qui p\u00fbt lui valoir cet honneur, \u00e0 cela\npr\u00e8s qu\u2019un jour, en pr\u00e9sence du diable, il avait refus\u00e9 de renier le\nChrist.\nLXVII\nLES ROGATIONS\nLes Rogations, ou Litanies, se c\u00e9l\u00e8brent deux fois par an; la premi\u00e8re\nfois le jour de la f\u00eate de saint Marc, la seconde fois pendant les trois\njours qui pr\u00e9c\u00e8dent l\u2019Ascension. La premi\u00e8re de ces deux Litanies\ns\u2019appelle Majeure, la seconde Mineure. Le mot Litanie signifie\nsupplication ou pri\u00e8re.\nLa premi\u00e8re Litanie a trois noms: On l\u2019appelle la Litanie Majeure, ou la\nprocession septiforme, ou les Croix-Noires. On l\u2019appelle la Litanie\nMajeure: 1\u00ba parce qu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e par Gr\u00e9goire le Grand; 2\u00ba\nparce qu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e \u00e0 Rome, si\u00e8ge des ap\u00f4tres; 3\u00ba parce\nqu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e dans des circonstances graves et m\u00e9morables. Car\nles Romains, apr\u00e8s avoir v\u00e9cu dans la continence pendant le car\u00eame,\ns\u2019abandonnaient ensuite \u00e0 une telle d\u00e9bauche de jeux et de plaisirs, que\nDieu, irrit\u00e9, leur envoya une terrible peste, qu\u2019on appelle _inguinale_\nparce qu\u2019elle a pour sympt\u00f4me l\u2019enflure de l\u2019a\u00eene. Et cette peste fut si\ncruelle que les hommes mouraient dans la rue, \u00e0 table, en jouant, en\ncausant. Souvent un homme \u00e9ternuait, et dans cet \u00e9ternuement rendait\nl\u2019\u00e2me. Aussi, lorsqu\u2019on entendait quelqu\u2019un \u00e9ternuer, s\u2019empressait-on de\nlui dire: \u00abQue Dieu vous aide!\u00bb Et c\u2019est de l\u00e0, dit-on, que s\u2019est\nconserv\u00e9e cette habitude. De m\u00eame, souvent, un homme b\u00e2illait, et\nsur-le-champ il rendait l\u2019\u00e2me. Aussi, d\u00e8s que quelqu\u2019un se sentait une\napproche de b\u00e2illement, il s\u2019empressait de faire le signe de la croix;\net c\u2019est de l\u00e0 encore que s\u2019est gard\u00e9e cette habitude. Quant au\nd\u00e9veloppement de cette peste et \u00e0 sa gu\u00e9rison miraculeuse, ainsi qu\u2019\u00e0\nl\u2019institution de la Litanie, nous avons d\u00e9j\u00e0 racont\u00e9 tout cela dans\nl\u2019histoire de saint Gr\u00e9goire.\nOn appelle cette Litanie la _procession septiforme_ parce que saint\nGr\u00e9goire disposait la procession, qu\u2019on faisait ce jour-l\u00e0, en sept\nrangs. En premier lieu venait tout le clerg\u00e9, puis venaient les moines\net les religieux, puis les religieuses, puis les enfants, puis les la\u00efcs\nm\u00e2les, puis les veuves et les vierges, enfin les femmes mari\u00e9es. Et\ncomme nous ne pouvons gu\u00e8re, aujourd\u2019hui, compter dans notre procession\nsur le concours de ces divers \u00e9l\u00e9ments, nous rempla\u00e7ons les sept rangs\npar sept r\u00e9citations de la Litanie.\nEn troisi\u00e8me lieu cette f\u00eate s\u2019appelle les Croix-Noires, parce que, en\nsigne de deuil et de p\u00e9nitence, non seulement toute la procession \u00e9tait\nv\u00eatue de noir, mais les croix et les autels \u00e9taient voil\u00e9s de cr\u00eape\nnoir.\nLa Litanie Mineure, qui se c\u00e9l\u00e8bre pendant les trois jours qui pr\u00e9c\u00e8dent\nl\u2019Ascension, a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e avant la Majeure, vers l\u2019an 458, par saint\nMamert, \u00e9v\u00eaque de Vienne, sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur L\u00e9on. On l\u2019appelle\naussi les Rogations, et aussi la Procession.\nOn l\u2019appelle Litanie Mineure par opposition \u00e0 la Majeure, comme ayant\n\u00e9t\u00e9 institu\u00e9e par un moindre dignitaire de l\u2019Eglise, en un lieu moindre,\net dans de moindres circonstances. Il y avait alors \u00e0 Vienne de\nfr\u00e9quents tremblements de terre, qui renversaient les maisons et bon\nnombre d\u2019\u00e9glises; on entendait, la nuit, des bruits effrayants; et, le\njour de P\u00e2ques un feu tomba du ciel, qui consuma le palais du roi. Et,\nde m\u00eame qu\u2019autrefois Dieu avait permis aux d\u00e9mons d\u2019entrer dans le corps\nd\u2019un troupeau de porcs, les loups et autres b\u00eates f\u00e9roces entraient\nlibrement dans les maisons, d\u00e9vorant enfants et vieillards, hommes et\nfemmes. Devant une telle r\u00e9union de calamit\u00e9s, l\u2019\u00e9v\u00eaque susdit ordonna\nun je\u00fbne de trois jours, institua les litanies et obtint de cette fa\u00e7on\nla cessation du mal dont souffrait la ville. Plus tard l\u2019Eglise d\u00e9cr\u00e9ta\nque cette Litanie serait observ\u00e9e par tous les fid\u00e8les.\nLa Litanie Mineure s\u2019appelle aussi f\u00eate des Rogations, parce que nous\nimplorons, ces trois jours-l\u00e0, les suffrages de tous les saints, leur\ndemandant, par nos pri\u00e8res et nos je\u00fbnes: 1\u00ba que Dieu pacifie les\nguerres, particuli\u00e8rement fr\u00e9quentes au printemps; 2\u00ba qu\u2019il conserve et\nmultiplie les fruits, qui commencent \u00e0 na\u00eetre; 3\u00ba qu\u2019il r\u00e9prime en nous\nles mouvements charnels, qui sont toujours plus violents en cette\nsaison; 4\u00ba pour que, par ces pri\u00e8res et ce je\u00fbne, nous nous pr\u00e9parions\nmieux \u00e0 recevoir le Saint-Esprit et \u00e0 nous en rendre dignes.\nEnfin cette f\u00eate s\u2019appelle aussi Procession parce que l\u2019Eglise fait, ces\njours-l\u00e0, une grande procession o\u00f9 l\u2019on porte des croix, o\u00f9 l\u2019on sonne\ntoutes les cloches, et o\u00f9 l\u2019on invoque, en particulier, le patronage de\ntous les saints. On porte les croix et on sonne les cloches pour\neffrayer les d\u00e9mons, ou bien encore on porte les croix pour effrayer les\nd\u00e9mons, et on sonne les cloches pour rappeler aux fid\u00e8les leur devoir de\nprier, en pr\u00e9sence du danger de la tentation. Dans certaines \u00e9glises,\nsurtout dans les \u00e9glises fran\u00e7aises, on a aussi l\u2019habitude de porter en\nprocession un dragon avec une longue queue gonfl\u00e9e de paille, et que\nl\u2019on d\u00e9gonfle devant la croix, le troisi\u00e8me jour: ce qui signifie que,\navant la Loi et sous la Loi, le diable a r\u00e9gn\u00e9 en ce monde, mais que le\nChrist, par la gr\u00e2ce de sa Passion, l\u2019a chass\u00e9 de son royaume. Et l\u2019on a\n\u00e9galement coutume de chanter, \u00e0 ces processions, le cantique des anges:\n_Sancte Deus, sancte fortis, sancte et immortalis, miserere nobis._\nJean de Damas rapporte que, \u00e0 Constantinople, un jour qu\u2019on c\u00e9l\u00e9brait\nles Litanies, un enfant qui se trouvait parmi la foule fut ravi au ciel,\no\u00f9 les anges lui apprirent ce cantique; apr\u00e8s quoi, revenant \u00e0 sa place\ndans la foule, il chanta le cantique qu\u2019il venait d\u2019apprendre; et\naussit\u00f4t cessa la calamit\u00e9 pour laquelle s\u2019\u00e9taient organis\u00e9es les\nLitanies. Aussi le synode de Chalc\u00e9doine sanctionna-t-il l\u2019usage\nuniversel de ce cantique, qui a le privil\u00e8ge d\u2019inspirer aux d\u00e9mons une\npeur toute particuli\u00e8re.\nLXVIII\nSAINT JEAN PORTE-LATINE\n(6 mai)\nL\u2019ap\u00f4tre et \u00e9vang\u00e9liste Jean pr\u00eachait \u00e0 Eph\u00e8se lorsque le proconsul le\nfit saisir et lui ordonna de sacrifier aux dieux. Sur son refus, il fut\njet\u00e9 en prison; et le proconsul \u00e9crivit \u00e0 l\u2019empereur Domitien une lettre\no\u00f9 il l\u2019accusait d\u2019\u00eatre sacril\u00e8ge, de m\u00e9priser les dieux, et d\u2019adorer la\ncroix. Domitien, au re\u00e7u de cette lettre, fit venir saint Jean \u00e0 Rome.\nL\u00e0, apr\u00e8s lui avoir fait raser les cheveux en signe d\u2019infamie, il le\ncondamna \u00e0 \u00eatre plong\u00e9 dans une chaudi\u00e8re d\u2019huile bouillante, en\npr\u00e9sence de la foule, devant une des portes de la ville, nomm\u00e9e\nPorte-Latine. Mais le saint n\u2019y \u00e9prouva aucun mal, et en sortit tout \u00e0\nfait intact. C\u2019est en souvenir de ce miracle que les chr\u00e9tiens ont\n\u00e9lev\u00e9, en ce lieu, une \u00e9glise, et qu\u2019on c\u00e9l\u00e8bre l\u2019anniversaire du\nsupplice de saint Jean comme la f\u00eate de son martyre.\nCependant le saint, sorti de la chaudi\u00e8re, continuait \u00e0 pr\u00eacher le\nChrist, jusqu\u2019\u00e0 ce que, par ordre de Domitien, il fut rel\u00e9gu\u00e9 dans l\u2019\u00eele\nde Pathmos. Et nous devons ajouter, \u00e0 ce propos, que, si les empereurs\nromains pers\u00e9cutaient les ap\u00f4tres, ce n\u2019\u00e9tait point parce que ceux-ci\npr\u00eachaient le Christ, mais parce qu\u2019ils affirmaient la divinit\u00e9 du\nChrist sans que cette divinit\u00e9 e\u00fbt \u00e9t\u00e9 reconnue par le S\u00e9nat romain,\ncomme le voulait la loi. Et l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_ raconte que,\nPilate ayant \u00e9crit \u00e0 Tib\u00e8re pour lui exposer la mort du Seigneur, Tib\u00e8re\nse d\u00e9clara pr\u00eat \u00e0 imposer aux Romains la foi chr\u00e9tienne; mais le S\u00e9nat\ns\u2019y refusa, parce que le Christ avait \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9 dieu sans son\nautorisation. Suivant une autre chronique, le refus du S\u00e9nat vint de ce\nque le Christ ne se f\u00fbt pas d\u2019abord r\u00e9v\u00e9l\u00e9 \u00e0 Rome. Suivant une autre\nencore, le S\u00e9nat refusa d\u2019admettre le Christ parce que celui-ci pr\u00eachait\nle m\u00e9pris du monde, tandis que les Romains \u00e9taient, par nature, avides\net ambitieux. Enfin Orose soutient que le S\u00e9nat fut f\u00e2ch\u00e9 de ce que\nPilate e\u00fbt annonc\u00e9 les miracles du Christ \u00e0 Tib\u00e8re et non \u00e0 lui; et que\nTib\u00e8re, irrit\u00e9 \u00e0 son tour du refus du S\u00e9nat, mit \u00e0 mort bon nombre de\ns\u00e9nateurs et en exila plusieurs autres.\nOn raconte aussi que la m\u00e8re de saint Jean, apprenant que son fils \u00e9tait\nprisonnier \u00e0 Rome, se mit en route pour l\u2019aller voir; mais en arrivant \u00e0\nRome elle d\u00e9couvrit que saint Jean \u00e9tait parti pour l\u2019\u00eele de Pathmos.\nElle reprit alors le chemin de la Palestine, et, en voyage, elle mourut,\ndans une ville de la Campanie appel\u00e9e V\u00e9tulana. Son corps resta\nlongtemps cach\u00e9 dans une caverne, jusqu\u2019au jour o\u00f9 saint Jean r\u00e9v\u00e9la \u00e0\nsaint Jacques o\u00f9 il se trouvait. Le corps fut alors transport\u00e9 avec de\ngrands honneurs dans une \u00e9glise de V\u00e9tulana, o\u00f9 il op\u00e9ra de nombreux\nmiracles.\nLXIX\nSAINT GORDIEN, MARTYR\nGordien \u00e9tait officier de l\u2019empereur Julien. Charg\u00e9 par celui-ci de\nfaire sacrifier aux idoles un chr\u00e9tien du nom de Janvier, il fut\nconverti par la pr\u00e9dication de ce chr\u00e9tien, et re\u00e7ut le bapt\u00eame avec sa\nfemme, appel\u00e9e Marine et cinquante-trois autres personnes. Ce\nqu\u2019apprenant, Julien fit envoyer Janvier en exil et ordonna que Gordien\ne\u00fbt la t\u00eate tranch\u00e9e s\u2019il refusait de sacrifier aux idoles.\nSaint Gordien eut donc la t\u00eate tranch\u00e9e, et son corps resta offert aux\nchiens pendant huit jours; mais comme il se conservait absolument\nintact, il fut enfin recueilli par des parents du martyr et enterr\u00e9 \u00e0 un\nmille de Rome avec les restes de saint Epimaque, que le susdit Julien\navait fait mourir pr\u00e9c\u00e9demment.\nLXX\nSAINTS N\u00c9R\u00c9E ET ACHILL\u00c9E, MARTYRS\nN\u00e9r\u00e9e et Achill\u00e9e, qui re\u00e7urent le bapt\u00eame des mains de l\u2019ap\u00f4tre saint\nPierre, \u00e9taient eunuques, et attach\u00e9s au service particulier de\nDomicille, ni\u00e8ce de l\u2019empereur Domitien. Or, comme cette princesse \u00e9tait\nfianc\u00e9e \u00e0 Aur\u00e9lien, fils d\u2019un consul, et qu\u2019on la rev\u00eatait de pourpre et\nde pierreries, N\u00e9r\u00e9e et Achill\u00e9e lui pr\u00each\u00e8rent la foi. Ils lui\nrecommand\u00e8rent la virginit\u00e9, comme une vertu ch\u00e8re \u00e0 Dieu et inn\u00e9e dans\nl\u2019homme. Ils lui dirent que la femme \u00e9tait soumise \u00e0 son mari, que\nsouvent elle avait \u00e0 subir des coups, que souvent aussi elle s\u2019exposait\n\u00e0 de mauvaises grossesses, et que, ayant peine d\u00e9j\u00e0 \u00e0 supporter les\navertissements tendres de sa m\u00e8re, elle se condamnait, par le mariage, \u00e0\nsupporter de bien autres injures. Domicille leur r\u00e9pondait: \u00abJe sais que\nmon p\u00e8re \u00e9tait jaloux et que ma m\u00e8re a eu \u00e0 souffrir de lui; mais\npourquoi croirais-je que mon mari d\u00fbt lui ressembler?\u00bb Et eux: \u00abParce\nque, tant qu\u2019ils sont fianc\u00e9s, ils paraissent pleins de douceur, tandis\nque, apr\u00e8s le mariage, ils r\u00e8gnent en ma\u00eetres cruels; sans compter que\nsouvent, ils pr\u00e9f\u00e8rent les servantes \u00e0 leur ma\u00eetresse. Et toutes les\nautres vertus qu\u2019on a perdues peuvent se reconqu\u00e9rir par la p\u00e9nitence,\ntandis que, seule, la virginit\u00e9 ne se reconquiert pas.\u00bb Alors Domicilie\ncrut en J\u00e9sus, fit v\u0153u de virginit\u00e9, et re\u00e7ut le voile des mains de\nsaint Cl\u00e9ment.\nSur quoi son fianc\u00e9, avec la permission de Domitien, la r\u00e9l\u00e9gua, avec\nN\u00e9r\u00e9e et Achill\u00e9e, dans l\u2019\u00eele de Pont, s\u2019imaginant, par l\u00e0, pouvoir\nfl\u00e9chir la jeune fille. Quelque temps apr\u00e8s, il se rendit lui-m\u00eame dans\ncette \u00eele, et offrit de nombreux pr\u00e9sents aux deux eunuques, pour qu\u2019ils\nintervinssent en sa faveur aupr\u00e8s de leur ma\u00eetresse; mais eux,\nd\u00e9daignant ses offres, n\u2019en mettaient que plus de z\u00e8le \u00e0 la raffermir\ndans sa foi. Somm\u00e9s de sacrifier aux idoles, ils dirent ne pouvoir le\nfaire, puisqu\u2019ils avaient re\u00e7u le saint bapt\u00eame. Et, en cons\u00e9quence,\ntous deux eurent la t\u00eate tranch\u00e9e, l\u2019an du Seigneur 80. Leurs corps\nfurent ensevelis aupr\u00e8s du tombeau de sainte P\u00e9tronille.\nPuis le consul condamna aux plus durs travaux trois autres esclaves de\nDomicille, Victorin, Euthice et Maron. Et il ordonna enfin qu\u2019Euthice\nf\u00fbt frapp\u00e9 \u00e0 mort, Victorin \u00e9touff\u00e9 dans un bain de fiente, Maron \u00e9cras\u00e9\nsous une grosse pierre. Mais Maron, lorsqu\u2019on jeta sur lui cette pierre\nimmense, que soixante-dix hommes pouvaient \u00e0 peine mouvoir, la re\u00e7ut\nais\u00e9ment sur ses \u00e9paules, et la porta comme un caillou \u00e0 deux milles de\nl\u00e0. Ce que voyant, plusieurs se convertirent; et le consul le fit mettre\n\u00e0 mort.\nPuis le consul rappela d\u2019exil la jeune fille et envoya vers elle ses\ndeux s\u0153urs de lait, Euphrosine et Th\u00e9odore, avec mission de la\npersuader; mais Domicille les convertit \u00e0 la foi chr\u00e9tienne. Alors\nAur\u00e9lien se rendit chez Domicille avec les fianc\u00e9s de ces deux jeunes\nfilles et trois jongleurs, afin de c\u00e9l\u00e9brer son mariage avec elle: mais\nDomicille avait d\u00e9j\u00e0 converti les deux fianc\u00e9s. Cependant, le consul la\nmit de force dans son lit, ordonna aux jongleurs de chanter, aux deux\njeunes gens de danser avec lui, et voulut s\u2019entra\u00eener ainsi \u00e0 violer la\njeune vierge. Mais bient\u00f4t les jongleurs se lass\u00e8rent de chanter, les\ndeux danseurs de danser; et lui, emport\u00e9 par un vertige, ne s\u2019arr\u00eata\npoint de danser pendant deux jours, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019enfin il mour\u00fbt de\nfatigue.\nSon fr\u00e8re Luxurius obtint alors de l\u2019empereur la permission de mettre \u00e0\nmort tous les chr\u00e9tiens de la ville. Il fit incendier, la nuit, le lit\no\u00f9 reposaient les trois vierges; et celles-ci rendirent, en priant,\nleurs \u00e2mes \u00e0 Dieu. Saint C\u00e9saire, le lendemain, retrouva leurs trois\ncorps absolument intacts.\nLXXI\nSAINT PANCRACE, MARTYR\nPancrace, de famille noble, ayant perdu son p\u00e8re et sa m\u00e8re pendant un\ns\u00e9jour en Phrygie, fut remis \u00e0 la charge de son oncle Denis. En\ncompagnie de son oncle il revint \u00e0 Rome, o\u00f9 sa famille poss\u00e9dait un\ngrand patrimoine; et c\u2019est ainsi qu\u2019ils firent connaissance avec le pape\nCorneille, qui se cachait, avec les fid\u00e8les, dans le voisinage de leur\npropri\u00e9t\u00e9. Convaincus par la pr\u00e9dication de Corneille, Denis et Pancrace\nre\u00e7urent la foi du Christ; apr\u00e8s quoi Denis mourut en paix, et Pancrace,\nfait prisonnier, fut amen\u00e9 devant l\u2019empereur. Il avait alors \u00e0 peine\nquatorze ans. Et l\u2019empereur Diocl\u00e9tien lui dit: \u00abEnfant, laisse-moi te\ndonner un conseil et te sauver d\u2019une mort affreuse: car je sais qu\u2019\u00e0 ton\n\u00e2ge on est facilement tromp\u00e9, et puis tu es de noble race, et fils d\u2019un\nhomme que j\u2019ai beaucoup aim\u00e9. Ecoute-moi donc, renonce \u00e0 la folie de ton\nchristianisme; et je te traiterai comme mon propre fils!\u00bb Mais Pancrace\nlui r\u00e9pondit: \u00abJe suis enfant par le corps, c\u2019est vrai, mais je porte un\nc\u0153ur d\u2019homme; et, par la gr\u00e2ce de mon ma\u00eetre J\u00e9sus-Christ, tes supplices\nm\u2019apparaissent aussi vains que cette idole qui est l\u00e0 devant moi. Quant\naux dieux que tu m\u2019engages \u00e0 adorer, ils n\u2019ont \u00e9t\u00e9 que des imposteurs,\nsouillant les femmes de leur propre maison et n\u2019\u00e9pargnant pas m\u00eame leurs\nparents. Que si tu avais aujourd\u2019hui des esclaves qui agissent comme\neux, tu t\u2019empresserais de les mettre \u00e0 mort. Et je m\u2019\u00e9tonne que tu ne\nrougisses pas d\u2019adorer de tels dieux!\u00bb Alors l\u2019empereur, honteux de se\nvoir vaincu par un enfant, lui fit trancher la t\u00eate, sur la Voie\nAur\u00e9lienne, l\u2019an du Seigneur 287. Le corps du martyr fut pieusement\nenseveli par Cocavilla, femme d\u2019un s\u00e9nateur.\nGr\u00e9goire de Tours raconte que, lorsqu\u2019un faux t\u00e9moin s\u2019approche du\ntombeau de saint Pancrace, ou bien il tombe aussit\u00f4t mort sur les\ndalles, ou bien un d\u00e9mon s\u2019empare de lui et le fait d\u00e9lirer. Deux hommes\n\u00e9taient en proc\u00e8s, et le juge ne parvenait pas \u00e0 d\u00e9couvrir le coupable.\nDans son z\u00e8le de justice, ce juge conduisit les deux hommes \u00e0 l\u2019autel de\nsaint Pierre et leur fit jurer \u00e0 tous deux qu\u2019ils \u00e9taient innocents,\npriant l\u2019ap\u00f4tre de lui faire reconna\u00eetre la v\u00e9rit\u00e9 par quelque signe\nmiraculeux. Et comme tous deux, ayant jur\u00e9, ne souffraient aucun mal, le\njuge, indign\u00e9, s\u2019\u00e9cria: \u00abLe vieux saint Pierre est d\u00e9cid\u00e9ment trop\nindulgent! Allons plut\u00f4t consulter le jeune saint Pancrace!\u00bb Et comme,\nsur le tombeau du saint, le vrai coupable allait recommencer \u00e0 se\nparjurer, il ne parvint pas \u00e0 lever la main, et tomba mort d\u00e8s l\u2019instant\nd\u2019apr\u00e8s. De l\u00e0 vient que, aujourd\u2019hui encore, dans les cas difficiles,\non a coutume de faire jurer les accus\u00e9s sur les reliques de saint\nPancrace.\nLXXII\nSAINT BONIFACE, MARTYR\nPassion de saint Boniface, qui souffrit le martyre dans la ville de\nTarse, sous le r\u00e8gne de Diocl\u00e9tien, et fut enseveli \u00e0 Rome, sur la Voie\nLatine.\nBoniface \u00e9tait, \u00e0 Rome, l\u2019intendant d\u2019une dame noble nomm\u00e9e Agla\u00e9, et\nentretenait avec elle des rapports coupables. Un jour enfin, sa\nma\u00eetresse et lui, comme avertis par un signe divin, d\u00e9cid\u00e8rent que\nBoniface irait chercher les corps des martyrs, avec l\u2019espoir que son\nculte pour eux leur vaudrait, \u00e0 tous deux, d\u2019obtenir leur salut.\nBoniface se mit donc en route; et lorsqu\u2019il arriva dans la ville de\nTarse, il dit \u00e0 ses compagnons: \u00abAmis, occupez-vous de nous trouver un\nlogement! J\u2019ai h\u00e2te, moi, d\u2019aller voir ceux pour qui je suis venu.\u00bb\nApr\u00e8s quoi, \u00e9tant accouru sur la place publique, il vit les bienheureux\nmartyrs, l\u2019un pendu avec du feu sous les pieds, un autre \u00e9tendu sur un\nchevalet, un autre labour\u00e9 d\u2019ongles de fer, un autre les mains coup\u00e9es;\net tandis que, br\u00fblant lui-m\u00eame de l\u2019amour du Christ, il consid\u00e9rait ces\nsupplices divers, il se mit \u00e0 invoquer le Dieu des martyrs. Puis,\ns\u2019approchant d\u2019eux, il s\u2019assit \u00e0 leurs pieds, baisa leurs cha\u00eenes, et\ndit: \u00abMartyrs du Christ, foulez aux pieds le d\u00e9mon, prenez patience!\nvotre peine n\u2019est rien en comparaison du repos et de la joie qui vous\nattendent!\u00bb Ce qu\u2019entendant, le juge Simplicius le fit mander \u00e0 son\ntribunal et lui dit: \u00abQui es-tu?\u00bb Le saint r\u00e9pondit: \u00abJe me nomme\nBoniface, et je suis chr\u00e9tien.\u00bb Alors le juge, irrit\u00e9, le fit prendre,\net ordonna qu\u2019on labour\u00e2t son corps de pointes de fer jusqu\u2019\u00e0 mettre \u00e0\nnu tous ses os. Il ordonna ensuite qu\u2019on introduis\u00eet des aiguillons sous\nles ongles de ses doigts. Et comme le martyr, les yeux lev\u00e9s au ciel, se\nr\u00e9jouissait parmi tous ces tourments, le m\u00e9chant juge ordonna qu\u2019on lui\nouvr\u00eet la bouche et qu\u2019on y vers\u00e2t du plomb bouillant. Mais le martyr\nr\u00e9p\u00e9tait toujours: \u00abJe te rends gr\u00e2ces, Seigneur J\u00e9sus!\u00bb Alors le juge\nle fit plonger, la t\u00eate en bas, dans une cuve de poix bouillante; et,\ncomme, de cela non plus, le martyr ne souffrait aucun mal, le juge\nordonna qu\u2019il e\u00fbt la t\u00eate tranch\u00e9e. Et \u00e0 l\u2019instant o\u00f9 on lui trancha la\nt\u00eate, se produisit un grand tremblement de terre, qui convertit nombre\nd\u2019infid\u00e8les en leur montrant la vertu du Christ.\nCependant, les autres serviteurs d\u2019Agla\u00e9, qui avaient accompagn\u00e9\nBoniface, allaient par la ville, en qu\u00eate de lui, et, ne le trouvant\npas, se disaient: \u00abS\u00fbrement il sera occup\u00e9 \u00e0 quelque adult\u00e8re, ou \u00e0\ns\u2019enivrer dans quelque cabaret!\u00bb Comme ils parlaient, ils rencontr\u00e8rent\ndans la rue un des officiers imp\u00e9riaux. Ils lui demand\u00e8rent:\n\u00abN\u2019aurais-tu pas vu ici un \u00e9tranger, un Romain?\u00bb Il leur r\u00e9pondit:\n\u00abHier, sur la place, un \u00e9tranger a eu la t\u00eate tranch\u00e9e.\u00bb Ils lui dirent:\n\u00abQuelle figure avait-il? l\u2019homme que nous cherchons est trapu et solide,\navec une chevelure abondante; et v\u00eatu d\u2019un manteau rouge.\u00bb Alors\nl\u2019officier r\u00e9pondit: \u00abL\u2019homme que vous cherchez, c\u2019est lui que nous\navons tortur\u00e9 et mis \u00e0 mort hier!\u00bb Mais eux: \u00abTu dois te tromper:\nl\u2019homme que nous cherchons est un ivrogne et un d\u00e9bauch\u00e9!\u00bb L\u2019officier\nleur dit: \u00abVenez, et vous le verrez!\u00bb Et lorsqu\u2019il leur e\u00fbt montr\u00e9 le\ncorps du martyr et sa t\u00eate v\u00e9n\u00e9rable, ils lui dirent: \u00abOui, c\u2019est bien\ncelui que nous cherchions; donne-nous ses restes!\u00bb L\u2019officier se refusa\n\u00e0 les leur donner gratuitement. Mais, en \u00e9change de cinq cents sous, ils\nobtinrent d\u2019emporter le corps du martyr, qu\u2019ils s\u2019empress\u00e8rent d\u2019oindre\nd\u2019aromates et d\u2019envelopper de linges de prix; apr\u00e8s quoi ils le\nramen\u00e8rent \u00e0 Rome, se r\u00e9jouissant et glorifiant Dieu.\nUn ange du ciel apparut \u00e0 la ma\u00eetresse du martyr, et lui r\u00e9v\u00e9la sa mort\nbienheureuse. Aussit\u00f4t Agla\u00e9 partit \u00e0 la rencontre de son corps, et fit\n\u00e9lever une \u00e9glise digne de lui \u00e0 l\u2019endroit m\u00eame o\u00f9 elle le rencontra,\n\u00e9loign\u00e9 de la ville d\u2019environ cinq stades. Le martyre de saint Boniface\neut lieu le quatorzi\u00e8me jour du mois de mai; son ensevelissement, le\nneuvi\u00e8me jour de juillet.\nEnsuite Agla\u00e9, renon\u00e7ant au monde, distribua tous ses biens aux pauvres,\naffranchit tous ses esclaves, et, par ses je\u00fbnes et ses pri\u00e8res,\ns\u2019acquit tant de faveur aupr\u00e8s de J\u00e9sus, qu\u2019elle put accomplir des\nmiracles en son nom. Elle surv\u00e9cut ainsi douze ans au martyr, aupr\u00e8s de\nqui elle fut enterr\u00e9e.\nLXXIII\nL\u2019ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR\nL\u2019Ascension de Notre-Seigneur a eu lieu quarante jours apr\u00e8s sa\nr\u00e9surrection. Ce jour-l\u00e0, il apparut deux fois \u00e0 ses disciples. Une\npremi\u00e8re fois, il apparut aux onze ap\u00f4tres assis \u00e0 table. Les ap\u00f4tres,\nainsi que d\u2019autres disciples, et aussi des femmes, habitaient la partie\nde J\u00e9rusalem appel\u00e9e Mello, sur la montagne de Sion, o\u00f9 David s\u2019\u00e9tait\nconstruit un palais. Il y avait l\u00e0 un grand c\u00e9nacle o\u00f9 J\u00e9sus, nagu\u00e8re,\navait fait pr\u00e9parer la P\u00e2que; \u00e0 pr\u00e9sent, les onze ap\u00f4tres y demeuraient,\ntandis que les autres disciples habitaient \u00e0 l\u2019entour, dans des\nauberges. Or, comme les Onze \u00e9taient \u00e0 table dans ce c\u00e9nacle, le\nSeigneur leur apparut. Il leur reprocha leur incr\u00e9dulit\u00e9, mangea avec\neux, et leur dit de se rendre sur le mont des Oliviers, au versant\ntourn\u00e9 vers B\u00e9thanie. C\u2019est l\u00e0 que, pour la seconde fois ce jour-l\u00e0, il\nleur apparut: il leva les mains, les b\u00e9nit, et, en leur pr\u00e9sence, monta\nau ciel.\nAu sujet du lieu de l\u2019Ascension, Sulpice, \u00e9v\u00eaque de J\u00e9rusalem, raconte\nque, lorsque plus tard on y \u00e9leva une \u00e9glise, l\u2019endroit pr\u00e9cis o\u00f9\ns\u2019\u00e9taient pos\u00e9s les pieds du Christ ne put absolument pas \u00eatre recouvert\nde dalles: les plaques de marbre qu\u2019on y mettait se rompaient, et\nsautaient au visage de ceux qui les mettaient. Aujourd\u2019hui encore, on y\nvoit, dans une poussi\u00e8re calcaire, des traces de pieds.\nLXXIV\nLA PENTEC\u00d4TE\nLa Pentec\u00f4te c\u00e9l\u00e8bre le souvenir du jour o\u00f9 le Saint-Esprit est descendu\nsur les ap\u00f4tres en langues de feu, ainsi que le raconte le livre des\n_Actes_. Au sujet de cette descente du Saint-Esprit, six questions sont\n\u00e0 consid\u00e9rer: 1\u00ba par qui il a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9; 2\u00ba de quelle mani\u00e8re il a \u00e9t\u00e9\nenvoy\u00e9; 3\u00ba \u00e0 quel moment il a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9; 4\u00ba combien de fois il a \u00e9t\u00e9\nenvoy\u00e9; 5\u00ba \u00e0 qui il a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9; 6\u00ba pourquoi il a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9.\n1\u00ba Le Saint-Esprit a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 par le P\u00e8re, le Fils, et par lui-m\u00eame.\nEn effet, J\u00e9sus dit, dans l\u2019\u00e9vangile de saint Jean: \u00abLe Saint-Esprit,\nque mon P\u00e8re vous enverra en mon nom\u00bb; et il dit aussi: \u00abQuand je vous\naurai quitt\u00e9s, je vous l\u2019enverrai!\u00bb Mais le Saint-Esprit est aussi venu\nde lui-m\u00eame, \u00e9tant Dieu. Citons \u00e0 ce propos, la d\u00e9finition que donne\nsaint Ambroise de la divinit\u00e9: \u00abUn Dieu se reconna\u00eet ou bien \u00e0 ce qu\u2019il\nest sans p\u00e9ch\u00e9, ou bien \u00e0 ce qu\u2019il remet les p\u00e9ch\u00e9s, ou bien \u00e0 ce qu\u2019il\nest cr\u00e9ateur et non cr\u00e9ature, ou bien \u00e0 ce qu\u2019il est ador\u00e9 et non\nadorant.\u00bb Et le pape L\u00e9on dit: \u00abL\u2019Esprit-Saint est l\u2019inspirateur de la\nfoi, le docteur de la science, la source de l\u2019amour et la cause du\nsalut.\u00bb\n2\u00ba L\u2019Esprit-Saint est envoy\u00e9 de deux fa\u00e7ons: d\u2019une fa\u00e7on invisible quand\nil p\u00e9n\u00e8tre dans les \u00e2mes, et d\u2019une fa\u00e7on visible quand il appara\u00eet avec\ndes signes visibles. De sa mission invisible, l\u2019\u00e9vangile de saint Jean\ndit: \u00abL\u2019Esprit souffle o\u00f9 il veut et tu entends sa voix, mais sans\nsavoir d\u2019o\u00f9 il vient ni o\u00f9 il va.\u00bb Quant \u00e0 la mission visible du\nSaint-Esprit, elle s\u2019est manifest\u00e9e par cinq signes: 1\u00ba sous la forme\nd\u2019une colombe au bapt\u00eame du Christ (saint Luc, III); 2\u00ba sous la forme\nd\u2019un nuage lumineux, \u00e0 la transfiguration du Christ (saint Matthieu,\nXVI); 3\u00ba sous la forme d\u2019un souffle (saint Jean, XX); 4\u00ba sous la forme\nd\u2019un feu, et 5\u00ba sous la forme d\u2019une langue: ces deux derni\u00e8res\nmanifestations ont eu lieu en ce jour de la Pentec\u00f4te.\n3\u00ba L\u2019Esprit-Saint a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 aux ap\u00f4tres le cinquanti\u00e8me jour apr\u00e8s la\nP\u00e2que.\n4\u00ba L\u2019Esprit-Saint a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 aux ap\u00f4tres trois fois, d\u2019apr\u00e8s la\n_Glosse_: avant la passion, apr\u00e8s la r\u00e9surrection et apr\u00e8s l\u2019ascension.\nLa premi\u00e8re fois, il a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 aux ap\u00f4tres pour leur permettre de\nfaire des miracles (saint Matthieu, XII). D\u2019o\u00f9 l\u2019on ne doit point\nconclure que quiconque poss\u00e8de l\u2019Esprit-Saint puisse faire des miracles:\ncar, comme le dit saint Gr\u00e9goire: \u00abLes miracles ne font pas le saint,\nmais ne sont que son signe\u00bb; et, d\u2019autre part, on peut faire des\nmiracles sans avoir l\u2019Esprit-Saint, puisque les m\u00e9chants eux-m\u00eames ont\npu se vanter de faire des miracles. La seconde fois, l\u2019Esprit-Saint a\n\u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 aux ap\u00f4tres pour leur permettre de pardonner les p\u00e9ch\u00e9s; car\nJ\u00e9sus leur a dit: \u00abRecevez l\u2019Esprit-Saint et ceux \u00e0 qui vous remettrez\nleurs p\u00e9ch\u00e9s, etc.\u00bb Et nous devons noter, \u00e0 ce propos, que personne ne\npeut remettre les p\u00e9ch\u00e9s, quant \u00e0 la tache qui est dans l\u2019\u00e2me, ni quant\n\u00e0 l\u2019offense commise envers Dieu. Quand on dit qu\u2019un pr\u00eatre absout, cela\nsignifie seulement qu\u2019il annonce au p\u00e9cheur que Dieu l\u2019a absous, ou bien\nqu\u2019il change la peine du purgatoire en une peine temporelle, ou bien\nencore qu\u2019il rel\u00e2che une partie de cette peine temporelle. Enfin, la\ntroisi\u00e8me fois, en ce jour de la Pentec\u00f4te, l\u2019Esprit-Saint a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9\naux ap\u00f4tres pour fortifier leurs c\u0153urs, et pour leur donner le courage\nd\u2019affronter toutes les pers\u00e9cutions.\n5\u00ba L\u2019Esprit-Saint a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 aux disciples, qui \u00e9taient pr\u00eats \u00e0 le\nrecevoir, en raison de sept qualit\u00e9s qui \u00e9taient en eux: car ils \u00e9taient\ntranquilles, unis par l\u2019amour, recueillis, pers\u00e9v\u00e9rants dans la pri\u00e8re,\nhumbles, pacifiques et \u00e9lev\u00e9s dans la contemplation.\n6\u00ba L\u2019Esprit-Saint a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 sur terre pour six motifs: 1\u00ba pour\nconsoler les afflig\u00e9s; 2\u00ba pour vivifier les morts; 3\u00ba pour sanctifier et\npour purifier; 4\u00ba pour consolider l\u2019amour au milieu des discordes; 5\u00ba\npour sauver les justes; 6\u00ba enfin pour instruire les ignorants, car le\nChrist a dit: \u00abMon Esprit vous apprendra tout.\u00bb\nLXXV\nSAINT URBAIN, PAPE ET MARTYR\nUrbain succ\u00e9da au pape Calixte; et, sous son pontificat, se produisit\nune grande pers\u00e9cution des chr\u00e9tiens. Mais enfin l\u2019empire \u00e9chut \u00e0\nAlexandre dont la m\u00e8re Amm\u00e9e avait \u00e9t\u00e9 convertie au christianisme par\nOrig\u00e8ne. Cette sainte femme obtint de son fils, \u00e0 force de pri\u00e8res,\nqu\u2019il renon\u00e7\u00e2t \u00e0 pers\u00e9cuter les chr\u00e9tiens.\nCependant, le pr\u00e9fet Almaque, qui avait d\u00e9capit\u00e9 sainte C\u00e9cile,\ncontinuait \u00e0 s\u00e9vir cruellement contre les chr\u00e9tiens. Il fit rechercher\nsoigneusement saint Urbain, le d\u00e9couvrit--sur la d\u00e9nonciation d\u2019un\ncertain Carpasius--dans une grotte o\u00f9 il \u00e9tait cach\u00e9 avec trois pr\u00eatres\net trois diacres, et les fit jeter en prison. Il le manda ensuite en sa\npr\u00e9sence, lui reprocha d\u2019avoir corrompu cinq mille personnes, parmi\nlesquelles la sacril\u00e8ge C\u00e9cile et deux hommes illustres, Tiburce et\nVal\u00e9rien. Apr\u00e8s quoi il le somma d\u2019avoir \u00e0 lui restituer le tr\u00e9sor de\nC\u00e9cile. Mais Urbain: \u00abA ce que je vois, ta cruaut\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9gard des saints\ns\u2019inspire davantage de ta cupidit\u00e9 que de ta d\u00e9votion \u00e0 tes dieux. Sache\ndonc que le tr\u00e9sor de sainte C\u00e9cile est mont\u00e9 au ciel par les mains des\npauvres!\u00bb Le pr\u00e9fet fit alors battre Urbain et ses compagnons avec des\nverges plomb\u00e9es. Et comme le pontife invoquait le Seigneur sous son nom\nd\u2019Elyon, il s\u2019\u00e9cria en souriant: \u00abCe vieillard veut para\u00eetre savant, et\nvoil\u00e0 pourquoi il emploie des mots que nous ignorons!\u00bb Mais comme les\nmartyrs restaient fermes dans leur foi, ils furent reconduits dans la\nprison, o\u00f9 Urbain baptisa le ge\u00f4lier Anolinus et trois tribuns que le\npr\u00e9fet lui avait envoy\u00e9s. Ce qu\u2019apprenant, celui-ci fit trancher la t\u00eate\n\u00e0 Anolinus, puis ordonna \u00e0 Urbain et \u00e0 ses compagnons de r\u00e9pandre de\nl\u2019encens devant une idole; mais, sur la pri\u00e8re d\u2019Urbain, l\u2019idole\ns\u2019abattit de son pi\u00e9destal et tua les vingt-deux pr\u00eatres qui lui\nrendaient hommage. De nouveau rou\u00e9s de coups, les chr\u00e9tiens furent de\nnouveau somm\u00e9s de sacrifier devant une idole; mais ils crach\u00e8rent sur\nl\u2019idole, firent le signe de la croix, et, s\u2019\u00e9tant donn\u00e9 r\u00e9ciproquement\nle baiser de paix, se laiss\u00e8rent mettre \u00e0 mort, sous le r\u00e8gne de\nl\u2019empereur Alexandre.\nAussit\u00f4t l\u2019homme qui les avait d\u00e9nonc\u00e9s, Carpasius, fut saisi du d\u00e9mon,\net, avant de mourir \u00e9touff\u00e9, se mit \u00e0 blasph\u00e9mer ses dieux et \u00e0 faire\nmalgr\u00e9 lui l\u2019\u00e9loge des chr\u00e9tiens; sur quoi sa femme, Arm\u00e9nie, sa fille\nLucine, et toute sa famille re\u00e7urent le bapt\u00eame des mains du saint\npr\u00eatre Fortunat, et ensevelirent pieusement les corps des martyrs.\nLXXVI\nSAINTE P\u00c9TRONILLE, VIERGE\nP\u00e9tronille, dont la vie nous a \u00e9t\u00e9 racont\u00e9e par saint Marcel, \u00e9tait la\nfille de l\u2019ap\u00f4tre saint Pierre; et celui-ci, la voyant trop belle,\nobtint de Dieu qu\u2019elle souffr\u00eet de la fi\u00e8vre. Or un jour, comme ses\ndisciples \u00e9taient aupr\u00e8s de lui, Tite lui dit: \u00abToi qui gu\u00e9ris tous les\nmalades, pourquoi ne fais-tu pas que P\u00e9tronille se l\u00e8ve de son lit?\u00bb Et\nPierre lui r\u00e9pondit: \u00abParce que cela me convient ainsi!\u00bb Ce qui ne\nsignifie nullement, d\u2019ailleurs, qu\u2019il n\u2019ait pas eu le moyen de la\ngu\u00e9rir; car, aussit\u00f4t, il lui dit: \u00abL\u00e8ve-toi, P\u00e9tronille, et viens vite\nnous servir!\u00bb La jeune fille, gu\u00e9rie, se leva et vint les servir. Mais,\nquand elle eut fini, son p\u00e8re lui dit: \u00abP\u00e9tronille, retourne dans ton\nlit!\u00bb Elle y retourna, et fut tout de suite reprise de sa fi\u00e8vre. Et\nplus tard, lorsqu\u2019elle commen\u00e7a \u00e0 \u00eatre parfaite dans l\u2019amour de Dieu,\nson p\u00e8re lui rendit la parfaite sant\u00e9.\nAlors un seigneur, nomm\u00e9 Flaccus, frapp\u00e9 de sa beaut\u00e9, vint la demander\nen mariage. Et elle r\u00e9pondit: \u00abSi tu veux m\u2019\u00e9pouser, envoie-moi des\njeunes filles qui me conduisent jusque dans ta maison!\u00bb Mais quand elles\nfurent arriv\u00e9es, P\u00e9tronille se mit \u00e0 je\u00fbner et \u00e0 prier, communia, se\ncoucha dans son lit, et, apr\u00e8s trois jours, rendit son \u00e2me \u00e0 Dieu.\nAlors Flaccus, se voyant d\u00e9\u00e7u, s\u2019adressa \u00e0 une compagne de P\u00e9tronille\nappel\u00e9e F\u00e9licula, la sommant de se marier avec lui ou de se sacrifier\naux idoles. La jeune fille s\u2019\u00e9tant refus\u00e9e \u00e0 faire aucune de ces deux\nchoses, Flaccus la jeta en prison, o\u00f9 elle resta sept jours sans manger\nni boire; puis il ordonna qu\u2019elle f\u00fbt tortur\u00e9e sur un chevalet et que\nson corps f\u00fbt jet\u00e9 \u00e0 la voirie. Saint Nicod\u00e8me en retira ses restes et\nles ensevelit: ce qui lui valut \u00e0 son tour d\u2019\u00eatre emprisonn\u00e9, frapp\u00e9 de\nlani\u00e8res plomb\u00e9es, et jet\u00e9 dans le Tibre, d\u2019o\u00f9 le clerc Juste retira ses\nrestes pour les ensevelir honorablement.\nLXXVII\nSAINT PIERRE L\u2019EXORCISTE, MARTYR\n(2 juin)\nPierre l\u2019exorciste avait \u00e9t\u00e9 mis en prison par un pr\u00e9fet qui pers\u00e9cutait\nles chr\u00e9tiens. Or la fille du ge\u00f4lier de la prison, nomm\u00e9 Arch\u00e9mius,\n\u00e9tait poss\u00e9d\u00e9e d\u2019un d\u00e9mon qui la faisait beaucoup souffrir. Et un jour\nque son p\u00e8re s\u2019en plaignait devant son prisonnier, celui-ci lui dit que,\ns\u2019il voulait croire au Christ, sa fille recouvrerait aussit\u00f4t la sant\u00e9.\nArch\u00e9mius lui r\u00e9pondit: \u00abJe me demande comment ton ma\u00eetre pourrait\ngu\u00e9rir ma fille, tandis qu\u2019il n\u2019a pas m\u00eame le pouvoir de te d\u00e9livrer,\ntoi qui souffres tant pour lui!\u00bb Et Pierre: \u00abMon Dieu a bien le pouvoir\nde me d\u00e9livrer, mais il veut que, par des souffrances passag\u00e8res, nous\nparvenions \u00e0 une gloire \u00e9ternelle.\u00bb Et Arch\u00e9mius: \u00abH\u00e9 bien, je vais te\nmettre une double cha\u00eene: et si ton Dieu te d\u00e9livre, et s\u2019il gu\u00e9rit ma\nfille, je croirai au Christ!\u00bb Or, cette m\u00eame nuit, Pierre, d\u00e9livr\u00e9 de sa\ndouble cha\u00eene, tout v\u00eatu de blanc, et tenant en main une croix, apparut\ndevant Arch\u00e9mius, qui se prosterna \u00e0 ses pieds. Puis, trouvant sa fille\ngu\u00e9rie, le ge\u00f4lier re\u00e7ut le bapt\u00eame avec toute sa maison; et plusieurs\ndes prisonniers, s\u2019\u00e9tant convertis, furent baptis\u00e9s par le pr\u00eatre\nMarcellin. Ce qu\u2019apprenant, le pr\u00e9fet se fit amener tous ces\nprisonniers. Et Arch\u00e9mius, tout en les convoquant et en leur baisant les\nmains, leur dit que ceux qui redouteraient d\u2019aller au martyre pouvaient\ns\u2019enfuir impun\u00e9ment.\nCependant le pr\u00e9fet, apprenant que Marcellin et Pierre avaient baptis\u00e9\nleurs compagnons, les fit mettre tous deux dans des cachots s\u00e9par\u00e9s.\nMarcellin, d\u00e9pouill\u00e9 de ses v\u00eatements, dut s\u2019\u00e9tendre sur du verre bris\u00e9,\navec privation de manger et de boire; Pierre fut enferm\u00e9 au haut d\u2019une\ntour, dans une cellule sans air et sans lumi\u00e8re, o\u00f9 il fut \u00e9galement\ncondamn\u00e9 \u00e0 mourir de faim. Mais un ange vint les d\u00e9livrer l\u2019un et\nl\u2019autre et les reconduisit aupr\u00e8s d\u2019Arch\u00e9mius, leur enjoignant de se\npr\u00e9senter devant le pr\u00e9fet sept jours plus tard, apr\u00e8s avoir, pendant\nces sept jours, r\u00e9confort\u00e9 leurs fr\u00e8res prisonniers. Or le pr\u00e9fet, ne\nles trouvant plus dans leurs cachots, manda Arch\u00e9mius, et, sur son refus\nde sacrifier aux idoles, ordonna qu\u2019il f\u00fbt enterr\u00e9 vif avec sa femme. Et\nles deux saints, \u00e0 cette nouvelle, sortirent de leur cachette,\nrejoignirent Arch\u00e9mius dans son cachot, o\u00f9 saint Marcellin c\u00e9l\u00e9bra la\nmesse, et dirent ensuite aux incr\u00e9dules: \u00abVoyez, nous aurions pu\nd\u00e9livrer Arch\u00e9mius et rester cach\u00e9s; mais nous n\u2019avons voulu faire ni\nl\u2019un ni l\u2019autre!\u00bb Alors les pa\u00efens, irrit\u00e9s, tu\u00e8rent Arch\u00e9mius \u00e0 coups\nd\u2019\u00e9p\u00e9e et lapid\u00e8rent sa femme et sa fille. Quant \u00e0 Marcellin et \u00e0\nPierre, ils eurent la t\u00eate tranch\u00e9e, \u00e0 l\u2019entr\u00e9e d\u2019une for\u00eat qui\naujourd\u2019hui encore porte le nom de \u00abblanche\u00bb, en comm\u00e9moration de leur\nmartyre. Un certain Doroth\u00e9e vit leurs deux \u00e2mes, toutes couvertes de\nsoie \u00e9clatante et de pierreries, \u00eatre emport\u00e9es au ciel par des anges:\nsur quoi lui-m\u00eame devint chr\u00e9tien, et plus tard mourut dans le Seigneur.\nLe martyre des saints Pierre et Marcellin eut lieu sous le r\u00e8gne de\nl\u2019empereur Diocl\u00e9tien.\nLXXVIII\nSAINTE SOPHIE ET SES TROIS FILLES\nMARTYRES[9]\n(4 juin)\n [9] Ce chapitre manque dans plusieurs manuscrits, et pourrait bien\n \u00eatre une interpolation.\nNous allons raconter le martyre de Sophie et de ses trois filles, Foi,\nEsp\u00e9rance et Charit\u00e9. C\u2019est \u00e0 sainte Sophie qu\u2019est consacr\u00e9e la\ncath\u00e9drale de Constantinople.\nCette sainte avait \u00e9lev\u00e9 ses filles sagement dans la crainte de Dieu. La\npremi\u00e8re de ses filles avait onze ans, la seconde dix, et la troisi\u00e8me\nhuit. Etant venue \u00e0 Rome avec elles, et visitant les \u00e9glises tous les\ndimanches, elle fut d\u00e9nonc\u00e9e \u00e0 l\u2019empereur Adrien, qui fut si frapp\u00e9 de\nla beaut\u00e9 des trois vierges qu\u2019il offrit de les adopter comme ses\npropres filles. Mais les trois vierges refusent l\u2019offre et se proclament\nchr\u00e9tiennes. Alors Foi est rou\u00e9e de coups par trente-six soldats. En\nsecond lieu, on lui arrache les mamelles, et des mamelles jaillit du\nsang, et du lait des blessures. Les spectateurs acclament la jeune\nfille, et celle-ci, toute joyeuse, insulte son pers\u00e9cuteur. En troisi\u00e8me\nlieu, elle est mise sur un gril ardent, en quatri\u00e8me lieu plong\u00e9e dans\nun m\u00e9lange d\u2019huile bouillante et de cire. Et comme tout cela ne lui fait\naucun mal, en cinqui\u00e8me lieu on lui tranche la t\u00eate. Vient ensuite le\ntour de sa s\u0153ur Esp\u00e9rance; mais elle, non plus, ne consent pas \u00e0\nsacrifier aux idoles. On la plonge dans un chaudron plein de graisse, de\ncire et de r\u00e9sine. Des gouttes tombant de ce chaudron br\u00fblent les\ninfid\u00e8les, mais la jeune fille ne souffre aucun mal. Enfin, on lui\ntranche la t\u00eate. La troisi\u00e8me fille, encore tout enfant, refuse \u00e0 son\ntour de flatter Adrien et de lui ob\u00e9ir. Le cruel empereur lui fait\nrompre les membres; il la fait fouetter; il la fait jeter dans un four\nenflamm\u00e9 d\u2019o\u00f9 sortent des \u00e9tincelles qui tuent six mille pa\u00efens; mais la\npetite ne souffre aucun mal, et se prom\u00e8ne parmi les flammes comme\nrayonnante d\u2019or. On la perce alors de pointes de fer rouge, et on finit\npar lui trancher la t\u00eate: ainsi elle recueille la couronne du martyre.\nLa sainte m\u00e8re ensevelit pieusement les restes de ses filles, puis, se\ncouchant sur leur tombeau, elle dit: \u00abFilles ch\u00e9ries, prenez-moi pr\u00e8s de\nvous!\u00bb Et aussit\u00f4t elle s\u2019endormit en paix, et fut ensevelie avec ses\nfilles. Et on doit la consid\u00e9rer comme triplement martyre, car elle a\nsouffert de tous les supplices inflig\u00e9s \u00e0 ses trois filles. Quant \u00e0\nl\u2019empereur Adrien, il pourrit vivant et finit par crever, en avouant\nqu\u2019il avait injustement tortur\u00e9 des saintes de Dieu.\nLXXIX\nSAINTS PRIME ET F\u00c9LICIEN, MARTYRS\n(9 juin)\nPrime et F\u00e9licien furent d\u00e9nonc\u00e9s \u00e0 Diocl\u00e9tien par les pr\u00eatres des\ntemples, qui affirmaient ne rien pouvoir obtenir de leurs dieux aussi\nlongtemps que ces deux hommes refuseraient de sacrifier. Tous deux\nfurent alors jet\u00e9s en prison, mais un ange vint les d\u00e9livrer. Ramen\u00e9s\ndevant l\u2019empereur, et comme ils persistaient dans leur foi, ils furent\ncruellement frapp\u00e9s de lani\u00e8res. Apr\u00e8s quoi le pr\u00e9fet dit \u00e0 F\u00e9licien,\nqui \u00e9tait un vieillard, d\u2019avoir \u00e9gard pour son \u00e2ge et de sacrifier aux\ndieux. Mais F\u00e9licien: \u00abSur les quatre-vingts ans que j\u2019ai v\u00e9cus, en\nvoici trente d\u00e9j\u00e0 que j\u2019ai reconnu la v\u00e9rit\u00e9, et choisi de vivre pour\nmon Dieu, qui peut me d\u00e9livrer de tes mains!\u00bb Alors le pr\u00e9fet le fit\nligoter, lui fit enfoncer des clous dans les mains et les pieds, et lui\ndit: \u00abTu resteras ainsi jusqu\u2019\u00e0 ce que tu aies c\u00e9d\u00e9!\u00bb Et comme le saint\ngardait un visage joyeux, il le fit de nouveau torturer et lui refusa\ntoute nourriture. Puis, appelant devant lui saint Prime, qu\u2019il avait\ns\u00e9par\u00e9 de son compagnon, il lui dit: \u00abEcoute, ton fr\u00e8re F\u00e9licien s\u2019est\nsoumis au d\u00e9cret de l\u2019empereur, et il est maintenant en grand honneur au\npalais. Imite donc son exemple!\u00bb Mais Prime: \u00abBien que tu sois fils du\ndiable, tu as dit vrai en partie, lorsque tu as affirm\u00e9 que mon fr\u00e8re\ns\u2019\u00e9tait soumis \u00e0 la volont\u00e9 de l\u2019empereur supr\u00eame, qui est Dieu!\u00bb Le\npr\u00e9fet, furieux, lui fit br\u00fbler les c\u00f4tes, et lui fit verser dans la\nbouche du plomb bouillant, tout cela en pr\u00e9sence de F\u00e9licien qu\u2019il\nesp\u00e9rait effrayer: mais Prime avala le plomb avec d\u00e9lice, comme de l\u2019eau\nfra\u00eeche. Alors le pr\u00e9fet fit lancer sur eux deux lions; mais ceux-ci\ns\u2019\u00e9tendirent aussit\u00f4t \u00e0 leurs pieds et rest\u00e8rent l\u00e0 comme de doux\nagneaux. Des ours, qui furent ensuite l\u00e2ch\u00e9s contre les saints, se\ncomport\u00e8rent de la m\u00eame fa\u00e7on. Et \u00e0 ce spectacle assistaient plus de\ndouze mille personnes, dont cinq cents se convertirent au Seigneur.\nEnfin le pr\u00e9fet fit trancher la t\u00eate aux deux saints, et ordonna que\nleurs corps fussent jet\u00e9s en p\u00e2ture aux chiens et aux oiseaux. Mais\nceux-ci n\u2019os\u00e8rent y toucher, et les deux corps, recueillis par les\nchr\u00e9tiens, furent pieusement ensevelis.\nLXXX\nSAINT BARNAB\u00c9, AP\u00d4TRE\n(11 juin)\nLe l\u00e9vite Barnab\u00e9, originaire de Chypre, \u00e9tait un des soixante-deux\ndisciples du Seigneur. On trouve son nom tr\u00e8s souvent cit\u00e9 dans les\n_Actes des Ap\u00f4tres_, qui nous racontent ses voyages avec saint Paul, ses\npr\u00e9dications et ses miracles. Le m\u00eame livre nous apprend encore comment\nBarnab\u00e9 s\u2019est s\u00e9par\u00e9 de saint Paul. Un de leurs disciples, Jean,\nsurnomm\u00e9 Marc, les avait quitt\u00e9s. Lorsqu\u2019il revint, plein de repentir,\nBarnab\u00e9 lui pardonna et consentit \u00e0 le reprendre pour disciple, tandis\nque Paul, au contraire, s\u2019y refusa. En quoi tous deux agirent par\nintention pieuse: car Barnab\u00e9 pardonna par charit\u00e9 chr\u00e9tienne, et\nl\u2019inflexibilit\u00e9 de Paul lui fut command\u00e9e par la rigueur de sa justice.\nEt, d\u2019ailleurs, cette s\u00e9paration des deux saints fut sans doute inspir\u00e9e\nd\u2019en haut, afin que, s\u2019\u00e9tant s\u00e9par\u00e9s, ils pussent pr\u00eacher \u00e0 un plus\ngrand nombre de gens. Comme Barnab\u00e9 se trouvait dans la ville d\u2019Icone,\nle susdit Jean, son compagnon, vit appara\u00eetre un homme au visage\nresplendissant, qui lui dit: \u00abJean, sois ferme dans ta foi, car bient\u00f4t\ntu ne t\u2019appelleras plus Jean, mais Sublime!\u00bb Le disciple rapporta cette\nvision \u00e0 son ma\u00eetre qui lui dit: \u00abNe r\u00e9v\u00e8le \u00e0 personne ce que tu viens\nde voir, car, \u00e0 moi aussi, le Seigneur est apparu cette nuit, m\u2019a\nordonn\u00e9 d\u2019\u00eatre ferme, et m\u2019a promis que bient\u00f4t je recueillerais les\nr\u00e9compenses \u00e9ternelles!\u00bb Et, la m\u00eame nuit encore, saint Paul, qui\npr\u00eachait \u00e9galement \u00e0 Antioche, vit en r\u00eave un ange qui lui dit:\n\u00abH\u00e2te-toi de te rendre \u00e0 J\u00e9rusalem!\u00bb Et comme Barnab\u00e9 voulait se rendre\ndans l\u2019\u00eele de Chypre, pour revoir encore ses parents, et que Paul se\npr\u00e9parait au voyage de J\u00e9rusalem, l\u2019Esprit-Saint fit qu\u2019ils purent se\ndire adieu de la fa\u00e7on suivante. Paul ayant r\u00e9p\u00e9t\u00e9 \u00e0 Barnab\u00e9 ce que lui\navait dit l\u2019ange, Barnab\u00e9 r\u00e9pondit: \u00abQue la volont\u00e9 de Dieu soit faite!\nQuant \u00e0 moi, je vais en Chypre pour y finir ma vie: de telle sorte que\nje ne te reverrai plus!\u00bb Puis il se jeta en pleurant aux pieds de saint\nPaul; et celui-ci, plein de compassion, lui dit: Ne pleure pas, car\nc\u2019est aussi la volont\u00e9 de Dieu que tu ailles en Chypre. L\u2019ange, en\neffet, m\u2019a dit cette nuit de ne point m\u2019opposer \u00e0 ton d\u00e9part, attendu\nqu\u2019en Chypre tu op\u00e9rerais de nombreux miracles, et recevrais la couronne\ndu martyre.\u00bb\nBarnab\u00e9 se rendit donc en Chypre avec Jean. Il avait emport\u00e9 avec lui\nl\u2019Evangile de saint Matthieu: et, en posant cet \u00e9vangile sur la t\u00eate des\nmalades, il en gu\u00e9rissait un grand nombre, avec l\u2019aide de Dieu. Comme\nils sortaient de Chypre, ils rencontr\u00e8rent le mage Elymas, que saint\nPaul avait priv\u00e9, pour un temps, de l\u2019usage de ses yeux. Cet homme barra\nle passage aux deux chr\u00e9tiens, et les emp\u00eacha d\u2019entrer \u00e0 Paphos. Mais un\njour, devant les murs de cette ville, Barnab\u00e9 vit une foule d\u2019hommes et\nde femmes qui c\u00e9l\u00e9braient une f\u00eate, en courant tout nus. Il en fut si\nindign\u00e9 qu\u2019il maudit le temple de ces pa\u00efens; et aussit\u00f4t ce temple\ns\u2019\u00e9croula, \u00e9crasant dans sa chute bon nombre de pa\u00efens.\nEnfin, Barnab\u00e9 se rendit \u00e0 Salamine, o\u00f9 le susdit Elymas souleva une\ns\u00e9dition contre lui. Les Juifs de la ville s\u2019empar\u00e8rent du saint,\nl\u2019accabl\u00e8rent d\u2019injures, et le livr\u00e8rent au juge, en r\u00e9clamant qu\u2019il f\u00fbt\nch\u00e2ti\u00e9. Quelque temps apr\u00e8s, on apprit la prochaine arriv\u00e9e \u00e0 Salamine\nd\u2019un certain Eus\u00e8be, homme tr\u00e8s influent, de la famille de N\u00e9ron. Alors\nles Juifs, craignant que ce haut fonctionnaire n\u2019arrach\u00e2t de leurs mains\nBarnab\u00e9 pour lui rendre la libert\u00e9, s\u2019empress\u00e8rent de lui passer une\ncorde au cou, de le tra\u00eener ainsi hors de la ville, et l\u00e0, aussit\u00f4t, de\nle br\u00fbler vif. Puis ces impies, ne se trouvant pas encore rassasi\u00e9s,\nenferm\u00e8rent les os du saint dans un vase de plomb, qu\u2019ils r\u00e9solurent de\nlancer \u00e0 la mer. Mais Jean, son compagnon, s\u2019\u00e9tant lev\u00e9 de nuit, avec\ndeux autres de ses disciples, s\u2019empar\u00e8rent de ses reliques, et les\nensevelirent secr\u00e8tement dans une crypte, o\u00f9 elles demeur\u00e8rent ignor\u00e9es\njusque vers l\u2019an 500, sous le r\u00e8gne de Z\u00e9non et le pontificat de G\u00e9lase.\nA cette date, elles r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent elles-m\u00eames leur pr\u00e9sence, et furent\nainsi d\u00e9couvertes. Ajoutons que saint Doroth\u00e9e affirme que saint\nBarnab\u00e9, avant de venir \u00e0 Antioche, a pr\u00each\u00e9 \u00e0 Rome et a \u00e9t\u00e9 \u00e9lu \u00e9v\u00eaque\nde Milan.\nLXXXI\nSAINT BASILE, \u00c9V\u00caQUE ET DOCTEUR\n(14 juin)\nI. Saint Basile, dont la vie a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite par Amphiloque, \u00e9v\u00eaque\nd\u2019Icone, \u00e9tait un \u00e9v\u00eaque v\u00e9n\u00e9rable et un \u00e9minent docteur; et \u00e0 quel\ndegr\u00e9 de saintet\u00e9 il s\u2019\u00e9tait \u00e9lev\u00e9, c\u2019est ce que put apprendre, dans une\nvision, certain ermite nomm\u00e9 Ephrem. Cet Ephrem, \u00e9tant en extase, vit\nune colonne de feu dont le sommet touchait au ciel, et il entendit une\nvoix qui disait, d\u2019en haut: \u00abBasile est grand comme cette colonne!\u00bb\nL\u2019ermite se rendit donc \u00e0 la ville, le jour de l\u2019Epiphanie, d\u00e9sireux de\nconna\u00eetre un si grand homme. Mais, en voyant l\u2019\u00e9v\u00eaque rev\u00eatu de l\u2019\u00e9tole\nblanche et occup\u00e9 \u00e0 officier au milieu de la troupe de son clerg\u00e9, il se\ndit: \u00abSans doute je me serai d\u00e9rang\u00e9 en vain; car, pour vivre entour\u00e9 de\ntels honneurs, cet homme n\u2019est certainement pas le saint que je pensais.\nJe ne puis croire qu\u2019un homme qui vit entour\u00e9 de tels honneurs soit\nregard\u00e9 au ciel comme une colonne de feu, de pr\u00e9f\u00e9rence \u00e0 nous, qui\nportons le poids des saisons dans nos ermitages!\u00bb Mais Basile, devinant\nsa pens\u00e9e, le fit venir en sa pr\u00e9sence; et Ephrem vit alors qu\u2019une\nlangue de feu \u00e9tait dans sa bouche, et il lui dit: \u00abOui, Basile, tu es\nvraiment grand, oui, Basile, tu es vraiment une colonne de feu, et c\u2019est\nvraiment l\u2019Esprit-Saint qui parle par ta bouche!\u00bb Et il dit encore \u00e0\nl\u2019\u00e9v\u00eaque: \u00abJe t\u2019en prie, saint p\u00e8re, obtiens pour moi que je parle\ngrec!\u00bb Et Basile: \u00abQuelle \u00e9trange chose tu souhaites l\u00e0!\u00bb Mais il pria\npour lui, et aussit\u00f4t Ephrem sut parler la langue grecque.\nII. Un autre ermite, voyant Basile officier dans son \u00e9glise en habit\npontifical, le m\u00e9prisa, car il s\u2019imaginait que cette pompe plaisait \u00e0\nl\u2019\u00e9v\u00eaque. Mais voici qu\u2019il entendit une voix qui lui disait: \u00abTu prends\nplus de plaisir \u00e0 caresser le dos de ta chatte, dans ton ermitage, que\nBasile n\u2019en prend \u00e0 vivre dans l\u2019appareil de sa dignit\u00e9!\u00bb\nIII. L\u2019empereur Valens, qui favorisait les ariens, leur donna une \u00e9glise\nqu\u2019il enleva aux catholiques. Alors Basile vint le trouver et lui dit:\n\u00abSire, il est \u00e9crit que l\u2019honneur du roi aime la justice. Pourquoi donc\nas-tu consenti \u00e0 ce que les catholiques fussent d\u00e9pouill\u00e9s de leur\n\u00e9glise au profit des ariens?\u00bb Et l\u2019empereur: \u00abVoici de nouveau que tu\nviens m\u2019injurier, Basile! cela n\u2019est pas digne de toi!\u00bb Mais Basile: \u00abIl\nest digne de moi de mourir m\u00eame, au besoin, pour la justice!\u00bb Alors\nD\u00e9mosth\u00e8ne, pr\u00e9fet de la table imp\u00e9riale et partisan des ariens, se mit\n\u00e0 l\u2019invectiver. Et Basile lui dit: \u00abMon ami, ton affaire est de faire\ncuire les poulets de l\u2019empereur, et non pas de faire cuire les dogmes\ndivins!\u00bb Sur quoi le garde-bouche se tut, plein de confusion. Et\nl\u2019empereur dit: \u00abBasile, va et sois arbitre entre les deux partis, mais\nne te laisse pas entra\u00eener par ton amour excessif du peuple!\u00bb Alors\nBasile se rendit \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 catholiques et ariens \u00e9taient\nrassembl\u00e9s, fit fermer les portes de l\u2019\u00e9glise, et ordonna \u00e0 chacun des\ndeux partis de les sceller de son sceau, ajoutant que l\u2019\u00e9glise devrait\nappartenir au parti qui, par ses pri\u00e8res, parviendrait \u00e0 l\u2019ouvrir. Sur\nquoi, tous s\u2019\u00e9tant mis d\u2019accord, les ariens pri\u00e8rent durant trois jours\net trois nuits, et vinrent ensuite voir les portes de l\u2019\u00e9glise; mais\ncelles-ci restaient ferm\u00e9es. Alors Basile conduisit son clerg\u00e9 en\nprocession jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9glise; et l\u00e0, apr\u00e8s avoir pri\u00e9, du bout de son\nb\u00e2ton pastoral il toucha les portes, en leur enjoignant de s\u2019ouvrir. Et\naussit\u00f4t les portes s\u2019ouvrirent; et l\u2019\u00e9glise fut restitu\u00e9e aux\ncatholiques.\nIV. L\u2019_Histoire tripartite_ raconte que l\u2019empereur promit de grandes\nr\u00e9compenses \u00e0 Basile s\u2019il voulait se convertir \u00e0 l\u2019arianisme. Mais\nl\u2019\u00e9v\u00eaque: \u00abSeul un enfant pourrait se rendre \u00e0 de telles raisons; car,\npour peu qu\u2019on ait pratiqu\u00e9 les sciences divines, on sait que les dogmes\nde la foi ne souffrent pas qu\u2019on alt\u00e8re la moindre de leurs syllabes!\u00bb\nAlors l\u2019empereur voulut \u00e9crire la sentence d\u2019exil de l\u2019\u00e9v\u00eaque; mais, \u00e0\ntrois reprises, la plume se brisa entre ses doigts; et, \u00e0 la troisi\u00e8me\nreprise, sa main fut saisie d\u2019un grand tremblement; et l\u2019empereur,\nhonteux de lui-m\u00eame, renon\u00e7a \u00e0 son projet.\nV. Un saint homme nomm\u00e9 H\u00e9radius avait une fille unique, qu\u2019il voulait\nconsacrer au Seigneur. Mais le diable, dans sa haine du genre humain,\nenflamma d\u2019un grand amour pour la jeune fille un des esclaves du susdit\nH\u00e9radius. Et l\u2019esclave, voyant que c\u2019\u00e9tait chose impossible pour lui\nd\u2019\u00eatre admis \u00e0 partager la couche d\u2019une si noble jeune fille, vint\ntrouver un sorcier et lui promit beaucoup d\u2019argent s\u2019il voulait l\u2019aider.\nEt le sorcier lui dit: \u00abJe ne puis rien pour toi; mais, si tu veux, je\nt\u2019enverrai vers le diable, mon ma\u00eetre; et si tu fais ce qu\u2019il te dira,\ntu obtiendras ton d\u00e9sir.\u00bb Et le jeune homme dit: \u00abJe suis pr\u00eat \u00e0 tout\npour avoir cette jeune fille!\u00bb Alors le sorcier l\u2019envoya vers le diable\navec une lettre, en lui disant: \u00abRends-toi, \u00e0 l\u2019heure de minuit, sur le\ntombeau d\u2019un pa\u00efen, et, l\u00e0, invoque les d\u00e9mons en \u00e9levant en l\u2019air la\nlettre que voici!\u00bb Le jeune homme fit tout cela, et bient\u00f4t il vit\nappara\u00eetre le prince des t\u00e9n\u00e8bres, entour\u00e9 d\u2019une foule de d\u00e9mons; et\nSatan, ayant lu la lettre, lui dit: \u00abCrois-tu en moi, toi qui veux que\nj\u2019accomplisse ta volont\u00e9?\u00bb L\u2019esclave r\u00e9pondit: \u00abSeigneur, je crois en\ntoi!\u00bb Et le diable: \u00abEt renies-tu ton ancien ma\u00eetre le Christ?\u00bb Et\nl\u2019esclave: \u00abJe le renie!\u00bb Mais le diable lui dit: \u00abC\u2019est que vous\nautres, les chr\u00e9tiens, vous \u00eates des perfides! Quand vous avez besoin de\nmoi, vous venez \u00e0 moi; et, quand ensuite vous avez obtenu ce que vous\nd\u00e9siriez, aussit\u00f4t vous me reniez de nouveau pour vous retourner vers\nvotre Christ, qui, avec son indulgence ordinaire, ne manque jamais \u00e0\nvous accueillir. Mais toi, si tu veux que j\u2019accomplisse ton d\u00e9sir, tu\nauras \u00e0 m\u2019\u00e9crire de ta propre main un papier o\u00f9 tu reconna\u00eetras que tu\nrenonces au Christ, au bapt\u00eame, et \u00e0 la foi chr\u00e9tienne, pour devenir mon\nserviteur.\u00bb L\u2019esclave \u00e9crivit aussit\u00f4t le papier et le donna au diable.\nAlors celui-ci manda devant lui ceux de ses d\u00e9mons qui \u00e9taient pr\u00e9pos\u00e9s\n\u00e0 la luxure: il leur ordonna de s\u2019approcher de la fille d\u2019H\u00e9radius et de\nlui inspirer l\u2019amour du jeune esclave. Et les d\u00e9mons y r\u00e9ussirent si\nbien que la jeune fille, se roulant \u00e0 terre, suppliait son p\u00e8re d\u2019une\nvoix lamentable: \u00abAie piti\u00e9 de moi, p\u00e8re, aie piti\u00e9 de moi, car je\nsouffre cruellement \u00e0 cause de l\u2019amour que j\u2019\u00e9prouve pour un de nos\nesclaves! Montre-moi ta tendresse paternelle, et permets-moi de m\u2019unir \u00e0\nce jeune homme, que j\u2019aime! Et, si tu t\u2019y refuses, bient\u00f4t tu me verras\nmourir, et tu en seras responsable au jour du jugement!\u00bb Le p\u00e8re \u00e9tait\nd\u00e9sol\u00e9. Il disait: \u00abMalheureux que je suis! Qu\u2019est-il arriv\u00e9 \u00e0 ma pauvre\nfille? Qui m\u2019a d\u00e9rob\u00e9 mon tr\u00e9sor? Qui a \u00e9teint la douce lumi\u00e8re de mes\nyeux? Ma fille, je voulais te donner pour femme \u00e0 l\u2019\u00e9poux c\u00e9leste, et\nj\u2019esp\u00e9rais avoir ainsi mon salut gr\u00e2ce \u00e0 toi! Et toi, voici que la\nluxure amoureuse t\u2019a rendue folle! Permets-moi, ma ch\u00e8re fille, de\nt\u2019unir au Seigneur suivant mon projet!\u00bb Mais la jeune fille continuait \u00e0\ncrier que, si son p\u00e8re n\u2019accomplissait pas son d\u00e9sir, elle mourrait de\nchagrin. Et elle pleurait am\u00e8rement, et d\u00e9lirait, de telle sorte que son\np\u00e8re, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, sur le conseil de ses amis, c\u00e9da \u00e0 son d\u00e9sir et la\nmaria avec l\u2019esclave, apr\u00e8s lui avoir l\u00e9gu\u00e9 tous ses biens. Mais bient\u00f4t\ndes voisins dirent \u00e0 la jeune femme que son mari n\u2019entrait jamais \u00e0\nl\u2019\u00e9glise, ne faisait jamais le signe de la croix, ne priait jamais, et,\nsans doute, n\u2019\u00e9tait pas chr\u00e9tien. La jeune femme, entendant cela, fut\n\u00e9pouvant\u00e9e. Elle rapporta la chose \u00e0 son mari; et, comme celui-ci\naffectait de ne point prendre au s\u00e9rieux ces accusations, elle lui dit:\n\u00abSi tu veux que je te croie, tu entreras demain \u00e0 l\u2019\u00e9glise avec moi!\u00bb\nAlors le mari, ne pouvant pas dissimuler davantage, lui raconta toute\nson aventure, dont elle fut boulevers\u00e9e; et, tout en larmes, elle courut\nraconter \u00e0 saint Basile ce qui \u00e9tait arriv\u00e9 \u00e0 son mari et \u00e0 elle.\nAlors le saint fit venir le mari, lui fit tout avouer, et lui dit: \u00abCher\nfils, veux-tu revenir \u00e0 Dieu?\u00bb Et le jeune homme: \u00abAh! mon p\u00e8re, je le\nvoudrais de tout mon c\u0153ur, mais je ne le puis, car je me suis livr\u00e9 au\ndiable, et ai reni\u00e9 le Christ, et ai donn\u00e9 au diable un papier o\u00f9 j\u2019ai\n\u00e9crit mon reniement, de ma propre main!\u00bb Et Basile: \u00abNe t\u2019en fais point\nde souci! J\u00e9sus est bon: il t\u2019admettra \u00e0 faire p\u00e9nitence!\u00bb Puis,\ns\u2019approchant du jeune homme, il lui fit au front le signe de la croix,\net l\u2019enferma dans une cellule, o\u00f9 il revint le voir trois jours apr\u00e8s.\nEt il lui demanda comment il se trouvait. Et le jeune homme: \u00abSeigneur,\nje suis bien en peine, car les diables, tenant en main mon papier,\nm\u2019invectivent jour et nuit en me disant: C\u2019est toi qui es venu nous\ntrouver, et non pas nous qui sommes all\u00e9s te chercher!\u00bb Alors saint\nBasile lui dit: \u00abMon fils, ne crains rien, mais aie seulement la foi!\u00bb\nPuis il lui donna un peu de nourriture, fit de nouveau sur lui le signe\nde la croix, l\u2019enferma de nouveau, et pria pour lui. Revenant le voir,\nquelques jours apr\u00e8s, il lui demanda comment il se trouvait. Le jeune\nhomme r\u00e9pondit: \u00abMon p\u00e8re, j\u2019entends toujours leurs cris et leurs\nreproches, mais du moins je ne les vois plus!\u00bb Et de nouveau l\u2019\u00e9v\u00eaque\nlui donna de la nourriture, fit sur lui le signe de la croix, l\u2019enferma,\net pria pour lui. Le quaranti\u00e8me jour, il lui demanda une troisi\u00e8me fois\ncomment il se trouvait. Et le jeune homme: \u00abJe me trouve tr\u00e8s bien, mon\nsaint p\u00e8re, car aujourd\u2019hui je t\u2019ai vu, en r\u00eave, combattant pour moi et\nvainquant le diable!\u00bb\nAlors Basile le fit sortir de sa cellule, le recommanda aux pri\u00e8res de\nson clerg\u00e9, des moines et du peuple; puis, le prenant par la main, il le\nconduisit vers l\u2019\u00e9glise. Or le diable, avec la troupe des d\u00e9mons,\naccourut, et, tout en restant invisibles, ils saisirent le jeune homme\net s\u2019efforc\u00e8rent de l\u2019arracher des mains de l\u2019\u00e9v\u00eaque. Et Satan, toujours\ninvisible, disait, d\u2019une voix si haute que chacun pouvait l\u2019entendre:\n\u00abBasile, tu me fais tort! Cet homme m\u2019appartient! Et ce n\u2019est pas moi\nqui suis all\u00e9 le chercher: il est venu \u00e0 moi de son plein gr\u00e9, s\u2019est\noffert \u00e0 moi et a reni\u00e9 le Christ. J\u2019ai l\u00e0, dans ma main, l\u2019\u00e9crit qu\u2019il\nm\u2019a sign\u00e9!\u00bb Mais Basile lui r\u00e9pondit: \u00abNous ne cesserons pas de prier,\njusqu\u2019\u00e0 ce que tu nous aies rendu cet \u00e9crit!\u00bb Et comme Basile priait,\nles mains lev\u00e9es au ciel, voici qu\u2019une feuille de papier, traversant les\nairs, tomba dans ses mains au vu de tous. Et Basile la montra au jeune\nhomme, en lui disant: \u00abFr\u00e8re, reconnais-tu cette \u00e9criture?\u00bb Et le jeune\nhomme: \u00abCertes, car elle vient de ma propre main!\u00bb Alors Basile, apr\u00e8s\navoir d\u00e9chir\u00e9 le papier, fit entrer le jeune homme dans l\u2019\u00e9glise,\nl\u2019initia aux saints myst\u00e8res, lui imposa une r\u00e8gle de vie, et le rendit\n\u00e0 sa femme.\nVI. Certaine femme qui avait sur la conscience beaucoup de p\u00e9ch\u00e9s, en\navait \u00e9crit la liste; et comme, un jour, elle avait commis un p\u00e9ch\u00e9 plus\ngrave que tous les autres, elle l\u2019inscrivit aussi dans sa liste; apr\u00e8s\nquoi elle remit sa liste \u00e0 saint Basile en lui demandant de prier pour\nque ses p\u00e9ch\u00e9s lui fussent remis. Le saint pria, et la femme, rouvrant\nle papier, vit que tous ses p\u00e9ch\u00e9s \u00e9taient effac\u00e9s de la liste, \u00e0\nl\u2019exception du plus grave d\u2019entre eux. Elle dit alors au saint: \u00abAie\npiti\u00e9 de moi, et obtiens la mis\u00e9ricorde de Dieu pour ce p\u00e9ch\u00e9-l\u00e0, comme\ntu l\u2019as obtenue pour tous les autres!\u00bb Et Basile lui dit: \u00abH\u00e9las, ma\ns\u0153ur, je ne suis qu\u2019un p\u00e9cheur comme toi, et j\u2019ai moi-m\u00eame besoin\nd\u2019indulgence, au moins autant que toi!\u00bb Mais comme la femme insistait,\nil lui dit: \u00abVa trouver le saint ermite Ephrem! Celui-l\u00e0, sans doute,\npourra obtenir ce que tu demandes.\u00bb Et la femme alla \u00e0 l\u2019ermite Ephrem,\net lui dit pourquoi Basile l\u2019envoyait \u00e0 lui. Mais l\u2019ermite r\u00e9pondit:\n\u00abH\u00e9las, ma fille, je ne suis qu\u2019un pauvre p\u00e9cheur! Retourne vers Basile!\nIl a d\u00e9j\u00e0 obtenu pour toi le pardon de tes autres p\u00e9ch\u00e9s: il obtiendra\nbien encore le pardon de celui-l\u00e0! Mais h\u00e2te-toi, si tu veux le trouver\nen vie!\u00bb Et, au moment o\u00f9 la femme rentrait en ville, voici qu\u2019on\nportait au cimeti\u00e8re le corps du saint. Alors la femme s\u2019\u00e9cria: \u00abQue\nDieu nous voie et qu\u2019il juge entre moi et toi, car tu m\u2019as envoy\u00e9e vers\nun homme qui ne pouvait rien pour moi, tandis que tu avais toi-m\u00eame le\npouvoir de me gagner le pardon du ciel!\u00bb Alors elle jeta sur le cercueil\nle papier o\u00f9 \u00e9tait \u00e9crit son p\u00e9ch\u00e9; et quand on reprit le papier, on vit\nque le dernier p\u00e9ch\u00e9 avait \u00e9t\u00e9 effac\u00e9, comme tous les autres.\nVII. Au moment o\u00f9 il sentait qu\u2019il allait mourir, saint Basile appela\npr\u00e8s de lui un savant m\u00e9decin juif nomm\u00e9 Joseph, qu\u2019il aimait beaucoup,\net qu\u2019il aurait voulu convertir \u00e0 la foi du Christ. Et Joseph, lui ayant\nt\u00e2t\u00e9 le pouls, reconnut que l\u2019heure de mourir \u00e9tait venue pour lui. Il\ndit donc aux serviteurs de l\u2019\u00e9v\u00eaque: \u00abPr\u00e9parez ce qui est n\u00e9cessaire \u00e0\nsa s\u00e9pulture, car il va mourir d\u2019un instant \u00e0 l\u2019autre!\u00bb Mais Basile,\nl\u2019ayant entendu, lui dit: \u00abTu ne sais pas ce que tu dis!\u00bb Et Joseph:\n\u00abSeigneur, je ne me trompe pas! Bient\u00f4t le soleil va se coucher, et toi\naussi tu t\u2019\u00e9teindras avec le soleil.\u00bb Alors Basile: \u00abEt que diras-tu si\nje ne meurs pas aujourd\u2019hui?\u00bb Et Joseph: \u00abSeigneur, c\u2019est impossible!\u00bb\nEt Basile: \u00abMais si cependant, je survis jusqu\u2019\u00e0 la sixi\u00e8me heure de\ndemain, que feras-tu?\u00bb Et Joseph: \u00abSi tu survis jusqu\u2019\u00e0 cette heure-l\u00e0,\nje consens moi-m\u00eame \u00e0 mourir!\u00bb Et Basile: \u00abConsens seulement \u00e0 mourir au\np\u00e9ch\u00e9, pour vivre dans le Christ!\u00bb Et Joseph: \u00abSeigneur, je comprends ce\nque tu veux dire: et si tu survis jusqu\u2019\u00e0 la sixi\u00e8me heure de demain, je\nferai ce que tu m\u2019engages \u00e0 faire!\u00bb Alors saint Basile, qui, suivant la\nnature, devait mourir en ce jour, obtint de Dieu que la mort l\u2019\u00e9pargn\u00e2t\njusqu\u2019au lendemain. Et Joseph, voyant qu\u2019il ne mourait pas, en fut\n\u00e9merveill\u00e9, et crut au Christ. Sur quoi Basile, trouvant dans son \u00e2me la\nforce de vaincre la faiblesse de son corps, se leva de son lit, entra\ndans l\u2019\u00e9glise, et baptisa Joseph de sa propre main; puis il revint\ns\u2019\u00e9tendre sur son lit, et aussit\u00f4t rendit doucement son \u00e2me \u00e0 Dieu. Ce\ngrand saint florissait vers l\u2019an du Seigneur 370.\nLXXXII\nSAINTS VIT ET MODESTE, MARTYRS\n(15 juin)\nVit, enfant admirable, n\u2019avait que douze ans lorsqu\u2019il souffrit le\nmartyre, en Sicile. D\u00e9j\u00e0 dans sa maison son p\u00e8re avait coutume de le\nbattre, parce qu\u2019il m\u00e9prisait les idoles et se refusait \u00e0 les adorer: ce\nqu\u2019apprenant, le pr\u00e9fet Val\u00e9rien manda l\u2019enfant devant lui, et, sur son\nrefus de sacrifier, le fit frapper de verges. Mais aussit\u00f4t les bras de\nceux qui frappaient, et la main m\u00eame du pr\u00e9fet, s\u00e9ch\u00e8rent. Et le pr\u00e9fet\nde crier: \u00abMalheur \u00e0 moi, j\u2019ai perdu la main droite!\u00bb Alors Vit lui dit:\n\u00abAppelle tes dieux, et qu\u2019ils te gu\u00e9rissent s\u2019ils le peuvent!\u00bb Et le\npr\u00e9fet: \u00abPr\u00e9tends-tu que tu aurais le pouvoir de me gu\u00e9rir?\u00bb Et Vit:\n\u00abOui, j\u2019ai ce pouvoir au nom du Seigneur!\u00bb Et aussit\u00f4t, sur la pri\u00e8re de\nl\u2019enfant, le pr\u00e9fet et les bourreaux recouvr\u00e8rent l\u2019usage de leurs bras.\nSur quoi le pr\u00e9fet dit au p\u00e8re de Vit: \u00abEmm\u00e8ne ton fils, de crainte\nqu\u2019il ne lui arrive malheur!\u00bb\nAlors son p\u00e8re, l\u2019ayant ramen\u00e9 dans sa maison, essaya de le corrompre\npar de belles musiques, et des jeux de jeunes filles, et d\u2019autres\nd\u00e9lices. Mais, un jour qu\u2019il l\u2019avait enferm\u00e9 dans sa chambre, une odeur\nmerveilleuse sortit de cette chambre et parvint jusqu\u2019\u00e0 lui: sur quoi,\nregardant par la porte de la chambre, il aper\u00e7ut sept anges debout\naupr\u00e8s de son fils. Il s\u2019\u00e9cria: \u00abLes dieux sont venus dans ma maison!\u00bb\nEt aussit\u00f4t il devint aveugle.\nA ses cris, toute la ville accourut et notamment Val\u00e9rien, qui lui\ndemanda ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9. Et lui: \u00abJ\u2019ai vu des dieux de feu, et\nje n\u2019ai pu supporter leur vue!\u00bb Conduit au temple de Jupiter, il promit,\nsi ses yeux se rouvraient, d\u2019offrir un taureau avec des cornes dor\u00e9es.\nPuis, comme cette promesse restait sans effet, il implora son fils de\nlui rendre la vue, et, sur la pri\u00e8re de l\u2019enfant, ses yeux se\nrouvrirent.\nMais comme ce miracle m\u00eame ne parvenait pas \u00e0 le convaincre, et qu\u2019il\nsongeait au contraire \u00e0 tuer son fils, un ange apparut \u00e0 Modeste,\nprofesseur de l\u2019enfant, et lui ordonna, de faire monter celui-ci dans\nune barque pour le conduire vers une autre terre. En mer, un aigle\nvenait leur apporter leur nourriture; et nombreux furent les miracles\nqu\u2019ils accomplirent, dans les diverses r\u00e9gions o\u00f9 ils abord\u00e8rent.\nOr le fils de l\u2019empereur Diocl\u00e9tien fut poss\u00e9d\u00e9 d\u2019un d\u00e9mon qui d\u00e9clara\nqu\u2019il ne sortirait point si l\u2019on ne faisait venir Vit le Lucanien. On se\nmit donc \u00e0 chercher Vit; et, quand il fut d\u00e9couvert, Diocl\u00e9tien lui dit:\n\u00abEnfant, as-tu vraiment le pouvoir de gu\u00e9rir mon enfant?\u00bb Et Vit: \u00abJe\nn\u2019ai pas ce pouvoir, mais mon Ma\u00eetre l\u2019a!\u00bb Et il imposa les mains sur\nl\u2019enfant poss\u00e9d\u00e9, et aussit\u00f4t le d\u00e9mon s\u2019enfuit. Alors Diocl\u00e9tien lui\ndit: \u00abEnfant, aie piti\u00e9 de toi-m\u00eame et sacrifie aux dieux, pour \u00e9chapper\n\u00e0 une mort terrible!\u00bb Vit, s\u2019y \u00e9tant refus\u00e9, fut jet\u00e9 en prison avec\nModeste. Mais soudain leurs cha\u00eenes tomb\u00e8rent, et leur cachot s\u2019emplit\nd\u2019une lumi\u00e8re \u00e9blouissante. Ce qu\u2019apprenant, l\u2019empereur les fit plonger\ndans de la poix bouillante: mais ils en sortirent sans avoir aucun mal.\nPuis un lion farouche fut l\u00e2ch\u00e9 sur eux; mais la b\u00eate, vaincue par la\nvertu de leur foi, s\u2019\u00e9tendit \u00e0 leurs pieds. Enfin Diocl\u00e9tien fit\nsuspendre l\u2019enfant \u00e0 un chevalet, ainsi que son professeur Modeste et sa\nnourrice Crescence, qui toujours l\u2019avait accompagn\u00e9. Mais aussit\u00f4t l\u2019air\nse trouble, la terre tremble, le tonnerre mugit, les temples des idoles\ns\u2019\u00e9croulent, \u00e9crasant nombre de pa\u00efens. Et l\u2019empereur, fuyant \u00e9pouvant\u00e9,\nse frappait de ses poings, et disait: \u00abMalheur \u00e0 moi, qu\u2019un enfant a\nvaincu!\u00bb Quant aux trois martyrs, ils se retrouv\u00e8rent, d\u00e8s l\u2019instant\nd\u2019apr\u00e8s, au bord d\u2019un fleuve; et c\u2019est l\u00e0 que, apr\u00e8s avoir pri\u00e9, ils\nrendirent leurs \u00e2mes au Seigneur. Des aigles se charg\u00e8rent de veiller\nsur leurs corps jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019une matrone, appel\u00e9e Florence, les ayant\nretrouv\u00e9s, les ensevelit avec grand honneur.\nLXXXIII\nSAINT CYR ET SA M\u00c8RE SAINTE JULITE, MARTYRS\n(15 juin)\nCyr \u00e9tait fils de Julite, noble dame d\u2019Icone, qui, pour \u00e9chapper \u00e0 la\npers\u00e9cution, s\u2019\u00e9tait r\u00e9fugi\u00e9e \u00e0 Tarse, en Cilicie, avec son enfant alors\n\u00e2g\u00e9 de trois ans. Julite fut amen\u00e9e devant le pr\u00e9fet Alexandre: et ses\ndeux servantes, la voyant prise, s\u2019enfuirent aussit\u00f4t, de telle sorte\nqu\u2019elle eut \u00e0 porter dans ses bras le petit Cyr, encore emmaillott\u00e9 dans\nses langes. Or le pr\u00e9fet, voyant que Julite refusait de sacrifier aux\nidoles, lui \u00f4ta son enfant des bras, et la fit battre de lani\u00e8res\nplomb\u00e9es. Et l\u2019enfant, assistant au supplice de sa m\u00e8re, se mit \u00e0\npleurer et \u00e0 pousser des cris. En vain le pr\u00e9fet, le tenant sur ses\ngenoux, essayait de le s\u00e9duire par des baisers et des caresses: le petit\nrepoussait avec horreur ces caresses du bourreau de sa m\u00e8re, et lui\nlac\u00e9rait le visage de ses ongles, et r\u00e9p\u00e9tait, de sa voix d\u2019enfant: \u00abMoi\naussi, je suis chr\u00e9tien!\u00bb Enfin il mordit le pr\u00e9fet \u00e0 l\u2019\u00e9paule: sur quoi\nAlexandre, furieux, le pr\u00e9cipita du haut de son tribunal, de telle sorte\nque son petit cerveau se r\u00e9pandit sur les marches. Et Julite, tout\nheureuse, rendait gr\u00e2ce \u00e0 Dieu de ce que son fils la devan\u00e7\u00e2t au royaume\nc\u00e9leste. Elle-m\u00eame fut, ensuite, \u00e9corch\u00e9e vive, plong\u00e9e dans de la poix\nbouillante, et enfin d\u00e9capit\u00e9e.\nCependant une autre l\u00e9gende raconte que l\u2019enfant, au moment de son\nmartyre, n\u2019\u00e9tait pas encore en \u00e2ge de parler, mais que l\u2019Esprit-Saint\navait parl\u00e9 par sa bouche quand il avait dit au pr\u00e9fet: \u00abJe suis\nchr\u00e9tien.\u00bb Le pr\u00e9fet lui avait alors demand\u00e9 qui l\u2019avait instruit; et\nl\u2019enfant avait r\u00e9pondu: \u00abJe m\u2019\u00e9tonne de ta sottise, et de ce que, voyant\nmon \u00e2ge, tu me demandes qui m\u2019a instruit de la science divine!\u00bb Et,\npendant son martyre il aurait continu\u00e9 \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter: \u00abJe suis chr\u00e9tien!\u00bb\net, chaque fois, ce cri lui aurait rendu de nouvelles forces.\nLe pr\u00e9fet, pour les emp\u00eacher d\u2019\u00eatre ensevelis par les chr\u00e9tiens, fit\nd\u00e9couper les membres de l\u2019enfant et ceux de la m\u00e8re, et ordonna qu\u2019ils\nfussent dispers\u00e9s au vent. Mais un ange rassembla les membres \u00e9pars, que\nles chr\u00e9tiens ensevelirent nuitamment. Et lorsque, sous le r\u00e8gne de\nConstantin le Grand, la paix fut enfin restitu\u00e9e \u00e0 l\u2019Eglise, une vieille\nservante, qui avait assist\u00e9 \u00e0 l\u2019ensevelissement, r\u00e9v\u00e9la le lieu o\u00f9 se\ntrouvaient les deux corps: et ceux-ci, depuis, sont pour toute la ville\nun objet de grande de d\u00e9votion. Le martyre de la m\u00e8re et de l\u2019enfant eut\nlieu vers l\u2019an 230, sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur Alexandre.\nLXXXIV\nSAINTE MARINE, VIERGE\n(18 juin)\nMarine \u00e9tait fille unique. Son p\u00e8re, devenu veuf, entra dans un\nmonast\u00e8re; et, ayant fait prendre \u00e0 sa fille un costume masculin, il\ndemanda \u00e0 l\u2019abb\u00e9 et aux autres moines de recevoir dans le monast\u00e8re son\nunique fils: ce qui lui fut accord\u00e9, de telle sorte que la jeune fille\nfut re\u00e7ue parmi les moines, et porta le nom de fr\u00e8re Marin. Elle vivait\ntr\u00e8s pieusement, et dans une ob\u00e9issance parfaite. Quand elle eut\nvingt-sept ans, son p\u00e8re, sentant la mort approcher, l\u2019appela \u00e0 son\nchevet et lui dit de ne jamais r\u00e9v\u00e9ler \u00e0 personne qu\u2019elle \u00e9tait une\nfemme.\nOr la jeune fille allait souvent aux champs avec la charrue et les\nb\u0153ufs, ou bien \u00e9tait charg\u00e9e de rapporter du bois au monast\u00e8re; et\nsouvent elle recevait l\u2019hospitalit\u00e9 dans la maison d\u2019un homme dont la\nfille, s\u00e9duite par un soldat, \u00e9tait devenue grosse. Cette fille,\ninterrog\u00e9e, s\u2019avisa d\u2019affirmer qu\u2019elle avait \u00e9t\u00e9 viol\u00e9e par le fr\u00e8re\nMarin. Et celui-ci, interrog\u00e9 \u00e0 son tour, se reconnut coupable: en\ncons\u00e9quence de quoi il fut aussit\u00f4t chass\u00e9 du monast\u00e8re. Pendant trois\nans, il se tint devant la porte du monast\u00e8re, ne se nourrissant que de\nmiettes de pain. Quand l\u2019enfant dont on le croyait p\u00e8re fut sevr\u00e9, on le\nremit \u00e0 l\u2019abb\u00e9, qui le remit au fr\u00e8re Marin; et pendant deux ans encore\ncelui-ci en prit soin, supportant tout avec une extr\u00eame patience, sans\ncesser de rendre gr\u00e2ces \u00e0 Dieu.\nEnfin les fr\u00e8res, touch\u00e9s de son humilit\u00e9 et de sa patience, le\nreprirent au monast\u00e8re, o\u00f9 ils lui confi\u00e8rent des besognes trop viles\npour eux; et lui, il acceptait tout ga\u00eement, et faisait tout patiemment\net pieusement. Apr\u00e8s une longue vie de bonnes \u0153uvres, il rendit son \u00e2me\nau Seigneur. Et pendant que ses fr\u00e8res lavaient son corps, qu\u2019ils\ns\u2019appr\u00eataient \u00e0 ensevelir mis\u00e9rablement, comme le corps d\u2019un grand\np\u00e9cheur, ils s\u2019aper\u00e7urent que le fr\u00e8re Marin \u00e9tait une femme. Etonn\u00e9s et\neffray\u00e9s, ils confess\u00e8rent avoir \u00e9t\u00e9 durs et cruels envers la servante\nde Dieu; et tous, se jetant \u00e0 genoux, devant son cadavre, implor\u00e8rent le\npardon de leur conduite. Son corps fut enseveli avec honneur dans la\nchapelle du monast\u00e8re. Et quant \u00e0 la fille qui l\u2019avait accus\u00e9e, elle fut\nposs\u00e9d\u00e9e du d\u00e9mon, et avoua son crime; mais, conduite au tombeau de la\nvierge, elle fut aussit\u00f4t gu\u00e9rie. A ce tombeau, aujourd\u2019hui encore, le\npeuple vient de toutes parts; et de nombreux miracles s\u2019y accomplissent\ntous les jours.\nLXXXV\nSAINTS GERVAIS ET PROTAIS, MARTYRS\n(19 juin)\nI. Gervais et Protais, fr\u00e8res jumeaux, \u00e9taient fils de saint Vital et de\nsainte Val\u00e9rie. Ayant donn\u00e9 tous leurs biens aux pauvres, ils vivaient\navec saint Nazaire, qui se construisait un oratoire pr\u00e8s d\u2019Embrun, et \u00e0\nqui un enfant nomm\u00e9 Celse[10] apportait des pierres. Puis, lorsque les\ntrois saints furent conduits vers l\u2019empereur N\u00e9ron, le petit Celse les\nsuivait en se lamentant: et comme un des soldats lui avait donn\u00e9 un\nsoufflet, Nazaire le gronda de sa cruaut\u00e9: sur quoi, les soldats\nfurieux, l\u2019accabl\u00e8rent de coups de pied, l\u2019enferm\u00e8rent dans un cachot,\net finirent par le jeter \u00e0 l\u2019eau. Gervais et Protais furent conduits \u00e0\nMilan, o\u00f9 ils furent bient\u00f4t rejoints par Nazaire, miraculeusement\nsauv\u00e9.\n [10] Jacques de Voragine ajoute que cet enfant ne pouvait pas, vu les\n dates, \u00eatre saint Celse, qui ne se joignit \u00e0 saint Nazaire que\n beaucoup plus tard.\nOr, dans le m\u00eame temps, vint \u00e0 Milan le comte Astase, qui partait en\nguerre contre les Marcomans; et les pa\u00efens accoururent \u00e0 lui, lui\nd\u00e9clarant que leurs dieux se refusaient \u00e0 les prot\u00e9ger aussi longtemps\nque Gervais et Protais n\u2019auraient pas \u00e9t\u00e9 immol\u00e9s. Les deux chr\u00e9tiens\nfurent donc somm\u00e9s de sacrifier aux idoles. Et comme Gervais disait que\ntoutes les idoles \u00e9taient sourdes et muettes, et que seul son Dieu\npouvait donner la victoire, Astase, furieux, le fit frapper \u00e0 mort de\nlani\u00e8res plomb\u00e9es. Puis il fit venir Protais et lui dit: \u00abMalheureux,\n\u00e9vite de p\u00e9rir mis\u00e9rablement comme ton fr\u00e8re!\u00bb Et Protais: \u00abQui de nous\ndeux est malheureux, moi, qui ne le crains pas, ou toi qui me crains?\u00bb\nEt Astase: \u00abEh! mis\u00e9rable, comment peux-tu dire que je te craigne?\u00bb Et\nProtais: \u00abTu crains que je ne te nuise, si je refuse de sacrifier \u00e0 tes\ndieux: car si tu ne craignais pas cela, tu n\u2019essaierais pas \u00e0 me\ncontraindre \u00e0 ce sacrifice!\u00bb Alors Astase le fit \u00e9tendre sur un\nchevalet. Et Protais: \u00abJe n\u2019ai point de col\u00e8re contre toi, comte, car je\nsais que les yeux de ton c\u0153ur sont aveugles; mais plut\u00f4t j\u2019ai piti\u00e9 de\ntoi, parce que tu ignores ce que tu fais. Continue donc \u00e0 me supplicier,\nafin que je puisse partager avec mon fr\u00e8re la faveur de notre Ma\u00eetre!\u00bb\nAstase lui fit trancher la t\u00eate. Et Philippe, serviteur du Christ, vint\navec son fils, la nuit, prendre les corps des deux martyrs, qu\u2019il\nensevelit secr\u00e8tement chez lui dans un sarcophage de pierre, d\u00e9posant\nsous leurs t\u00eates un \u00e9crit qui indiquait leur origine, leur vie, et les\ncirconstances de leur mort. Et leur martyre eut lieu sous l\u2019empereur\nN\u00e9ron.\nII. Les corps des deux saints rest\u00e8rent longtemps cach\u00e9s: ils furent\nd\u00e9couverts au temps de saint Ambroise, et de la fa\u00e7on que nous allons\nrapporter. Donc Ambroise se trouvait, une nuit, dans l\u2019\u00e9glise des saints\nNabor et F\u00e9lix; et comme, apr\u00e8s avoir longtemps pri\u00e9, il \u00e9tait tomb\u00e9\ndans un \u00e9tat interm\u00e9diaire entre la veille et le sommeil, deux beaux\njeunes gens v\u00eatus de blanc lui apparurent, priant avec lui, les bras\n\u00e9tendus. Alors Ambroise demanda que, si c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une illusion, elle\ns\u2019\u00e9vanou\u00eet, et que, si c\u2019\u00e9tait une r\u00e9alit\u00e9, elle se r\u00e9v\u00e9l\u00e2t de nouveau \u00e0\nlui. Et les deux jeunes gens lui apparurent de nouveau au chant du coq;\net, la nuit suivante, ils lui apparurent une troisi\u00e8me fois, mais cette\nfois en compagnie d\u2019une autre personne, en qui il reconnut l\u2019ap\u00f4tre\nsaint Paul. Et saint Paul lui dit: \u00abTu vois l\u00e0 deux jeunes gens qui,\nd\u00e9daignant tous les biens de la terre, ont fid\u00e8lement suivi mes le\u00e7ons.\nLeurs corps habitent le lieu o\u00f9 tu te trouves. A douze pieds sous terre\ntu trouveras un coffre de pierre contenant leurs restes, ainsi qu\u2019un\n\u00e9crit o\u00f9 tu apprendras leurs noms et l\u2019histoire de leur fin.\u00bb Aussit\u00f4t\nsaint Ambroise convoqua les \u00e9v\u00eaques voisins: puis, creusant la terre, il\nentra le premier dans la fosse, et y trouva tout ce que lui avait dit\nsaint Paul. Et bien que trois si\u00e8cles et plus se fussent \u00e9coul\u00e9s depuis\nla mort des deux saints, leurs corps \u00e9taient aussi intacts que s\u2019ils\nn\u2019\u00e9taient l\u00e0 que depuis la veille. Et une odeur d\u00e9licieuse s\u2019en\nexhalait. Et un aveugle, ayant touch\u00e9 le cercueil, recouvra la vue, et\nbien d\u2019autres malades furent gu\u00e9ris par l\u2019intercession des deux saints.\nC\u2019est le jour anniversaire de leur f\u00eate que fut r\u00e9tablie la paix entre\nles Lombards et l\u2019Empire romain. En souvenir de quoi le pape Gr\u00e9goire\nordonna que, dans l\u2019intro\u00eft de la messe et dans les autres offices, le\njour de leur f\u00eate, fussent introduites des allusions \u00e0 cette heureuse\npaix.\nIII. Au vingti\u00e8me livre de sa _Cit\u00e9 de Dieu_, saint Augustin raconte\nque, en sa pr\u00e9sence et en celle de l\u2019empereur, un aveugle recouvra la\nvue, \u00e0 Milan, devant le tombeau des, saints Gervais et Protais. Mais si\ncet aveugle \u00e9tait ou non celui dont nous avons parl\u00e9 plus haut, c\u2019est ce\nque nous ne saurions dire. Nous lisons dans le m\u00eame livre qu\u2019un jeune\nhomme qui baignait son cheval dans un fleuve, pr\u00e8s d\u2019Hippone, fut\nattaqu\u00e9 par un d\u00e9mon et jet\u00e9 \u00e0 l\u2019eau, \u00e0 demi mort. Mais comme, le soir,\non chantait dans l\u2019\u00e9glise des saints Gervais et Protais, non loin de l\u00e0,\nle jeune homme entra dans l\u2019\u00e9glise et se cramponna \u00e0 l\u2019autel, d\u2019o\u00f9\npersonne ne pouvait l\u2019arracher. En vain le d\u00e9mon l\u2019adjurait de\ns\u2019\u00e9loigner de l\u2019autel: il mena\u00e7ait de se couper les membres, si on le\nfaisait sortir. Et lorsque enfin il sortit, ses yeux jaillirent de\nl\u2019orbite, et ne rest\u00e8rent plus attach\u00e9s que par une veine: mais, peu de\njours apr\u00e8s, par les m\u00e9rites des saints Gervais et Protais, le jeune\nhomme recouvra la sant\u00e9; et ses yeux, qu\u2019on avait rentr\u00e9s tant bien que\nmal dans les orbites, se rouvrirent \u00e0 la lumi\u00e8re.\nLXXXVI\nLA NATIVIT\u00c9 DE SAINT JEAN-BAPTISTE\n(24 juin)\nI. La nativit\u00e9 de saint Jean-Baptiste a \u00e9t\u00e9 annonc\u00e9e par un archange de\nla fa\u00e7on qu\u2019on va lire. Le roi David, comme le raconte l\u2019_Histoire\nscholastique_, voulant donner plus de d\u00e9veloppement au culte divin,\ninstitua vingt-quatre grands pr\u00eatres, dont l\u2019un, sup\u00e9rieur aux autres,\nportait le titre de prince des pr\u00eatres. Et chacun des vingt-quatre,\ngrands pr\u00eatres, \u00e0 son tour, remplissait les fonctions de prince des\npr\u00eatres pendant une semaine. La huiti\u00e8me semaine, le sort d\u00e9signa, pour\ncette fonction, le grand pr\u00eatre Abias, de la famille duquel fut, plus\ntard, Zacharie. Or Zacharie et sa femme \u00e9taient parvenus \u00e0 la vieillesse\nsans avoir d\u2019enfants. Et un jour qu\u2019il \u00e9tait entr\u00e9 dans le Temple, pour\nmettre de l\u2019encens sur l\u2019autel, pendant qu\u2019une grande foule l\u2019attendait\nau dehors, l\u2019archange Gabriel lui apparut. Et comme Zacharie, \u00e0 sa vue,\ns\u2019effrayait, l\u2019archange lui dit: \u00abN\u2019aie pas peur, Zacharie, car ta\npri\u00e8re a \u00e9t\u00e9 exauc\u00e9e!\u00bb\nNous devons dire ici en passant, d\u2019apr\u00e8s la _Glosse_, que c\u2019est le\npropre des bons anges de rassurer aussit\u00f4t par des paroles\nbienveillantes ceux qu\u2019ils effraient en leur apparaissant; et, au\ncontraire, les d\u00e9mons qui prennent la forme d\u2019anges, d\u00e8s qu\u2019ils voient\nqu\u2019on s\u2019effraie de leur pr\u00e9sence, ont coutume d\u2019accro\u00eetre encore la\nterreur qu\u2019ils inspirent.\nGabriel annon\u00e7a donc \u00e0 Zacharie qu\u2019il aurait un fils nomm\u00e9 Jean, qui\njamais ne boirait de vin ni d\u2019autre boisson ferment\u00e9e, et qui, devant le\ntr\u00f4ne du Seigneur, pr\u00e9c\u00e9derait le proph\u00e8te Elie lui-m\u00eame en esprit et en\nvertu. Et Zacharie, consid\u00e9rant sa vieillesse et la st\u00e9rilit\u00e9 de sa\nfemme, eut des doutes, et, \u00e0 la fa\u00e7on des Juifs, demanda \u00e0 l\u2019ange un\nsigne mat\u00e9riel \u00e0 l\u2019appui de sa pr\u00e9diction. Sur quoi l\u2019ange, pour le\npunir de n\u2019avoir point cru \u00e0 sa parole, en mani\u00e8re de signe le rendit\nmuet. Et lorsque Zacharie se pr\u00e9senta ensuite devant le peuple, et qu\u2019on\nvit qu\u2019il \u00e9tait devenu muet, il fit entendre, par des signes, qu\u2019il\navait eu une vision dans le Temple. Puis, ayant achev\u00e9 la semaine de son\noffice, il rentra dans sa maison, et Elisabeth con\u00e7ut un enfant de ses\n\u0153uvres, et, pendant cinq mois, elle se cacha, parce que, comme le dit\nsaint Ambroise, elle avait honte d\u2019\u00eatre grosse \u00e0 son \u00e2ge, et qu\u2019on la\nsoup\u00e7onn\u00e2t, dans sa vieillesse, de s\u2019\u00eatre abandonn\u00e9e au plaisir de la\nchair: ce qui, d\u2019autre part, ne l\u2019emp\u00eachait point de se r\u00e9jouir de ce\nque le Seigneur l\u2019e\u00fbt d\u00e9livr\u00e9e de l\u2019opprobre de la st\u00e9rilit\u00e9, car c\u2019est\nun opprobre, pour les femmes, de ne pas avoir ce fruit de leurs noces en\nvue duquel se c\u00e9l\u00e8brent les noces, et par qui se justifie l\u2019accouplement\ncharnel.\nElisabeth \u00e9tait grosse de six mois, lorsque la bienheureuse Vierge\nMarie, qui avait d\u00e9j\u00e0 con\u00e7u le Sauveur, vint la voir pour la f\u00e9liciter.\nEt, au moment o\u00f9 elle la saluait, saint Jean, d\u00e9j\u00e0 rempli de\nl\u2019Esprit-Saint, et sentant l\u2019approche du Fils de Dieu, se mit \u00e0 bondir\nde joie dans le ventre de sa m\u00e8re, comme pour saluer par ses mouvements\ncelui qu\u2019il ne pouvait pas encore saluer par la voix. Puis la sainte\nVierge resta trois mois avec sa parente, la soignant dans sa grossesse;\net ce fut elle qui, de ses saintes mains, re\u00e7ut l\u2019enfant nouveau-n\u00e9, et\nremplit, en quelque sorte, pour lui, l\u2019office de sage-femme.\nLe saint pr\u00e9curseur du Christ eut neuf privil\u00e8ges singuliers: 1\u00ba sa\nnaissance fut annonc\u00e9e par le m\u00eame ange qui annon\u00e7a la naissance du\nChrist; 2\u00ba il bondit dans le ventre de sa m\u00e8re; 3\u00ba il fut recueilli\nentre les bras de la M\u00e8re de Dieu; 4\u00ba il d\u00e9lia, en naissant, la langue\nde son p\u00e8re; 5\u00ba il institua le sacrement de bapt\u00eame; 6\u00ba il annon\u00e7a la\nmission du Christ; 7\u00ba il baptisa le Christ; 8\u00ba il eut l\u2019honneur d\u2019\u00eatre\nlou\u00e9 par-dessus tous par le Christ; 9\u00ba il annon\u00e7a la venue du Christ \u00e0\nceux qui \u00e9taient dans les limbes. C\u2019est \u00e0 cause de ces neuf privil\u00e8ges\nque le Seigneur le d\u00e9clara un proph\u00e8te, et plus qu\u2019un proph\u00e8te.\nSa nativit\u00e9, selon ma\u00eetre Guillaume d\u2019Auxerre, est c\u00e9l\u00e9br\u00e9e par l\u2019Eglise\npour trois raisons: 1\u00ba parce qu\u2019il fut sanctifi\u00e9 d\u00e8s le ventre de sa\nm\u00e8re; 2\u00ba parce qu\u2019il remplit dans la vie un r\u00f4le d\u2019une importance\nexceptionnelle, \u00e9tant venu comme un porte-lumi\u00e8re pour nous annoncer la\njoie du salut; 3\u00ba parce que sa naissance m\u00eame fut une cause de joie. En\neffet l\u2019archange avait dit: \u00abEt beaucoup se r\u00e9jouiront de sa nativit\u00e9.\u00bb\nAussi est-ce juste que, nous aussi, nous nous en r\u00e9jouissions.\nNous devons noter que ce jour de la nativit\u00e9 de saint Jean-Baptiste est\naussi le jour o\u00f9 saint Jean l\u2019Evang\u00e9liste rendit son \u00e2me \u00e0 Dieu. Mais\nl\u2019Eglise a plac\u00e9 la f\u00eate de l\u2019Evang\u00e9liste trois jours apr\u00e8s No\u00ebl, parce\nque c\u2019est ce jour-l\u00e0 qu\u2019a \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e la basilique \u00e9lev\u00e9e en son\nhonneur, tandis que la f\u00eate de la nativit\u00e9 de saint Jean-Baptiste se\nc\u00e9l\u00e8bre le jour m\u00eame o\u00f9 ce saint est n\u00e9. D\u2019o\u00f9 l\u2019on doit bien se garder\nde conclure, cependant, que l\u2019Evang\u00e9liste soit inf\u00e9rieur au Baptiste,\ncomme le cadet \u00e0 l\u2019a\u00een\u00e9. Et Dieu a m\u00eame daign\u00e9 nous apprendre, par un\nexemple formel, qu\u2019il ne lui convenait pas que l\u2019on discut\u00e2t la question\nde savoir lequel des deux saints \u00e9tait le plus grand. Il y avait, en\neffet, deux savants th\u00e9ologiens dont l\u2019un pr\u00e9f\u00e9rait saint Jean-Baptiste,\nl\u2019autre saint Jean l\u2019Evang\u00e9liste: si bien qu\u2019ils convinrent d\u2019un jour\npour une discussion en r\u00e8gle. Et comme chacun s\u2019inqui\u00e9tait de recueillir\ndes autorit\u00e9s et de bons arguments \u00e0 l\u2019appui de ses pr\u00e9f\u00e9rences, \u00e0\nchacun d\u2019eux se montra le saint Jean qu\u2019il pr\u00e9f\u00e9rait, et lui dit: \u00abNous\nnous accordons fort bien au ciel; ne vous disputez donc pas sur la terre\n\u00e0 notre sujet!\u00bb Ce dont les deux docteurs se firent part l\u2019un \u00e0 l\u2019autre\nainsi qu\u2019au peuple, en b\u00e9nissant Dieu.\nII. L\u2019historiographe des Lombards, Paul, diacre de l\u2019Eglise romaine et\nmoine du Mont-Cassin, s\u2019appr\u00eatait un jour \u00e0 b\u00e9nir un cierge, lorsque\ntout \u00e0 coup sa voix, auparavant tr\u00e8s belle, s\u2019enroua. Et, pour recouvrer\nsa voix, il composa en l\u2019honneur de saint Jean l\u2019hymne _Ut queant laxis\nresonare fibris_, o\u00f9 il demandait \u00e0 Dieu que sa voix lui f\u00fbt rendue,\ncomme elle l\u2019avait \u00e9t\u00e9 autrefois \u00e0 Zacharie.\nIII. Le m\u00eame Paul rapporte, dans son _Histoire lombarde_, qu\u2019un voleur\nouvrit un jour le tombeau o\u00f9 le roi lombard Rocharith s\u2019\u00e9tait fait\nenterrer, dans l\u2019\u00e9glise de saint Jean-Baptiste. Alors saint Jean lui\napparut et lui dit: \u00abPuisque tu as os\u00e9 toucher \u00e0 ces objets pr\u00e9cieux qui\nm\u2019\u00e9taient confi\u00e9s, tu ne pourras plus d\u00e9sormais entrer dans mon \u00e9glise!\u00bb\nEt ainsi fut fait, car chaque fois que cet homme voulut entrer dans\nl\u2019\u00e9glise de saint Jean, une main invisible lui ass\u00e9na sur la gorge un\ncoup si violent qu\u2019il se vit forc\u00e9 de rebrousser chemin.\nLXXXVII\nSAINTS JEAN ET PAUL, MARTYRS\n(26 juin)\nJean et Paul \u00e9taient officiers de Constance, fille de l\u2019empereur\nConstantin. Or, comme les Scythes occupaient la Thrace et la Dacie,\nGallican, le chef de l\u2019arm\u00e9e romaine envoy\u00e9e contre eux, demandait que,\nen r\u00e9compense, on lui donn\u00e2t pour femme la fille de Constantin; et les\nprincipaux citoyens de Rome insistaient en faveur de sa demande. Mais\nConstantin s\u2019en affligeait fort; car il savait que sa fille, depuis\nqu\u2019elle avait \u00e9t\u00e9 gu\u00e9rie par sainte Agn\u00e8s, avait fait v\u0153u de virginit\u00e9,\net se laisserait tuer plut\u00f4t que d\u2019enfreindre son v\u0153u. Cependant\nConstance, confiante en l\u2019aide de Dieu, conseilla \u00e0 son p\u00e8re de\nconsentir \u00e0 son mariage avec Gallican, le jour o\u00f9 celui-ci reviendrait\nvainqueur, \u00e0 la condition seulement que Gallican lui perm\u00eet de garder\npr\u00e8s d\u2019elle les deux filles qu\u2019il avait eues d\u2019un premier mariage, et\nqu\u2019en \u00e9change il pr\u00eet avec lui ses deux officiers Jean et Paul. Et ainsi\nfut convenu. Mais Gallican, s\u2019\u00e9tant mis en route avec une nombreuse\narm\u00e9e, fut battu par les Scythes et assi\u00e9g\u00e9 par eux dans une ville de\nThrace. Alors Jean et Paul, s\u2019approchant de lui, lui dirent: \u00abFais un\nv\u0153u au Dieu du ciel, et tu seras vainqueur!\u00bb Et lorsque Gallican eut\nfait le v\u0153u de devenir chr\u00e9tien, un jeune homme, portant la croix sur\nl\u2019\u00e9paule, lui apparut et lui dit: \u00abPrends ton \u00e9p\u00e9e et suis-moi!\u00bb\nGallican, suivant l\u2019ange, se pr\u00e9cipita dans le camp ennemi, parvint\njusqu\u2019au roi des Scythes, le tua, \u00e9pouvanta l\u2019arm\u00e9e ennemie, et la\nsoumit \u00e0 la domination romaine. Et l\u2019on raconte que deux chevaliers en\narmes lui apparurent, qui se tinrent \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 la fin du\ncombat. Il se convertit donc au christianisme; et, re\u00e7u \u00e0 Rome avec de\ngrands honneurs, il demanda \u00e0 Constantin de ne pas \u00e9pouser sa fille, car\nil avait promis au Christ, de vivre d\u00e9sormais dans la continence. Ses\ndeux filles, converties par Constance, \u00e9taient devenues, elles aussi, de\npieuses chr\u00e9tiennes. Et bient\u00f4t Gallican, renon\u00e7ant \u00e0 son commandement,\ndistribua tous ses biens, et se mit \u00e0 servir Dieu dans la pauvret\u00e9. Et\nil faisait tant de miracles que, \u00e0 sa seule vue, les d\u00e9mons s\u2019enfuyaient\ndes corps des poss\u00e9d\u00e9s. Aussi la renomm\u00e9e de sa saintet\u00e9 se\nr\u00e9pandit-elle dans le monde entier; et de l\u2019Orient et de l\u2019Occident on\nvenait voir ce patricien, cet ancien consul, qui lavait les pieds aux\npauvres qui leur versait de l\u2019eau sur les mains, qui les servait \u00e0\ntable, qui soignait les malades, et vivait ainsi en esclave de Dieu.\nA la mort de Constantin l\u2019empire \u00e9chut \u00e0 son fils Constance, qui s\u2019\u00e9tait\nlaiss\u00e9 corrompre par l\u2019h\u00e9r\u00e9sie des ariens. Et comme le fr\u00e8re de\nConstantin avait laiss\u00e9 deux fils, Gallus et Julien, Constance promut\nGallus au titre de C\u00e9sar et l\u2019envoya contre les Juifs r\u00e9volt\u00e9s; mais,\nplus tard, il le tua. Alors Julien, craignant d\u2019avoir le sort de son\nfr\u00e8re, entra dans un monast\u00e8re, o\u00f9, \u00e0 force de simuler la pi\u00e9t\u00e9, il fut\nordonn\u00e9 lecteur; et l\u00e0 le d\u00e9mon consult\u00e9 par lui, lui apprit qu\u2019il\nserait promu \u00e0 l\u2019empire. Et, quelque temps apr\u00e8s, Constance, press\u00e9 par\nla n\u00e9cessit\u00e9, \u00e9leva Julien au titre de C\u00e9sar, et l\u2019envoya en Gaule, o\u00f9\nil montra une grande valeur.\nA la mort de Constance, Julien, devenu empereur, ordonna que Gallican\ne\u00fbt \u00e0 sacrifier aux dieux o\u00f9 \u00e0 s\u2019\u00e9loigner de Rome: car il n\u2019osait pas\nmettre \u00e0 mort un tel homme. Gallican se rendit donc \u00e0 Alexandrie, o\u00f9 les\ninfid\u00e8les lui transperc\u00e8rent le c\u0153ur, lui donnant ainsi la couronne du\nmartyre.\nQuant \u00e0 Julien, il colorait du t\u00e9moignage de l\u2019Evangile l\u2019avidit\u00e9\nsacril\u00e8ge dont il \u00e9tait poss\u00e9d\u00e9. Il d\u00e9pouillait les chr\u00e9tiens et leur\ndisait: \u00abC\u2019est votre Christ lui-m\u00eame qui dit, dans son Evangile, que\ncelui-l\u00e0 ne saurait \u00eatre son disciple qui ne renonce pas \u00e0 tout ce qu\u2019il\na!\u00bb Aussi, quand il apprit que Jean et Paul, avec l\u2019argent que leur\navait laiss\u00e9 la pieuse Constance, subvenaient aux besoins des chr\u00e9tiens\npauvres, il les fit venir tous deux et leur dit qu\u2019ils devaient le\nservir de la m\u00eame fa\u00e7on qu\u2019ils avaient servi Constantin. A quoi ils\nr\u00e9pondirent: \u00abNous servions le glorieux empereur Constantin parce que\nlui-m\u00eame se proclamait le serviteur du Christ; mais toi, comme tu as\nabandonn\u00e9 la sainte religion, nous nous sommes retir\u00e9s de toi, et nous\nd\u00e9daignons de t\u2019ob\u00e9ir!\u00bb Et Julien leur dit: \u00abSachez que j\u2019ai \u00e9t\u00e9 clerc\ndans votre Eglise, et que, si j\u2019avais voulu, je m\u2019y serais \u00e9lev\u00e9 aux\npremi\u00e8res dignit\u00e9s: mais, consid\u00e9rant que c\u2019\u00e9tait chose vaine de\npratiquer la paresse, je me suis livr\u00e9 \u00e0 l\u2019art de la guerre; et ayant\nsacrifi\u00e9 aux dieux, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 par eux \u00e9lev\u00e9 \u00e0 l\u2019empire. Quant \u00e0 vous,\nnourris \u00e0 la cour, vous avez le devoir de rester pr\u00e8s de moi, o\u00f9 vous\nserez au premier rang de mes serviteurs. Mais que si vraiment vous me\nm\u00e9prisez, je serai forc\u00e9 d\u2019agir, pour vous en emp\u00eacher!\u00bb Et les deux\nsaints r\u00e9pondirent: \u00abNous mettons Dieu au-dessus de toi; et nous ne\ncraignons pas tes menaces, mais seulement d\u2019encourir l\u2019inimiti\u00e9 de Dieu\ntout-puissant.\u00bb Et Julien: \u00abSi, dans dix jours, vous ne venez pas de\nvotre plein gr\u00e9 pr\u00e8s de moi, vous ferez, contraints, ce que vous aurez\nrefus\u00e9 de faire volontairement!\u00bb Et eux: \u00abImagine que les dix jours sont\nd\u00e9j\u00e0 pass\u00e9s, et accomplis d\u00e8s aujourd\u2019hui ce dont tu nous menaces!\u00bb Et\nJulien: \u00abVous croyez que les chr\u00e9tiens vont faire de vous des martyrs?\nSachez donc que, si vous ne m\u2019ob\u00e9issez, ce n\u2019est pas en martyrs que je\nvous punirai, mais en ennemis publics!\u00bb\nAlors Jean et Paul, pendant dix jours, redoublant leurs aum\u00f4nes,\ndistribu\u00e8rent aux pauvres tout l\u2019argent qui leur restait. Le dixi\u00e8me\njour, ils virent arriver pr\u00e8s d\u2019eux un certain T\u00e9rentien, qui leur dit:\n\u00abNotre ma\u00eetre Julien vous envoie cette petite statue de Jupiter, pour\nque vous br\u00fbliez de l\u2019encens devant elle: si vous ne le faites pas, vous\np\u00e9rirez tous deux.\u00bb Et les saints lui dirent: \u00abSi tu as pour ma\u00eetre\nJulien, ob\u00e9is \u00e0 ses ordres; mais nous, nous n\u2019avons d\u2019autre ma\u00eetre que\nJ\u00e9sus-Christ!\u00bb Alors T\u00e9rentien les fit d\u00e9capiter en secret, et fit\nensevelir leurs corps dans leur maison; et il r\u00e9pandit le bruit qu\u2019ils\n\u00e9taient partis en exil. Mais bient\u00f4t son fils fut poss\u00e9d\u00e9 d\u2019un d\u00e9mon qui\nle faisait beaucoup souffrir: ce que voyant, T\u00e9rentien avoua son crime,\nse fit chr\u00e9tien, et \u00e9crivit lui-m\u00eame le r\u00e9cit du martyre des deux\nsaints; en \u00e9change de quoi son fils fut d\u00e9livr\u00e9.\nSaint Gr\u00e9goire raconte, dans une de ses hom\u00e9lies, qu\u2019une femme, qui\nvisitait souvent l\u2019\u00e9glise des deux martyrs, aper\u00e7ut un jour devant sa\nporte, en revenant de cette \u00e9glise, deux moines en manteaux de p\u00e8lerins.\nElle leur fit, aussit\u00f4t, donner l\u2019aum\u00f4ne par son intendant. Mais eux,\ns\u2019approchant d\u2019elle, lui dirent: \u00abPuisque tu aimes \u00e0 nous faire visite,\nnous te r\u00e9clamerons au jour du jugement, et, tout ce que nous pourrons\nfaire pour toi, nous le ferons!\u00bb Puis, cela dit, ils disparurent.\nLXXXVIII\nSAINT L\u00c9ON, PAPE\n(28 juin)\nLe pape L\u00e9on, c\u00e9l\u00e9brant la messe dans l\u2019\u00e9glise de Sainte-Marie Majeure,\nfaisait, suivant la coutume, communier les fid\u00e8les, lorsqu\u2019une femme lui\nd\u00e9posa un baiser sur la main, ce qui fit na\u00eetre en lui une v\u00e9h\u00e9mente\ntentation charnelle. Mais l\u2019homme de Dieu, se ch\u00e2tiant lui-m\u00eame avec\nplus de s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 que ne l\u2019aurait fait aucun autre juge, s\u2019amputa en\nsecret la main qui avait \u00e9t\u00e9 cause du scandale. Cependant le peuple\nmurmurait de ne pas voir le Souverain Pontife c\u00e9l\u00e9brer l\u2019office divin\ncomme de coutume. Alors L\u00e9on s\u2019adressa \u00e0 la sainte Vierge, se remettant\nde tout \u00e0 sa providence. Et la Vierge aussit\u00f4t lui apparut, et, de ses\nsaintes mains, lui rendit sa main, lui ordonnant de proc\u00e9der au divin\nsacrifice. Et L\u00e9on r\u00e9v\u00e9la au peuple ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9, montrant \u00e0\ntous la main qui venait de lui \u00eatre miraculeusement restitu\u00e9e.\nC\u2019est le pape L\u00e9on qui pr\u00e9sida le concile de Chalc\u00e9doine, o\u00f9 l\u2019on d\u00e9cida\nque les vierges seules pourraient prendre le voile, et o\u00f9 fut \u00e9galement\nd\u00e9cr\u00e9t\u00e9 que, d\u00e9sormais, la Vierge Marie serait appel\u00e9e \u00abM\u00e8re de Dieu\u00bb.\nEt comme Attila ravageait l\u2019Italie, saint L\u00e9on, apr\u00e8s avoir pri\u00e9 pendant\ntrois jours et trois nuits dans l\u2019\u00e9glise des ap\u00f4tres, dit aux siens:\n\u00abQui veut me suivre, me suive!\u00bb Et Attila, d\u00e8s qu\u2019il l\u2019aper\u00e7ut,\ndescendit de son cheval, se prosterna \u00e0 ses pieds, et lui dit de\ndemander tout ce qu\u2019il voudrait. Le pape lui demanda, et obtint\naussit\u00f4t, qu\u2019il quitterait l\u2019Italie et rendrait la libert\u00e9 \u00e0 tous ses\ncaptifs. Et comme les compagnons d\u2019Attila lui reprochaient que lui, le\nvainqueur du monde, se f\u00fbt laiss\u00e9 vaincre par un pr\u00eatre, le barbare\nr\u00e9pondit: \u00abJ\u2019ai agi dans mon int\u00e9r\u00eat et dans le v\u00f4tre, car j\u2019ai vu, \u00e0 la\ndroite de cet homme, un guerrier gigantesque qui m\u2019a dit, l\u2019\u00e9p\u00e9e en\nmain: \u00abSi tu n\u2019ob\u00e9is \u00e0 ce pr\u00eatre, tu p\u00e9riras avec tous les tiens!\u00bb\nLe pape L\u00e9on, ayant \u00e9crit une lettre \u00e0 Fabien, \u00e9v\u00eaque de Constantinople,\ncontre Eutych\u00e8s et Nestorius, la d\u00e9posa sur le tombeau de saint Pierre,\net, priant le saint, lui dit: \u00abTout ce que, en ma qualit\u00e9 d\u2019homme, j\u2019ai\n\u00e9crit d\u2019erron\u00e9 dans cette, lettre, toi, gardien de l\u2019Eglise, corrige-le\net rectifie-le!\u00bb Et, quarante jours apr\u00e8s, saint Pierre lui apparut et\nlui dit: \u00abJ\u2019ai lu et corrig\u00e9!\u00bb Et, lorsque L\u00e9on reprit sa lettre, il la\ntrouva corrig\u00e9e et rectifi\u00e9e par la main de l\u2019ap\u00f4tre.\nUne autre fois, L\u00e9on passa quarante jours \u00e0 je\u00fbner et \u00e0 prier sur le\ntombeau de saint Pierre, afin d\u2019obtenir le pardon de ses p\u00e9ch\u00e9s. Et\nsaint Pierre, lui apparaissant, lui dit: \u00abJ\u2019ai pri\u00e9 pour toi le\nSeigneur, et il t\u2019a remis tous tes p\u00e9ch\u00e9s. Mais tu devras seulement te\nrenseigner au sujet de l\u2019imposition des mains,\u00bb c\u2019est-\u00e0-dire veiller \u00e0\nce que cette imposition se fasse de la mani\u00e8re convenable. Saint L\u00e9on\nmourut vers l\u2019an du Seigneur 460.\nLXXXIX\nSAINT PIERRE, AP\u00d4TRE\n(29 juin)\nI. L\u2019ap\u00f4tre Pierre surpassait en ferveur les autres ap\u00f4tres: car il\nvoulut conna\u00eetre le nom de celui qui livrerait J\u00e9sus, et, comme dit\nsaint Augustin, il n\u2019e\u00fbt pas manqu\u00e9 de d\u00e9chirer avec ses dents le\ntra\u00eetre, s\u2019il avait connu son nom: et, \u00e0 cause de cela, J\u00e9sus ne voulut\npoint le lui nommer, parce que, comme dit Chrysostome, s\u2019il l\u2019avait\nnomm\u00e9, Pierre se serait aussit\u00f4t lev\u00e9 et l\u2019aurait \u00e9gorg\u00e9. C\u2019est lui\naussi qui, sur les flots, marcha vers J\u00e9sus, et qui fut choisi par J\u00e9sus\npour assister \u00e0 la transfiguration, comme aussi \u00e0 la r\u00e9surrection de la\nfille de Ja\u00efre; c\u2019est lui qui trouva la pi\u00e8ce de monnaie dans la bouche\ndu poisson; c\u2019est lui qui re\u00e7ut du Seigneur les clefs du royaume des\ncieux, qui fut charg\u00e9 de pa\u00eetre les agneaux du Christ, qui, le jour de\nla Pentec\u00f4te, convertit trois mille hommes par sa pr\u00e9dication, qui\nannon\u00e7a la mort \u00e0 Ananias et \u00e0 Saphir, qui gu\u00e9rit le paralytique En\u00e9e,\nqui baptisa Corneille, qui ressuscita Tabite, qui, par l\u2019ombre seule de\nson corps, rendit la sant\u00e9 aux malades, qui fut emprisonn\u00e9 par H\u00e9rode et\nd\u00e9livr\u00e9 par un ange. Quant \u00e0 ce que furent sa nourriture et son\nv\u00eatement, lui-m\u00eame nous l\u2019apprend, dans le livre de Cl\u00e9ment: \u00abJe ne me\nnourris, dit-il, que de pain avec des olives, et, plus rarement, avec\nquelques l\u00e9gumes; pour v\u00eatement j\u2019ai toujours la tunique et le manteau\nque tu vois sur moi; et, ayant tout cela, je ne demande rien d\u2019autre.\u00bb\nOn dit aussi qu\u2019il portait toujours dans son sein un suaire dont il se\nservait pour essuyer ses larmes, parce que, toutes les fois qu\u2019il se\nrappelait la douce voix de son divin ma\u00eetre, il ne pouvait s\u2019emp\u00eacher de\npleurer de tendresse. Il pleurait aussi au souvenir de son reniement;\net, de l\u00e0, lui \u00e9tait venue une telle habitude de pleurer que Cl\u00e9ment\nnous rapporte que son visage semblait tout br\u00fbl\u00e9 de larmes. Cl\u00e9ment nous\ndit encore que, la nuit, en entendant le chant du coq, il se mettait en\npri\u00e8res, et que de nouveau les larmes coulaient de ses yeux. Et nous\nsavons aussi, par le t\u00e9moignage de Cl\u00e9ment, que, le jour o\u00f9 la femme de\nPierre fut conduite au martyre, son mari, l\u2019appelant par son nom, lui\ncria joyeusement: \u00abMa femme, souviens-toi du Seigneur!\u00bb\nUn jour, Pierre envoya en pr\u00e9dication deux de ses disciples: l\u2019un d\u2019eux\nmourut en chemin, l\u2019autre revint faire part \u00e0 son ma\u00eetre de ce qui \u00e9tait\narriv\u00e9. Ce dernier \u00e9tait, suivant les uns, saint Martial, suivant\nd\u2019autres, saint Materne, et suivant d\u2019autres encore, saint Front; le\ndisciple qui \u00e9tait mort \u00e9tait le pr\u00eatre Georges. Alors Pierre remit au\nsurvivant son b\u00e2ton, lui disant d\u2019aller le poser sur le cadavre de son\ncompagnon. Et, d\u00e8s qu\u2019il l\u2019eut fait, le mort, qui gisait d\u00e9j\u00e0 depuis\nquarante jours, aussit\u00f4t revint \u00e0 la vie.\nII. En ce temps-l\u00e0 vivait \u00e0 J\u00e9rusalem un magicien nomm\u00e9 Simon qui se\npr\u00e9tendait la V\u00e9rit\u00e9 Premi\u00e8re, promettait de rendre immortels ceux qui\ncroiraient en lui, et disait que rien ne lui \u00e9tait impossible. Il disait\nencore, ainsi que nous le rapporte le livre de Cl\u00e9ment: \u00abJe serai ador\u00e9\npubliquement comme un dieu, je recevrai les honneurs divins, et je\npourrai faire tout ce que je voudrai. Un jour que ma m\u00e8re Rachel m\u2019avait\nenvoy\u00e9 aux champs pour moissonner, j\u2019ordonnai \u00e0 une faux de moissonner\nd\u2019elle-m\u00eame, et elle se mit \u00e0 l\u2019\u0153uvre, et fit dix fois plus d\u2019ouvrage\nque les autres.\u00bb Il disait aussi, d\u2019apr\u00e8s J\u00e9r\u00f4me: \u00abJe suis le Verbe de\nDieu, je suis l\u2019Esprit-Saint, je suis Dieu tout entier!\u00bb Il faisait\nmouvoir des serpents d\u2019airain, il faisait rire des statues de pierre et\nde bronze, il faisait chanter les chiens. Or cet homme voulut discuter\navec Pierre, et lui montrer qu\u2019il \u00e9tait Dieu. Au jour convenu, Pierre se\nrencontra avec lui, et dit aux assistants: \u00abQue la paix soit avec vous,\nmes fr\u00e8res, qui aimez la v\u00e9rit\u00e9!\u00bb Alors Simon: \u00abNous n\u2019avons pas besoin\nde ta paix: car si nous nous tenons en paix, nous ne pourrons pas\ntravailler \u00e0 d\u00e9couvrir la v\u00e9rit\u00e9. Les voleurs aussi ont la paix entre\neux. N\u2019invoque donc pas la paix, mais la lutte; et la paix ne se\nproduira que lorsque l\u2019un de nous deux aura vaincu l\u2019autre.\u00bb Et Pierre:\n\u00abPourquoi crains-tu le mot de paix? La guerre ne na\u00eet que du p\u00e9ch\u00e9; et\no\u00f9 il n\u2019y a pas p\u00e9ch\u00e9, il y a paix. C\u2019est dans les discussions que se\ntrouvent la v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est par les \u0153uvres que se r\u00e9alise la justice.\u00bb Et\nSimon: \u00abTout cela ne signifie rien. Mais moi je te montrerai la\npuissance de ma divinit\u00e9, et tu seras forc\u00e9 de m\u2019adorer: car je suis la\nVertu Premi\u00e8re, je puis voler dans les airs, cr\u00e9er de nouveaux arbres,\nchanger les pierres en pain, rester dans la flamme sans souffrir aucun\nmal; tout ce que je veux faire, je peux le faire.\u00bb Mais Pierre discutait\nune \u00e0 une toutes ses paroles, et d\u00e9couvrait la fraude de tous ses\nmal\u00e9fices. Et Simon, voyant qu\u2019il ne pouvait r\u00e9sister \u00e0 Pierre, jeta \u00e0\nl\u2019eau tous ses livres de magie, afin de n\u2019\u00eatre pas d\u00e9nonc\u00e9 comme\nmagicien, et s\u2019en alla \u00e0 Rome, pour s\u2019y faire adorer comme un dieu. Et\nPierre, d\u00e8s qu\u2019il le sut, le suivit \u00e0 Rome.\nIII. Il y arriva dans la quatri\u00e8me ann\u00e9e du r\u00e8gne de Claude, y passa\nvingt-cinq ans, et y ordonna, en qualit\u00e9 de coadjuteurs, deux \u00e9v\u00eaques,\nLin et Clef, l\u2019un pour le dehors, l\u2019autre pour la ville m\u00eame.\nInfatigable \u00e0 pr\u00eacher, il convertissait \u00e0 la foi de nombreux pa\u00efens,\ngu\u00e9rissait de nombreux malades; et, comme il faisait toujours l\u2019\u00e9loge de\nla chastet\u00e9, les quatre concubines du pr\u00e9fet Agrippa, converties par\nlui, refus\u00e8rent de retourner pr\u00e8s de leur amant: en telle sorte que\ncelui-ci, furieux, cherchait une occasion de perdre l\u2019ap\u00f4tre. Or le\nSeigneur apparut \u00e0 Pierre et lui dit: \u00abSimon et N\u00e9ron ont de mauvais\ndesseins contre toi; mais ne crains rien, car je suis avec toi, et je te\ndonnerai comme consolation la soci\u00e9t\u00e9 de mon serviteur Paul, qui, d\u00e8s\ndemain, arrivera \u00e0 Rome.\u00bb Sur quoi Pierre, comme le raconte Lin,\ndevinant que la fin de son pontificat approchait, se rendit \u00e0\nl\u2019assembl\u00e9e des fid\u00e8les, prit par la main Cl\u00e9ment, l\u2019ordonna \u00e9v\u00eaque, et\nle fit asseoir dans sa chaire. Le lendemain, ainsi que le Seigneur\nl\u2019avait annonc\u00e9, Paul arriva \u00e0 Rome, et, en compagnie de Pierre,\ncommen\u00e7a \u00e0 y pr\u00eacher le Christ.\nCependant le magicien Simon \u00e9tait si aim\u00e9 de N\u00e9ron qu\u2019on savait qu\u2019il\ntenait entre ses mains les destin\u00e9es de la ville enti\u00e8re. Un jour, comme\nil se trouvait en pr\u00e9sence de N\u00e9ron, il avait su changer son visage de\ntelle sorte que tant\u00f4t il paraissait un vieillard, et tant\u00f4t un\nadolescent: ce que voyant, N\u00e9ron avait cru qu\u2019il \u00e9tait vraiment le fils\nde Dieu. Un autre jour, le magicien dit \u00e0 l\u2019empereur: \u00abPour te\nconvaincre que je suis le fils de Dieu, fais-moi trancher la t\u00eate; et,\nle troisi\u00e8me jour, je ressusciterai!\u00bb N\u00e9ron ordonna \u00e0 son bourreau de\nlui trancher la t\u00eate. Mais Simon, par un artifice magique, fit en sorte\nque le bourreau, croyant le d\u00e9capiter, d\u00e9capita un b\u00e9lier; apr\u00e8s quoi,\nil cacha les membres du b\u00e9lier, laissa sur le pav\u00e9 les traces du sang,\net se cacha lui-m\u00eame pendant trois jours. Le troisi\u00e8me jour il comparut\ndevant N\u00e9ron, et lui dit: \u00abFais effacer les traces de mon sang sur le\npav\u00e9, car voici que je suis ressuscit\u00e9, comme je te l\u2019ai promis!\u00bb Et\nN\u00e9ron ne douta plus de sa divinit\u00e9. Un autre jour encore, pendant que\nSimon \u00e9tait aupr\u00e8s de N\u00e9ron dans une chambre, un diable qui avait rev\u00eatu\nsa figure parla au peuple sur le Forum. Enfin il sut inspirer aux\nRomains un tel respect qu\u2019ils lui \u00e9lev\u00e8rent une statue, sous laquelle\nfut plac\u00e9e l\u2019inscription: \u00abAu saint dieu Simon.\u00bb\nOr Pierre et Paul, s\u2019\u00e9tant introduits aupr\u00e8s de N\u00e9ron, d\u00e9voilaient tous\nles mal\u00e9fices du magicien; et Pierre, notamment, disait que, de m\u00eame\nqu\u2019il y a dans le Christ deux substances, la divine et l\u2019humaine, de\nm\u00eame il y avait en Simon deux substances, \u00e0 savoir l\u2019humaine et la\ndiabolique. Et Simon d\u00e9clara: \u00abJe ne souffrirai pas plus longtemps cet\nadversaire! Je vais ordonner \u00e0 mes anges de me venger de lui!\u00bb Et\nPierre: \u00abJe ne crains pas tes anges, mais ce sont eux qui me craignent!\u00bb\nEt N\u00e9ron: \u00abTu ne crains pas Simon, qui, par ses actes m\u00eame, prouve sa\ndivinit\u00e9?\u00bb Et Pierre: \u00abSi la divinit\u00e9 est vraiment en lui, qu\u2019il dise ce\nque je pense et ce que je fais en ce moment! Et d\u2019abord je vais te dire\nma pens\u00e9e \u00e0 l\u2019oreille, afin qu\u2019il n\u2019ait pas l\u2019audace de mentir!\u00bb N\u00e9ron\nlui dit: \u00abApproche-toi et dis-moi ce que tu penses!\u00bb Et Pierre lui dit \u00e0\nl\u2019oreille: \u00abFais-moi apporter en secret du pain d\u2019orge!\u00bb Puis, quand il\neut re\u00e7u le pain et l\u2019eut b\u00e9ni en le cachant dans sa manche, il dit:\n\u00abQue Simon dise maintenant, ce que j\u2019ai dit, pens\u00e9, et fait!\u00bb Mais\nSimon, au lieu de s\u2019avouer vaincu, reprit: \u00abQue Pierre dise plut\u00f4t ce\nque je pense, moi!\u00bb Et Pierre: \u00abCe que pense Simon, je montrerai que je\nle sais, en faisant ce \u00e0 quoi il aura pens\u00e9!\u00bb Alors Simon, furieux,\ns\u2019\u00e9cria: \u00abQue de grands chiens arrivent et le d\u00e9vorent!\u00bb Et aussit\u00f4t de\ngrands chiens apparurent qui se jet\u00e8rent sur l\u2019ap\u00f4tre: mais celui-ci\nleur offrit le pain qu\u2019il venait de b\u00e9nir; et aussit\u00f4t il les mit en\nfuite. Et il dit \u00e0 N\u00e9ron: \u00abVoil\u00e0 comment j\u2019ai prouv\u00e9, non par mes\nparoles, mais par mes actes, que je savais ce que penserait Simon contre\nmoi!\u00bb Et Simon dit: \u00abEcoutez, Pierre et Paul, je ne puis rien vous faire\nici, et je vous \u00e9pargne pour aujourd\u2019hui; mais nous nous retrouverons,\net alors je vous jugerai!\u00bb\nLe m\u00eame Simon, dans son orgueil, osa se vanter de pouvoir ressusciter\nles morts. Et comme certain jeune homme venait de mourir, on appela\nPierre et Simon et, sur le d\u00e9sir de ce dernier, on d\u00e9cida qu\u2019on ferait\nmourir celui des deux qui ne pourrait pas ressusciter le mort. Apr\u00e8s\nquoi Simon, par ses incantations, fit en sorte que le mort remua la\nt\u00eate, et d\u00e9j\u00e0 tous, avec de grands cris, voulaient lapider Pierre. Mais\ncelui-ci, ayant obtenu le silence, s\u2019\u00e9cria: \u00abSi ce jeune homme est\nvraiment vivant, qu\u2019il se l\u00e8ve, qu\u2019il marche, et qu\u2019il parle: faute de\nquoi vous saurez que c\u2019est un d\u00e9mon qui fait remuer la t\u00eate du mort.\nMais qu\u2019avant tout on \u00e9carte Simon du lit, pour mettre \u00e0 nu les\nartifices du diable!\u00bb On \u00e9carta donc Simon du lit, et aussit\u00f4t le mort\nreprit son immobilit\u00e9. Mais alors Pierre, se tenant \u00e0 distance, et ayant\npri\u00e9, dit: \u00abJeune homme, au nom de J\u00e9sus-Christ de Nazareth, l\u00e8ve-toi et\nmarche!\u00bb Et aussit\u00f4t le mort, ressuscit\u00e9, se leva et marcha. Sur quoi le\npeuple voulut lapider Simon. Mais Pierre dit: \u00abIl est suffisamment puni,\nen ayant \u00e0 reconna\u00eetre la d\u00e9faite de ses artifices! Et notre Ma\u00eetre nous\na enseign\u00e9 \u00e0 rendre le bien pour le mal.\u00bb Et Simon: \u00abSachez, Pierre et\nPaul, que, malgr\u00e9 voire d\u00e9sir, je ne daignerai pas vous accorder la\ncouronne du martyre!\u00bb Et Pierre: \u00abPuissions-nous obtenir ce que nous\nd\u00e9sirons; mais toi, puisses-tu n\u2019avoir que du mal, car toutes tes\nparoles ne sont que mensonges!\u00bb\nAlors Simon se rendit \u00e0 la maison de son disciple Marcel et lui dit,\napr\u00e8s avoir attach\u00e9 un grand chien \u00e0 sa porte: \u00abJe verrai bien si\nPierre, qui a l\u2019habitude de venir te voir, pourra d\u00e9sormais entrer chez\ntoi!\u00bb Et Pierre, lorsqu\u2019il vint chez Marcel, d\u2019un signe de croix d\u00e9tacha\nle chien, qui, depuis lors, se mit \u00e0 caresser tout le monde \u00e0\nl\u2019exception de Simon, qu\u2019il \u00e9tendit \u00e0 terre et voulut \u00e9trangler. Il\nl\u2019aurait \u00e9trangl\u00e9 si Pierre, accourant, ne lui avait d\u00e9fendu de lui\nfaire aucun mal. Et, en effet, le chien ne toucha plus au corps de\nSimon, mais il d\u00e9chira tous ses v\u00eatements. Et l\u00e0-dessus le peuple, mais\nsurtout les enfants, se mirent \u00e0 poursuivre le magicien, qu\u2019ils\nchass\u00e8rent hors de la ville comme un loup. De telle sorte que Simon,\ntout honteux, n\u2019osa point se montrer pendant une ann\u00e9e enti\u00e8re; et son\ndisciple Marcel, convaincu par ces miracles, devint d\u00e9sormais le\ndisciple de Pierre.\nMais, plus tard, Simon revint \u00e0 Rome et rentra en faveur aupr\u00e8s de\nN\u00e9ron. Un jour, il convoqua le peuple, et d\u00e9clara que, gravement offens\u00e9\npar les Galil\u00e9ens, il allait abandonner la ville, que jusqu\u2019alors il\navait prot\u00e9g\u00e9e de sa pr\u00e9sence: ajoutant qu\u2019il allait monter au ciel,\npuisque la terre n\u2019\u00e9tait plus digne de le porter. Donc, au jour convenu,\nil monta sur une haute tour, ou, suivant Lin, sur le Capitole; et, de\nl\u00e0, il se mit \u00e0 voler dans les airs, avec une couronne de laurier sur la\nt\u00eate. Et N\u00e9ron dit aux deux ap\u00f4tres: \u00abSimon dit la v\u00e9rit\u00e9; vous, vous\nn\u2019\u00eates que des imposteurs.\u00bb Et Pierre dit \u00e0 Paul: \u00abL\u00e8ve la t\u00eate, et\nregarde!\u00bb Paul leva la t\u00eate, vit Simon qui volait, et dit \u00e0 Pierre:\n\u00abPierre, ne tarde pas davantage \u00e0 achever ton \u0153uvre, car d\u00e9j\u00e0 le\nSeigneur nous appelle!\u00bb Alors Pierre s\u2019\u00e9cria: \u00abAnges de Satan, qui\nsoutenez cet homme dans les airs, au nom de mon ma\u00eetre J\u00e9sus-Christ, je\nvous ordonne de ne plus le soutenir!\u00bb Et aussit\u00f4t Simon fut pr\u00e9cipit\u00e9\nsur le sol, o\u00f9 il se brisa le cr\u00e2ne et mourut.\nCe qu\u2019apprenant, N\u00e9ron fut d\u00e9sol\u00e9 de la perte d\u2019un tel homme, et dit aux\nap\u00f4tres qu\u2019il les en punirait. Il les remit entre les mains d\u2019un haut\nfonctionnaire nomm\u00e9 Paulin, qui les fit jeter en prison, sous la garde\nde deux soldats, Proc\u00e8s et Martinien. Mais ceux-ci, convertis par\nPierre, leur ouvrirent la prison et les remirent en libert\u00e9, ce qui leur\nvalut, apr\u00e8s le martyre des ap\u00f4tres, d\u2019avoir tous deux la t\u00eate tranch\u00e9e\npar ordre de N\u00e9ron. Or Pierre, c\u00e9dant enfin aux supplications de ses\nfr\u00e8res, r\u00e9solut de s\u2019\u00e9loigner de Rome; mais comme il arrivait \u00e0 une des\nportes de la ville, \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 s\u2019\u00e9l\u00e8ve aujourd\u2019hui l\u2019\u00e9glise\nSainte-Marie ad Passus, il rencontra le Christ qui venait au-devant de\nlui; et il lui dit: \u00abSeigneur o\u00f9 vas-tu?\u00bb Et le Seigneur r\u00e9pondit: \u00abJe\nvais \u00e0 Rome, afin d\u2019y \u00eatre de nouveau crucifi\u00e9!\u00bb Et Pierre: \u00abDe nouveau\ncrucifi\u00e9?\u00bb Et le Seigneur: \u00abOui!\u00bb Et Pierre dit: \u00abAlors, Seigneur, je\nvais retourner \u00e0 Rome, pour \u00eatre crucifi\u00e9 avec toi!\u00bb Sur quoi le\nSeigneur remonta au Ciel, laissant Pierre tout en larmes. Et celui-ci,\ncomprenant que l\u2019heure de son martyre \u00e9tait venue, revint \u00e0 Rome, o\u00f9 il\nfut saisi par les ministres de N\u00e9ron, et conduit devant le pr\u00e9fet\nAgrippa; et Lin rapporte que son vieux visage rayonnait de joie. Le\npr\u00e9fet lui dit: \u00abTu es bien l\u2019homme qui te plais \u00e0 vivre parmi les gens\ndu peuple, et \u00e0 \u00e9loigner du lit de leurs maris les femmes des\nfaubourgs?\u00bb Mais Pierre r\u00e9pondit: \u00abJe ne me plais que dans la croix du\nSeigneur!\u00bb Alors, en sa qualit\u00e9 d\u2019\u00e9tranger, il fut condamn\u00e9 au supplice\nde la croix: tandis que Paul, qui \u00e9tait citoyen romain, fut condamn\u00e9 \u00e0\navoir la t\u00eate tranch\u00e9e.\nDans sa lettre \u00e0 Timoth\u00e9e sur la mort de saint Paul, Denis rapporte que\nla foule des pa\u00efens et des juifs ne se fatiguait point de frapper les\ndeux ap\u00f4tres et de leur cracher au visage: Et lorsque vint le moment de\nleur s\u00e9paration, Paul dit \u00e0 Pierre: \u00abQue la paix soit avec toi,\nfondement des \u00e9glises, pasteur des agneaux du Christ!\u00bb Et Pierre dit \u00e0\nPaul: \u00abVa en paix, pr\u00e9dicateur de la v\u00e9rit\u00e9 et du bien, m\u00e9diateur du\nsalut des justes!\u00bb Apr\u00e8s quoi, Denis suivit son ma\u00eetre Paul, car les\ndeux ap\u00f4tres furent ex\u00e9cut\u00e9s en deux endroits diff\u00e9rents. Et Pierre,\nquand il fut en face de la croix, dit: \u00abMon ma\u00eetre est descendu du ciel\nsur la terre, aussi a-t-il \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9 sur la croix. Mais moi, qu\u2019il a\ndaign\u00e9 appeler de la terre au ciel, je veux que, sur ma croix, ma t\u00eate\nsoit tourn\u00e9e vers la terre et mes pieds vers le ciel. Donc,\ncrucifiez-moi la t\u00eate en bas, car je ne suis pas digne de mourir de la\nm\u00eame fa\u00e7on que mon Ma\u00eetre J\u00e9sus.\u00bb Et ainsi fut fait: on retourna la\ncroix, de sorte qu\u2019il fut plac\u00e9 la t\u00eate en bas et les pieds en haut.\nCependant, le peuple, furieux, voulait tuer N\u00e9ron et le pr\u00e9fet, et\nd\u00e9livrer l\u2019ap\u00f4tre: mais celui-ci les priait de ne pas emp\u00eacher son\nmartyre. Et alors Dieu ouvrit les yeux de ceux qui pleuraient; et ils\nvirent des anges debout avec des couronnes de roses et de lys, et\nPierre, debout entre eux, recevait du Christ un livre dont il lisait\ntout haut les paroles. Et l\u2019ap\u00f4tre, reconnaissant que les fid\u00e8les\nvoyaient sa gloire, les recommanda une derni\u00e8re fois \u00e0 Dieu, et rendit\nl\u2019esprit.\nAlors deux fr\u00e8res, Marcel et Apul\u00e9e, ses disciples, le descendirent de\nla croix, et l\u2019ensevelirent apr\u00e8s l\u2019avoir embaum\u00e9 d\u2019aromates. Et, le\nm\u00eame jour, Pierre et Paul apparurent \u00e0 Denis, qui les vit entrer tous\ndeux par la porte de la ville, la main dans la main, v\u00eatus de lumi\u00e8re,\net la t\u00eate ceinte d\u2019une couronne de clart\u00e9.\nIV. Mais N\u00e9ron ne resta pas sans ch\u00e2timent pour ce crime et pour tous\nles autres qu\u2019il commit, et dont nous allons bri\u00e8vement rapporter\nquelques-uns. On lit, d\u2019abord, dans une histoire en v\u00e9rit\u00e9 apocryphe,\nque, comme S\u00e9n\u00e8que, le ma\u00eetre de N\u00e9ron, s\u2019attendait \u00e0 recevoir la digne\nr\u00e9compense de ses travaux, N\u00e9ron lui dit que, pour sa r\u00e9compense, il\naurait le droit de choisir l\u2019arbre aux branches duquel il serait pendu.\nEt comme S\u00e9n\u00e8que demandait comment il avait pu m\u00e9riter d\u2019\u00eatre condamn\u00e9 \u00e0\nmort, N\u00e9ron fit agiter au-dessus de sa t\u00eate la pointe d\u2019une \u00e9p\u00e9e, de\ntelle sorte que S\u00e9n\u00e8que, effray\u00e9, fermait les yeux et baissait la t\u00eate.\nEt N\u00e9ron lui dit: \u00abMon ma\u00eetre, pourquoi baisses-tu la t\u00eate devant ce\nglaive?\u00bb S\u00e9n\u00e8que lui r\u00e9pondit: \u00abEtant homme, je crains la mort et ne\nd\u00e9sire point mourir.\u00bb Et N\u00e9ron: \u00abH\u00e9 bien, moi aussi je te crains, comme\nd\u00e9j\u00e0 je te craignais dans mon enfance, et je ne vivrai pas tranquille\ntant que tu vivras!\u00bb Alors S\u00e9n\u00e8que dit: \u00abSi je dois mourir, accorde-moi\ndu moins de choisir mon genre de mort!\u00bb Et N\u00e9ron: \u00abChoisis-le \u00e0 ton gr\u00e9,\npourvu seulement que tu meures tout de suite!\u00bb Sur quoi S\u00e9n\u00e8que s\u2019ouvrit\nles veines dans un bain, et mourut de l\u2019\u00e9coulement de son sang,\njustifiant ainsi le pr\u00e9sage de son nom; car _se necans_ signifie: qui se\ntue de sa propre main. Ce S\u00e9n\u00e8que eut deux fr\u00e8res, dont l\u2019un, le\nd\u00e9clamateur Julien Gallion, se tua \u00e9galement de sa propre main, et dont\nl\u2019autre, M\u00e9la, fut p\u00e8re du po\u00e8te Lucain, qui, par ordre de N\u00e9ron,\ns\u2019ouvrit les veines.\nToujours d\u2019apr\u00e8s la m\u00eame histoire apocryphe, N\u00e9ron, entra\u00een\u00e9 par sa\nfolie sanguinaire, ordonna de mettre \u00e0 mort sa m\u00e8re et de lui couper le\nventre, afin de voir la fa\u00e7on dont il avait habit\u00e9 dans son sein. Or les\nm\u00e9decins lui disaient: \u00abLes lois divines et humaines d\u00e9fendent qu\u2019un\nfils tue sa m\u00e8re, qui l\u2019a enfant\u00e9 dans la douleur, et s\u2019est fatigu\u00e9e \u00e0\nle nourrir.\u00bb Mais N\u00e9ron: \u00abFaites en sorte que je con\u00e7oive un enfant dans\nmon sein, afin que je puisse me rendre compte de ce que ma m\u00e8re a\nsouffert en m\u2019enfantant!\u00bb Et les m\u00e9decins: \u00abLa chose est impossible,\n\u00e9tant contraire \u00e0 la nature et \u00e0 la raison!\u00bb Mais N\u00e9ron: \u00abSi vous ne\nfaites pas en sorte que je con\u00e7oive un enfant, vous mourrez tous dans\nles pires supplices!\u00bb Alors les m\u00e9decins, l\u2019ayant enivr\u00e9, lui firent\navaler une grenouille, qui gonfla dans son ventre et lui donna\nl\u2019illusion d\u2019\u00eatre pareil \u00e0 une femme enceinte. Mais bient\u00f4t, la douleur\ndevenant trop forte, il dit: \u00abH\u00e2tez l\u2019heure de mon accouchement, car ma\ngrossesse me fatigue et m\u2019\u00e9touffe!\u00bb Ils lui donn\u00e8rent alors un vomitif,\net aussit\u00f4t il rendit la grenouille qu\u2019il avait dans le ventre, mais\ntout infect\u00e9e d\u2019humeur et toute tach\u00e9e de sang. Et lui, en voyant cette\nchose monstrueuse, demanda: \u00abEtais-je ainsi moi-m\u00eame lorsque je suis\nsorti du sein de ma m\u00e8re?\u00bb Et eux: \u00abOui!\u00bb Alors l\u2019insens\u00e9 ordonna qu\u2019on\nnourr\u00eet son enfant, et qu\u2019on l\u2019enferm\u00e2t, en guise de berceau, dans\nl\u2019\u00e9caille d\u2019une tortue. Mais tout cela ne se trouve point mentionn\u00e9 dans\nles chroniques, et doit \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme apocryphe.\nPlus tard, N\u00e9ron, admirant le r\u00e9cit de l\u2019incendie de Troie, fit br\u00fbler\nRome pendant sept jours et sept nuits; et lui, assistant \u00e0 l\u2019incendie du\nhaut d\u2019une tour, il r\u00e9citait pompeusement des morceaux de _l\u2019Iliade_. Il\np\u00eachait avec des filets d\u2019or, pr\u00e9tendait chanter mieux que tous les\ntrag\u00e9diens et joueurs de cithare, faisait changer les hommes en femmes,\net jouait lui-m\u00eame le r\u00f4le d\u2019une femme aupr\u00e8s d\u2019un homme. Mais \u00e0 la fin\nles Romains, ne pouvant supporter davantage sa folie, se jet\u00e8rent sur\nlui et le poursuivirent jusqu\u2019en dehors de la ville. Alors, se voyant\nperdu, il aiguisa avec ses dents la pointe d\u2019un b\u00e2ton et se l\u2019enfon\u00e7a\ndans le c\u0153ur. Ou bien encore, suivant d\u2019autres, il aurait \u00e9t\u00e9 d\u00e9vor\u00e9 par\nles loups. Et l\u2019on raconte qu\u2019apr\u00e8s sa mort, les Romains, ayant retrouv\u00e9\nla grenouille qu\u2019il avait vomie, all\u00e8rent la br\u00fbler hors des murs de la\nville: et, depuis ce moment, l\u2019endroit o\u00f9 avait \u00e9t\u00e9 cach\u00e9e la grenouille\n(_latuerat rana_) porta le nom de Lateran ou Latran.\nV. Au temps du pape saint Corneille, des Grecs pieux vol\u00e8rent les corps\ndes ap\u00f4tres, qu\u2019ils voulaient emporter dans leur pays; mais les d\u00e9mons\nhabitant les idoles furent contraints, par la force divine, de crier:\n\u00abAu secours, Romains, car on emporte vos dieux!\u00bb Sur quoi toute la ville\nse mit \u00e0 la poursuite des voleurs: car les fid\u00e8les comprenaient qu\u2019il\n\u00e9tait question des ap\u00f4tres, et les pa\u00efens croyaient qu\u2019il \u00e9tait question\nde leurs idoles, si bien que les Grecs, \u00e9pouvant\u00e9s, jet\u00e8rent les corps\ndes ap\u00f4tres dans un puits voisin des catacombes, d\u2019o\u00f9 les fid\u00e8les\nparvinrent plus tard \u00e0 les retirer. Et comme on h\u00e9sitait pour savoir\nlesquels des os appartenaient \u00e0 saint Pierre et lesquels \u00e0 saint Paul,\non pria et je\u00fbna et une voix du ciel r\u00e9pondit: \u00abLes os les plus grands\nsont ceux du pr\u00e9dicateur, les plus petits ceux du p\u00eacheur.\u00bb Et les os\ndes deux saints se s\u00e9par\u00e8rent spontan\u00e9ment et ceux de chacun des deux\nsaints furent rapport\u00e9s dans l\u2019\u00e9glise qui leur \u00e9tait consacr\u00e9e.\nCependant d\u2019autres auteurs pr\u00e9tendent que le pape Sylvestre fit peser\ndans une balance les os les plus grands et les plus petits, en\nproportion \u00e9gale, et donner \u00e0 chaque \u00e9glise la moiti\u00e9 exacte des deux\ncorps.\nVI. Saint Gr\u00e9goire raconte, dans son _Dialogue_, que, pr\u00e8s de l\u2019\u00e9glise\no\u00f9 repose le corps de saint Pierre, vivait un saint homme nomm\u00e9\nAgontius. Or, une jeune fille paralytique passait toutes ses journ\u00e9es\ndans cette \u00e9glise: elle rampait sur les mains, car ses reins et ses\npieds \u00e9taient paralys\u00e9s. Et comme depuis longtemps elle implorait saint\nPierre de lui rendre la sant\u00e9, le saint lui apparut et lui dit: \u00abVa\ntrouver Agontius, qui demeure pr\u00e8s d\u2019ici; il te gu\u00e9rira!\u00bb Aussit\u00f4t la\njeune fille se mit \u00e0 se tra\u00eener \u00e0 travers les b\u00e2timents de l\u2019\u00e9glise,\ndans l\u2019espoir de d\u00e9couvrir o\u00f9 \u00e9tait cet Agontius. Mais voici que ce\ndernier vint au-devant d\u2019elle; et elle lui dit: \u00abNotre pasteur et p\u00e8re\nnourricier saint Pierre m\u2019envoie vers toi pour que tu me gu\u00e9risses de\nmon infirmit\u00e9!\u00bb Et Agontius: \u00abSi vraiment c\u2019est lui qui t\u2019envoie,\nl\u00e8ve-toi et marche!\u00bb Apr\u00e8s quoi il lui tendit la main pour l\u2019aider \u00e0 se\nlever, et aussit\u00f4t elle fut gu\u00e9rie, sans garder la moindre trace de sa\nparalysie.\nGr\u00e9goire rapporte aussi, dans le m\u00eame livre, l\u2019histoire d\u2019une jeune\nromaine nomm\u00e9e Galla, fille du consul et patricien Symmaque, qui devint\nveuve apr\u00e8s un an de mariage. Mais tandis que son \u00e2ge et sa fortune\nl\u2019engageaient \u00e0 se remarier, elle pr\u00e9f\u00e9ra s\u2019unir, en noces spirituelles,\n\u00e0 Dieu. Et comme son corps \u00e9tait d\u00e9vor\u00e9 d\u2019un feu int\u00e9rieur, les m\u00e9decins\ndirent que, si elle se refusait toujours aux caresses des hommes, la\nchaleur qui \u00e9tait en elle lui ferait pousser une barbe sur le visage. Et\nc\u2019est, en effet, ce qui lui arriva. Mais elle n\u2019eut aucune crainte de\ncette difformit\u00e9 ext\u00e9rieure, comprenant bien que rien de tel ne pouvait\nl\u2019emp\u00eacher d\u2019\u00eatre aim\u00e9e de son mari c\u00e9leste, si seulement elle restait\npure au dedans. Abandonnant la vie s\u00e9culi\u00e8re, elle entra dans un couvent\nqui d\u00e9pendait de l\u2019\u00e9glise de saint Pierre; et l\u00e0, longtemps, elle servit\nDieu par la pri\u00e8re et par les aum\u00f4nes. Elle fut enfin atteinte d\u2019un\ncancer au sein. Et comme, aupr\u00e8s de son lit, \u00e9taient toujours allum\u00e9s\ndeux flambeaux,--parce que, aimant la lumi\u00e8re, elle ne pouvait supporter\nni les t\u00e9n\u00e8bres spirituelles ni les corporelles,--elle vit l\u2019ap\u00f4tre\nPierre debout devant elle entre les deux flambeaux. Alors, pleine\nd\u2019amour et de joie, elle s\u2019\u00e9cria: \u00abQu\u2019est-ce, mon ma\u00eetre? Mes p\u00e9ch\u00e9s me\nsont-ils remis?\u00bb Et lui, inclinant la t\u00eate avec un sourire bienveillant,\nr\u00e9pondit: \u00abOui! viens!\u00bb Et elle: \u00abJe demande que ma m\u00e8re ch\u00e9rie\nl\u2019abbesse vienne avec moi!\u00bb Galla rapporta la chose \u00e0 l\u2019abbesse; et,\ntrois jours apr\u00e8s, toutes deux moururent ensemble.\nSaint Gr\u00e9goire nous dit encore qu\u2019un pr\u00eatre d\u2019une grande saintet\u00e9, \u00e9tant\nsur le point de mourir, s\u2019\u00e9cria: \u00abBienvenus \u00eates-vous, mes ma\u00eetres, qui\ndaignez vous approcher d\u2019un mis\u00e9rable esclave tel que moi!\u00bb Et comme les\nassistants lui demandaient \u00e0 qui il parlait ainsi: \u00abNe voyez-vous donc\npas que les saints ap\u00f4tres Pierre et Paul sont l\u00e0 pr\u00e8s de moi?\u00bb Et,\npendant qu\u2019il recommen\u00e7ait \u00e0 remercier les deux ap\u00f4tres, son \u00e2me fut\nd\u00e9livr\u00e9e des liens du corps.\nVII. Certains auteurs ont mis en doute que Pierre et Paul aient \u00e9t\u00e9\nmartyris\u00e9s le m\u00eame jour, et ont pr\u00e9tendu qu\u2019ils \u00e9taient morts \u00e0 un an\nd\u2019intervalle. Mais saint J\u00e9r\u00f4me et tous les saints qui traitent de cette\nquestion s\u2019accordent \u00e0 dire que le martyre des deux saints eut lieu le\nm\u00eame jour et la m\u00eame ann\u00e9e. C\u2019est, d\u2019ailleurs, ce qui appara\u00eet\nclairement de l\u2019\u00e9p\u00eetre de Denis. La v\u00e9rit\u00e9 est seulement que les deux\nsaints n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 supplici\u00e9s au m\u00eame endroit; et quand le pape L\u00e9on\ndit qu\u2019ils l\u2019ont \u00e9t\u00e9 au m\u00eame endroit, il entend simplement par l\u00e0 que\ntous deux ont \u00e9t\u00e9 supplici\u00e9s \u00e0 Rome.\nMais bien qu\u2019ils soient morts le m\u00eame jour et \u00e0 la m\u00eame heure, saint\nGr\u00e9goire a ordonn\u00e9 que leur f\u00eate soit c\u00e9l\u00e9br\u00e9e s\u00e9par\u00e9ment, et que la\ncomm\u00e9moration de saint Paul ait lieu le lendemain de celle de saint\nPierre. Celui-ci m\u00e9rite, en effet, d\u2019\u00eatre honor\u00e9 le premier, \u00e9tant \u00e0 la\nfois sup\u00e9rieur en dignit\u00e9 et ant\u00e9rieur en conversion: sans compter que\nson titre de souverain pontife ach\u00e8ve de lui donner tous les droits \u00e0\ncette primaut\u00e9.\nXC\nSAINT PAUL, AP\u00d4TRE\n(30 juin)\nL\u2019ap\u00f4tre Paul, apr\u00e8s sa conversion, eut \u00e0 souffrir de nombreuses\npers\u00e9cutions, dont saint Hilaire r\u00e9sume l\u2019histoire en ces termes: \u00abA\nPhilippes il fut frapp\u00e9 de verges, mis en prison, et attach\u00e9 par les\npieds \u00e0 une barre de bois; \u00e0 Lystre, il fut lapid\u00e9; \u00e0 Icone et \u00e0\nThessalonique, injustement accus\u00e9; \u00e0 Eph\u00e8se, livr\u00e9 aux b\u00eates; \u00e0 Damas,\njet\u00e9 du haut d\u2019un mur; \u00e0 J\u00e9rusalem, arr\u00eat\u00e9, frapp\u00e9, li\u00e9, attaqu\u00e9; \u00e0\nC\u00e9sar\u00e9e, mis en prison; dans son voyage d\u2019Italie, expos\u00e9 \u00e0 une temp\u00eate;\nenfin \u00e0 Rome, sous N\u00e9ron, jug\u00e9 et mis \u00e0 mort.\u00bb\nNous devons ajouter qu\u2019\u00e0 Lystre il gu\u00e9rit un paralytique, ressuscita un\njeune homme tomb\u00e9 d\u2019une fen\u00eatre, et fit encore beaucoup d\u2019autres\nmiracles. A Mityl\u00e8ne, une vip\u00e8re le mordit \u00e0 la main sans lui faire\naucun mal; et l\u2019on dit que toute la descendance de l\u2019homme dont il \u00e9tait\nl\u2019h\u00f4te est \u00e0 l\u2019abri du venin des serpents; au point que, quand un enfant\nna\u00eet dans cette race, on met des serpents dans son berceau, pour\nreconna\u00eetre s\u2019il est bien le fils de son p\u00e8re. Et Haymon raconte que\nPaul travaillait de ses mains depuis le chant du coq jusqu\u2019\u00e0 la\ncinqui\u00e8me heure, puis se livrait \u00e0 la pr\u00e9dication jusqu\u2019\u00e0 la nuit, et\nestimait que les quelques heures qui lui restaient suffisaient fort bien\npour sa nourriture, son sommeil, et ses pri\u00e8res.\nLorsqu\u2019il vint \u00e0 Rome, N\u00e9ron, qui n\u2019\u00e9tait pas encore confirm\u00e9 dans\nl\u2019empire, apprit que les Juifs lui cherchaient querelle au sujet de leur\nloi et de la foi chr\u00e9tienne; mais il n\u2019y prit point garde et laissa Paul\naller librement o\u00f9 il voulait. Saint J\u00e9r\u00f4me, de son c\u00f4t\u00e9, raconte que,\nla vingt-cinqui\u00e8me ann\u00e9e apr\u00e8s la passion du Seigneur, et la seconde\nann\u00e9e du r\u00e8gne du N\u00e9ron, Paul vint \u00e0 Rome comme prisonnier, mais y resta\ndeux ans libre, puis, rel\u00e2ch\u00e9 par l\u2019empereur, alla pr\u00eacher l\u2019\u00e9vangile en\nOccident, et fut enfin d\u00e9capit\u00e9 le m\u00eame jour o\u00f9 saint Pierre fut\ncrucifi\u00e9, dans la quatorzi\u00e8me ann\u00e9e du r\u00e8gne de N\u00e9ron.\nSa science et sa pi\u00e9t\u00e9 \u00e9taient si \u00e9clatantes qu\u2019il eut m\u00eame pour\ndisciples et pour amis plusieurs familiers de la maison de N\u00e9ron, et que\nlecture fut faite devant N\u00e9ron de quelques-uns de ses \u00e9crits. Un soir\nqu\u2019il pr\u00eachait dans une cour, un jeune homme nomm\u00e9 Patrocle, que N\u00e9ron\naimait beaucoup, monta sur une fen\u00eatre pour mieux l\u2019entendre: il tomba\nde la fen\u00eatre et se tua. Ce qu\u2019apprenant, N\u00e9ron, d\u00e9sol\u00e9 de sa mort, lui\nchoisit un successeur; mais Paul se fit apporter le cadavre de Patrocle,\nle ressuscita, et l\u2019envoya chez N\u00e9ron avec ses compagnons. Et N\u00e9ron,\neffray\u00e9 de cette visite de l\u2019homme qu\u2019il savait mort, refusa d\u2019abord de\nle recevoir. Puis, quand il l\u2019eut re\u00e7u: \u00abPatrocle, tu es vivant?\u00bb Et\nlui: \u00abOui, C\u00e9sar!\u00bb Et N\u00e9ron: \u00abQui t\u2019a rendu la vie?\u00bb Et lui:\n\u00abJ\u00e9sus-Christ, roi des si\u00e8cles!\u00bb Alors, N\u00e9ron, furieux: \u00abEt ainsi, c\u2019est\nce roi que tu sers?\u00bb Et lui: \u00abPuiss\u00e9-je servir celui qui m\u2019a r\u00e9veill\u00e9\ndes morts!\u00bb Au m\u00eame instant cinq autres des familiers de l\u2019empereur, qui\nse trouvaient l\u00e0, lui dirent: \u00abC\u00e9sar, pourquoi t\u2019irriter contre un jeune\nhomme qui te r\u00e9pond la v\u00e9rit\u00e9? Sache donc que, nous aussi, nous sommes\nles soldats de ce roi invincible!\u00bb Ce qu\u2019entendant, N\u00e9ron les fit jeter\nen prison, malgr\u00e9 toute l\u2019amiti\u00e9 qu\u2019il avait eue pour eux. Puis il fit\nrechercher tous les chr\u00e9tiens, et, sans les interroger, les condamna\ntous aux plus affreux supplices. Et quand Paul, encha\u00een\u00e9, comparut\ndevant lui: \u00abServiteur d\u2019un grand roi, mais mon prisonnier; pourquoi\nd\u00e9tournes-tu de leur devoir mes officiers?\u00bb Et Paul: \u00abCe n\u2019est pas\nseulement \u00e0 ta cour que je recrute mes soldats, mais dans le monde\nentier. Et toi-m\u00eame, si tu veux te soumettre \u00e0 notre loi, tu seras\nsauv\u00e9! Ce roi est si puissant, qu\u2019il viendra juger tous les hommes et\nbr\u00fblera ce monde!\u00bb Sur quoi N\u00e9ron, furieux de ces paroles fit br\u00fbler\ntous les chr\u00e9tiens \u00e0 l\u2019exception de Paul, qu\u2019il condamna \u00e0 avoir la t\u00eate\ntranch\u00e9e comme coupable de l\u00e8se-majest\u00e9. Et tel fut le massacre des\nchr\u00e9tiens que le peuple de Rome envahit le palais, mena\u00e7ant de se\nr\u00e9volter, et disant: \u00abC\u00e9sar, mets un terme au massacre, car les hommes\nque tu fais p\u00e9rir sont nos parents, et les meilleurs soutiens de\nl\u2019empire!\u00bb Si bien que l\u2019empereur, effray\u00e9, r\u00e9voqua son \u00e9dit, et d\u00e9clara\nqu\u2019il se r\u00e9servait le droit de juger les chr\u00e9tiens.\nPaul comparut donc une seconde fois devant lui. Et N\u00e9ron, repris de\nfureur \u00e0 sa vue, s\u2019\u00e9cria: \u00abEmmenez d\u2019ici et d\u00e9capitez ce malfaiteur!\u00bb Et\nPaul: \u00abN\u00e9ron, ma souffrance ne durera que quelques instants, et puis je\nvivrai pendant une \u00e9ternit\u00e9 aupr\u00e8s de mon ma\u00eetre J\u00e9sus!\u00bb Et N\u00e9ron:\n\u00abCoupez-lui la t\u00eate, pour qu\u2019il sache que je suis plus fort que son\nma\u00eetre! Et nous verrons bien, ensuite, s\u2019il vit encore!\u00bb Et Paul: \u00abPour\nque tu saches que je continuerai de vivre apr\u00e8s la mort de mon corps, je\nt\u2019appara\u00eetrai vivant quand on m\u2019aura coup\u00e9 la t\u00eate! Ainsi tu verras que\nle Christ est le Dieu de la vie, et non pas de la mort!\u00bb Puis il se\nlaissa conduire au lieu de son supplice.\nEn chemin, les trois soldats qui le conduisaient lui dirent: \u00abQuel est\ndonc ce roi que vous aimez tant, et quelle r\u00e9compense attendez-vous de\nlui?\u00bb Paul leur parla si bien du royaume de Dieu qu\u2019il les convertit.\nIls le pri\u00e8rent de s\u2019enfuir. Et lui: \u00abNon, mes fr\u00e8res, je ne suis pas un\nfuyard, mais un soldat du Christ. Quand je serai mort, des fid\u00e8les\nenl\u00e8veront mes restes, pour les transporter en un certain lieu. Et vous,\nvenez en ce lieu demain matin! Vous y trouverez deux hommes en pri\u00e8re,\nnomm\u00e9s Tite et Luc; Vous leur direz pourquoi je vous ai envoy\u00e9s vers\neux; ils vous baptiseront, et vous serez admis au royaume c\u00e9leste.\u00bb\nSurvinrent alors deux autres soldats, envoy\u00e9s par N\u00e9ron pour voir s\u2019il\navait subi sa peine. Et comme il voulait \u00e9galement les convertir, ils\nlui dirent: \u00abSi tu ressuscites apr\u00e8s ta mort, nous croirons \u00e0 tes\nparoles; mais, maintenant, marche plus vite pour aller recevoir le\nch\u00e2timent qui t\u2019est d\u00fb!\u00bb Un peu plus loin, sous la porte d\u2019Ostie, il\nrencontra une femme chr\u00e9tienne appel\u00e9e Plautille, qu\u2019on appelait aussi\nLemobie; et cette femme, toute en larmes, se recommanda \u00e0 ses pri\u00e8res.\nEt Paul lui dit: \u00abPlautille, ma ch\u00e8re enfant, pr\u00eate-moi le voile dont tu\nrecouvres ta t\u00eate; je m\u2019en lierai les yeux et puis tu le reprendras!\u00bb Et\nles bourreaux se moquaient d\u2019elle, disant: \u00abComment peux-tu donner \u00e0 cet\nimposteur un objet aussi pr\u00e9cieux?\u00bb\nParvenu au lieu de sa passion, Paul se tourna vers l\u2019Orient, et, les\nyeux lev\u00e9s au ciel, il pria longtemps. Puis, ayant dit adieu \u00e0 ses\nfr\u00e8res, il s\u2019attacha autour des yeux le voile de Plautille,\ns\u2019agenouilla, tendit le cou, et fut d\u00e9capit\u00e9. Et lorsque d\u00e9j\u00e0 sa t\u00eate\n\u00e9tait s\u00e9par\u00e9e de son tronc, sa bouche pronon\u00e7a, en h\u00e9breu, le nom de\nJ\u00e9sus, que, vivante, elle avait eu tant de douceur \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter sans cesse!\nDe sa blessure jaillit d\u2019abord un flot de lait, jusque sur le manteau\nd\u2019un soldat, puis le sang coula, et de son corps s\u2019exhala un parfum\nd\u00e9licieux. Or N\u00e9ron, ayant appris tous ces miracles fut grandement\neffray\u00e9, et s\u2019enferma chez lui avec ses confidents. Soudain, toutes les\nportes \u00e9tant ferm\u00e9es, Paul entra et lui dit: \u00abC\u00e9sar, me voici, soldat du\nroi \u00e9ternel et invincible! Et toi, malheureux, tu mourras d\u2019une mort\n\u00e9ternelle, pour avoir injustement tu\u00e9 les serviteurs de ce roi!\u00bb Cela\ndit, il disparut. N\u00e9ron, \u00e9pouvant\u00e9, ne sut plus ce qu\u2019il faisait. Sur le\nconseil de ses amis, il fit remettre en libert\u00e9 Patrocle, Barnab\u00e9 et les\nautres chr\u00e9tiens. Cependant, les soldats qui avaient conduit Paul\nvinrent le lendemain matin au tombeau du martyr. Ils y trouv\u00e8rent Tite\net Luc occup\u00e9s \u00e0 prier, et, debout au milieu d\u2019eux, Paul lui-m\u00eame. Tite\net Luc en voyant les soldats, s\u2019enfuirent, et Paul disparut. Mais les\nsoldats cri\u00e8rent aux deux disciples: \u00abNous ne venons pas ici pour vous\npers\u00e9cuter, mais pour recevoir de vous le bapt\u00eame, ainsi que nous l\u2019a\nordonn\u00e9 Paul, qui \u00e9tait tout \u00e0 l\u2019heure debout pr\u00e8s de vous!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, les disciples revinrent sur leurs pas et les baptis\u00e8rent\navec une grande joie.\nLa t\u00eate de Paul fut jet\u00e9e dans une fosse avec une foule d\u2019autres, de\ntelle sorte qu\u2019on ne parvenait gu\u00e8re \u00e0 la retrouver. Mais un jour, comme\non vidait la fosse, un berger ramassa un cr\u00e2ne, du bout de son b\u00e2ton, et\nle mit dans son \u00e9table. Et pendant trois nuits ce berger et son ma\u00eetre\nvirent une lumi\u00e8re ineffable briller au-dessus de ce cr\u00e2ne. Ce\nqu\u2019apprenant, l\u2019\u00e9v\u00eaque et les fid\u00e8les reconnurent que c\u2019\u00e9tait la t\u00eate de\nPaul. On la porta donc en grande pompe, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019on s\u2019appr\u00eatait \u00e0 la\nplacer au-dessus du tronc lorsque le patriarche dit: \u00abTant de saints\nmartyrs ont eu leurs t\u00eates jet\u00e9es, p\u00eale-m\u00eale, dans cette fosse, que nous\nne pouvons pas \u00eatre s\u00fbrs que ceci soit la t\u00eate de saint Paul. Mettons-la\ndonc plut\u00f4t \u00e0 ses pieds; et si c\u2019est vraiment sa t\u00eate, que le tronc se\nretourne pour l\u2019avoir sur ses \u00e9paules!\u00bb Ainsi fut fait; et voil\u00e0 que, \u00e0\nl\u2019\u00e9tonnement de tous, le corps se retourna dans le cercueil! Et tous,\nb\u00e9nissant Dieu, reconnurent que c\u2019\u00e9tait bien l\u00e0 la t\u00eate de Paul. C\u2019est\ndu moins ce que raconte saint Denis, dans sa lettre \u00e0 Timoth\u00e9e.\nGr\u00e9goire de Tours affirme que les cha\u00eenes de saint Paul font de nombreux\nmiracles. Lorsque des fid\u00e8les d\u00e9sirent avoir un peu de limaille de ces\ncha\u00eenes, un pr\u00eatre frotte les cha\u00eenes avec une lime; et parfois la\nlimaille s\u2019obtient aussit\u00f4t, tandis que d\u2019autres fois le pr\u00eatre a beau\nfrotter tr\u00e8s longtemps, pas un grain de limaille ne tombe des cha\u00eenes.\nOn lit, dans le m\u00eame Gr\u00e9goire de Tours, qu\u2019un d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 se pr\u00e9parait un\nlacet pour se pendre, tout en ne cessant pas de r\u00e9p\u00e9ter: \u00abSaint Paul,\nviens \u00e0 mon secours!\u00bb Alors lui apparut une ombre sinistre, qui lui dit:\n\u00abH\u00e9 mon ami, fais vite ce que tu as \u00e0 faire!\u00bb Mais lui, tout en\npr\u00e9parant son lacet, r\u00e9p\u00e9tait toujours: \u00abSaint Paul, viens \u00e0 mon\nsecours!\u00bb Et quand il eut achev\u00e9 le lacet, une autre ombre apparut, et\ndit \u00e0 celle qui exhortait l\u2019homme \u00e0 se tuer: \u00abFuis, malheureux, car\nvoici saint Paul qui arrive!\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019ombre sinistre s\u2019\u00e9vanouit, et\nl\u2019homme, revenant \u00e0 lui, jeta son lacet et fit p\u00e9nitence.\nXCI\nLES SEPT FILS DE SAINTE F\u00c9LICIT\u00c9, MARTYRS\n(10 juillet)\nSainte F\u00e9licit\u00e9 eut sept fils, nomm\u00e9s Janvier, F\u00e9lix, Philippe, Sylvain,\nAlexandre, Vital et Martial. Par ordre de l\u2019empereur Antonin, le pr\u00e9fet\nPublius fit venir leur m\u00e8re, et lui conseilla d\u2019avoir piti\u00e9 d\u2019elle-m\u00eame\net de ses fils. Mais elle r\u00e9pondit: \u00abNi tes flatteries ne pourront me\ns\u00e9duire, ni tes menaces m\u2019effrayer: car l\u2019Esprit-Saint qui est en moi\nm\u2019assure que, vivante, je te vaincrai, et, morte, mieux encore!\u00bb Puis,\nse tournant vers ses fils, elle leur dit: \u00abMes fils, levez les yeux au\nciel, et voyez le Christ qui nous y attend! Et puis combattez\ncourageusement pour le Christ et montrez-vous fid\u00e8les dans son amour!\u00bb\nCe qu\u2019entendant, le pr\u00e9fet la fit souffleter. Mais comme la m\u00e8re et ses\nfils pers\u00e9v\u00e9raient dans leur foi, les sept jeunes gens furent condamn\u00e9s\n\u00e0 des supplices divers, sous les yeux de leur m\u00e8re, qui leur prodiguait\nles encouragements. Aussi, saint Gr\u00e9goire, dans ses hom\u00e9lies,\nappelle-t-il sainte F\u00e9licit\u00e9 \u00abplus que martyre\u00bb, car elle souffrit sept\nfois dans ses sept fils, et une huiti\u00e8me fois dans son propre corps.\nElle-m\u00eame, en effet, apr\u00e8s avoir vu mourir ses enfants, re\u00e7ut \u00e0 son tour\nla palme du martyre. Leur mort eut lieu vers l\u2019an du Seigneur 110.\nXCII\nSAINT ALEXIS, CONFESSEUR\n(17 juillet)\nAlexis \u00e9tait fils d\u2019Euph\u00e9mien, noble romain qui occupait une des\npremi\u00e8res places \u00e0 la cour de l\u2019empereur, et qui avait \u00e0 son service\ntrois mille esclaves v\u00eatus de soie avec des ceintures dor\u00e9es. Euph\u00e9mien\n\u00e9tait, avec cela, un homme tr\u00e8s charitable: tous les jours on pr\u00e9parait\nchez lui trois tables, pour les pauvres, les orphelins, les veuves et\nles \u00e9trangers; et c\u2019\u00e9tait Euph\u00e9mien lui-m\u00eame qui les servait; apr\u00e8s\nquoi, \u00e0 neuf heures, il prenait enfin son repas, en compagnie d\u2019autres\nhommes bons et pieux comme lui. Sa femme, nomm\u00e9e Agla\u00e9, partageait sa\nfoi et tous ses sentiments. Longtemps ils n\u2019eurent point d\u2019enfants; mais\nle ciel, c\u00e9dant \u00e0 leurs pri\u00e8res, finit par leur accorder un fils; et,\nd\u00e8s qu\u2019ils l\u2019eurent, ils firent v\u0153u de vivre d\u00e9sormais dans la chastet\u00e9.\nL\u2019enfant re\u00e7ut l\u2019instruction la plus lib\u00e9rale; et plus tard, quand il\nfut parvenu \u00e0 la pubert\u00e9, on choisit dans la maison de l\u2019empereur une\nbelle jeune fille qu\u2019on lui donna pour femme. Mais, la nuit des noces,\nd\u00e8s qu\u2019il se trouva seul dans sa chambre avec sa jeune femme, il se mit\n\u00e0 l\u2019instruire dans la crainte de Dieu et \u00e0 lui inspirer le go\u00fbt de la\nvirginit\u00e9; puis il lui remit son anneau d\u2019or et le ruban qui lui servait\nde ceinture, et il lui dit: \u00abPrends cela et garde-le aussi longtemps que\nDieu le voudra; et que le Seigneur soit entre nous!\u00bb Le lendemain,\nemportant une partie de son bien, il s\u2019embarqua secr\u00e8tement sur un\nnavire qui le conduisit \u00e0 Laodic\u00e9e; et il se rendit, de l\u00e0, \u00e0 Edesse,\nville de Syrie, o\u00f9 l\u2019on conservait l\u2019image de J\u00e9sus-Christ\nmiraculeusement grav\u00e9e sur un linge.\nArriv\u00e9 dans cette ville, il distribua aux pauvres tout l\u2019argent qu\u2019il\navait apport\u00e9 avec lui, se v\u00eatit de haillons, et s\u2019installa parmi la\nfoule des mendiants, \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de l\u2019\u00e9glise de Notre-Dame. Et, sur les\naum\u00f4nes qu\u2019il recevait, il ne gardait pour lui que ce qui \u00e9tait\nstrictement n\u00e9cessaire: le reste allait aux autres pauvres de la ville.\nOr son p\u00e8re Euph\u00e9mien, d\u00e9sol\u00e9 de son d\u00e9part, envoya aux quatre coins du\nmonde des serviteurs charg\u00e9s de le retrouver. Et quelques-uns de ces\nserviteurs vinrent \u00e0 Edesse, ou, sans reconna\u00eetre Alexis, ils lui firent\nl\u2019aum\u00f4ne ainsi qu\u2019\u00e0 d\u2019autres mendiants: ce dont Alexis remercia Dieu,\ndisant: \u00abJe te rends gr\u00e2ce, Seigneur, de ce que tu m\u2019aies permis de\nrecevoir l\u2019aum\u00f4ne de mes serviteurs!\u00bb Cependant les serviteurs, de\nretour \u00e0 Rome, d\u00e9clar\u00e8rent \u00e0 ses parents que nulle part ils n\u2019avaient pu\nle retrouver. Sa m\u00e8re, d\u00e8s le jour de son d\u00e9part, avait \u00e9tendu un sac\nsur le pav\u00e9 de sa chambre, en disant: \u00abJe passerai toutes mes nuits \u00e0\npleurer sur ce sac, jusqu\u2019\u00e0 ce que mon fils me soit rendu!\u00bb Et la femme\nd\u2019Alexis avait dit \u00e0 sa belle-m\u00e8re: \u00abJusqu\u2019\u00e0 ce que j\u2019aie eu des\nnouvelles de mon cher mari, je resterai pr\u00e8s de toi comme une\ntourterelle solitaire!\u00bb Or, apr\u00e8s qu\u2019Alexis eut servi Dieu pendant\ndix-sept ans sous le porche de l\u2019\u00e9glise, l\u2019image miraculeuse de la\nVierge, qui \u00e9tait dans cette \u00e9glise, dit au gardien: \u00abFais entrer\nl\u2019homme de Dieu, car il est digne du royaume c\u00e9leste, et l\u2019esprit divin\nrepose sur lui, et sa pri\u00e8re monte comme l\u2019encens jusqu\u2019au visage de\nDieu!\u00bb Le gardien ne savait pas de qui la Vierge voulait parler; mais\nelle lui dit: \u00abLe mendiant qui se trouve \u00e0 la porte de l\u2019\u00e9glise, c\u2019est\nlui!\u00bb Alors le gardien s\u2019empressa de faire entrer Alexis dans l\u2019\u00e9glise,\nce qui valut au mendiant l\u2019attention et le respect de tous. Mais lui,\nafin de fuir la gloire humaine, revint \u00e0 Laodic\u00e9e, o\u00f9 il s\u2019embarqua sur\nun vaisseau qui partait pour Tarse en Cilicie. Et ce vaisseau, par la\nvolont\u00e9 de Dieu, se trouva jet\u00e9 dans le port de Rome. Ce que voyant,\nAlexis se dit: \u00abSans me faire conna\u00eetre, je demeurerai dans la maison de\nmon p\u00e8re, de fa\u00e7on \u00e0 n\u2019\u00eatre \u00e0 charge \u00e0 personne!\u00bb Rencontrant donc son\np\u00e8re qui revenait du palais, entour\u00e9 d\u2019une foule de qu\u00e9mandeurs, il alla\nau-devant de lui, et lui dit: \u00abServiteur de Dieu, je suis \u00e9tranger.\nDaigne m\u2019admettre dans ta maison et me laisser manger les miettes de ta\ntable, afin que, si quelqu\u2019un des tiens se trouve \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, Dieu ait\npareillement piti\u00e9 de lui!\u00bb Sur quoi son p\u00e8re, se souvenant de son fils,\noffrit \u00e0 l\u2019\u00e9tranger une chambre dans sa maison, le fit nourrir des mets\nde sa propre table, et attacha \u00e0 sa personne un serviteur sp\u00e9cial. Mais\nlui, il passait tout son temps en pri\u00e8res, mac\u00e9rant son corps par le\nje\u00fbne et les veilles. Et les familiers de la maison se moquaient de lui\net lui versaient de l\u2019eau sale sur la t\u00eate: mais il supportait tout sans\njamais se plaindre.\nIl v\u00e9cut ainsi dix-sept ans, inconnu, dans la maison de son p\u00e8re. Puis,\nl\u2019Esprit-Saint lui ayant annonc\u00e9 que le terme de sa vie \u00e9tait proche, il\nse procura un papier avec de l\u2019encre, et consigna par \u00e9crit toute\nl\u2019histoire de sa vie.\nLe dimanche suivant, apr\u00e8s la messe, une voix se fit entendre dans le\ntemple, disant: \u00abVenez \u00e0 moi, vous tous qui souffrez, et je vous\nconsolerai!\u00bb Ce qu\u2019entendant, toute la foule, effray\u00e9e, se prosterna la\nface contre terre. Et la voix dit de nouveau: \u00abCherchez l\u2019homme de Dieu,\nafin qu\u2019il prie pour Rome!\u00bb On chercha sans trouver personne. Alors la\nvoix dit: \u00abCherchez dans la maison d\u2019Euph\u00e9mien!\u00bb Mais celui-ci,\ninterrog\u00e9, r\u00e9pondit qu\u2019il ne connaissait point l\u2019homme qu\u2019on cherchait.\nAlors les empereurs Arcade et Honorius se rendirent dans sa maison avec\nle pape Innocent; et voici que le serviteur charg\u00e9 d\u2019Alexis vint trouver\nson ma\u00eetre et lui dit: \u00abSeigneur, peut-\u00eatre l\u2019homme qu\u2019on cherche est-il\nvotre \u00e9tranger, car personne ne l\u2019\u00e9gale en patience et en saintet\u00e9!\u00bb\nAussit\u00f4t Euph\u00e9mien courut \u00e0 la chambre de l\u2019\u00e9tranger; il trouva celui-ci\nd\u00e9j\u00e0 mort, mais avec un visage illumin\u00e9 comme celui d\u2019un ange. Et\nEuph\u00e9mien voulut prendre le papier qu\u2019il tenait en main, mais le mort\nrefusa de s\u2019en dessaisir. Ce qu\u2019apprenant, les empereurs et le pontife\ns\u2019approch\u00e8rent de lui \u00e0 leur tour, et lui dirent: \u00abQuelque p\u00e9cheurs que\nnous soyons, nous tenons le gouvernail de l\u2019empire, et le pontife que\nvoici pr\u00e9side \u00e0 tout le troupeau de l\u2019Eglise. Donne-nous donc ce papier,\npour que nous sachions ce qui y est \u00e9crit!\u00bb Et le pape voulut prendre le\npapier de la main du mort, qui aussit\u00f4t le lui abandonna. Lecture\npublique en fut faite devant la foule, parmi laquelle se trouvait\nEuph\u00e9mien.\nAussit\u00f4t qu\u2019il apprit la v\u00e9rit\u00e9, Euph\u00e9mien fut si d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qu\u2019il perdit\nconnaissance et s\u2019affaissa sur le sol. Puis, revenant un peu \u00e0 lui, il\nd\u00e9chira ses v\u00eatements, s\u2019arracha les cheveux et la barbe; et, se roulant\nsur le corps de son fils, il disait: \u00abH\u00e9las, mon fils, pourquoi m\u2019as-tu\ntant afflig\u00e9 et laiss\u00e9 g\u00e9mir pendant si longtemps?\u00bb De son c\u00f4t\u00e9, la m\u00e8re\nd\u2019Alexis, les v\u00eatements d\u00e9chir\u00e9s et les cheveux en d\u00e9sordre, levait les\nyeux au ciel, s\u2019\u00e9criant: \u00abO hommes, laissez-moi passer, pour que je voie\nmon fils, la consolation de mon \u00e2me, celui qui a suc\u00e9 le lait de mes\nmamelles!\u00bb Puis, parvenue aupr\u00e8s du corps, elle s\u2019\u00e9tendit sur lui en\ng\u00e9missant:\u00bb H\u00e9las, mon fils, lumi\u00e8re de mes yeux, pourquoi as-tu si\ncruellement agi envers nous? Tu nous voyais pleurer, ton p\u00e8re et moi, et\ntu ne te montrais pas \u00e0 nous! Les esclaves t\u2019injuriaient et tu ne disais\nrien!\u00bb Puis elle reprenait, en couvrant de baisers son ang\u00e9lique visage:\n\u00abPleurez tous avec moi, vous qui \u00eates ici: car, pendant dix-sept ans, je\nl\u2019ai eu dans ma maison sans savoir que c\u2019\u00e9tait mon fils!\u00bb Et la femme\nd\u2019Alexis, toute v\u00eatue de deuil, accourut en pleurant, et dit: \u00abMalheur \u00e0\nmoi, qui d\u00e9sormais suis veuve, et n\u2019ai plus personne sur qui lever les\nyeux!\u00bb Et la foule, entendant ces discours, pleurait am\u00e8rement.\nAlors le pontife et les empereurs plac\u00e8rent le corps sur un dais\nsomptueux, le firent conduire \u00e0 travers la ville, et firent annoncer\nqu\u2019on avait enfin trouv\u00e9 l\u2019homme de Dieu que tout le monde, jusque-l\u00e0,\navait cherch\u00e9 en vain. Et tout le monde accourait au-devant du saint. Et\nles malades qui touchaient son corps \u00e9taient aussit\u00f4t gu\u00e9ris, les\naveugles recouvraient la vue, les poss\u00e9d\u00e9s \u00e9taient affranchis de leur\npossession. Si bien que les deux empereurs, \u00e0 la vue de tant de\nmiracles, voulurent porter eux-m\u00eames le dais avec le pontife, afin\nd\u2019\u00eatre sanctifi\u00e9s par le contact du corps. Ils ordonn\u00e8rent aussi de\ndistribuer au peuple de l\u2019or et de l\u2019argent, de mani\u00e8re \u00e0 d\u00e9tourner son\nattention et \u00e0 permettre que le corps du saint poursuiv\u00eet son chemin\njusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9glise. Mais la foule, oubliant son amour de l\u2019argent, se\npr\u00e9cipitait, de plus en plus abondante, pour toucher le corps d\u2019Alexis;\net c\u2019est \u00e0 grand\u2019peine, que celui-ci put enfin parvenir jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9glise\nde Saint-Boniface, o\u00f9, en l\u2019espace d\u2019une semaine, on lui \u00e9leva un\nmonument tout orn\u00e9 d\u2019or et de pierres pr\u00e9cieuses. C\u2019est dans ce monument\nque fut plac\u00e9 son corps: et un parfum si doux s\u2019en exhalait, que tous\ncroyaient que le monument \u00e9tait rempli d\u2019aromates.\nSaint Alexis mourut le dix-septi\u00e8me jour de juillet, en l\u2019an du Seigneur\nXCIII\nSAINTE MARGUERITE, VIERGE ET MARTYRE\n(20 juillet)\nMarguerite naquit \u00e0 Antioche, o\u00f9 son p\u00e8re, Th\u00e9odose, \u00e9tait patriarche de\nla religion pa\u00efenne. Apr\u00e8s sa naissance, elle fut confi\u00e9e aux soins\nd\u2019une nourrice chez qui elle s\u2019instruisit de la foi du Christ: de telle\nsorte que, parvenue \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte, elle re\u00e7ut le bapt\u00eame, ce qui lui\nvalut la haine de son p\u00e8re. Or, un jour que, \u00e2g\u00e9e de quinze ans, elle\ns\u2019occupait avec d\u2019autres jeunes filles a garder les brebis de sa\nnourrice, le pr\u00e9fet Olybrius vint \u00e0 passer pr\u00e8s de l\u2019endroit o\u00f9 elle se\ntrouvait, et, voyant, une jeune fille d\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse, ne\ntarda pas \u00e0 s\u2019enflammer d\u2019amour pour elle. Il appela donc ses serviteurs\net leur dit: \u00abAllez vous emparer de cette jeune fille: si elle est de\nnaissance libre, je la prendrai pour femme; si elle est esclave, j\u2019en\nferai ma concubine.\u00bb Et quand l\u2019enfant lui fut amen\u00e9e, il l\u2019interrogea\nsur sa condition, son nom et sa religion. Elle r\u00e9pondit qu\u2019elle \u00e9tait de\ncondition noble, qu\u2019elle s\u2019appelait Marguerite, et qu\u2019elle \u00e9tait\nchr\u00e9tienne. Alors le pr\u00e9fet: \u00abLes deux premi\u00e8res de ces trois choses te\nconviennent \u00e0 merveille, car tout est noble en toi, et il n\u2019y a point de\nperle (_margarita_) qui \u00e9gale ta beaut\u00e9. Mais la troisi\u00e8me chose ne te\nconvient pas, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019une jeune fille si belle et si noble ait,\npour Dieu, un crucifi\u00e9.\u00bb Et elle: \u00abD\u2019o\u00f9 sais-tu que le Christ a \u00e9t\u00e9\ncrucifi\u00e9?\u00bb Et lui: \u00abJe l\u2019ai lu dans les livres des chr\u00e9tiens!\u00bb Et\nMarguerite: \u00abPuisque tu as lu ces livres, tu y as vu \u00e0 la fois le\nsupplice du Christ et sa gloire; comment donc oses-tu croire \u00e0 l\u2019un et\nnier l\u2019autre?\u00bb Apr\u00e8s quoi elle lui affirma que le Christ s\u2019\u00e9tait\nspontan\u00e9ment soumis \u00e0 son supplice pour notre r\u00e9demption, mais que,\nmaintenant, il vivait de la vie \u00e9ternelle. Et le pr\u00e9fet, irrit\u00e9, la fit\njeter en prison.\nLe lendemain, il la manda de nouveau, et lui dit: \u00abEnfant stupide, aie\npiti\u00e9 de ta beaut\u00e9, et adore nos dieux, si tu veux \u00eatre heureuse!\u00bb Mais\nelle: \u00abJ\u2019adore celui qui fait trembler la terre, qui \u00e9pouvante la mer et\nque craignent toutes les cr\u00e9atures!\u00bb Et le pr\u00e9fet: \u00abSi tu ne me c\u00e8des,\nje ferai lac\u00e9rer ton corps!\u00bb Mais elle: \u00abJe n\u2019ai pas de souhait plus\ncher que de mourir pour le Christ, qui s\u2019est condamn\u00e9 lui-m\u00eame \u00e0 mourir\npour moi!\u00bb Alors le pr\u00e9fet la fit attacher \u00e0 un chevalet; et on la\nbattit si cruellement, d\u2019abord avec des verges, puis avec des pointes de\nfer, que ses os furent mis \u00e0 nu, et que le sang jaillit de son corps\ncomme d\u2019une source pure. Et tous les assistants disaient: \u00abO Marguerite,\nquelle piti\u00e9 nous avons de toi! Oh! quelle beaut\u00e9 tu as perdue par ton\nincr\u00e9dulit\u00e9! Mais \u00e0 pr\u00e9sent, du moins, pour conserver ta vie, reviens \u00e0\nla vraie foi!\u00bb Et elle: \u00abO mauvais conseillers, \u00e9loignez-vous de moi! Ce\nsupplice de ma chair est le salut de mon \u00e2me!\u00bb Puis, s\u2019adressant au\npr\u00e9fet: \u00abChien insatiable et impudent, tu as pouvoir sur ma chair, mais\nmon \u00e2me n\u2019appartient qu\u2019au Christ!\u00bb Cependant le pr\u00e9fet, n\u2019ayant pas la\nforce de voir une telle effusion de sang, se cachait le visage avec son\nmanteau. Il la fit enfin d\u00e9tacher du chevalet, et ordonna qu\u2019elle f\u00fbt\nreconduite dans sa prison, qui, aussit\u00f4t, s\u2019illumina d\u2019une immense\nclart\u00e9.\nDans sa prison, Marguerite pria le Seigneur de lui faire appara\u00eetre,\nsous forme visible, l\u2019ennemi qui luttait contre elle. Et voici que lui\napparut un dragon hideux, qui voulut se jeter sur elle pour la d\u00e9vorer.\nMais elle fit le signe de la croix, et le dragon disparut. Ou encore,\ncomme l\u2019affirme une l\u00e9gende, le monstre la saisit par la t\u00eate et\nl\u2019introduisit dans sa bouche; et c\u2019est alors qu\u2019elle fit un signe de\ncroix par la vertu duquel le dragon creva, et la vierge sortit de son\ncorps sans avoir aucun mal. Mais cette l\u00e9gende est apocryphe, et on\ns\u2019accorde \u00e0 la tenir pour une fable sans fondement.\nS\u2019obstinant \u00e0 vouloir tromper Marguerite, le d\u00e9mon lui apparut sous la\nforme d\u2019un jeune homme. Et comme elle s\u2019\u00e9tait mise en pri\u00e8res, il\ns\u2019approcha d\u2019elle, lui prit la main, et lui dit: \u00abQue ce que tu as d\u00e9j\u00e0\nfait te suffise: cesse maintenant de me tourmenter!\u00bb Mais Marguerite le\nsaisit par la t\u00eate, l\u2019\u00e9tendit \u00e0 terre, et, posant sur lui son pied\ndroit, elle dit: \u00abD\u00e9mon orgueilleux, prosterne-toi sous le pied d\u2019une\nfemme!\u00bb Mais le d\u00e9mon criait: \u00abO Marguerite, je suis vaincu, et, pour\ncomble de honte, vaincu par une petite fille, et dont le p\u00e8re et la m\u00e8re\nont \u00e9t\u00e9 mes amis!\u00bb\nLa sainte le for\u00e7a \u00e0 lui dire pourquoi il \u00e9tait venu: c\u2019\u00e9tait pour\nl\u2019engager \u00e0 ob\u00e9ir aux ordres du pr\u00e9fet. Elle lui demanda ensuite\npourquoi il tentait si obstin\u00e9ment les chr\u00e9tiens. Il r\u00e9pondit que\nc\u2019\u00e9tait, d\u2019abord, parce qu\u2019il ha\u00efssait tous les hommes vertueux, et\nensuite parce que, dans sa jalousie, il voulait \u00f4ter aux chr\u00e9tiens un\nbonheur que, lui-m\u00eame, il avait perdu. Il ajouta que Salomon avait\nenferm\u00e9 dans un vase une foule de d\u00e9mons, mais que, apr\u00e8s sa mort, les\nhommes, en voyant du feu sortir de ce vase, s\u2019\u00e9taient figur\u00e9 qu\u2019il\ncontenait un tr\u00e9sor, l\u2019avaient bris\u00e9, et avaient ainsi remis les d\u00e9mons\nen libert\u00e9. Enfin Marguerite, ayant forc\u00e9 le d\u00e9mon \u00e0 tous ces aveux,\nsouleva son pied et dit: \u00abVa-t\u2019en, mis\u00e9rable!\u00bb Et aussit\u00f4t le d\u00e9mon\ns\u2019enfuit.\nAyant vaincu le prince, elle n\u2019eut pas de peine \u00e0 vaincre son ministre.\nLe lendemain, comme de nouveau elle se refusait \u00e0 sacrifier aux idoles,\nelle fut d\u00e9pouill\u00e9e de ses v\u00eatements et br\u00fbl\u00e9e avec des torches\nardentes; et tous s\u2019\u00e9tonnaient qu\u2019une enfant p\u00fbt supporter tant de\nsupplices divers. Seul, le pr\u00e9fet resta impitoyable: pour aggraver sa\ndouleur par la vari\u00e9t\u00e9 des souffrances, il la fit plonger dans un bassin\nplein d\u2019eau; mais aussit\u00f4t la terre trembla, le bassin se brisa, et la\njeune fille en sortit saine et sauve sous les yeux de la foule. Ce que\nvoyant, cinq mille personnes se convertirent, et furent punies de mort\npour le nom du Christ. Enfin le pr\u00e9fet, redoutant d\u2019autres conversions,\nordonna qu\u2019elle f\u00fbt au plus vite d\u00e9capit\u00e9e. Mais elle, apr\u00e8s avoir\nobtenu la permission de faire une pri\u00e8re, pria pour elle-m\u00eame et pour\nses pers\u00e9cuteurs, et aussi pour ceux qui, par la suite, invoqueraient\nson nom. Elle demanda, en particulier, que toutes les fois qu\u2019une femme\nen couches invoquerait son nom, l\u2019enfant p\u00fbt na\u00eetre sans avoir aucun\nmal. Et une voix du ciel lui dit que toutes ses pri\u00e8res \u00e9taient\nexauc\u00e9es. Alors, se relevant, elle dit au bourreau: \u00abMon fr\u00e8re, tire\nmaintenant ton \u00e9p\u00e9e et frappe-moi!\u00bb Le bourreau, d\u2019un seul coup, lui\ntrancha la t\u00eate; et c\u2019est ainsi qu\u2019elle re\u00e7ut la couronne du martyre, le\nquatorzi\u00e8me jour des calendes d\u2019ao\u00fbt, suivant les uns, suivant d\u2019autres\nle troisi\u00e8me jour des ides de juillet.\nXCIV\nSAINTE PRAX\u00c8DE, VIERGE\n(21 juillet)\nPrax\u00e8de, vierge, et sa s\u0153ur Pudentienne, eurent pour fr\u00e8res les saints\nDonat et Timoth\u00e9e, qui furent instruits dans la foi par les ap\u00f4tres. Au\nmilieu des pers\u00e9cutions, elles ensevelirent les corps de nombreux\nchr\u00e9tiens. Elles distribu\u00e8rent aussi aux pauvres tous leurs biens. Et\nelles s\u2019endormirent enfin dans le Seigneur, vers l\u2019an 165, sous le r\u00e8gne\ndes empereurs Marc et Antoine II.\nXCV\nSAINTE MARIE-MADELEINE, P\u00c9CHERESSE\n(22 juillet)\nI. Marie-Madeleine naquit de parents nobles, et qui descendaient de\nfamille royale. Son p\u00e8re s\u2019appelait Syrus, sa m\u00e8re Eucharie. Avec son\nfr\u00e8re Lazare et sa s\u0153ur Marthe, elle poss\u00e9dait la place forte de\nMagdala, voisine de Gen\u00e9zareth, B\u00e9thanie, pr\u00e8s de J\u00e9rusalem, et une\ngrande partie de cette derni\u00e8re ville; mais cette vaste possession fut\npartag\u00e9e de telle mani\u00e8re que Lazare eut la partie de J\u00e9rusalem, Marthe,\nB\u00e9thanie, et que Magdala revint en propre \u00e0 Marie, qui tira de l\u00e0 son\nsurnom de Magdeleine. Et comme Madeleine s\u2019abandonnait tout enti\u00e8re aux\nd\u00e9lices des sens, et que Lazare servait dans l\u2019arm\u00e9e, c\u2019\u00e9tait la sage\nMarthe qui s\u2019occupait d\u2019administrer les biens de sa s\u0153ur et de son\nfr\u00e8re. Tous trois, d\u2019ailleurs, apr\u00e8s l\u2019ascension de J\u00e9sus-Christ,\nvendirent leurs biens et en d\u00e9pos\u00e8rent le prix aux pieds des ap\u00f4tres.\nAutant Madeleine \u00e9tait riche, autant elle \u00e9tait belle; et elle avait si\ncompl\u00e8tement livr\u00e9 son corps \u00e0 la volupt\u00e9 qu\u2019on ne la connaissait plus\nque sous le nom de la P\u00e9cheresse. Mais, comme J\u00e9sus allait pr\u00eachant \u00e7\u00e0\net l\u00e0, elle apprit un jour, sous l\u2019inspiration divine, qu\u2019il s\u2019\u00e9tait\narr\u00eat\u00e9 dans la maison de Simon le l\u00e9preux; et aussit\u00f4t elle y courut;\nmais, n\u2019osant pas se m\u00ealer aux disciples, elle se tint \u00e0 l\u2019\u00e9cart, lava\nde ses larmes les pieds du Seigneur, les essuya de ses cheveux et les\noignit d\u2019un onguent pr\u00e9cieux: car l\u2019extr\u00eame chaleur for\u00e7ait les\nhabitants de cette r\u00e9gion \u00e0 se servir, plusieurs fois par jour, d\u2019eau et\nd\u2019onguent. Et comme le Pharisien Simon s\u2019\u00e9tonnait de voir qu\u2019un proph\u00e8te\nse laiss\u00e2t toucher par une prostitu\u00e9e, le Seigneur le bl\u00e2ma de son\norgueilleuse justice, et dit que tous les p\u00e9ch\u00e9s de cette femme lui\n\u00e9taient remis. Et, depuis lors, il n\u2019y eut point de gr\u00e2ce qu\u2019il\nn\u2019accord\u00e2t \u00e0 Marie-Madeleine, ni de signe d\u2019affection qu\u2019il ne lui\nt\u00e9moign\u00e2t. Il chassa d\u2019elle sept d\u00e9mons, il l\u2019admit dans sa familiarit\u00e9,\nil daigna demeurer chez elle, et, en toute occasion, se plut \u00e0 la\nd\u00e9fendre. Il la d\u00e9fendit devant le pharisien qui la disait impure, et\ndevant sa s\u0153ur Marthe, qui l\u2019accusait de paresse, et devant Judas, qui\nlui reprochait sa prodigalit\u00e9. Et il ne pouvait la voir pleurer sans\npleurer lui-m\u00eame. C\u2019est par faveur pour elle qu\u2019il ressuscita son fr\u00e8re,\nmort depuis quatre jours, qu\u2019il gu\u00e9rit Marthe d\u2019un flux de sang dont\nelle souffrait depuis sept ans, et qu\u2019il choisit la servante de Marthe,\nMartille, pour prononcer cette parole m\u00e9morable: \u00abBienheureux le ventre\nqui t\u2019a port\u00e9!\u00bb Madeleine eut aussi l\u2019honneur d\u2019assister \u00e0 la mort de\nJ\u00e9sus, au pied de la croix; c\u2019est elle qui oignit de parfum le corps de\nJ\u00e9sus apr\u00e8s sa mort, et qui resta pr\u00e8s du tombeau tandis que tous les\ndisciples s\u2019en \u00e9taient \u00e9loign\u00e9s, et \u00e0 qui J\u00e9sus ressuscit\u00e9 apparut tout\nd\u2019abord.\nApr\u00e8s l\u2019ascension du Seigneur, la quatorzi\u00e8me ann\u00e9e apr\u00e8s la Passion,\nles disciples se r\u00e9pandirent dans les diverses contr\u00e9es pour y semer la\nparole divine; et saint Pierre confia Marie-Madeleine \u00e0 saint Maximin,\nl\u2019un des soixante-douze disciples du Seigneur. Alors saint Maximin,\nMarie-Madeleine, Lazare, Marthe, Martille, et avec eux saint C\u00e9don,\nl\u2019aveugle-n\u00e9 gu\u00e9ri par J\u00e9sus, ainsi que d\u2019autres chr\u00e9tiens encore,\nfurent jet\u00e9s par les infid\u00e8les sur un bateau et lanc\u00e9s \u00e0 la mer, sans\npersonne pour diriger le bateau. Les infid\u00e8les esp\u00e9raient que, de cette\nfa\u00e7on, ils seraient tous noy\u00e9s \u00e0 la fois. Mais le bateau, conduit par la\ngr\u00e2ce divine, arriva heureusement dans le port de Marseille. L\u00e0,\npersonne ne voulut recevoir les nouveaux venus, qui s\u2019abrit\u00e8rent sous le\nportique d\u2019un temple. Et, lorsque Marie-Madeleine vit les pa\u00efens se\nrendre dans leur temple pour sacrifier aux idoles, elle se leva, le\nvisage calme, se mit \u00e0 les d\u00e9tourner du culte des idoles et \u00e0 leur\npr\u00eacher le Christ. Et tous l\u2019admir\u00e8rent, autant pour son \u00e9loquence que\npour sa beaut\u00e9: \u00e9loquence qui n\u2019avait rien de surprenant dans une bouche\nqui avait touch\u00e9 les pieds du Seigneur.\nII. Or le chef de la province se rendit dans le temple pour sacrifier\naux idoles, esp\u00e9rant obtenir ainsi un enfant, car leur mariage \u00e9tait\nrest\u00e9 sans fruit. Mais Madeleine, par sa pr\u00e9dication, les dissuada de\nsacrifier aux idoles. Et, quelques jours apr\u00e8s, elle apparut en r\u00eave \u00e0\nla femme de ce chef et lui dit: \u00abPourquoi, \u00e9tant riches, laissez-vous\nmourir de faim et de froid les serviteurs de Dieu?\u00bb Et elle la mena\u00e7a de\nla col\u00e8re divine si elle se refusait \u00e0 faire en sorte que son mari\ndev\u00eent plus charitable. Mais la femme eut peur de parler \u00e0 son mari de\ncette vision. Madeleine lui apparut encore la nuit suivante; et, de\nnouveau, elle n\u00e9gligea d\u2019en avertir son mari. Enfin, la troisi\u00e8me nuit,\nMadeleine se montra, tout irrit\u00e9e et le visage enflamm\u00e9, et elle lui\nreprocha am\u00e8rement la duret\u00e9 de son c\u0153ur. La femme se r\u00e9veilla toute\ntremblante, et vit que son mari tremblait aussi. \u00abSeigneur, lui\ndit-elle, as-tu vu de ton c\u00f4t\u00e9 ce que j\u2019ai vu en r\u00eave?\u00bb Et le mari\nr\u00e9pondit: \u00abJ\u2019ai vu la chr\u00e9tienne, qui m\u2019a reproch\u00e9 mon manque de\ncharit\u00e9, et m\u2019a menac\u00e9 de la col\u00e8re divine. Que devons-nous faire?\u00bb Et\nla femme: \u00abMieux vaut lui ob\u00e9ir que d\u2019encourir la col\u00e8re de son Dieu!\u00bb\nIls donn\u00e8rent donc l\u2019hospitalit\u00e9 aux chr\u00e9tiens, et promirent de pourvoir\n\u00e0 tous leurs besoins.\nUn jour que Marie-Madeleine pr\u00eachait, ce m\u00eame chef lui dit: \u00abTe crois-tu\nen \u00e9tat de d\u00e9fendre la foi que tu pr\u00eaches?\u00bb Et elle: \u00abCertes, je suis\npr\u00eate \u00e0 d\u00e9fendre une foi qui se trouve encore fortifi\u00e9e tous les jours\npar les miracles et la pr\u00e9dication de mon ma\u00eetre Pierre, l\u2019\u00e9v\u00eaque de\nRome!\u00bb Alors le chef et sa femme lui dirent: \u00abNous t\u2019ob\u00e9irons en toute\nchose si tu parviens \u00e0 obtenir pour nous, de ton Dieu, la naissance d\u2019un\nfils.\u00bb Et Marie-Madeleine pria le Seigneur pour eux, et sa pri\u00e8re fut\nentendue, car bient\u00f4t la femme se trouva enceinte.\nAlors le chef r\u00e9solut de se rendre aupr\u00e8s de Pierre, pour savoir de lui\nsi ce que Madeleine disait du Christ \u00e9tait vrai. Et sa femme lui dit:\n\u00abEh! quoi, mon ami, penses-tu donc partir sans moi?\u00bb Et lui: \u00abJe ne puis\nsonger \u00e0 te prendre avec moi, car tu es enceinte, et les dangers de la\nmer sont grands!\u00bb Mais elle insista si fort, comme savent faire les\nfemmes, et se jeta \u00e0 ses pieds avec tant de larmes, qu\u2019elle finit par\nobtenir ce qu\u2019elle demandait. Madeleine fit sur eux le signe de la\ncroix, pour les mettre \u00e0 l\u2019abri des pi\u00e8ges du d\u00e9mon, et ils partirent,\nlaissant \u00e0 la garde de Madeleine tout ce qu\u2019ils n\u2019emportaient pas avec\neux sur le bateau. Or, apr\u00e8s un jour et une nuit du voyage, la mer se\nleva, la temp\u00eate souffla; et la femme du chef, accabl\u00e9e de frayeur et\ntoute secou\u00e9e par l\u2019orage, enfanta un fils avant le terme naturel, et,\nl\u2019ayant enfant\u00e9, mourut. Quant \u00e0 l\u2019enfant nouveau-n\u00e9, il tremblait de\nfaim, cherchait vainement le sein maternel et poussait des cris\nlamentables. Le malheureux p\u00e8re se d\u00e9sesp\u00e9rait, disant: \u00abH\u00e9las! que\nvais-je faire? J\u2019ai d\u00e9sir\u00e9 avoir un fils, et voil\u00e0 que, par ce d\u00e9sir,\nj\u2019ai perdu \u00e0 la fois ma femme et mon fils!\u00bb Cependant les matelots\ns\u2019\u00e9criaient: \u00abQu\u2019on jette \u00e0 la mer ce cadavre, car aussi longtemps qu\u2019il\nsera avec nous la temp\u00eate continuera \u00e0 nous tourmenter!\u00bb D\u00e9j\u00e0 m\u00eame ils\ns\u2019\u00e9taient empar\u00e9s du cadavre pour le jeter \u00e0 la mer, malgr\u00e9 les\nsupplications du p\u00e8lerin, lorsque apparut \u00e0 l\u2019horizon une terre\ninconnue. L\u2019apercevant, le p\u00e8lerin obtint des matelots, \u00e0 force de\npri\u00e8res et de promesses, qu\u2019on transport\u00e2t sur cette terre le cadavre de\nsa femme et l\u2019enfant nouveau-n\u00e9. On aborda donc, et l\u2019on se mit en\ndevoir de creuser une fosse. Mais le sol \u00e9tait si dur qu\u2019on ne pouvait\nle creuser; de telle sorte que le p\u00e8lerin enveloppa le cadavre dans un\nmanteau, et le disposa dans un endroit \u00e9cart\u00e9, apr\u00e8s lui avoir plac\u00e9\nl\u2019enfant sur la poitrine. Puis, apr\u00e8s avoir invoqu\u00e9 l\u2019aide de\nMarie-Madeleine, il remonta \u00e0 bord et poursuivit sa route.\nQuand il arriva aupr\u00e8s de Pierre, celui-ci vint \u00e0 sa rencontre; et,\nvoyant sur son manteau le signe de la croix, il lui demanda qui il \u00e9tait\net d\u2019o\u00f9 il venait. Le p\u00e8lerin lui raconta toute son histoire. Et Pierre:\n\u00abQue la paix rentre en toi, et prends ton mal en patience! Ta femme dort\net son enfant avec elle. Mais Dieu est puissant: il peut tout enlever et\ntout rendre. Il pourra, s\u2019il le veut, changer ta tristesse en joie:\u00bb\nPierre le conduisit ensuite \u00e0 J\u00e9rusalem, lui montra tous les lieux o\u00f9 le\nChrist avait pr\u00each\u00e9 et fait des miracles, le lieu de sa passion et celui\nde son ascension; et pendant deux ans il l\u2019instruisit dans la foi. Apr\u00e8s\nquoi le p\u00e8lerin reprit la mer pour rentrer dans sa patrie. Et comme, sur\nl\u2019ordre de Dieu, le vent avait pouss\u00e9 de nouveau le bateau pr\u00e8s de l\u2019\u00eele\no\u00f9 avaient \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9s la femme morte et l\u2019enfant, le p\u00e8lerin obtint des\nmatelots la permission d\u2019y aborder.\nOr, le petit gar\u00e7on, dont Marie-Madeleine s\u2019\u00e9tait charg\u00e9e, et sur qui\nelle veillait de loin pour le maintenir en vie, venait souvent jouer\ndans le sable du rivage; et le p\u00e8lerin, en approchant de l\u2019\u00eele, fut tr\u00e8s\nsurpris de voir cet enfant en un tel lieu. L\u2019enfant, de son c\u00f4t\u00e9,\nn\u2019ayant jamais vu aucun homme, prit peur, et se r\u00e9fugia aupr\u00e8s de sa\nm\u00e8re morte, dont il t\u00e9ta le sein \u00e0 son habitude. Et le p\u00e8lerin, s\u2019\u00e9tant\napproch\u00e9, aper\u00e7ut sa femme, qui semblait dormir, et un bel enfant qui\nlui t\u00e9tait le sein. Alors il prit l\u2019enfant dans ses bras et s\u2019\u00e9cria: \u00abO\nbienheureuse Marie-Madeleine, combien ma joie serait grande si seulement\nma femme vivait encore et pouvait rentrer avec moi dans notre patrie! Et\nje sais que toi, qui m\u2019as donn\u00e9 un enfant, et qui pendant deux ans as\nveill\u00e9 sur lui, tu aurais le pouvoir d\u2019obtenir du ciel que la vie f\u00fbt\nrendue \u00e0 la m\u00e8re!\u00bb A peine avait-il ainsi parl\u00e9 que sa femme ouvrit les\nyeux, comme si elle s\u2019\u00e9veillait, et dit: \u00abB\u00e9nie sois-tu,\nMarie-Madeleine, qui m\u2019as tenu lieu de sage-femme dans mes couches et\nm\u2019as fid\u00e8lement secourue dans tous mes besoins!\u00bb Et le p\u00e8lerin\nstup\u00e9fait: \u00abEs-tu donc vivante, ma femme ch\u00e9rie?\u00bb Et elle: \u00abOui, certes;\net je reviens \u00e0 pr\u00e9sent du p\u00e8lerinage dont tu reviens toi-m\u00eame. Et,\nquand saint Pierre te conduisait dans J\u00e9rusalem, te montrant tous les\nlieux o\u00f9 a v\u00e9cu et est mort le Christ, j\u2019\u00e9tais l\u00e0 aussi, sous la\nconduite de sainte Marie-Madeleine.\u00bb Le p\u00e8lerin, ravi de joie, remonta\nsur le bateau avec sa femme et son enfant; et, peu de temps apr\u00e8s, ils\nentr\u00e8rent dans le port de Marseille. Ils trouv\u00e8rent l\u00e0 Marie-Madeleine\noccup\u00e9e \u00e0 pr\u00eacher avec ses disciples. Se jetant \u00e0 ses pieds, ils lui\nracont\u00e8rent tout ce qui leur \u00e9tait arriv\u00e9; et saint Maximin les baptisa\nsolennellement.\nAlors les habitants de Marseille d\u00e9truisirent tous les temples des\nidoles, qu\u2019ils remplac\u00e8rent par des \u00e9glises chr\u00e9tiennes; et, d\u2019un\nconsentement unanime, ils nomm\u00e8rent Lazare \u00e9v\u00eaque de Marseille. Puis\nMarie-Madeleine et ses disciples se rendirent \u00e0 Aix, o\u00f9, par de nombreux\nmiracles, ils convertirent le peuple \u00e0 la foi du Christ; et saint\nMaximin y fut \u00e9lu \u00e9v\u00eaque.\nIII. Cependant sainte Marie-Madeleine, d\u00e9sireuse de contempler les\nchoses c\u00e9lestes, se retira dans une grotte de la montagne, que lui avait\npr\u00e9par\u00e9e la main des anges, et pendant trente ans elle y resta \u00e0 l\u2019insu\nde tous. Il n\u2019y avait l\u00e0 ni cours d\u2019eau, ni herbe, ni arbre; ce qui\nsignifiait que J\u00e9sus voulait nourrir la sainte des seuls mets c\u00e9lestes,\nsans lui accorder aucun des plaisirs terrestres. Mais, tous les jours,\nles anges l\u2019\u00e9levaient dans les airs, o\u00f9, pendant une heure, elle\nentendait leur musique; apr\u00e8s quoi, rassasi\u00e9e de ce repas d\u00e9licieux,\nelle redescendait dans sa grotte, sans avoir le moindre besoin\nd\u2019aliments corporels.\nOr, certain pr\u00eatre, voulant mener une vie solitaire, s\u2019\u00e9tait am\u00e9nag\u00e9 une\ncellule \u00e0 douze stades de la grotte de Madeleine. Et, un jour, le\nSeigneur lui ouvrit les yeux, de telle sorte qu\u2019il vit les anges entrer\ndans la grotte, prendre la sainte, la soulever dans les airs et la\nramener \u00e0 terre une heure apr\u00e8s. Sur quoi le pr\u00eatre, afin de mieux\nconstater la r\u00e9alit\u00e9 de sa vision, se mit \u00e0 courir vers l\u2019endroit o\u00f9\nelle lui \u00e9tait apparue; mais, lorsqu\u2019il fut arriv\u00e9 \u00e0 une port\u00e9e de\npierre de cet endroit, tous ses membres furent paralys\u00e9s; il en\nretrouvait l\u2019usage pour s\u2019en \u00e9loigner, mais, d\u00e8s qu\u2019il voulait se\nrapprocher, ses jambes lui refusaient leur service. Il comprit alors\nqu\u2019il y avait l\u00e0 un myst\u00e8re sacr\u00e9, sup\u00e9rieur \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience humaine. Et,\ninvoquant le Christ, il s\u2019\u00e9cria: \u00abJe t\u2019en adjure par le Seigneur! si tu\nes une personne humaine, toi qui habites cette grotte, r\u00e9ponds-moi et\ndis-moi la v\u00e9rit\u00e9!\u00bb Et, apr\u00e8s qu\u2019il eut r\u00e9p\u00e9t\u00e9 trois fois cette\nadjuration, sainte Marie-Madeleine lui r\u00e9pondit: \u00abApproche-toi\ndavantage, et tu sauras tout ce que tu d\u00e9sires savoir!\u00bb Puis, lorsque la\ngr\u00e2ce du ciel eut permis au pr\u00eatre de faire encore quelques pas en\navant, la sainte lui dit: \u00abTe souviens-tu d\u2019avoir lu, dans l\u2019\u00e9vangile,\nl\u2019histoire de Marie, cette fameuse p\u00e9cheresse qui lava les pieds du\nSauveur, les essuya de ses cheveux, et obtint le pardon de tous ses\np\u00e9ch\u00e9s?\u00bb Et le pr\u00eatre: \u00abOui, je m\u2019en souviens; et, depuis trente ans\nd\u00e9j\u00e0, notre sainte Eglise c\u00e9l\u00e8bre ce souvenir.\u00bb Alors la sainte: \u00abJe\nsuis cette p\u00e9cheresse. Depuis trente ans, je vis ici \u00e0 l\u2019insu de tous;\net, tous les jours, les anges m\u2019emm\u00e8nent au ciel, o\u00f9 j\u2019ai le bonheur\nd\u2019entendre de mes propres oreilles les chants de la troupe c\u00e9leste. Or,\nvoici que le moment est prochain o\u00f9 je dois quitter cette terre pour\ntoujours. Va donc trouver l\u2019\u00e9v\u00eaque Maximin, et dis-lui que, le jour de\nP\u00e2ques, d\u00e8s qu\u2019il sera lev\u00e9, il se rende dans son oratoire: il m\u2019y\ntrouvera, amen\u00e9e par les anges.\u00bb Et le pr\u00eatre, pendant qu\u2019elle lui\nparlait, ne la voyait pas, mais il entendait une voix d\u2019une suavit\u00e9\nang\u00e9lique.\nIl courut aussit\u00f4t vers saint Maximin, \u00e0 qui il rendit compte de ce\nqu\u2019il avait vu et entendu, et, le dimanche suivant, \u00e0 la premi\u00e8re heure\ndu matin, le saint \u00e9v\u00eaque, entrant dans son oratoire, aper\u00e7ut\nMarie-Madeleine encore entour\u00e9e des anges qui l\u2019avaient amen\u00e9e. Elle\n\u00e9tait \u00e9lev\u00e9e \u00e0 deux coud\u00e9es de terre, les mains \u00e9tendues. Et, comme\nsaint Maximin avait peur d\u2019approcher, elle lui dit: \u00abP\u00e8re, ne fuis pas\nta fille!\u00bb Et Maximin raconte lui-m\u00eame, dans ses \u00e9crits, que le visage\nde la sainte, accoutum\u00e9 \u00e0 une longue vision des anges, \u00e9tait devenu si\nradieux, qu\u2019on aurait pu plus facilement regarder en face les rayons du\nsoleil que ceux de ce visage. Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque, ayant rassembl\u00e9 son\nclerg\u00e9, donna \u00e0 sainte Marie-Madeleine le corps et le sang du Seigneur;\net, aussit\u00f4t qu\u2019elle eut re\u00e7u la communion, son corps s\u2019affaissa devant\nl\u2019autel et son \u00e2me s\u2019envola vers le Seigneur. Et telle \u00e9tait l\u2019odeur de\nsa saintet\u00e9, que, pendant sept jours, l\u2019oratoire en fut parfum\u00e9. Saint\nMaximin fit ensevelir en grande pompe le corps de la sainte, et demanda\n\u00e0 \u00eatre lui-m\u00eame enterr\u00e9 pr\u00e8s d\u2019elle, apr\u00e8s sa mort.\nLe livre attribu\u00e9 par les uns \u00e0 H\u00e9g\u00e9sippe, par d\u2019autres \u00e0 Jos\u00e8phe,\nraconte l\u2019histoire de Marie-Madeleine presque de la m\u00eame fa\u00e7on. Il\najoute seulement que le pr\u00eatre trouva la sainte enferm\u00e9e dans sa\ncellule, que, sur sa demande, il lui donna un manteau dont elle se\ncouvrit, et que c\u2019est avec lui qu\u2019elle se rendit \u00e0 l\u2019\u00e9glise, o\u00f9, apr\u00e8s\navoir communi\u00e9, elle s\u2019endormit en paix devant l\u2019autel.\nIV. Au temps de Charlemagne, Girard, duc de Bourgogne, d\u00e9sol\u00e9 de ne\npouvoir pas avoir un fils, faisait de grandes charit\u00e9s aux pauvres, et\nconstruisait nombre d\u2019\u00e9glises et de monast\u00e8res. Lorsqu\u2019il eut ainsi\nconstruit le monast\u00e8re de V\u00e9zelay, l\u2019abb\u00e9 de ce monast\u00e8re, sur sa\ndemande, envoya \u00e0 Aix un moine avec une escorte, afin qu\u2019il essay\u00e2t, si\nla chose \u00e9tait possible, de ramener de cette ville le corps de sainte\nMadeleine. Le moine, en arrivant \u00e0 Aix, vit la ville d\u00e9truite de fond en\ncomble par les pa\u00efens; mais un heureux hasard lui permit de d\u00e9couvrir un\ntombeau de marbre qu\u2019il supposa \u00eatre celui de la sainte: car toute\nl\u2019histoire de celle-ci y \u00e9tait sculpt\u00e9e. La nuit suivante, donc, le\nmoine ouvrit le tombeau, prit les ossements qui s\u2019y trouvaient, et les\nrapporta \u00e0 son h\u00f4tellerie. Et, dans cette m\u00eame nuit, sainte Madeleine,\nlui apparaissant en r\u00eave, lui dit d\u2019\u00eatre sans crainte et de poursuivre\nson \u0153uvre. Le moine s\u2019en retourna vers son monast\u00e8re avec les pr\u00e9cieuses\nreliques; mais, quand il arriva \u00e0 une demi-lieue du monast\u00e8re, ni lui ni\nses compagnons ne purent faire avancer davantage les reliques jusqu\u2019\u00e0 ce\nque l\u2019abb\u00e9 f\u00fbt venu au-devant d\u2019elles, et les e\u00fbt fait solennellement\nconduire en procession.\nV. Un soldat, qui avait l\u2019habitude de faire, tous les ans, un p\u00e8lerinage\nau tombeau de sainte Madeleine, fut tu\u00e9 dans un combat. Ses parents,\npleurant autour de son cercueil, reprochaient pieusement \u00e0 la sainte\nd\u2019avoir permis que leur fils mour\u00fbt sans confession. Et voil\u00e0 que tout \u00e0\ncoup le mort, \u00e0 la surprise g\u00e9n\u00e9rale, se leva et demanda un pr\u00eatre.\nPuis, lorsqu\u2019il se fut confess\u00e9 et eut re\u00e7u l\u2019extr\u00eame-onction, aussit\u00f4t\nil s\u2019endormit en paix dans le Seigneur.\nVI. Sur un bateau en p\u00e9ril, une femme, qui \u00e9tait enceinte, invoqua\nsainte Madeleine, faisant le v\u0153u que, si elle \u00e9tait sauv\u00e9e et s\u2019il lui\nnaissait un fils, elle donnerait cet enfant au monast\u00e8re de la\nMadeleine. Alors une femme d\u2019apparence surnaturelle s\u2019approcha d\u2019elle,\net, la prenant par le menton, la conduisit saine et sauve jusqu\u2019au\nrivage: en r\u00e9compense de quoi, la naufrag\u00e9e, ayant mis au monde un fils,\nremplit fid\u00e8lement son v\u0153u.\nVII. Certains auteurs racontent que Marie-Madeleine \u00e9tait la fianc\u00e9e de\nsaint Jean l\u2019Evang\u00e9liste, et que celui-ci s\u2019appr\u00eatait \u00e0 l\u2019\u00e9pouser\nlorsque le Christ, survenant au milieu de ses noces, l\u2019appela \u00e0 lui: ce\ndont Madeleine fut si indign\u00e9e que, depuis lors, elle se livra tout\nenti\u00e8re \u00e0 la volupt\u00e9. Mais c\u2019est l\u00e0 une l\u00e9gende fausse et gratuite: et\nle Fr\u00e8re Albert, dans sa pr\u00e9face \u00e0 l\u2019\u00e9vangile de saint Jean, nous\naffirme que la fianc\u00e9e que le saint quitta pour suivre J\u00e9sus, resta\nvierge toute sa vie, et v\u00e9cut, plus tard, dans la soci\u00e9t\u00e9 de la Vierge\nMarie.\nVIII. Un aveugle se rendait en p\u00e8lerinage au monast\u00e8re de V\u00e9zelay.\nLorsque l\u2019homme qui le conduisait lui dit que d\u00e9j\u00e0 on apercevait\nl\u2019\u00e9glise, l\u2019aveugle s\u2019\u00e9cria: \u00abO sainte Marie-Madeleine, ne me sera-t-il\njamais donn\u00e9 de voir ton \u00e9glise?\u00bb Et aussit\u00f4t il recouvra la vue.\nIX. Un homme qui \u00e9tait en prison appela \u00e0 son aide Marie-Madeleine; et,\ndans le nuit, une femme inconnue lui apparut, qui brisa ses cha\u00eenes, lui\nouvrit la porte de la prison, et lui ordonna de s\u2019enfuir.\nX. Un clerc de Flandre, nomm\u00e9 Etienne, \u00e9tait tomb\u00e9 dans une telle\nd\u00e9pravation qu\u2019il se livrait \u00e0 tous les vices, et ne voulait pas m\u00eame\nentendre parler des choses du salut. Il gardait seulement une grande\nd\u00e9votion \u00e0 Marie-Madeleine, et ne manquait pas de je\u00fbner la veille de sa\nf\u00eate. Or, comme il visitait le tombeau de la sainte, celle-ci lui\napparut, tout en larmes, et soutenue des deux c\u00f4t\u00e9s par des anges. Et\nelle lui dit: \u00abPourquoi, Etienne, te conduis-tu d\u2019une fa\u00e7on si indigne\nde moi? Mais moi, du jour o\u00f9 tu as commenc\u00e9 \u00e0 m\u2019invoquer, j\u2019ai toujours\npri\u00e9 le Seigneur pour toi! Maintenant donc, l\u00e8ve-toi et fais p\u00e9nitence,\net je ne t\u2019abandonnerai pas jusqu\u2019\u00e0 ce que tu te sois r\u00e9concili\u00e9 avec\nDieu!\u00bb Et Etienne se sentit rempli d\u2019une telle gr\u00e2ce divine que,\nrenon\u00e7ant au si\u00e8cle, il entra en religion, et mena depuis lors une vie\nparfaite. A sa mort, on vit Marie-Madeleine descendre vers lui, soutenue\npar deux anges, et emporter son \u00e2me au ciel comme une blanche colombe.\nXCVI\nSAINT APOLLINAIRE, MARTYR\n(23 juillet)\nApollinaire, disciple de l\u2019ap\u00f4tre Pierre, fut envoy\u00e9 par son ma\u00eetre, de\nRome, \u00e0 Ravenne, o\u00f9 il gu\u00e9rit la femme d\u2019un tribun et la baptisa, ainsi\nque son mari et toute sa maison. Ce qu\u2019apprenant, le magistrat de la\nville le fit arr\u00eater et conduire au temple de Jupiter, pour qu\u2019il y\nsacrifi\u00e2t aux idoles. Et comme Apollinaire, voyant l\u2019or et l\u2019argent qui\nornaient les idoles, s\u2019\u00e9criait qu\u2019on ferait mieux de donner tout cela\naux pauvres, il fut sur-le-champ battu de verges et laiss\u00e9 \u00e0 demi mort.\nMais ses disciples le recueillirent et, pendant sept mois, il v\u00e9cut dans\nla maison d\u2019une veuve, o\u00f9, peu \u00e0 peu, les forces lui revinrent.\nIl se rendit ensuite dans la ville de Classe, pour y gu\u00e9rir un homme\nnoble qui avait perdu la parole. Et, au moment o\u00f9 il entrait dans la\nmaison de cet homme, une jeune fille poss\u00e9d\u00e9e du d\u00e9mon s\u2019\u00e9cria:\n\u00abEloigne-toi, serviteur de Dieu, ou bien je te ferai emporter hors de la\nville pieds et poings li\u00e9s!\u00bb Et Apollinaire ordonna au d\u00e9mon qui \u00e9tait\nen elle de la quitter, ce qu\u2019il fit aussit\u00f4t. Puis, s\u2019approchant du\nmuet, il invoqua Dieu sur lui et le gu\u00e9rit; et plus de cinq cents\npersonnes se convertirent au Christ. Mais les pa\u00efens, pour l\u2019emp\u00eacher de\nprononcer le nom de J\u00e9sus, le frapp\u00e8rent de verges; et lui, gisant \u00e0\nterre, il continuait \u00e0 proclamer le vrai Dieu. Alors ils le firent se\ntenir debout, les pieds nus, sur des pointes de fer; et comme il\ncontinuait \u00e0 pr\u00eacher le Christ, ils le chass\u00e8rent de la ville.\nApollinaire revint \u00e0 Ravenne, o\u00f9 un patricien, nomm\u00e9 Rufus, l\u2019appela\npr\u00e8s de sa fille qui \u00e9tait malade. Et \u00e0 peine \u00e9tait-il entr\u00e9 dans la\nmaison de Rufus que cette jeune fille mourut. Alors Rufus: \u00abMieux e\u00fbt\nvalu que tu n\u2019entrasses point dans ma maison, car les dieux s\u2019en sont\nirrit\u00e9s, et ont refus\u00e9 de gu\u00e9rir ma fille! Et maintenant que peux-tu\npour elle?\u00bb Mais Apollinaire: \u00abSois sans crainte; et jure-moi seulement\nque, si ta fille revient \u00e0 la vie, tu la laisseras librement se\nconsacrer au service de son Cr\u00e9ateur!\u00bb Rufus l\u2019ayant jur\u00e9, le saint fit\nune pri\u00e8re, et aussit\u00f4t la jeune femme se leva; apr\u00e8s quoi, confessant\nle Christ, elle re\u00e7ut le bapt\u00eame avec sa m\u00e8re et toute sa maison; et\nelle resta vierge durant toute sa vie.\nLa nouvelle en \u00e9tant parvenue \u00e0 l\u2019empereur, celui-ci \u00e9crivit au pr\u00e9fet\ndu pr\u00e9toire que, si Apollinaire refusait de sacrifier aux idoles, il e\u00fbt\n\u00e0 \u00eatre envoy\u00e9 en exil. Et le pr\u00e9fet, pour obtenir d\u2019Apollinaire qu\u2019il\nsacrifi\u00e2t aux idoles, le fit battre de verges et attacher \u00e0 un chevalet.\nEt comme le saint continuait \u00e0 pr\u00eacher le Christ, il fit verser de l\u2019eau\nbouillante dans ses plaies, le chargea de cha\u00eenes et voulut que, dans\ncet \u00e9tat, il part\u00eet pour l\u2019exil. Mais les chr\u00e9tiens, indign\u00e9s \u00e0 la vue\nd\u2019une telle cruaut\u00e9, s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent sur les pa\u00efens, dont ils tu\u00e8rent plus\nde deux cents. Le pr\u00e9fet, \u00e9pouvant\u00e9, se cacha dans son palais et y fit\ncacher Apollinaire, qu\u2019il fit ensuite transporter \u00e0 bord d\u2019un bateau\navec trois clercs, ses disciples. Mais, sur le bateau, le saint \u00e9chappa\naux p\u00e9rils de la temp\u00eate et convertit les deux soldats charg\u00e9s de sa\ngarde. Revenu \u00e0 Ravenne, il fut repris par les pa\u00efens et conduit au\ntemple d\u2019Apollon o\u00f9, sur un signe de lui, la statue du dieu se brisa en\nmorceaux. Alors les pr\u00eatres le conduisirent devant le juge Taurus; mais\ncelui-ci avait un fils aveugle \u00e0 qui le saint rendit la vue; et le juge,\n\u00e9merveill\u00e9 de ce miracle, se convertit et, pendant quatre ans, le saint\ndemeura dans sa maison. Au bout de ce temps, les pr\u00eatres l\u2019accus\u00e8rent\naupr\u00e8s de l\u2019empereur Vespasien: mais celui-ci se borna \u00e0 dire que, si\nquelqu\u2019un refusait de sacrifier aux idoles, il aurait \u00e0 \u00eatre puni de\nl\u2019exil; ajoutant que ce n\u2019\u00e9tait pas aux hommes de venger les dieux, mais\naux dieux eux-m\u00eames, s\u2019ils le jugeaient bon. Alors le patricien\nD\u00e9mosth\u00e8ne somma le saint de sacrifier aux idoles; et, sur son refus, il\nle livra \u00e0 un centurion qui, d\u00e9j\u00e0, s\u2019\u00e9tait secr\u00e8tement converti au\nchristianisme. Ce centurion, pour d\u00e9rober le saint \u00e0 la fureur de la\nfoule pa\u00efenne, le conduisit dans un faubourg habit\u00e9 par des l\u00e9preux;\nmais la foule le suivit jusque-l\u00e0, le roua de coups, et l\u2019accabla de\nblessures mortelles. Il surv\u00e9cut cependant toute une semaine encore,\nenseignant ses disciples. Puis il rendit l\u2019\u00e2me, et fut solennellement\nenseveli par les chr\u00e9tiens. Ce martyre eut lieu sous le r\u00e8gne de\nVespasien, vers l\u2019an du Seigneur 70.\nXCVII\nSAINTE CHRISTINE, VIERGE ET MARTYRE\n(24 juillet)\nChristine, jeune fille noble, naquit \u00e0 Tyr, en Italie. Comme elle \u00e9tait\nfort belle, et que nombre d\u2019hommes la demandaient en mariage, ses\nparents, qui voulaient la consacrer au culte des dieux, l\u2019enferm\u00e8rent\ndans une tour, avec douze suivantes, en compagnie d\u2019idoles d\u2019or et\nd\u2019argent. Mais elle, instruite par l\u2019esprit divin, elle avait horreur de\nsacrifier aux idoles, et jetait par la fen\u00eatre l\u2019encens qu\u2019elle aurait\nd\u00fb br\u00fbler devant les dieux. Et ses suivantes dirent \u00e0 son p\u00e8re; \u00abTa\nfille, notre ma\u00eetresse, d\u00e9daigne de sacrifier \u00e0 nos dieux et se proclame\nchr\u00e9tienne!\u00bb Le p\u00e8re voulut, par des caresses, ramener sa fille au culte\ndes dieux. Mais elle: \u00abCe n\u2019est pas \u00e0 des dieux mortels, mais au Dieu\nc\u00e9leste que j\u2019offre mon sacrifice!\u00bb Et son p\u00e8re: \u00abMa fille, si tu\nn\u2019offres de sacrifice qu\u2019\u00e0 un seul Dieu, les autres dieux en seront\nf\u00e2ch\u00e9s!\u00bb Et elle: \u00abTu as raison sans t\u2019en douter; car le fait est que\nj\u2019offre mon sacrifice au P\u00e8re, au Fils et au Saint-Esprit.\u00bb Et le p\u00e8re:\n\u00abSi tu adores trois dieux, pourquoi refuses-tu d\u2019adorer les autres?\u00bb\nMais elle: \u00abCes trois dieux n\u2019en forment qu\u2019un seul!\u00bb\nChristine brisa ensuite les idoles de son p\u00e8re et distribua aux pauvres\nl\u2019or et l\u2019argent dont elles \u00e9taient faites. Son p\u00e8re, furieux de sa\nd\u00e9sob\u00e9issance, la fit d\u00e9v\u00eatir, et ordonna \u00e0 douze de ses serviteurs de\nla frapper, ce qu\u2019ils firent jusqu\u2019\u00e0 ce que les forces leur manqu\u00e8rent.\nAlors Christine dit \u00e0 son p\u00e8re: \u00abHomme sans honneur, sans pudeur et\nd\u00e9test\u00e9 de Dieu, vois: les bourreaux n\u2019ont plus la force de me frapper!\nque ne demandes-tu \u00e0 tes dieux de leur rendre des forces?\u00bb Le p\u00e8re la\nfit charger de cha\u00eenes et jeter en prison.\nCe qu\u2019apprenant, sa m\u00e8re d\u00e9chira ses v\u00eatements, et, s\u2019\u00e9tant rendue\naupr\u00e8s d\u2019elle, se jeta \u00e0 ses pieds et lui dit: \u00abMa ch\u00e8re fille, lumi\u00e8re\nde mes yeux, aie piti\u00e9 de moi!\u00bb Mais elle: \u00abJe ne suis plus ta fille,\nmais bien celle du Dieu dont je porte le nom!\u00bb Enfin la m\u00e8re, ne\nparvenant pas \u00e0 la persuader, revint vers son mari et lui r\u00e9p\u00e9ta ses\nr\u00e9ponses. Alors le p\u00e8re fit compara\u00eetre Christine devant lui et lui dit:\n\u00abSi tu ne veux pas sacrifier aux dieux, c\u2019est toi-m\u00eame qui sera\nsacrifi\u00e9e et tu cesseras d\u2019\u00eatre ma fille!\u00bb Mais elle: \u00abJe te remercie du\nmoins de ce que tu ne m\u2019appelles plus la fille du diable que tu es; car\nce qui na\u00eet d\u2019un diable ne peut \u00eatre que diabolique!\u00bb Alors il ordonna\nqu\u2019on lui d\u00e9chir\u00e2t les chairs et qu\u2019on romp\u00eet ses membres. Mais\nChristine, prenant des morceaux de sa chair, les lui jetait au visage,\net lui disait: \u00abPrends cela, tyran et mange cette chair que tu as\nengendr\u00e9e!\u00bb Son p\u00e8re la fit ensuite attacher \u00e0 une roue et fit allumer\nsous elle un b\u00fbcher o\u00f9 l\u2019on jeta de l\u2019huile; mais une grande flamme en\njaillit, qui tua quinze cents personnes sans lui faire aucun mal.\nSon p\u00e8re, qui attribuait tous ces miracles \u00e0 des artifices magiques, la\nfit ramener en prison et ordonna que, la nuit, elle f\u00fbt jet\u00e9e \u00e0 la mer\navec une grande pierre attach\u00e9e au cou. Mais aussit\u00f4t les anges la\nmaintinrent au-dessus de l\u2019eau, et le Christ, descendant vers elle, la\nbaptisa dans la mer; apr\u00e8s quoi il la confia \u00e0 l\u2019archange Michel, qui la\nramena sur le rivage.\nSon p\u00e8re, exasp\u00e9r\u00e9, lui dit: \u00abPar quels mal\u00e9fices parviens-tu \u00e0 dompter\njusqu\u2019aux flots de la mer?\u00bb Mais elle: \u00abHomme malheureux et stupide, ne\ncomprends-tu pas que c\u2019est le Christ qui m\u2019accorde cette gr\u00e2ce?\u00bb Son\np\u00e8re la fit jeter en prison, avec l\u2019intention de la faire d\u00e9capiter le\njour suivant; mais, dans la nuit, ce mauvais p\u00e8re, qui s\u2019appelait\nUrbain, fut trouv\u00e9 mort dans son palais.\nIl eut pour successeur un magistrat non moins inique, nomm\u00e9 Elius, qui\nla fit plonger dans une chaudi\u00e8re allum\u00e9e avec de l\u2019huile, de la r\u00e9sine\net de la poix; et il ordonna \u00e0 quatre hommes de secouer la chaudi\u00e8re,\npour activer la flamme. Mais Christine louait Dieu de ce que, n\u00e9e d\u2019hier\n\u00e0 la foi, il lui perm\u00eet d\u2019\u00eatre berc\u00e9e comme un petit enfant. Et le juge,\nfurieux, lui fit raser la t\u00eate et la fit conduire nue \u00e0 travers la ville\njusqu\u2019au temple d\u2019Apollon; mais l\u00e0, sur un signe d\u2019elle, la statue du\ndieu tomba en poussi\u00e8re; ce dont le juge fut si effray\u00e9 qu\u2019il en mourut.\nIl eut pour successeur Julien, qui fit plonger Christine dans une\nfournaise ardente; elle y resta cinq jours saine et sauve, chantant avec\ndes anges et se promenant avec eux. Julien fit lancer sur elle deux\naspics, deux vip\u00e8res et deux couleuvres. Mais les vip\u00e8res lui l\u00e9ch\u00e8rent\nles pieds, les aspics se pendirent sur sa poitrine, et les couleuvres,\ns\u2019enroulant autour de son cou, l\u00e9ch\u00e8rent sa sueur. Alors Julien dit \u00e0\nson mage: \u00abProfite de ton art pour exciter ces b\u00eates!\u00bb Mais les b\u00eates,\naussit\u00f4t, se retourn\u00e8rent contre le mage et le tu\u00e8rent. Puis Christine\nleur ordonna de se r\u00e9fugier dans le d\u00e9sert; et elle montra encore son\npouvoir en ressuscitant un mort. Alors Julien lui fit trancher les\nmamelles, d\u2019o\u00f9 jaillit du lait au lieu de sang. Puis il lui fit couper\nla langue; mais Christine n\u2019en continua pas moins de parler et, prenant\nun morceau de sa langue coup\u00e9e, elle le jeta au visage de Julien, qui\nfut atteint \u00e0 l\u2019\u0153il, et aussit\u00f4t perdit la vue. Enfin Julien fit lancer\ndeux fl\u00e8ches dans son c\u0153ur et une dans son c\u00f4t\u00e9, et la sainte, ainsi\nfrapp\u00e9e, mourut. Cela se passait vers l\u2019an du Seigneur 287, sous\nDiocl\u00e9tien.\nLe corps de sainte Christine repose aujourd\u2019hui dans une place forte\nappel\u00e9e Bols\u00e8ne et qui est situ\u00e9e entre Viterbe et Civita-Vecchia. Quant\n\u00e0 la ville de Tyr, qui \u00e9tait situ\u00e9e tout pr\u00e8s de l\u00e0, elle a \u00e9t\u00e9 d\u00e9truite\nde fond en comble.\nXCVIII\nSAINT JACQUES LE MAJEUR, AP\u00d4TRE\n(25 juillet)\nI. L\u2019ap\u00f4tre Jacques, fils de Z\u00e9b\u00e9d\u00e9e, apr\u00e8s l\u2019ascension du Seigneur,\npr\u00eacha d\u2019abord en Jud\u00e9e et en Samarie, puis il se rendit en Espagne pour\ny semer la parole divine. Mais voyant que son s\u00e9jour en Espagne \u00e9tait\nsans profit et qu\u2019il n\u2019\u00e9tait parvenu \u00e0 y former que neuf disciples, il y\nlaissa deux de ces disciples, et, avec les sept autres, revint en Jud\u00e9e.\nJean Beleth assure m\u00eame que, pendant tout son s\u00e9jour en Espagne il ne\nput faire qu\u2019une seule conversion.\nRentr\u00e9 en Jud\u00e9e, il se remit \u00e0 pr\u00eacher la parole de Dieu. Sur la demande\ndes pharisiens, un mage nomm\u00e9 Hermog\u00e8ne envoya vers lui son disciple\nPhilet pour le convaincre devant les Juifs de la fausset\u00e9 de sa\npr\u00e9dication. Mais ce fut, au contraire, l\u2019ap\u00f4tre qui, en pr\u00e9sence de la\nfoule, convertit Philet, tant par ses arguments que par ses miracles; et\nle disciple du mage, quand il s\u2019en retourna pr\u00e8s de son ma\u00eetre, lui\nvanta la doctrine de Jacques, lui raconta ses miracles, lui dit qu\u2019il\n\u00e9tait r\u00e9solu \u00e0 devenir chr\u00e9tien, et l\u2019engagea \u00e0 imiter son exemple.\nAlors Hermog\u00e8ne, furieux, se servit de la magie pour l\u2019immobiliser de\ntelle sorte que le malheureux Philet n\u2019avait plus la force de faire un\nmouvement; et il lui dit: \u00abNous verrons bien si ton Jacques parviendra \u00e0\nte d\u00e9livrer!\u00bb Or Jacques, inform\u00e9 de la chose, envoya \u00e0 Philet un linge\nqu\u2019il avait sur le corps. Et \u00e0 peine Philet eut-il touch\u00e9 ce linge que,\nd\u00e9livr\u00e9 de ses cha\u00eenes magiques, il brava Hermog\u00e8ne et alla rejoindre\nl\u2019ap\u00f4tre. Le mage, exasp\u00e9r\u00e9, ordonna aux d\u00e9mons de lui amener Jacques et\nPhilet charg\u00e9s de cha\u00eenes, pour intimider, par cet exemple, les autres\ndisciples. Mais les d\u00e9mons, arriv\u00e9s en face de Jacques, commenc\u00e8rent \u00e0\ng\u00e9mir piteusement, en disant: \u00abAp\u00f4tre Jacques, aie piti\u00e9 de nous, car\nvoici que nous br\u00fblons avant notre temps!\u00bb Et Jacques: \u00abPourquoi\nvenez-vous ici?\u00bb Et les d\u00e9mons: \u00abC\u2019est Hermog\u00e8ne qui nous a envoy\u00e9s pour\nque nous nous emparions de toi et de Philet; mais aussit\u00f4t l\u2019ange de\nDieu nous a li\u00e9s avec des cha\u00eenes de feu, et il ne cesse pas de nous\ntorturer.\u00bb Et Jacques: \u00abQue l\u2019ange de Dieu vous rende la libert\u00e9: mais\nce n\u2019est qu\u2019\u00e0 la condition que vous vous empariez d\u2019Hermog\u00e8ne et me\nl\u2019ameniez ici encha\u00een\u00e9, sans cependant lui faire aucun mal!\u00bb Les d\u00e9mons\nfirent comme il l\u2019ordonnait; et Jacques dit \u00e0 Philet: \u00abSuivons l\u2019exemple\ndu Christ, qui nous a enseign\u00e9 de rendre le bien pour le mal! Hermog\u00e8ne\nt\u2019a encha\u00een\u00e9; toi, d\u00e9livre-le!\u00bb Et comme Hermog\u00e8ne, d\u00e9barrass\u00e9 de ses\nliens, se tenait tout confus devant l\u2019ap\u00f4tre, celui-ci lui dit: \u00abVa\nlibrement o\u00f9 tu veux aller! car notre doctrine n\u2019admet pas que personne\nse convertisse malgr\u00e9 lui!\u00bb Et Hermog\u00e8ne lui dit: \u00abJe connais l\u2019humeur\nvindicative des d\u00e9mons. Ils me tueront si tu ne me donnes pas, pour me\nprot\u00e9ger, quelque objet t\u2019ayant appartenu.\u00bb Alors Jacques lui donna son\nb\u00e2ton; et le mage alla chercher ses livres, et les rapporta \u00e0 l\u2019ap\u00f4tre,\nqui lui ordonna de les jeter \u00e0 la mer. Apr\u00e8s quoi Hermog\u00e8ne, se jetant \u00e0\nses pieds, lui dit: \u00abLib\u00e9rateur des \u00e2mes, re\u00e7ois en p\u00e9nitent celui que\ntu as daign\u00e9 secourir tandis qu\u2019il t\u2019enviait et cherchait \u00e0 te nuire!\u00bb\nEt, depuis lors, il se montra parfait dans la crainte de Dieu.\nMais les Juifs, furieux de cette conversion, vinrent trouver Jacques et\nlui reproch\u00e8rent de pr\u00eacher la divinit\u00e9 de J\u00e9sus. Et l\u2019ap\u00f4tre leur\nprouva si clairement cette divinit\u00e9, par le t\u00e9moignage des livres\nsaints, que plusieurs d\u2019entre eux se convertirent. Ce que voyant, le\ngrand pr\u00eatre Abiathar souleva le peuple, fit passer une corde autour du\ncou de l\u2019ap\u00f4tre, et le conduisit devant H\u00e9rode Agrippa, qui le condamna\n\u00e0 avoir la t\u00eate tranch\u00e9e. Or, comme on le conduisait au supplice, un\nparalytique, gisant sur la route, le supplia de lui rendre la sant\u00e9. Et\nJacques lui dit: \u00abAu nom de J\u00e9sus-Christ, pour qui je vais souffrir la\nmort, sois gu\u00e9ri, l\u00e8ve-toi et b\u00e9nis ton Cr\u00e9ateur!\u00bb Et aussit\u00f4t le malade\ngu\u00e9rit, se leva et b\u00e9nit le Seigneur. Alors le scribe qui conduisait\nJacques se jeta \u00e0 ses pieds, lui demanda pardon, et lui dit qu\u2019il\nvoulait devenir chr\u00e9tien. Ce que voyant, Abiathar le fit saisir et lui\ndit: \u00abSi tu ne maudis pas le nom du Christ, tu seras toi-m\u00eame d\u00e9capit\u00e9\navec Jacques!\u00bb Et le scribe: \u00abMaudis sois-tu toi-m\u00eame, et que le nom du\nChrist soit b\u00e9ni \u00e0 jamais!\u00bb Alors Abiathar le fit frapper au visage, et\nobtint d\u2019H\u00e9rode qu\u2019il partage\u00e2t le supplice de l\u2019ap\u00f4tre. Et comme on\ns\u2019appr\u00eatait \u00e0 les d\u00e9capiter tous deux, Jacques demanda au bourreau un\nvase plein d\u2019eau, dont il se servit pour baptiser le scribe, nomm\u00e9\nJos\u00e9as: apr\u00e8s quoi tous deux eurent la t\u00eate tranch\u00e9e. Ce martyre eut\nlieu le huiti\u00e8me jour des calendes d\u2019avril; mais l\u2019Eglise a d\u00e9cid\u00e9 que\nla f\u00eate de saint Jacques Majeur serait c\u00e9l\u00e9br\u00e9e le huiti\u00e8me jour des\ncalendes d\u2019ao\u00fbt (25 juillet), date o\u00f9 le corps du saint fut transport\u00e9 \u00e0\nCompostelle.\nII. Apr\u00e8s la mort de Jacques, ses disciples, par crainte des Juifs,\nplac\u00e8rent le corps sur un bateau, s\u2019y embarqu\u00e8rent avec lui, se confiant\n\u00e0 la sagesse divine; et les anges conduisirent le bateau en Galice; dans\nle royaume d\u2019une reine qui s\u2019appelait Louve, et qui m\u00e9ritait de porter\nce nom. Les disciples d\u00e9pos\u00e8rent le corps sur une grande pierre, qui, \u00e0\nson contact, mollit comme de la cire et forma d\u2019elle-m\u00eame un sarcophage\nadapt\u00e9 au corps. Puis les disciples se rendirent aupr\u00e8s de la reine\nLouve et lui dirent: \u00abNotre-Seigneur J\u00e9sus-Christ t\u2019envoie le corps de\nson disciple, afin que tu re\u00e7oives mort celui que tu n\u2019as pas voulu\nrecevoir vivant!\u00bb Ils lui racont\u00e8rent le miracle qui avait permis au\nbateau de naviguer sans gouvernail; et ils la pri\u00e8rent de d\u00e9signer un\nlieu pour la s\u00e9pulture du saint. Alors la m\u00e9chante reine les envoya\ntra\u00eetreusement au roi d\u2019Espagne, sous pr\u00e9texte de lui demander son\nautorisation; et le roi s\u2019empara d\u2019eux et les jeta en prison. Mais, la\nnuit, un ange leur ouvrit les portes de la prison et les remit en\nlibert\u00e9. Le roi, d\u00e8s qui l\u2019apprit, envoya des soldats \u00e0 leur poursuite;\nmais, au moment o\u00f9 ces soldats allaient franchir un pont, le pont se\nrompit et tous furent noy\u00e9s. A cette nouvelle, le roi eut peur pour\nlui-m\u00eame, et se repentit. Il envoya d\u2019autres hommes \u00e0 la recherche des\ndisciples de Jacques, mais, cette fois, avec mission de leur dire que,\ns\u2019ils voulaient revenir, il n\u2019aurait rien \u00e0 leur refuser. Ils revinrent\ndonc et convertirent toute la ville \u00e0 la foi du Christ, puis ils\nretourn\u00e8rent aupr\u00e8s de Louve, pour lui faire part du consentement du\nroi. Et la reine, furieuse, leur r\u00e9pondit: \u00abAllez prendre, dans la\nmontagne, des b\u0153ufs que j\u2019ai l\u00e0, mettez-leur un joug, et emportez le\ncorps de votre ma\u00eetre dans un lieu o\u00f9 vous puissiez lui \u00e9lever un\ntombeau!\u00bb La perfide cr\u00e9ature savait, en effet, que ces pr\u00e9tendus b\u0153ufs\n\u00e9taient des taureaux indompt\u00e9s; et elle se disait que, si les disciples\nde Jacques leur mettaient le joug, les taureaux ne manqueraient point de\nles tuer et de jeter \u00e0 terre le corps du saint. Mais il n\u2019y a point de\nsagesse qui vaille contre Dieu. Les disciples, ne soup\u00e7onnant point la\nruse, gravirent la montagne, o\u00f9 d\u2019abord un dragon vomissait des flammes;\nils lui pr\u00e9sent\u00e8rent une croix, et le dragon se rompit en deux. Il\nfirent ensuite le signe de la croix, et les taureaux, devenus doux comme\ndes agneaux, se laiss\u00e8rent mettre le joug, et coururent porter le corps\ndu saint dans le palais m\u00eame de la Louve: ce que voyant, celle-ci,\n\u00e9merveill\u00e9e, crut en J\u00e9sus, transforma son palais en une \u00e9glise de\nSaint-Jacques, et la dota magnifiquement. Et le reste de sa vie s\u2019\u00e9coula\ndans les bonnes \u0153uvres.\nIII. Le pape Calixte raconte qu\u2019un certain Bernard, du dioc\u00e8se de\nMod\u00e8ne, ayant \u00e9t\u00e9 encha\u00een\u00e9 en haut d\u2019une tour, ne cessait d\u2019invoquer\nsaint Jacques. Le saint lui apparut et lui dit: \u00abViens, suis-moi en\nGalice!\u00bb Puis il brisa les cha\u00eenes du prisonnier, et disparut. Alors\nBernard s\u2019\u00e9lan\u00e7a du haut de la tour, qui avait plus de soixante coud\u00e9es,\net il descendit ainsi \u00e0 terre sans se faire aucun mal.\nB\u00e8de raconte qu\u2019un homme avait commis tant de p\u00e9ch\u00e9s que son \u00e9v\u00eaque\nh\u00e9sitait \u00e0 l\u2019absoudre. Enfin l\u2019\u00e9v\u00eaque envoya cet homme au tombeau de\nsaint Jacques avec un papier o\u00f9 \u00e9taient inscrits ses p\u00e9ch\u00e9s. Le jour de\nla Saint-Jacques, le papier fut plac\u00e9 sur le tombeau du saint; et quand\nle p\u00e9cheur, apr\u00e8s une fervente pri\u00e8re, reprit le papier et l\u2019ouvrit, il\nvit que la liste de ses p\u00e9ch\u00e9s se trouvait effac\u00e9e.\nHubert de Besan\u00e7on raconte que l\u2019an 1070, trente hommes de Lorraine, qui\nallaient en p\u00e8lerinage au tombeau de saint Jacques, se jur\u00e8rent de se\nrendre service mutuellement, \u00e0 l\u2019exception d\u2019un seul qui ne voulut point\njurer. L\u2019un de ces p\u00e8lerins tomba malade, en route, et ses compagnons\nl\u2019attendirent pendant quinze jours; mais enfin tous l\u2019abandonn\u00e8rent \u00e0\nl\u2019exception de celui qui avait refus\u00e9 de jurer. Et, le soir, le malade\nmourut au pied du mont Saint-Michel. Alors son compagnon s\u2019\u00e9pouvanta\nfort, et de la solitude du lieu, et de l\u2019obscurit\u00e9 de la nuit, et du\nvoisinage du cadavre. Mais saint Jacques lui apparut sous la forme d\u2019un\ncavalier, et le consola en lui disant: \u00abConfie-moi ce mort, et monte en\ncroupe derri\u00e8re moi sur mon cheval!\u00bb Et dans cette m\u00eame nuit, le saint,\nlui faisant franchir une distance de plus de quinze \u00e9tapes, l\u2019amena \u00e0\nune demi-lieue de Saint-Jacques de Compostelle. Il lui ordonna ensuite\nde rassembler les chanoines pour ensevelir le mort, et aussi de dire \u00e0\nses vingt-huit compagnons que, ayant manqu\u00e9 \u00e0 leur serment, ils ne\ntireraient aucun profit de leur p\u00e8lerinage.\nUn Allemand qui se rendait avec son fils au tombeau de saint Jacques, en\nl\u2019an 1020, s\u2019arr\u00eata en route dans la ville de Toulouse. L\u2019h\u00f4te chez qui\nils logeaient enivra le p\u00e8re et cacha, dans son sac, un vase d\u2019argent.\nLe lendemain, comme les p\u00e8lerins voulaient repartir, l\u2019h\u00f4te les accusa\nde lui avoir vol\u00e9 un vase qui, en effet, fut retrouv\u00e9 dans leur sac. Le\nmagistrat devant qui ils furent conduits les condamna \u00e0 remettre tout\nleur bien \u00e0 l\u2019h\u00f4te qu\u2019ils avaient voulu d\u00e9pouiller, et il ordonna, en\noutre, que l\u2019un des deux e\u00fbt \u00e0 \u00eatre pendu. Apr\u00e8s un long conflit o\u00f9 le\np\u00e8re voulait mourir pour son fils et le fils pour son p\u00e8re, ce fut le\nfils qui l\u2019emporta. Il fut pendu, et le p\u00e8re, d\u00e9sol\u00e9, poursuivit son\np\u00e8lerinage. Lorsqu\u2019il revint \u00e0 Toulouse, trente-six jours apr\u00e8s, il\ncourut au gibet o\u00f9 pendait son fils, et commen\u00e7a \u00e0 pousser des cris\nlamentables. Mais voil\u00e0 que le fils, lui adressant la parole, lui dit:\n\u00abMon cher p\u00e8re, ne pleure pas, car rien de mauvais ne m\u2019est arriv\u00e9,\ngr\u00e2ce \u00e0 l\u2019appui de saint Jacques qui m\u2019a toujours nourri et soutenu!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, le p\u00e8re courut vers la ville; et la foule d\u00e9tacha de la\npotence son fils, qui se trouva en parfaite sant\u00e9; et ce fut l\u2019h\u00f4te\nqu\u2019on pendit \u00e0 sa place.\nD\u2019apr\u00e8s Hugues de Saint-Victor, un p\u00e8lerin, qui se rendait au tombeau de\nsaint Jacques, vit le diable lui appara\u00eetre sous la forme du saint; et\nle faux saint Jacques, apr\u00e8s lui avoir expos\u00e9 les mis\u00e8res de la vie\nterrestre, l\u2019engagea \u00e0 se tuer en l\u2019honneur de lui. Le na\u00eff p\u00e8lerin prit\nson \u00e9p\u00e9e et se tua sur-le-champ. Et d\u00e9j\u00e0 la foule allait mettre \u00e0 mort\nl\u2019h\u00f4te chez qui il demeurait, et que l\u2019on soup\u00e7onnait d\u2019\u00eatre son\nassassin, lorsque soudain le mort, revenant \u00e0 la vie, raconta, que, au\nmoment o\u00f9 le d\u00e9mon le conduisait en enfer, le vrai saint Jacques \u00e9tait\nintervenu, et avait somm\u00e9 les d\u00e9mons de lui rendre la vie.\nHugues, abb\u00e9 de Cluny, nous raconte un autre miracle de saint Jacques.\nUn jeune homme du dioc\u00e8se de Lyon, qui avait une grande d\u00e9votion pour le\nsaint et faisait de fr\u00e9quents p\u00e8lerinages \u00e0 son tombeau, se laissa un\njour tenter en chemin, et commit le p\u00e9ch\u00e9 de fornication. Alors le\ndiable lui apparut, sous la forme de saint Jacques, et lui dit: \u00abJe suis\nl\u2019ap\u00f4tre Jacques, \u00e0 qui tu as l\u2019habitude de venir faire visite. Mais,\ncette fois, tu peux te dispenser de poursuivre ton chemin, car ton p\u00e9ch\u00e9\nne te sera remis que si tu te coupes enti\u00e8rement les parties g\u00e9nitales.\nEt tu serais plus heureux encore si tu avais le courage de te tuer, et\nde souffrir ainsi le martyre en mon nom!\u00bb Donc, la nuit suivante,\npendant que ses compagnons dormaient, le jeune homme se coupa les\nparties g\u00e9nitales, apr\u00e8s quoi il se transper\u00e7a le ventre d\u2019un coup de\ncouteau. Le lendemain matin, ses compagnons, \u00e9pouvant\u00e9s, s\u2019enfuirent, de\npeur d\u2019\u00eatre soup\u00e7onn\u00e9s d\u2019homicide. Mais au moment o\u00f9 l\u2019on pr\u00e9parait le\ncercueil du mort, celui-ci, \u00e0 l\u2019\u00e9tonnement de tous, revint \u00e0 la vie. Il\nraconta que, apr\u00e8s sa mort, d\u00e9j\u00e0 les d\u00e9mons entra\u00eenaient son \u00e2me vers\nl\u2019enfer lorsque le v\u00e9ritable saint Jacques accourut au-devant d\u2019eux et\nse mit \u00e0 les gourmander. Le saint le conduisit ensuite dans une prairie\no\u00f9 se tenait assise la sainte Vierge, conversant avec d\u2019autres saints.\nEt d\u00e8s que saint Jacques eut interc\u00e9d\u00e9 aupr\u00e8s d\u2019elle en faveur du jeune\nhomme, elle manda les d\u00e9mons et ordonna que le mort f\u00fbt rendu \u00e0 la vie.\nSeules, les cicatrices de l\u2019op\u00e9ration qu\u2019il s\u2019\u00e9tait faite lui rest\u00e8rent\ntoujours.\nAutre miracle, rapport\u00e9 par le pape Calixte. Vers l\u2019an du Seigneur 1100,\nun Fran\u00e7ais se rendait \u00e0 Saint-Jacques-de-Compostelle avec sa femme et\nses fils, en partie pour fuir la contagion qui d\u00e9solait son pays, en\npartie pour voir le tombeau du saint. Dans la ville de Pampelune, sa\nfemme mourut, et leur h\u00f4te le d\u00e9pouilla de tout son argent, lui prenant\nm\u00eame la jument sur le dos de laquelle il conduisait ses enfants. Alors\nle pauvre p\u00e8re prit deux de ses enfants sur ses \u00e9paules, et tra\u00eena les\nautres par la main. Un homme qui passait avec un \u00e2ne eut piti\u00e9 de lui et\nlui donna son \u00e2ne, afin qu\u2019il p\u00fbt mettre ses enfants sur le dos de la\nb\u00eate. Arriv\u00e9 \u00e0 Saint-Jacques-de-Compostelle, le Fran\u00e7ais vit le saint\nqui lui demanda s\u2019il le reconnaissait, et qui lui dit: \u00abJe suis l\u2019ap\u00f4tre\nJacques. C\u2019est moi qui t\u2019ai donn\u00e9 un \u00e2ne pour venir ici et qui te le\ndonnerai de nouveau pour t\u2019en retourner. Mais sache que l\u2019h\u00f4te qui t\u2019a\nd\u00e9pouill\u00e9 va mourir et que tout ce qu\u2019il t\u2019a pris te sera rendu!\u00bb Elles\nchoses arriv\u00e8rent comme le saint l\u2019avait dit; et, d\u00e8s que le p\u00e8lerin\nrentra en possession de son cheval, l\u2019\u00e2ne qui avait port\u00e9 ses enfants\ndisparut aussit\u00f4t.\nMiracle rapport\u00e9 par Hubert de Besan\u00e7on. Trois soldats du dioc\u00e8se de\nLyon allaient en p\u00e8lerinage \u00e0 Saint-Jacques-de-Compostelle. L\u2019un d\u2019eux,\nrencontrant une femme qui le priait de la d\u00e9charger de son sac, prit le\nsac et le mit sur son cheval. Il rencontra ensuite un malade qui\nd\u00e9faillait sur la route. Il le mit sur son cheval, prit en main son\nbourdon ainsi que le sac de la femme, et se mit \u00e0 marcher \u00e0 pied,\nderri\u00e8re le cheval. Mais l\u2019ardeur du soleil et la fatigue l\u2019\u00e9puis\u00e8rent\nsi fort que, arriv\u00e9 en Galice, il tomba gravement malade. Ses compagnons\nlui rappel\u00e8rent le salut de son \u00e2me; mais, pendant trois jours, il\nn\u2019ouvrit point la bouche. Enfin, le quatri\u00e8me jour, il soupira\nprofond\u00e9ment et dit: \u00abGr\u00e2ces soient rendues \u00e0 saint Jacques, par les\nm\u00e9rites de qui me voici d\u00e9livr\u00e9! Car, pendant ces trois jours, des\nd\u00e9mons m\u2019avaient assailli et me serraient de partout, me mettant dans\nl\u2019impossibilit\u00e9 de vous r\u00e9pondre. Mais, tout \u00e0 l\u2019heure, enfin, j\u2019ai vu\nentrer ici saint Jacques, portant dans une main, comme une lance, le\nbourdon du mendiant, et dans l\u2019autre main, comme un bouclier, le sac de\nla femme; et il s\u2019est jet\u00e9 sur les d\u00e9mons, et les a mis en fuite.\nMaintenant appelez vite un pr\u00eatre, car je sens que ma vie va bient\u00f4t\nfinir!\u00bb Puis se tournant vers l\u2019un d\u2019eux en particulier, il lui dit:\n\u00abAmi, sache que le ma\u00eetre que tu sers est damn\u00e9, et qu\u2019il va mourir de\nmalemort!\u00bb L\u2019ami ainsi pr\u00e9venu, quand il revint de son p\u00e8lerinage,\navertit son ma\u00eetre; mais celui-ci ne tint nul compte de l\u2019avertissement\net refusa de s\u2019amender; et, peu de temps apr\u00e8s, il fut tu\u00e9 \u00e0 la guerre,\nd\u2019un coup de lance.\nMiracle rapport\u00e9 par le pape Calixte. Un p\u00e8lerin de V\u00e9zelay, qui se\nrendait au tombeau de saint Jacques, se trouva, un jour, \u00e0 court\nd\u2019argent; et, comme il avait honte de mendier, il trouva sous un arbre,\nsous lequel il s\u2019\u00e9tait endormi, un pain cuit dans la cendre. Aussi bien\navait-il r\u00eav\u00e9, dans son sommeil, que saint Jacques se chargeait de le\nnourrir. Et, de ce pain, il v\u00e9cut pendant quinze jours, jusqu\u2019\u00e0 son\nretour dans son pays. Non qu\u2019il se priv\u00e2t d\u2019en manger \u00e0 sa faim, deux\nfois par jour; mais, le lendemain, il retrouvait le pain tout entier\ndans son sac.\nAutre miracle rapport\u00e9 par le pape Calixte. Un habitant de Barcelone,\n\u00e9tant all\u00e9 en p\u00e8lerinage au tombeau de saint Jacques, lui demanda, comme\nseule faveur, de n\u2019\u00eatre jamais retenu prisonnier. Or, comme il s\u2019en\nretournait par mer, il fut pris par des Sarrasins, qui le vendirent\ncomme esclave: mais les cha\u00eenes dont on voulait le lier se brisaient\naussit\u00f4t. Il fut ainsi vendu et revendu douze fois; mais, la treizi\u00e8me\nfois, on lui mit une double cha\u00eene qui ne se brisa plus. Il invoqua\nsaint Jacques, qui apparut et lui dit: \u00abTous ces maux t\u2019ont \u00e9t\u00e9 inflig\u00e9s\nparce que, dans mon \u00e9glise, tu as oubli\u00e9 le salut de ton \u00e2me pour ne\nt\u2019occuper que de la libert\u00e9 de ton corps. Mais le Seigneur, dans sa\nmis\u00e9ricorde, m\u2019a envoy\u00e9 pour te d\u00e9livrer.\u00bb Aussit\u00f4t les cha\u00eenes de\nl\u2019esclave se bris\u00e8rent, et il revint dans son pays en portant dans ses\nmains une partie de ces cha\u00eenes, comme signe du miracle.\nL\u2019an du Seigneur 238, la veille de la f\u00eate de saint Jacques, dans la\nplace forte de Prato, situ\u00e9e entre Florence et Pistoie, un jeune paysan,\nd\u2019esprit un peu simple, mit le feu \u00e0 la grange de son tuteur, qui\nvoulait le d\u00e9pouiller de son h\u00e9ritage. Arr\u00eat\u00e9, il avoua sa faute, et fut\nattach\u00e9 \u00e0 la queue d\u2019un cheval. Mais, s\u2019\u00e9tant vou\u00e9 \u00e0 saint Jacques, il\nfut tra\u00een\u00e9 sur un sol pierreux sans que son corps ni m\u00eame sa chemise\neussent aucun mal. On l\u2019attacha ensuite \u00e0 un poteau, au pied duquel on\nalluma un grand feu; mais il invoqua de nouveau saint Jacques et la\nflamme ne lui fit aucun mal. Les juges voulurent recommencer le\nsupplice, mais la foule le d\u00e9livra; et l\u2019on s\u2019accorda pour louer Dieu,\net l\u2019ap\u00f4tre saint Jacques son serviteur.\nXCIX\nSAINT CHRISTOPHE, MARTYR\n(28 juillet)\nI. Christophe \u00e9tait un Canan\u00e9en d\u2019\u00e9norme stature, qui avait douze\ncoud\u00e9es de hauteur et un visage effrayant. Et voici ce que racontent \u00e0\nson sujet quelques vieux auteurs:\nEtant au service du roi de son pays, l\u2019id\u00e9e lui vint un jour de se\nmettre en qu\u00eate du plus puissant prince qui f\u00fbt au monde, et de servir\nd\u00e9sormais celui-l\u00e0. Il vint donc aupr\u00e8s de certain roi, dont on disait\ncouramment qu\u2019aucun autre prince ne l\u2019\u00e9galait en puissance. Ce roi, le\nvoyant tel qu\u2019il \u00e9tait, l\u2019accueillit volontiers et lui donna un logement\ndans son palais. Or un jour, un jongleur chantait, en pr\u00e9sence du roi,\nune chanson, o\u00f9 il nommait fr\u00e9quemment le diable. Et le roi, qui \u00e9tait\nchr\u00e9tien, ne manquait pas de faire le signe de la croix d\u00e8s qu\u2019il\nentendait prononcer le nom du diable: ce que voyant, Christophe, \u00e9tonn\u00e9,\ndemanda au roi ce que signifiait le geste qu\u2019il faisait. Et comme le roi\nrefusait de le lui dire, il r\u00e9pondit: \u00abSi tu ne me le dis pas, je\nquitterai ton service!\u00bb Alors le roi lui dit: \u00abChaque fois que j\u2019entends\nnommer le diable, je me prot\u00e8ge par ce signe, de peur qu\u2019il ne prenne\npouvoir sur moi et ne me nuise.\u00bb Alors Christophe: \u00abSi tu crains que le\ndiable ne te nuise, c\u2019est donc qu\u2019il est plus grand et plus puissant que\ntoi! Aussi vais-je te dire adieu et me mettre en qu\u00eate du diable, pour\nlui offrir mes services: car je n\u2019\u00e9tais venu ici que parce que je\nm\u2019imaginais y trouver le plus puissant prince du monde!\u00bb Puis il prit\ncong\u00e9 du roi et se mit en qu\u00eate du diable. Il rencontra, dans un d\u00e9sert,\nune grande arm\u00e9e, dont le chef, personnage f\u00e9roce et terrible, vint\nau-devant de lui, et lui demanda o\u00f9 il allait. Et Christophe: \u00abJe vais\nen qu\u00eate du diable pour lui offrir mes services.\u00bb Et lui: \u00abJe suis celui\nque tu cherches!\u00bb Christophe, tout heureux, le prit pour ma\u00eetre. Mais,\ncomme il passait avec lui devant une croix, \u00e9lev\u00e9e au bord d\u2019une route,\nle diable, \u00e9pouvant\u00e9, s\u2019enfuit, et fit un long d\u00e9tour afin d\u2019\u00e9viter la\ncroix. Ce que voyant, Christophe, \u00e9tonn\u00e9, lui en demanda la cause, le\nmena\u00e7ant de le quitter s\u2019il refusait de lui r\u00e9pondre. Alors le diable\nlui dit: \u00abC\u2019est qu\u2019un homme appel\u00e9 Christ a \u00e9t\u00e9 attach\u00e9 sur une croix,\net, depuis lors, d\u00e8s que je vois le signe de la croix, j\u2019ai peur et je\nm\u2019enfuis.\u00bb Et Christophe: \u00abC\u2019est donc que ce Christ est plus grand et\nplus puissant que toi! Ainsi j\u2019ai perdu mes peines, et n\u2019ai pas encore\ntrouv\u00e9 le plus grand prince du monde! Je vais te dire adieu, pour me\nmettre en qu\u00eate du Christ.\u00bb\nIl chercha longtemps quelqu\u2019un qui p\u00fbt le renseigner. Enfin il rencontra\nun ermite qui lui dit: \u00abLe ma\u00eetre que tu d\u00e9sires servir exige d\u2019abord de\ntoi que tu je\u00fbnes souvent.\u00bb Et Christophe: \u00abQu\u2019il exige de moi autre\nchose, car cette chose-l\u00e0 est au-dessus de mes forces!\u00bb Et l\u2019ermite: \u00abIl\nexige que tu fasses de nombreuses pri\u00e8res.\u00bb Et Christophe: \u00abVoil\u00e0 encore\nune chose que je ne peux pas faire, car je ne sais pas m\u00eame ce que c\u2019est\nque prier!\u00bb Alors l\u2019ermite: \u00abConnais-tu un fleuve qu\u2019il y a dans ce\npays, et qu\u2019on ne peut traverser sans p\u00e9ril de mort?\u00bb Et Christophe: \u00abJe\nle connais.\u00bb Et l\u2019ermite: \u00abGrand et fort comme tu es, si tu demeurais\npr\u00e8s de ce fleuve, et si tu aidais les voyageurs \u00e0 le traverser, cela\nserait tr\u00e8s agr\u00e9able au Christ que tu veux servir; et peut-\u00eatre\nconsentirait-il \u00e0 se montrer \u00e0 toi.\u00bb Et Christophe: \u00abVoil\u00e0 enfin une\nchose que je puis faire; et je te promets de la faire pour servir le\nChrist!\u00bb Puis il se rendit sur la rive du fleuve, s\u2019y construisit une\ncabane, et, se servant d\u2019un tronc d\u2019arbre en guise de b\u00e2ton pour mieux\nmarcher dans l\u2019eau, il transportait d\u2019une rive \u00e0 l\u2019autre tous ceux qui\navaient \u00e0 traverser le fleuve.\nBeaucoup de temps s\u2019\u00e9tant \u00e9coul\u00e9 ainsi, il dormait une nuit dans sa\ncabane, lorsqu\u2019il entendit une voix d\u2019enfant qui l\u2019appelait et lui\ndisait: \u00abChristophe, viens et fais-moi traverser le fleuve!\u00bb Aussit\u00f4t\nChristophe s\u2019\u00e9lan\u00e7a hors de sa cabane, mais il ne trouva personne. Et,\nde nouveau, lorsqu\u2019il rentra chez lui, la m\u00eame voix l\u2019appela. Mais,\ncette fois encore, \u00e9tant sorti, il ne trouva personne. Enfin, sur un\ntroisi\u00e8me appel, il vit un enfant qui le pria de l\u2019aider \u00e0 traverser le\nfleuve. Christophe prit l\u2019enfant sur ses \u00e9paules, s\u2019arma de son b\u00e2ton,\net entra dans l\u2019eau pour traverser le fleuve. Mais voil\u00e0 que, peu \u00e0 peu,\nl\u2019eau enflait, et que l\u2019enfant devenait lourd comme un poids de plomb;\net sans cesse l\u2019eau devenait plus haute et l\u2019enfant plus lourd, de telle\nsorte que Christophe crut bien qu\u2019il allait p\u00e9rir. Il parvint cependant\njusqu\u2019\u00e0 l\u2019autre rive. Et, y ayant d\u00e9pos\u00e9 l\u2019enfant, il lui dit: \u00abAh! mon\npetit, tu m\u2019as mis en grand danger; et tu as tant pes\u00e9 sur moi que, si\nj\u2019avais port\u00e9 le monde entier, je n\u2019aurais pas eu les \u00e9paules plus\ncharg\u00e9es!\u00bb Et l\u2019enfant lui r\u00e9pondit: \u00abNe t\u2019en \u00e9tonne pas, Christophe;\ncar non seulement tu as port\u00e9 sur tes \u00e9paules le monde entier, mais\naussi Celui qui a cr\u00e9\u00e9 le monde. Je suis en effet le Christ, ton ma\u00eetre,\ncelui que tu sers en faisant ce que tu fais. Et, en signe de la v\u00e9rit\u00e9\nde mes paroles, quand tu auras franchi le fleuve, plante dans la terre\nton b\u00e2ton, pr\u00e8s de ta cabane: tu le verras, demain matin, charg\u00e9 de\nfleurs et de fruits.\u00bb Sur quoi l\u2019enfant disparut; et Christophe, ayant\nplant\u00e9 son b\u00e2ton, le retrouva, d\u00e8s le matin suivant, transform\u00e9 en un\nbeau palmier plein de feuilles et de dattes.\nII. Il eut, plus tard, l\u2019occasion de se rendre \u00e0 Samos, ville de Lycie;\net, comme il ne comprenait pas la langue des habitants, il se mit en\npri\u00e8re, pour demander \u00e0 Dieu l\u2019intelligence de cette langue. Et\nlorsqu\u2019il l\u2019eut obtenue, il se couvrit le visage, se rendit au cirque,\net se mit \u00e0 r\u00e9conforter les chr\u00e9tiens qu\u2019on y torturait. Alors un des\njuges le frappa au visage. Et Christophe, se d\u00e9couvrant, lui dit: \u00abSi je\nn\u2019\u00e9tais chr\u00e9tien, je vengerais aussit\u00f4t une telle injure!\u00bb Puis il\nplanta en terre son b\u00e2ton et pria le Seigneur d\u2019y faire pousser des\nfeuilles, pour que ce miracle convert\u00eet le peuple. Le miracle se\nproduisit en effet, et huit mille hommes se convertirent.\nAlors le roi envoya vers lui deux cents soldats, pour s\u2019en emparer: mais\nles soldats, s\u2019\u00e9tant approch\u00e9s, le virent en pri\u00e8re, et n\u2019os\u00e8rent point\nle toucher. Le roi en envoya deux cents autres: le trouvant en pri\u00e8re,\nils se mirent \u00e0 genoux et pri\u00e8rent avec lui. Et Christophe, se relevant,\nleur dit: \u00abQue voulez-vous?\u00bb Ils lui r\u00e9pondirent: \u00abC\u2019est le roi qui nous\na envoy\u00e9s, pour que nous t\u2019encha\u00eenions et te conduisions vers lui!\u00bb\nAlors Christophe: \u00abSi je le veux, vous ne pourrez ni m\u2019encha\u00eener ni me\nconduire nulle part.\u00bb Et les soldats: \u00abSi tu ne veux pas venir avec\nnous, va-t\u2019en librement o\u00f9 tu voudras, et nous dirons au roi que nous\nn\u2019avons pas pu te trouver!\u00bb Mais lui: \u00abPas du tout, je suis pr\u00eat \u00e0 aller\navec vous.\u00bb Il les convertit cependant, d\u2019abord, \u00e0 la foi du Christ;\npuis il leur ordonna de lui lier les mains derri\u00e8re le dos et de le\nconduire ainsi aupr\u00e8s du roi. Et le roi, en l\u2019apercevant, eut peur et\ns\u2019enfuit de son tr\u00f4ne. Puis, reprenant courage, il l\u2019interrogea sur son\nnom et sur sa patrie. Et Christophe: \u00abAvant mon bapt\u00eame je m\u2019appelais,\nle R\u00e9prouv\u00e9; maintenant je m\u2019appelle le Porte-Christ.\u00bb Et le roi: \u00abTu\nt\u2019es donn\u00e9 l\u00e0 un nom bien sot, le nom de ce Christ crucifi\u00e9 qui ne t\u2019a\nservi ni ne pourra jamais te servir de rien. Pourquoi ne veux-tu pas\nplut\u00f4t sacrifier \u00e0 nos dieux?\u00bb Et Christophe: \u00abEh bien, toi, tu m\u00e9rites\nton nom de Dagnus, car tu es le complice du diable, et tes dieux ne sont\nque de vaines images!\u00bb Et le roi: \u00abNourri parmi les b\u00eates f\u00e9roces, tu ne\nsais dire que des choses bonnes pour elles, et incompr\u00e9hensibles pour\nl\u2019esp\u00e8ce humaine. Je te pr\u00e9viens seulement que, si tu consens \u00e0\nsacrifier \u00e0 nos dieux, tu recevras de moi de grands honneurs; mais que,\nsi tu refuses, tu p\u00e9riras dans les supplices.\u00bb Et, comme le saint\nrefusait de sacrifier, il le fit jeter en prison; et il fit d\u00e9capiter\nles soldats qui, envoy\u00e9s vers lui, s\u2019\u00e9taient convertis \u00e0 la foi du\nChrist. Il fit ensuite introduire dans la cellule du prisonnier deux\nbelles filles, nomm\u00e9es Nic\u00e9e et Aquiline, leur promettant de grandes\nr\u00e9compenses si elles amenaient Christophe \u00e0 p\u00e9cher avec elles. Mais\nChristophe, en les apercevant, se mit aussit\u00f4t en pri\u00e8re. Et comme les\ndeux filles tournaient autour de lui pour l\u2019embrasser, il se leva et\nleur dit: \u00abQue cherchez-vous, mes enfants, et pourquoi vous a-t-on\nintroduites ici?\u00bb Et elles, effray\u00e9es de l\u2019\u00e9clat de son regard, lui\ndirent: \u00abSaint homme de Dieu, aie piti\u00e9 de nous, et aide-nous \u00e0 croire\nau Dieu que tu pr\u00eaches!\u00bb Ce qu\u2019apprenant, le roi les fit compara\u00eetre\ndevant lui, et leur dit: \u00abVous \u00eates-vous donc laiss\u00e9es s\u00e9duire, vous\naussi? En tout cas je vous jure que, si vous ne sacrifiez pas aux dieux,\nvous p\u00e9rirez de malemort!\u00bb Alors elles lui r\u00e9pondirent: \u00abSi tu veux que\nnous sacrifiions, ordonne que le peuple entier se r\u00e9unisse dans le\ntemple!\u00bb Puis, entrant dans le temple, elles lanc\u00e8rent leurs ceintures\nautour du cou des idoles, les tir\u00e8rent \u00e0 elles, les mirent en poussi\u00e8re,\net dirent aux assistants: \u00abAllez maintenant chercher les m\u00e9decins, et\ndites-leur de gu\u00e9rir vos dieux!\u00bb Alors, par ordre du roi, Aquiline est\npendue \u00e0 un arbre; on attache \u00e0 ses pieds une \u00e9norme pierre, et on lui\nrompt tous les membres. Et, lorsqu\u2019elle a rendu son \u00e2me au Seigneur, sa\ns\u0153ur Nic\u00e9e est jet\u00e9e dans le feu: mais elle en sort sans souffrir aucun\nmal; et le roi, aussit\u00f4t, la fait d\u00e9capiter.\nMandant ensuite Christophe, il le fait frapper de verges de fer, lui\nfait placer sur la t\u00eate un casque de fer rouge, le fait attacher sur un\nsi\u00e8ge de fer rouge. Mais celui-ci se brise comme de la cire, et\nChristophe se rel\u00e8ve sans avoir aucun mal. Alors le roi le fait attacher\n\u00e0 un tronc d\u2019arbre, et ordonne \u00e0 quatre mille soldats de tirer sur lui.\nMais leur fl\u00e8ches restent suspendues en l\u2019air: aucune d\u2019elles ne\nparvient \u00e0 atteindre Christophe. Et comme le roi, le croyant d\u00e9j\u00e0 tout\ntransperc\u00e9 de fl\u00e8ches, lui crie des insultes, soudain une fl\u00e8che se\nretourne contre lui, le frappe \u00e0 l\u2019\u0153il, et le rend aveugle. Alors\nChristophe: \u00abJe sais que c\u2019est aujourd\u2019hui que je vais mourir. Quand je\nserai mort, applique un peu de mon sang sur tes yeux, et tu recouvreras\nla vue!\u00bb Le roi lui fait aussit\u00f4t trancher la t\u00eate; puis, prenant un peu\nde son sang, il s\u2019en frotte les yeux; et aussit\u00f4t il recouvre la vue.\nAlors le roi se convertit, re\u00e7oit le bapt\u00eame, et d\u00e9cr\u00e8te que toute\npersonne qui blasph\u00e9mera contre Dieu ou contre saint Christophe aura\naussit\u00f4t la t\u00eate tranch\u00e9e.\nC\nLES SEPT DORMANTS\n(28 juillet)\nLes sept dormants \u00e9taient de la ville d\u2019Eph\u00e8se. Or, l\u2019empereur D\u00e9cius,\npers\u00e9cuteur des chr\u00e9tiens, \u00e9tant venu \u00e0 Eph\u00e8se, y fit construire des\ntemples au milieu de la ville, afin que tous y vinssent avec lui\nsacrifier aux idoles. Et comme il avait fait rechercher tous les\nchr\u00e9tiens, pour les forcer \u00e0 sacrifier ou \u00e0 mourir, si grande \u00e9tait la\nterreur de ses ch\u00e2timents que l\u2019ami reniait son ami, le fils son p\u00e8re,\net le p\u00e8re son fils. Et sept chr\u00e9tiens d\u2019Eph\u00e8se, Maximien, Malchus,\nMartien, Denis, Jean, S\u00e9rapion et Constantin, souffraient beaucoup de\ncet \u00e9tat de choses. Ayant horreur de sacrifier aux idoles, ils restaient\ncach\u00e9s dans leurs maisons, je\u00fbnaient et priaient. Leur absence ne tarda\npas \u00e0 \u00eatre remarqu\u00e9e, car ils \u00e9taient parmi les premiers fonctionnaires\ndu palais. Ils furent donc saisis et conduits devant D\u00e9cius qui, sur\nleur aveu qu\u2019ils \u00e9taient chr\u00e9tiens, ne voulut point les condamner de\nsuite, mais leur fixa un d\u00e9lai jusqu\u2019\u00e0 son retour, afin qu\u2019ils eussent\nle temps de r\u00e9fl\u00e9chir et de se r\u00e9tracter. Mais eux, apr\u00e8s avoir\ndistribu\u00e9 leurs biens aux pauvres, ils se r\u00e9fugi\u00e8rent sur le mont\nC\u00e9lion, et prirent le parti d\u2019y vivre cach\u00e9s. Chaque matin, l\u2019un d\u2019eux\nrentrait en ville pour les provisions, d\u00e9guis\u00e9 en mendiant.\nLorsque D\u00e9cius fut de retour \u00e0 Eph\u00e8se, Malchus, qui \u00e9tait all\u00e9 en ville\nce jour-l\u00e0, revint, tout effray\u00e9, dire \u00e0 ses compagnons que l\u2019empereur\nles cherchait pour le sacrifice aux idoles. Et tandis qu\u2019ils \u00e9taient \u00e0\ntable, causant entre eux avec des larmes, Dieu voulut que soudain ils\ns\u2019endormissent tous les sept. Le matin suivant, comme D\u00e9cius\ns\u2019affligeait d\u00e9j\u00e0 de la perte d\u2019aussi bons serviteurs, on lui dit que\nles sept officiers, apr\u00e8s avoir donn\u00e9 leurs biens aux pauvres, \u00e9taient\nall\u00e9s se cacher sur le mont C\u00e9lion. D\u00e9cius fit alors venir leurs parents\net leur ordonna, sous peine de mort, de lui r\u00e9v\u00e9ler tout ce qu\u2019ils\nsavaient. Les parents confirm\u00e8rent la d\u00e9nonciation port\u00e9e contre leurs\nfils, \u00e0 qui ils ne pouvaient pardonner de s\u2019\u00eatre d\u00e9pouill\u00e9s de tous\nleurs biens. Et D\u00e9cius, inspir\u00e9 \u00e0 son insu par l\u2019esprit divin, fit\nobstruer de pierres l\u2019entr\u00e9e de la caverne o\u00f9 \u00e9taient les sept jeunes\ngens, afin qu\u2019ils y mourussent d\u2019\u00e9puisement. Ainsi fut fait; et deux\nchr\u00e9tiens Th\u00e9odore et Rufin, plac\u00e8rent secr\u00e8tement parmi les pierres une\nrelation du martyre des sept saints.\nOr, longtemps apr\u00e8s la mort de D\u00e9cius et de toute sa g\u00e9n\u00e9ration, la\ntrenti\u00e8me ann\u00e9e de l\u2019empire de Th\u00e9odose, l\u2019h\u00e9r\u00e9sie se r\u00e9pandit, en tous\nlieux, de ceux qui niaient la r\u00e9surrection des morts. Et Th\u00e9odose, en\nbon chr\u00e9tien, \u00e9tait si d\u00e9sol\u00e9 des progr\u00e8s de cette h\u00e9r\u00e9sie impie que,\nretir\u00e9 au fond de son palais, et couvert d\u2019un cilice, il pleurait\npendant des journ\u00e9es enti\u00e8res. Ce que voyant, Dieu, dans sa mis\u00e9ricorde,\nr\u00e9solut de consoler le deuil des chr\u00e9tiens et de les confirmer dans\nl\u2019espoir de la r\u00e9surrection des morts. Et c\u2019est aux sept martyrs\nd\u2019Eph\u00e8se qu\u2019il confia l\u2019honneur d\u2019en porter t\u00e9moignage.\nIl inspira \u00e0 un certain habitant d\u2019Eph\u00e8se de faire construire des\n\u00e9tables sur le mont C\u00e9lion. Et lorsque les ma\u00e7ons ouvrirent la caverne,\nles sept dormants se r\u00e9veill\u00e8rent, se salu\u00e8rent, comme s\u2019ils n\u2019avaient\ndormi qu\u2019une nuit, et, se rappelant les angoisses de la veille,\ndemand\u00e8rent \u00e0 Malchus s\u2019il savait ce que D\u00e9cius avait d\u00e9cid\u00e9 contre eux.\nMalchus r\u00e9pondit qu\u2019il allait descendre en ville pour chercher du pain,\net qu\u2019il reviendrait le soir leur rapporter des nouvelles. Il prit cinq\npi\u00e8ces de monnaie, sortit de la caverne, et fut un peu surpris des\npierres qu\u2019il trouva entass\u00e9es devant l\u2019entr\u00e9e. Parvenu \u00e0 la porte de la\nville, il fut plus surpris encore de voir sur cette porte le signe de la\ncroix. Il alla vers une autre porte, puis une autre encore: le signe de\nla croix se trouvait sur toutes, si bien que Malchus crut qu\u2019il r\u00eavait\ntoujours. Poursuivant son chemin, il arriva au march\u00e9. Il entendit que\ntous y nommaient le Christ, et sa stupeur ne connut point de bornes.\n\u00abEst-ce possible, demanda-t-il, que, dans cette ville o\u00f9 personne hier\nn\u2019osait nommer le Christ, chacun le nomme librement aujourd\u2019hui? Et,\nd\u2019ailleurs, cette ville n\u2019est pas Eph\u00e8se, car les b\u00e2timents y sont tout\nautres; et cependant le lieu est le m\u00eame, et il n\u2019y a point d\u2019autre\nville aux environs!\u00bb On lui dit que cette ville \u00e9tait bien Eph\u00e8se; et\npeu s\u2019en fallut que, se croyant fou, il ne s\u2019en retourn\u00e2t aussit\u00f4t vers\nses compagnons. Mais il voulut, tout de m\u00eame, acheter du pain; et le\nboulanger \u00e0 qui il s\u2019adressa consid\u00e9ra avec surprise les pi\u00e8ces de\nmonnaie qu\u2019il lui pr\u00e9sentait. On lui demanda s\u2019il avait d\u00e9couvert un\ntr\u00e9sor ancien. Et Malchus, persuad\u00e9 qu\u2019on allait le tra\u00eener devant\nl\u2019empereur, supplia qu\u2019on le laiss\u00e2t partir, sauf \u00e0 garder l\u2019argent et\nles pains. Mais les marchands, le retenant, lui dirent: \u00abD\u2019o\u00f9 es-tu, et\no\u00f9 as-tu trouv\u00e9 le tr\u00e9sor des anciens empereurs? Dis-nous-le, pour que\nnous partagions avec toi: sinon, nous te d\u00e9noncerons!\u00bb Et comme Malchus,\n\u00e9pouvant\u00e9, ne savait que r\u00e9pondre, on lui passa une corde au cou, et on\nle tra\u00eena par les rues de la ville, et chacun se r\u00e9p\u00e9tait que ce jeune\nhomme avait d\u00e9couvert un tr\u00e9sor. En vain Malchus scrutait des yeux la\nfoule, esp\u00e9rant y trouver un visage connu. Il ne voyait que des faces\nnouvelles; et sa stup\u00e9faction le rendait muet.\nCe qu\u2019apprenant, l\u2019\u00e9v\u00eaque saint Martin et le proconsul Antipater le\nfirent amener devant eux avec ses pi\u00e8ces d\u2019argent et lui demand\u00e8rent o\u00f9\nil avait trouv\u00e9 ces vieilles pi\u00e8ces de monnaie. Il leur r\u00e9pondit qu\u2019il\nn\u2019avait rien trouv\u00e9, et que ces pi\u00e8ces venaient de la bourse de ses\nparents. On lui demanda d\u2019o\u00f9 il \u00e9tait. Et lui: \u00abH\u00e9, d\u2019ici, \u00e0 moins que\ncette ville ne soit pas Eph\u00e8se!\u00bb Et le proconsul: \u00abFais venir tes\nparents, pour qu\u2019ils te reconnaissent!\u00bb Il nomma ses parents: personne\nne les connaissait. Et le proconsul: \u00abComment pr\u00e9tends-tu nous faire\ncroire que cet argent te vienne de tes parents, quand les inscriptions\nqu\u2019il porte sont vieilles de pr\u00e8s de quatre cents ans, datant des\npremiers jours de l\u2019empereur D\u00e9cius? Et comment oses-tu, jeune homme,\ntromper les sages et les anciens d\u2019Eph\u00e8se? Tu seras ch\u00e2ti\u00e9 si tu ne nous\nr\u00e9v\u00e8les o\u00f9 tu as trouv\u00e9 cet argent!\u00bb Alors Malchus leur dit: \u00abO nom du\nciel, seigneurs, r\u00e9pondez \u00e0 ce que je vais vous demander, et je vous\ndirai ensuite tout ce qui est dans mon c\u0153ur. L\u2019empereur D\u00e9cius, qui\n\u00e9tait ici hier, o\u00f9 est-il \u00e0 pr\u00e9sent?\u00bb Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque: \u00abMon fils, il n\u2019y\na pas aujourd\u2019hui sur terre d\u2019empereur appel\u00e9 D\u00e9cius; mais il y en avait\nun autrefois, il y a tr\u00e8s longtemps.\u00bb Et Malchus: \u00abSeigneur, je suis\ntrop stup\u00e9fait, et personne ne me croit. Mais suivez-moi, je vous\nmontrerai mes compagnons, sur le mont C\u00e9lion, et vous les croirez! Ce\nque je sais, c\u2019est que nous fuyons la col\u00e8re de l\u2019empereur D\u00e9cius, et\nque j\u2019ai vu cet empereur rentrer hier ici, dans la ville d\u2019Eph\u00e8se.\u00bb\nSur l\u2019ordre de l\u2019\u00e9v\u00eaque, qui devinait l\u00e0 un dessein de Dieu le\nproconsul, le clerg\u00e9, et une grande foule suivirent Malchus jusque dans\nla caverne; et l\u2019\u00e9v\u00eaque, en y entrant, trouva parmi les pierres un \u00e9crit\nscell\u00e9 de deux sceaux d\u2019argent; et il lut cet \u00e9crit \u00e0 la foule\nassembl\u00e9e. Il p\u00e9n\u00e9tra ensuite aupr\u00e8s des saints, qu\u2019il trouva assis dans\nleur caverne, avec des visages rayonnants comme des roses en fleur.\nAussit\u00f4t l\u2019\u00e9v\u00eaque et le proconsul avertirent Th\u00e9odose, pour qu\u2019il v\u00eent\nassister au miracle de Dieu. Et Th\u00e9odose, se levant du sac sur lequel il\n\u00e9tait \u00e9tendu, et glorifiant Dieu, vint de Constantinople \u00e0 Eph\u00e8se. Il\nmonta jusqu\u2019\u00e0 la caverne, vit les saints, dont les visages rayonnaient\ncomme des soleils, et, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre prostern\u00e9 devant eux et les avoir\nembrass\u00e9s, il s\u2019\u00e9cria en pleurant: \u00abA vous voir, c\u2019est comme si je\nvoyais le Seigneur ressuscitant Lazare!\u00bb Alors Maximien lui dit: \u00abC\u2019est\npour toi que Dieu nous a ressuscit\u00e9s avant le jour de la grande\nr\u00e9surrection, afin que tu n\u2019aies point de doute sur la r\u00e9alit\u00e9 de\ncelle-ci!\u00bb Puis, cela dit, tous les sept ils s\u2019endormirent de nouveau,\nla t\u00eate pench\u00e9e, et ils rendirent leurs \u00e2mes \u00e0 Dieu.\nL\u2019empereur, apr\u00e8s les avoir encore embrass\u00e9s en pleurant, ordonna que\nl\u2019on construis\u00eet pour eux des cercueils d\u2019or. Mais, la m\u00eame nuit, ils\nlui apparurent, et lui dirent que, de m\u00eame qu\u2019ils avaient jusque-l\u00e0\ndormi dans la terre, et \u00e9taient ressuscit\u00e9s de la terre, c\u2019\u00e9tait dans la\nterre encore qu\u2019ils voulaient reposer jusqu\u2019au jour de la r\u00e9surrection\nsupr\u00eame. Du moins Th\u00e9odose fit orner leur s\u00e9pulcre de pierres dor\u00e9es. Et\nles \u00e9v\u00eaques qui proclamaient la r\u00e9surrection des morts obtinrent gain de\ncause. La l\u00e9gende veut que les sept saints aient dormi pendant 372 ans;\nmais la chose est douteuse, car c\u2019est en l\u2019an 448 qu\u2019ils ressuscit\u00e8rent,\net D\u00e9cius r\u00e9gna en l\u2019an 252: de sorte que, plus vraisemblablement, leur\nsommeil miraculeux ne dura que 196 ans.\nCI\nSAINTS NAZAIRE ET CELSE, MARTYRS\n(28 Juillet)\nLa vie des saints Nazaire et Celse nous est racont\u00e9e par saint Ambroise.\nLes uns veulent que ce soit d\u2019apr\u00e8s un livre des saints Gervais et\nProtais, d\u2019autres, d\u2019apr\u00e8s un livre \u00e9crit par un philosophe ayant une\nd\u00e9votion sp\u00e9ciale pour saint Nazaire; et l\u2019on ajoute que le livre de ce\nphilosophe fut plac\u00e9 dans le tombeau des deux saints par C\u00e9rasius, qui\nles ensevelit.\nNazaire \u00e9tait fils d\u2019un noble Juif nomm\u00e9 Africain, et de sainte\nPerp\u00e9tue, Romaine de grande famille qui avait \u00e9t\u00e9 baptis\u00e9e par l\u2019ap\u00f4tre\nsaint Pierre. A l\u2019\u00e2ge de neuf ans, l\u2019enfant s\u2019\u00e9tonnait beaucoup de voir\nque son p\u00e8re et sa m\u00e8re observassent deux cultes diff\u00e9rents, et que sa\nm\u00e8re suiv\u00eet la loi du bapt\u00eame, tandis que son p\u00e8re suivait celle du\nsabbat. Et chacun de ses deux parents essayait de l\u2019amener \u00e0 sa foi:\nmais il h\u00e9sitait, se demandant \u00e0 laquelle des deux il devait adh\u00e9rer.\nEnfin, par la gr\u00e2ce de Dieu, c\u2019est \u00e0 la foi de sa m\u00e8re qu\u2019il adh\u00e9ra. Il\nre\u00e7ut le bapt\u00eame du saint pape Lin; ce qu\u2019apprenant, son p\u00e8re s\u2019effor\u00e7a\nde le d\u00e9tourner de sa sainte r\u00e9solution en lui d\u00e9crivant les\ninnombrables supplices inflig\u00e9s aux chr\u00e9tiens.\nNotons en passant que, quand l\u2019histoire raconte que Nazaire fut baptis\u00e9\npar le pape Lin, cela ne veut pas dire que saint Lin f\u00fbt pape au moment\ndu bapt\u00eame, mais seulement qu\u2019il devait plus tard devenir pape. Car\nNazaire, ainsi qu\u2019on le verra ci-dessous, surv\u00e9cut de nombreuses ann\u00e9es\n\u00e0 son bapt\u00eame, et son martyre eut lieu sous le r\u00e8gne de N\u00e9ron, sous le\nr\u00e8gne duquel eut aussi lieu le martyre de saint Pierre. Or on sait que\nsaint Lin fut pape apr\u00e8s la mort de saint Pierre.\nNazaire, sans se laisser \u00e9mouvoir par les avertissements paternels,\ncontinuait \u00e0 pr\u00eacher le Christ. Enfin ses parents, qui craignaient pour\nlui les pers\u00e9cutions, obtinrent de lui qu\u2019il quitt\u00e2t Rome. Ils lui\ndonn\u00e8rent sept mulets charg\u00e9s de tr\u00e9sors; et lui, parcourant les villes\nd\u2019Italie, il distribuait tout aux pauvres. La dixi\u00e8me ann\u00e9e de son\nd\u00e9part de Rome, il vint \u00e0 Plaisance, puis \u00e0 Milan, o\u00f9 il apprit que les\nsaints Gervais et Protais se trouvaient emprisonn\u00e9s. Il s\u2019empressa\nd\u2019aller les voir, dans leur prison, pour les encourager dans la foi. Ce\nqu\u2019apprenant, le pr\u00e9fet de la ville le fit venir devant lui. Et comme il\npersistait \u00e0 confesser le Christ, il fut chass\u00e9 de Milan apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9\nrou\u00e9 de coups. De nouveau il errait de ville en ville, lorsque sa m\u00e8re,\nqui \u00e9tait morte, lui apparut et lui enjoignit de se rendre en Gaule.\nPendant qu\u2019il se trouvait dans une ville des Gaules nomm\u00e9e Gen\u00e8ve, o\u00f9 il\navait fait de nombreuses conversions, une dame noble lui amena son fils,\nun beau jeune homme appel\u00e9 Celse, en le priant de le baptiser et de le\nprendre avec lui. Le pr\u00e9fet des Gaules, d\u00e8s qu\u2019il le sut, fit saisir\nNazaire et Celse, leur fit lier les mains, et les fit enfermer en prison\navec une cha\u00eene au cou, se promettant de les torturer le jour suivant.\nMais sa femme lui d\u00e9clara que c\u2019\u00e9tait chose injuste de vouloir venger\ndes dieux tout-puissants en mettant \u00e0 mort des hommes qui n\u2019avaient fait\naucun mal. Et le pr\u00e9fet, touch\u00e9 de ses paroles, remit en libert\u00e9 les\ndeux saints, mais en leur interdisant de pr\u00eacher dans sa province.\nNazaire se rendit alors \u00e0 Tr\u00e8ves, o\u00f9, le premier, il pr\u00eacha le Christ,\net lui \u00e9leva une \u00e9glise. Ce qu\u2019apprenant, le gouverneur Corn\u00e9lius le\nd\u00e9non\u00e7a \u00e0 l\u2019empereur N\u00e9ron, qui envoya cent hommes pour s\u2019emparer de\nlui. Ces hommes, l\u2019ayant trouv\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise qu\u2019il avait construite,\nlui li\u00e8rent les mains en disant: \u00abLe grand N\u00e9ron t\u2019appelle.\u00bb Et Nazaire\nleur dit: \u00abVotre ma\u00eetre a des serviteurs dignes de lui! Vous auriez pu\nsimplement venir me dire: _N\u00e9ron t\u2019appelle_; et je serais venu.\u00bb Mais\nles soldats ne s\u2019obstin\u00e8rent pas moins \u00e0 le tenir encha\u00een\u00e9; et comme le\njeune Celse pleurait, ils le battaient pour le forcer \u00e0 les suivre.\nAinsi ils arriv\u00e8rent en pr\u00e9sence de N\u00e9ron, qui les fit jeter en prison,\nen attendant qu\u2019il e\u00fbt imagin\u00e9 des supplices pour les faire p\u00e9rir.\nOr, comme N\u00e9ron avait, un jour, envoy\u00e9 des chasseurs \u00e0 la poursuite de\nb\u00eates f\u00e9roces, celles-ci p\u00e9n\u00e9tr\u00e8rent en grand nombre dans les jardins\nimp\u00e9riaux, o\u00f9 elles bless\u00e8rent et tu\u00e8rent une foule de gens. N\u00e9ron\nlui-m\u00eame fut bless\u00e9 au pied, et eut grand\u2019peine \u00e0 regagner son palais.\nEt la blessure continua longtemps \u00e0 le faire souffrir: si bien que, se\nsouvenant de Nazaire et de Celse, il pensa que les dieux \u00e9taient irrit\u00e9s\ncontre lui pour son retard \u00e0 faire mourir ces infid\u00e8les. Il ordonna donc\nqu\u2019on amen\u00e2t devant lui Nazaire et le jeune Celse, en ne leur \u00e9pargnant\npas les coups durant le trajet. Quand Nazaire comparut devant lui, il\nvit que sa figure brillait comme le soleil: et, se croyant le jouet d\u2019un\nartifice de magie, il enjoignit au saint de laisser l\u00e0 ses sortil\u00e8ges et\nde sacrifier aux dieux. Nazaire fut donc conduit dans un temple. Il\ndemanda \u00e0 y \u00eatre laiss\u00e9 seul; puis il pria, et toutes les idoles se\nbris\u00e8rent. Ce qu\u2019apprenant, N\u00e9ron le fit pr\u00e9cipiter dans la mer,\nordonnant que, si par hasard il s\u2019en \u00e9chappait, on le br\u00fbl\u00e2t vif, et que\nses cendres fussent jet\u00e9es \u00e0 l\u2019eau.\nNazaire et le petit Celse furent mis dans un bateau, et, parvenus en\npleine mer, ils furent jet\u00e9s dans les flots. Mais aussit\u00f4t une temp\u00eate\nterrible s\u2019\u00e9leva autour du bateau, tandis que les deux saints nageaient\ndoucement sur les flots tout unis. Alors les bourreaux, se voyant en\ndanger, se repentirent du mal qu\u2019ils avaient fait aux saints. Et voici\nque Nazaire, marchant sur l\u2019eau avec le petit Celse, leur apparut, le\nvisage souriant, les rejoignit sur le bateau, apaisa la temp\u00eate par sa\npri\u00e8re, et parvint ainsi avec eux \u00e0 un endroit voisin de la ville de\nG\u00eanes. Il pr\u00eacha longtemps dans cette ville, puis se rendit \u00e0 Milan, o\u00f9\nil avait nagu\u00e8re laiss\u00e9 Gervais et Protais. Ce qu\u2019apprenant, le pr\u00e9fet\nAnolin fit garder Celse dans la maison d\u2019une dame de la ville, et\nenjoignit \u00e0 Nazaire de quitter Milan. Le saint se rendit \u00e0 Rome, o\u00f9 il\ntrouva son p\u00e8re devenu chr\u00e9tien. Le vieillard lui raconta que l\u2019ap\u00f4tre\nPierre lui \u00e9tait apparu, et l\u2019avait averti d\u2019avoir \u00e0 suivre aupr\u00e8s du\nChrist sa femme et son fils. Mais bient\u00f4t Nazaire fut pris de nouveau et\nreconduit \u00e0 Milan, o\u00f9, en compagnie du petit Celse, il eut la t\u00eate\ntranch\u00e9e, au-del\u00e0 de la Porte Romaine, dans un endroit nomm\u00e9 les\nTrois-Murs.\nDes chr\u00e9tiens recueillirent leurs corps et les ensevelirent dans leur\njardin. Mais, la m\u00eame nuit, les deux saints apparurent \u00e0 un pieux homme\nnomm\u00e9 C\u00e9rasius, \u00e0 qui ils dirent de prendre leurs corps dans sa maison,\net de les ensevelir tr\u00e8s profond\u00e9ment, pour les d\u00e9rober aux recherches\nde N\u00e9ron. Et C\u00e9rasius: \u00abSeigneurs, ne voudriez-vous pas, auparavant,\ngu\u00e9rir ma fille qui est paralys\u00e9e?\u00bb Aussit\u00f4t la jeune fille se trouva\ngu\u00e9rie; et C\u00e9rasius enterra les deux saints comme ils l\u2019avaient demand\u00e9.\nLongtemps apr\u00e8s, le Seigneur r\u00e9v\u00e9la \u00e0 saint Ambroise l\u2019endroit o\u00f9\n\u00e9taient leurs corps; le corps de Nazaire \u00e9tait encore arros\u00e9 de son\nsang, absolument intact avec ses cheveux et sa barbe; et un parfum\nmerveilleux s\u2019en d\u00e9gageait. Saint Ambroise laissa le corps de saint\nCelse \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 il reposait, et fit transporter celui de saint\nNazaire dans l\u2019\u00e9glise des Saints Ap\u00f4tres. Le martyre des deux saints eut\nlieu sous N\u00e9ron, vers l\u2019an du Seigneur 52.\nCII\nSAINT F\u00c9LIX, PAPE ET MARTYR\n(29 juillet)\nF\u00e9lix fut \u00e9lu pape en remplacement de Lib\u00e8re, et du consentement de\ncelui-ci, qui, n\u2019ayant pas voulu approuver l\u2019h\u00e9r\u00e9sie arienne, avait \u00e9t\u00e9\nenvoy\u00e9 en exil par Constance, fils de Constantin. F\u00e9lix, ainsi promu \u00e0\nla papaut\u00e9, convoqua un concile de quarante-huit \u00e9v\u00eaques, qui condamna\ncomme h\u00e9r\u00e9tiques l\u2019empereur Constance et deux pr\u00eatres, ses conseillers.\nSur quoi, Constance, furieux, destitua F\u00e9lix de l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9 de Rome, et\nrappela Lib\u00e8re qui, amolli par l\u2019exil, se r\u00e9signa \u00e0 tol\u00e9rer l\u2019h\u00e9r\u00e9sie.\nLa pers\u00e9cution prit alors une telle \u00e9tendue que, avec l\u2019assentiment\ntacite de Lib\u00e8re, une foule de pr\u00eatres et de clercs furent tu\u00e9s presque\ndans l\u2019\u00e9glise. F\u00e9lix, qui s\u2019\u00e9tait retir\u00e9 dans sa maison, y fut pris et\neut la t\u00eate tranch\u00e9e. Il souffrit le martyre en l\u2019an du Seigneur 360.\nCIII\nSAINTS SIMPLICE ET FAUSTIN, MARTYRS\n(29 juillet)\nSimplice et Faustin, qui \u00e9taient fr\u00e8res, souffrirent pour la foi \u00e0 Rome,\nsous l\u2019empereur Diocl\u00e9tien. Apr\u00e8s de nombreux supplices, ils eurent la\nt\u00eate tranch\u00e9e, et leurs corps furent jet\u00e9s dans le Tibre. Mais leur\ns\u0153ur, nomm\u00e9e B\u00e9atrice, retira de l\u2019eau leurs corps et les ensevelit\nchr\u00e9tiennement. Sur quoi, le pr\u00e9fet Lucr\u00e8ce la fit saisir et lui ordonna\nde sacrifier aux idoles. Et, comme elle refusait, il la fit \u00e9trangler,\nla nuit, par ses serviteurs. Une vierge nomm\u00e9e Lucine d\u00e9roba le corps de\nB\u00e9atrice, et l\u2019ensevelit \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des corps de ses fr\u00e8res.\nQuelques jours apr\u00e8s, le pr\u00e9fet, qui avait pris possession de la maison\ndes martyrs, y pr\u00e9para un grand festin o\u00f9 il invita ses amis. Or un\nenfant nouveau-n\u00e9, que sa m\u00e8re avait amen\u00e9 l\u00e0, se mit tout \u00e0 coup \u00e0\nparler et dit: \u00abEcoute, Lucr\u00e8ce, tu as envahi et occis, et maintenant tu\nes tomb\u00e9 au pouvoir de l\u2019ennemi!\u00bb Et aussit\u00f4t Lucr\u00e8ce, tout tremblant,\nfut pris par le d\u00e9mon, qui pendant trois heures le tortura si fort qu\u2019il\nmourut avant d\u2019avoir pu se lever de table. Ce que voyant, tous les\nassistants se convertirent \u00e0 la foi chr\u00e9tienne; et ils racontaient \u00e0\ntous comment Dieu avait veng\u00e9 le martyre de ses trois saints. Ce martyre\neut lieu vers l\u2019an du Seigneur 287.\nCIV\nSAINTE MARTHE, VIERGE\n(29 juillet)\nI. Marthe, l\u2019h\u00f4tesse du Christ, avait pour p\u00e8re Syrus, pour m\u00e8re\nEucharie. Son p\u00e8re, qui \u00e9tait de race royale, gouverna la Syrie et\nbeaucoup d\u2019autres r\u00e9gions maritimes. Marthe, suivant toute probabilit\u00e9,\nn\u2019eut jamais de mari. Elle s\u2019occupait d\u2019administrer la maison, et, quand\nelle recevait le Seigneur, non seulement elle se donnait une peine\ninfinie pour bien l\u2019accueillir, mais elle e\u00fbt encore voulu que sa s\u0153ur\nMadeleine f\u00eet comme elle. Apr\u00e8s l\u2019ascension du Seigneur, Marthe, avec\nson fr\u00e8re Lazare, sa s\u0153ur Madeleine, et saint Maximin, \u00e0 qui\nl\u2019Esprit-Saint les avait recommand\u00e9s, furent jet\u00e9s par les infid\u00e8les sur\nun bateau sans voiles, sans rames, et sans gouvernail. Et le Seigneur,\ncomme l\u2019on sait, les conduisit \u00e0 Marseille. Ils se rendirent de l\u00e0 sur\nle territoire d\u2019Aix, et y firent de nombreuses conversions. De Marthe,\nen particulier, on rapporte qu\u2019elle \u00e9tait fort \u00e9loquente, et que tous\nl\u2019aimaient.\nOr il y avait \u00e0 ce moment sur les bords du Rh\u00f4ne, dans une for\u00eat sise\nentre Avignon et Arles, un dragon, mi-animal, mi-poisson, plus gros\nqu\u2019un b\u0153uf, plus long qu\u2019un cheval, avec des dents aigu\u00ebs comme des\ncornes, et de grandes ailes aux deux c\u00f4t\u00e9s du corps; et ce monstre tuait\ntous les passagers et submergeait les bateaux. Il \u00e9tait venu par mer de\nla Galatie; il avait pour parents le L\u00e9viathan, monstre \u00e0 forme de\nserpent, qui habite les eaux, et l\u2019Onagre, animal terrible que produit\nla Galatie, et qui br\u00fble comme avec du feu tout ce qu\u2019il touche. Or\nsainte Marthe, sur la pri\u00e8re du peuple, alla vers le dragon. L\u2019ayant\ntrouv\u00e9 dans sa for\u00eat, occup\u00e9 \u00e0 d\u00e9vorer un homme, elle lui jeta de l\u2019eau\nb\u00e9nite, et lui montra une croix. Aussit\u00f4t le monstre, vaincu, se rangea\ncomme un mouton pr\u00e8s de la sainte, qui lui passa sa ceinture autour du\ncou et le conduisit au village voisin, o\u00f9 aussit\u00f4t le peuple le tua \u00e0\ncoups de pierres et de lances. Et comme ce dragon \u00e9tait connu des\nhabitants sous le nom de Tarasque, ce lieu, en souvenir de lui, prit le\nnom de Tarascon: il s\u2019appelait jusque-l\u00e0 Nerluc, c\u2019est-\u00e0-dire noir lac,\n\u00e0 cause des sombres for\u00eats qui y bordaient le fleuve. Et sainte Marthe,\napr\u00e8s avoir vaincu le dragon, obtint de sa s\u0153ur et du pr\u00eatre Maximin la\npermission de rester dans ce lieu, o\u00f9 elle ne cessa pas de prier et de\nje\u00fbner, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019enfin une grande congr\u00e9gation de religieuses s\u2019y\nr\u00e9un\u00eet aupr\u00e8s d\u2019elle, en m\u00eame temps qu\u2019une grande basilique fut\nconstruite en l\u2019honneur de la vierge Marie. Et Marthe vivait l\u00e0 de la\nvie la plus dure, ne mangeant qu\u2019une fois par jour, se privant de chair,\nde graisse, d\u2019\u0153ufs, de fromage et de vin.\nUn jour qu\u2019elle pr\u00eachait \u00e0 Avignon, au bord du Rh\u00f4ne, un jeune homme,\nqui se trouvait sur l\u2019autre rive, eut un tel d\u00e9sir de l\u2019entendre que, ne\ntrouvant point de bateau pour traverser le fleuve, il \u00f4ta ses v\u00eatements\net voulut passer \u00e0 la nage: mais aussit\u00f4t une vague l\u2019entoura et\nl\u2019\u00e9touffa. Son corps fut retrouv\u00e9 le lendemain, et d\u00e9pos\u00e9 aux pieds de\nsainte Marthe, dans l\u2019espoir que celle-ci parviendrait \u00e0 le ressusciter.\nEt la sainte, s\u2019\u00e9tant prostern\u00e9e sur le sol, les bras en croix, pria\nainsi: \u00abSeigneur J\u00e9sus, toi qui as jadis ressuscit\u00e9 mon fr\u00e8re Lazare,\nque tu aimais, toi qui as re\u00e7u mon hospitalit\u00e9, prends en consid\u00e9ration\nla foi de ceux qui m\u2019entourent, et ressuscite cet enfant!\u00bb Puis elle\nprit la main du jeune homme, qui aussit\u00f4t se leva et re\u00e7ut le saint\nbapt\u00eame.\nSaint Ambroise nous dit que c\u2019est Marthe, aussi, qui \u00e9tait l\u2019h\u00e9morro\u00efsse\ngu\u00e9rie par le Christ. Nous savons, d\u2019autre part, que sainte Marthe fut\navertie de sa mort un an d\u2019avance, et que, pendant toute l\u2019ann\u00e9e qui\nsuivit cet avertissement, elle souffrit de la fi\u00e8vre. Huit jours avant\nsa mort, elle entendit le ch\u0153ur des anges qui emportaient au ciel l\u2019\u00e2me\nde Marie-Madeleine. Aussit\u00f4t, rassemblant ses fr\u00e8res et ses s\u0153urs, elle\nleur fit part de cette heureuse nouvelle. Puis, pressentant sa propre\nfin; elle les pria de rester pr\u00e8s d\u2019elle jusqu\u2019\u00e0 sa mort, avec des\nflambeaux allum\u00e9s. Or, la nuit d\u2019avant sa mort, pendant que tous ses\ngardes-malades dormaient, un vent violent \u00e9teignit les lumi\u00e8res. Et la\nsainte, voyant accourir autour d\u2019elle la troupe des mauvais esprits,\ninvoqua l\u2019aide de son h\u00f4te divin. Et aussit\u00f4t elle vit approcher sa s\u0153ur\nMadeleine, qui, tenant en main une torche, ralluma les flambeaux et les\nlampes. Et pendant que les deux s\u0153urs s\u2019appelaient par leur nom, survint\nle Christ, qui dit \u00e0 Marthe: \u00abViens, ch\u00e8re h\u00f4tesse, demeurer maintenant\navec moi! Tu m\u2019as accueilli dans ta maison, je t\u2019accueillerai dans mon\nciel; et j\u2019exaucerai, par amour pour toi, tous ceux qui t\u2019invoqueront.\u00bb\nLe matin suivant, Marthe se fit transporter dehors, pour voir encore le\nciel, se fit poser sur de la cendre, demanda qu\u2019on t\u00eent une croix devant\nelle, et qu\u2019on lui l\u00fbt la passion dans l\u2019\u00e9vangile de saint Luc. Et au\nmoment o\u00f9 le lecteur r\u00e9p\u00e9tait: \u00abMon p\u00e8re, je remets mon \u00e2me entre tes\nmains\u00bb, elle rendit l\u2019\u00e2me.\nII. Le lendemain, qui \u00e9tait dimanche, vers trois heures, saint Front\n\u00e9tait occup\u00e9 \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer la messe \u00e0 P\u00e9rigueux. Apr\u00e8s l\u2019\u00e9p\u00eetre, il\ns\u2019endormit sur son si\u00e8ge, et le Seigneur lui apparut, et lui dit: \u00abMon\ncher Front, si tu veux tenir la promesse que tu as faite jadis \u00e0 mon\nh\u00f4tesse Marthe, l\u00e8ve-toi et suis-moi!\u00bb Et aussit\u00f4t saint Front, conduit\npar le Christ, se vit transport\u00e9 \u00e0 Tarascon, o\u00f9 il assista aux obs\u00e8ques\nde la sainte, et aida \u00e0 placer son corps dans le s\u00e9pulcre. Cependant, \u00e0\nP\u00e9rigueux, le diacre qui allait lire l\u2019Evangile r\u00e9veilla l\u2019\u00e9v\u00eaque pour\nlui demander sa b\u00e9n\u00e9diction. Et saint Front, soudain r\u00e9veill\u00e9, r\u00e9pondit:\n\u00abMes fr\u00e8res, pourquoi m\u2019avez-vous r\u00e9veill\u00e9? Notre-Seigneur J\u00e9sus m\u2019avait\nconduit aux obs\u00e8ques de son h\u00f4tesse sainte Marthe; et, comme je me\npr\u00e9parais \u00e0 l\u2019ensevelir, j\u2019ai laiss\u00e9 dans la sacristie mon anneau et mes\ndeux gants. Et vous m\u2019avez r\u00e9veill\u00e9 si vite que je n\u2019ai pas eu le temps\nde les reprendre. H\u00e2tez-vous donc d\u2019envoyer des messagers, qui me les\nrapportent!\u00bb Aussit\u00f4t des messagers partirent pour Tarascon. Ils\ntrouv\u00e8rent dans la sacristie l\u2019anneau et les gants de saint Front; et\nils laiss\u00e8rent dans la sacristie l\u2019un de ces gants, en t\u00e9moignage du\nmiracle.\nIII. De nombreux miracles se produisirent au tombeau de la sainte.\nClovis, roi de France, qui avait re\u00e7u le bapt\u00eame des mains de saint\nRemi, fut gu\u00e9ri par sainte Marthe d\u2019une grave maladie des reins. En\nsouvenir de quoi, il d\u00e9dia \u00e0 l\u2019\u00e9glise de la sainte la terre, les maisons\net les ch\u00e2teaux qui se trouvaient dans un rayon de trois milles des deux\nc\u00f4t\u00e9s du Rh\u00f4ne. Et il affranchit ces lieux de toute servitude.\nLa vie de sainte Marthe a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite pour nous par sa servante Martille,\nqui se rendit plus tard en Esclavonie pour y pr\u00eacher l\u2019Evangile, et qui\ny mourut, dix ans apr\u00e8s la mort de sa ma\u00eetresse.\nCV\nSAINTS ABDON ET SENNEN, MARTYRS\n(30 juillet)\nAbdon et Sennen souffrirent le martyre sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur\nD\u00e9cius. Ce prince, ayant conquis la Babylonie et d\u2019autres provinces, y\navait trouv\u00e9 des chr\u00e9tiens, et les avait emmen\u00e9s avec lui \u00e0 Cordoue, o\u00f9\nil les avait fait p\u00e9rir sous divers supplices. Alors, deux nobles de la\nr\u00e9gion, Abdon et Sennen, ensevelirent les corps de ces chr\u00e9tiens, ce qui\nleur valut d\u2019\u00eatre d\u00e9nonc\u00e9s \u00e0 D\u00e9cius, qui les fit encha\u00eener et conduire,\nderri\u00e8re lui, \u00e0 Rome. L\u00e0, en pr\u00e9sence du S\u00e9nat, on les somma ou bien de\nsacrifier aux idoles, et de recouvrer ainsi leur libert\u00e9, ou bien d\u2019\u00eatre\nlivr\u00e9s en p\u00e2ture aux b\u00eates. Et comme ils d\u00e9daignaient et insultaient les\nidoles, ils furent tra\u00een\u00e9s dans le cirque, o\u00f9 on l\u00e2cha sur eux deux\nlions et quatre ours, mais qui, loin de les attaquer, se rang\u00e8rent\nautour d\u2019eux pour leur servir de garde. Ce que voyant, D\u00e9cius les fit\ntranspercer \u00e0 coups de poignard, leur fit lier les pieds, et fit jeter\nleurs cadavres devant l\u2019idole du soleil. Ils y rest\u00e8rent trois jours,\napr\u00e8s quoi le sous-diacre Quirin les recueillit et les ensevelit dans sa\nmaison. Cela se passait vers l\u2019an du Seigneur 253. Plus tard, sous le\nr\u00e8gne de Constantin, les martyrs r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent eux-m\u00eames le lieu de leur\ns\u00e9pulture; et les chr\u00e9tiens transport\u00e8rent leurs restes au cimeti\u00e8re\nPontien, o\u00f9 le Seigneur, par leur entremise, accorde au peuple une foule\nde bienfaits.\nCVI\nSAINT GERMAIN, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(31 juillet)\nI. Germain, de naissance noble, naquit \u00e0 Auxerre. Apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9\nsoigneusement instruit dans les sciences lib\u00e9rales, il se rendit \u00e0 Rome\npour apprendre le droit, et s\u2019y acquit un tel renom que le S\u00e9nat\nl\u2019envoya en Gaule, pour gouverner le duch\u00e9 de Bourgogne. Or dans la\nville d\u2019Auxerre, que Germain administrait avec une sollicitude toute\nparticuli\u00e8re, on voyait sur la grand\u2019place un pin aux branches duquel il\nfaisait suspendre, par vanit\u00e9, les t\u00eates du gibier qu\u2019il avait tu\u00e9 \u00e0 la\nchasse. Et souvent le saint \u00e9v\u00eaque de la ville, Amator, lui reprochait\nce trait de vanit\u00e9, l\u2019engageant \u00e0 faire plut\u00f4t couper cet arbre; mais\nGermain refusait de s\u2019y r\u00e9signer. Un jour, cependant, en l\u2019absence de\nGermain, l\u2019\u00e9v\u00eaque coupa l\u2019arbre et le fit br\u00fbler. Sur quoi Germain,\noubliant son christianisme, arriva avec ses troupes et mena\u00e7a l\u2019\u00e9v\u00eaque\nde le faire p\u00e9rir. Le pr\u00e9lat, \u00e0 qui l\u2019Esprit-Saint venait de r\u00e9v\u00e9ler que\nGermain lui succ\u00e9derait sur son si\u00e8ge \u00e9piscopal, c\u00e9da devant sa fureur\net se retira \u00e0 Autun. Mais, plus tard, il revint \u00e0 Auxerre, enferma par\nruse Germain dans son \u00e9glise, et le tonsura, en lui pr\u00e9disant qu\u2019il\nserait son successeur. Et, en effet, apr\u00e8s sa mort, le peuple tout\nentier \u00e9lut pour \u00e9v\u00eaque Germain, qui, d\u00e8s lors, distribua ses biens aux\npauvres, et ne traita plus sa femme que comme une s\u0153ur. Et, pendant\ntrente ans, il se mortifia le corps de telle fa\u00e7on que jamais il ne\nmangea de pain de froment, ni de l\u00e9gumes, ni ne but de vin, ni\nn\u2019assaisonna de sel ce qu\u2019il mangeait. Ou plut\u00f4t il prenait bien du vin\ndeux fois par an, \u00e0 No\u00ebl et \u00e0 P\u00e2ques, mais il y m\u00ealait tant d\u2019eau qu\u2019il\nne pouvait pas m\u00eame sentir le go\u00fbt du vin. Le soir, \u00e0 son unique repas,\nil mangeait un pain d\u2019orge o\u00f9 il avait d\u2019abord sem\u00e9 des cendres. Hiver\ncomme \u00e9t\u00e9, il n\u2019\u00e9tait v\u00eatu que d\u2019un cilice et d\u2019une tunique; et ces\ntuniques, quand il ne les donnait pas \u00e0 quelqu\u2019un, lui duraient jusqu\u2019au\njour o\u00f9, de vieillesse, elles tombaient en morceaux. Rarement il mettait\n\u00e0 ses pieds des chaussures, et une ceinture autour de ses reins. Son lit\nn\u2019\u00e9tait fait que de cendres, d\u2019un cilice, et d\u2019un sac, sans m\u00eame un\noreiller pour soulever sa t\u00eate. Et toujours il portait \u00e0 son cou des\nreliques de saints. Telle fut la vie de cet \u00e9v\u00eaque, vie qui semblerait\nincroyable si elle n\u2019\u00e9tait accompagn\u00e9e de nombreux miracles. Et ses\nmiracles furent tels qu\u2019ils nous para\u00eetraient fantastiques, si ses\nm\u00e9rites ne suffisaient pas \u00e0 les justifier.\nUn jour, ayant re\u00e7u l\u2019hospitalit\u00e9 dans une maison, il vit qu\u2019apr\u00e8s le\nrepas on appr\u00eatait de nouveau la table. Il en demanda la raison: on lui\nr\u00e9pondit qu\u2019on appr\u00eatait la table pour les braves femmes qui marchaient\nla nuit. Germain r\u00e9solut de veiller toute la nuit; et il vit arriver une\ntroupe de d\u00e9mons sous forme d\u2019hommes et de femmes. Il leur d\u00e9fendit\nalors de sortir, et r\u00e9veillant ses h\u00f4tes, leur demanda s\u2019ils\nreconnaissaient ces personnes. Les h\u00f4tes r\u00e9pondirent que ces personnes\n\u00e9taient leurs voisins et leurs voisines. Sur quoi Germain, d\u00e9fendant\ntoujours aux d\u00e9mons de sortir, envoya voir chez les voisins et voisines\nen question, qui, tous furent trouv\u00e9s dormant dans leur lit. Alors les\nd\u00e9mons, somm\u00e9s par lui de dire la v\u00e9rit\u00e9, reconnurent qui ils \u00e9taient et\navou\u00e8rent qu\u2019ils venaient pour tromper les hommes.\nII. A cette \u00e9poque florissait saint Loup, \u00e9v\u00eaque de Troyes. Comme le roi\nAttila assi\u00e9geait la ville, saint Loup monta sur l\u2019une des portes et\ndemanda \u00e0 l\u2019assi\u00e9geant qui il \u00e9tait. Et Attila: \u00abJe suis le fl\u00e9au de\nDieu!\u00bb Alors l\u2019humble serviteur de Dieu dit, en g\u00e9missant: \u00abEt moi,\nh\u00e9las, je suis le Loup, le d\u00e9vastateur du troupeau de Dieu! Je m\u00e9rite\nd\u2019\u00eatre frapp\u00e9 par le fl\u00e9au de Dieu!\u00bb Et il fit ouvrir les portes de la\nville. Mais Dieu aveugla de telle sorte les Barbares, qu\u2019ils\ntravers\u00e8rent la ville d\u2019une porte \u00e0 l\u2019autre, sans voir personne, et par\ncons\u00e9quent, sans faire aucun mal. C\u2019est en compagnie de ce m\u00eame saint\nLoup que saint Germain se mit en route pour se rendre en\nGrande-Bretagne, o\u00f9 pullulaient les h\u00e9r\u00e9tiques. Pendant qu\u2019ils \u00e9taient\nen mer, une terrible temp\u00eate se leva; mais, sur la pri\u00e8re de saint\nGermain, les flots s\u2019apais\u00e8rent aussit\u00f4t. Arriv\u00e9s en Grande-Bretagne,\nles deux saints, furent re\u00e7us avec honneur par le peuple; puis, ayant\nconvaincu les h\u00e9r\u00e9tiques, ils retourn\u00e8rent dans leurs dioc\u00e8ses.\nIII. Un jour que Germain, malade, \u00e9tait couch\u00e9 dans un certain bourg; un\ngrand incendie se produisit dans le bourg. On supplia l\u2019\u00e9v\u00eaque de se\nlaisser transporter ailleurs, pour \u00e9chapper aux flammes, mais il s\u2019y\nrefusa; et le fait est que la flamme, qui d\u00e9truisit toutes les maisons\nvoisines, ne toucha pas \u00e0 celle o\u00f9 il se trouvait.\nIV. Plus tard, comme il \u00e9tait revenu en Grande-Bretagne pour r\u00e9futer les\nh\u00e9r\u00e9tiques, un de ses disciples, s\u2019\u00e9tant mis en route pour le rejoindre,\ntomba malade et mourut dans la ville de Tonnerre. Et saint Germain, lors\nde son retour, s\u2019\u00e9tant arr\u00eat\u00e9 dans cette ville, fit ouvrir le s\u00e9pulcre,\net demanda au mort s\u2019il d\u00e9sirait de nouveau lutter \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s. Mais le\nmort, se relevant, r\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait si heureux qu\u2019il pr\u00e9f\u00e9rait ne\npas se r\u00e9veiller. Le saint y consentit; et son disciple, baissant de\nnouveau la t\u00eate, de nouveau s\u2019endormit dans le Seigneur.\nV. Pendant qu\u2019il pr\u00eachait en Grande-Bretagne, le roi de ce pays lui\nrefusa l\u2019hospitalit\u00e9, ainsi qu\u2019\u00e0 ses compagnons. Mais un porcher, qui se\nrendait chez lui, ayant vu Germain et ses compagnons \u00e9puis\u00e9s de faim et\nde froid, les recueillit dans sa maison, et tua pour eux le seul veau\nqu\u2019il poss\u00e9dait. Or, apr\u00e8s le repas, saint Germain fit rassembler tous\nles ossements du veau sous la peau, et, \u00e0 sa pri\u00e8re, Dieu rendit la vie\n\u00e0 l\u2019animal. Le lendemain, l\u2019\u00e9v\u00eaque vint trouver le roi et lui demanda\navec force pourquoi il lui avait refus\u00e9 l\u2019hospitalit\u00e9. Le roi, surpris,\nne savait que r\u00e9pondre. Et le saint: \u00abHors d\u2019ici, s\u2019\u00e9cria-t-il, et\nlaisse la royaut\u00e9 \u00e0 un plus digne!\u00bb Puis Germain, sur l\u2019ordre de Dieu,\nfit venir le porcher et sa femme; et, au grand \u00e9tonnement de tous, il\nproclama roi cet homme qui l\u2019avait accueilli. C\u2019est depuis lors que la\nnation des Bretons est gouvern\u00e9e par des rois provenant d\u2019une race de\nporchers.\nVI. Comme les Saxons faisaient la guerre aux Bretons et se voyaient en\nnombre insuffisant, ils invoqu\u00e8rent l\u2019aide des deux saints, qui, leur\nayant pr\u00each\u00e9 l\u2019Evangile, les convertirent bient\u00f4t \u00e0 la foi chr\u00e9tienne.\nLe jour de P\u00e2ques, dans la ferveur de leur foi, les Saxons jet\u00e8rent\nleurs armes avant d\u2019aller au combat: ce qu\u2019apprenant, leurs adversaires,\nenhardis, voulurent s\u2019\u00e9lancer contre l\u2019ennemi d\u00e9sarm\u00e9. Mais Germain, se\ntenant aupr\u00e8s de l\u2019arm\u00e9e qu\u2019il avait convertie, les avertit d\u2019avoir tous\n\u00e0 r\u00e9pondre: Alleluia! lorsque lui-m\u00eame s\u2019\u00e9crierait: Alleluia! Ainsi fut\nfait: et ce cri remplit les assaillants d\u2019une telle frayeur que tous\ns\u2019enfuirent, jetant bas les armes, comme si les montagnes et le ciel\nlui-m\u00eame se pr\u00e9cipitaient sur eux.\nVII. Un jour, passant par Autun, saint Germain se rendit au tombeau de\nl\u2019\u00e9v\u00eaque, saint Cassien, et demanda \u00e0 celui-ci comment il se portait.\nAussit\u00f4t le d\u00e9funt, du fond de son tombeau, r\u00e9pondit, d\u2019une voix haute\net claire que tous purent entendre: \u00abJe jouis d\u2019un doux repos, en\nattendant la venue du R\u00e9dempteur.\u00bb Et Germain: \u00abRepose-toi donc dans le\nChrist, et daigne interc\u00e9der pour nous, afin que nous obtenions d\u2019\u00eatre\nadmis aux joies de la sainte r\u00e9surrection!\u00bb\nVIII. Passant par Ravenne, il fut re\u00e7u avec honneur par la reine\nPlacidie et son fils Valentinien, qui, \u00e0 l\u2019heure du repas, lui\nenvoy\u00e8rent un vase d\u2019argent rempli des mets les plus d\u00e9licats. Mais\nGermain distribua les mets aux serviteurs et garda le vase d\u2019argent pour\nses pauvres. En \u00e9change, il envoya \u00e0 la reine une \u00e9cuelle de bois\ncontenant un pain d\u2019orge: pr\u00e9sent dont la reine se r\u00e9jouit si fort\nqu\u2019elle fit recouvrir l\u2019\u00e9cuelle d\u2019une enveloppe d\u2019argent. Une autre\nfois, cette reine l\u2019invita \u00e0 sa table, et l\u2019\u00e9v\u00eaque accepta. Mais, comme\nil \u00e9tait \u00e9puis\u00e9 par les je\u00fbnes et les pri\u00e8res, il monta sur son \u00e2ne,\npour se rendre au palais. Or, pendant le repas, l\u2019\u00e2ne mourut. Ce\nqu\u2019apprenant la reine fit donner \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque un magnifique cheval. Mais\nGermain: \u00abMon \u00e2ne me suffit. M\u2019ayant amen\u00e9 ici, c\u2019est lui encore qui\nm\u2019emm\u00e8nera!\u00bb Puis, allant au cadavre de l\u2019\u00e2ne: \u00abL\u00e8ve-toi, lui dit-il, et\nretournons \u00e0 l\u2019auberge!\u00bb Et aussit\u00f4t l\u2019\u00e2ne, se relevant, se secoua comme\nsi rien de mauvais ne lui \u00e9tait arriv\u00e9.\nAvant de quitter Ravenne, saint Germain pr\u00e9dit que sa fin approchait. En\neffet, peu de jours apr\u00e8s, il fut pris d\u2019une fi\u00e8vre qui, au bout d\u2019une\nsemaine, l\u2019emporta. Son corps fut transport\u00e9 en Gaule, ainsi qu\u2019il\nl\u2019avait demand\u00e9 \u00e0 la reine. Cette mort eut lieu en l\u2019an 430.\nIX. Saint Germain avait promis \u00e0 Eus\u00e8be, \u00e9v\u00eaque de Verceil, d\u2019assister \u00e0\nl\u2019inauguration d\u2019une \u00e9glise qu\u2019il venait de construire. Or Eus\u00e8be,\napprenant la mort de saint Germain, n\u2019en fit pas moins allumer des\ncierges pour la c\u00e9r\u00e9monie: mais les cierges s\u2019\u00e9teignaient sit\u00f4t allum\u00e9s.\nAlors Eus\u00e8be comprit qu\u2019il devait ajourner la d\u00e9dicace de l\u2019\u00e9glise, et\nchoisir un autre \u00e9v\u00eaque pour y pr\u00e9sider. Mais comme le corps de saint\nGermain passait par Verceil, on le fit entrer dans la susdite \u00e9glise et\naussit\u00f4t tous les cierges s\u2019allum\u00e8rent miraculeusement. Sur quoi Eus\u00e8be\nse rappela la promesse de saint Germain et comprit que celui-ci, mort,\nfaisait ce que vivant il avait promis. Mais on ne doit point croire\nqu\u2019il s\u2019agisse l\u00e0 du grand saint Eus\u00e8be de Verceil: celui-ci est mort\nsous le r\u00e8gne de Valens, cinquante ans avant la mort de saint Germain.\nC\u2019est donc qu\u2019il y aura eu \u00e0 Verceil un autre \u00e9v\u00eaque nomm\u00e9 Eus\u00e8be, \u00e0 qui\nsera arriv\u00e9 le miracle que nous venons de raconter.\nCVII\nSAINT EUS\u00c8BE, \u00c9V\u00caQUE ET MARTYR\n(1er ao\u00fbt)\nEus\u00e8be gardait, depuis l\u2019enfance, une telle chastet\u00e9, que, lorsqu\u2019il\nre\u00e7ut le bapt\u00eame des mains du pape Eus\u00e8be, qui lui donna son nom, on vit\ndes mains d\u2019anges le soulever dans la fontaine sacr\u00e9e. Et comme, un\njour, certaine dame noble, s\u00e9duite par sa beaut\u00e9, voulait entrer dans\nson lit, les anges l\u2019emp\u00each\u00e8rent d\u2019en approcher: de telle sorte que, le\nlendemain matin, elle se jeta \u00e0 ses pieds et lui demanda pardon. Ordonn\u00e9\npr\u00eatre, il brilla d\u2019une telle saintet\u00e9, que, pendant les messes qu\u2019il\nc\u00e9l\u00e9brait, on voyait des mains d\u2019anges lui soulever les mains.\nPlus tard, lorsque toute l\u2019Italie fut ravag\u00e9e de la peste de\nl\u2019arianisme, que favorisait l\u2019empereur Constance, le pape Julien\nconsacra Eus\u00e8be \u00e9v\u00eaque de Verceil, ville qui avait alors la primaut\u00e9\nparmi toutes les villes italiennes. Ce qu\u2019apprenant, les h\u00e9r\u00e9tiques\nfirent fermer toutes les portes de l\u2019\u00e9glise principale de Verceil,\nconsacr\u00e9e \u00e0 la sainte Vierge. Mais Eus\u00e8be, \u00e9tant entr\u00e9 dans la ville,\ns\u2019agenouilla devant le portail de l\u2019\u00e9glise; et bient\u00f4t, sur ses pri\u00e8res,\ntoutes les portes s\u2019ouvrirent d\u2019elles-m\u00eames. Il rejeta ensuite de son\nsi\u00e8ge l\u2019\u00e9v\u00eaque de Milan, Maxence, corrompu par l\u2019h\u00e9r\u00e9sie, et ordonna \u00e0\nsa place le catholique Denis. Et c\u2019est ainsi qu\u2019il allait, purgeant de\nla peste arienne toute l\u2019Eglise d\u2019Occident, pendant qu\u2019Athanase en\npurgeait toute l\u2019Eglise d\u2019Orient. L\u2019auteur de l\u2019arianisme \u00e9tait un\npr\u00eatre d\u2019Alexandrie nomm\u00e9 Arius. Il affirmait que le Christ \u00e9tait une\npure cr\u00e9ature, qu\u2019un temps avait exist\u00e9 o\u00f9 il n\u2019\u00e9tait pas, et qu\u2019il\navait \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 pour nous. Aussi Constantin le Grand rassembla-t-il \u00e0\nNic\u00e9e un concile o\u00f9 l\u2019erreur d\u2019Arius fut condamn\u00e9e. Quant \u00e0 Arius\nlui-m\u00eame, il mourut, peu de temps apr\u00e8s, d\u2019une mort mis\u00e9rable; tous ses\nintestins lui sortirent du corps par le derri\u00e8re. Mais le fils de\nConstantin, Constance, se laissa corrompre par l\u2019h\u00e9r\u00e9sie. Et, furieux\ncontre Eus\u00e8be, il r\u00e9unit en concile de nombreux \u00e9v\u00eaques, et manda \u00e0 ce\nconcile Denis, et Eus\u00e8be lui-m\u00eame, qui, sachant que la majorit\u00e9 du\nconcile \u00e9tait convertie \u00e0 l\u2019erreur, refusa de venir, all\u00e9guant sa\nvieillesse. Pour rendre cette excuse impossible, l\u2019empereur r\u00e9unit le\nconcile \u00e0 Milan, tout pr\u00e8s de Verceil. Eus\u00e8be, cependant, ne s\u2019y rendit\npoint. Constance ordonna aux ariens d\u2019exposer leur doctrine; puis il\nenjoignit \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque Denis et \u00e0 vingt-neuf autres \u00e9v\u00eaques de souscrire \u00e0\ncette doctrine. Ce qu\u2019apprenant, Eus\u00e8be quitta Verceil et se mit en\nroute pour Milan, s\u2019attendant \u00e0 y souffrir tous les supplices.\nIl rencontra, en chemin, un fleuve qu\u2019il devait traverser. Sur son\nordre, un bateau, qui se trouvait pr\u00e8s de la rive oppos\u00e9e, vint de\nlui-m\u00eame vers lui et le transporta avec ses compagnons, sans qu\u2019il y e\u00fbt\nsur ce bateau personne pour le conduire. Alors Denis vint au-devant de\nlui, et, tombant \u00e0 ses pieds, lui demanda son pardon. Arriv\u00e9 \u00e0 Milan,\nEus\u00e8be ne se laissa fl\u00e9chir ni par les menaces de l\u2019empereur ni par ses\ncaresses. Et il dit: \u00abVous pr\u00e9tendez que le fils est inf\u00e9rieur au p\u00e8re:\npourquoi donc avez-vous pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 \u00e0 moi, \u00e9v\u00eaque de Verceil, mon fils et\n\u00e9l\u00e8ve Denis?\u00bb Alors on lui fit voir la profession de foi r\u00e9dig\u00e9e par les\nariens, et que Denis avait sign\u00e9e. Mais lui: \u00abPour rien au monde je ne\nmettrai ma signature derri\u00e8re celle de mon subordonn\u00e9. Br\u00fblez plut\u00f4t ce\npapier, et \u00e9crivez-en un autre, que je puisse signer!\u00bb Aussit\u00f4t, sur un\nordre de Dieu, le papier prit feu, avec les signatures de Denis et des\nautres vingt-neuf \u00e9v\u00eaques. Alors les ariens \u00e9crivirent un nouveau\npapier, qu\u2019ils voulurent faire signer \u00e0 Eus\u00e8be et \u00e0 ces autres \u00e9v\u00eaques.\nMais ceux-ci, raffermis dans la foi par Eus\u00e8be, refus\u00e8rent de signer, et\ndirent m\u00eame tout haut qu\u2019ils \u00e9taient ravis de voir br\u00fbler le papier\nqu\u2019ils avaient sign\u00e9 par contrainte. Sur quoi, Constance, furieux, livra\nEus\u00e8be aux ariens.\nEt ceux-ci, le saisissant au milieu des autres \u00e9v\u00eaques et le rouant de\ncoups, le tra\u00een\u00e8rent de bas en haut, puis de haut en bas, sur l\u2019escalier\ndu palais. Puis, comme il avait la t\u00eate toute sanglante de coups, et\ns\u2019obstinait \u00e0 ne pas vouloir signer, ils lui li\u00e8rent les mains derri\u00e8re\nle dos, et le men\u00e8rent par la ville avec une corde au cou. Mais lui,\nremerciant Dieu, proclamait qu\u2019il \u00e9tait pr\u00eat \u00e0 mourir pour la foi\ncatholique. Alors Constance fit envoyer en exil le pape Lib\u00e8re, Denis,\nPaulin, et tous les autres \u00e9v\u00eaques qui avaient suivi leur exemple. Quant\n\u00e0 Eus\u00e8be lui-m\u00eame il fut conduit dans une ville de Palestine appel\u00e9e\nLyclopolis. L\u00e0 il fut enferm\u00e9 dans un cachot si \u00e9troit et si bas qu\u2019il\nne pouvait ni \u00e9tendre les jambes, ni se tourner d\u2019un c\u00f4t\u00e9 sur l\u2019autre,\nni relever la t\u00eate, ni remuer autre chose que ses \u00e9paules et ses coudes.\nApr\u00e8s la mort de Constance, son successeur Julien, voulant plaire \u00e0\ntous, rappela les \u00e9v\u00eaques exil\u00e9s, fit rouvrir les temples des dieux, et\npermit \u00e0 chacun de vivre tranquillement sous telle loi qu\u2019on voudrait.\nC\u2019est alors qu\u2019Eus\u00e8be, revenant de son exil, alla trouver Athanase et\nlui exposa tout ce qu\u2019il avait souffert.\nA la mort de Julien, sous le r\u00e8gne de Jovinien, Eus\u00e8be revint \u00e0 Verceil,\no\u00f9 le peuple le re\u00e7ut avec une grande joie. Mais, de nouveau, sous le\nr\u00e8gne de Valens, le nombre des ariens grandit. Ces h\u00e9r\u00e9tiques\nassi\u00e9g\u00e8rent la maison d\u2019Eus\u00e8be, le tra\u00een\u00e8rent dehors et le lapid\u00e8rent.\nAinsi il rendit son \u00e2me au Seigneur. Il fut enseveli dans l\u2019\u00e9glise qu\u2019il\navait lui-m\u00eame construite. Et l\u2019on ajoute qu\u2019il obtint, par ses pri\u00e8res,\nen faveur de Verceil, que nul arien ne p\u00fbt vivre dans cette ville.\nEus\u00e8be, \u00e0 en croire la chronique, v\u00e9cut au moins quatre-vingt-huit ans.\nIl florissait vers l\u2019an 350.\nCVIII\nLES SAINTS MACHAB\u00c9ES\n(1er ao\u00fbt)\nLes Machab\u00e9es \u00e9taient sept fr\u00e8res qui, avec leur v\u00e9n\u00e9rable m\u00e8re et le\npr\u00eatre El\u00e9azar, refus\u00e8rent de manger de la viande de porc, afin\nd\u2019observer la loi: ce qui leur valut d\u2019endurer des supplices inou\u00efs,\nainsi qu\u2019on le trouvera d\u00e9crit tout au long dans le second livre des\n_Machab\u00e9es_. Notons, \u00e0 ce propos, que l\u2019Eglise d\u2019Orient c\u00e9l\u00e8bre des\nf\u00eates de saints de l\u2019un et de l\u2019autre Testament, tandis que l\u2019Eglise\nd\u2019Occident ne f\u00eate point les saints de l\u2019Ancien Testament, et cela parce\nque ces saints descendirent d\u2019abord aux enfers. Elle ne f\u00eate que les\nsaints Innocents, dans la personne de chacun desquels c\u2019est le Christ\nlui-m\u00eame qui fut tu\u00e9, et les Machab\u00e9es. Quant \u00e0 ceux-ci, elle les f\u00eate\npour quatre motifs, bien qu\u2019ils soient, eux aussi, descendus aux enfers.\nC\u2019est, d\u2019abord, \u00e0 cause de la pr\u00e9rogative du martyre, les Machab\u00e9es\nayant endur\u00e9 des supplices plus cruels que ceux des autres saints de\nl\u2019Ancien Testament. En second lieu, \u00e0 cause de leur caract\u00e8re\nsymbolique, et du myst\u00e8re qu\u2019ils repr\u00e9sentent. Le chiffre 7 est, en\neffet, le symbole de l\u2019universalit\u00e9. Et, en cons\u00e9quence, les sept\nMachab\u00e9es repr\u00e9sentent, d\u2019une fa\u00e7on symbolique, tous les saints de\nl\u2019ancien Testament. En troisi\u00e8me lieu, l\u2019Eglise f\u00eate les Machab\u00e9es \u00e0\ncause de l\u2019exemple de constance et de patience qu\u2019ils ont donn\u00e9. Enfin,\nl\u2019Eglise les f\u00eate \u00e0 cause du motif de leur supplice: car c\u2019est pour\nd\u00e9fendre la loi de Mo\u00efse qu\u2019ils ont \u00e9t\u00e9 martyris\u00e9s, de m\u00eame que les\nchr\u00e9tiens doivent \u00eatre pr\u00eats \u00e0 l\u2019\u00eatre pour la d\u00e9fense de la loi\n\u00e9vang\u00e9lique. Ces trois derni\u00e8res raisons de la f\u00eate des Machab\u00e9es se\ntrouvent \u00e9nonc\u00e9es dans la _Somme_ de ma\u00eetre Jean Beleth.\nCIX\nSAINT PIERRE AUX LIENS\n(1er ao\u00fbt)\nLa f\u00eate de Saint-Pierre aux Liens a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e pour quatre motifs: 1\u00ba\nen souvenir de la d\u00e9livrance de saint Pierre; 2\u00ba en souvenir de la\nd\u00e9livrance de saint Alexandre; 3\u00ba pour la destruction du rite des\ngentils; 4\u00ba afin d\u2019obtenir notre d\u00e9livrance des liens de nos p\u00e9ch\u00e9s.\n1\u00ba L\u2019_Histoire scholastique_ raconte qu\u2019H\u00e9rode Agrippa, \u00e9tant venu \u00e0\nRome, se lia d\u2019amiti\u00e9 avec Ca\u00efus, neveu de l\u2019empereur Tib\u00e8re. Or, un\njour qu\u2019H\u00e9rode \u00e9tait dans un char avec Ca\u00efus, il leva les mains au ciel\net dit: \u00abPuiss\u00e9-je voir mourir ton vieil oncle, et te voir devenir le\nma\u00eetre du monde!\u00bb Sa parole fut entendue par le cocher du char, qui,\naussit\u00f4t, la rapporta \u00e0 Tib\u00e8re. Et celui-ci, indign\u00e9, jeta H\u00e9rode en\nprison. L\u00e0, comme le prisonnier s\u2019appuyait un jour contre un arbre sur\nles branches duquel se tenait un hibou, un de ses compagnons, homme\nhabile en divination, lui dit: \u00abSois sans crainte, car tu seras vite\nd\u00e9livr\u00e9, et tu t\u2019\u00e9l\u00e8veras si haut, que tes amis en seront jaloux. Mais\nquand tu verras un oiseau pareil \u00e0 celui-ci au-dessus de ta t\u00eate, cela\nsignifiera que tu n\u2019auras plus que cinq jours \u00e0 vivre.\u00bb Quelque temps\napr\u00e8s, Tib\u00e8re mourut. Ca\u00efus, devenu empereur, d\u00e9livra H\u00e9rode, et le\nrenvoya en Jud\u00e9e avec le titre de roi. Et H\u00e9rode, sit\u00f4t rentr\u00e9 \u00e0\nJ\u00e9rusalem, se mit en qu\u00eate d\u2019un chr\u00e9tien qu\u2019il p\u00fbt tourmenter. La veille\ndu jour des Azymes, il tua de son \u00e9p\u00e9e Jacques, le fr\u00e8re de Jean. Puis,\nvoyant que cela \u00e9tait agr\u00e9able aux Juifs, le jour m\u00eame des Azymes il fit\narr\u00eater Pierre et le fit jeter en prison, avec l\u2019intention de le livrer\nau peuple apr\u00e8s la f\u00eate des P\u00e2ques. Mais un ange, p\u00e9n\u00e9trant, de nuit,\ndans la prison du saint, le d\u00e9livra de ses liens et lui ordonna d\u2019aller\nreprendre librement sa pr\u00e9dication. Le roi, impatient de se venger,\nordonna que les gardiens de la prison, coupables d\u2019avoir laiss\u00e9 \u00e9chapper\nPierre, eussent \u00e0 subir les peines les plus cruelles. Mais Dieu ne\nvoulut point que la d\u00e9livrance de Pierre f\u00fbt pour personne une cause de\nmal. En effet H\u00e9rode, s\u2019\u00e9tant rendu \u00e0 C\u00e9sar\u00e9e, y fut frapp\u00e9 de la main\nd\u2019un ange, et mourut.\nVoici, \u00e0 ce sujet, ce que raconte Jos\u00e8phe, au livre XIX de ses\n_Antiquit\u00e9s_: \u00abH\u00e9rode, \u00e9tant venu \u00e0 C\u00e9sar\u00e9e, o\u00f9 l\u2019attendait une grande\nfoule, se v\u00eatit d\u2019une robe brillante, toute tiss\u00e9e d\u2019or et d\u2019argent, et\nse mit en route pour se rendre au th\u00e9\u00e2tre. Et d\u00e8s que les rayons du\nsoleil touch\u00e8rent la robe, leurs reflets doubl\u00e8rent l\u2019\u00e9clat des deux\nm\u00e9taux, si bien que la foule, effray\u00e9e, crut voir l\u00e0 l\u2019indice d\u2019une\nnature plus qu\u2019humaine. H\u00e9rode se vit donc entour\u00e9 de gens qui lui\ncriaient: \u00abJusqu\u2019ici nous t\u2019avons tenu pour un homme; mais d\u00e8s\nmaintenant nous te proclamons un dieu!\u00bb Et, pendant qu\u2019H\u00e9rode acceptait\navec plaisir ces hommages, il vit soudain, au-dessus de sa t\u00eate, un\nhibou; sur quoi, comprenant que sa mort approchait, il dit au peuple:\n\u00abMoi, votre dieu, voici que je vais mourir!\u00bb Aussit\u00f4t des vers\nenvahirent son corps et se mirent \u00e0 le ronger. Il mourut cinq jours\napr\u00e8s.\u00bb\nC\u2019est donc en souvenir de la miraculeuse d\u00e9livrance du prince des\nap\u00f4tres que l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre la f\u00eate de saint Pierre aux Liens. Aussi\nlit-on, dans l\u2019\u00e9p\u00eetre de cette f\u00eate, la mention de ce miracle.\n2\u00ba Le second motif de la f\u00eate est la comm\u00e9moration de la d\u00e9livrance du\npape saint Alexandre, le sixi\u00e8me pape qui gouverna l\u2019Eglise apr\u00e8s saint\nPierre. Ce pontife \u00e9tait tenu prisonnier par le tribun Quirin, ainsi que\nle pr\u00e9fet de Rome Herm\u00e8s, qu\u2019il avait converti \u00e0 la foi. Et Quirin dit \u00e0\nHerm\u00e8s: \u00abJe m\u2019\u00e9tonne qu\u2019un homme raisonnable comme toi renonce aux\nhonneurs de la pr\u00e9fecture pour r\u00eaver de je ne sais quelle autre vie!\u00bb Et\nHerm\u00e8s: \u00abMoi aussi, autrefois, je raillais tout cela, et croyais que\nnotre vie terrestre \u00e9tait l\u2019unique vie.\u00bb Et Quirin: \u00abProuve-moi qu\u2019il y\na une autre vie, et aussit\u00f4t tu m\u2019auras pour disciple!\u00bb Et Herm\u00e8s: \u00abLe\nsaint Alexandre, que tu tiens encha\u00een\u00e9, te le prouvera mieux que je ne\nsaurais le faire.\u00bb Et Quirin, furieux: \u00abJe te demande de me prouver\ncela, et tu me renvoies \u00e0 Alexandre, que je tiens encha\u00een\u00e9 \u00e0 cause de\nses crimes! Je te s\u00e9parerai de cet Alexandre, et je vous mettrai tous\nles deux sous double garde; et, si je le trouve avec toi, ou toi avec\nlui, je veux bien me convertir et vous \u00e9couter!\u00bb Or, pendant\nqu\u2019Alexandre \u00e9tait en pri\u00e8re, un ange vint vers lui et le conduisit dans\nla prison d\u2019Herm\u00e8s, de telle sorte que Quirin, \u00e0 sa grande surprise, les\ntrouva ensemble. Herm\u00e8s lui raconta alors comment Alexandre avait\nressuscit\u00e9 son fils. Et Quirin dit \u00e0 Alexandre: \u00abMa fille Balbine\nsouffre de la goutte. Si tu peux obtenir sa gu\u00e9rison, je te promets de\nme convertir \u00e0 ta foi.\u00bb Et Alexandre: \u00abVa vite la chercher et\nam\u00e8ne-la-moi dans ma cellule!\u00bb Et Quirin: \u00abPuisque tu es ici, comment\npourrai-je te trouver dans ta cellule?\u00bb Et Alexandre: \u00abVa vite, car\ncelui qui m\u2019a conduit ici va tout de suite me reconduire l\u00e0-bas!\u00bb Et la\nfille de Quirin, d\u00e8s qu\u2019elle entra dans la cellule d\u2019Alexandre, y trouva\ncelui-ci et se prosterna \u00e0 ses pieds, voulant baiser ses cha\u00eenes. Mais\nAlexandre lui dit: \u00abMa fille, ce ne sont point mes cha\u00eenes que tu dois\nbaiser, mais celles qui ont servi pour saint Pierre. Fais-les\nrechercher, baise-les pieusement, et tu recouvreras la sant\u00e9!\u00bb Aussit\u00f4t\nQuirin fit rechercher les cha\u00eenes qui avaient servi pour saint Pierre;\net, les ayant retrouv\u00e9es, il les donna \u00e0 sa fille. Et celle-ci, d\u00e8s\nqu\u2019elle les eut bais\u00e9es, recouvra la sant\u00e9. Alors Quirin, plein de\nrepentir, remit en libert\u00e9 Alexandre et se fit baptiser avec toute sa\nmaison. Saint Alexandre institua une f\u00eate en souvenir de ce jour; et il\nfit \u00e9lever, en l\u2019honneur de saint Pierre, une \u00e9glise o\u00f9 il d\u00e9posa les\ncha\u00eenes du saint, et qui fut nomm\u00e9e Saint-Pierre aux Liens. Au jour de\ncette f\u00eate, une foule innombrable se r\u00e9unit dans l\u2019\u00e9glise susdite, pour\nbaiser les cha\u00eenes de l\u2019ap\u00f4tre Pierre.\n3\u00ba Le troisi\u00e8me motif de l\u2019institution de la f\u00eate nous est racont\u00e9 par\nB\u00e8de de la fa\u00e7on suivante. L\u2019empereur Octave et Antoine s\u2019\u00e9taient\npartag\u00e9s l\u2019empire de telle fa\u00e7on qu\u2019Octave avait eu l\u2019Occident et\nAntoine l\u2019Orient. Mais Antoine, homme d\u00e9bauch\u00e9 et lubrique, r\u00e9pudia la\ns\u0153ur d\u2019Octave, qu\u2019il avait \u00e9pous\u00e9e, et prit pour femme Cl\u00e9op\u00e2tre, reine\nd\u2019Egypte. Octave, indign\u00e9, marcha avec son arm\u00e9e contre Antoine, et le\nvainquit. Antoine et Cl\u00e9op\u00e2tre durent s\u2019enfuir; et, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s, ils se\ndonn\u00e8rent la mort. Alors Octave d\u00e9truisit le royaume d\u2019Egypte, et fit de\nl\u2019Egypte une province romaine. Puis il entra \u00e0 Alexandrie, et la\nd\u00e9pouilla de ses richesses au profit de Rome, qu\u2019avaient d\u00e9vast\u00e9e les\nguerres civiles. Aussi put-il dire de Rome: \u00abJe l\u2019ai trouv\u00e9e de briques,\nje la laisse de marbre.\u00bb Il augmenta \u00e0 tel point la chose publique\nromaine que, le premier, il fut appel\u00e9 \u00abauguste\u00bb; et ce titre se\ntransmit \u00e0 tous ses successeurs sur le tr\u00f4ne imp\u00e9rial. Et c\u2019est en\nsouvenir de lui que le mois qui d\u2019abord s\u2019appelait sextile (\u00e9tant en\neffet le sixi\u00e8me depuis Mars) a port\u00e9 d\u00e9sormais le nom d\u2019Auguste ou\nd\u2019ao\u00fbt. Et jusqu\u2019au r\u00e8gne de Th\u00e9odose, c\u2019est-\u00e0-dire jusque vers l\u2019an\n426, les Romains f\u00eat\u00e8rent tous les ans, l\u2019anniversaire de la victoire\nd\u2019Octave, qui avait eu lieu le 1er ao\u00fbt.\nOr, la fille de Th\u00e9odose, Eudoxie, femme de Valentinien, s\u2019\u00e9tant rendue\n\u00e0 J\u00e9rusalem par suite d\u2019un v\u0153u, acheta chez un Juif, pour une somme\n\u00e9norme, les deux cha\u00eenes qui avaient servi, sous le r\u00e8gne d\u2019H\u00e9rode, \u00e0\nencha\u00eener saint Pierre. De retour \u00e0 Rome le 1er ao\u00fbt, elle fut d\u00e9sol\u00e9e\nde voir que les Romains continuaient \u00e0 f\u00eater le souvenir d\u2019un empereur\npa\u00efen. Mais comme, d\u2019autre part, elle savait que c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une coutume\ntrop ancienne pour pouvoir \u00eatre ais\u00e9ment supprim\u00e9e, elle eut l\u2019id\u00e9e de\nmaintenir la f\u00eate, mais en la consacrant au souvenir de saint Pierre.\nElle s\u2019entendit donc avec le saint pape Pelage, qui, par d\u2019\u00e9loquentes\nexhortations, d\u00e9cida le peuple \u00e0 remplacer le souvenir de l\u2019empereur\npa\u00efen par celui du prince des ap\u00f4tres. Et Eudoxie, pour consacrer cette\nheureuse d\u00e9cision, donna au peuple les cha\u00eenes qu\u2019elle avait rapport\u00e9es\nde J\u00e9rusalem. On mit ces cha\u00eenes aupr\u00e8s de celles qui avaient encha\u00een\u00e9\nsaint Pierre \u00e0 Rome, sous N\u00e9ron. Et les deux paires de cha\u00eenes se\nsoud\u00e8rent aussit\u00f4t ensemble, pour ne plus constituer qu\u2019une seule\ncha\u00eene.\nEt combien cette cha\u00eene miraculeuse a de pouvoir, c\u2019est ce que l\u2019on vit\nen l\u2019an 969. Cette ann\u00e9e-l\u00e0, un comte de la cour de l\u2019empereur Othon fut\nsi cruellement envahi du d\u00e9mon qu\u2019il se d\u00e9chirait de ses propres dents.\nAlors, sur l\u2019ordre de l\u2019empereur, le poss\u00e9d\u00e9 fut conduit vers le pape\nJean, qui lui mit au cou la cha\u00eene de saint Pierre. Et le diable, ne\npouvant supporter un poids aussi pesant, s\u2019enfuit aussit\u00f4t en pr\u00e9sence\nde tous. Ce que voyant, Th\u00e9odoric, \u00e9v\u00eaque de Metz, s\u2019empara de la cha\u00eene\net dit qu\u2019il ne la l\u00e2cherait plus, \u00e0 moins qu\u2019on ne lui coup\u00e2t les\nmains. Sur quoi une grande querelle s\u2019\u00e9leva entre le pape et l\u2019\u00e9v\u00eaque,\njusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019enfin l\u2019empereur, pour la faire cesser, e\u00fbt obtenu du pape\nqu\u2019un cha\u00eenon de la cha\u00eene serait donn\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque.\nLa _Chronique_ de Milet et l\u2019_Histoire tripartite_ racontent que le\ndiable, d\u00e9pit\u00e9 de ce qu\u2019un Juif e\u00fbt vendu \u00e0 l\u2019imp\u00e9ratrice Eudoxie les\ncha\u00eenes de saint Pierre, se vengea sur ses compatriotes: il leur apparut\nsous la forme de Mo\u00efse, leur promit de les faire marcher \u00e0 pieds secs\nsur la mer, et en noya un grand nombre.\n4\u00ba Enfin le quatri\u00e8me objet de la f\u00eate de Saint-Pierre aux Liens est,\npar l\u2019image de la d\u00e9livrance du saint, de nous rappeler que, nous aussi,\nnous avons \u00e0 \u00eatre d\u00e9livr\u00e9s des liens du p\u00e9ch\u00e9. Et le r\u00e9cit d\u2019un miracle,\nque nous lisons dans le livre des _Miracles de la sainte Vierge_, suffit\n\u00e0 prouver que les clefs remises par J\u00e9sus \u00e0 saint Pierre lui permettent\nde d\u00e9livrer des cha\u00eenes du p\u00e9ch\u00e9 ceux-m\u00eames qui sont condamn\u00e9s \u00e0 la\nperdition. Il y avait \u00e0 Cologne, au couvent de Saint-Pierre, un moine\nl\u00e9ger, vicieux et paillard. Ce moine \u00e9tant mort subitement, les d\u00e9mons\nl\u2019accusaient, rappelant tous les p\u00e9ch\u00e9s qu\u2019il avait commis. Et les\nbonnes \u0153uvres qu\u2019il avait accomplies, de leur c\u00f4t\u00e9, l\u2019excusaient,\nrappelant son ob\u00e9issance \u00e0 ses chefs et son z\u00e8le pour le chant des\npsaumes. Or, saint Pierre, de qui ce moine et son couvent d\u00e9pendaient,\ns\u2019approcha de Dieu pour demander sa gr\u00e2ce. La sainte Vierge joignit ses\ninstances aux siennes; et ils obtinrent du Seigneur que le moine f\u00fbt\nautoris\u00e9 \u00e0 revenir sur terre pour faire p\u00e9nitence. Alors saint Pierre\nmit en fuite les d\u00e9mons en leur montrant les clefs qu\u2019il tenait en main.\nPuis il rendit la vie au moine apr\u00e8s lui avoir impos\u00e9, comme p\u00e9nitence,\nde r\u00e9citer tous les jours le psaume _Miserere mei, Domine_. C\u2019est le\nmoine lui-m\u00eame qui, apr\u00e8s sa r\u00e9surrection, raconta \u00e0 ses fr\u00e8res tout ce\nqu\u2019on vient de lire.\nCX\nSAINT \u00c9TIENNE, PAPE ET MARTYR\n(2 ao\u00fbt)\nLe pape Etienne avait converti de nombreux pa\u00efens, par la parole et par\nl\u2019exemple, et avait enterr\u00e9 les corps de nombreux martyrs, lorsque en\nl\u2019an 260, les empereurs Val\u00e9rien et Gallien le firent rechercher ainsi\nque son clerg\u00e9, pour les forcer \u00e0 sacrifier aux idoles. Et les\nempereurs, par un \u00e9dit, d\u00e9claraient que ceux qui les livreraient\ndeviendraient ma\u00eetres de tous leurs biens. Aussi dix membres du clerg\u00e9\nne tard\u00e8rent-ils pas \u00e0 \u00eatre d\u00e9nonc\u00e9s, arr\u00eat\u00e9s, et, sur leur refus de\nsacrifier, d\u00e9capit\u00e9s sans jugement. Le lendemain, le pape Etienne fut\narr\u00eat\u00e9 \u00e0 son tour, et conduit au temple de Mars, pour y adorer les\nidoles. Mais il pria Dieu de d\u00e9truire ce temple; et aussit\u00f4t la plus\ngrande partie du temple s\u2019\u00e9croula, et la foule s\u2019enfuit, \u00e9pouvant\u00e9e, de\ntelle sorte qu\u2019Etienne put se rendre librement au cimeti\u00e8re de sainte\nLucie. Ce qu\u2019apprenant, Val\u00e9rien envoya \u00e0 sa poursuite des soldats, qui\nle trouv\u00e8rent c\u00e9l\u00e9brant sa messe. Quand il eut achev\u00e9, il s\u2019assit\ncourageusement sur son si\u00e8ge pour recevoir le coup mortel. Et les\nsoldats lui tranch\u00e8rent la t\u00eate.\nCXI\nL\u2019INVENTION DE SAINT \u00c9TIENNE, PREMIER MARTYR\n(3 ao\u00fbt)\nL\u2019invention ou d\u00e9couverte du corps de saint Etienne, eut lieu en l\u2019an\n417, la septi\u00e8me ann\u00e9e du r\u00e8gne d\u2019Honorius. Un pr\u00eatre, nomm\u00e9 Lucien,\nfaisait la sieste dans son lit, sur le territoire de J\u00e9rusalem, lorsque\nlui apparut un vieillard de haute taille et de noble visage, avec une\nbarbe touffue, chauss\u00e9 de brodequins dor\u00e9s, et v\u00eatu d\u2019un manteau blanc\no\u00f9 \u00e9taient tiss\u00e9s de l\u2019or, des pierres pr\u00e9cieuses et des croix. Et ce\nvieillard, d\u2019un b\u00e2ton d\u2019or, qu\u2019il tenait en main, toucha le pr\u00eatre et\nlui dit: \u00abH\u00e2te-toi d\u2019ouvrir nos tombeaux, car il n\u2019est point convenable\nque nous reposions plus longtemps dans un lieu m\u00e9pris\u00e9! Va donc, et dis\n\u00e0 Jean, \u00e9v\u00eaque de J\u00e9rusalem, qu\u2019il transporte nos restes dans un lieu\nhonorable!\u00bb Et Lucien dit: \u00abSeigneur, qui es-tu?\u00bb Et le vieillard: \u00abJe\nsuis Gamaliel, qui ai nourri l\u2019ap\u00f4tre Paul et lui ai enseign\u00e9 la Loi.\nMais pr\u00e8s de moi, dans mon tombeau, repose saint Etienne, qui, apr\u00e8s\navoir \u00e9t\u00e9 lapid\u00e9 par les Juifs, fut jet\u00e9 hors de la ville pour \u00eatre\nd\u00e9vor\u00e9 par les b\u00eates et les oiseaux de proie. Or, le ma\u00eetre pour qui il\navait souffert le martyre, n\u2019a point permis que cela arriv\u00e2t; de sorte,\nque j\u2019ai pu recueillir pieusement ses restes et les ensevelir dans mon\npropre caveau. Et il y a aussi, dans mon tombeau, Nicod\u00e8me, mon neveu,\ncelui qui vint trouver J\u00e9sus la nuit, et qui fut baptis\u00e9 par Pierre et\npar Jean. Les princes des pr\u00eatres en furent si irrit\u00e9s que, sans la peur\nqu\u2019ils avaient de nous, ils l\u2019auraient tu\u00e9. Du moins, ils le\nd\u00e9pouill\u00e8rent de tous ses biens comme de ses dignit\u00e9s, et, l\u2019ayant battu\nde verges, le laiss\u00e8rent \u00e0 demi mort. Je le recueillis dans ma maison,\no\u00f9 il surv\u00e9cut encore quelques jours; et puis, quand il mourut, je le\nfis ensevelir aux pieds de saint Etienne. Enfin, il y a aussi, dans mon\ntombeau, mon fils Abibas, qui, \u00e0 l\u2019\u00e2ge de vingt ans, fut baptis\u00e9 en m\u00eame\ntemps que moi, et, restant chaste toute sa vie, apprit la Loi de la\nbouche de Paul, mon \u00e9l\u00e8ve. Quant \u00e0 mon autre fils S\u00e9l\u00e9mie et \u00e0 ma femme\n\u0152th\u00e9e, qui ne voulurent point recevoir la foi du Christ, ils n\u2019ont pas\n\u00e9t\u00e9 jug\u00e9s dignes d\u2019\u00eatre ensevelis avec nous. Tu trouveras leurs corps\nailleurs, leurs s\u00e9pulcres sont vides.\u00bb Cela dit, saint Gamaliel\ndisparut. Et Lucien, s\u2019\u00e9veillant, pria Dieu que, si sa vision \u00e9tait\nvraie, elle lui appar\u00fbt encore une seconde fois, et une troisi\u00e8me.\nLa semaine suivante, Gamaliel lui apparut de nouveau, et lui demanda\npourquoi il avait n\u00e9glig\u00e9 de faire ce qu\u2019il lui avait ordonn\u00e9. Et\nLucien: \u00abJe ne l\u2019ai pas n\u00e9glig\u00e9; mais j\u2019ai pri\u00e9 le Seigneur que, si ma\nvision venait bien de lui, il me la f\u00eet appara\u00eetre deux autres fois\nencore.\u00bb Et Gamaliel: \u00abJe vais t\u2019apprendre, par des symboles, de quelle\nfa\u00e7on tu pourras distinguer les reliques de chacun de nous!\u00bb Apr\u00e8s quoi\nil lui montra trois vases d\u2019or et un vase d\u2019argent. L\u2019un des vases d\u2019or\n\u00e9tait plein de roses rouges, les deux autres de roses blanches; le vase\nd\u2019argent \u00e9tait plein de safran. Et Gamaliel dit: \u00abCes vases sont nos\ncercueils. Le vase plein de roses rouges est le cercueil de saint\nEtienne, qui, seul de nous, a m\u00e9rit\u00e9 la couronne du martyre. Les deux\nvases pleins de roses blanches sont mon cercueil et celui de Nicod\u00e8me,\nparce que nous avons pers\u00e9v\u00e9r\u00e9, d\u2019un c\u0153ur sinc\u00e8re, dans la foi du\nChrist. Enfin, le vase d\u2019argent, plein de safran, est le cercueil de mon\nfils Abibas, qui brillait d\u2019une blancheur virginale, et mourut en \u00e9tat\nde puret\u00e9.\u00bb Cela dit, il disparut de nouveau. La semaine suivante, il\napparut une troisi\u00e8me fois au pr\u00eatre, \u00e0 qui il reprocha ses retards et\nsa n\u00e9gligence. Aussit\u00f4t Lucien courut \u00e0 J\u00e9rusalem, et raconta tout \u00e0\nl\u2019\u00e9v\u00eaque Jean. L\u2019\u00e9v\u00eaque, avec tout son clerg\u00e9, se rendit dans le jardin\ndu pr\u00eatre; et \u00e0 peine eut-on commenc\u00e9 \u00e0 fouiller le sol qu\u2019une odeur\nd\u00e9licieuse en sortit, au contact de laquelle soixante-dix personnes\nfurent gu\u00e9ries de diverses maladies. Les cercueils des saints furent\ntransport\u00e9s dans l\u2019\u00e9glise de J\u00e9rusalem o\u00f9 saint Etienne avait jadis\nrempli les fonctions d\u2019archidiacre.\nCette invention de saint Etienne eut lieu le jour o\u00f9 l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre\naujourd\u2019hui la passion du saint. Mais on en a transport\u00e9 la f\u00eate \u00e0 un\nautre jour, afin que, le jour o\u00f9 l\u2019on a coutume de f\u00eater le saint,\nl\u2019hommage des fid\u00e8les s\u2019adress\u00e2t plut\u00f4t \u00e0 son martyre qu\u2019\u00e0 la d\u00e9couverte\nde ses reliques.\nQuant \u00e0 la translation de celles-ci, voici comment nous la raconte saint\nAugustin. Un s\u00e9nateur de Constantinople, nomm\u00e9 Alexandre, se rendit \u00e0\nJ\u00e9rusalem avec sa femme, et fit construire, en l\u2019honneur de saint\nEtienne, une belle \u00e9glise, o\u00f9 il ordonna qu\u2019on l\u2019ensevel\u00eet lui-m\u00eame\napr\u00e8s sa mort. Mais, sept ans apr\u00e8s sa mort, sa veuve Julienne, rentrant\ndans sa patrie, voulut emporter avec elle le corps de son mari. Alors\nl\u2019\u00e9v\u00eaque, qu\u2019elle suppliait de l\u2019y autoriser, lui montra deux cercueils\nd\u2019argent et lui dit: \u00abJe ne sais pas lequel de ces deux cercueils est\ncelui de ton mari!\u00bb Et elle: \u00abMoi, je le sais bien!\u00bb Sur quoi, elle\ns\u2019\u00e9lan\u00e7a, et couvrit de baisers le corps de saint Etienne. Et ainsi,\ncroyant reprendre le corps de son mari, elle prit, par hasard, celui du\npremier martyr. Et comme elle le conduisait par mer \u00e0 Constantinople, on\nentendit le chant des anges, une odeur merveilleuse se r\u00e9pandit \u00e0 bord\ndu bateau, et les d\u00e9mons, furieux, suscit\u00e8rent une affreuse temp\u00eate.\nMais, comme les matelots tremblaient d\u2019\u00e9pouvante, saint Etienne leur\napparut en personne, et leur dit: \u00abC\u2019est moi qui suis avec vous, ne\ncraignez rien!\u00bb Et aussit\u00f4t le calme succ\u00e9da \u00e0 la temp\u00eate. Le bateau\nparvint alors sans encombre jusqu\u2019\u00e0 Constantinople, o\u00f9 le corps de saint\nEtienne fut pieusement d\u00e9pos\u00e9 dans une \u00e9glise.\nEnfin, nous allons raconter de quelle mani\u00e8re fut faite la conjonction\ndu corps de saint Etienne avec celui de saint Laurent. Eudoxie, fille de\nTh\u00e9odose, qui se trouvait \u00e0 Rome, \u00e9tait poss\u00e9d\u00e9e d\u2019un d\u00e9mon qui la\npers\u00e9cutait cruellement. Alors son p\u00e8re, qui demeurait \u00e0 Constantinople,\nlui enjoignit de venir pr\u00e8s de lui, afin qu\u2019elle p\u00fbt toucher les\nreliques de saint Etienne. Mais le d\u00e9mon qui \u00e9tait en elle se mit \u00e0\ncrier: \u00abSi Etienne ne vient pas \u00e0 Rome, je ne sortirai pas d\u2019o\u00f9 je\nsuis!\u00bb Ce qu\u2019apprenant, Th\u00e9odose obtint du clerg\u00e9 et du peuple de\nConstantinople, que les reliques de saint Etienne fussent \u00e9chang\u00e9es\ncontre celles de saint Laurent, qui, jusqu\u2019alors, \u00e9taient gard\u00e9es \u00e0\nRome. L\u2019empereur \u00e9crivit donc au pape P\u00e9lage pour lui demander cet\n\u00e9change; et le pape r\u00e9unit un concile de cardinaux, qui y consentit. Des\ncardinaux furent alors envoy\u00e9s \u00e0 Constantinople pour y prendre le corps\nde saint Etienne, et des Grecs furent envoy\u00e9s \u00e0 Rome pour en ramener les\nreliques de saint Laurent.\nLe corps de saint Etienne ayant \u00e9t\u00e9 d\u2019abord d\u00e9barqu\u00e9 \u00e0 Capoue, les\nhabitants de Capoue obtinrent de pouvoir en garder le bras droit; et une\n\u00e9glise m\u00e9tropolitaine fut fond\u00e9e pour recevoir la pr\u00e9cieuse relique.\nPuis le corps du martyr fut transport\u00e9 \u00e0 Rome, o\u00f9 on voulait le d\u00e9poser\ndans l\u2019\u00e9glise de Saint-Pierre aux Liens. Mais quand le cort\u00e8ge passa\ndevant l\u2019\u00e9glise o\u00f9 \u00e9tait le corps de saint Laurent, les porteurs durent\ns\u2019arr\u00eater, retenus par une force myst\u00e9rieuse qui les emp\u00eachait\nd\u2019avancer. Et le d\u00e9mon, dans la princesse, criait: \u00abVous perdez vos\npeines, car Etienne a choisi sa demeure aupr\u00e8s de son fr\u00e8re Laurent!\u00bb\nC\u2019est donc aupr\u00e8s de saint Laurent que le corps fut d\u00e9pos\u00e9; et \u00e0 peine\nEudoxie l\u2019eut-elle touch\u00e9 que le d\u00e9mon qui la tourmentait l\u2019abandonna.\nCependant, saint Laurent, comme s\u2019il se r\u00e9jouissait de l\u2019arriv\u00e9e de son\nfr\u00e8re saint Etienne, se retira dans le fond de son tombeau, laissant\ndans le milieu une grande place vide pour son compagnon. Et, au moment\no\u00f9 les Grecs voulurent mettre la main sur le corps de saint Laurent pour\nl\u2019emporter, ils furent soudain pr\u00e9cipit\u00e9s \u00e0 terre, et, malgr\u00e9 les\npri\u00e8res du pape P\u00e9lage, ils moururent quelques jours apr\u00e8s. Puis on\nentendit, dans les cieux, une voix qui disait: \u00abHeureuse es-tu, Rome, de\npouvoir contenir dans un m\u00eame tombeau les corps glorieux de Laurent et\nd\u2019Etienne!\u00bb C\u2019est ainsi que fut op\u00e9r\u00e9e cette conjonction, l\u2019an du\nSeigneur 425.\nDans le livre XXII de la _Cit\u00e9 de Dieu_, saint Augustin raconte\nl\u2019histoire de six morts ressuscit\u00e9s par l\u2019interm\u00e9diaire de saint\nEtienne: 1\u00ba l\u2019un de ces morts entrait d\u00e9j\u00e0 en d\u00e9composition, lorsque, le\nnom de saint Etienne ayant \u00e9t\u00e9 invoqu\u00e9 sur lui, aussit\u00f4t il revint \u00e0 la\nvie; 2\u00ba un enfant, \u00e9cras\u00e9 par une charrette, ressuscita et recouvra la\nsant\u00e9 lorsque sa m\u00e8re l\u2019eut port\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9glise de saint Etienne; 3\u00ba une\nreligieuse, qu\u2019on avait port\u00e9e dans l\u2019\u00e9glise de saint Etienne, et qui y\n\u00e9tait morte apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 administr\u00e9e, se releva gu\u00e9rie au vu et \u00e0\nl\u2019\u00e9tonnement de tous; 4\u00ba une jeune fille d\u2019Hippone \u00e9tant morte, son p\u00e8re\nporta sa tunique \u00e0 l\u2019\u00e9glise de saint Etienne; et, quand il l\u2019\u00e9tendit\nensuite sur le corps de sa fille, celle-ci ressuscita aussit\u00f4t; 5\u00ba un\njeune homme retrouva la vie lorsqu\u2019on eut frott\u00e9 son corps avec l\u2019huile\nde saint Etienne; 6\u00ba un enfant, transport\u00e9 mort dans l\u2019\u00e9glise de saint\nEtienne, revint \u00e0 la vie d\u00e8s qu\u2019on eut invoqu\u00e9 le nom du saint.\nCXII\nSAINT DOMINIQUE, CONFESSEUR\n(4 ao\u00fbt)\nI. Dominique, p\u00e8re et fondateur de l\u2019ordre des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs, naquit\nen Espagne, dans un village appel\u00e9 Callahorra, du dioc\u00e8se d\u2019Osma. Son\np\u00e8re s\u2019appelait F\u00e9lix, et sa m\u00e8re Jeanne. Sa m\u00e8re, avant qu\u2019il f\u00fbt n\u00e9,\nr\u00eava qu\u2019elle portait dans son sein un petit chien, qui tenait dans sa\nbouche une torche allum\u00e9e; et le petit chien, sorti de son sein,\nembrasait de sa torche le monde entier. Plus tard, la marraine du petit\nDominique crut voir, sur le front de l\u2019enfant, une \u00e9toile qui \u00e9clairait\nle monde entier. Et, pendant qu\u2019il \u00e9tait encore confi\u00e9 aux soins de sa\nnourrice, plusieurs fois on le vit, la nuit, se lever de son berceau\npour aller s\u2019\u00e9tendre sur la terre nue. Envoy\u00e9 \u00e0 Valence pour faire ses\n\u00e9tudes, il travaillait avec tant de z\u00e8le que, pendant dix ans, il ne\nprit pas une goutte de vin. Et comme la famine r\u00e9gnait \u00e0 Valence, il\nvendit ses livres et tout son mobilier pour en distribuer le prix aux\npauvres.\nBient\u00f4t sa renomm\u00e9e s\u2019\u00e9tendit \u00e0 tel point que l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Osma le nomma\nchanoine de son \u00e9glise; et, peu de temps apr\u00e8s, les autres chanoines\nl\u2019\u00e9lurent pour leur sous-prieur. Et lui, nuit et jour, il \u00e9tudiait et\npriait, demandant \u00e0 Dieu la gr\u00e2ce de pouvoir se d\u00e9vouer tout entier au\nsalut de son prochain.\nS\u2019\u00e9tant rendu avec son \u00e9v\u00eaque \u00e0 Toulouse, il ramena \u00e0 la foi du Christ\nson h\u00f4te, qui \u00e9tait h\u00e9r\u00e9tique, et l\u2019offrit au Seigneur comme la pr\u00e9mice\nde sa moisson future. On lit aussi, dans la _Chronique du comte de\nMontfort_, que, un jour, apr\u00e8s avoir pr\u00each\u00e9 contre les h\u00e9r\u00e9tiques, il\nr\u00e9digea par \u00e9crit les arguments dont il s\u2019\u00e9tait servi, et remit le\npapier \u00e0 l\u2019un de ses adversaires, afin que celui-ci p\u00fbt r\u00e9fl\u00e9chir sur\nses objections. Or l\u2019h\u00e9r\u00e9tique fit voir ce papier \u00e0 ses compagnons\nassembl\u00e9s. Ceux-ci lui dirent de jeter le papier au feu et que, s\u2019il\nbr\u00fblait, c\u2019\u00e9tait la preuve de la v\u00e9rit\u00e9 de leurs doctrines, et que si,\nau contraire, il ne br\u00fblait pas, cela prouverait la v\u00e9rit\u00e9 de la foi\nromaine. Trois fois de suite le papier fut jet\u00e9 au feu; trois fois de\nsuite il en rejaillit sans \u00e9prouver le moindre dommage. Mais les\nh\u00e9r\u00e9tiques, pers\u00e9v\u00e9rant dans leur erreur, se jur\u00e8rent de ne parler \u00e0\npersonne de ce miracle. Seul un soldat qui se trouvait l\u00e0, et qui\nadh\u00e9rait un peu \u00e0 la foi catholique, raconta plus tard le miracle dont\nil avait \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin. Ce miracle arriva aupr\u00e8s du Mont de la Victoire.\nA la mort de l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Osma, Dominique se trouva presque seul \u00e0 lutter\ncontre les h\u00e9r\u00e9tiques. Ceux-ci, l\u2019accablant de railleries, lui lan\u00e7aient\nde la boue, des crachats et autres ordures, ou bien encore, par\nd\u00e9rision, lui attachaient de la paille dans le dos. Ils le mena\u00e7aient\n\u00e9galement de mort, mais lui, sans rien craindre, r\u00e9pondait: \u00abJe ne suis\npas digne de la gloire du martyre, et n\u2019ai pas encore m\u00e9rit\u00e9 le bienfait\nde la mort!\u00bb Une autre fois, s\u2019\u00e9tant rendu en un lieu o\u00f9 on lui tendait\ndes pi\u00e8ges, il s\u2019avan\u00e7ait en chantant et le sourire aux l\u00e8vres. Etonn\u00e9s,\nles h\u00e9r\u00e9tiques lui dirent: \u00abL\u2019id\u00e9e de la mort ne te trouble-t-elle pas?\nEt qu\u2019aurais-tu fait, si nous avions mis la main sur toi?\u00bb Et lui: \u00abJe\nvous aurais pri\u00e9s de ne pas me faire mourir tout de suite, mais peu \u00e0\npeu, en me mutilant membre par membre.\u00bb\nIl apprit un jour qu\u2019un homme, contraint par la mis\u00e8re, s\u2019\u00e9tait affili\u00e9\naux h\u00e9r\u00e9tiques. Aussit\u00f4t le saint r\u00e9solut de se vendre lui-m\u00eame, de\nfa\u00e7on que l\u2019h\u00e9r\u00e9tique p\u00fbt, gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019argent qui r\u00e9sulterait de cette\nvente, se d\u00e9livrer de son erreur et se convertir \u00e0 la vraie religion. Et\nil se serait en effet vendu, si Dieu n\u2019avait pourvu d\u2019une autre fa\u00e7on\naux besoins de l\u2019homme qu\u2019il voulait sauver. Une autre fois, comme une\nfemme se lamentait devant lui de ne pouvoir d\u00e9livrer son fr\u00e8re, retenu\nen captivit\u00e9 par les Sarrasins, Dominique, touch\u00e9 de piti\u00e9, offrit de se\nvendre lui-m\u00eame pour racheter le captif. Mais Dieu, fort heureusement,\nne lui permit point de le faire, ayant besoin de lui pour le rachat\nspirituel de bien d\u2019autres captifs.\nPeu \u00e0 peu il se mit \u00e0 projeter la cr\u00e9ation d\u2019un ordre ayant pour mission\nde parcourir le monde en pr\u00eachant, et de fortifier la foi contre les\nh\u00e9r\u00e9tiques. Etant donc rest\u00e9 pendant dix ans dans la r\u00e9gion de Toulouse,\ndepuis la mort de l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Osma jusqu\u2019\u00e0 la r\u00e9union du Concile de\nLatran, il se mit en route pour Rome en compagnie de Foulques, \u00e9v\u00eaque de\nToulouse. A Rome, il demanda au pape Innocent l\u2019autorisation de fonder\nun grand ordre, qui porterait le nom d\u2019ordre des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs. Et\ncomme le pape h\u00e9sitait \u00e0 lui accorder cette autorisation, il vit en r\u00eave\nque l\u2019\u00e9glise de Latran allait s\u2019\u00e9crouler; et voici qu\u2019il vit arriver\nDominique, qui, avec ses seules \u00e9paules, soutenait l\u2019\u00e9glise qui allait\ns\u2019\u00e9crouler. A son r\u00e9veil, le pape, comprenant le sens de son r\u00eave,\naccueillit volontiers la demande du saint, ajoutant que, s\u2019il voulait\nchoisir, pour son ordre, une des r\u00e8gles d\u00e9j\u00e0 approuv\u00e9es par l\u2019\u00e9glise,\nl\u2019ordre serait aussit\u00f4t approuv\u00e9. Revenu aupr\u00e8s de ses fr\u00e8res, qui\n\u00e9taient au nombre de seize, il lui fit part des paroles du pape. Sur\nquoi les Fr\u00e8res, \u00e0 l\u2019unanimit\u00e9, choisirent la r\u00e8gle de saint Augustin, y\najoutant seulement certaines pratiques encore plus rigoureuses, qu\u2019ils\nr\u00e9solurent de garder \u00e0 jamais. Et, apr\u00e8s la mort d\u2019Innocent, sous le\npontificat d\u2019Honorius, en l\u2019an du Seigneur 1216, l\u2019ordre fond\u00e9 par\nDominique fut d\u00e9cid\u00e9ment autoris\u00e9.\nEt l\u2019on raconte que, un jour que Dominique, \u00e0 Rome, priait dans l\u2019\u00e9glise\nde Saint-Pierre pour demander cette autorisation, les deux princes des\nap\u00f4tres, Pierre et Paul, lui apparurent; saint Pierre lui tendit un\nb\u00e2ton, saint Paul, un livre, et tous deux lui dirent: \u00abVa et pr\u00eache, car\ntu as \u00e9t\u00e9 \u00e9lu de Dieu pour cette mission!\u00bb Et il crut voir ses fils,\ndeux par deux, se r\u00e9pandant \u00e0 travers le monde. Aussi, d\u00e8s qu\u2019il fut\nrevenu \u00e0 Toulouse, dispersa-t-il ses Fr\u00e8res, envoyant les uns en\nEspagne, d\u2019autres \u00e0 Paris, d\u2019autres \u00e0 Bologne, tandis que lui-m\u00eame s\u2019en\nretournait \u00e0 Rome.\nUn moine, ayant \u00e9t\u00e9 ravi en extase, vit la Vierge qui, agenouill\u00e9e et\nles mains jointes, implorait son Fils en faveur des hommes. Et le Fils,\nvoyant son insistance, lui dit: \u00abMa m\u00e8re, que puis-je ou dois-je encore\nfaire pour eux? Je leur ai envoy\u00e9 mes patriarches et mes proph\u00e8tes, et\nils ne se sont pas corrig\u00e9s. Je suis venu moi-m\u00eame vers eux, je leur ai\nenvoy\u00e9 mes ap\u00f4tres: ils nous ont mis \u00e0 mort. Je leur ai envoy\u00e9 mes\nmartyrs, mes docteurs et mes confesseurs: ils ne les ont pas \u00e9cout\u00e9s.\nCependant, comme je ne veux rien te refuser, je leur donnerai encore mes\nFr\u00e8res Pr\u00eacheurs, pour qu\u2019ils puissent les \u00e9clairer et les purifier.\nMais si les hommes rejettent encore ceux-l\u00e0, je serai forc\u00e9 de s\u00e9vir\ncontre eux!\u00bb Un autre moine eut une vision analogue, le jour o\u00f9 douze\nabb\u00e9s de C\u00eeteaux arriv\u00e8rent \u00e0 Toulouse pour combattre les h\u00e9r\u00e9tiques.\nCette fois, la Vierge dit au Fils: \u00abMon cher enfant, ce n\u2019est point\ncontre leurs m\u00e9chancet\u00e9s, mais d\u2019apr\u00e8s ta propre compassion que tu dois\nagir.\u00bb Et le Fils, vaincu par ses pri\u00e8res, lui dit: \u00abA ta demande, je\nvais encore leur envoyer mes Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs pour les instruire et les\navertir; mais s\u2019ils continuent \u00e0 ne pas se corriger, je n\u2019aurais\nd\u00e9sormais plus de piti\u00e9 pour eux!\u00bb\nUn Fr\u00e8re Mineur, qui avait \u00e9t\u00e9 longtemps le compagnon de saint Fran\u00e7ois,\nraconta \u00e0 plusieurs Fr\u00e8res de l\u2019ordre des Pr\u00eacheurs que, pendant que\nDominique \u00e9tait \u00e0 Rome pour la confirmation de son ordre, il vit, une\nnuit, le Christ debout dans les airs et tenant en main trois lances,\nqu\u2019il brandissait contre le monde. Et sa M\u00e8re, accourant au-devant de\nlui, lui demanda ce qu\u2019il allait faire. Et Lui: \u00abLe monde est tout\nrempli de trois vices: l\u2019orgueil, l\u2019avarice, et la concupiscence; aussi\nai-je r\u00e9solu de le d\u00e9truire avec ces trois lances!\u00bb Alors la Vierge, se\njetant \u00e0 ses genoux, lui dit: \u00abFils bien-aim\u00e9, aie piti\u00e9 et temp\u00e8re ta\njustice de mis\u00e9ricorde!\u00bb Et le Christ: \u00abNe vois-tu pas les injures qui\nme sont faites?\u00bb Et la Vierge: \u00abMon fils, retiens ta fureur et attends\nun peu; car je connais un fid\u00e8le serviteur et vaillant lutteur qui,\nparcourant le monde, le soumettra \u00e0 ta domination. Et je lui donnerai\npour assistant un autre serviteur, qui rivalisera avec lui de z\u00e8le et de\ncourage.\u00bb Et J\u00e9sus: \u00abTa vue m\u2019a apais\u00e9, mais je serais curieux de voir\nles deux hommes \u00e0 qui tu promets de si hautes destin\u00e9es!\u00bb Alors elle\npr\u00e9senta au Christ saint Dominique. Et le Christ: \u00abOui, voil\u00e0 un bon et\nvaillant lutteur!\u00bb Puis elle lui pr\u00e9senta saint Fran\u00e7ois, dont il fit le\nm\u00eame \u00e9loge. Or, saint Dominique, qui, jamais encore n\u2019avait vu son\nglorieux rival, le reconnut dans l\u2019\u00e9glise, le lendemain, \u00e0 la suite de\nce r\u00eave o\u00f9 il l\u2019avait vu. Il courut \u00e0 lui, l\u2019embrassa pieusement, et lui\ndit: \u00abTu es mon compagnon, nos routes iront de pair. Unissons-nous, et\naucun adversaire ne pr\u00e9vaudra contre nous!\u00bb Puis il lui raconta la\nvision qu\u2019il avait eue; et depuis lors, ils n\u2019eurent plus qu\u2019un seul\nc\u0153ur et qu\u2019une seule \u00e2me en Dieu, et ils recommand\u00e8rent \u00e0 leurs\nsuccesseurs de garder fid\u00e8lement cette amiti\u00e9 r\u00e9ciproque.\nUn novice, de la Pouille, que saint Dominique avait re\u00e7u dans son ordre,\nfut tellement perverti par ses anciens compagnons qu\u2019il voulait\nabsolument jeter son froc pour retourner dans le monde. Alors saint\nDominique, apr\u00e8s avoir longtemps pri\u00e9, rev\u00eatit le novice de ses\nv\u00eatements de la\u00efc; mais aussit\u00f4t celui-ci se mit \u00e0 crier: \u00abJe br\u00fble, je\nme consume, \u00f4tez-moi au plus vite cette maudite chemise qui va me\nr\u00e9duire en cendres!\u00bb Et il n\u2019eut point de repos que son froc ne lui f\u00fbt\nrendu et qu\u2019il ne se f\u00fbt r\u00e9install\u00e9 dans sa cellule.\nPendant que saint Dominique \u00e9tait \u00e0 Bologne, un des Fr\u00e8res, la nuit, fut\ntourment\u00e9 par le diable. Ce qu\u2019apprenant, le Fr\u00e8re R\u00e9gnier, de Lausanne,\nfit part de la chose \u00e0 saint Dominique, qui ordonna de transporter le\nposs\u00e9d\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise, devant l\u2019autel. Et lorsque dix Fr\u00e8res furent\np\u00e9niblement parvenus \u00e0 le transporter, le saint dit: \u00abJe te somme,\nmis\u00e9rable, de me dire pourquoi tu tourmentes une cr\u00e9ature de Dieu!\u00bb Et\nle diable r\u00e9pondit: \u00abJe tourmente ce moine, parce qu\u2019il l\u2019a m\u00e9rit\u00e9.\nHier, en effet, il a bu, en ville, sans la permission de son prieur, et\nsans avoir fait le signe de la croix. Alors je suis entr\u00e9 en lui, sous\nla forme d\u2019un moustique, en me m\u00ealant au vin qu\u2019il buvait.\u00bb Sur ces\nentrefaites, la cloche du monast\u00e8re sonna pour les matines. Et aussit\u00f4t\nle diable dit: \u00abJe ne puis demeurer ici plus longtemps, car voil\u00e0 que\nles capucins se l\u00e8vent!\u00bb Et il s\u2019enfuit.\nUn jour que saint Dominique traversait un fleuve, aux environs de\nToulouse, ses livres tomb\u00e8rent \u00e0 l\u2019eau. Or trois jours apr\u00e8s, un\np\u00eacheur, ayant jet\u00e9 sa ligne en ce lieu, crut bien avoir pris un lourd\npoisson; et il retira de l\u2019eau les livres du saint, aussi intacts que\ns\u2019ils avaient \u00e9t\u00e9 soigneusement gard\u00e9s dans une armoire.\nUne nuit, \u00e9tant arriv\u00e9 \u00e0 la porte d\u2019un monast\u00e8re pendant que les moines\ndormaient, Dominique se fit scrupule de les r\u00e9veiller. Il se mit en\npri\u00e8re, et soudain, se vit transport\u00e9 \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du monast\u00e8re, avec\nson compagnon, sans que les portes eussent \u00e9t\u00e9 ouvertes.\nUn \u00e9tudiant d\u00e9bauch\u00e9 vint, certain jour de f\u00eate, dans l\u2019\u00e9glise des\nFr\u00e8res, \u00e0 Bologne, pour entendre la messe. Or c\u2019\u00e9tait saint Dominique\nlui-m\u00eame qui officiait ce jour-l\u00e0. Au moment de l\u2019offertoire, l\u2019\u00e9tudiant\ns\u2019approcha et baisa pieusement la main du saint, dont il sentit\ns\u2019exhaler un parfum d\u00e9licieux. Et aussit\u00f4t la fi\u00e8vre du plaisir se\nrefroidit en lui, miraculeusement, au point qu\u2019il devint d\u00e9sormais\nchaste et continent.\nUn pr\u00eatre, t\u00e9moin du z\u00e8le qu\u2019apportaient \u00e0 leur pr\u00e9dication saint\nDominique et ses Fr\u00e8res, r\u00e9solut d\u2019entrer dans leur ordre, si seulement\nil pouvait se procurer un Nouveau Testament, dont il avait besoin pour\npr\u00eacher. Or, au m\u00eame instant, un jeune homme vint le trouver, et lui\noffrit de lui vendre un Nouveau Testament, que le pr\u00eatre s\u2019empressa\nd\u2019acheter. Mais comme, apr\u00e8s cela, il h\u00e9sitait encore, il fit un signe\nde croix sur le livre et l\u2019ouvrit ensuite au hasard; et ses yeux\ntomb\u00e8rent sur un passage des _Actes_, o\u00f9 il lut: \u00abL\u00e8ve-toi, descends et\nva avec eux sans h\u00e9sitation, car c\u2019est moi qui les ai envoy\u00e9s!\u00bb Et\naussit\u00f4t, se levant, il rejoignit les Fr\u00e8res.\nUn ma\u00eetre de th\u00e9ologie de Toulouse, homme de grande science et de grand\nrenom, pr\u00e9parait un jour sa le\u00e7on lorsque, vaincu par le sommeil, il\ns\u2019endormit sur son si\u00e8ge. Et il vit en r\u00eave qu\u2019on lui pr\u00e9sentait sept\n\u00e9toiles. Et soudain ces \u00e9toiles commenc\u00e8rent \u00e0 grandir en nombre et en\n\u00e9clat, de telle sorte que, bient\u00f4t, elles illumin\u00e8rent le monde. Se\nr\u00e9veillant, il fut tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9 de ce r\u00eave. Et, au moment o\u00f9 il entrait\ndans la salle de ses le\u00e7ons, saint Dominique et six de ses fr\u00e8res\nvinrent respectueusement l\u2019\u00e9couter: et aussit\u00f4t il comprit qu\u2019ils\n\u00e9taient les sept \u00e9toiles qu\u2019il avait vues dans son r\u00eave.\nPendant que Dominique \u00e9tait \u00e0 Rome, un savant homme, nomm\u00e9 Reginald,\ndoyen de Saint-Aignan d\u2019Orl\u00e9ans, et qui avait enseign\u00e9 le droit canon \u00e0\nParis, se mit en route pour Rome, par voie de mer, en compagnie de\nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Orl\u00e9ans. Cet homme avait depuis longtemps le d\u00e9sir de se\nconsacrer tout entier \u00e0 la pr\u00e9dication, mais ne savait pas encore sous\nquelle forme il devait le faire. Un cardinal, qui \u00e9prouvait le m\u00eame\nd\u00e9sir, lui apprit l\u2019institution des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs. On fit venir saint\nDominique, qui leur expliqua son projet. Sur quoi le th\u00e9ologien r\u00e9solut\nd\u2019entrer dans son ordre. Mais, au m\u00eame moment, il fut pris d\u2019une grande\nfi\u00e8vre qui faillit l\u2019emporter. Alors saint Dominique se mit \u00e0 invoquer\nla Vierge, qu\u2019il avait choisie, express\u00e9ment, pour patronne de son\nordre. Il lui demanda de vouloir bien lui conc\u00e9der Reginald, au moins\npour quelque temps. Et voici que, soudain, le malade qui, d\u00e9j\u00e0,\nattendait la mort, vit venir \u00e0 lui la Reine de Mis\u00e9ricorde, accompagn\u00e9e\nde deux jeunes filles merveilleusement belles; et elle lui dit:\n\u00abDemande-moi ce que tu voudras et je te l\u2019accorderai!\u00bb Et, pendant qu\u2019il\nsongeait \u00e0 ce qu\u2019il pouvait lui demander, une des deux jeunes filles lui\nconseilla de ne rien demander, mais plut\u00f4t de s\u2019en remettre tout \u00e0 fait\n\u00e0 la Reine de Mis\u00e9ricorde: ce qu\u2019il fit. Alors la Vierge, \u00e9tendant la\nmain, oignit ses oreilles, ses narines, ses mains, et ses pieds, avec un\nonguent qu\u2019elle avait apport\u00e9, puis elle dit: \u00abApr\u00e8s-demain je\nt\u2019enverrai une ampoule qui ach\u00e8vera de te rendre la sant\u00e9!\u00bb Puis elle\nlui montra un habit de moine, en lui disant: \u00abVoici l\u2019habit de ton\nordre!\u00bb Et lorsque saint Dominique, qui avait eu la m\u00eame vision, vint\nchez Reginald, le jour suivant, il le trouva en pleine convalescence.\nEt, le jour d\u2019apr\u00e8s, la M\u00e8re de Dieu revint aupr\u00e8s de Reginald, et lui\noignit de nouveau le corps, de telle fa\u00e7on que non seulement sa fi\u00e8vre\ndisparut \u00e0 jamais, mais que toute ardeur de concupiscence l\u2019abandonna.\nLui-m\u00eame a avou\u00e9 que, pas une seule fois depuis lors, il n\u2019a ressenti\nm\u00eame le premier mouvement d\u2019un d\u00e9sir charnel. Et cette seconde vision\neut pour t\u00e9moin, avec Reginald et saint Dominique, un religieux de\nl\u2019ordre des Hospitaliers, qui en fut grandement surpris. Aussi Dominique\ns\u2019empressa-t-il de la raconter \u00e0 ses fr\u00e8res, en m\u00eame temps qu\u2019il leur\nfaisait rev\u00eatir l\u2019habit que la Vierge avait montr\u00e9 \u00e0 Reginald, et qui\n\u00e9tait un peu diff\u00e9rent de celui que les fr\u00e8res portaient jusqu\u2019alors.\nQuant \u00e0 Reginald, il se rendit \u00e0 Bologne pour y pr\u00eacher, et contribua\nbeaucoup \u00e0 accro\u00eetre le nombre des fr\u00e8res; apr\u00e8s quoi il se rendit \u00e0\nParis et y mourut presque d\u00e8s son arriv\u00e9e.\nUn jeune homme, neveu du cardinal de Fossa-Nova, tomba de cheval dans un\nfoss\u00e9 o\u00f9 il se tua; mais saint Dominique, ayant pri\u00e9 sur lui, le\nressuscita. Il ressuscita \u00e9galement un architecte qui, conduit par des\nfr\u00e8res dans la crypte de Saint-Sixte, avait \u00e9t\u00e9 \u00e9cras\u00e9 par la chute d\u2019un\nmur. Dans le m\u00eame couvent, comme les fr\u00e8res, au nombre de quarante, y\n\u00e9taient assembl\u00e9s, ils virent qu\u2019ils n\u2019avaient \u00e0 manger qu\u2019un tout petit\npain. Saint Dominique leur ordonna de couper ce pain en quarante\nparties. Et comme chacun des fr\u00e8res prenait avec joie sa bouch\u00e9e, deux\njeunes gens, exactement pareils, entr\u00e8rent dans le r\u00e9fectoire portant\ndes pains dans les plis de leurs manteaux. Ils d\u00e9pos\u00e8rent les pains \u00e0 la\nt\u00eate de la table sans rien dire, et puis disparurent, de telle fa\u00e7on que\npersonne ne sut ni d\u2019o\u00f9 ils \u00e9taient venus, ni comment ils \u00e9taient\npartis. Alors saint Dominique, \u00e9tendant les mains vers ses Fr\u00e8res: \u00abEh\nbien, mes chers Fr\u00e8res, voil\u00e0 que vous avez de quoi manger!\u00bb\nUn jour qu\u2019il \u00e9tait en voyage et que la pluie tombait \u00e0 verse, il fit le\nsigne de la croix; et aussit\u00f4t la pluie l\u2019\u00e9pargna, lui et son compagnon,\nde telle sorte que, pendant que le sol ruisselait d\u2019eau, pas une goutte\nne se voyait dans un espace de trois coud\u00e9es tout \u00e0 l\u2019entour d\u2019eux. Une\nautre fois, pr\u00e8s de Toulouse, comme il passait un fleuve en bateau, le\nbatelier exigea de lui un denier pour prix de la travers\u00e9e. En vain le\nsaint lui promettait le royaume des cieux, ajoutant que, disciple du\nChrist, il n\u2019avait jamais ni or, ni argent. L\u2019homme, le tirant par sa\nchape, lui disait: \u00abJe veux un denier ou ta chape!\u00bb Alors le saint leva\nles yeux au ciel et pria; puis baissant les yeux \u00e0 terre, il aper\u00e7ut un\ndenier, sans doute tomb\u00e9 du ciel. Et il dit au batelier: \u00abTiens, fr\u00e8re,\nprends ce que tu demandes et laisse-moi aller en paix!\u00bb\nUne autre fois, le saint rencontra en route un religieux qui lui \u00e9tait\nproche par la saintet\u00e9, mais absolument \u00e9tranger par la langue. Et il\nregrettait fort de ne pouvoir pas se r\u00e9chauffer l\u2019\u00e2me en s\u2019entretenant\navec lui des choses divines. Mais Dieu permit que, pendant trois jours,\njusqu\u2019\u00e0 leur arriv\u00e9e dans l\u2019endroit o\u00f9 ils allaient, ils comprissent et\nparlassent la langue l\u2019un de l\u2019autre.\nUne autre fois, voulant d\u00e9livrer un poss\u00e9d\u00e9, il lui mit autour du cou sa\npropre \u00e9tole, et ordonna aux d\u00e9mons de ne plus le tourmenter. Et les\nd\u00e9mons: \u00abPermets-nous de sortir sans nous torturer comme tu fais!\u00bb Mais\nlui: \u00abJe ne vous laisserai sortir que si vous me donnez des garants pour\nme certifier que jamais plus vous ne reviendrez.\u00bb Et eux: \u00abQuels garants\npourrions-nous t\u2019offrir?\u00bb Et lui: \u00abLes saints martyrs dont les chefs\nreposent dans cette \u00e9glise!\u00bb Et eux: \u00abC\u2019est impossible, car ils sont nos\nennemis!\u00bb Et lui: \u00abSi vous ne le faites pas, je ne cesserai pas de vous\ntorturer.\u00bb Alors ils promirent de faire tout le possible; et, apr\u00e8s un\ninstant, ils reprirent: \u00abH\u00e9 bien, les saints martyrs nous ont accord\u00e9 la\nfaveur de se porter garants pour nous!\u00bb Et comme Dominique leur\ndemandait un signe qui le lui prouv\u00e2t, ils r\u00e9pondirent: \u00abAllez \u00e0 la\nch\u00e2sse o\u00f9 sont les t\u00eates des martyrs, et vous la trouverez retourn\u00e9e en\nsens inverse!\u00bb On y alla, et l\u2019on vit que les d\u00e9mons avaient dit vrai.\nUn jour, comme il pr\u00eachait, des femmes h\u00e9r\u00e9tiques se jet\u00e8rent \u00e0 ses\npieds, en disant: \u00abServiteur de Dieu, pr\u00eate-nous ton aide! car si ce que\ntu as pr\u00each\u00e9 aujourd\u2019hui est vrai, longtemps l\u2019esprit d\u2019erreur nous a\naveugl\u00e9es.\u00bb Et lui: \u00abAyez la constance d\u2019attendre un moment, et vous\nverrez \u00e0 quel dieu vous avez adh\u00e9r\u00e9!\u00bb Et elles virent s\u2019\u00e9lancer parmi\nelles un chat terrible, grand comme un chien, avec de gros yeux pleins\nde flammes, une langue \u00e9norme et sanguinolente descendant jusque sur son\nnombril, et une queue tr\u00e8s courte, laissant \u00e0 nu son derri\u00e8re, dont\nsortait une puanteur intol\u00e9rable. L\u2019animal tourna plusieurs fois autour\ndes femmes, et disparut enfin dans le clocher, grimpant le long de la\ncorde d\u2019une cloche. Et les femmes, ayant vu ce prodige, se convertirent\n\u00e0 la foi catholique.\nEtant \u00e0 Toulouse, Dominique vit un jour conduire au b\u00fbcher des\nh\u00e9r\u00e9tiques qu\u2019il avait convaincus d\u2019erreur. Et comme il reconnaissait\nparmi eux un homme appel\u00e9 Raymond, il dit aux ex\u00e9cuteurs: \u00abSauvez\ncelui-ci, de fa\u00e7on qu\u2019il ne soit pas br\u00fbl\u00e9 avec les autres!\u00bb Puis, se\ntournant vers Raymond, il lui dit doucement: \u00abJe sais, mon fils, qu\u2019un\njour tu deviendras un homme de bien et un saint!\u00bb Et, en effet,\nl\u2019h\u00e9r\u00e9tique, apr\u00e8s avoir encore persist\u00e9 dans son h\u00e9r\u00e9sie pendant vingt\nans, se convertit et entra dans l\u2019ordre des Pr\u00eacheurs, o\u00f9 il mena la vie\nla plus exemplaire.\nComme il \u00e9tait un jour au couvent de saint Sixte, \u00e0 Rome, il eut une\nillumination divine apr\u00e8s laquelle, convoquant le chapitre des fr\u00e8res,\nil leur annon\u00e7a que quatre d\u2019entre eux mourraient bient\u00f4t, deux quant au\ncorps, et deux quant \u00e0 l\u2019\u00e2me. Et en effet, peu de temps apr\u00e8s, deux des\nfr\u00e8res rendirent leur \u00e2me \u00e0 Dieu et deux autres se d\u00e9froqu\u00e8rent.\nIl y avait \u00e0 Bologne un savant ma\u00eetre, nomm\u00e9 Conrad le Teuton, dont les\nfr\u00e8res souhaitaient vivement qu\u2019il entr\u00e2t dans leur ordre. Or, un soir\nque saint Dominique s\u2019entretenait famili\u00e8rement avec le prieur du\nmonast\u00e8re Cistercien de Casa Mari\u00e6, il lui dit, entre autres choses:\n\u00abPrieur, je vais t\u2019avouer un secret dont je n\u2019ai jamais fait part \u00e0\npersonne, et dont je te prie, toi aussi, de ne faire part \u00e0 personne\ntant que je vivrai. Sache donc que, jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, je n\u2019ai jamais rien\ndemand\u00e9 au ciel qui ne m\u2019ait aussit\u00f4t \u00e9t\u00e9 accord\u00e9!\u00bb A quoi le prieur\nr\u00e9pondit: \u00abEh bien, mon P\u00e8re, demande au ciel que Conrad entre dans ton\nordre, ainsi que le souhaitent les fr\u00e8res!\u00bb Quelques heures plus tard,\nquand les offices furent achev\u00e9s, et que tout le monde se fut mis au\nlit, Dominique resta seul dans l\u2019\u00e9glise, et pria jusqu\u2019au lendemain. Et,\nle lendemain matin, comme les fr\u00e8res s\u2019assemblaient dans l\u2019\u00e9glise pour\nles matines, voici qu\u2019entra tout \u00e0 coup ma\u00eetre Conrad, qui, s\u2019\u00e9tant\nprostern\u00e9 aux pieds de saint Dominique, demanda \u00e0 rev\u00eatir l\u2019habit de son\nordre. Et, depuis ce moment, Conrad mena la vie la plus exemplaire. Plus\ntard, comme il avait d\u00e9j\u00e0 ferm\u00e9 les yeux, ses fr\u00e8res le croyaient mort,\nlorsque soudain, rouvrant les yeux et promenant son regard d\u2019un fr\u00e8re \u00e0\nl\u2019autre, il dit: \u00abQue le Seigneur soit avec vous!\u00bb Les Fr\u00e8res\nr\u00e9pondirent: \u00abEt avec ton esprit!\u00bb Sur quoi Conrad ajouta: \u00abQue les \u00e2mes\ndes fid\u00e8les reposent en paix!\u00bb Et aussit\u00f4t il s\u2019endormit dans le\nSeigneur.\nDominique, en vrai serviteur de Dieu, avait une parfaite \u00e9galit\u00e9 d\u2019\u00e2me,\nsauf quand il \u00e9tait \u00e9mu de compassion; et, comme un c\u0153ur joyeux rend le\nvisage gai, la composition tranquille de son int\u00e9rieur se manifestait\ndans la bienveillance souriante de ses traits. Il passait ses journ\u00e9es\nen compagnie de ses fr\u00e8res et de ses compagnons, r\u00e9servant ses nuits\npour la pri\u00e8re: et ainsi il donnait ses journ\u00e9es \u00e0 son prochain, ses\nnuits \u00e0 Dieu. Souvent, pendant la messe, \u00e0 l\u2019\u00e9l\u00e9vation, il avait\nl\u2019esprit ravi au point de voir le Christ lui-m\u00eame incarn\u00e9 dans l\u2019hostie.\nPresque toujours il passait la nuit dans l\u2019\u00e9glise; et quand la fatigue\nl\u2019accablait, il sommeillait un instant, soit devant l\u2019autel, ou la t\u00eate\nappuy\u00e9e sur une pierre. Trois fois par nuit il s\u2019infligeait la\ndiscipline avec une cha\u00eene de fer, la premi\u00e8re fois pour lui-m\u00eame, la\nseconde pour les p\u00e9cheurs vivants, la troisi\u00e8me pour ceux du purgatoire.\nAyant \u00e9t\u00e9 un jour \u00e9lu \u00e9v\u00eaque de C\u00eeteaux, il refusa formellement\nd\u2019accepter cet honneur, d\u00e9clarant qu\u2019il aimait mieux mourir que de\nconsentir \u00e0 ce qu\u2019une \u00e9lection se f\u00eet sur son nom. On lui demandait\npourquoi il demeurait plut\u00f4t dans le dioc\u00e8se de Carcassonne que dans\ncelui de Toulouse, qui \u00e9tait le sien. Il r\u00e9pondit: \u00abParce que, dans le\ndioc\u00e8se de Toulouse, je trouve bien des gens qui m\u2019honorent, tandis que,\ndans celui de Carcassonne, tout le monde m\u2019attaque.\u00bb Et comme on lui\ndemandait quel \u00e9tait le livre o\u00f9 il avait le plus \u00e9tudi\u00e9, il r\u00e9pondit:\n\u00abLe livre de la charit\u00e9!\u00bb\nCertaine nuit, pendant que saint Dominique priait dans son \u00e9glise de\nBologne, le diable lui apparut sous la figure d\u2019un fr\u00e8re. Et le saint,\ncroyant voir un de ses fr\u00e8res, lui faisait signe d\u2019aller se coucher avec\nses compagnons. Mais le diable, par d\u00e9rision, lui r\u00e9pondait en lui\nadressant les m\u00eames signes de t\u00eate. Alors le saint, voulant savoir quel\n\u00e9tait le fr\u00e8re qui m\u00e9prisait ainsi ses ordres, alluma une chandelle \u00e0\nl\u2019une des lampes, et reconnut aussit\u00f4t \u00e0 qui il avait affaire. Il se mit\ndonc \u00e0 invectiver v\u00e9h\u00e9mentement le diable, qui osa, \u00e0 son tour, lui\nreprocher d\u2019avoir rompu la r\u00e8gle du silence, en lui parlant. Le saint\nlui rappela que son titre d\u2019abb\u00e9 le d\u00e9gageait de la r\u00e8gle du silence.\nApr\u00e8s quoi il le somma de lui dire comment il tentait les fr\u00e8res dans le\nch\u0153ur. Et le diable: \u00abJe les fais venir trop tard et repartir trop t\u00f4t.\u00bb\nDominique lui demanda comment il tentait les fr\u00e8res au dortoir. Et le\ndiable: \u00abJe les fais coucher trop t\u00f4t, se lever trop tard.\u00bb Saint\nDominique lui demanda comment il tentait les fr\u00e8res au r\u00e9fectoire. Et le\nd\u00e9mon, tout en sautant d\u2019une table \u00e0 l\u2019autre, se borna \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter\nplusieurs fois: \u00abPar le plus et par le moins!\u00bb Interrog\u00e9 sur ce qu\u2019il\nvoulait dire, il r\u00e9pondit: \u00abJ\u2019excite les uns \u00e0 trop manger, pour\nqu\u2019ainsi ils p\u00e8chent par gourmandise; j\u2019en excite d\u2019autres \u00e0 ne pas\nassez manger, pour qu\u2019ainsi ils deviennent plus faibles et soient moins\naptes au service de Dieu.\u00bb Dominique demanda ensuite au diable comment\nil tentait les fr\u00e8res au parloir. Et le diable: \u00abOh! ce lieu-l\u00e0 est mon\nv\u00e9ritable domaine; car lorsque les fr\u00e8res s\u2019y r\u00e9unissent pour parler\nentre eux, je les excite \u00e0 bavarder en d\u00e9sordre, \u00e0 se perdre en paroles\ninutiles et \u00e0 ouvrir la bouche tous en m\u00eame temps.\u00bb Enfin Dominique le\nconduisit au chapitre du couvent: mais le diable ne voulut \u00e0 aucun prix,\ny p\u00e9n\u00e9trer, disant: \u00abCe lieu-ci est pour moi la mal\u00e9diction et l\u2019enfer,\ncar j\u2019y perds tout ce que j\u2019ai gagn\u00e9 dans le reste du couvent. D\u00e8s que\nj\u2019ai amen\u00e9 un fr\u00e8re \u00e0 p\u00e9cher, il vient se purger ici de sa faute et la\nconfesser publiquement.\u00bb Et, cela dit, il disparut.\nC\u2019est \u00e0 Bologne que Dominique sentit les premi\u00e8res atteintes de la\nmaladie qui devait l\u2019emporter. Il vit en r\u00eave un beau jeune homme qui\nl\u2019appelait, et lui disait: \u00abViens, mon bien-aim\u00e9, viens \u00e0 la joie,\nviens!\u00bb Aussit\u00f4t il rassembla les fr\u00e8res de Bologne, au nombre de douze,\net leur remit son testament, en leur disant: \u00abVoici ce que je vous\nlaisse en h\u00e9ritage paternel: la charit\u00e9, l\u2019humilit\u00e9 et la pauvret\u00e9!\u00bb Il\nd\u00e9fendit, par tous les moyens possibles, que son ordre p\u00fbt jamais\nposs\u00e9der aucun bien temporel, appelant la mal\u00e9diction de Dieu sur celui\nqui voudrait souiller, de la poussi\u00e8re des richesses terrestres, l\u2019ordre\ndes Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs. Et comme ses fr\u00e8res se d\u00e9solaient de son \u00e9tat, il\nleur dit doucement: \u00abMes fils, que la dissolution de mon corps ne vous\ntrouble point! Et ne doutez point que, mort, je vous serai plus utile\nque je ne l\u2019ai \u00e9t\u00e9 de mon vivant!\u00bb Puis il s\u2019endormit dans le Seigneur,\nII. Sa mort fut aussit\u00f4t r\u00e9v\u00e9l\u00e9e au Fr\u00e8re Guale, qui \u00e9tait alors prieur\ndes dominicains de Brescia, et qui devint plus tard \u00e9v\u00eaque de cette\nville. Ce saint homme sommeillait dans la chapelle du couvent, la t\u00eate\nappuy\u00e9e au mur, lorsqu\u2019il vit le ciel s\u2019ouvrir pour livrer passage \u00e0\ndeux \u00e9chelles blanches, dont l\u2019une \u00e9tait tenue par le Christ, l\u2019autre\npar la Vierge, et le long desquelles montaient et descendaient\njoyeusement des anges. Entre les deux \u00e9chelles \u00e9tait attach\u00e9 un si\u00e8ge o\u00f9\nse tenait assis un fr\u00e8re, la t\u00eate couverte d\u2019un voile; et J\u00e9sus et la\nVierge tiraient les \u00e9chelles jusqu\u2019\u00e0 ce que le si\u00e8ge f\u00fbt entr\u00e9 dans le\nciel. Et Guale, \u00e9tant venu ensuite \u00e0 Bologne, apprit que le m\u00eame jour, \u00e0\nla m\u00eame heure, saint Dominique avait rendu l\u2019\u00e2me.\nUn autre Fr\u00e8re, nomm\u00e9 Raon, se trouvait, ce jour-l\u00e0, dans une chapelle\nde Tibur, o\u00f9 il c\u00e9l\u00e9brait la messe. Et, comme il savait que Dominique\n\u00e9tait malade, il voulut prier pour sa sant\u00e9, \u00e0 l\u2019endroit du canon o\u00f9\nmention est faite des vivants. Mais aussit\u00f4t il fut ravi en extase, et\nvit Dominique sortant de Bologne par une voie royale, la t\u00eate ceinte\nd\u2019une couronne d\u2019or, et accompagn\u00e9 de deux anges resplendissants. Il\nnota le jour et l\u2019heure, qui co\u00efncidaient avec ceux de la mort du saint.\nIII. Quelque temps apr\u00e8s sa mort, et en pr\u00e9sence du grand nombre de\nmiracles qu\u2019op\u00e9raient ses reliques, les fid\u00e8les crurent devoir\ntransporter celles-ci dans un lieu plus en vue. On ouvrit donc le caveau\no\u00f9 le corps du saint avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9; et une odeur d\u00e9licieuse s\u2019en\nexhala, qui effa\u00e7ait tous les parfums du monde, et qui impr\u00e9gnait non\nseulement les restes m\u00eames du saint corps, mais aussi le cercueil et la\nterre entass\u00e9e alentour. Et ceux des fr\u00e8res qui avaient touch\u00e9 aux\nreliques gardaient ce parfum surnaturel attach\u00e9 \u00e0 leurs mains.\nIV. Un noble de Hongrie \u00e9tait venu, avec sa femme et son petit gar\u00e7on,\nvisiter les reliques du saint dans une \u00e9glise de Silon. Et comme\nl\u2019enfant, tomb\u00e9 gravement malade, \u00e9tait mort, son p\u00e8re porta son cadavre\ndevant l\u2019autel de saint Dominique, et s\u2019\u00e9cria tout en larmes: \u00abGrand\nsaint, je suis venu joyeux vers toi, je m\u2019en vais d\u00e9sol\u00e9! Je suis venu\navec mon fils, je m\u2019en vais sans lui! Je t\u2019en prie, rends-moi mon fils,\nrends-moi la joie de mon c\u0153ur!\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019enfant se releva, et se mit \u00e0\nmarcher dans l\u2019\u00e9glise.--Une autre fois, comme un des serviteurs d\u2019une\ndame noble de Hongrie s\u2019\u00e9tait noy\u00e9, et que son corps n\u2019avait \u00e9t\u00e9 retir\u00e9\nde l\u2019eau qu\u2019apr\u00e8s un tr\u00e8s long d\u00e9lai, la dame pria saint Dominique de le\nressusciter, promettant, si elle \u00e9tait exauc\u00e9e, de donner la libert\u00e9 au\nserviteur mort, et d\u2019aller en p\u00e8lerinage, pieds nus, aux reliques du\nsaint. Aussit\u00f4t le mort ressuscita; et la dame accomplit son v\u0153u.--Une\nautre fois encore, en Hongrie, un homme dont le fils venait de mourir\ninvoqua l\u2019aide de saint Dominique. Le lendemain, au chant du coq,\nl\u2019enfant ouvrit les yeux et dit \u00e0 son p\u00e8re: \u00abD\u2019o\u00f9 vient, mon p\u00e8re, que\ntu aies le visage si creus\u00e9 et p\u00e2li?\u00bb Et le p\u00e8re: \u00abC\u2019est l\u2019effet de mes\nlarmes, mon fils, parce que tu \u00e9tais mort et que je restais seul, priv\u00e9\nde toute joie!\u00bb Et l\u2019enfant: \u00abSache donc, mon p\u00e8re, que saint Dominique,\nayant piti\u00e9 de ton chagrin, a obtenu, par ses m\u00e9rites, que je te fusse\nrendu!\u00bb\nV. Dans la m\u00eame province de Hongrie, une dame qui se pr\u00e9parait \u00e0 faire\nc\u00e9l\u00e9brer une messe en l\u2019honneur de saint Dominique ne trouva point de\npr\u00eatre dans l\u2019\u00e9glise, \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 elle vint. Alors elle enveloppa dans\nun linge les trois cierges qu\u2019elle avait pr\u00e9par\u00e9s, les posa dans un\nvase, et sortit pour un moment. Quand elle revint, les trois cierges\n\u00e9taient allum\u00e9s \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du linge; et ils se consum\u00e8rent sans que\nle linge en e\u00fbt la moindre br\u00fblure.\nVI. Un \u00e9tudiant de Bologne, nomm\u00e9 Nicolas, souffrait si cruellement\nd\u2019une maladie des reins qu\u2019il ne pouvait se lever de son lit et que sa\ncuisse gauche \u00e9tait dess\u00e9ch\u00e9e. Il invoqua l\u2019aide de saint Dominique, et,\nsoudain, ayant entour\u00e9 sa cuisse d\u2019un filament de cierge, il se trouva\ngu\u00e9ri au point de pouvoir se rendre, sans b\u00e9quilles, au tombeau du\nsaint. Et innombrables sont les autres miracles que Dieu fit, dans la\nm\u00eame ville, par l\u2019entremise de son serviteur Dominique.\nVII. En Sicile, dans la ville de Palerme, une jeune fille souffrait de\nla pierre. Sa m\u00e8re la recommanda \u00e0 saint Dominique. Et, la nuit\nsuivante, le saint apparut \u00e0 la jeune fille, lui posa dans la main la\npierre qui la faisait souffrir, et disparut. La jeune fille se r\u00e9veilla\ngu\u00e9rie; et sa m\u00e8re porta la pierre miraculeuse au couvent des fr\u00e8res, o\u00f9\nl\u2019on s\u2019empressa de la suspendre devant l\u2019image de saint Dominique.\nVIII. Dans la m\u00eame ville, pendant la f\u00eate de la Translation de saint\nDominique, des femmes qui revenaient de l\u2019\u00e9glise virent une autre femme\nqui filait, assise devant sa porte. Elles lui reproch\u00e8rent\ncharitablement de ne point s\u2019abstenir de travail servile pendant la f\u00eate\nd\u2019un si grand saint. Mais elle, furieuse, r\u00e9pondit: \u00abBon \u00e0 vous, les\nch\u00e9ries des fr\u00e8res, de c\u00e9l\u00e9brer la f\u00eate de votre saint!\u00bb Aussit\u00f4t des\ntumeurs se produisirent dans ses yeux, et des vers en sortirent, au\npoint qu\u2019une voisine en retira dix-huit de chaque \u0153il. Toute confuse, la\nfemme se fit conduire \u00e0 l\u2019\u00e9glise des fr\u00e8res, y confessa ses p\u00e9ch\u00e9s, et\nfit le v\u0153u de ne plus jamais parler mal de saint Dominique. Sur quoi la\nsant\u00e9 lui fut rendue.\nXI. Ma\u00eetre Alexandre, \u00e9v\u00eaque de Vend\u00f4me, rapporte, qu\u2019un \u00e9tudiant de\nBologne, adonn\u00e9 aux vanit\u00e9s du si\u00e8cle, eut une vision miraculeuse. Il\nvit qu\u2019il \u00e9tait dans un grand champ, o\u00f9 une temp\u00eate effroyable\ndescendait sur lui. Il voulut alors se r\u00e9fugier dans une maison voisine;\nmais il la trouva ferm\u00e9e; et, comme il frappait \u00e0 la porte pour \u00eatre\nre\u00e7u, une voix f\u00e9minine lui r\u00e9pondit: \u00abJe suis la Justice, et ceci est\nma maison; et tu ne peux y entrer, n\u2019\u00e9tant pas un juste!\u00bb L\u2019\u00e9tudiant,\nconstern\u00e9, alla frapper \u00e0 la porte d\u2019une autre maison, d\u2019o\u00f9 une voix lui\nr\u00e9pondit: \u00abJe suis la V\u00e9rit\u00e9 et ceci est ma maison; et je ne puis te\nrecevoir, parce que la v\u00e9rit\u00e9 ne saurait secourir celui qui ne l\u2019aime\npas!\u00bb Enfin, d\u2019une troisi\u00e8me maison, lui fut r\u00e9pondu: \u00abCeci est la\nmaison de la Paix, et il n\u2019y a point de paix pour les impies, mais\nseulement pour les hommes de bonne volont\u00e9! Ecoute cependant un bon\nconseil! Pr\u00e8s d\u2019ici habite une de nos s\u0153urs qui est toujours pr\u00eate \u00e0\nsecourir les malheureux. Va la trouver, et fais ce qu\u2019elle te dira!\u00bb Et,\nde cette quatri\u00e8me maison, une voix r\u00e9pondit: \u00abJe suis la Mis\u00e9ricorde,\net je vais t\u2019indiquer un moyen d\u2019\u00eatre sauv\u00e9 de la temp\u00eate qui te menace.\nVa \u00e0 la maison des Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs; tu y trouveras l\u2019\u00e9table de la\np\u00e9nitence et le p\u00e2turage de la sainte doctrine, et l\u2019enfant J\u00e9sus, qui\nte sauvera!\u00bb Ayant eu cette vision, l\u2019\u00e9tudiant s\u2019\u00e9veilla, courut \u00e0 la\nmaison des Fr\u00e8res, et rev\u00eatit l\u2019habit de l\u2019ordre.\nCXIII\nSAINT DONAT, \u00c9V\u00caQUE ET MARTYR\n(7 ao\u00fbt)\nI. Donat fut instruit avec l\u2019empereur Julien, qui, comme l\u2019on sait, fut\nordonn\u00e9 sous-diacre. Mais, d\u00e8s que Julien parvint \u00e0 l\u2019empire, il fit\ntuer le p\u00e8re et la m\u00e8re de Donat. Et celui-ci se r\u00e9fugia dans la ville\nd\u2019Arezzo, o\u00f9, demeurant aupr\u00e8s du moine Hilaire, il op\u00e9rait de nombreux\nmiracles. Le pr\u00e9fet de la ville lui amena un jour son fils, qui \u00e9tait\nposs\u00e9d\u00e9 du d\u00e9mon; et l\u2019esprit immonde, s\u2019\u00e9cria: \u00abAu nom du Seigneur\nJ\u00e9sus-Christ, Donat, ne me tourmente point pour me forcer \u00e0 sortir de ma\nmaison!\u00bb Mais sur la pri\u00e8re de Donat, le fils du pr\u00e9fet fut aussit\u00f4t\nd\u00e9livr\u00e9.\nII. Un percepteur du fisc en Toscane, nomm\u00e9 Eustache, allant en voyage,\nconfia les deniers publics \u00e0 la garde de sa femme nomm\u00e9e Euphrosine. Et\ncelle-ci, voyant la province envahie par des ennemis, cacha l\u2019argent;\napr\u00e8s quoi elle mourut. Son mari, quand il revint, ne put retrouver\nl\u2019argent. Condamn\u00e9 au supplice avec ses enfants, il eut recours \u00e0 saint\nDonat. Et celui-ci, s\u2019\u00e9tant rendu avec lui au tombeau de sa femme, pria\nle Seigneur; puis, \u00e0 haute voix, il dit: \u00abEuphrosine, au nom de\nl\u2019Esprit-Saint, je t\u2019adjure de nous dire o\u00f9 tu as cach\u00e9 l\u2019argent!\u00bb\nAussit\u00f4t on entendit une voix, sortant du tombeau, qui disait: \u00abSous le\nseuil de notre maison, c\u2019est l\u00e0 que je l\u2019ai enfoui!\u00bb Et, en effet,\nl\u2019argent fut retrouv\u00e9 o\u00f9 la voix l\u2019avait dit.\nIII. Quelques jours apr\u00e8s, l\u2019\u00e9v\u00eaque Satyre s\u2019endormit dans le Seigneur,\net tout le clerg\u00e9 \u00e9lut Donat pour le remplacer. Or, comme un jour,\nsuivant ce que rapporte Gr\u00e9goire dans son _Dialogue_, le peuple\ncommuniait pendant la messe, le diacre qui portait le calice sacr\u00e9 fut\nsoudain pouss\u00e9 par les pa\u00efens si vivement qu\u2019il tomba, et que le calice\nfut bris\u00e9 en morceaux. Mais Donat, voyant sa douleur et celle du peuple,\nr\u00e9unit les morceaux du calice, pria sur eux, et aussit\u00f4t ils se\nrejoignirent pour reprendre leur forme premi\u00e8re. Seul un de ces morceaux\nfut cach\u00e9 par le diable. Il manque aujourd\u2019hui encore au calice, qui\ngarde ainsi le t\u00e9moignage du miracle. Et les pa\u00efens, \u00e0 la vue de ce\nmiracle, se convertirent au nombre de quatre-vingts, et re\u00e7urent le\nbapt\u00eame.\nIV. Il y avait, pr\u00e8s d\u2019Arezzo, une fontaine empoisonn\u00e9e: quiconque en\nbuvait mourait aussit\u00f4t. Et comme saint Donat s\u2019y rendait sur son \u00e2ne,\npour demander \u00e0 Dieu la purification de l\u2019eau, un dragon terrible sortit\nde la fontaine, et, enroulant sa queue autour des pieds de l\u2019\u00e2ne, se\ndressa contre Donat. Mais celui-ci, l\u2019ayant frapp\u00e9 d\u2019une verge, ou,\nsuivant d\u2019autres, lui ayant crach\u00e9 dans la gueule, le tua sur-le-champ.\nPuis il pria le Seigneur, et l\u2019eau de la fontaine se trouva purifi\u00e9e.\nUne autre fois, comme ses compagnons et lui avaient tr\u00e8s soif, il pria\nle Seigneur, et une source jaillit du sol, sous ses pieds.\nV. La fille de l\u2019empereur Th\u00e9odose, \u00e9tant poss\u00e9d\u00e9e d\u2019un d\u00e9mon, fut\namen\u00e9e \u00e0 saint Donat, qui dit: \u00abSors, esprit immonde, et cesse de\ndemeurer dans un corps cr\u00e9\u00e9 par Dieu!\u00bb Et le d\u00e9mon: \u00abO\u00f9 irai-je, et par\no\u00f9 sortirai-je?\u00bb Et Donat: \u00abD\u2019o\u00f9 es-tu venu ici?\u00bb Et le d\u00e9mon: \u00abDu\nd\u00e9sert!\u00bb Et Donat: \u00abRetourne au d\u00e9sert!\u00bb Et le d\u00e9mon: \u00abJe vois sur toi\nle signe de la croix, d\u2019o\u00f9 un feu jaillit contre moi. Donne-moi un\npassage pour sortir et je sortirai!\u00bb Et Donat: \u00abSoit, je te laisserai\npasser, pour que tu t\u2019en retournes d\u2019o\u00f9 tu es venu!\u00bb Et le d\u00e9mon sortit,\nen faisant trembler toute la maison.\nVI. Un mort \u00e9tait conduit au tombeau lorsqu\u2019un homme survint qui, tenant\nen main un papier, affirma que le mort lui devait deux cents sous, et\nd\u00e9clara qu\u2019il s\u2019opposerait \u00e0 l\u2019ensevelissement jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019on l\u2019e\u00fbt\npay\u00e9. La femme du mort vint, toute pleurante, rapporter la chose \u00e0 saint\nDonat; elle ajouta que cet homme avait, depuis longtemps, re\u00e7u en\ntotalit\u00e9 l\u2019argent qu\u2019il r\u00e9clamait. Alors le saint marcha vers le\ncercueil, et, prenant la main du mort, lui dit: \u00abEcoute-moi!\u00bb Le mort\nr\u00e9pondit: \u00abJe t\u2019\u00e9coute!\u00bb Et saint Donat: \u00abL\u00e8ve-toi, et arrange-toi avec\ncet homme, qui s\u2019oppose \u00e0 ton ensevelissement!\u00bb Le mort se releva dans\nson cercueil, prouva en pr\u00e9sence de tous qu\u2019il avait d\u00e9j\u00e0 pay\u00e9 la dette,\net, saisissant le papier, le d\u00e9chira. Puis il dit \u00e0 saint Donat: \u00abEt\nmaintenant, mon p\u00e8re, fais que je me rendorme!\u00bb Et Donat: \u00abFort bien,\nmon fils, repose en paix!\u00bb\nVII. Comme, depuis pr\u00e8s de trois ans, la pluie refusait de tomber, et\nque la st\u00e9rilit\u00e9 \u00e9tait grande, les infid\u00e8les vinrent trouver l\u2019empereur\nTh\u00e9odose et lui demand\u00e8rent de leur livrer Donat, dont ils accusaient\nles artifices magiques. Averti par l\u2019empereur, Donat se rendit sur la\nplace, pria le Seigneur, et obtint aussit\u00f4t une pluie abondante. Puis il\nrevint chez lui, sans une goutte d\u2019eau sur son v\u00eatement, tandis que tous\nles autres \u00e9taient tremp\u00e9s de pluie.\nVIII. Plus tard, lorsque les Goths ravag\u00e8rent l\u2019Italie et que bon nombre\nde chr\u00e9tiens reni\u00e8rent leur foi, le pr\u00e9fet Evadracien, \u00e0 qui saint Donat\net saint Hilaire reprochaient son apostasie, fit saisir les deux saints,\net leur ordonna de sacrifier \u00e0 Jupiter. Sur leur refus, Hilaire fut\nd\u00e9pouill\u00e9 de ses v\u00eatements, et rou\u00e9 de coups, dont il mourut. Donat fut\njet\u00e9 en prison, puis d\u00e9capit\u00e9. C\u2019\u00e9tait en l\u2019an du Seigneur 380.\nCXIV\nSAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS, MARTYRS\n(8 ao\u00fbt)\nCyriaque, qui avait \u00e9t\u00e9 ordonn\u00e9 diacre par le pape Marcel, fut arr\u00eat\u00e9\navec ses compagnons, et condamn\u00e9 par Maximien \u00e0 b\u00eacher de la terre, pour\nla porter ensuite sur ses \u00e9paules jusqu\u2019\u00e0 un endroit o\u00f9 l\u2019on\nconstruisait des thermes. Il y avait l\u00e0 un digne vieillard, saint\nSaturnin, que Cyriaque et Sisinnius aidaient \u00e0 porter sa charge de\nterre. Puis le pr\u00e9fet fit saisir saint Cyriaque et demanda qu\u2019on le lui\namen\u00e2t. Or, pendant que l\u2019officier Apronien le conduisait au palais du\npr\u00e9fet, soudain une voix jaillit du ciel avec une grande lumi\u00e8re,\ndisant: \u00abVenez, enfants b\u00e9nis de mon p\u00e8re!\u00bb Aussit\u00f4t Apronien se\nconvertit, se fit baptiser et vint l\u2019avouer au pr\u00e9fet. Et celui-ci:\n\u00abAinsi, tu es devenu chr\u00e9tien?\u00bb Et l\u2019officier: \u00abH\u00e9las, que de jours j\u2019ai\nperdus!\u00bb Le pr\u00e9fet lui r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est maintenant que tu vas vraiment\nperdre tes jours!\u00bb Et il lui fit trancher la t\u00eate. Il la fit trancher\n\u00e9galement, apr\u00e8s de nombreux supplices, \u00e0 Saturnin et \u00e0 Sisinnius, sur\nleur refus de sacrifier aux idoles.\nOr la fille de Diocl\u00e9tien, nomm\u00e9e Arth\u00e9mie, \u00e9tait poss\u00e9d\u00e9e d\u2019un d\u00e9mon\nqui, par sa bouche, disait: \u00abJe ne sortirai point d\u2019ici, \u00e0 moins qu\u2019on\nne fasse venir le diacre Cyriaque!\u00bb On alla donc chercher Cyriaque, et\nle d\u00e9mon lui dit: \u00abSi tu yeux que je sorte d\u2019ici, donne-moi un r\u00e9cipient\no\u00f9 je puisse entrer!\u00bb Et Cyriaque: \u00abVoici mon corps! Si tu peux,\nentres-y!\u00bb Mais le d\u00e9mon: \u00abJe ne puis pas entrer dans ce r\u00e9cipient-l\u00e0,\ncar il est scell\u00e9 et clos de toutes parts. Mais sache que, si tu me fais\nsortir d\u2019ici, \u00e0 mon tour je te ferai aller jusqu\u2019en Babylonie!\u00bb Et\nlorsque Cyriaque l\u2019eut fait sortir, Arth\u00e9mie s\u2019\u00e9cria qu\u2019elle voyait le\nDieu qu\u2019il pr\u00eachait. Elle se fit donc baptiser par Cyriaque; et celui-ci\nv\u00e9cut quelque temps en paix dans la maison que lui donn\u00e8rent Diocl\u00e9tien\net sa femme Serena.\nMais, un jour, un messager du roi des Perses, vint demander \u00e0 Diocl\u00e9tien\nla permission d\u2019emmener Cyriaque aupr\u00e8s de son roi, dont la fille \u00e9tait\nposs\u00e9d\u00e9e d\u2019un d\u00e9mon. Sur la pri\u00e8re de Diocl\u00e9tien, Cyriaque s\u2019embarqua\nvolontiers pour la Babylonie, avec ses compagnons Large et Smaragde. Et\nle d\u00e9mon, d\u00e8s qu\u2019il fut arriv\u00e9, lui demanda, par la bouche de la jeune\nfille: \u00abEh bien, Cyriaque, es-tu fatigu\u00e9?\u00bb Et Cyriaque: \u00abJe ne suis\npoint fatigu\u00e9, ayant partout, pour me soutenir, le secours de Dieu!\u00bb Et\nle d\u00e9mon: \u00abTout de m\u00eame, je t\u2019ai amen\u00e9 o\u00f9 je voulais!\u00bb Alors Cyriaque\nlui dit: \u00abPar ordre de J\u00e9sus, sors d\u2019ici!\u00bb Et aussit\u00f4t le d\u00e9mon sortit,\nen disant: \u00abO nom terrible, qui me contraint \u00e0 sortir!\u00bb Cyriaque baptisa\nensuite la jeune fille avec son p\u00e8re, sa m\u00e8re, et beaucoup d\u2019autres\npersonnes. Il refusa d\u2019accepter les pr\u00e9sents qu\u2019on lui offrait, et v\u00e9cut\npendant quarante-cinq jours de pain et d\u2019eau: apr\u00e8s quoi il revint \u00e0\nRome.\nMais, deux mois plus tard, Diocl\u00e9tien mourut, et son successeur\nMaximien, furieux de la conversion de sa belle-s\u0153ur Arth\u00e9mie, fit\narr\u00eater Cyriaque, et le fit tra\u00eener devant son char, nu et charg\u00e9 de\ncha\u00eenes. Puis il ordonna \u00e0 son ministre Carpasius de le forcer \u00e0\nsacrifier avec ses compagnons, ou, sur leur refus, de les mettre \u00e0 mort.\nCarpasius fit verser de la poix bouillante sur la t\u00eate de Cyriaque, le\nfit attacher \u00e0 un chevalet, et enfin lui fit trancher la t\u00eate, ainsi\nqu\u2019\u00e0 tous ses compagnons. L\u2019empereur, en r\u00e9compense, lui donna la maison\ndu saint; et comme, pour se moquer des chr\u00e9tiens, Carpasius se baignait\ndans le lieu o\u00f9 Cyriaque avait coutume de baptiser, il mourut \u00e0\nl\u2019improviste, ainsi que dix-neuf compagnons qu\u2019il avait invit\u00e9s \u00e0 sa\ntable. Et, depuis lors, les pa\u00efens commenc\u00e8rent \u00e0 redouter et \u00e0 v\u00e9n\u00e9rer\nles chr\u00e9tiens.\nCXV\nSAINT LAURENT, MARTYR\n(10 ao\u00fbt)\nI. Laurent, l\u00e9vite et martyr, \u00e9tait d\u2019origine espagnole et fut amen\u00e9 \u00e0\nRome par saint Sixte, qui l\u2019ordonna son archidiacre. En ce temps-l\u00e0,\nl\u2019empereur Philippe et son fils, \u00e9galement nomm\u00e9 Philippe, \u00e9taient\ndevenus chr\u00e9tiens, et s\u2019effor\u00e7aient de travailler au bien de l\u2019Eglise.\nCe Philippe fut le premier empereur qui re\u00e7ut la foi du Christ; il avait\n\u00e9t\u00e9 converti, suivant les uns, par Orig\u00e8ne, suivant d\u2019autres, par saint\nPonce. Il r\u00e9gnait dans la milli\u00e8me ann\u00e9e de la fondation de Rome, Dieu\nayant voulu que cet anniversaire de la ville sainte appart\u00eent au Christ\net non aux idoles. Or Philippe avait un officier nomm\u00e9 D\u00e9cius qui\ns\u2019\u00e9tait rendu c\u00e9l\u00e8bre par sa bravoure guerri\u00e8re. Envoy\u00e9 en Gaule pour\nsoumettre \u00e0 l\u2019empire les Gaulois rebelles, D\u00e9cius s\u2019acquitta si\nheureusement de sa mission que Philippe, pour mieux honorer son retour,\nalla au-devant de lui jusqu\u2019\u00e0 V\u00e9rone. Mais D\u00e9cius, enivr\u00e9 par son\nsucc\u00e8s, convoita l\u2019empire, et projeta la mort de son ma\u00eetre. Une nuit\nque celui-ci dormait sous sa tente, D\u00e9cius s\u2019introduisit secr\u00e8tement\naupr\u00e8s de lui et l\u2019\u00e9trangla; apr\u00e8s quoi il se gagna, \u00e0 force de\npromesses et de r\u00e9compenses, l\u2019arm\u00e9e qui \u00e9tait venue \u00e0 V\u00e9rone avec le\nd\u00e9funt empereur, et il marcha sur Rome \u00e0 grandes \u00e9tapes. Alors le fils\nde Philippe, effray\u00e9, confia \u00e0 saint Sixte et \u00e0 saint Laurent tout le\ntr\u00e9sor de son p\u00e8re en leur enjoignant de le distribuer aux \u00e9glises et\naux pauvres, dans le cas o\u00f9 lui-m\u00eame serait tu\u00e9 par D\u00e9cius. Puis il\ns\u2019enfuit et se cacha, pendant que le S\u00e9nat allait au-devant de D\u00e9cius et\nle confirmait dans l\u2019empire. Et D\u00e9cius, afin de prouver que ce n\u2019\u00e9tait\npoint par trahison qu\u2019il avait tu\u00e9 son ma\u00eetre, mais par z\u00e8le religieux,\nse mit \u00e0 pers\u00e9cuter cruellement les chr\u00e9tiens, ordonnant de les \u00e9gorger\ntous sans mis\u00e9ricorde. Des milliers de chr\u00e9tiens moururent dans cette\npers\u00e9cution, et le jeune Philippe, entre autres, y recueillit la\ncouronne du martyre.\nD\u00e9cius fit alors rechercher le tr\u00e9sor de Philippe. On lui amena saint\nSixte, dont on lui dit \u00e0 la fois qu\u2019il \u00e9tait chr\u00e9tien et qu\u2019il d\u00e9tenait\nle tr\u00e9sor cherch\u00e9. Et D\u00e9cius le fit jeter en prison, pour le forcer \u00e0\nrenier le Christ et \u00e0 livrer le tr\u00e9sor. Et Laurent, marchant derri\u00e8re\nson ma\u00eetre Sixte, lui criait: \u00abP\u00e8re, o\u00f9 vas-tu sans ton fils? Pr\u00eatre, o\u00f9\nvas-tu sans ton diacre?\u00bb Et saint Sixte lui r\u00e9pondait: \u00abNe crois pas,\nmon fils, que je t\u2019abandonne! Mais tu as encore \u00e0 soutenir de plus\ngrandes luttes pour la foi du Christ. Dans trois jours, tu me rejoindras\nau ciel!\u00bb Et il lui remit tout le tr\u00e9sor de Philippe, en lui\nrecommandant de le distribuer aux \u00e9glises et aux pauvres. Aussi Laurent\ncommen\u00e7a-t-il tout de suite \u00e0 rechercher les chr\u00e9tiens, pour secourir\nchacun d\u2019eux d\u2019apr\u00e8s son besoin. Dans cette m\u00eame nuit, il gu\u00e9rit une\nveuve que tourmentait depuis longtemps un terrible mal de t\u00eate, et, d\u2019un\nsigne de croix, rendit la vue \u00e0 un aveugle.\nCependant, saint Sixte, s\u2019\u00e9tant refus\u00e9 \u00e0 adorer les idoles, fut condamn\u00e9\n\u00e0 avoir la t\u00eate tranch\u00e9e. Et Laurent, marchant derri\u00e8re lui, lui criait:\n\u00abSaint P\u00e8re, ne m\u2019abandonne pas, car j\u2019ai d\u00e9pens\u00e9 d\u00e9j\u00e0 le tr\u00e9sor que tu\nm\u2019avais confi\u00e9!\u00bb Ce qu\u2019entendant, les soldats s\u2019empar\u00e8rent de Laurent et\nle conduisirent devant le tribun Parthenius. Et celui-ci le mena devant\nD\u00e9cius, qui lui dit: \u00abO\u00f9 est le tr\u00e9sor qu\u2019on nous a dit que tu cachais?\u00bb\nEt comme Laurent ne r\u00e9pondait pas, D\u00e9cius le livra au pr\u00e9fet Val\u00e9rien,\navec ordre de le supplicier de la fa\u00e7on la plus affreuse s\u2019il refusait\nde sacrifier aux idoles et de rendre le tr\u00e9sor. Val\u00e9rien, \u00e0 son tour,\nmit Laurent sous la garde d\u2019un officier nomm\u00e9 Hippolyte, qui le jeta en\nprison avec une foule d\u2019autres chr\u00e9tiens. Or il y avait, dans la prison,\nun pa\u00efen nomm\u00e9 Lucillus, qui, \u00e0 force de pleurer, avait perdu la vue.\nLaurent lui promit de lui rendre la vue s\u2019il voulait croire au Christ et\nrecevoir le bapt\u00eame. Lucillus se h\u00e2ta d\u2019y consentir, et demanda avec\ninsistance \u00e0 \u00eatre baptis\u00e9. Laurent lui ordonna d\u2019abord de se confesser,\npuis, lui versant de l\u2019eau sur la t\u00eate, il le baptisa au nom du Christ.\nEt aussit\u00f4t Lucillus recouvra la vue: de telle sorte que tous les\naveugles vinrent trouver Laurent qui, par ses pri\u00e8res, obtint que\nl\u2019usage des yeux leur f\u00fbt rendu. Ce que voyant, Hippolyte lui dit:\n\u00abMontre-moi le tr\u00e9sor!\u00bb Et Laurent: \u00abO Hippolyte, si tu veux bien croire\ndans notre Seigneur J\u00e9sus-Christ, je te montrerai mon tr\u00e9sor, et tu\nauras, en outre, la vie \u00e9ternelle!\u00bb Et Hippolyte: \u00abSi tu fais ce que tu\ndis, je ferai moi-m\u00eame ce \u00e0 quoi tu m\u2019exhortes!\u00bb Et il se convertit, et\nre\u00e7ut le bapt\u00eame avec tous les siens. Et, pendant qu\u2019on le baptisait, il\ndit: \u00abJe vois les \u00e2mes des saints se r\u00e9jouir dans le ciel!\u00bb\nL\u00e0-dessus, Val\u00e9rien manda \u00e0 Hippolyte de lui amener Laurent. Et Laurent\nlui dit: \u00abAllons ensemble, car la m\u00eame gloire se pr\u00e9pare pour toi et\npour moi!\u00bb Au tribunal, Laurent, interrog\u00e9 de nouveau sur le tr\u00e9sor,\ndemanda un d\u00e9lai de trois jours, que Val\u00e9rien lui accorda en le confiant\nde nouveau \u00e0 la garde d\u2019Hippolyte. Pendant ces trois jours, Laurent\nrecueillit des pauvres, des boiteux, des aveugles, et les amena \u00e0\nVal\u00e9rien en pr\u00e9sence de D\u00e9cius, et il dit: \u00abVoici des tr\u00e9sors \u00e9ternels,\nqui jamais ne d\u00e9croissent, mais croissent toujours! Et quant au tr\u00e9sor\nde Philippe, les mains de ces malheureux l\u2019ont port\u00e9 au ciel.\u00bb Et\nVal\u00e9rien: \u00abQue signifie tout cela? H\u00e2te-toi de sacrifier!\u00bb Et Laurent:\n\u00abQui doit-on adorer, la cr\u00e9ature, ou le cr\u00e9ateur?\u00bb D\u00e9cius, furieux, le\nfit frapper de pointes de fer, et ordonna qu\u2019on us\u00e2t sur lui toutes les\nvari\u00e9t\u00e9s de supplices. Et comme il l\u2019engageait une derni\u00e8re fois \u00e0\nsacrifier, pour \u00e9viter tant de souffrances, Laurent r\u00e9pondit: \u00abTu ne\nsais pas que tu m\u2019offres l\u00e0 un festin que j\u2019ai toujours souhait\u00e9!\u00bb\nAlors, sur l\u2019ordre de D\u00e9cius, il fut d\u00e9pouill\u00e9 de ses v\u00eatements, battu\nde verges, et on lui laboura les c\u00f4tes avec un fer rouge. Et il dit:\n\u00abSeigneur J\u00e9sus-Christ, aie piti\u00e9 de moi, ton serviteur, qui, interrog\u00e9,\nt\u2019ai proclam\u00e9 pour mon ma\u00eetre!\u00bb Et D\u00e9cius lui dit: \u00abJe sais que, par ton\nart magique, tu te d\u00e9livres de la souffrance, mais je parviendrai bien \u00e0\nte faire souffrir!\u00bb Sur quoi il le fit frapper longtemps de courroies\nplomb\u00e9es. Et Laurent s\u2019\u00e9cria: \u00abSeigneur J\u00e9sus-Christ, re\u00e7ois mon \u00e2me!\u00bb\nMais une voix du haut du ciel r\u00e9pondit: \u00abBien d\u2019autres combats encore te\nsont r\u00e9serv\u00e9s!\u00bb D\u00e9cius, qui avait \u00e9galement entendu la voix, fut rempli\nde rage, et dit: \u00abRomains, vous avez entendu comment les d\u00e9mons\nconsolaient ce sacril\u00e8ge, qui n\u2019a de respect ni pour vos dieux, ni pour\nvos princes!\u00bb Et, de nouveau, il fit flageller Laurent, qui, le sourire\naux l\u00e8vres, rendait gr\u00e2ces \u00e0 Dieu et priait pour les assistants.\nEn ce moment, un soldat nomm\u00e9 Romain se convertit, et dit \u00e0 Laurent: \u00abJe\nvois devant toi un beau jeune homme qui essuie avec un linge le sang de\ntes membres. Je t\u2019en supplie, au nom de Dieu, ne quitte pas la terre\nsans m\u2019avoir baptis\u00e9!\u00bb Et comme D\u00e9cius avait ordonn\u00e9 \u00e0 Val\u00e9rien de faire\nreconduire Laurent en prison, sous la garde d\u2019Hippolyte, Romain,\napportant une cruche pleine d\u2019eau, se jeta aux pieds du martyr et re\u00e7ut\nde lui le bapt\u00eame. Ce qu\u2019apprenant, D\u00e9cius le fit frapper de verges,\npuis d\u00e9capiter.\nLa m\u00eame nuit, Laurent comparut de nouveau devant D\u00e9cius. Et comme\nHippolyte pleurait, et criait qu\u2019il \u00e9tait chr\u00e9tien, Laurent lui dit:\n\u00abCache encore le Christ au dedans de toi! Et, quand tu m\u2019entendras\nt\u2019appeler, viens!\u00bb Alors D\u00e9cius dit \u00e0 Laurent: \u00abSi tu ne veux pas\nsacrifier aux dieux, toute la nuit se passera pour toi en supplices!\u00bb Et\nLaurent: \u00abMa nuit n\u2019a rien d\u2019obscur, \u00e9tant toute pleine de lumi\u00e8re!\u00bb\nAlors D\u00e9cius s\u2019\u00e9cria: \u00abQu\u2019on apporte un lit de fer, pour que ce criminel\ny passe la nuit!\u00bb On \u00e9tendit donc Laurent sur un gril sous lequel on mit\ndes charbons enflamm\u00e9s, et o\u00f9 on le maintint avec des fourches de fer.\nEt Laurent dit \u00e0 Val\u00e9rien: \u00abSache, malheureux, que ces charbons\nm\u2019apportent la fra\u00eecheur, et \u00e0 toi le feu \u00e9ternel!\u00bb Puis, s\u2019adressant \u00e0\nD\u00e9cius; d\u2019un visage joyeux: \u00abEh bien, tu m\u2019as suffisamment r\u00f4ti d\u2019un\nc\u00f4t\u00e9, retourne-moi de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, apr\u00e8s quoi je serai \u00e0 point!\u00bb Et,\nlevant les yeux au ciel, il s\u2019\u00e9cria: \u00abJe te rends gr\u00e2ces, Seigneur, de\nce que tu m\u2019aies jug\u00e9 digne d\u2019entrer dans ton royaume!\u00bb Et c\u2019est ainsi\nqu\u2019il rendit l\u2019\u00e2me.\nD\u00e9cius, tout confus, s\u2019en alla avec Val\u00e9rien dans le palais de Tib\u00e8re,\nlaissant sur le gril le corps du saint, qu\u2019Hippolyte vint prendre, le\nlendemain, d\u00e8s l\u2019aurore, et ensevelit dans le champ V\u00e9ranien, avec\nl\u2019aide du pr\u00eatre Justin. Et tous les chr\u00e9tiens, pleurant et g\u00e9missant,\nc\u00e9l\u00e9br\u00e8rent cette mort par trois jours de veilles et de je\u00fbnes.\nII. Saint Gr\u00e9goire, dans son _Dialogue_, raconte l\u2019histoire d\u2019une\nreligieuse nomm\u00e9e Sabine, qui sut en v\u00e9rit\u00e9 garder la continence de la\nchair, mais ne sut pas retenir sa langue. Lorsqu\u2019on l\u2019eut enterr\u00e9e dans\nl\u2019\u00e9glise de saint Laurent, devant l\u2019autel du martyr, une partie de son\ncorps resta intacte, l\u2019autre fut trouv\u00e9e br\u00fbl\u00e9e par le diable.\nIII. Gr\u00e9goire de Tours rapporte qu\u2019un pr\u00eatre, qui r\u00e9parait une \u00e9glise de\nsaint Laurent, et n\u2019avait \u00e0 sa disposition qu\u2019une poutre trop courte,\npria saint Laurent qui avait nourri les pauvres, de le secourir dans sa\nmis\u00e8re. Et aussit\u00f4t la poutre grandit de telle fa\u00e7on qu\u2019il y en eut m\u00eame\nen exc\u00e8s un assez long morceau. Le pr\u00eatre coupa ce surplus en petites\ntranches, dont l\u2019application gu\u00e9rit bien des maladies. Le m\u00eame miracle\nnous est attest\u00e9 par saint Fortunat. Il eut lieu dans une place forte\nd\u2019Italie nomm\u00e9e Brione.\nIV. Un autre pr\u00eatre, nomm\u00e9 Sanctulus, voulant r\u00e9parer une \u00e9glise de\nsaint Laurent que les Lombards avaient br\u00fbl\u00e9e, avait engag\u00e9 de nombreux\nouvriers. Il s\u2019aper\u00e7ut un jour qu\u2019il n\u2019avait pas de quoi les nourrir;\nmais, ayant pri\u00e9 le saint, il trouva dans sa huche un pain d\u2019une\nblancheur merveilleuse. Et ce pain \u00e9tait si petit qu\u2019il pouvait \u00e0 peine\nsuffire \u00e0 un repas de trois personnes; mais saint Laurent ne voulut\npoint que ses ouvriers manquassent de nourriture; et il multiplia cet\nunique pain de telle fa\u00e7on que, pendant dix jours, tous les ouvriers\npurent en manger.\nV. Vincent, dans sa _Chronique_, raconte que l\u2019\u00e9glise Saint-Laurent, \u00e0\nMilan, poss\u00e9dait un calice de cristal d\u2019une beaut\u00e9 admirable. Ce calice,\nun jour qu\u2019un diacre le portait \u00e0 l\u2019autel, lui tomba des mains et se\nbrisa en morceaux. Mais le diacre, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, recueillit les morceaux,\nles posa sur l\u2019autel, et invoqua saint Laurent. Et aussit\u00f4t le calice\nredevint entier.\nVI. On lit dans le _Livre des Miracles de la Vierge_ qu\u2019un juge nomm\u00e9\nEtienne demeurait \u00e0 Rome, qui se laissait volontiers corrompre par des\npr\u00e9sents. Ce juge s\u2019appropria injustement trois maisons qui d\u00e9pendaient\nde l\u2019\u00e9glise de Saint-Laurent, et un jardin qui appartenait \u00e0 l\u2019\u00e9glise de\nSainte-Agn\u00e8s. Apr\u00e8s sa mort, quand il comparut au tribunal de Dieu,\nsaint Laurent s\u2019approcha de lui avec indignation, et, \u00e0 trois reprises,\nlui tordit le bras. Et sainte Agn\u00e8s, passant devant lui avec les autres\nvierges, d\u00e9tourna de lui son visage pour ne pas le voir. Alors le\nsouverain juge d\u00e9clara que, puisqu\u2019il s\u2019\u00e9tait appropri\u00e9 le bien d\u2019autrui\net avait fait commerce de la justice, il aurait \u00e0 aller rejoindre le\ntra\u00eetre Judas. Mais saint Projet, que cet Etienne avait beaucoup aim\u00e9 de\nson vivant, s\u2019approcha de saint Laurent et de sainte Agn\u00e8s, et leur\ndemanda de lui pardonner. Ils interc\u00e9d\u00e8rent donc pour lui, et la sainte\nVierge se joignit \u00e0 eux: si bien qu\u2019ils obtinrent que son \u00e2me rev\u00eent\ndans son corps afin que, pendant trente jours, il p\u00fbt faire p\u00e9nitence.\nLa Vierge lui imposa, en outre, de r\u00e9citer tous les jours un psaume.\nApr\u00e8s quoi il fut rendu \u00e0 la vie; mais, tant qu\u2019il v\u00e9cut, son bras resta\nnoir et tordu, comme si c\u2019\u00e9tait, son v\u00e9ritable corps qui e\u00fbt souffert.\nEt, apr\u00e8s avoir restitu\u00e9 tout ce qu\u2019il avait pris, et fait p\u00e9nitence\npendant trente jours, il rendit son \u00e2me au Seigneur.\nVII. Enfin on lit dans la vie de l\u2019empereur Henri que, ce prince et sa\nfemme Cun\u00e9gonde ayant toujours v\u00e9cu dans la chastet\u00e9, le diable persuada\nau mari que sa femme le trompait avec un de ses officiers: et\nl\u2019empereur, furieux, ordonna que Cun\u00e9gonde e\u00fbt \u00e0 marcher, pieds nus, sur\ndes charbons ardents. Or Cun\u00e9gonde, avant de commencer l\u2019\u00e9preuve,\ns\u2019\u00e9cria: \u00abToi qui sais que Henri ni personne n\u2019ont touch\u00e9 mon corps,\nChrist, secours-moi!\u00bb Et Henri, pouss\u00e9 par la jalousie, la frappa au\nvisage; mais elle entendit une voix qui lui disait: \u00abVierge, la Vierge\nMarie te d\u00e9livrera!\u00bb Puis elle marcha sur les charbons ardents sans\nressentir aucun mal.\nQuand Henri mourut, un ermite vit passer devant sa cellule une foule de\nd\u00e9mons, qui lui dirent qu\u2019ils allaient assister au jugement de\nl\u2019empereur, afin d\u2019essayer de se le faire adjuger. Mais bient\u00f4t l\u2019ermite\nvit revenir les d\u00e9mons, qui lui racont\u00e8rent qu\u2019ils avaient perdu leur\npeine, car, lorsqu\u2019ils avaient mis dans la balance le soup\u00e7on conjugal\nd\u2019Henri et ses autres p\u00e9ch\u00e9s, saint Laurent \u00e9tait survenu, et avait mis\ndans l\u2019autre plateau de la balance un grand calice d\u2019or qui avait fait\ncontrepoids: ce dont les diables avaient \u00e9t\u00e9 si furieux, qu\u2019ils avaient\nbris\u00e9 une des oreilles du calice. Et en effet, l\u2019empereur d\u00e9funt avait\nfait don \u00e0 l\u2019\u00e9glise d\u2019Einstetten, en l\u2019honneur de saint Laurent, pour\nqui il avait une d\u00e9votion particuli\u00e8re, d\u2019un grand calice d\u2019or massif.\nEt l\u2019on put constater, que, le jour de la mort de l\u2019empereur, une des\nanses de ce calice se trouva bris\u00e9e.\nVIII. Nous devons noter que le martyre de saint Laurent est consid\u00e9r\u00e9\ncomme le plus excellent de tous les martyres des saints, tant pour le\nnombre et la cruaut\u00e9 des supplices endur\u00e9s que pour le courage montr\u00e9\npar le saint; et aussi pour la bonne influence exerc\u00e9e par sa mort. De\nl\u00e0 vient que saint Laurent, entre tous les martyrs, poss\u00e8de trois\nprivil\u00e8ges quant aux offices c\u00e9l\u00e9br\u00e9s en son honneur. Il est, d\u2019abord,\nle seul martyr dont la f\u00eate soit pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019une veille. En second lieu,\nil est le seul dont la f\u00eate ait une octave, de m\u00eame que, seul, saint\nMartin est honor\u00e9 d\u2019une octave, parmi les confesseurs. En troisi\u00e8me\nlieu, saint Laurent a le privil\u00e8ge d\u2019une r\u00e9gression des antiennes,\nprivil\u00e8ge qu\u2019il partage avec saint Paul: et cela pour rappeler qu\u2019il est\nle plus parfait des martyrs, de m\u00eame que saint Paul est le plus parfait\ndes pr\u00e9dicateurs.\nCXVI\nSAINT HIPPOLYTE, MARTYR\n(13 ao\u00fbt)\nI. Apr\u00e8s avoir enseveli le corps de saint Laurent, Hippolyte rentra chez\nlui, donna le baiser de paix \u00e0 ses serviteurs, partagea avec eux la\nsainte communion que lui avait apport\u00e9e le pr\u00eatre Justin, et se mit \u00e0\ntable pour le d\u00eener. Mais, en ce moment, arriv\u00e8rent des soldats qui\ns\u2019empar\u00e8rent de lui et le conduisirent aupr\u00e8s de D\u00e9cius. Et celui-ci,\nd\u00e8s qu\u2019il l\u2019aper\u00e7ut, lui dit en souriant: \u00abEs-tu donc devenu mage, toi\naussi, pour te m\u00ealer, comme tu l\u2019as fait, d\u2019enlever le corps de\nLaurent?\u00bb Et Hippolyte: \u00abJe l\u2019ai fait non point parce que je suis mage,\nmais parce que je suis chr\u00e9tien!\u00bb Alors D\u00e9cius, furieux, le fit\nd\u00e9pouiller de ses v\u00eatements, et lui fit \u00e9craser le visage \u00e0 coups de\npierres. Mais Hippolyte: \u00abEn croyant me d\u00e9pouiller; tu ne fais que me\nmieux orner!\u00bb Et D\u00e9cius: \u00abEs-tu donc devenu fou, pour ne pas rougir m\u00eame\nde ta nudit\u00e9? Allons, sacrifie aux dieux, afin de ne pas p\u00e9rir comme ton\nLaurent!\u00bb Et Hippolyte: \u00abPuiss\u00e9-je m\u00e9riter de suivre l\u2019exemple de ce\nLaurent que tu oses nommer de ta bouche impure!\u00bb Sur quoi D\u00e9cius le fit\nbattre de verges et d\u00e9chirer de lani\u00e8res ferr\u00e9es. Mais Hippolyte\nraillait tous les tourments, et ne cessait point de se proclamer\nchr\u00e9tien. D\u00e9cius lui fit rendre son ancien costume militaire, esp\u00e9rant\nl\u2019engager par l\u00e0 \u00e0 reprendre ses anciennes fonctions d\u2019officier. Mais\nHippolyte lui r\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait d\u00e9sormais soldat dans l\u2019arm\u00e9e du\nChrist. Et D\u00e9cius, exasp\u00e9r\u00e9, le livra \u00e0 son pr\u00e9fet Val\u00e9rien, qu\u2019il\nautorisa \u00e0 s\u2019approprier tous ses biens, et \u00e0 lui infliger les pires\nsupplices. Val\u00e9rien apprit alors que tous les serviteurs d\u2019Hippolyte\n\u00e9taient aussi chr\u00e9tiens. Il les fit donc compara\u00eetre devant lui, et les\nsomma de sacrifier aux idoles. Mais la nourrice d\u2019Hippolyte, Concorde,\nlui r\u00e9pondit au nom de tous: \u00abNous aimons mieux mourir honn\u00eatement avec\nnotre ma\u00eetre que de vivre malhonn\u00eatement!\u00bb Et Val\u00e9rien: \u00abLa race des\nesclaves ne peut \u00eatre corrig\u00e9e que par des supplices!\u00bb Puis, en pr\u00e9sence\nd\u2019Hippolyte, il la fit frapper de verges plomb\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle\nmour\u00fbt. Et Hippolyte: \u00abJe te remercie, Seigneur, d\u2019avoir bien voulu\nadmettre ma nourrice parmi tes saints!\u00bb\nVal\u00e9rien fit ensuite conduire Hippolyte et ses serviteurs en dehors de\nla Porte de Tibur. Et Hippolyte, encourageant ses compagnons, leur\ndisait: \u00abMes fr\u00e8res, soyez sans crainte, car nous allons \u00eatre bient\u00f4t\nr\u00e9unis devant Dieu!\u00bb Val\u00e9rien ordonna que tous les serviteurs eussent\nd\u2019abord la t\u00eate tranch\u00e9e en pr\u00e9sence d\u2019Hippolyte; puis il fit attacher\ncelui-ci par les pieds, au cou de chevaux indompt\u00e9s, qui le tra\u00een\u00e8rent\nsur des chardons et des cailloux jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il rend\u00eet l\u2019\u00e2me. Il\nmourut en l\u2019an du Seigneur 251.\nLe pr\u00eatre Justin enleva les corps des martyrs et les ensevelit \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du\ncorps de saint Laurent: mais il ne put retrouver le corps de sainte\nConcorde, qui avait \u00e9t\u00e9 jet\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9gout. Or, un soldat, nomm\u00e9 Porphyre,\ncroyant que la vieille femme avait dans ses v\u00eatements de l\u2019or et des\npierreries, alla chez un \u00e9goutier nomm\u00e9 Ir\u00e9n\u00e9e, qui \u00e9tait secr\u00e8tement\nchr\u00e9tien, et lui dit: \u00abRetire de l\u2019\u00e9gout le corps de Concorde, car je\ncrois bien qu\u2019elle avait de l\u2019or et des pierreries dans ses v\u00eatements!\u00bb\nEt ainsi Ir\u00e9n\u00e9e connut l\u2019endroit o\u00f9 avait \u00e9t\u00e9 jet\u00e9 le corps de la\nsainte. Il le retira donc de l\u2019\u00e9gout; et quand Porphyre eut constat\u00e9\nqu\u2019il s\u2019\u00e9tait tromp\u00e9 dans son esp\u00e9rance, Ir\u00e9n\u00e9e appela un de ses\ncompagnons, nomm\u00e9 Abonde, avec l\u2019aide duquel il porta le corps chez\nsaint Justin, qui le fit ensevelir \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ceux des autres martyrs. Ce\nqu\u2019apprenant; Val\u00e9rien fit jeter vivants \u00e0 l\u2019\u00e9gout Ir\u00e9n\u00e9e et Abonde,\ndont les corps furent joints par saint Justin \u00e0 ceux des autres martyrs.\nPeu de temps apr\u00e8s, comme D\u00e9cius et Val\u00e9rien, dans un char d\u2019or, se\nrendaient \u00e0 l\u2019amphith\u00e9\u00e2tre pour pers\u00e9cuter les chr\u00e9tiens, D\u00e9cius,\nbrusquement poss\u00e9d\u00e9 du d\u00e9mon, s\u2019\u00e9cria: \u00abO Hippolyte, que lourdes sont\nles cha\u00eenes dont tu m\u2019as charg\u00e9!\u00bb Et, au m\u00eame instant, Val\u00e9rien s\u2019\u00e9cria:\n\u00abO Laurent, tes cha\u00eenes de feu me br\u00fblent les chairs!\u00bb Et Val\u00e9rien\nmourut sur-le-champ. D\u00e9cius, revenu chez lui, surv\u00e9cut trois jours\nencore, pendant lesquels il ne cessait point de crier: \u00abO Laurent et\nHippolyte, rel\u00e2chez-vous un moment de me torturer!\u00bb Et telle fut sa\nmis\u00e9rable mort. Ce que voyant, sa femme Triphonie se d\u00e9pouilla de tous\nses biens, et, en compagnie de sa fille Cyrille, alla demander \u00e0 saint\nJustin de la baptiser. Elle mourut le lendemain, \u00e9tant en pri\u00e8re. Et\nquarante-sept soldats, ayant appris que l\u2019imp\u00e9ratrice et sa fille\n\u00e9taient devenues chr\u00e9tiennes, vinrent se faire baptiser avec leurs\nfamilles. Ils re\u00e7urent le bapt\u00eame des mains du pape Denis, qui avait\nsucc\u00e9d\u00e9 \u00e0 saint Sixte. Et l\u2019empereur Claude fit \u00e9trangler Cyrille et\nd\u00e9capiter tous les chr\u00e9tiens; et leurs corps furent r\u00e9unis \u00e0 ceux de\nsaint Laurent et de ses compagnons.\nNous devons noter, \u00e0 ce propos, que la mention de l\u2019empereur Claude\nach\u00e8ve de prouver que ce n\u2019est point l\u2019empereur D\u00e9cius, mais un C\u00e9sar de\nce nom, qui a martyris\u00e9 saint Laurent et saint Hippolyte. Car ce n\u2019est\npas \u00e0 l\u2019empereur D\u00e9cius qu\u2019a succ\u00e9d\u00e9 Claude, mais \u00e0 l\u2019empereur Gallien.\nDe telle sorte qu\u2019on peut admettre ou bien que ce Gallien s\u2019appelait\naussi D\u00e9cius, ou bien encore, comme le dit un chroniqueur, que Gallien,\npour l\u2019assister dans ses fonctions, avait cr\u00e9\u00e9 C\u00e9sar un certain D\u00e9cius.\nII. Un bouvier, nomm\u00e9 Pierre, \u00e9tait all\u00e9 aux champs le jour de la f\u00eate\nde sainte Marie-Madeleine, et accablait ses b\u0153ufs de jurons\nblasph\u00e9matoires. Soudain la foudre s\u2019abattit sur lui, lui br\u00fblant les\nchairs et les muscles d\u2019une jambe, de telle fa\u00e7on que ses os se\ntrouv\u00e8rent presque d\u00e9tach\u00e9s. Se tra\u00eenant alors jusqu\u2019\u00e0 une \u00e9glise de la\nVierge, il cacha son tibia dans un recoin, et, tout en larmes, supplia\nMarie de venir \u00e0 son aide. La nuit suivante, \u00e0 la demande de la Vierge,\nsaint Hippolyte alla prendre le tibia dans l\u2019\u00e9glise et le repla\u00e7a dans\nla jambe du bouvier, comme on greffe une bouture. Aux cris du malade,\ntoute sa famille accourut, et d\u00e9couvrit avec stupeur, qu\u2019il avait de\nnouveau ses deux tibias. Mais lui, r\u00e9veill\u00e9, crut d\u2019abord qu\u2019on se\nmoquait de lui. Et quand il s\u2019aper\u00e7ut de la r\u00e9alit\u00e9 du miracle, il\nsentit que sa jambe nouvelle \u00e9tait trop molle pour soutenir son corps.\nIl resta donc boiteux pendant une ann\u00e9e enti\u00e8re. Puis la Vierge lui\napparut, accompagn\u00e9e de saint Hippolyte, et dit \u00e0 celui-ci de compl\u00e9ter\nsa gu\u00e9rison. Et quand le bouvier se r\u00e9veilla, il se trouva enti\u00e8rement\ngu\u00e9ri.\nIl entra alors dans un monast\u00e8re, o\u00f9 le diable ne cessa point de le\ntenter, lui apparaissant, de pr\u00e9f\u00e9rence, sous la forme d\u2019une jeune femme\nnue. Un jour enfin, le moine, exasp\u00e9r\u00e9, prit son \u00e9tole de pr\u00eatre et la\npassa autour du cou de sa visiteuse. Aussit\u00f4t le diable s\u2019enfuit; et la\njeune femme se transforma en un cadavre pourri, qui remplit tout le\ncouvent de sa puanteur. Par quoi l\u2019on vit clairement que le diable, pour\ntenter Pierre, s\u2019\u00e9tait introduit dans le corps d\u2019une femme morte.\nCXVII\nL\u2019ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE\n(15 ao\u00fbt)\nI. Un \u00e9crit apocryphe, attribu\u00e9 \u00e0 saint Jean l\u2019Evang\u00e9liste, nous raconte\nla fa\u00e7on dont eut lieu l\u2019assomption de la Vierge.\nLorsque les ap\u00f4tres se furent s\u00e9par\u00e9s, pour aller pr\u00eacher l\u2019\u00e9vangile aux\nnations, la sainte Vierge resta dans leur maison, qui \u00e9tait pr\u00e8s de la\nmontagne de Sion. Elle ne cessait point de visiter pieusement tous les\nlieux consacr\u00e9s par son fils, c\u2019est-\u00e0-dire ceux de son bapt\u00eame, de son\nje\u00fbne, de sa pri\u00e8re, de sa passion, de sa s\u00e9pulture, de sa r\u00e9surrection\net de son ascension. Et Epiphane nous apprend qu\u2019elle surv\u00e9cut\nvingt-quatre ans \u00e0 l\u2019ascension de son fils. Il ajoute que, comme la\nVierge avait quinze ans lorsqu\u2019elle mit au monde le Christ, et comme\ncelui-ci avait pass\u00e9 sur cette terre trente-trois ans, elle avait donc\nsoixante-douze ans lorsqu\u2019elle mourut. Mais il para\u00eet plus probable\nd\u2019admettre, comme nous le lisons ailleurs, qu\u2019elle ne surv\u00e9cut \u00e0 son\nfils que douze ans, et qu\u2019elle avait soixante ans, lors de son\nassomption: car l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_ nous dit que, pendant douze\nans, les ap\u00f4tres pr\u00each\u00e8rent en Jud\u00e9e et dans les r\u00e9gions voisines.\nUn jour enfin, comme le d\u00e9sir de revoir son fils agitait tr\u00e8s vivement\nla Vierge et la faisait pleurer tr\u00e8s abondamment, voici qu\u2019un ange\nentour\u00e9 de lumi\u00e8re se pr\u00e9senta devant elle, la salua respectueusement\ncomme la m\u00e8re de son ma\u00eetre, et lui dit: \u00abJe vous salue, Bienheureuse\nMarie! Et je vous apporte ici une branche de palmier du paradis, que\nvous ferez porter devant votre cercueil, dans trois jours, car votre\nfils vous attend pr\u00e8s de lui!\u00bb Et Marie: \u00abSi j\u2019ai trouv\u00e9 gr\u00e2ce devant\ntes yeux, daigne me dire ton nom! Mais, surtout, je te demande avec\ninstance que mes fils et fr\u00e8res, les ap\u00f4tres, se rassemblent autour de\nmoi, afin que je puisse les voir de mes yeux avant de mourir, et rendre\nmon \u00e2me \u00e0 Dieu en leur pr\u00e9sence, et \u00eatre ensevelie par eux! Et je te\ndemande encore ceci: que mon \u00e2me, en sortant de mon corps, ne rencontre\naucun m\u00e9chant esprit, et \u00e9chappe au pouvoir de Satan!\u00bb Et l\u2019ange:\n\u00abPourquoi d\u00e9sirez-vous savoir mon nom, qui est grand et admirable? Mais\nsachez qu\u2019aujourd\u2019hui m\u00eame tous les ap\u00f4tres se r\u00e9uniront ici, et que\nc\u2019est en leur pr\u00e9sence que s\u2019exhalera votre \u00e2me! Car celui qui, jadis, a\ntransport\u00e9 le proph\u00e8te de Jud\u00e9e \u00e0 Babylone, celui-l\u00e0 n\u2019a besoin que d\u2019un\nmoment pour amener ici tous les ap\u00f4tres. Et quant au malin esprit,\nqu\u2019avez-vous \u00e0 le craindre, vous qui lui avez broy\u00e9 la t\u00eate sous votre\npied, et l\u2019avez d\u00e9pouill\u00e9 de son pouvoir?\u00bb Cela dit, l\u2019ange remonta au\nciel; et la palme qu\u2019il avait apport\u00e9e brillait d\u2019une clart\u00e9 extr\u00eame.\nC\u2019\u00e9tait un rameau vert, mais avec des feuilles aussi lumineuses que\nl\u2019\u00e9toile du matin.\nOr, comme saint Jean pr\u00eachait \u00e0 Eph\u00e8se, une nu\u00e9e blanche le souleva, et\nle d\u00e9posa au seuil de la maison de Marie. Jean frappa \u00e0 la porte, entra\net salua respectueusement la Vierge. Et elle, pleurant de joie: \u00abMon\nfils Jean, tu te souviens des paroles de ton ma\u00eetre, qui m\u2019a recommand\u00e9\n\u00e0 toi comme une m\u00e8re, et toi \u00e0 moi comme un fils. Et voici que le\nSeigneur me rappelle, et que je confie mon corps \u00e0 ta sollicitude. Car\nj\u2019ai appris que les Juifs se proposaient, d\u00e8s que je serais morte, de\nravir mes restes et de les br\u00fbler. Mais toi, fais porter cette palme\ndevant mon cercueil lorsque vous conduirez mon corps au tombeau!\u00bb Et\nJean lui dit: \u00abOh! comme je voudrais que tous les ap\u00f4tres mes fr\u00e8res\nfussent ici, pour pr\u00e9parer tes fun\u00e9railles, et proclamer tes louanges!\u00bb\nEt, pendant qu\u2019il disait cela, tous les ap\u00f4tres, dans les lieux divers\no\u00f9 ils pr\u00eachaient, furent soulev\u00e9s par des nu\u00e9es, et d\u00e9pos\u00e9s devant la\nmaison de Marie. Et quand ils se virent r\u00e9unis l\u00e0, ils se dirent, tout\nsurpris: \u00abPour quel motif le Seigneur nous a-t-il rassembl\u00e9s\naujourd\u2019hui?\u00bb Alors Jean sortit vers eux, leur annon\u00e7a la mort prochaine\nde la Vierge, et ajouta: \u00abPrenez garde, mes fr\u00e8res, \u00e0 ne point pleurer\nquand elle sera morte, de peur que le peuple en voyant vos larmes, ne\nsoit troubl\u00e9 et ne se dise: \u00abCes gens-l\u00e0 pr\u00eachent aux autres la\nr\u00e9surrection, et, eux-m\u00eames, ils ont peur de la mort!\u00bb Et saint Denis,\nle disciple de saint Paul, dans son livre sur les _Noms de Dieu_, nous\nfait un r\u00e9cit analogue, ajoutant que lui aussi \u00e9tait l\u00e0, et que la\nVierge sommeillait pendant l\u2019arriv\u00e9e des ap\u00f4tres.\nQuand la Vierge vit tous les ap\u00f4tres r\u00e9unis, elle b\u00e9nit le Seigneur et\ns\u2019assit au milieu d\u2019eux, parmi des lampes allum\u00e9es. Or, vers la\ntroisi\u00e8me heure de la nuit, J\u00e9sus arriva avec la l\u00e9gion des anges, la\ntroupe des patriarches, l\u2019arm\u00e9e des martyrs, les cohortes des\nconfesseurs et les ch\u0153urs des vierges; et toute cette troupe sainte,\nrang\u00e9e devant le tr\u00f4ne de Marie, se mit \u00e0 chanter des cantiques de\nlouanges. Puis J\u00e9sus dit: \u00abViens, mon \u00e9lue, afin que je te place sur mon\ntr\u00f4ne, car je d\u00e9sire t\u2019avoir pr\u00e8s de moi!\u00bb Et Marie: \u00abSeigneur, je suis\npr\u00eate!\u00bb Et toute la troupe sainte chanta doucement les louanges de\nMarie. Apr\u00e8s quoi Marie elle-m\u00eame chanta: \u00abToutes les g\u00e9n\u00e9rations me\nproclameront bienheureuse, en raison du grand honneur que me fait Celui\nqui peut tout!\u00bb Et le chef du ch\u0153ur c\u00e9leste entonna: \u00abViens du Liban,\nfianc\u00e9e, pour \u00eatre couronn\u00e9e!\u00bb Et Marie: \u00abMe voici, je viens, car il a\n\u00e9t\u00e9 \u00e9crit de moi que je devais faire ta volont\u00e9, \u00f4 mon Dieu, parce que\nmon esprit exultait en toi!\u00bb Et ainsi l\u2019\u00e2me de Marie sortit de son\ncorps, et s\u2019envola dans le sein de son fils, affranchie de la douleur\ncomme elle l\u2019avait \u00e9t\u00e9 de la souillure. Et J\u00e9sus dit aux ap\u00f4tres:\n\u00abTransportez le corps de la Vierge dans la vall\u00e9e de Josaphat,\nd\u00e9posez-le dans un monument que vous y trouverez, et attendez-moi l\u00e0\npendant trois jours!\u00bb Et aussit\u00f4t le corps de Marie fut entour\u00e9 de roses\net de lys, symbole des martyrs, des anges, des confesseurs et des\nvierges. Et ainsi l\u2019\u00e2me de Marie fut emport\u00e9e joyeusement au ciel, o\u00f9\nelle s\u2019assit sur le tr\u00f4ne de gloire \u00e0 la droite de son fils.\nPendant ce temps, trois vierges, qui se trouvaient l\u00e0, d\u00e9v\u00eatirent le\ncorps pour le laver; mais, aussi longtemps que dura leur travail, le\ncorps brilla d\u2019une telle lumi\u00e8re qu\u2019elles-m\u00eames qui le touchaient ne\nparvenaient pas \u00e0 le voir. Puis les ap\u00f4tres soulev\u00e8rent pieusement le\ncorps, et le pos\u00e8rent dans un cercueil. Et Jean dit \u00e0 Pierre: \u00abC\u2019est\ntoi, Pierre, qui porteras cette palme devant le cercueil; car le\nSeigneur t\u2019a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 \u00e0 nous, et t\u2019a constitu\u00e9 le berger de ses brebis!\u00bb\nEt Pierre: \u00abC\u2019est \u00e0 toi, plut\u00f4t, de la porter! car tu as \u00e9t\u00e9 \u00e9lu par le\nSeigneur pendant que ton corps \u00e9tait encore vierge, et c\u2019est toi aussi\nqui as \u00e9t\u00e9 jug\u00e9 digne de reposer sur le sein du Seigneur. Tu porteras\ndonc cette palme; et moi je porterai le cercueil avec les porteurs,\npendant que nos autres fr\u00e8res, entourant le cercueil, chanteront les\nlouanges de Dieu.\u00bb Et Paul dit: \u00abMoi, qui suis le plus petit de vous\ntous, je porterai le cercueil avec toi!\u00bb Pierre et Paul soulev\u00e8rent donc\nle cercueil; et Pierre entonna: _Exiit Isra\u00ebl de \u00c6gypto, alleluia!_ Et\nles autres ap\u00f4tres suivirent en chantant. Et le Seigneur couvrit d\u2019un\nnuage le cercueil et les ap\u00f4tres, de telle fa\u00e7on qu\u2019on entendait leurs\nvoix sans les voir. Et des anges s\u2019\u00e9taient joints aux ap\u00f4tres, chantant\naussi, et remplissant toute la terre de sons merveilleux.\nAttir\u00e9s par la douceur de cette musique, tous les Juifs accouraient,\ns\u2019informant de ce qui se passait. Quelqu\u2019un leur dit: \u00abC\u2019est Marie que\nles disciples de J\u00e9sus portent au tombeau!\u00bb Sur quoi les Juifs de\nprendre les armes et de s\u2019exhorter l\u2019un l\u2019autre, en disant: \u00abVenez, nous\ntuerons tous les disciples, et nous br\u00fblerons ce corps qui a port\u00e9\nl\u2019imposteur!\u00bb Et le prince des pr\u00eatres, furieux, s\u2019\u00e9cria: \u00abVoil\u00e0 donc le\ntabernacle de celui qui a troubl\u00e9 notre race! Et voil\u00e0 les honneurs\nqu\u2019on lui rend!\u00bb Ce disant, il voulut s\u2019approcher du cercueil pour le\njeter \u00e0 terre. Mais aussit\u00f4t ses deux mains se dess\u00e9ch\u00e8rent, et\nrest\u00e8rent attach\u00e9es au cercueil, pendant que les anges, cach\u00e9s dans les\nnu\u00e9es, aveuglaient tous les autres Juifs. Et le prince des pr\u00eatres\ng\u00e9missait et disait: \u00abSaint Pierre, ne m\u2019oublie pas dans ma peine, mais\nprie ton Dieu pour moi! Rappelle-toi comment, un jour, je te suis venu\nen aide et t\u2019ai excus\u00e9, quand une servante t\u2019accusait!\u00bb Et Pierre lui\ndit: \u00abJe n\u2019ai pas le loisir de m\u2019occuper de toi; mais si tu veux croire\nen J\u00e9sus-Christ et en celle qui l\u2019a enfant\u00e9, j\u2019esp\u00e8re que tu pourras\nrecouvrer la sant\u00e9!\u00bb Et le prince des pr\u00eatres: \u00abJe crois que J\u00e9sus est\nle fils de Dieu et que voici sa sainte m\u00e8re!\u00bb Aussit\u00f4t ses mains se\nd\u00e9tach\u00e8rent du cercueil; mais ses bras restaient dess\u00e9ch\u00e9s et endoloris.\nEt Pierre lui dit: \u00abBaise ce cercueil et dis que tu crois en\nJ\u00e9sus-Christ!\u00bb Ce qu\u2019ayant fait, le pr\u00eatre recouvra aussit\u00f4t la sant\u00e9;\net Pierre lui dit: \u00abPrends cette palme des mains de notre fr\u00e8re Jean, et\npose-la sur les yeux de tes compagnons priv\u00e9s de la vue; et tous ceux\nd\u2019entre eux qui croiront recouvreront la vue; mais ceux qui refuseront\nde croire seront priv\u00e9s de leur vue pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9!\u00bb\nPuis les ap\u00f4tres d\u00e9pos\u00e8rent la Vierge dans le monument qui l\u2019attendait,\net s\u2019assirent \u00e0 l\u2019entour, comme Jean le leur avait ordonn\u00e9. Et, le\ntroisi\u00e8me jour, J\u00e9sus vint avec une troupe d\u2019anges, les salua et leur\ndit: \u00abQue la paix soit avec vous!\u00bb A quoi ils r\u00e9pondirent: \u00abGloire \u00e0\ntoi, Seigneur!\u00bb Et J\u00e9sus leur dit: \u00abQuel honneur pensez-vous que je\ndoive accorder \u00e0 celle qui m\u2019a enfant\u00e9?\u00bb Et eux: \u00abNous croyons,\nSeigneur, que, de m\u00eame que tu r\u00e8gnes dans les si\u00e8cles des si\u00e8cles,\nvainqueur de la mort, de m\u00eame tu ressusciteras le corps de ta m\u00e8re, et\nle placeras \u00e0 ta droite pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9!\u00bb Et aussit\u00f4t apparut l\u2019archange\nMichel, pr\u00e9sentant au Seigneur l\u2019\u00e2me de Marie. Et J\u00e9sus dit: \u00abL\u00e8ve-toi,\nma m\u00e8re, ma colombe, tabernacle de gloire, vase de vie, temple c\u00e9leste,\nafin que, de m\u00eame que tu n\u2019as point senti la souillure du contact\ncharnel, tu n\u2019aies pas non plus \u00e0 souffrir la d\u00e9composition de ton\ncorps!\u00bb Et l\u2019\u00e2me de Marie rentra dans son corps, et la troupe des anges\nl\u2019emporta au ciel. Et comme Thomas, qui n\u2019avait pas assist\u00e9 au miracle\nde l\u2019assomption, refusait d\u2019y croire, voici que la ceinture qui\nentourait le corps de la Vierge tomba du ciel dans ses mains, intacte et\nencore nou\u00e9e, de mani\u00e8re \u00e0 lui faire comprendre que le corps de la\nVierge avait \u00e9t\u00e9 emport\u00e9 tout entier au ciel.\nMais tout ce qu\u2019on vient de lire est absolument apocryphe, comme le dit\nsaint J\u00e9r\u00f4me dans sa lettre \u00e0 Paul et Eustochius. Mais le saint ajoute:\n\u00abIl y a cependant un certain nombre de faits que nous devons croire\nvrais, car d\u2019autres t\u00e9moignages de saints les ont confirm\u00e9s; et ces\nfaits sont, \u00e0 savoir: l\u2019appui divin promis et montr\u00e9 \u00e0 la Vierge, la\nr\u00e9union de tous les ap\u00f4tres, la mort sans douleur, les pr\u00e9paratifs de\nl\u2019ensevelissement dans la vall\u00e9e de Josaphat, la pers\u00e9cution des Juifs,\nla production de miracles, enfin l\u2019assomption simultan\u00e9e de l\u2019\u00e2me et du\ncorps. D\u2019autres d\u00e9tails doivent \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme des symboles, et\nd\u2019autres enfin, tels que l\u2019absence et le doute de Thomas, doivent \u00eatre\nrejet\u00e9s sans h\u00e9sitation.\u00bb\nOn dit encore que les v\u00eatements de la Vierge sont rest\u00e9s dans le\ntombeau, pour la consolation des fid\u00e8les; et c\u2019est de l\u2019un de ces\nv\u00eatements que l\u2019on raconte le miracle suivant. Comme le duc des Normands\nassi\u00e9geait la ville de Chartres, l\u2019\u00e9v\u00eaque de cette ville attacha \u00e0 une\nlance, en mani\u00e8re de drapeau, la tunique de la Vierge, qui \u00e9tait\nconserv\u00e9e dans sa cath\u00e9drale; apr\u00e8s quoi, suivi de tout le peuple, il\nsortit de la ville et marcha vers les ennemis, qui, aussit\u00f4t, aveugl\u00e9s\net comme paralys\u00e9s rest\u00e8rent immobiles. Ce que voyant, les habitants de\nChartres se mirent \u00e0 les massacrer. Mais leur cruaut\u00e9 d\u00e9plut \u00e0 la\nVierge, qui, d\u00e8s cet instant, fit dispara\u00eetre miraculeusement la sainte\ntunique.\nII. Un clerc, qui avait pour la Vierge une d\u00e9votion particuli\u00e8re,\ns\u2019effor\u00e7ait en quelque sorte de la consoler, tous les jours, de la\ndouleur que lui causaient les cinq plaies du Christ. Il lui disait:\n\u00abR\u00e9jouis-toi, m\u00e8re de Dieu, vierge immacul\u00e9e, toi qui as re\u00e7u la joie de\nl\u2019ange, toi qui as enfant\u00e9 l\u2019\u00e9clat de la lumi\u00e8re \u00e9ternelle, r\u00e9jouis-toi,\nseule m\u00e8re vierge, que louent toutes les cr\u00e9atures!\u00bb Or cet homme, \u00e9tant\nmalade, et se voyant pr\u00e8s de mourir, fut pris d\u2019\u00e9pouvante. Sur quoi la\nVierge, lui apparaissant, lui dit: \u00abMon fils, comment peux-tu ainsi\ntrembler de frayeur, toi qui m\u2019as si souvent rappel\u00e9 mes joies?\nR\u00e9jouis-toi plut\u00f4t, toi aussi! Et, pour avoir la joie \u00e9ternelle, viens\navec moi!\u00bb\nIII. Un chevalier riche et puissant avait dissip\u00e9 ses biens avec tant de\nprodigalit\u00e9 qu\u2019il se trouva r\u00e9duit \u00e0 l\u2019indigence. Sa femme, personne des\nplus vertueuses, avait une d\u00e9votion particuli\u00e8re pour la Vierge Marie.\nOr un jour, \u00e0 l\u2019approche d\u2019une f\u00eate o\u00f9, autrefois, il avait l\u2019habitude\nde faire des dons tr\u00e8s abondants, cet homme, honteux de n\u2019avoir plus\nrien \u00e0 donner, s\u2019enfuit dans un endroit d\u00e9sert pour y rester cach\u00e9\npendant le temps de la f\u00eate. Et voil\u00e0 qu\u2019un cheval terrible s\u2019approche\nde lui, mont\u00e9 par un cavalier plus terrible encore. Et ce cavalier, lui\nayant demand\u00e9 la cause de son chagrin, lui promet de le rendre plus\nriche et plus glorieux qu\u2019auparavant, si seulement il consent \u00e0 lui\nob\u00e9ir. Et l\u2019homme s\u2019engage \u00e0 ob\u00e9ir au prince des t\u00e9n\u00e8bres, d\u00e8s que\ncelui-ci aura tenu la promesse qu\u2019il lui fait. Et le cavalier: \u00abRentre\nchez toi, et va voir dans tel et tel lieu de ta maison! Tu y trouveras\nde l\u2019or, de l\u2019argent et des pierres pr\u00e9cieuses! Mais ce n\u2019est qu\u2019\u00e0 la\ncondition que tu t\u2019engages, tel et tel jour, \u00e0 m\u2019amener ici ta femme!\u00bb\nL\u2019homme s\u2019y engage, revient chez lui et y trouve les tr\u00e9sors annonc\u00e9s\npar le diable. De nouveau il ach\u00e8te des palais, distribue des pr\u00e9sents,\nacquiert des esclaves. Puis, \u00e0 l\u2019approche du jour fix\u00e9 par le diable, il\nappelle sa femme et lui dit: \u00abMonte \u00e0 cheval, car nous avons \u00e0 aller\nassez loin d\u2019ici!\u00bb La femme, \u00e9pouvant\u00e9e, mais n\u2019osant point contredire\nson mari, se recommande \u00e0 la Vierge et se met en route. En passant\ndevant une \u00e9glise, elle descend de son cheval, entre dans l\u2019\u00e9glise, et\ndemande \u00e0 son mari de l\u2019attendre un instant. Et l\u00e0, comme de nouveau\nelle invoque la Vierge, celle-ci lui envoie un profond sommeil; apr\u00e8s\nquoi, descendant elle-m\u00eame de l\u2019autel, elle prend la forme et rev\u00eat les\nrobes de la femme, sort de l\u2019\u00e9glise, et monte \u00e0 cheval, de telle sorte\nque l\u2019homme croit que c\u2019est sa femme qui chevauche \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui. Mais\nvoil\u00e0 que, lorsqu\u2019ils arrivent au lieu du rendez-vous, le prince des\nt\u00e9n\u00e8bres, qui accourait vers eux, s\u2019arr\u00eate, se met \u00e0 trembler et dit au\nchevalier: \u00abTra\u00eetre, est-ce ainsi que tu te joues de moi en r\u00e9compense\nde tant de bienfaits? Je t\u2019avais dit de m\u2019amener ta femme, et, au lieu\nd\u2019elle, c\u2019est la Vierge Marie qui vient avec toi! J\u2019esp\u00e9rais tourmenter\nta femme, pour me venger du dommage qu\u2019elle me faisait par sa pi\u00e9t\u00e9, et\nCelle que tu m\u2019am\u00e8nes, c\u2019est elle qui va me tourmenter et me renvoyer en\nenfer!\u00bb L\u2019homme, frapp\u00e9 d\u2019\u00e9tonnement et de terreur, restait interdit. Et\nla Vierge dit au d\u00e9mon: \u00abMaudit, comment as-tu os\u00e9 projeter de nuire \u00e0\nma ch\u00e8re servante? Pour te punir, je t\u2019ordonne de rentrer de suite en\nenfer, et te d\u00e9fends, d\u00e9sormais, de vouloir faire aucun mal \u00e0 toute\npersonne qui m\u2019invoquera!\u00bb Le diable s\u2019enfuit en g\u00e9missant. Le\nchevalier, sautant de son cheval, se prosterna aux pieds de la Vierge\nqui, apr\u00e8s lui avoir reproch\u00e9 son crime, lui ordonna d\u2019aller rejoindre\nsa femme, endormie dans l\u2019\u00e9glise, et puis de rejeter toutes les\nrichesses qui lui venaient du diable. Alors l\u2019homme, rest\u00e9 seul, courut\njusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9glise: il r\u00e9veilla sa femme, et lui raconta ce qui lui \u00e9tait\narriv\u00e9. Apr\u00e8s quoi tous deux, rentr\u00e9s dans leur maison, rejet\u00e8rent\ntoutes les richesses du diable et v\u00e9curent pieusement dans le culte de\nla Vierge Marie, qui ne se fit pas faute, \u00e0 son tour, de les combler de\nrichesses.\nIV. Un homme charg\u00e9 de p\u00e9ch\u00e9s fut ravi en esprit au jugement de Dieu. Il\nvit arriver Satan, qui dit au Seigneur: \u00abIl n\u2019y a, dans cette \u00e2me, rien\nqui t\u2019appartienne! Elle est \u00e0 moi tout enti\u00e8re, et j\u2019en ai une preuve\nirr\u00e9futable!\u00bb Et le Seigneur: \u00abQuelle est cette preuve?\u00bb Et Satan:\n\u00abC\u2019est ta propre parole. Car tu as dit \u00e0 Adam et \u00e0 Eve: \u00abSi vous mangez\nde ce fruit, vous mourrez \u00abaussit\u00f4t!\u00bb Or cet homme est de la race de\nceux qui ont mang\u00e9 du fruit d\u00e9fendu; et, par cons\u00e9quent, il doit \u00eatre\nvou\u00e9 \u00e0 la mort \u00e9ternelle!\u00bb Alors Le Seigneur invita l\u2019homme \u00e0 se\nd\u00e9fendre; mais l\u2019homme ne trouva rien \u00e0 dire. Puis le d\u00e9mon reprit: \u00abEt\ncette \u00e2me me revient encore par prescription, car il y a d\u00e9j\u00e0 trente ans\nqu\u2019elle n\u2019ob\u00e9it qu\u2019\u00e0 moi!\u00bb De nouveau, l\u2019homme ne trouva rien \u00e0\nr\u00e9pondre. Mais le Seigneur, ne voulant pas encore porter la sentence\ncontre lui, lui accorda un d\u00e9lai de huit jours, afin qu\u2019il p\u00fbt se\nrecueillir et pr\u00e9parer sa d\u00e9fense. Et comme le malheureux s\u2019\u00e9loignait,\ntout tremblant et tout d\u00e9sol\u00e9, un inconnu l\u2019aborda et lui demanda la\ncause de sa tristesse. Et, quand il l\u2019e\u00fbt apprise, il lui dit: \u00abSois\nsans crainte, car je te viendrai en aide!\u00bb Le p\u00e9cheur lui demanda son\nnom. Et l\u2019inconnu: \u00abJe m\u2019appelle la V\u00e9rit\u00e9!\u00bb Puis un second inconnu\npromit \u00e9galement son secours au p\u00e9cheur, et lui dit qu\u2019il s\u2019appelait la\nJustice. Et en effet, huit jours apr\u00e8s, comme Satan reproduisait son\npremier argument, la V\u00e9rit\u00e9 lui r\u00e9pondit: \u00abIl y a deux sortes de mort,\nla mort corporelle et la mort \u00e9ternelle. Et la parole que tu cites,\nd\u00e9mon, ne se rapporte qu\u2019\u00e0 la mort corporelle, non \u00e0 la mort \u00e9ternelle.\nCar tous meurent quant au corps, mais tous ne meurent point quant \u00e0 la\nvie \u00e9ternelle.\u00bb Sur quoi Satan, se voyant vaincu, exposa son second\nargument; mais la Justice lui r\u00e9pondit: \u00abEn effet, cet homme t\u2019a\nlongtemps servi, mais jamais sa raison n\u2019a cess\u00e9 de murmurer en lui et\nde le lui reprocher!\u00bb Alors Satan dit: \u00abCette \u00e2me doit me revenir, car,\nsi m\u00eame elle a fait quelque bien, la somme de ses p\u00e9ch\u00e9s est\nincomparablement plus lourde!\u00bb Alors le Seigneur: \u00abQu\u2019on apporte les\nbalances, et qu\u2019on y p\u00e8se le bien et le mal qu\u2019il a faits!\u00bb Mais la\nV\u00e9rit\u00e9 et la Justice dirent au p\u00e9cheur: \u00abDe toute ton \u00e2me, recours \u00e0 la\nM\u00e8re de Mis\u00e9ricorde, qui est assise \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du Seigneur, et efforce-toi\nde te gagner son appui!\u00bb L\u2019homme fit ainsi, et la Vierge Marie, venant \u00e0\nson aide, posa sa main sur le plateau de la balance o\u00f9 se trouvaient les\nquelques bonnes actions du p\u00e9cheur. Et en vain le diable essayait de\nfaire pencher le balance de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9: l\u2019appui de la Vierge pr\u00e9valut,\net le p\u00e9cheur fut remis en libert\u00e9. Apr\u00e8s quoi, s\u2019\u00e9veillant de sa\nvision, il fit p\u00e9nitence et se convertit \u00e0 une meilleure vie.\nV. Dans la ville de Bourges, vers l\u2019an du Seigneur 527, comme les\nchr\u00e9tiens communiaient le jour de P\u00e2ques, un enfant juif se joignit \u00e0\neux et re\u00e7ut la sainte hostie. Rentr\u00e9 chez lui, il rapporta la chose \u00e0\nson p\u00e8re qui, furieux, le jeta dans une fournaise enflamm\u00e9e. Mais\naussit\u00f4t la Vierge, prenant la forme d\u2019une statue que l\u2019enfant avait vue\nsur l\u2019autel, s\u2019approcha de lui et le prot\u00e9gea des flammes. Cependant,\naux cris de la m\u00e8re, une foule de chr\u00e9tiens et de Juifs accoururent qui,\nvoyant que l\u2019enfant restait sain et sauf dans le feu, l\u2019en retir\u00e8rent,\net l\u2019interrog\u00e8rent sur le miracle qui l\u2019avait pr\u00e9serv\u00e9. Et l\u2019enfant\nr\u00e9pondit: \u00abLa belle dame que j\u2019ai vue sur l\u2019autel, c\u2019est elle qui est\nvenue pr\u00e8s de moi, et a emp\u00each\u00e9 les flammes de m\u2019atteindre!\u00bb Alors les\nchr\u00e9tiens saisirent le p\u00e8re de l\u2019enfant et le jet\u00e8rent dans la\nfournaise, o\u00f9 ce vilain homme fut aussit\u00f4t r\u00e9duit en cendres.\nVI. Des moines se promenaient, un matin, au bord d\u2019un fleuve, et se\ndivertissaient \u00e0 toute sorte de bavardages frivoles, lorsqu\u2019ils virent\ntout \u00e0 coup un bateau qui s\u2019approchait avec un grand bruit de rames. Et\nils demand\u00e8rent aux matelots: \u00abQui \u00eates-vous?\u00bb Et eux: \u00abNous sommes des\nd\u00e9mons, et nous conduisons en enfer l\u2019\u00e2me d\u2019Ebro\u00efn, maire au palais du\nroi de France, qui a apostasi\u00e9 du monast\u00e8re de Saint-Gall!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, les moines, \u00e9pouvant\u00e9s, s\u2019\u00e9cri\u00e8rent: \u00abSainte Marie, priez\npour nous! \u00abEt les d\u00e9mons leur dirent: \u00abVous avez \u00e9t\u00e9 bien inspir\u00e9s\nd\u2019invoquer Marie, car vous venions vous chercher pour vous emporter\naussi, afin de vous punir de la fa\u00e7on dont vous bavardez au lieu de\nprier!\u00bb\nVII. Il y avait un moine qui \u00e9tait grand paillard, mais tr\u00e8s d\u00e9vot \u00e0 la\nVierge Marie. Or une nuit, comme il allait \u00e0 son p\u00e9ch\u00e9 accoutum\u00e9 et\nqu\u2019il passait devant l\u2019autel, il r\u00e9cita l\u2019_Ave Maria_. Puis, sortant de\nl\u2019\u00e9glise, il voulut traverser la rivi\u00e8re, tomba dans l\u2019eau et mourut.\nAussit\u00f4t les d\u00e9mons emport\u00e8rent son \u00e2me. Et comme des anges accouraient\npour la d\u00e9livrer, les d\u00e9mons leur dirent: \u00abPourquoi venez-vous? Il n\u2019y a\nrien \u00e0 vous, dans cette \u00e2me!\u00bb Mais ensuite arriva la Vierge Marie, leur\ndemandant de quel droit ils emportaient cette \u00e2me. Et ils r\u00e9pondirent:\n\u00abNous l\u2019avons trouv\u00e9e achevant sa vie dans le p\u00e9ch\u00e9!\u00bb Mais la Vierge:\n\u00abVous mentez, car je sais que cet homme avait coutume de m\u2019adresser une\npri\u00e8re avant de partir, et aussi quand il revenait! Au reste, d\u00e9f\u00e9rons\nla chose \u00e0 la d\u00e9cision du souverain juge!\u00bb Et le Seigneur d\u00e9cida, sur la\ndemande de la Vierge, que l\u2019\u00e2me du moine p\u00fbt rentrer dans son corps pour\nfaire p\u00e9nitence de ses p\u00e9ch\u00e9s. Cependant les autres moines, ne voyant\npoint leur fr\u00e8re aux matines, se mettent \u00e0 le chercher, le retirent du\nfleuve, et s\u2019appr\u00eatent \u00e0 l\u2019ensevelir, quand tout \u00e0 coup il ressuscite,\net leur raconte ce qui lui est arriv\u00e9.\nVIII. Une femme \u00e9tait tourment\u00e9e par un d\u00e9mon qui se montrait \u00e0 elle\nsous forme humaine; et ni l\u2019aspersion d\u2019eau b\u00e9nite, ni aucun autre\nrem\u00e8de ne parvenait \u00e0 la d\u00e9livrer. Alors un saint homme lui conseilla\nque, la prochaine fois que le d\u00e9mon lui appara\u00eetrait, elle \u00e9tend\u00eet les\nmains au ciel et s\u2019\u00e9cri\u00e2t: \u00abSainte Marie, venez \u00e0 mon secours!\u00bb La femme\nfit ainsi; et le diable s\u2019arr\u00eata comme frapp\u00e9 d\u2019une pierre. Puis il dit:\n\u00abQu\u2019un diable encore pire que moi entre dans la bouche de celui qui t\u2019a\nappris cela!\u00bb Puis il disparut, et jamais plus il n\u2019osa l\u2019approcher.\nCXVIII\nSAINT BERNARD, DOCTEUR\n(21 ao\u00fbt)\nBernard naquit en Bourgogne, au ch\u00e2teau de Fontaine, de parents nobles\net pieux. Son p\u00e8re, vaillant homme d\u2019armes, s\u2019appelait C\u00e9lestin, sa m\u00e8re\nse nommait Aleth. Elle eut sept enfants, six fils et une fille, tous\nvou\u00e9s par elle au service de Dieu d\u00e8s avant leur naissance; et elle tint\n\u00e0 les nourrir tous de son propre lait, comme pour leur transmettre, avec\nson lait, une part de ses vertus. Puis, quand ils grandissaient, elle\nles \u00e9levait pour la vie du clo\u00eetre plus que pour celle de la cour, les\naccoutumant \u00e0 une nourriture grossi\u00e8re et commune.\nBernard \u00e9tait son troisi\u00e8me fils. Pendant qu\u2019elle le portait encore dans\nson sein, elle eut un r\u00eave o\u00f9 elle se vit donnant le jour \u00e0 un petit\nchien tout blanc, et qui aboyait d\u2019une voix vigoureuse. Elle raconta\nensuite son r\u00eave \u00e0 un homme de Dieu, qui, inspir\u00e9 d\u2019en haut, lui dit:\n\u00abTu seras m\u00e8re d\u2019un petit chien excellent qui, gardien de la maison de\nDieu, aboiera vigoureusement contre ses ennemis!\u00bb\nEnfant, Bernard souffrait de cruels maux de t\u00eate. Un jour une jeune\nfemme vint aupr\u00e8s de lui, pour adoucir sa souffrance par des chants;\nmais l\u2019enfant, indign\u00e9, la chassa de sa chambre. Et Dieu le r\u00e9compensa\nde son z\u00e8le, car, aussit\u00f4t apr\u00e8s, il se leva de son lit et fut gu\u00e9ri. La\nnuit de No\u00ebl, comme le petit Bernard, attendant l\u2019office du matin dans\nl\u2019\u00e9glise, se demandait \u00e0 quelle heure de la nuit le Christ \u00e9tait n\u00e9,\nl\u2019enfant J\u00e9sus lui apparut tel qu\u2019il \u00e9tait sorti du sein de sa m\u00e8re.\nAussi, toute sa vie, crut-il que c\u2019\u00e9tait \u00e0 cette heure-l\u00e0 qu\u2019\u00e9tait n\u00e9 le\nSeigneur. Et, depuis lors, il acquit une comp\u00e9tence sp\u00e9ciale dans tout\nce qui touchait \u00e0 la Nativit\u00e9 du Christ, ce qui lui permit de parler\nmieux que personne de la Vierge et de l\u2019Enfant, et d\u2019expliquer le r\u00e9cit\n\u00e9vang\u00e9lique relatif \u00e0 l\u2019Annonciation.\nOr le vieil ennemi de l\u2019homme, voyant le petit Bernard en des\ndispositions si saines, s\u2019effor\u00e7a de tendre des pi\u00e8ges \u00e0 sa chastet\u00e9.\nMais comme, un jour, \u00e0 l\u2019instigation du diable, l\u2019enfant avait tenu\nlongtemps les yeux fix\u00e9s sur une femme, soudain il rougit de lui-m\u00eame,\net, pour se punir, il entra dans l\u2019eau glac\u00e9e d\u2019un \u00e9tang, d\u2019o\u00f9 il ne\nsortit que transi jusqu\u2019aux os. Une autre fois, une jeune fille nue\np\u00e9n\u00e9tra dans son lit pendant qu\u2019il dormait. Bernard, d\u00e8s qu\u2019il\nl\u2019aper\u00e7ut, lui c\u00e9da en silence la part du lit qu\u2019il occupait; apr\u00e8s\nquoi, s\u2019\u00e9tant retourn\u00e9 de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, il s\u2019endormit. Et la\nmalheureuse, apr\u00e8s l\u2019avoir longtemps touch\u00e9 et caress\u00e9, fut prise de\nhonte malgr\u00e9 son impudeur, de telle sorte qu\u2019elle se releva et s\u2019enfuit,\npleine \u00e0 la fois d\u2019horreur pour elle-m\u00eame et d\u2019admiration pour le saint\njeune homme. Une autre fois, comme Bernard avait re\u00e7u l\u2019hospitalit\u00e9 dans\nla maison d\u2019une dame, celle-ci, en voyant sa beaut\u00e9, fut saisie d\u2019un vif\nd\u00e9sir de s\u2019accoupler \u00e0 lui. Elle se leva de son lit, et alla s\u2019\u00e9tendre\ndans le lit de son h\u00f4te. Mais celui-ci, d\u00e8s qu\u2019il sentit quelqu\u2019un pr\u00e8s\nde lui, se mit \u00e0 crier: \u00abAu voleur! Au voleur!\u00bb Aussit\u00f4t la femme\ns\u2019enfuit, toute la maison fut sur pied, on alluma des lanternes, on\nchercha le voleur. Puis, comme on ne trouvait personne, chacun retourna\ndans son lit et se rendormit, \u00e0 l\u2019exception de la dame, qui, ne pouvant\ndormir, de nouveau se leva et entra dans le lit de Bernard. Et, de\nnouveau, le jeune homme se mit \u00e0 crier: \u00abAu voleur!\u00bb Nouvelle alerte,\nnouvelles investigations. Et, une troisi\u00e8me fois encore, la dame se vit\nrepouss\u00e9e de la m\u00eame fa\u00e7on, si bien qu\u2019elle finit par renoncer \u00e0 son\nmauvais dessein, soit par crainte ou par d\u00e9couragement. Or le lendemain,\nen route, les compagnons de Bernard lui demand\u00e8rent pourquoi il avait\ntant de fois r\u00eav\u00e9 de voleurs. Et il leur dit: \u00abJ\u2019ai eu, en effet, cette\nnuit, \u00e0 repousser les assauts d\u2019un voleur: car mon h\u00f4tesse a essay\u00e9 de\nm\u2019enlever un tr\u00e9sor que je n\u2019aurais plus jamais recouvr\u00e9 si je l\u2019avais\nperdu!\u00bb\nTout cela persuada \u00e0 Bernard que c\u2019\u00e9tait chose peu s\u00fbre de cohabiter\navec le serpent. Il projeta donc de s\u2019enfuir du monde, et d\u2019entrer dans\nl\u2019ordre de C\u00eeteaux. Ce qu\u2019apprenant, ses fr\u00e8res voulurent d\u2019abord, par\ntous les moyens, le d\u00e9tourner de son projet. Mais Dieu lui accorda tant\nde faveurs que non seulement lui-m\u00eame ne fut point d\u00e9tourn\u00e9 de son\nprojet: il convertit encore \u00e0 son projet tous ses fr\u00e8res et bon nombre\nd\u2019amis. Un de ses fr\u00e8res nomm\u00e9 G\u00e9rard, qui \u00e9tait dans l\u2019arm\u00e9e, estimait\nparticuli\u00e8rement folle l\u2019intention de Bernard. Alors celui-ci, d\u00e9j\u00e0 tout\nenflamm\u00e9 de foi, et excit\u00e9 en outre par son amour fraternel, dit \u00e0\nG\u00e9rard: \u00abJe sais, je sais, mon fr\u00e8re, seule la souffrance t\u2019am\u00e8nera \u00e0\nm\u2019entendre!\u00bb Puis, lui mettant un doigt sur l\u2019a\u00eene: \u00abH\u00e9las, le jour est\nprochain o\u00f9 une lance percera ce flanc et ouvrira la voie, dans ton\nc\u0153ur, au projet que maintenant tu d\u00e9sapprouves chez moi!\u00bb Et en effet,\npeu de jours apr\u00e8s, G\u00e9rard fut bless\u00e9 d\u2019un coup de lance \u00e0 l\u2019endroit que\nBernard lui avait d\u00e9sign\u00e9; apr\u00e8s quoi, il fut pris par l\u2019ennemi et jet\u00e9\nen prison. L\u00e0, Bernard vint le trouver, et lui dit: \u00abJe sais, mon fr\u00e8re\nG\u00e9rard, que bient\u00f4t nous partirons d\u2019ici pour entrer dans un monast\u00e8re!\u00bb\nEt, la m\u00eame nuit, les cha\u00eenes du prisonnier tomb\u00e8rent, la porte de la\nprison s\u2019ouvrit; et G\u00e9rard dit \u00e0 son fr\u00e8re qu\u2019il avait chang\u00e9 d\u2019avis et\nvoulait se faire moine.\nL\u2019an du Seigneur 1112, la quinzi\u00e8me ann\u00e9e de l\u2019institution du couvent de\nC\u00eeteaux, Bernard entra dans ce couvent avec plus de trente compagnons.\nIl \u00e9tait alors \u00e2g\u00e9 d\u2019environ vingt-deux ans.\nAu moment o\u00f9 Bernard quittait la maison paternelle avec ses fr\u00e8res,\nGuido, qui \u00e9tait l\u2019a\u00een\u00e9, aper\u00e7ut le petit Nivard, le plus jeune de ses\nfr\u00e8res, qui jouait sur la place avec d\u2019autres enfants. \u00abH\u00e9--lui\ndit-il--mon fr\u00e8re Nivard, c\u2019est sur toi seul que va reposer\nl\u2019administration de nos biens terrestres!\u00bb Mais l\u2019enfant, m\u00fbri par la\nfoi, r\u00e9pondit: \u00abVous voulez donc avoir pour vous le ciel et me laisser\nla terre? Ce n\u2019est point l\u00e0 un partage \u00e9quitable!\u00bb Il resta quelque\ntemps encore aupr\u00e8s de son p\u00e8re, et alla, lui aussi, se faire moine, d\u00e8s\nqu\u2019il fut en \u00e2ge.\nQuant \u00e0 Bernard, aussit\u00f4t qu\u2019il fut entr\u00e9 en religion, tout son esprit\nfut si profond\u00e9ment occup\u00e9 et absorb\u00e9 par Dieu que la vie sensible cessa\nd\u2019exister pour lui. Habitant depuis plus d\u2019un an d\u00e9j\u00e0 la cellule des\nnovices, il ne savait pas encore de quelle forme en \u00e9tait la vo\u00fbte.\nPassant la plupart de son temps dans la chapelle, il \u00e9tait persuad\u00e9 que\nle mur pr\u00e8s duquel il se tenait n\u2019avait qu\u2019une seule fen\u00eatre, tandis\nqu\u2019en r\u00e9alit\u00e9 il en avait trois.\nL\u2019abb\u00e9 de C\u00eeteaux envoya des fr\u00e8res pour construire une maison \u00e0\nClairvaux, et d\u00e9signa Bernard pour \u00eatre leur abb\u00e9. Bernard v\u00e9cut l\u00e0 dans\nune extr\u00eame pauvret\u00e9, ne mangeant souvent qu\u2019une sorte de soupe faite\navec des feuilles de h\u00eatre. Il veillait la nuit, au del\u00e0 des forces\nhumaines, tenant le sommeil pour l\u2019\u00e9quivalent de la mort, et ne\nregrettant rien davantage que les quelques instants perdus \u00e0 dormir. Il\nne trouvait aucun plaisir, non plus, dans la nourriture, et ne mangeait\nque par force, ayant m\u00eame perdu la facult\u00e9 de discerner la saveur des\nmets. C\u2019est ainsi qu\u2019un jour il but de l\u2019huile en guise d\u2019eau, et ne\ns\u2019en aper\u00e7ut que lorsque des fr\u00e8res lui firent observer que ses l\u00e8vres\nn\u2019\u00e9taient pas mouill\u00e9es. Une autre fois, et pendant plusieurs jours de\nsuite, il mangea du sang caill\u00e9 en croyant manger du beurre. L\u2019eau seule\nlui plaisait, en lui rafra\u00eechissant la bouche et la gorge.\nTout ce qu\u2019il savait sur les saints myst\u00e8res, il disait qu\u2019il l\u2019avait\nappris en m\u00e9ditant dans les bois. Et il aimait \u00e0 dire \u00e0 ses amis que ses\nseuls professeurs avaient \u00e9t\u00e9 les ch\u00eanes et les h\u00eatres. Un jour,--comme\nil le raconte lui-m\u00eame dans ses \u00e9crits,--il essayait de graver d\u2019avance,\ndans son esprit, les paroles qu\u2019il dirait \u00e0 ses fr\u00e8res; mais voici\nqu\u2019une voix lui dit: \u00abAussi longtemps que tu garderas en toi cette\nid\u00e9e-l\u00e0, tu n\u2019en auras point d\u2019autres!\u00bb Dans ses v\u00eatements, il aimait la\npauvret\u00e9, mais non la malpropret\u00e9, disant de celle-ci qu\u2019elle \u00e9tait\nsigne ou de n\u00e9gligence, ou de vanit\u00e9 int\u00e9rieure, ou de recherche de la\ngloire ext\u00e9rieure. Il avait toujours pr\u00e9sent \u00e0 l\u2019esprit ce proverbe,\nqu\u2019il r\u00e9p\u00e9tait volontiers: \u00abCelui qui fait ce que personne ne fait, tout\nle monde le remarque!\u00bb Aussi ne porta-t-il un cilice que tant qu\u2019il put\nle faire secr\u00e8tement; mais, d\u00e8s qu\u2019il vit que la chose \u00e9tait connue, il\nrejeta son cilice pour faire comme tout le monde.\nIl ne cessait point de montrer, par son exemple, qu\u2019il poss\u00e9dait les\ntrois genres de patience, qui consistaient, suivant lui, \u00e0 supporter les\ninjures, la perte des biens et la peine corporelle. Un \u00e9v\u00eaque, qu\u2019il\navait amicalement admonest\u00e9 dans une lettre, lui r\u00e9pondit, avec une\namertume insens\u00e9e, par une lettre qui commen\u00e7ait ainsi: \u00abSalut \u00e0 toi, et\nnon pas blasph\u00e8me!\u00bb--comme s\u2019il donnait \u00e0 entendre que la lettre de\nBernard avait contenu des blasph\u00e8mes. Mais Bernard se borna \u00e0 r\u00e9pondre\nqu\u2019il ne croyait pas avoir en lui l\u2019esprit de blasph\u00e8me, et que jamais\nil n\u2019avait maudit personne, ni surtout un prince de l\u2019Eglise. Une autre\nfois, un abb\u00e9 lui envoya six cents marcs pour la construction d\u2019un\nmonast\u00e8re; mais toute la somme fut prise, en route, par des voleurs. Ce\nqu\u2019apprenant, il se borna \u00e0 dire: \u00abB\u00e9ni soit Dieu, qui nous a all\u00e9g\u00e9s de\nce fardeau!\u00bb Enfin, une autre fois, un chanoine r\u00e9gulier vint le trouver\net lui demanda instamment \u00e0 \u00eatre admis dans son monast\u00e8re. Et comme\nBernard l\u2019engageait \u00e0 retourner plut\u00f4t dans son \u00e9glise, le chanoine lui\ndit: \u00abPourquoi recommandes-tu la perfection dans tes livres, si tu ne\nconsens pas \u00e0 en laisser approcher ceux qui le d\u00e9sirent? Je voudrais\navoir ici tes livres pour les d\u00e9truire ligne \u00e0 ligne!\u00bb Et Bernard: \u00abDans\naucun de mes livres tu n\u2019as lu que tu ne pouvais pas parvenir \u00e0 la\nperfection en restant dans ton \u00e9glise. Ce que j\u2019ai recommand\u00e9 dans tous\nmes livres, c\u2019est l\u2019am\u00e9lioration des m\u0153urs, et non le changement de\nlieu!\u00bb Sur quoi le chanoine, affol\u00e9 de rage, le frappa si durement sur\nla joue que la rougeur succ\u00e9da au coup, et l\u2019enflure \u00e0 la rougeur. Et\nd\u00e9j\u00e0 les assistants allaient se jeter sur le sacril\u00e8ge, lorsque Bernard\nles supplia, au nom du Christ, de ne lui faire aucun mal.\nSon p\u00e8re, qui \u00e9tait rest\u00e9 seul dans sa maison, finit par se retirer, lui\naussi, dans un monast\u00e8re, o\u00f9 il mourut peu de temps apr\u00e8s, charg\u00e9\nd\u2019ann\u00e9es. Sa s\u0153ur, mari\u00e9e, \u00e9tait en danger de succomber aux richesses et\naux plaisirs de ce monde, lorsque, \u00e9tant venue voir ses fr\u00e8res, mais y\n\u00e9tant venue avec une escorte et en grand apparat, Bernard eut\nl\u2019impression que c\u2019\u00e9tait le diable qui l\u2019envoyait pour corrompre les\n\u00e2mes; et il ne voulut ni aller lui-m\u00eame au-devant d\u2019elle, ni permettre \u00e0\nses fr\u00e8res d\u2019y aller. Alors, voyant que pas un de ses fr\u00e8res ne voulait\nla reconna\u00eetre, \u00e0 l\u2019exception d\u2019un seul d\u2019entre eux, qui \u00e9tait alors\nportier, et qui la traitait de \u00abfumier en robes\u00bb, la s\u0153ur fondit en\nlarmes et s\u2019\u00e9cria: \u00abSi m\u00eame je suis une p\u00e9cheresse, c\u2019est pour des\ncr\u00e9atures comme moi que le Christ est mort! Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce\nque je me sens p\u00e9cheresse que j\u2019ai besoin des conseils et de l\u2019entretien\ndes gens de bien. Si mon fr\u00e8re d\u00e9daigne ma personne corporelle, que du\nmoins le serviteur de Dieu prenne consid\u00e9ration de mon \u00e2me! qu\u2019il\nvienne, qu\u2019il me donne des ordres! et je suis pr\u00eate \u00e0 accomplir tout ce\nqu\u2019il m\u2019ordonnera!\u00bb Alors Bernard, entendant cette promesse, vint\nau-devant d\u2019elle avec ses fr\u00e8res. Et, comme il ne pouvait songer \u00e0 la\ns\u00e9parer de son mari, il lui interdit, en premier lieu, tous les plaisirs\nmondains, et lui recommanda de suivre l\u2019exemple de leur m\u00e8re. Et la\ns\u0153ur, de retour chez elle, changea si compl\u00e8tement que, vivant parmi le\nsi\u00e8cle, elle menait la vie d\u2019une nonne dans un clo\u00eetre. Elle finit m\u00eame,\n\u00e0 force de pri\u00e8res, par obtenir de son mari qu\u2019il consent\u00eet \u00e0 la rupture\ndu lien conjugal, et lui perm\u00eet d\u2019entrer dans un couvent.\nUn jour, Bernard, malade et presque \u00e0 bout de forces, fut emport\u00e9 en\nesprit devant le tribunal de Dieu. Et Satan y vint, de son c\u00f4t\u00e9, la\nbouche remplie d\u2019accusations injustes contre lui. Et, quand l\u2019adversaire\neut fini de parler, Bernard, confus et troubl\u00e9, se borna \u00e0 r\u00e9pondre: \u00abJe\nl\u2019avoue, je ne suis point digne d\u2019obtenir le ciel par mes propres\nm\u00e9rites. Mais comme mon ma\u00eetre J\u00e9sus a obtenu le ciel par deux m\u00e9rites,\n\u00e0 savoir l\u2019h\u00e9ritage de son p\u00e8re et les souffrances de sa passion, j\u2019ai\nl\u2019espoir que, se contentant d\u2019un seul de ces m\u00e9rites, il voudra bien me\nfaire don de l\u2019autre!\u00bb Ce qu\u2019entendant, l\u2019ennemi s\u2019en alla tout honteux,\net Bernard s\u2019\u00e9veilla de sa vision.\nPar l\u2019exc\u00e8s de son abstinence, de son travail, et de ses veilles, il\navait fatigu\u00e9 son corps au point d\u2019\u00eatre presque toujours malade, et\nd\u2019avoir peine \u00e0 suivre les offices du couvent. Un jour qu\u2019il se sentait\nen fort mauvais \u00e9tat, les pri\u00e8res des fr\u00e8res eurent pour effet de lui\nrendre un peu de sant\u00e9. Sur quoi, les r\u00e9unissant tous autour de lui, il\nleur dit: \u00abPourquoi retenez-vous le pauvre homme que je suis? Vous \u00eates\nsi forts que vous l\u2019emportez sur moi, l\u00e0-haut: mais, de gr\u00e2ce,\naccordez-moi de m\u2019en aller de ce monde!\u00bb\nPlusieurs villes l\u2019\u00e9lurent pour \u00e9v\u00eaque, entre autres G\u00eanes et Milan. Et\nil n\u2019osait ni accepter ni refuser, disant seulement qu\u2019il ne\ns\u2019appartenait point, mais \u00e9tait d\u00e9l\u00e9gu\u00e9 pour le service d\u2019autrui. Et,\nd\u2019autre part, sur son conseil, ses fr\u00e8res avaient obtenu du Souverain\nPontife la promesse que personne ne pourrait leur enlever celui qui\n\u00e9tait leur joie et leur r\u00e9confort.\nUn jour que Bernard \u00e9tait all\u00e9 chez les Chartreux et les avait \u00e9difi\u00e9s\npar sa vertu, le prieur des Chartreux fut cependant frapp\u00e9 de voir que\nla selle de son cheval \u00e9tait d\u2019une \u00e9l\u00e9gance inaccoutum\u00e9e, ce qui\nsemblait d\u00e9noter un certain go\u00fbt de luxe. Mais quand on rapporta \u00e0\nBernard l\u2019observation du prieur, il demanda avec surprise quelle \u00e9tait\ncette selle: car il \u00e9tait venu de Clairvaux jusqu\u2019\u00e0 la Chartreuse sans\nm\u00eame voir sur quel si\u00e8ge il \u00e9tait assis. Une autre fois, comme il avait\nmarch\u00e9 toute la journ\u00e9e le long du lac de Lausanne, ses compagnons lui\ndemand\u00e8rent, le soir, ce qu\u2019il en pensait; et il leur r\u00e9pondit\ning\u00e9nument qu\u2019il ne savait pas m\u00eame o\u00f9 \u00e9tait ce lac. Toujours on le\ntrouvait en pri\u00e8re, ou en m\u00e9ditation, ou occup\u00e9 \u00e0 lire ou \u00e0 \u00e9crire, ou \u00e0\ns\u2019entretenir avec ses Fr\u00e8res. Un jour, comme il pr\u00eachait devant le\npeuple, et que tous buvaient ses paroles, l\u2019id\u00e9e lui vint soudain de se\ndire: \u00abTu pr\u00eaches vraiment tr\u00e8s bien, et on a plaisir \u00e0 t\u2019entendre!\u00bb\nAlors, devinant la tentation qui se cachait sous cette id\u00e9e, il se\ndemanda s\u2019il ne ferait pas bien de cesser de parler. Mais aussit\u00f4t,\nr\u00e9confort\u00e9 du secours divin, il r\u00e9pondit tout bas au tentateur: \u00abCe\nn\u2019est pas toi qui m\u2019as fait commencer de parler, ce n\u2019est pas toi qui\nm\u2019emp\u00eacheras d\u2019achever!\u00bb Apr\u00e8s quoi il acheva tranquillement sa\npr\u00e9dication.\nUn moine qui, dans le si\u00e8cle, avait \u00e9t\u00e9 un ribaud et un joueur, fut\ntent\u00e9 par le malin esprit et voulut rentrer dans le si\u00e8cle. Bernard, le\nvoyant bien d\u00e9cid\u00e9, lui demanda de quoi il vivrait. Et le moine: \u00abJe\nsais jouer aux d\u00e9s, et de cela je vivrai!\u00bb Et Bernard: \u00abSi je te confie\nun capital, me promets-tu de revenir tous les ans partager tes gains\navec moi?\u00bb Le moine, tout joyeux, le lui promit volontiers. Donc Bernard\nlui fit donner vingt sols et le laissa partir. Or le moine, d\u00e8s qu\u2019il se\ntrouva libre, perdit toute la somme, et revint, plein de honte, \u00e0 la\nporte du couvent. Aussit\u00f4t Bernard s\u2019avan\u00e7a vers lui en tendant la main,\ncomme pour recevoir la moiti\u00e9 de son gain. Et lui: \u00abH\u00e9las, mon p\u00e8re, je\nn\u2019ai rien gagn\u00e9, et j\u2019ai m\u00eame \u00e9t\u00e9 d\u00e9pouill\u00e9 de notre capital! Je ne puis\nque m\u2019offrir moi-m\u00eame en \u00e9change de la somme perdue!\u00bb Et Bernard lui\nr\u00e9pondit avec bont\u00e9: \u00abSi c\u2019est ainsi, mieux vaut que je reprenne ce\ncapital-l\u00e0, plut\u00f4t que de les perdre tous deux!\u00bb\nUn jour Bernard, chevauchant en compagnie d\u2019un paysan, lui parla, par\nhasard, de la difficult\u00e9 qu\u2019il avait \u00e0 prier avec attention. Sur quoi le\nrustre, d\u2019un ton m\u00e9prisant, r\u00e9pondit que, quant \u00e0 lui, jamais il ne se\nlaissait distraire pendant qu\u2019il priait. Alors Bernard lui dit:\n\u00abS\u00e9parons-nous un moment, et commence, avec toute l\u2019attention possible,\nl\u2019oraison dominicale! Que si tu parviens \u00e0 la r\u00e9citer tout enti\u00e8re sans\nune seule distraction de pens\u00e9e, je te donnerai la jument que je monte.\nMais j\u2019ai assez de confiance en ta loyaut\u00e9 pour \u00eatre s\u00fbr que, si quelque\ndistraction te vient, tu me l\u2019avoueras!\u00bb Aussit\u00f4t le paysan, tout\njoyeux, et consid\u00e9rant d\u00e9j\u00e0 la jument comme acquise, se mit \u00e0 l\u2019\u00e9cart,\nse recueillit, et commen\u00e7a son _Pater_. Mais \u00e0 peine \u00e9tait-il arriv\u00e9 \u00e0\nla moiti\u00e9, que, tout \u00e0 coup, il se demanda si la selle de Bernard serait\n\u00e0 lui avec la jument. Et aussit\u00f4t il se rendit compte de sa distraction,\net vint l\u2019avouer \u00e0 Bernard.\nUne autre fois, une \u00e9norme quantit\u00e9 de mouches ayant envahi le monast\u00e8re\nconstruit par Bernard, et y causant une grande vexation, le saint dit en\nriant: \u00abJe les excommunie!\u00bb Et, le lendemain, toutes les mouches avaient\ndisparu.\nIl avait \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 par le Souverain Pontife \u00e0 Milan, pour r\u00e9concilier\ncette ville avec l\u2019Eglise. Sur son retour, il s\u2019arr\u00eata \u00e0 Pavie, o\u00f9 un\nmari lui amena sa femme, qui \u00e9tait poss\u00e9d\u00e9e du d\u00e9mon. Bernard la renvoya\n\u00e0 l\u2019\u00e9glise de saint Cyr; mais celui-ci, pour honorer son h\u00f4te, la lui\nrenvoya. Et le diable, par la bouche de la poss\u00e9d\u00e9e, ricanait, en\ndisant: \u00abCe n\u2019est point le petit Cyr, ni le petit Bernard qui seront de\ntaille \u00e0 me faire sortir!\u00bb A quoi Bernard r\u00e9pondit: \u00abCe ne sera point\nCyr ni Bernard qui te chassera, mais le Seigneur J\u00e9sus!\u00bb Puis il pria\nJ\u00e9sus, et l\u2019esprit immonde s\u2019\u00e9cria: \u00abComme je voudrais sortir de cette\nfemme; mais je ne le puis, car le grand ma\u00eetre m\u2019en emp\u00eache!\u00bb Et\nBernard: \u00abQui est le grand ma\u00eetre?\u00bb Et le diable: \u00abJ\u00e9sus de Nazareth!\u00bb\nEt Bernard: \u00abL\u2019as-tu jamais vu?\u00bb Et le diable: \u00abOui!\u00bb Et Bernard: \u00abO\u00f9\nl\u2019as-tu vu?\u00bb Et le diable: \u00abDans le ciel!\u00bb Et Bernard: \u00abAs-tu donc \u00e9t\u00e9\ndans le ciel?\u00bb Et le diable: \u00abOui!\u00bb Et Bernard: \u00abComment en es-tu\nsorti?\u00bb Et le diable: \u00abJ\u2019en ai \u00e9t\u00e9 pr\u00e9cipit\u00e9 avec Lucifer!\u00bb Il disait\ntout cela d\u2019une voix lugubre, parlant toujours par la bouche de la\nfemme, en pr\u00e9sence de tous. Et Bernard lui dit: \u00abAimerais-tu retourner\nau ciel?\u00bb Et le diable, avec un g\u00e9missement piteux: \u00abH\u00e9las! il est trop\ntard!\u00bb Puis, sur l\u2019ordre de Bernard, il sortit de la femme; mais \u00e0 peine\nle saint s\u2019\u00e9tait-il remis en route, que le mari, accourant derri\u00e8re lui,\nlui apprit que le maudit avait de nouveau pris possession de sa femme.\nAlors Bernard lui conseilla d\u2019attacher au cou de sa femme un papier\ncontenant ces mots: \u00abAu nom de Notre-Seigneur J\u00e9sus-Christ, je te\nd\u00e9fends, d\u00e9mon, de toucher d\u00e9sormais \u00e0 cette femme!\u00bb Ainsi fut fait, et\nforce fut au diable de respecter la d\u00e9fense.\nIl y avait en Aquitaine une pauvre femme que tourmentait, depuis six\nans, un incube luxurieux. Lorsque Bernard arriva dans l\u2019endroit o\u00f9\nvivait cette femme, l\u2019incube d\u00e9fendit \u00e0 sa victime de s\u2019approcher du\nsaint, la mena\u00e7ant, si elle le faisait, de n\u2019\u00eatre plus d\u00e9sormais son\namant, mais son pers\u00e9cuteur. La femme, cependant, vint trouver Bernard,\net lui raconta en g\u00e9missant le mal dont elle souffrait. Et Bernard:\n\u00abPrends mon b\u00e2ton et mets-le dans ton lit, et nous verrons ensuite ce\nque l\u2019ennemi osera faire!\u00bb La nuit, d\u00e8s que la femme fut dans son lit,\nl\u2019incube accourut; mais non seulement il ne put se livrer \u00e0 sa maudite\nt\u00e2che de toutes les nuits: il ne put m\u00eame pas s\u2019approcher du lit. Il\ns\u2019en alla, furieux, avec des menaces terribles. Ce qu\u2019apprenant, Bernard\nr\u00e9unit tous les habitants de la ville, leur fit tenir en main des\ncierges allum\u00e9s; et tous, d\u2019une m\u00eame voix, excommuni\u00e8rent le diable, lui\nd\u00e9fendant d\u00e9sormais l\u2019acc\u00e8s de la ville. Depuis lors, la femme se trouva\nd\u00e9livr\u00e9e.\nBernard \u00e9tait venu en Aquitaine pour r\u00e9concilier avec l\u2019Eglise le duc de\ncette province. Et comme celui-ci se refusait \u00e0 toute r\u00e9conciliation,\nBernard alla vers l\u2019autel, consacra l\u2019hostie, la posa sur une pat\u00e8ne, et\nsortit avec elle de l\u2019\u00e9glise. Alors, abordant d\u2019une voix terrible le duc\nd\u2019Aquitaine, qui, en qualit\u00e9 d\u2019excommuni\u00e9, se tenait en dehors de\nl\u2019\u00e9glise sans oser entrer, il lui dit: \u00abNous t\u2019avons pri\u00e9, et tu as\nd\u00e9daign\u00e9 notre pri\u00e8re! Voici que vient vers toi le fils de la Vierge, le\nma\u00eetre supr\u00eame de l\u2019Eglise que tu pers\u00e9cutes! Voici que vient vers toi\nton juge, entre les mains duquel sera remise ton \u00e2me! Oseras-tu le\nd\u00e9daigner aussi, comme ses serviteurs?\u00bb Aussit\u00f4t le duc sentit tous ses\nmembres fl\u00e9chir, et se prosterna aux pieds de Bernard. Et celui-ci, le\ntouchant de la sandale, lui ordonna de se lever, pour entendre la\nsentence de Dieu. Le duc se releva, tout tremblant, et ex\u00e9cuta aussit\u00f4t\ntout ce que lui ordonna saint Bernard.\nCelui-ci se rendit \u00e9galement en Allemagne pour apaiser une grande\ndiscorde. Et l\u2019archev\u00eaque de Mayence envoya au-devant de lui un\nv\u00e9n\u00e9rable clerc, qui lui dit qu\u2019il venait de la part de son ma\u00eetre. Mais\nBernard lui r\u00e9pondit: \u00abNon, c\u2019est un autre ma\u00eetre qui t\u2019a envoy\u00e9!\u00bb\nEtonn\u00e9, le clerc r\u00e9pondit qu\u2019il venait de la part de l\u2019archev\u00eaque. Mais\nBernard lui r\u00e9p\u00e9tait toujours: \u00abTu te trompes, mon fils, tu te trompes!\nC\u2019est un ma\u00eetre plus puissant qui t\u2019a envoy\u00e9, car c\u2019est le Christ\nlui-m\u00eame!\u00bb Alors le clerc, comprenant le sens de ses paroles, lui dit:\n\u00abTu crois donc que je veux devenir moine? je n\u2019en ai jamais eu la pens\u00e9e\nun seul instant!\u00bb Et cela n\u2019emp\u00eacha point ce clerc, avant m\u00eame d\u2019\u00eatre\nrentr\u00e9 \u00e0 Mayence, de dire adieu au si\u00e8cle pour devenir moine.\nUn noble soldat, qui s\u2019\u00e9tait fait moine, \u00e9tait tourment\u00e9 d\u2019une tentation\ncruelle. Un de ses fr\u00e8res, le voyant toujours triste, lui en demanda le\nmotif. Et le moine r\u00e9pondit: \u00abJe me d\u00e9sole de penser qu\u2019il n\u2019y aura plus\npour moi de joie en ce monde!\u00bb Le mot fut rapport\u00e9 \u00e0 Bernard, qui, \u00e9mu\nde piti\u00e9, pria pour le malheureux fr\u00e8re. Et aussit\u00f4t celui-ci devint\naussi gai et aussi joyeux qu\u2019il avait \u00e9t\u00e9 triste jusque-l\u00e0.\nLorsque mourut saint Malachie, \u00e9v\u00eaque d\u2019Irlande, qui \u00e9tait venu achever\nsa vie dans le monast\u00e8re de saint Bernard, celui-ci c\u00e9l\u00e9bra la messe en\nson honneur. Et Dieu, soudain, lui fit conna\u00eetre la gloire du d\u00e9funt, de\ntelle sorte que, apr\u00e8s la communion, changeant la forme de sa pri\u00e8re, il\ns\u2019\u00e9cria joyeusement: \u00abDieu, qui as daign\u00e9 admettre le bienheureux\nMalachie au nombre de tes saints, permets, nous t\u2019en prions, que, de\nm\u00eame que nous c\u00e9l\u00e9brons la f\u00eate de sa mort, nous imitions aussi\nl\u2019exemple de sa vie!\u00bb Le diacre fit signe \u00e0 Bernard qu\u2019il se trompait\ndans sa pri\u00e8re. Mais Bernard: \u00abPas du tout! Je sais ce que je dis!\u00bb\nApr\u00e8s quoi il alla baiser les restes du saint.\nA l\u2019approche du car\u00eame, Bernard demanda aux \u00e9tudiants de vouloir bien\ns\u2019abstenir, au moins pendant les saints jours, de leurs amusements et de\nleurs d\u00e9bauches. Mais, comme ils s\u2019y refusaient, il leur fit verser du\nvin, en disant: \u00abBuvez donc de ce vin des \u00e2mes!\u00bb Et \u00e0 peine l\u2019eurent-ils\nbu qu\u2019ils furent tout chang\u00e9s. Et eux, qui n\u2019avaient pas voulu accorder\n\u00e0 Dieu quelques journ\u00e9es, ils lui accord\u00e8rent tout le temps de leur vie.\nEnfin saint Bernard, sentant la mort approcher, dit \u00e0 ses fr\u00e8res: \u00abJe\nvous laisse en h\u00e9ritage l\u2019exemple de trois vertus que je me suis efforc\u00e9\ntoute ma vie de pratiquer. J\u2019ai toujours \u00e9vit\u00e9 de scandaliser personne;\nj\u2019ai toujours eu moins de confiance en moi-m\u00eame que dans les autres, et\njamais je n\u2019ai tir\u00e9 vengeance de mes pers\u00e9cuteurs.\u00bb Puis il s\u2019endormit\nau milieu de ses fils, en l\u2019an 1143, dans la soixante-troisi\u00e8me ann\u00e9e de\nson \u00e2ge, apr\u00e8s avoir fond\u00e9 cent soixante monast\u00e8res, accompli de\nnombreux miracles et \u00e9crit une foule de livres et de trait\u00e9s.\nApr\u00e8s sa mort, sa gloire fut r\u00e9v\u00e9l\u00e9e \u00e0 de nombreuses personnes. Il\napparut notamment \u00e0 un certain abb\u00e9, et l\u2019engagea \u00e0 le suivre. Puis il\nle conduisit au pied d\u2019une montagne, et lui dit: \u00abReste ici, pendant que\nje vais monter l\u00e0-haut!\u00bb L\u2019abb\u00e9 lui demanda ce qu\u2019il allait faire. Et\nBernard: \u00abJe vais apprendre!\u00bb Et l\u2019abb\u00e9, tout surpris: \u00abQue veux-tu\napprendre, mon p\u00e8re, toi qui n\u2019a pas aujourd\u2019hui ton pareil pour la\nscience?\u00bb Et Bernard: \u00abIl n\u2019y a ici-bas ni science, ni connaissance,\nc\u2019est l\u00e0-haut seulement qu\u2019il y a pl\u00e9nitude de science, c\u2019est l\u00e0-haut\nqu\u2019est la vraie connaissance de la v\u00e9rit\u00e9!\u00bb Et, ce disant, il disparut.\nOr l\u2019abb\u00e9, ayant not\u00e9 le jour et l\u2019heure de cette vision, d\u00e9couvrit\nqu\u2019elle avait co\u00efncid\u00e9 avec la mort de saint Bernard. Et nombreux, ou\nplut\u00f4t innombrables, sont les miracles que Dieu op\u00e9ra ensuite par\nl\u2019entremise de ce grand saint.\nCXIX\nSAINT TIMOTH\u00c9E, MARTYR\n(22 ao\u00fbt)\nTimoth\u00e9e souffrit le martyre sous le r\u00e8gne de N\u00e9ron. Pendant que le\npr\u00e9fet de Rome le torturait cruellement, lui faisant arroser les reins\nde chaux vive, le saint rendait gr\u00e2ce \u00e0 Dieu. Alors deux anges,\ndescendant \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s, lui dirent: \u00abL\u00e8ve la t\u00eate, et vois!\u00bb Levant la\nt\u00eate, il vit les cieux ouverts, et, l\u00e0, J\u00e9sus tenait en main une\ncouronne de pierreries, et lui disait: \u00abDe ma main tu recevras cette\ncouronne!\u00bb Un homme qui se trouvait l\u00e0, nomm\u00e9 Apollinaire, vit, lui\naussi, la vision c\u00e9leste, et, aussit\u00f4t, se fit baptiser. Et comme tous\ndeux, Timoth\u00e9e et Apollinaire, pers\u00e9v\u00e9raient \u00e0 confesser le Seigneur, le\npr\u00e9fet les fit d\u00e9capiter. C\u2019\u00e9tait en l\u2019an du Seigneur 57.\nCXX\nSAINT SYMPHORIEN, MARTYR\n(22 ao\u00fbt)\nSymphorien \u00e9tait originaire d\u2019Autun. D\u00e8s l\u2019adolescence, il se fit\nremarquer par la gravit\u00e9 de ses m\u0153urs. Et, comme, le jour de la f\u00eate de\nV\u00e9nus, les pa\u00efens pr\u00e9sentaient au pr\u00e9fet H\u00e9raclius une statue de cette\nd\u00e9esse, Symphorien refusa d\u2019adorer la statue: en punition de quoi il fut\nrou\u00e9 de coups et jet\u00e9 en prison. Le pr\u00e9fet lui offrit ensuite de\nnombreux pr\u00e9sents, s\u2019il voulait sacrifier aux idoles. Mais Symphorien\nlui dit: \u00abNotre Dieu, de m\u00eame qu\u2019il sait r\u00e9compenser les m\u00e9rites, sait\naussi punir les p\u00e9ch\u00e9s. Et vos pr\u00e9sents sont des poisons envelopp\u00e9s de\nmiel. Et votre avidit\u00e9 m\u00eame, quand elle croit tout avoir, ne poss\u00e8de\nrien; et votre joie ressemble au verre, qui, d\u00e8s qu\u2019il commence \u00e0\nbriller, se brise en morceaux!\u00bb Ce qu\u2019entendant, le juge, furieux,\nordonna que Symphorien f\u00fbt mis \u00e0 mort.\nPendant qu\u2019on le conduisait au supplice, sa m\u00e8re, du haut d\u2019un mur, lui\ncriait: \u00abMon fils, mon fils, souviens-toi de la vie \u00e9ternelle! regarde\nen haut, contemple Celui qui r\u00e8gne dans les cieux! Tu sentiras alors que\nta vie ne t\u2019est pas enlev\u00e9e, mais, au contraire, chang\u00e9e en une vie\nmeilleure!\u00bb Bient\u00f4t apr\u00e8s, Symphorien fut d\u00e9capit\u00e9. Son corps, pris par\nles chr\u00e9tiens, fut enseveli religieusement. Et tant de miracles se\nproduisirent sur son tombeau, que les pa\u00efens eux-m\u00eames le tinrent en\ngrand honneur. Gr\u00e9goire de Tours raconte notamment qu\u2019un chr\u00e9tien, ayant\narros\u00e9 trois cailloux du sang qui avait jailli du tronc coup\u00e9 de saint\nSymphorien, mit ces cailloux dans une bo\u00eete d\u2019argent, et prit l\u2019habitude\nde les porter sur lui. Et comme, un jour, le camp o\u00f9 il \u00e9tait se trouva\nd\u00e9truit de fond en comble par un incendie, la bo\u00eete seule resta intacte,\navec l\u2019\u00e9tui de bois o\u00f9 elle \u00e9tait enferm\u00e9e. Le martyre du saint eut lieu\nen l\u2019an du Seigneur 270.\nCXXI\nSAINT BARTH\u00c9LEMY, AP\u00d4TRE\n(24 ao\u00fbt)\nI. L\u2019ap\u00f4tre Barth\u00e9lemy se rendit aux Indes, qui sont plac\u00e9es \u00e0\nl\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du monde. L\u00e0, il entra dans un temple o\u00f9 \u00e9tait une idole\nnomm\u00e9e Astaroth; et il s\u2019installa dans ce temple comme un p\u00e8lerin. Or\nl\u2019idole Astaroth \u00e9tait habit\u00e9e par un d\u00e9mon qui pr\u00e9tendait gu\u00e9rir les\nmaladies, encore que, en r\u00e9alit\u00e9, il ne les gu\u00e9r\u00eet point, mais emp\u00each\u00e2t\nseulement les malades de souffrir. Et voici que, une foule \u00e9norme de\np\u00e8lerins \u00e9tant entr\u00e9e dans le temple o\u00f9 \u00e9tait l\u2019idole, celle-ci refusa\ncompl\u00e8tement d\u2019exercer sur les malades son action accoutum\u00e9e. Les\np\u00e8lerins se rendirent alors dans une ville voisine, o\u00f9 se trouvait une\nautre idole nomm\u00e9e B\u00e9rith; et ils demand\u00e8rent \u00e0 celle-ci pourquoi\nAstaroth les laissait sans r\u00e9ponse. Et B\u00e9rith leur dit: \u00abC\u2019est\nqu\u2019Astaroth est charg\u00e9e de cha\u00eenes de feu, qui ne lui permettent ni de\nrespirer ni de parler, et cela depuis l\u2019instant o\u00f9 l\u2019ap\u00f4tre Barth\u00e9lemy\nest entr\u00e9 dans le temple!\u00bb Et eux: \u00abQui est donc ce Barth\u00e9lemy?\u00bb Et le\nd\u00e9mon B\u00e9rith: \u00abC\u2019est un ami du Dieu du ciel, venu dans notre province\npour en chasser tous les dieux indiens.\u00bb Et eux: \u00abA quel signe\npourrons-nous le reconna\u00eetre?\u00bb Et B\u00e9rith: \u00abIl a les cheveux noirs et\ncr\u00e9pus, la chair blanche, les yeux grands, les narines \u00e9gales et bien\nouvertes, la barbe \u00e9paisse avec quelques poils blancs, la stature\nmoyenne; et il est v\u00eatu d\u2019un manteau blanc avec des pierres rouges aux\nangles. Vingt-six ans d\u2019\u00e2ge; et cette propri\u00e9t\u00e9, que son v\u00eatement et ses\nsandales ne peuvent ni s\u2019user ni se salir, bien que cent fois, jour et\nnuit, il s\u2019agenouille pour prier. Quand il marche, des anges\nl\u2019accompagnent, l\u2019emp\u00eachant de se fatiguer et de souffrir de la soif.\nToujours joyeux d\u2019\u00e2me et de visage, il sait tout, comprend toutes les\nlangues, pr\u00e9voit tout; et d\u00e9j\u00e0 il sait que je vous parle en ce moment.\nJe vous en prie, s\u2019il consent \u00e0 se montrer \u00e0 vous, demandez-lui de ne\npoint venir ici, car ses anges ne manqueraient point de me traiter comme\nils ont trait\u00e9 mon compagnon Astaroth!\u00bb On chercha donc Barth\u00e9lemy\npendant deux jours, mais sans pouvoir le d\u00e9couvrir.\nCependant, comme l\u2019ap\u00f4tre passait dans une rue, un d\u00e9mon s\u2019\u00e9cria, par la\nbouche d\u2019un poss\u00e9d\u00e9: \u00abBarth\u00e9lemy, ap\u00f4tre de Dieu, tes pri\u00e8res me\nbr\u00fblent!\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre: \u00abTais-toi, et sors de cet homme!\u00bb Et aussit\u00f4t le\nposs\u00e9d\u00e9 se trouva d\u00e9livr\u00e9. La nouvelle du miracle parvint alors au roi\ndu pays, qui s\u2019appelait Pol\u00e8me. Et comme celui-ci avait une fille folle,\nil fit prier l\u2019ap\u00f4tre de venir la gu\u00e9rir. L\u2019ap\u00f4tre vint, et trouva la\njeune fille li\u00e9e avec des cha\u00eenes, car elle mordait ceux qui\nl\u2019approchaient. Il ordonna aussit\u00f4t de la d\u00e9livrer: et comme les\nministres du roi n\u2019osaient la toucher, il leur dit: \u00abNe craignez rien,\ncar j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 encha\u00een\u00e9 le d\u00e9mon qui \u00e9tait en elle!\u00bb Et, en effet, d\u00e8s\nqu\u2019on lui eut \u00f4t\u00e9 ses cha\u00eenes, elle recouvra l\u2019esprit. Alors le roi fit\nplacer sur des chameaux tout un tr\u00e9sor d\u2019or, d\u2019argent et de pierres\npr\u00e9cieuses, et ordonna qu\u2019on le port\u00e2t \u00e0 l\u2019ap\u00f4tre, qui \u00e9tait reparti.\nMais en vain on le chercha dans tout le royaume.\nLe lendemain, le roi \u00e9tait seul dans sa chambre lorsque Barth\u00e9lemy lui\napparut, et lui dit: \u00abPourquoi m\u2019as-tu fait chercher, hier, avec tes\npr\u00e9sents? Ces pr\u00e9sents sont n\u00e9cessaires \u00e0 ceux qui d\u00e9sirent les choses\nterrestres, mais non \u00e0 moi, qui ne d\u00e9sire rien de terrestre!\u00bb Apr\u00e8s quoi\nil exposa \u00e0 Pol\u00e8me le myst\u00e8re de notre r\u00e9demption et les sacrements de\nla foi. Et il ajouta que, si le roi voulait recevoir le bapt\u00eame, il se\nchargerait ensuite de lui montrer son ancien dieu tout li\u00e9 de cha\u00eenes.\nLe lendemain, comme les pr\u00eatres sacrifiaient aux idoles pr\u00e8s du palais\ndu roi, le diable se mit \u00e0 leur crier: \u00abMalheureux, cessez de m\u2019offrir\ndes sacrifices: car je suis encha\u00een\u00e9 de cha\u00eenes de feu par un ange de\nJ\u00e9sus-Christ, que les Juifs ont crucifi\u00e9! Ce J\u00e9sus a dompt\u00e9 la mort\nelle-m\u00eame, notre souveraine, et il a encha\u00een\u00e9 notre prince, qui, est\nl\u2019auteur de toute mort!\u00bb Aussit\u00f4t la foule voulut abattre les idoles, \u00e0\ngrand renfort de cordes; mais on ne put y parvenir. Alors l\u2019ap\u00f4tre\nordonna au d\u00e9mon de sortir de l\u2019idole et de briser celle-ci. Et aussit\u00f4t\nle d\u00e9mon, sortant de l\u2019idole, mit en pi\u00e8ces celle-ci et toutes les\nautres qui \u00e9taient dans le temple. Alors Barth\u00e9lemy, ayant pri\u00e9 Dieu,\ngu\u00e9rit tous les malades venus en p\u00e8lerinage aupr\u00e8s d\u2019Astaroth. Puis il\nd\u00e9dia \u00e0 Dieu le temple, et ordonna au d\u00e9mon de se retirer dans un lieu\nd\u00e9sert. Et, au m\u00eame instant, on vit un ange qui, volant tout \u00e0 l\u2019entour\ndu temple, fit, \u00e0 ses quatre coins, le signe de la croix, en disant: \u00abDe\nm\u00eame que le Seigneur vous a purifi\u00e9s de vos maladies, de m\u00eame il purifie\nce temple de toute souillure! Et avant que le d\u00e9mon qui habitait ici\ns\u2019en aille au d\u00e9sert, Dieu m\u2019a ordonn\u00e9 de vous le montrer. Ne le\ncraignez pas, mais imprimez sur votre front le signe que vous m\u2019avez vu\nfaire aux quatre coins du temple!\u00bb Et l\u2019ange leur montra un Ethiopien\ntout noir, au visage pointu, avec une barbe touffue, des poils sur tout\nle corps, des yeux enflamm\u00e9s, une bouche vomissant du soufre, et les\nmains encha\u00een\u00e9es derri\u00e8re le dos. Alors le roi se fit baptiser avec sa\nfemme, ses fils et tout son peuple; et, d\u00e9sormais, renon\u00e7ant \u00e0 sa\nroyaut\u00e9, il devint disciple de l\u2019ap\u00f4tre.\nLes pr\u00eatres des idoles, chass\u00e9s par Pol\u00e8me, se rendirent aupr\u00e8s du fr\u00e8re\nde celui-ci, Astiage, et se plaignirent devant lui des m\u00e9faits de\nl\u2019ap\u00f4tre. Astiage, furieux, envoya \u00e0 la recherche de Barth\u00e9l\u00e9my toute\nune arm\u00e9e, qui finit par s\u2019emparer de lui. Et Astiage: \u00abEst-ce toi qui\nas s\u00e9duit mon fr\u00e8re?\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre: \u00abJe ne l\u2019ai point s\u00e9duit, mais\nconverti!\u00bb Et Astiage: \u00abDe m\u00eame que tu as amen\u00e9 mon fr\u00e8re \u00e0 abandonner\nses dieux pour le tien, de m\u00eame je saurai bien te faire abandonner ton\nDieu pour sacrifier aux miens!\u00bb Et l\u2019ap\u00f4tre: \u00abLe dieu qu\u2019adorait ton\nfr\u00e8re, je l\u2019ai encha\u00een\u00e9, au vu de tous, et forc\u00e9 \u00e0 d\u00e9truire ses idoles!\nSi tu parviens \u00e0 faire subir le m\u00eame traitement \u00e0 mon Dieu, je\nconsentirai \u00e0 adorer tes simulacres; mais si tu n\u2019y parviens pas, je\nd\u00e9truirai tes simulacres pour que tu croies en mon Dieu.\u00bb A peine\navait-il ainsi parl\u00e9, qu\u2019on vint annoncer au roi que son idole Baldak\nvenait de tomber de son pi\u00e9destal et de se briser en morceaux. Ce\nqu\u2019apprenant, le roi, furieux, d\u00e9chira en deux son manteau de pourpre,\nordonna que l\u2019ap\u00f4tre f\u00fbt battu de verges, et le fit enfin \u00e9corcher vif.\nLes chr\u00e9tiens enlev\u00e8rent le corps du martyr, et lui accord\u00e8rent les\nhonneurs qui lui \u00e9taient dus. Quant au roi Astiage et aux pr\u00eatres des\nidoles, ils furent saisis par des d\u00e9mons, et p\u00e9rirent mis\u00e9rablement. Au\ncontraire, l\u2019ex-roi Pol\u00e8me fut ordonn\u00e9 \u00e9v\u00eaque, et, durant vingt ans,\ns\u2019acquitta saintement des devoirs de l\u2019\u00e9piscopat.\nSur le genre exact du martyre de saint Barth\u00e9lemy les avis diff\u00e8rent:\ncar saint Doroth\u00e9e affirme express\u00e9ment qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 crucifi\u00e9. Et il\najoute que son supplice eut lieu dans une ville d\u2019Arm\u00e9nie nomm\u00e9e Albane,\ncomme aussi qu\u2019il fut crucifi\u00e9 la t\u00eate en bas. D\u2019autre part, saint\nTh\u00e9odore assure que l\u2019ap\u00f4tre a \u00e9t\u00e9 \u00e9corch\u00e9 vif; et il y a encore\nd\u2019autres historiens qui pr\u00e9tendent qu\u2019il a eu la t\u00eate tranch\u00e9e. Mais, au\nfait, cette contradiction n\u2019est qu\u2019apparente: car rien n\u2019emp\u00eache de\npenser que le saint ait \u00e9t\u00e9 d\u2019abord mis en croix, puis, pour plus de\nsouffrances, \u00e9corch\u00e9 vif, et enfin d\u00e9capit\u00e9.\nII. Le bienheureux Th\u00e9odore, abb\u00e9 et docteur, apr\u00e8s avoir racont\u00e9 le\nmartyre de saint Barth\u00e9lemy, dont il place la sc\u00e8ne \u00e0 Albane en Arm\u00e9nie,\n\u00e9crit ce qui suit: \u00abLa fureur de ses bourreaux \u00e9tait telle que la mort\nm\u00eame ne l\u2019apaisa point. Elle s\u2019acharna contre son corps m\u00eame, qui fut\njet\u00e9 \u00e0 la mer avec ceux de quatre autres martyrs. Et les cinq corps\nv\u00e9n\u00e9rables, abandonn\u00e9s au courant des flots, abord\u00e8rent dans une \u00eele\nvoisine de la Sicile appel\u00e9e Lipari, o\u00f9 ils furent recueillis par\nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Ostie, qui se trouvait l\u00e0 en ce moment. Mais quatre d\u2019entre\neux, laissant \u00e0 Lipari les restes de Barth\u00e9lemy, poursuivirent leurs\nroutes vers d\u2019autres r\u00e9gions. L\u2019un d\u2019eux, Papin, se rendit dans une\nville de Sicile, appel\u00e9e Milas; un autre, Lucien, parvint \u00e0 Messine; les\ndeux derniers furent envoy\u00e9s par Dieu en Calabre, Gr\u00e9goire dans la ville\nde Colone, Achace dans la ville de Chal\u00e9. Quant \u00e0 Barth\u00e9lemy, il fut\nre\u00e7u \u00e0 grand renfort d\u2019hymnes et de cierges, et un temple magnifique\ns\u2019\u00e9leva en son honneur. Et le mont de Vulcain, qui lan\u00e7ait des flammes\njusque sur les habitants de Lipari, s\u2019\u00e9loigna soudain \u00e0 sept stades de\nl\u00e0, de telle sorte que, aujourd\u2019hui encore, se dressant au bord de la\nmer, il appara\u00eet comme la figuration d\u2019un feu prenant la fuite.\u00bb\nIII. L\u2019an du Seigneur 331, les Sarrasins, ayant envahi l\u2019\u00eele de Lipari,\nbris\u00e8rent le tombeau de saint Barth\u00e9lemy, et dispers\u00e8rent ses os. Mais \u00e0\npeine eurent-ils quitt\u00e9 l\u2019\u00eele, que le saint apparut \u00e0 un moine et lui\ndit: \u00abL\u00e8ve-toi et recueille mes os, qui sont dispers\u00e9s!\u00bb Et le moine:\n\u00abPourquoi recueillerais-je tes os, ou te rendrais-je un honneur\nquelconque, \u00e0 toi qui as laiss\u00e9 d\u00e9vaster notre \u00eele sans nous pr\u00eater\nsecours?\u00bb Et le saint: \u00abPendant longtemps le Seigneur, sur ma pri\u00e8re, a\n\u00e9pargn\u00e9 ce peuple; mais ses p\u00e9ch\u00e9s sont devenus si nombreux que je n\u2019ai\nplus pu obtenir leur pardon.\u00bb Le moine lui demanda alors \u00e0 quel signe il\npourrait reconna\u00eetre ses os, parmi tous ceux que les Sarrasins avaient\ndispers\u00e9s. Et le saint: \u00abVa les chercher pendant la nuit, et recueille\nceux que tu verras briller comme du feu!\u00bb Le moine fit ainsi, recueillit\nles os de l\u2019ap\u00f4tre, et les transporta par mer \u00e0 B\u00e9n\u00e9vent, m\u00e9tropole de\nla Pouille. Et aujourd\u2019hui encore les habitants de B\u00e9n\u00e9vent pr\u00e9tendent\nposs\u00e9der le corps de saint Barth\u00e9lemy, bien que, d\u2019apr\u00e8s l\u2019opinion\ng\u00e9n\u00e9rale, ce corps se trouve d\u00e9sormais \u00e0 Rome.\nIV. L\u2019empereur Fr\u00e9d\u00e9ric, s\u2019\u00e9tant empar\u00e9 de B\u00e9n\u00e9vent, avait ordonn\u00e9 de\nd\u00e9truire toutes les \u00e9glises de la ville. Or voici qu\u2019un habitant de\ncelle-ci aper\u00e7ut des hommes v\u00eatus de blanc, et tout resplendissants, qui\nsemblaient s\u2019entretenir entre eux. Il demanda \u00e0 l\u2019un d\u2019eux qui ils\n\u00e9taient, et l\u2019inconnu r\u00e9pondit: \u00abCelui que tu vois l\u00e0-bas est l\u2019ap\u00f4tre\nBarth\u00e9lemy, et nous sommes les autres saints qui avions des \u00e9glises dans\ncette ville. Nous nous sommes r\u00e9unis ici pour nous entendre sur le\nch\u00e2timent que nous devions exiger contre l\u2019impie qui nous a chass\u00e9s de\nnos demeures. Et nous venons de juger qu\u2019il aura \u00e0 compara\u00eetre sans\nretard devant le tribunal de Dieu, pour rendre compte de son sacril\u00e8ge.\u00bb\nEt, en effet, peu de temps apr\u00e8s, ledit empereur p\u00e9rit mis\u00e9rablement.\nV. On lit dans un livre de _Miracles des Saints_ que, pendant qu\u2019un\nma\u00eetre c\u00e9l\u00e9brait la f\u00eate de saint Barth\u00e9lemy, le diable lui apparut sous\nla forme d\u2019une jeune fille merveilleusement belle. Le ma\u00eetre l\u2019invita \u00e0\nsa table, ne sachant qui elle \u00e9tait; et elle s\u2019effor\u00e7ait de l\u2019exciter\npar ses caresses. Or, voici que saint Barth\u00e9lemy se pr\u00e9senta devant la\nporte, en habit de p\u00e8lerin, et pria qu\u2019on le re\u00e7\u00fbt au nom de saint\nBarth\u00e9lemy. La femme engagea le pr\u00eatre \u00e0 lui envoyer du pain sans le\nrecevoir; mais le p\u00e8lerin refusa d\u2019y toucher. Et il fit demander au\npr\u00eatre de lui faire dire ce qui \u00e9tait le plus propre \u00e0 l\u2019homme. La jeune\nfemme lui fit r\u00e9pondre: \u00abC\u2019est le p\u00e9ch\u00e9, avec lequel l\u2019homme est con\u00e7u,\nna\u00eet et vit.\u00bb Le p\u00e8lerin d\u00e9clara la r\u00e9ponse exacte. Il fit ensuite\ndemander au pr\u00eatre de lui dire quel \u00e9tait le lieu n\u2019ayant qu\u2019un seul\npied, et o\u00f9 Dieu avait op\u00e9r\u00e9 son plus grand miracle. Le pr\u00eatre fut\nd\u2019avis que c\u2019\u00e9tait la croix; la femme dit: \u00abC\u2019est la t\u00eate de l\u2019homme,\ndans laquelle Dieu a cr\u00e9\u00e9 comme un second monde en raccourci.\u00bb Et le\np\u00e8lerin approuva les deux r\u00e9ponses. Puis il fit demander, en troisi\u00e8me\nlieu, quelle distance il y avait du sommet du ciel au fond de l\u2019enfer.\nLe pr\u00eatre r\u00e9pondit qu\u2019il l\u2019ignorait. Mais la femme: \u00abH\u00e9las, je le sais,\nmoi, car j\u2019ai franchi cette distance, et voici que je vais avoir \u00e0 la\nfranchir de nouveau!\u00bb Apr\u00e8s quoi cette femme, reprenant sa forme de\ndiable, se pr\u00e9cipita dans l\u2019ab\u00eeme avec un grand cri; et, quand on\nchercha ensuite le p\u00e8lerin, on ne le trouva plus. Une histoire semblable\nnous est aussi racont\u00e9e touchant saint Andr\u00e9.\nCXXII\nSAINT AUGUSTIN, DOCTEUR\n(28 ao\u00fbt)\nI. Augustin, illustre docteur de l\u2019Eglise, naquit dans la ville de\nCarthage, en Afrique, de parents nobles. Son p\u00e8re s\u2019appelait Patrice, sa\nm\u00e8re Monique. Il fut suffisamment instruit dans les arts lib\u00e9raux, d\u00e8s\nsa jeunesse, pour m\u00e9riter d\u2019\u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme un philosophe \u00e9minent\net un remarquable rh\u00e9teur. Il lut et approfondit l\u2019\u0153uvre d\u2019Aristote et\ntous les autres livres qu\u2019on pouvait lire alors. Et il nous dit lui-m\u00eame\ndans ses _Confessions_: \u00abTous les livres qu\u2019on appelle _lib\u00e9raux_, je\nles ai lus, \u00e9tant, \u00e0 cette \u00e9poque, le mis\u00e9rable esclave de d\u00e9sirs\nmauvais. Quant \u00e0 ce qui est de la grammaire et de l\u2019\u00e9loquence, de la\ng\u00e9om\u00e9trie, des nombres et de la musique, je l\u2019ai appris ais\u00e9ment sans le\nsecours d\u2019aucun ma\u00eetre. Mais la science, sans la charit\u00e9, ne fait que\nnous gonfler au lieu de nous \u00e9difier.\u00bb\nIl \u00e9tait tomb\u00e9 dans l\u2019h\u00e9r\u00e9sie des Manich\u00e9ens, qui niaient la r\u00e9alit\u00e9 du\nChrist et la r\u00e9surrection de la chair. Il pers\u00e9v\u00e9ra dans cette h\u00e9r\u00e9sie\npendant neuf ans. Mais, d\u00e8s l\u2019\u00e2ge de dix-neuf ans, comme il lisait le\nlivre d\u2019un philosophe o\u00f9 \u00e9tait expos\u00e9e la vanit\u00e9 du monde, il fut d\u00e9sol\u00e9\nde ne point trouver dans ce livre le nom de J\u00e9sus-Christ, dont sa m\u00e8re\nl\u2019avait impr\u00e9gn\u00e9.\nSa m\u00e8re, de son c\u00f4t\u00e9, pleurait beaucoup et ne n\u00e9gligeait rien pour le\nramener \u00e0 la foi v\u00e9ritable. Or, un jour, elle vit en r\u00eave un jeune homme\nqui lui demanda la cause de sa tristesse. Elle lui r\u00e9pondit qu\u2019elle\npleurait la perdition de son fils. Et l\u2019inconnu lui dit: \u00abSois sans\ncrainte, car l\u00e0 o\u00f9 tu es, il est aussi!\u00bb L\u2019excellente femme n\u2019en\ninsistait pas moins aupr\u00e8s de son \u00e9v\u00eaque afin qu\u2019il daign\u00e2t interc\u00e9der\npour son fils. Et l\u2019\u00e9v\u00eaque, d\u2019une voix proph\u00e9tique, lui dit: \u00abSois sans\ncrainte, car c\u2019est chose impossible que Dieu laisse p\u00e9rir l\u2019enfant de\ntant de larmes!\u00bb\nApr\u00e8s avoir longtemps enseign\u00e9 la rh\u00e9torique \u00e0 Carthage, Augustin vint \u00e0\nRome et y r\u00e9unit de nombreux disciples. Sa m\u00e8re l\u2019avait suivi jusqu\u2019aux\nportes de Carthage, r\u00e9solue \u00e0 l\u2019accompagner si elle ne parvenait pas \u00e0\nle faire rester. Mais il la trompa, et, la nuit, partit seul, ce dont la\npauvre femme eut un grand chagrin. Matin et soir, tous les jours, elle\nallait \u00e0 l\u2019\u00e9glise et priait pour son fils.\nEn ce temps-l\u00e0, les Ath\u00e9niens demand\u00e8rent \u00e0 Symmaque, pr\u00e9fet imp\u00e9rial,\nqu\u2019Augustin leur f\u00fbt envoy\u00e9 comme professeur de rh\u00e9torique. Mais le\njeune homme pr\u00e9f\u00e9ra se rendre \u00e0 Milan, o\u00f9 se trouvait alors saint\nAmbroise. Et lorsque sa m\u00e8re, qui n\u2019avait point de repos loin de lui,\nvint le retrouver \u00e0 Milan, elle put constater qu\u2019il n\u2019\u00e9tait plus\nmanich\u00e9en, sans \u00eatre encore vraiment catholique. Mais il avait commenc\u00e9\n\u00e0 s\u2019attacher \u00e0 saint Ambroise et \u00e0 \u00e9couter souvent sa pr\u00e9dication. Or,\nun jour, le saint avait longuement d\u00e9montr\u00e9 les erreurs des manich\u00e9ens,\ntant par des preuves tir\u00e9es du raisonnement que par d\u2019autres tir\u00e9es de\nl\u2019autorit\u00e9; et, d\u00e8s ce moment, l\u2019h\u00e9r\u00e9sie avait presque disparu du c\u0153ur\nd\u2019Augustin. Quant \u00e0 ce qui lui arriva plus tard, lui-m\u00eame le raconte\ntout au long dans ses _Confessions_. Partag\u00e9 entre son go\u00fbt pour la voie\ndu Christ et sa crainte de p\u00e9n\u00e9trer dans une voie aussi \u00e9troite, il\nh\u00e9sitait, lorsque Dieu lui inspira la pens\u00e9e d\u2019aller consulter saint\nSimplicien, en qui brillait la lumi\u00e8re de la gr\u00e2ce divine. Et Simplicien\nse mit aussit\u00f4t \u00e0 l\u2019encourager, en lui disant: \u00abCombien d\u2019enfants\nservent Dieu dans l\u2019Eglise! Et toi, savant docteur, tu n\u2019oses le faire!\nJette-toi dans les bras de Dieu! Il te recevra et te sauvera!\u00bb\nVers le m\u00eame temps arriva d\u2019Afrique un ami d\u2019Augustin, nomm\u00e9 Pontien; et\ncet homme lui raconta la vie et les miracles du grand Antoine, qui \u00e9tait\nmort en Egypte sous l\u2019empire de Constantin. L\u2019exemple de ce saint alluma\nune telle ardeur dans l\u2019\u00e2me d\u2019Augustin que, se pr\u00e9cipitant chez un de\nses amis, nomm\u00e9 Alipe, il s\u2019\u00e9cria: \u00abQue tardons-nous? Les ignorants se\nl\u00e8vent et gagnent le ciel; et nous, avec toute notre science, nous nous\nplongeons en enfer!\u00bb Puis il s\u2019enfuit dans un jardin, s\u2019\u00e9tendit sous un\nfiguier, et se mit \u00e0 pleurer am\u00e8rement. Or, pendant qu\u2019il pleurait, il\nentendit une voix qui lui disait: \u00abPrends et lis, prends et lis!\u00bb\nAussit\u00f4t il ouvrit les _Actes des Ap\u00f4tres_ et lut, au hasard:\n\u00abRev\u00eatez-vous du Seigneur J\u00e9sus!\u00bb Aussit\u00f4t les t\u00e9n\u00e8bres du doute\nachev\u00e8rent de se dissiper en lui.\nCependant il souffrait de maux de dents si forts que, comme il le dit\nlui-m\u00eame, il \u00e9tait presque tent\u00e9 d\u2019admettre l\u2019opinion du philosophe\nCorneille, qui pla\u00e7ait le souverain bien de l\u2019\u00e2me dans la sagesse, et le\nsouverain bien du corps dans l\u2019absence de douleur. Ses maux de dents\n\u00e9taient, en effet, si vifs qu\u2019il en avait perdu l\u2019usage de la parole. Ne\npouvant parler \u00e0 ses amis, il leur \u00e9crivait, sur des tablettes de cire,\npour leur demander de prier tous pour lui, afin que le Seigneur apais\u00e2t\nsa souffrance. Puis, en leur compagnie, il fl\u00e9chit les genoux, pria et\naussit\u00f4t fut gu\u00e9ri. Il demanda aussi par lettre \u00e0 saint Ambroise de lui\nindiquer ce qu\u2019il devait lire des Livres Saints, pour devenir plus apte\n\u00e0 la foi chr\u00e9tienne. Ambroise lui recommanda le proph\u00e8te Isa\u00efe, \u00e0 cause\nde la fa\u00e7on dont s\u2019y trouvent proph\u00e9tis\u00e9s l\u2019Evangile et la vocation des\ngentils. Et comme Augustin, d\u2019abord, ne comprenait point le vrai sens du\nlivre, Ambroise lui dit de le relire plus tard, quand il serait plus\nexerc\u00e9 dans la lecture des Livres Saints.\nEnfin, \u00e0 l\u2019approche de P\u00e2ques, Augustin, alors \u00e2g\u00e9 de trente ans, re\u00e7ut\nle bapt\u00eame, en compagnie de son fils Ad\u00e9odat, enfant plein\nd\u2019intelligence, qu\u2019il avait enfant\u00e9 pendant qu\u2019il \u00e9tait encore pa\u00efen et\nphilosophe. Et son ami Alipe se fit baptiser le m\u00eame jour. Ce jour-l\u00e0,\nAmbroise s\u2019\u00e9cria: _Te Deum laudamus!_ Augustin r\u00e9pondit: _Te Dominum\nconfitemur!_ Et ainsi, se r\u00e9pondant l\u2019un \u00e0 l\u2019autre, ils compos\u00e8rent\njusqu\u2019au bout cette hymne, ainsi que l\u2019atteste Honorius dans son _Miroir\nde l\u2019Eglise_.\nConfirm\u00e9 d\u00e9sormais dans la foi catholique, il abandonna tout l\u2019espoir\nqu\u2019il avait mis dans le si\u00e8cle, et se retira notamment des \u00e9coles o\u00f9 il\nenseignait. Il nous dit lui-m\u00eame, dans ses _Confessions_, de quelle\ndouceur l\u2019amour divin inondait son \u00e2me. Peu de temps apr\u00e8s, en compagnie\nde N\u00e9brode et d\u2019Evode, ainsi que de sa m\u00e8re, il s\u2019embarqua pour\nretourner en Afrique; mais, en arrivant au port d\u2019Ostie, il eut la\ndouleur de voir mourir sa pieuse m\u00e8re. Rentr\u00e9 dans son domaine familial,\nil je\u00fbnait et priait avec ses disciples, \u00e9crivait des livres et\npr\u00eachait. Et sa renomm\u00e9e se r\u00e9pandit en tous lieux. Telle \u00e9tait cette\nrenomm\u00e9e qu\u2019Augustin \u00e9vitait \u00e0 dessein d\u2019entrer dans les villes o\u00f9 l\u2019on\navait besoin d\u2019un \u00e9v\u00eaque, par crainte d\u2019\u00eatre promu de force au si\u00e8ge\n\u00e9piscopal.\nMais il y avait \u00e0 Hippone un homme tr\u00e8s riche qui lui fit dire que, si\nseulement il l\u2019entendait parler, il renoncerait sans doute au si\u00e8cle.\nAugustin, aussit\u00f4t, se mit en route pour l\u2019aller voir; et voici que\nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hippone Val\u00e8re, apprenant son arriv\u00e9e, l\u2019ordonna, presque\nmalgr\u00e9 lui, pr\u00eatre de son \u00e9glise. Et comme il s\u2019affligeait de cet\nhonneur, de braves gens, mettant son chagrin sur le compte de son\norgueil, lui disaient, pour le consoler, que sans doute cette pr\u00eatrise\n\u00e9tait au-dessous de ce qu\u2019il valait, mais que, du moins, elle avait\nl\u2019avantage de l\u2019approcher de l\u2019\u00e9piscopat. Aussit\u00f4t \u00e9lu pr\u00eatre, Augustin\ninstitua un monast\u00e8re \u00e0 Hippone, et commen\u00e7a \u00e0 vivre suivant la r\u00e8gle\n\u00e9tablie par les saints ap\u00f4tres. Et comme l\u2019\u00e9v\u00eaque Val\u00e8re, qui \u00e9tait\ngrec, ne connaissait pas tr\u00e8s bien la langue latine, il conf\u00e9ra \u00e0\nAugustin le droit de pr\u00eacher en sa pr\u00e9sence, dans l\u2019\u00e9glise,\ncontrairement \u00e0 l\u2019usage de l\u2019Eglise d\u2019Orient. Ne pouvant s\u2019acquitter\nlui-m\u00eame de cette pr\u00e9dication, le saint \u00e9v\u00eaque voulait, du moins, qu\u2019un\nautre s\u2019en acquitt\u00e2t. Et c\u2019est ainsi qu\u2019Augustin r\u00e9futa et convainquit\nle pr\u00eatre manich\u00e9en Fortunat, et d\u2019autres h\u00e9r\u00e9tiques, manich\u00e9ens,\ndonatistes, et rebaptisateurs.\nCependant Val\u00e8re craignait qu\u2019Augustin ne lui f\u00fbt enlev\u00e9 pour devenir\n\u00e9v\u00eaque dans quelque autre ville: car il avait \u00e9t\u00e9 forc\u00e9, une fois d\u00e9j\u00e0,\nde le cacher, pour emp\u00eacher qu\u2019on ne l\u2019emmen\u00e2t occuper ailleurs un si\u00e8ge\n\u00e9piscopal. Il finit par obtenir de l\u2019archev\u00eaque de Carthage la\npermission de se retirer lui-m\u00eame de son si\u00e8ge d\u2019Hippone, et d\u2019y \u00eatre\nremplac\u00e9 par Augustin. En vain celui-ci fit tout au monde pour s\u2019y\nrefuser: force lui fut de c\u00e9der. Et le regret qu\u2019il en eut s\u2019accrut\nencore lorsque, plus tard, il apprit qu\u2019un concile avait d\u00e9fendu qu\u2019un\nnouvel \u00e9v\u00eaque f\u00fbt ordonn\u00e9 du vivant de l\u2019ancien.\nSes v\u00eatements, sa chaussure, ses ornements n\u2019\u00e9taient ni trop luxueux, ni\ntrop n\u00e9glig\u00e9s, mais d\u2019une \u00e9l\u00e9gance moyenne et conforme \u00e0 l\u2019usage. Sa\ntable fut toujours d\u2019une frugalit\u00e9 extr\u00eame. Mais, tout en ne se\nnourrissant que de l\u00e9gumes, il avait presque toujours de la viande pour\nses h\u00f4tes et pour les malades. Un jour qu\u2019il avait invit\u00e9 des amis \u00e0 un\nrepas familier, un de ses h\u00f4tes eut la curiosit\u00e9 de p\u00e9n\u00e9trer dans sa\ncuisine. N\u2019y trouvant aucun plat chaud, il demanda \u00e0 Augustin quels mets\nil avait command\u00e9s pour le repas. Et Augustin lui r\u00e9pondit: \u00abJe n\u2019en\nsais pas plus que toi!\u00bb\nIl disait que saint Ambroise lui avait appris trois choses: 1\u00ba \u00e0 ne\njamais se m\u00ealer de marier personne; 2\u00ba \u00e0 ne jamais encourager une\ndispute; 3\u00ba \u00e0 ne jamais aller \u00e0 un repas o\u00f9 il \u00e9tait invit\u00e9. Telles\n\u00e9taient sa puret\u00e9 et son humilit\u00e9, qu\u2019il s\u2019accusait humblement devant\nDieu, dans ses _Confessions_, de p\u00e9ch\u00e9s minimes, dont la plupart d\u2019entre\nnous ne se soucieraient m\u00eame pas. Il s\u2019accusait, par exemple, d\u2019avoir\njou\u00e9 aux osselets dans son enfance, au lieu d\u2019aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole; il\ns\u2019accusait d\u2019avoir mis de la mauvaise volont\u00e9 \u00e0 lire ou \u00e0 apprendre; il\ns\u2019accusait d\u2019avoir toujours, dans son enfance, pris plaisir \u00e0 l\u2019_En\u00e9ide_\net d\u2019avoir pleur\u00e9 de la mort de Didon; il s\u2019accusait d\u2019avoir d\u00e9rob\u00e9 des\nfruits, sur la table de ses parents, pour les donner \u00e0 ses compagnons de\njeux; il s\u2019accusait d\u2019avoir, \u00e0 seize ans, cueilli une poire sur un arbre\nqui n\u2019\u00e9tait pas \u00e0 lui. Et il s\u2019accusait aussi de la petite jouissance\nqu\u2019il \u00e9prouvait parfois \u00e0 manger, ajoutant que le chr\u00e9tien doit prendre\nses aliments \u00e0 regret, comme une m\u00e9decine. Il s\u2019accusait d\u2019avoir exerc\u00e9\nlibrement son odorat, son ou\u00efe et sa vue, se reprochant, par exemple,\nson plaisir \u00e0 voir courir un chien, ou \u00e0 \u00e9couter de beaux chants\nd\u2019\u00e9glise. Enfin il s\u2019accusait de son app\u00e9tit de louanges et de son d\u00e9sir\nde gloire, encore que ces sentiments aient toujours \u00e9t\u00e9 chez lui d\u2019une\nmod\u00e9ration extraordinaire.\nIl excellait \u00e0 r\u00e9futer les h\u00e9r\u00e9tiques, de telle sorte que ceux-ci\ndisaient publiquement que ce n\u2019\u00e9tait point p\u00e9ch\u00e9 de le tuer, affirmant\nque ceux qui le tueraient comme un loup ne pourraient, par l\u00e0, qu\u2019\u00eatre\nagr\u00e9ables \u00e0 Dieu. Aussi fut-il sans cesse expos\u00e9 \u00e0 tomber dans leurs\npi\u00e8ges; et un jour, comme il \u00e9tait en route, s\u00fbrement il aurait p\u00e9ri si\nla Providence n\u2019avait fait en sorte que ses meurtriers se trompassent de\nchemin.\nPauvre lui-m\u00eame, il n\u2019oubliait jamais ses fr\u00e8res les pauvres, partageant\navec eux ce qu\u2019il pouvait avoir. Souvent m\u00eame il leur distribuait les\noffrandes faites pour l\u2019\u00e9glise dans les vases sacr\u00e9s. Jamais il ne\nvoulut acheter une maison, ni un champ. Quand on lui l\u00e9guait un\nh\u00e9ritage, il le refusait, disant que cet h\u00e9ritage devait revenir plut\u00f4t\naux enfants ou aux proches du l\u00e9gataire. Il n\u2019avait gu\u00e8re souci non plus\ndes biens de l\u2019Eglise, n\u2019\u00e9tant occup\u00e9, jour et nuit, que des choses\ndivines. Jamais il n\u2019eut le go\u00fbt de faire b\u00e2tir, disant que les\nconstructions nouvelles \u00e9taient un emp\u00eachement pour une \u00e2me qui voulait\nrester libre de tout ennui mat\u00e9riel, et s\u2019abandonner tout enti\u00e8re \u00e0 la\nm\u00e9ditation. Non pas, cependant, qu\u2019il d\u00e9sapprouv\u00e2t absolument tout\nprojet de construction nouvelle: il ne d\u00e9sapprouvait que le go\u00fbt\npassionn\u00e9 que certains en avaient.\nIl louait par-dessus tout ceux qui avaient le d\u00e9sir de la mort, et il\naimait \u00e0 citer, \u00e0 ce propos, l\u2019exemple de trois \u00e9v\u00eaques: 1\u00ba l\u2019exemple de\nsaint Ambroise qui, comme on lui demandait de prier pour obtenir une\nprolongation de sa vie, r\u00e9pondait: \u00abJe n\u2019ai point si mal v\u00e9cu que je\ndoive avoir honte de continuer \u00e0 vivre, mais je ne crains pas non plus\nde mourir, car Dieu est un bon ma\u00eetre\u00bb; 2\u00ba l\u2019exemple d\u2019un autre \u00e9v\u00eaque,\nqui disait, dans les m\u00eames circonstances, en r\u00e9ponse \u00e0 ceux qui lui\nrepr\u00e9sentaient sa vie comme n\u00e9cessaire \u00e0 son \u00e9glise: \u00abSi je ne dois\njamais mourir, c\u2019est bien; mais si je dois mourir un jour, pourquoi pas\ntout de suite?\u00bb; 3\u00ba enfin Augustin aimait \u00e0 citer un troisi\u00e8me \u00e9v\u00eaque\nqui, \u00e9tant tr\u00e8s malade, avait pri\u00e9 pour recouvrer la sant\u00e9; et un jeune\nhomme d\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse lui \u00e9tait apparu, qui lui avait dit,\nd\u2019une voix indign\u00e9e: \u00abVous avez peur de souffrir, vous ne voulez pas\nmourir, que ferai-je de vous?\u00bb\nJamais Augustin ne voulut qu\u2019aucune femme demeur\u00e2t avec lui, pas m\u00eame sa\ncousine, ni les filles de son fr\u00e8re, qui s\u2019\u00e9taient vou\u00e9es au service de\nDieu. Jamais il ne voulait parler, seul, \u00e0 une femme, sauf quand elle\navait un secret \u00e0 lui communiquer. Il fut le bienfaiteur de ses parents,\nmais en leur apprenant \u00e0 n\u2019avoir pas besoin de richesses, et non pas en\nleur donnant des richesses. Rarement il consentait \u00e0 interc\u00e9der pour\nquelqu\u2019un, de vive voix ou par lettre, disant que, \u00able plus souvent, une\nfaveur qu\u2019on demandait devenait une g\u00eane.\u00bb Pour juger une cause, il\naimait mieux se trouver avec des inconnus qu\u2019avec des amis, disant que,\nparmi les inconnus, il pouvait plus librement d\u00e9couvrir les bons, et\ns\u2019en faire des amis, tandis que, \u00e0 juger des amis, il risquait\nfatalement d\u2019en perdre un, celui contre qui il devrait d\u00e9cider.\nDe nombreuses \u00e9glises l\u2019invitaient \u00e0 pr\u00eacher; il y enseignait la parole\nde Dieu et convertissait une foule d\u2019h\u00e9r\u00e9tiques. Parfois, en pr\u00eachant,\nil faisait des digressions; et il disait alors que c\u2019\u00e9tait sans doute\nDieu qui lui inspirait ces digressions pour le salut de quelqu\u2019un; et\nl\u2019on cite, en effet, le cas d\u2019un manich\u00e9en qui fut ainsi converti par\nsaint Augustin, celui-ci s\u2019\u00e9tant interrompu du sujet qu\u2019il traitait pour\nr\u00e9futer l\u2019erreur des manich\u00e9ens.\nC\u2019\u00e9tait le temps o\u00f9 les Goths s\u2019\u00e9taient empar\u00e9 de Rome, et o\u00f9 idol\u00e2tres\net h\u00e9r\u00e9tiques attaquaient vivement l\u2019Eglise chr\u00e9tienne. Voil\u00e0 pourquoi\nAugustin \u00e9crivit son livre de la _Cit\u00e9 de Dieu_, o\u00f9 il montra que\nc\u2019\u00e9tait la destin\u00e9e des justes d\u2019\u00eatre opprim\u00e9s dans cette vie, et la\ndestin\u00e9e des impies d\u2019y prosp\u00e9rer. Il d\u00e9crivait, dans ce livre, deux\ncit\u00e9s et deux rois, J\u00e9rusalem, dont le roi est le Christ, et Babylone,\no\u00f9 r\u00e8gne le diable; ajoutant que la cit\u00e9 du diable reposait sur l\u2019amour\nde soi et la cit\u00e9 de Dieu sur l\u2019amour de Dieu.\nEn l\u2019an du Seigneur 440, les Vandales envahirent l\u2019Afrique, d\u00e9vastant\ntout sans \u00e9pargner le sexe ni l\u2019\u00e2ge. Ils arriv\u00e8rent ainsi jusqu\u2019\u00e0\nHippone, qu\u2019ils assi\u00e9g\u00e8rent vigoureusement. Grande fut la d\u00e9solation\nd\u2019Augustin, lorsque cette calamit\u00e9 se joignit pour lui aux maux de la\nvieillesse; il pleurait jour et nuit, \u00e0 voir les uns tu\u00e9s, d\u2019autres mis\nen fuite, les \u00e9glises priv\u00e9es de pr\u00eatres, les maisons renvers\u00e9es. A\npeine se consolait-il en se rappelant cette pens\u00e9e d\u2019un sage: \u00abCelui-l\u00e0\nest un petit homme qui croit voir une grande chose quand il voit tomber\ndes arbres ou mourir des mortels.\u00bb Enfin, rassemblant ses fr\u00e8res, il\nleur dit: \u00abJ\u2019ai demand\u00e9 \u00e0 Dieu, ou bien qu\u2019il nous sauv\u00e2t de ce p\u00e9ril,\nou qu\u2019il nous donn\u00e2t la patience, ou qu\u2019il me retir\u00e2t de cette vie, pour\nm\u2019\u00e9pargner d\u2019\u00eatre t\u00e9moin de tant de malheurs.\u00bb Ce fut cette troisi\u00e8me\nchose qu\u2019il obtint. Le troisi\u00e8me mois du si\u00e8ge, il fut saisi de fi\u00e8vre\net dut s\u2019aliter. Comprenant que l\u2019heure de la dissolution de son corps\n\u00e9tait proche, il fit copier les sept psaumes de la p\u00e9nitence et les fit\ncoller sur le mur, en face de son lit, afin de pouvoir les lire \u00e0 toute\nheure. Voulant se donner plus enti\u00e8rement \u00e0 Dieu, pendant les dix jours\nqui pr\u00e9c\u00e9d\u00e8rent sa mort, il ne laissa entrer personne aupr\u00e8s de lui, \u00e0\nl\u2019exception du m\u00e9decin et du serviteur charg\u00e9 de lui porter sa\nnourriture. Cependant un malade parvint jusqu\u2019\u00e0 lui, le suppliant de lui\nimposer les mains pour le gu\u00e9rir de sa maladie. Et Augustin: \u00abH\u00e9, mon\nfils, que demandes-tu l\u00e0? Crois-tu donc que, si j\u2019avais un tel pouvoir,\nje n\u2019en userais pas pour moi-m\u00eame?\u00bb Mais le malade insistait, affirmant\nqu\u2019une voix lui avait promis, en r\u00eave, qu\u2019Augustin lui rendrait la\nsant\u00e9. Et Augustin, voyant sa foi, pria pour lui et le gu\u00e9rit. Il gu\u00e9rit\naussi beaucoup de poss\u00e9d\u00e9s, et fit encore une foule d\u2019autres miracles.\nIl en raconte deux, dans la _Cit\u00e9 de Dieu_, sans dire que c\u2019est lui-m\u00eame\nqui les a op\u00e9r\u00e9s. C\u2019est, d\u2019abord, une jeune fille qui fut d\u00e9livr\u00e9e de la\npossession du d\u00e9mon quand elle fut frott\u00e9e avec une huile o\u00f9 un pr\u00eatre\navait m\u00eal\u00e9 ses larmes, en priant pour elle. Et c\u2019est ensuite un \u00e9v\u00eaque\ngu\u00e9rissant, par ses pri\u00e8res, un jeune homme qu\u2019il n\u2019avait jamais vu.\nDans les deux cas, Augustin nous parle \u00e9videmment de lui-m\u00eame; et son\nhumilit\u00e9 seule l\u2019emp\u00eache de se nommer.\nAu moment m\u00eame de mourir, Augustin, inspir\u00e9 de Dieu, enseigna \u00e0 ses\nfr\u00e8res que jamais un chr\u00e9tien ne devait mourir sans la confession et\nl\u2019eucharistie, quels que fussent, par ailleurs, ses m\u00e9rites. Il mourut\ndans la soixante-dix-septi\u00e8me ann\u00e9e de son \u00e2ge, et la quaranti\u00e8me de son\n\u00e9piscopat, ayant tous les membres intacts, ainsi que la vue et l\u2019ou\u00efe.\nIl ne fit point de testament, attendu que, en sa qualit\u00e9 de pauvre du\nChrist, il n\u2019avait rien \u00e0 l\u00e9guer. Ce grand saint, qui, par son g\u00e9nie et\nsa science, d\u00e9passe incomparablement tous les autres docteurs de\nl\u2019Eglise, florissait vers l\u2019an 400.\nII. Plus tard, lorsque les barbares occup\u00e8rent Hippone et profan\u00e8rent\nles saints lieux, le corps d\u2019Augustin fut enlev\u00e9 par les fid\u00e8les et\ntransport\u00e9 en Sardaigne. Plus tard encore, l\u2019an 718, deux cent\nquatre-vingts ans apr\u00e8s la mort du saint, le pieux roi lombard\nLuitprand, ayant appris que la Sardaigne \u00e9tait d\u00e9vast\u00e9e par les\nSarrasins, envoya dans l\u2019\u00eele des messagers qu\u2019il chargea de transporter\nles saintes reliques \u00e0 Pavie. Ces messagers, \u00e0 force d\u2019argent, obtinrent\nd\u2019emporter les reliques et les amen\u00e8rent \u00e0 G\u00eanes, o\u00f9 le roi Luitprand\nvint au-devant d\u2019elles en grande c\u00e9r\u00e9monie. Mais, le lendemain matin,\nvainement on essaya de soulever le cercueil pour lui faire continuer son\nvoyage. On ne put le soulever que lorsque le roi eut fait v\u0153u de\nconstruire, au m\u00eame endroit, une \u00e9glise en l\u2019honneur de saint Augustin.\nPareil miracle se produisit, le lendemain, dans une villa du dioc\u00e8se de\nTortone, appel\u00e9e Casal; et, l\u00e0 aussi, le roi construisit une \u00e9glise en\nl\u2019honneur de saint Augustin. Il donna, en outre, la villa, avec toutes\nses d\u00e9pendances, aux serviteurs de l\u2019\u00e9glise, en possession perp\u00e9tuelle.\nEt comme il vit bien, d\u2019apr\u00e8s ces deux faits, que le saint d\u00e9sirait\navoir une \u00e9glise dans tous les endroits o\u00f9 son corps s\u2019arr\u00eatait, il\nd\u00e9cida, une fois pour toutes, d\u2019\u00e9lever une \u00e9glise dans chacun de ces\nendroits. C\u2019est ainsi que, en grande pompe, le corps parvint \u00e0 Pavie, o\u00f9\nil fut d\u00e9pos\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise de Saint-Pierre, qu\u2019on appelle commun\u00e9ment\nCiel-d\u2019Or.\nIII. Un meunier qui avait une d\u00e9votion sp\u00e9ciale pour saint Augustin, fut\natteint d\u2019un mauvais abc\u00e8s \u00e0 la jambe. Il invoqua le saint; et celui-ci,\nlui \u00e9tant apparu en r\u00eave, lui frotta la jambe avec la main. Le\nlendemain, le meunier se r\u00e9veilla gu\u00e9ri.\nIV. Un enfant souffrait de la pierre, et les m\u00e9decins allaient l\u2019op\u00e9rer,\nlorsque sa m\u00e8re, craignant les dangers de l\u2019op\u00e9ration, pria saint\nAugustin de lui venir en aide. Aussit\u00f4t l\u2019enfant rendit la pierre avec\nson urine, et recouvra la sant\u00e9.\nV. Dans un monast\u00e8re qui s\u2019appelait l\u2019Aum\u00f4ne, un moine, ayant \u00e9t\u00e9 ravi\nen esprit la veille de la f\u00eate de saint Augustin, vit descendre du ciel\nune nu\u00e9e brillante, sur laquelle \u00e9tait assis le saint docteur en habits\npontificaux, illuminant l\u2019Eglise enti\u00e8re des deux rayons enflamm\u00e9s qui\nsortaient de ses yeux. De son c\u00f4t\u00e9, saint Bernard vit un jour un beau\njeune homme debout dans une \u00e9glise, et dont la bouche \u00e9tait une fontaine\nd\u2019o\u00f9 jaillissait tant d\u2019eau que l\u2019\u00e9glise tout enti\u00e8re en \u00e9tait remplie.\nEt saint Bernard comprit que c\u2019\u00e9tait Augustin, dont la doctrine,\nfontaine de v\u00e9rit\u00e9, arrosait toute l\u2019Eglise.\nVI. Un pieux p\u00e8lerin donna une grosse somme au moine charg\u00e9 de la garde\ndu corps de saint Augustin, pour obtenir de lui l\u2019un des doigts du\nsaint. Mais le moine, ayant pris l\u2019argent, enveloppa dans de la soie le\ndoigt d\u2019un mort quelconque, et le donna au p\u00e8lerin en lui affirmant que\nc\u2019\u00e9tait bien le doigt d\u2019Augustin. Or le p\u00e8lerin adorait pieusement cette\nfausse relique, ne cessant point de la baiser ou de la serrer sur son\nc\u0153ur; de telle sorte que Dieu, touch\u00e9 de sa ferveur, transforma la\nfausse relique en un vrai doigt de saint Augustin. Et le p\u00e8lerin, revenu\nchez lui, op\u00e9ra tant de miracles avec sa relique que le bruit en arriva\njusqu\u2019\u00e0 Pavie. Le moine, alors, r\u00e9v\u00e9la comment il avait donn\u00e9 au p\u00e8lerin\nle doigt d\u2019un mort inconnu. Mais quand on ouvrit le cercueil, on vit\nqu\u2019un des doigts du saint manquait r\u00e9ellement.\nVII. Dans le monast\u00e8re de Fontaine, en Bourgogne, vivait un moine nomm\u00e9\nHugues qui, admirant avec passion saint Augustin, le priait souvent\nd\u2019obtenir pour lui qu\u2019il mour\u00fbt le jour de sa f\u00eate. Quinze jours avant\nla f\u00eate du saint, ce moine fut pris de fi\u00e8vre; la veille de la f\u00eate, on\nle d\u00e9posa \u00e0 terre, presque mort. Et, soudain, un autre moine, qui priait\ndans la chapelle, vit entrer en procession plusieurs hommes tout v\u00eatus\nde blanc, que suivait un \u00e9v\u00eaque de figure v\u00e9n\u00e9rable. Le moine demanda\nqui \u00e9taient ces hommes et o\u00f9 ils allaient. Et l\u2019un d\u2019eux lui r\u00e9pondit\nque c\u2019\u00e9tait saint Augustin qui venait, avec ses chanoines, assister \u00e0 la\nmort de son ami, pour emporter ensuite son \u00e2me au glorieux royaume.\nVIII. Du vivant d\u2019Augustin, une femme, qui avait \u00e0 souffrir de la part\nde m\u00e9chants, vint trouver le saint pour lui demander conseil. Elle le\ntrouva occup\u00e9 \u00e0 \u00e9tudier; et il ne leva point les yeux sur elle, ni ne\nr\u00e9pondit \u00e0 ses paroles. En vain elle s\u2019approcha de lui, et lui parla\ndans l\u2019oreille, craignant que, dans sa saintet\u00e9, il ne voul\u00fbt point\nregarder un visage de femme. Augustin ne lui r\u00e9pondit toujours pas, ne\nparut pas l\u2019entendre; et elle s\u2019en alla toute triste. Mais le lendemain,\ncomme Augustin c\u00e9l\u00e9brait la messe, ladite femme fut ravie en esprit et\nse vit transport\u00e9e devant le tribunal de la Sainte Trinit\u00e9, Augustin\n\u00e9tait l\u00e0 aussi, la t\u00eate baiss\u00e9e. Et la femme entendit une voix qui lui\ndisait: \u00abLorsque tu es all\u00e9e chez Augustin, il se trouvait ainsi en\npr\u00e9sence de la Sainte Trinit\u00e9, et voil\u00e0 pourquoi il ne s\u2019est pas m\u00eame\naper\u00e7u de ta visite! Mais, \u00e0 pr\u00e9sent, si tu retournes chez lui, il\nt\u2019accueillera avec plaisir et te sera de bon conseil.\u00bb La femme retourna\ndonc chez Augustin, et tout se passa comme la voix l\u2019avait dit.\nIX. On raconte aussi que certain homme de Dieu, ayant \u00e9t\u00e9 ravi en\nesprit, vit tous les saints dans leur gloire, \u00e0 l\u2019exception de saint\nAugustin. Il demanda o\u00f9 \u00e9tait celui-ci. Et une voix lui r\u00e9pondit: \u00abIl\nest au plus haut des cieux, admis en pr\u00e9sence de la Sainte Trinit\u00e9!\u00bb\nX. Le marquis Malaspina, ayant jet\u00e9 en prison certains habitants de\nPavie, les condamna au supplice de la soif, pour leur extorquer une\ngrosse ran\u00e7on. Les uns buvaient leur urine, d\u2019autres se pr\u00e9paraient \u00e0\nrendre l\u2019\u00e2me. Le plus jeune d\u2019entre eux eut l\u2019id\u00e9e d\u2019invoquer l\u2019aide de\nsaint Augustin, pour qui il avait une d\u00e9votion sp\u00e9ciale. Et voil\u00e0 que, \u00e0\nminuit, saint Augustin apparut \u00e0 ce jeune homme, le prit parla main, le\nconduisit jusqu\u2019au fleuve, et lui mit sur la langue une feuille de vigne\ntremp\u00e9e dans l\u2019eau; et le jeune homme en fut si rafra\u00eechi que le plus\nparfait nectar n\u2019aurait plus eu pour lui la moindre saveur.\nXI. Un cur\u00e9 qui avait une grande d\u00e9votion pour saint Augustin, et qui,\ndepuis trois ans, \u00e9tait malade dans son lit, invoqua le saint la veille\nde sa f\u00eate, en entendant sonner les v\u00eapres. Et le saint lui apparut,\ntout v\u00eatu de blanc, l\u2019appela trois fois par son nom, et lui dit: \u00abVoici\ncelui que tu as si souvent appel\u00e9! l\u00e8ve-toi vite et c\u00e9l\u00e8bre-moi l\u2019office\ndes v\u00eapres!\u00bb Aussit\u00f4t le cur\u00e9, gu\u00e9ri, se leva, entra dans l\u2019\u00e9glise, \u00e0 la\nstup\u00e9faction de tous, et y c\u00e9l\u00e9bra pieusement l\u2019office.\nXII. Un berger avait entre les deux \u00e9paules un ulc\u00e8re qui le privait de\ntoutes ses forces. Il invoqua saint Augustin, qui lui apparut en r\u00eave,\nmit sa main sur l\u2019ulc\u00e8re, et le gu\u00e9rit enti\u00e8rement. Le m\u00eame homme, par\nla suite, devint aveugle, et de nouveau invoqua l\u2019aide de saint\nAugustin. Celui-ci lui apparut \u00e0 l\u2019heure de midi, lui frotta les yeux,\net aussit\u00f4t lui rendit la vue.\nXIII. L\u2019an du Seigneur 912, une troupe de quarante malades, venus\nd\u2019Allemagne et de France, se rendaient en p\u00e8lerinage \u00e0 Rome, pour y\nvisiter les tombeaux des ap\u00f4tres. Les uns \u00e9taient conduits sur des\nsellettes, d\u2019autres marchaient sur des b\u00e9quilles, d\u2019autres, priv\u00e9s de la\nvue, se tra\u00eenaient \u00e0 la suite de leurs compagnons, d\u2019autres encore\navaient les mains et les pieds paralys\u00e9s. Ayant franchi les Alpes et\n\u00e9tant arriv\u00e9s au village de Cana, \u00e0 trois milles de Pavie, ils virent\nvenir au-devant d\u2019eux saint Augustin, qui, sortant de l\u2019\u00e9glise des\nsaints Come et Damien, les salua et leur demanda o\u00f9 ils allaient. Puis\nil leur dit: \u00abAllez \u00e0 Pavie, dans l\u2019\u00e9glise de Saint-Pierre, qu\u2019on\nappelle aussi le Ciel-d\u2019Or; l\u00e0, on aura piti\u00e9 de vous!\u00bb Ils lui\ndemand\u00e8rent qui il \u00e9tait, et lui: \u00abJe suis Augustin, jadis \u00e9v\u00eaque\nd\u2019Hippone!\u00bb Et aussit\u00f4t il disparut. Les p\u00e8lerins, arriv\u00e9s \u00e0 Pavie, se\nrendirent au monast\u00e8re de Saint-Pierre; et l\u00e0, ayant appris que le corps\nde saint Augustin y \u00e9tait d\u00e9pos\u00e9, ils s\u2019\u00e9cri\u00e8rent, d\u2019une voix unanime:\n\u00abSaint Augustin, viens \u00e0 notre aide!\u00bb Moines et bourgeois, attir\u00e9s par\nleurs cris, affluaient pour les voir. Et soudain, sous l\u2019effet de\ntension de leurs nerfs, les p\u00e8lerins commenc\u00e8rent \u00e0 perdre leur sang, de\ntelle sorte que, depuis le seuil du monast\u00e8re jusqu\u2019au tombeau de saint\nAugustin, le sol se trouva tout ensanglant\u00e9. Mais d\u00e8s qu\u2019ils furent\nparvenus au tombeau du saint, tous recouvr\u00e8rent une sant\u00e9 parfaite.\nDepuis ce jour, la renomm\u00e9e du saint ne cessa point de grandir; et une\nfoule de malades se pressaient autour de son tombeau; puis, ayant \u00e9t\u00e9\ngu\u00e9ris, ils offraient des cadeaux \u00e0 l\u2019\u00e9glise, en gage de reconnaissance.\nEt bient\u00f4t la masse de ces cadeaux fut telle qu\u2019elle encombra la\nchapelle tout enti\u00e8re ainsi que tout le porche, au point de rendre la\ncirculation difficile autour du tombeau. Forc\u00e9s par la n\u00e9cessit\u00e9, les\nmoines firent transporter cette masse de cadeaux en un autre endroit.\nCXXIII\nSAINTE TH\u00c9ODORE[11]\n(28 ao\u00fbt)\n [11] L\u2019Eglise f\u00eate, en ce m\u00eame jour, une autre sainte Th\u00e9odore, vierge\n et martyre, qui est, comme l\u2019on sait, l\u2019h\u00e9ro\u00efne d\u2019une des plus\n belles trag\u00e9dies de Corneille.\nTh\u00e9odore, femme d\u2019illustre maison, demeurait \u00e0 Alexandrie, sous le r\u00e8gne\nde l\u2019empereur Z\u00e9non. Elle \u00e9tait mari\u00e9e \u00e0 un homme riche et qui craignait\nDieu; mais le diable, jaloux de sa saintet\u00e9, excita dans l\u2019\u00e2me d\u2019un\nautre citoyen d\u2019Alexandrie le d\u00e9sir de la poss\u00e9der, de telle sorte que\ncet homme ne cessait point de l\u2019importuner de ses instances et de ses\npr\u00e9sents, qu\u2019elle repoussait toujours d\u00e9daigneusement. Enfin cet homme\nenvoya vers elle une magicienne qui l\u2019engagea \u00e0 avoir piti\u00e9 de lui et \u00e0\nse livrer \u00e0 lui. Et comme Th\u00e9odore r\u00e9pondait que, vivant sous l\u2019\u0153il de\nDieu qui voyait toutes choses, jamais elle ne se r\u00e9soudrait \u00e0 commettre\nun aussi grand p\u00e9ch\u00e9, la magicienne lui dit: \u00abTout ce qui se fait dans\nle jour, Dieu le voit et le sait; mais ce qui se fait le soir, apr\u00e8s le\ncoucher du soleil, Dieu l\u2019ignore!\u00bb Sur quoi la dame, tromp\u00e9e par ce\nmensonge, se laissa toucher de piti\u00e9, et fit dire \u00e0 l\u2019homme qui l\u2019aimait\nqu\u2019elle l\u2019autorisait \u00e0 venir la voir apr\u00e8s le coucher du soleil. L\u2019homme\nn\u2019eut garde d\u2019y manquer: il vint le soir, entra dans le lit de Th\u00e9odore,\net puis s\u2019en alla. Mais Th\u00e9odore, revenant \u00e0 elle, pleurait am\u00e8rement et\nse frappait au visage, disant: \u00abH\u00e9las! h\u00e9las! j\u2019ai perdu mon \u00e2me, j\u2019ai\nd\u00e9truit mon honneur!\u00bb Le mari, revenant \u00e0 la maison, et trouvant sa\nfemme toute en larmes, sans savoir la cause de son chagrin, s\u2019ing\u00e9niait\n\u00e0 la consoler: mais elle se refusait \u00e0 toute consolation.\nLe lendemain matin, elle se rendit dans un couvent de nonnes, et demanda\n\u00e0 l\u2019abbesse si Dieu avait pu conna\u00eetre un grave p\u00e9ch\u00e9 qu\u2019elle avait\ncommis la veille, apr\u00e8s la tomb\u00e9e du soir. Et l\u2019abbesse: \u00abRien n\u2019est\ncach\u00e9 \u00e0 Dieu, qui voit et sait tout ce qui arrive, sans distinction\nd\u2019heure ni de lieu.\u00bb Alors la jeune femme, pleurant am\u00e8rement, dit:\n\u00abDonne-moi le livre du saint Evangile, pour que j\u2019y cherche moi-m\u00eame ma\ndestin\u00e9e!\u00bb Elle ouvrit le livre et lut: \u00abCe que j\u2019ai \u00e9crit, je l\u2019ai\n\u00e9crit!\u00bb\nElle revint chez elle; et un jour, pendant que son mari \u00e9tait absent,\nelle se coupa les cheveux, rev\u00eatit un v\u00eatement d\u2019homme, et se rendit\ndans un couvent de moines, qui \u00e9tait \u00e0 huit lieues d\u2019Alexandrie. L\u00e0,\nelle demanda \u00e0 \u00eatre admise parmi les moines, et sa demande lui fut\naccord\u00e9e. Interrog\u00e9e sur son nom, elle dit qu\u2019elle s\u2019appelait Th\u00e9odore.\nPuis sous le nom de fr\u00e8re Th\u00e9odore, elle remplit toutes les t\u00e2ches les\nplus dures du couvent, avec une humilit\u00e9 parfaite et \u00e0 la satisfaction\nde tous.\nQuelques ann\u00e9es plus tard, l\u2019abb\u00e9 ordonna au fr\u00e8re Th\u00e9odore d\u2019atteler\ndeux b\u0153ufs et d\u2019aller chercher de l\u2019huile \u00e0 Alexandrie. Or, le mari de\nTh\u00e9odore ne cessait point de pleurer et de se d\u00e9soler, pensant que sa\nfemme s\u2019en \u00e9tait all\u00e9e avec un autre homme. Et voici qu\u2019un ange lui\napparut, qui lui dit: \u00abDemain matin, l\u00e8ve-toi de bonne heure et va sur\nle chemin du martyre de l\u2019ap\u00f4tre Pierre; et la premi\u00e8re personne que tu\nrencontreras, ce sera ta femme Th\u00e9odore!\u00bb En effet, Th\u00e9odore, d\u00e8s\nqu\u2019elle aper\u00e7ut son mari, le reconnut, et se dit: \u00abH\u00e9las! mon cher mari,\ncombien je peine pour \u00eatre rachet\u00e9e du p\u00e9ch\u00e9 que j\u2019ai commis envers\ntoi!\u00bb Mais, lorsqu\u2019elle fut pr\u00e8s de lui, elle se borna \u00e0 le saluer, en\ndisant: \u00abGr\u00e2ces soient rendues \u00e0 Notre-Seigneur!\u00bb Le mari, lui, ne la\nreconnut pas sous son d\u00e9guisement, et passa toute la journ\u00e9e et la nuit\n\u00e0 attendre sa femme sur le chemin. Et, le lendemain matin, une voix d\u2019en\nhaut lui dit: \u00abLe moine qui t\u2019a salu\u00e9 hier matin, c\u2019\u00e9tait ta femme!\u00bb\nCependant, Th\u00e9odore \u00e9tait parvenue \u00e0 une telle saintet\u00e9, qu\u2019elle faisait\nde nombreux miracles. Elle obtint, notamment, de ressusciter, par ses\npri\u00e8res, un homme qu\u2019une b\u00eate f\u00e9roce avait mis en pi\u00e8ces; et la b\u00eate,\nd\u00e8s qu\u2019elle l\u2019eut maudite, mourut aussit\u00f4t. Mais le diable, jaloux de sa\nsaintet\u00e9, lui apparut et lui dit: \u00abProstitu\u00e9e et adult\u00e8re, tu as\nabandonn\u00e9e ton mari, et tu es venue ici lutter contre moi. Sache donc\nque, par mon pouvoir terrible, je saurai t\u2019attaquer et te faire renier\nton crucifix!\u00bb Sur quoi Th\u00e9odore fit le signe de la croix, et aussit\u00f4t\nle d\u00e9mon s\u2019\u00e9vanouit. Mais un jour, comme elle revenait de la ville avec\nson attelage, elle re\u00e7ut l\u2019hospitalit\u00e9 dans une maison o\u00f9 une jeune\nfille s\u2019approcha d\u2019elle, et lui dit: \u00abViens dormir avec moi!\u00bb Le moine\ns\u2019y \u00e9tant refus\u00e9, la fille alla trouver un autre homme qui demeurait\ndans la maison. Et, lorsque plus tard, son ventre se trouva enfl\u00e9, et\nqu\u2019on lui demanda de qui elle \u00e9tait enceinte, elle r\u00e9pondit: \u00abDu moine\nTh\u00e9odore, qui a couch\u00e9 avec moi!\u00bb L\u2019enfant fut donc remis \u00e0 l\u2019abb\u00e9 du\nmonast\u00e8re qui, apr\u00e8s l\u2019avoir plac\u00e9 sur les \u00e9paules de fr\u00e8re Th\u00e9odore,\naccabla celui-ci de reproches et le chassa du monast\u00e8re. Et, pendant\nsept ann\u00e9es, la sainte v\u00e9cut \u00e0 la porte du monast\u00e8re, nourrissant\nl\u2019enfant du lait du troupeau.\nOr le diable, jaloux d\u2019une telle patience, prit la forme du mari de\nTh\u00e9odore, et, apparaissant devant elle, lui dit: \u00abQue fais-tu l\u00e0, ch\u00e8re\nma\u00eetresse, pendant que je languis de toi et ne parviens pas \u00e0 me\nconsoler? Viens donc, ma lumi\u00e8re; et, si tu as couch\u00e9 avec un autre\nhomme, je te le pardonne!\u00bb Et elle, croyant que c\u2019\u00e9tait vraiment son\nmari, lui dit: \u00abJamais plus je n\u2019habiterai avec toi, mon cher mari,\nparce qu\u2019un autre homme a couch\u00e9 avec moi, et que je veux faire\np\u00e9nitence de ma faute \u00e0 ton \u00e9gard!\u00bb Puis elle se mit en pri\u00e8res, et\naussit\u00f4t le faux mari s\u2019\u00e9vanouit, de telle sorte qu\u2019elle reconnut que\nc\u2019\u00e9tait le diable. Une autre fois, celui-ci, voulant l\u2019effrayer, lan\u00e7a\nsur elle des esprits d\u00e9guis\u00e9s en b\u00eates f\u00e9roces; et il leur criait:\n\u00abD\u00e9vorez cette prostitu\u00e9e!\u00bb Mais elle se mit en pri\u00e8res et les b\u00eates\ndisparurent.\nUne autre fois, une arm\u00e9e passa pr\u00e8s d\u2019elle; et un chef la commandait\nque tous adoraient; et ils dirent \u00e0 Th\u00e9odore: \u00abDebout, et adore notre\nprince!\u00bb Mais elle r\u00e9pondit: \u00abJe n\u2019adore que mon Dieu!\u00bb D\u00e9nonc\u00e9e au\nchef, celui-ci la fit rouer de coups; et puis, arm\u00e9e et chef, tout\ns\u2019\u00e9vanouit, car tout cela n\u2019\u00e9tait qu\u2019une ruse du diable. Et maintes fois\nencore elle fut ainsi tent\u00e9e et pers\u00e9cut\u00e9e, mais toujours sa pri\u00e8re lui\nassura la victoire.\nEnfin, apr\u00e8s sept ann\u00e9es, l\u2019abb\u00e9, admirant sa patience, lui pardonna et\nl\u2019autorisa \u00e0 rentrer dans le monast\u00e8re avec son enfant. Elle y v\u00e9cut\ndeux ans de la fa\u00e7on la plus sainte. Puis, un jour, elle appela l\u2019enfant\net s\u2019enferma avec lui dans sa cellule. Ce qu\u2019apprenant, l\u2019abb\u00e9 ordonna \u00e0\ndes moines d\u2019aller \u00e9couter \u00e0 la porte ce que disait le fr\u00e8re Th\u00e9odore.\nEt celui-ci, couvrant l\u2019enfant de baisers, lui disait: \u00abMon fils ch\u00e9ri,\nle terme de ma vie approche! Je te laisse \u00e0 Dieu, qui sera ton p\u00e8re et\nton soutien. Mon enfant, ne te rel\u00e2che pas de je\u00fbner et de prier, et de\nservir humblement tes fr\u00e8res!\u00bb Puis, ayant dit cela, Th\u00e9odore rendit son\n\u00e2me au Seigneur et s\u2019endormit doucement en lui: mais l\u2019enfant, \u00e0 cette\nvue, \u00e9clata en sanglots. Or la m\u00eame nuit, l\u2019abb\u00e9 du monast\u00e8re eut une\nvision. Il vit de grandes noces qui se pr\u00e9paraient; et toute la troupe\ndes anges, des proph\u00e8tes, des martyrs et des saints \u00e9tait l\u00e0; et au\nmilieu d\u2019eux se tenait une femme environn\u00e9e de gloire, qui bient\u00f4t alla\ns\u2019asseoir sur le lit nuptial; et tous, debout, la saluaient. Et une voix\ns\u2019\u00e9leva, qui dit: \u00abCette femme est le fr\u00e8re Th\u00e9odore, faussement accus\u00e9\nd\u2019avoir eu un enfant!\u00bb L\u2019abb\u00e9, r\u00e9veill\u00e9, courut avec ses fr\u00e8res \u00e0 la\ncellule du moine d\u00e9funt; et, en d\u00e9couvrant celui-ci, ils virent que\nc\u2019\u00e9tait une femme; et l\u2019abb\u00e9, ayant mand\u00e9 le p\u00e8re de la jeune fille qui\nl\u2019avait d\u00e9nonc\u00e9, lui dit: \u00abL\u2019amant de ta fille est mort!\u00bb Puis, relevant\nle manteau du mort, il lui montra que c\u2019\u00e9tait une femme.\nLe lendemain, l\u2019abb\u00e9 entendit une voix qui lui disait: \u00abL\u00e8ve-toi, monte\n\u00e0 cheval, et va \u00e0 la ville; et, le premier homme que tu rencontreras,\nprends-le en croupe et ram\u00e8ne-le ici!\u00bb L\u2019abb\u00e9 se mit donc en route: en\nchemin, il rencontra un homme qui courait. Et cet homme, interrog\u00e9, lui\ndit: \u00abMa femme vient de mourir; je cours la revoir!\u00bb Alors l\u2019abb\u00e9 prit\nen croupe, sur son cheval, le mari de Th\u00e9odore; et lorsqu\u2019ils furent\narriv\u00e9s aupr\u00e8s de la morte, ils pleur\u00e8rent beaucoup, et ils\nl\u2019ensevelirent solennellement. Apr\u00e8s quoi le mari demanda \u00e0 habiter la\ncellule de sa femme, et y demeura tout le reste de ses jours. Quant \u00e0\nl\u2019enfant adopt\u00e9 par Th\u00e9odore, il suivit si bien l\u2019exemple de vertu que\nlui avait donn\u00e9 sa m\u00e8re nourrici\u00e8re que, \u00e0 la mort de l\u2019abb\u00e9, les\nmoines, d\u2019une commune voix, l\u2019appel\u00e8rent \u00e0 les diriger.\nCXXIV\nLA D\u00c9COLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE\n(29 ao\u00fbt)\nI. La f\u00eate de la D\u00e9collation de saint Jean-Baptiste se c\u00e9l\u00e8bre pour\nquatre motifs, que nous expose l\u2019_Office mitral_: 1\u00ba pour comm\u00e9morer la\nd\u00e9collation du saint; 2\u00ba pour comm\u00e9morer la combustion de ses os; 3\u00ba\npour comm\u00e9morer la d\u00e9couverte de son chef; 4\u00ba pour comm\u00e9morer la\ntranslation d\u2019un de ses doigts, et la d\u00e9dicace de son \u00e9glise.\n1\u00ba Racontons d\u2019abord la d\u00e9collation du saint, d\u2019apr\u00e8s l\u2019_Histoire\neccl\u00e9siastique_. H\u00e9rode Antipas, fils du grand H\u00e9rode, se rendant \u00e0\nRome, et s\u2019\u00e9tant arr\u00eat\u00e9 en chemin chez son fr\u00e8re Philippe, s\u2019entendit\nsecr\u00e8tement avec H\u00e9rodiade, femme de Philippe, et qui, suivant Jos\u00e8phe,\n\u00e9tait s\u0153ur d\u2019H\u00e9rode Agrippa: ils convinrent que, au retour d\u2019Antipas,\ncelui-ci r\u00e9pudierait sa femme pour \u00e9pouser H\u00e9rodiade. Ce qu\u2019apprenant,\nla femme d\u2019Antipas, fille du roi de Damas Ar\u00e9tas, s\u2019enfuit aupr\u00e8s de son\np\u00e8re sans attendre le retour de son mari. Et celui-ci, d\u00e8s qu\u2019il fut\nrevenu, \u00e9pousa H\u00e9rodiade, s\u2019ali\u00e9nant ainsi, \u00e0 la fois, le roi Ar\u00e9tas,\nH\u00e9rode Agrippa et Philippe.\nOr saint Jean lui reprochait en termes tr\u00e8s vifs d\u2019avoir viol\u00e9 la Loi,\nen \u00e9pousant la femme de son fr\u00e8re, du vivant de celui-ci. Ce que voyant,\nH\u00e9rode le fit jeter en prison, tant pour plaire \u00e0 sa femme que pour\nemp\u00eacher Jean de soulever le peuple contre lui. Cependant il n\u2019osait le\ntuer, par crainte du peuple. Mais comme sa femme et lui voulaient sa\nmort, ils convinrent en secret que, dans une f\u00eate qui allait \u00eatre donn\u00e9e\npour l\u2019anniversaire de la naissance d\u2019H\u00e9rode, la fille d\u2019H\u00e9rodiade\ndanserait devant lui, qu\u2019en r\u00e9compense ils l\u2019autoriseraient \u00e0 obtenir ce\nqu\u2019elle lui demanderait, que la jeune fille lui demanderait alors la\nt\u00eate de saint Jean, et que lui, tout en affectant d\u2019\u00eatre d\u00e9sol\u00e9 de son\nserment se d\u00e9clarerait ainsi forc\u00e9 \u00e0 le tenir.\nDonc, pendant le festin, la jeune fille arrive, danse devant tous, pla\u00eet\n\u00e0 tous; et le roi lui promet de lui offrir tout ce qu\u2019elle lui\ndemandera; et elle, sur le conseil de sa m\u00e8re, demande la t\u00eate de saint\nJean, que le roi lui accorde en feignant de d\u00e9plorer son serment. Puis\nle bourreau se rend dans la prison, coupe la t\u00eate de saint Jean, la\nremet \u00e0 la jeune fille, qui va la pr\u00e9senter \u00e0 sa m\u00e9chante m\u00e8re.\nDans un sermon pr\u00each\u00e9 pour la f\u00eate de la D\u00e9collation de saint Jean,\nsaint Augustin, cite, \u00e0 cette occasion, l\u2019exemple que voici: \u00abUn homme\nplein de droiture et de bonne foi m\u2019a racont\u00e9 que, exasp\u00e9r\u00e9 de voir\nqu\u2019un de ses d\u00e9biteurs niait sa dette, il l\u2019avait provoqu\u00e9 \u00e0 pr\u00eater\nserment. Le d\u00e9biteur jura, et l\u2019honn\u00eate homme perdit son proc\u00e8s. Et, en\noutre, la nuit suivante, ce cr\u00e9ancier se vit, en r\u00eave, conduit devant le\njuge, qui lui dit: \u00abPourquoi as-tu provoqu\u00e9 ton d\u00e9biteur \u00e0 jurer, quand\ntu savais qu\u2019il ferait un faux serment?\u00bb Le cr\u00e9ancier r\u00e9pondit: \u00abCet\nhomme niait sa dette!\u00bb Mais le juge: \u00abMieux valait perdre ta dette que\nde tuer l\u2019\u00e2me d\u2019autrui en l\u2019amenant \u00e0 se parjurer!\u00bb Sur quoi, le juge le\nfit battre de verges, et si fort que, le lendemain \u00e0 son r\u00e9veil, tout\nson dos en portait les traces.\u00bb\nQuant \u00e0 H\u00e9rode, il ne resta pas impuni. L\u2019_Histoire scholastique_\nraconte en effet qu\u2019H\u00e9rode Agrippa, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 de sa pauvret\u00e9, entra un\njour dans une tour pour s\u2019y laisser mourir de faim. Ce qu\u2019apprenant, sa\ns\u0153ur H\u00e9rodiade supplia son mari, le t\u00e9trarque H\u00e9rode Antipas, de venir\nen aide \u00e0 son fr\u00e8re. Ainsi fut fait; mais comme, un jour, les deux\nH\u00e9rode d\u00eenaient ensemble, le t\u00e9trarque, \u00e9chauff\u00e9 par le vin, se mit \u00e0\nreprocher \u00e0 H\u00e9rode Agrippa tous les bienfaits dont il l\u2019avait combl\u00e9.\nSur quoi H\u00e9rode Agrippa, irrit\u00e9, s\u2019enfuit \u00e0 Rome, o\u00f9 il s\u2019acquit tant de\nfaveur aupr\u00e8s de Caligula, que celui-ci le nomma t\u00e9trarque de deux\nprovinces, et lui promit de le nommer roi de Jud\u00e9e. A cette nouvelle,\nH\u00e9rodiade insista vivement aupr\u00e8s de son mari pour qu\u2019il se rend\u00eet \u00e0\nRome, et sollicit\u00e2t pour lui-m\u00eame le titre de roi. Et H\u00e9rode, d\u2019abord,\ns\u2019y refusait, pr\u00e9f\u00e9rant la tranquillit\u00e9 \u00e0 un honneur p\u00e9rilleux; mais\nenfin il se laissa convaincre, et se rendit \u00e0 Rome. Aussit\u00f4t Agrippa\n\u00e9crivit \u00e0 Caligula que son beau-fr\u00e8re s\u2019\u00e9tait alli\u00e9 avec le roi des\nParthes, et projetait de se soulever contre le joug romain: en preuve de\nquoi il ajoutait qu\u2019Antipas, dans ses places fortes, avait assez d\u2019armes\npour \u00e9quiper soixante-dix mille hommes: Caligula; au re\u00e7u de cette\nlettre, demanda \u00e0 H\u00e9rode si c\u2019\u00e9tait vrai qu\u2019il e\u00fbt, dans ses places\nfortes, une telle quantit\u00e9 d\u2019armes. Et H\u00e9rode, qui ne soup\u00e7onnait rien,\navoua le fait: sur quoi Caligula, persuad\u00e9 qu\u2019Agrippa lui avait \u00e9crit la\nv\u00e9rit\u00e9, condamna le t\u00e9trarque \u00e0 l\u2019exil, en laissant \u00e0 H\u00e9rodiade la\npermission de rentrer \u00e0 J\u00e9rusalem. Mais H\u00e9rodiade se refusa \u00e0 quitter\nson mari, disant que, comme elle avait partag\u00e9 sa prosp\u00e9rit\u00e9, elle\nvoulait encore partager sa mis\u00e8re. Tous deux furent donc r\u00e9l\u00e9gu\u00e9s \u00e0\nLyon, o\u00f9 ils finirent leur vie mis\u00e9rablement.\n2\u00ba La combustion des os de saint Jean-Baptiste eut lieu le jour de la\nf\u00eate de sa d\u00e9collation, comme si Dieu avait accord\u00e9 au saint la faveur\nd\u2019un second martyre. Les disciples de Jean avaient enseveli son corps \u00e0\nS\u00e9baste, en Palestine, entre les corps des proph\u00e8tes Elis\u00e9e et Abdias.\nEt comme de nombreux miracles se produisaient en ce lieu, Julien\nl\u2019Apostat fit d\u2019abord disperser au vent les os du saint; puis, les\nmiracles ne cessant point, ils les fit br\u00fbler, r\u00e9duire en poudre et\ndisperser dans les champs. Mais pendant qu\u2019on les recueillait pour les\nbr\u00fbler, des moines de J\u00e9rusalem se m\u00eal\u00e8rent aux pa\u00efens, et emport\u00e8rent\nune grande partie des saints ossements. Ils les remirent \u00e0 Philippe,\n\u00e9v\u00eaque de J\u00e9rusalem, qui les envoya plus tard \u00e0 Athanase, \u00e9v\u00eaque\nd\u2019Alexandrie. Et plus tard encore l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Alexandrie, Th\u00e9ophile, les\ninstalla dans un ancien temple de S\u00e9rapis, dont il fit une basilique en\nl\u2019honneur de saint Jean. Ajoutons qu\u2019aujourd\u2019hui ces reliques v\u00e9n\u00e9rables\nse trouvent \u00e0 G\u00eanes, ainsi que l\u2019ont solennellement confirm\u00e9 les papes\nAlexandre III et Innocent IV.\nEt, de m\u00eame qu\u2019H\u00e9rode, Julien, le second pers\u00e9cuteur de saint\nJean-Baptiste, ne resta pas impuni: nous avons racont\u00e9 d\u00e9j\u00e0 ses\npers\u00e9cutions et son ch\u00e2timent dans l\u2019histoire de _Saint Julien_, dont la\nf\u00eate vient apr\u00e8s la Conversion de saint Paul. Mais l\u2019_Histoire\ntripartite_ nous donne encore, sur le r\u00e8gne et la mort de l\u2019Apostat,\nd\u2019autres d\u00e9tails, qui m\u00e9ritent d\u2019\u00eatre signal\u00e9s.\nA la mort de Constance, Julien, voulant plaire \u00e0 tous, permit que chacun\nsuiv\u00eet librement le culte qui lui convenait. Il chassa aussi, de sa\ncour, les eunuques, les cuisiniers et les barbiers: les eunuques, parce\nque sa femme \u00e9tait morte, et qu\u2019il n\u2019avait pas l\u2019intention de se\nremarier; les cuisiniers, parce qu\u2019il mangeait de la fa\u00e7on la plus\nsimple et la plus frugale; les barbiers, parce que, disait-il, \u00abun seul\nsuffit \u00e0 faire beaucoup d\u2019ouvrage\u00bb. Il dicta \u00e9galement un grand nombre\nde livres, o\u00f9 il d\u00e9chirait tous les empereurs qui avaient r\u00e9gn\u00e9 avant\nlui.--Un jour qu\u2019il sacrifiait aux idoles, on lui montra, dans les\nentrailles d\u2019une victime, une croix entour\u00e9e d\u2019une couronne. Signe dont\nles augures furent effray\u00e9s, car ils y lisaient l\u2019unit\u00e9, la victoire et\nl\u2019\u00e9ternit\u00e9 de la croix. Mais Julien les consola, en leur disant que ce\nsigne signifiait que le dogme chr\u00e9tien e\u00fbt \u00e0 \u00eatre enferm\u00e9 dans un cercle\n\u00e9troit, d\u2019o\u00f9 on devait bien se garder de le laisser sortir.--A\nConstantinople, comme il sacrifiait \u00e0 la d\u00e9esse de la Fortune, le vieil\n\u00e9v\u00eaque de Chalc\u00e9doine, Maris, \u00e0 qui l\u2019\u00e2ge avait fait perdre la vue, vint\nlui reprocher son apostasie. Et Julien: \u00abTout de m\u00eame, ton Galil\u00e9en n\u2019a\npas pu te garder la vue!\u00bb Et Maris: \u00abIl n\u2019y a rien dont je remercie\nautant mon Dieu que de m\u2019avoir ferm\u00e9 les yeux, de fa\u00e7on \u00e0 m\u2019emp\u00eacher de\nte voir d\u00e9pouill\u00e9 de la foi!\u00bb Et Julien s\u2019en alla sans rien r\u00e9pondre.--A\nAntioche, il fit jeter \u00e0 terre les vases et v\u00eatements sacr\u00e9s, s\u2019assit\nau-dessus d\u2019eux et les salit de sa fiente; et bient\u00f4t cette partie de\nson corps se remplit de vers qui rongeaient ses boyaux; et jamais, tant\nqu\u2019il v\u00e9cut, il ne put se gu\u00e9rir de cette maladie.--Plus terrible encore\nfut le ch\u00e2timent inflig\u00e9 \u00e0 un de ses pr\u00e9fets, nomm\u00e9 Julien, qui avait\nos\u00e9 uriner dans un vase sacr\u00e9. Celui-l\u00e0 vit tout \u00e0 coup sa bouche\nchang\u00e9e en orifice f\u00e9cal.--Dans un sacrifice c\u00e9l\u00e9br\u00e9 en pr\u00e9sence de\nJulien, une goutte d\u2019eau soi-disant consacr\u00e9e tomba sur la tunique de\nValentinien, qui, en secret, \u00e9tait rest\u00e9 fid\u00e8le au Christ. Alors\nValentinien, indign\u00e9, frappa le pr\u00eatre du temple, lui reprochant de\nl\u2019avoir souill\u00e9: ce qui lui valut d\u2019\u00eatre exil\u00e9 par Julien, mais aussi,\nplus tard, d\u2019\u00eatre promu \u00e0 l\u2019empire.--Par haine des chr\u00e9tiens, Julien fit\nreconstruire \u00e0 ses frais le temple des Juifs; mais, au moment o\u00f9 on le\nconstruisait, un vent terrible dispersa tout le ciment, apr\u00e8s quoi un\ntremblement de terre acheva d\u2019an\u00e9antir le reste du travail. Et, le\nlendemain, le signe de la croix apparut dans le ciel, et l\u2019on vit des\ncroix grav\u00e9es sur les v\u00eatements des Juifs.--Lorsque, dans son exp\u00e9dition\ncontre les Perses, Julien mit le si\u00e8ge devant Ct\u00e9siphon, le roi des\nPerses lui offrit la moiti\u00e9 de son royaume s\u2019il consentait \u00e0 se retirer.\nMais Julien refusa d\u00e9daigneusement; car, croyant \u00e0 la m\u00e9tempsycose,\nd\u2019apr\u00e8s Pythagore et Platon, il s\u2019imaginait avoir en lui l\u2019\u00e2me\nd\u2019Alexandre. Et, soudain, une fl\u00e8che, lui entrant dans le c\u00f4t\u00e9, mit fin\n\u00e0 sa vie. Quant \u00e0 savoir qui lui lan\u00e7a cette fl\u00e8che, c\u2019est ce que,\njusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, on ignore. Mais, qu\u2019elle ait \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9e par un homme ou\nun ange, ou encore par un d\u00e9mon,--comme l\u2019affirme Calixte,--\u00e0 coup sur\nc\u2019est sur l\u2019ordre de Dieu qu\u2019elle a ch\u00e2ti\u00e9 l\u2019Apostat.\n3\u00ba C\u2019est encore en ce jour qu\u2019a \u00e9t\u00e9 retrouv\u00e9e, dit-on, la t\u00eate de saint\nJean. Celui-ci avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9capit\u00e9 dans une place forte d\u2019Arabie nomm\u00e9e\nMach\u00e9ron; mais H\u00e9rodiade avait emport\u00e9 sa t\u00eate \u00e0 J\u00e9rusalem, et l\u2019avait\nfait enterrer pr\u00e8s de son palais, craignant que le proph\u00e8te ne\nressuscit\u00e2t si sa t\u00eate rejoignait son tronc. Or, sous le r\u00e8gne de\nMarcien, qui commen\u00e7a de r\u00e9gner en l\u2019an 353, saint Jean r\u00e9v\u00e9la\nl\u2019emplacement de son chef \u00e0 deux moines qui \u00e9taient venus \u00e0 J\u00e9rusalem.\nAussit\u00f4t les moines, courant \u00e0 ce qui avait \u00e9t\u00e9 le palais d\u2019H\u00e9rode,\nd\u00e9couvrirent la sainte relique, entour\u00e9e d\u2019un sac de peau, que l\u2019on\navait fait, sans doute, avec le v\u00eatement du Baptiste. Et comme ensuite\nles moines emportaient leur trouvaille dans leur pays, un potier de la\nville d\u2019Em\u00e8se, que la pauvret\u00e9 avait chass\u00e9 de chez lui, se joignit \u00e0\neux. Ce potier fut charg\u00e9 de porter la besace qui contenait la t\u00eate de\nsaint Jean; et voici que, sur le conseil du saint, qui lui \u00e9tait apparu,\nil faussa compagnie aux moines, emporta la t\u00eate du saint dans sa ville\nnatale, la cacha dans une grotte, et, gr\u00e2ce \u00e0 son culte pour elle,\ns\u2019acquit une fortune consid\u00e9rable. En mourant, il r\u00e9v\u00e9la son secret \u00e0 sa\ns\u0153ur, mais avec d\u00e9fense de le r\u00e9v\u00e9ler jamais \u00e0 une autre personne qu\u2019\u00e0\nson h\u00e9ritier direct. Et, longtemps plus tard, le moine saint Marcel, qui\nvivait dans cette grotte, vit en r\u00eave une troupe d\u2019anges, qui\nchantaient: \u00abVoici que vient saint Jean-Baptiste!\u00bb Puis il vit entrer le\nsaint, que les anges soutenaient des deux c\u00f4t\u00e9s, et qui b\u00e9nissait tous\nceux qui l\u2019approchaient. Et comme Marcel se prosternait, pour recevoir\nsa b\u00e9n\u00e9diction, saint Jean le releva, et lui donna le baiser de paix:\napr\u00e8s quoi il lui dit qu\u2019il venait de S\u00e9baste pour demeurer en ce lieu.\nUne autre nuit, Marcel, soudain r\u00e9veill\u00e9, vit une \u00e9toile brillante,\nfix\u00e9e dans la porte de sa cellule. Il se leva et voulut la toucher: mais\nelle se transporta dans un autre coin de sa cellule, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle\ns\u2019arr\u00eata au-dessus de l\u2019endroit o\u00f9 \u00e9tait enfoui le chef de saint Jean.\nMarcel creusa la terre, en cet endroit, et d\u00e9couvrit l\u2019urne avec le\nsaint tr\u00e9sor. Et comme un des assistants refusait de croire au miracle,\nsa main s\u00e9cha d\u00e8s qu\u2019il toucha l\u2019urne, et resta attach\u00e9e \u00e0 celle-ci.\nEnfin, gr\u00e2ce aux pri\u00e8res de Marcel, cette main put se d\u00e9tacher, mais\nelle resta s\u00e8che jusqu\u2019au moment o\u00f9, sur l\u2019ordre de saint Jean, le chef\nv\u00e9n\u00e9rable fut d\u00e9pos\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise de la ville. Et, depuis ce temps, on\ncommen\u00e7a \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer, dans cette ville, la D\u00e9collation de saint\nJean-Baptiste, au jour anniversaire de l\u2019invention de son chef.\nPlus tard encore, ce chef fut transport\u00e9 \u00e0 Constantinople. Comme on l\u2019y\ntransportait, par ordre de l\u2019empereur Valence, le char qui le conduisait\ns\u2019arr\u00eata d\u2019abord \u00e0 Chalc\u00e9doine, sans que nulle force d\u2019hommes ni de\nb\u0153ufs p\u00fbt l\u2019entra\u00eener plus loin. Mais par la suite, Th\u00e9odose demanda \u00e0\nla jeune fille qui gardait la relique, dans l\u2019\u00e9glise de Chalc\u00e9doine, si\nelle lui permettait d\u2019essayer \u00e0 nouveau de transporter la relique \u00e0\nConstantinople. Et la jeune fille le permit, se figurant que, cette fois\nencore, la sainte relique refuserait de sortir de la ville. Alors le\npieux empereur, enveloppant la relique dans sa pourpre imp\u00e9riale, la\ntransporta \u00e0 Constantinople o\u00f9 il \u00e9leva en son honneur une \u00e9glise\nmagnifique. Plus tard encore, sous le r\u00e8gne de P\u00e9pin, la sainte t\u00eate fut\ntransport\u00e9e en Gaule, \u00e0 Poitiers, o\u00f9, par ses m\u00e9rites, plusieurs morts\nressuscit\u00e8rent.\nNotons ici en passant que, d\u2019apr\u00e8s une tradition, la jeune fille qui\navait dans\u00e9 pour obtenir la t\u00eate de saint Jean, aurait re\u00e7u, elle aussi,\nson ch\u00e2timent, de m\u00eame qu\u2019H\u00e9rode, H\u00e9rodiade et Julien. Un jour qu\u2019elle\npatinait sur la glace, la glace se fendit, et elle fut noy\u00e9e. Ou encore,\nsuivant d\u2019autres, la terre s\u2019ouvrit pour la d\u00e9vorer.\n4\u00ba Enfin l\u2019on raconte que le doigt dont saint Jean s\u2019\u00e9tait servi pour\nd\u00e9signer le Seigneur ne put pas \u00eatre br\u00fbl\u00e9 avec le reste de ses os.\nRetrouv\u00e9 par les moines susdits, ce doigt fut ensuite transport\u00e9 par\nsainte Th\u00e8cle au-del\u00e0 des Alpes, et d\u00e9pos\u00e9 par elle dans l\u2019\u00e9glise de\nSaint-Martin. Mais, d\u2019apr\u00e8s Jean Beleth, c\u2019est en Normandie que ce doigt\naurait \u00e9t\u00e9 port\u00e9 par sainte Th\u00e8cle, et une \u00e9glise consacr\u00e9e en son\nhonneur, ce m\u00eame jour. Et de l\u00e0 viendrait le choix de ce jour pour\ncomm\u00e9morer la D\u00e9collation.\nII. Dans une ville de Gaule appel\u00e9e aujourd\u2019hui Saint-Jean-de-Maurienne,\nune femme priait Dieu avec instance pour obtenir une relique de saint\nJean. Et comme ses pri\u00e8res ne lui servaient de rien, elle s\u2019enhardit\njusqu\u2019\u00e0 faire le serment de ne rien avaler tant qu\u2019elle n\u2019aurait pas\nobtenu ce qu\u2019elle demandait. Apr\u00e8s plusieurs jours de je\u00fbne elle\naper\u00e7ut, sur l\u2019autel, un pouce d\u2019une blancheur merveilleuse, et d\u00e9j\u00e0\nelle s\u2019empressait d\u2019aller prendre cette sainte relique, lorsque\nsurvinrent trois \u00e9v\u00eaques qui voulurent en avoir chacun leur part. Mais\naussit\u00f4t, trois gouttes de sang tomb\u00e8rent, du doigt miraculeux, sur le\nlinge qu\u2019ils tendaient au-dessous de lui. Et, laissant le doigt \u00e0 la\nfemme, chacun des \u00e9v\u00eaques prit pour lui une de ces gouttes, en\nremerciant Dieu, du grand honneur qu\u2019il daignait leur faire.\nIII. La reine des Lombards, Theudeline, fit construire une riche \u00e9glise,\nen l\u2019honneur de saint Jean-Baptiste, \u00e0 Monza, pr\u00e8s de Milan. Et Paul,\nl\u2019historiographe des Lombards, raconte que les empereurs Constantin et\nConstant, qui d\u00e9siraient arracher l\u2019Italie aux Lombards, firent demander\n\u00e0 un saint ermite quelle serait l\u2019issue de la guerre. Et l\u2019ermite\nr\u00e9pondit: \u00abSaint Jean ne cesse pas d\u2019interc\u00e9der pour les Lombards, par\nreconnaissance pour leur reine qui lui a \u00e9lev\u00e9 une \u00e9glise. Mais un temps\nviendra o\u00f9 cette \u00e9glise sera d\u00e9laiss\u00e9e, et alors l\u2019empire des Lombards\nprendra fin.\u00bb C\u2019est en effet ce qui arriva, au temps de l\u2019empereur\nCharlemagne.\nCXXV\nSAINT SAVINIEN, MARTYR, ET SAINTE SAVINE\n(29 ao\u00fbt)\nI. Savinien et Savine \u00e9taient les enfants d\u2019un noble pa\u00efen nomm\u00e9 Savin,\nqui les avait eus de ses deux mariages successifs. Or, Savinien, ayant\nlu le verset _Asperges me, Domine_, demanda ce que signifiaient ces\nmots. Personne ne put les lui expliquer. Alors, se r\u00e9fugiant dans sa\nchambre, il se roulait dans la cendre sur un cilice, disant qu\u2019il aimait\nmieux mourir que de ne pas comprendre le sens de ces paroles. Sur quoi\nun ange lui apparut et lui dit: \u00abNe te tue point \u00e0 force de te torturer,\ncar tu as trouv\u00e9 gr\u00e2ce devant Dieu; et quand tu auras re\u00e7u le bapt\u00eame,\naussit\u00f4t, devenu pur comme la neige, tu comprendras ce que tu d\u00e9sires\ncomprendre!\u00bb Rest\u00e9 seul, Savinien, tout joyeux, refusa d\u00e9sormais de\nv\u00e9n\u00e9rer les idoles, ce qui lui valut d\u2019\u00eatre fort grond\u00e9 par son p\u00e8re.\nCelui-ci lui disait souvent: \u00abSi tu ne veux pas adorer nos dieux, mieux\nvaut au moins que tu meures seul, plut\u00f4t que de nous entra\u00eener tous dans\nla mort avec toi!\u00bb Alors le jeune homme s\u2019enfuit en secret, et se rendit\n\u00e0 la ville de Troyes. L\u00e0, \u00e9tant arriv\u00e9 au bord de la Seine, il pria Dieu\nde lui permettre de recevoir le bapt\u00eame dans l\u2019eau de ce fleuve. Dieu le\nlui permit, et, apr\u00e8s son bapt\u00eame, une voix d\u2019en haut lui dit: \u00abTu as\ntrouv\u00e9, maintenant, ce que tu as si longtemps pein\u00e9 \u00e0 chercher!\u00bb Apr\u00e8s\nquoi Savinien ficha son b\u00e2ton en terre, et, quand il eut pri\u00e9, ce b\u00e2ton,\nau vu de tous, se couvrit de feuilles et de fleurs. Et onze cent huit\npersonnes, ayant vu ce miracle, se convertirent \u00e0 la foi chr\u00e9tienne.\nCe qu\u2019apprenant, l\u2019empereur Aur\u00e9lien envoya des soldats pour s\u2019emparer\nde lui: mais les soldats, l\u2019ayant trouv\u00e9 en pri\u00e8re, n\u2019os\u00e8rent\nl\u2019approcher. L\u2019empereur lui envoya d\u2019autres soldats, qui, l\u2019ayant\n\u00e9galement trouv\u00e9 en pri\u00e8re, pri\u00e8rent d\u2019abord avec lui; puis, s\u2019\u00e9tant\nrelev\u00e9s ils le conduisirent devant l\u2019empereur. Celui-ci, sur son refus\nde sacrifier, lui fit lier les pieds et les mains et le fit frapper de\npointes de fer. Et Savinien: \u00abInflige-moi d\u2019autres tourments encore, si\ntu le peux!\u00bb L\u2019empereur le fit placer sur un b\u00fbcher, au milieu de la\nville, et ordonna qu\u2019on r\u00e9pand\u00eet de l\u2019huile sur le bois, pour attiser le\nfeu. Mais voici que, levant les yeux sur lui, l\u2019empereur le vit debout\nen pri\u00e8re au plus fort des flammes. Il en fut si \u00e9tonn\u00e9 qu\u2019il tomba \u00e0 la\nrenverse. Et il dit \u00e0 Savinien: \u00abB\u00eate malfaisante, n\u2019as-tu donc pas d\u00e9j\u00e0\nassez des \u00e2mes que tu as tromp\u00e9es, et veux-tu encore me tromper moi-m\u00eame\npar tes artifices magiques?\u00bb Et Savinien: \u00abBien d\u2019autres \u00e2mes encore\nseront converties par moi, et ton \u00e2me aussi, parmi elles!\u00bb Mais\nl\u2019empereur, entendant ces paroles, blasph\u00e9ma le nom de Dieu. Le\nlendemain, il fit attacher Savinien \u00e0 un tronc d\u2019arbre et ordonna qu\u2019on\nlui lan\u00e7\u00e2t des fl\u00e8ches: mais les fl\u00e8ches restaient suspendues en l\u2019air,\nsans que pas une l\u2019atteign\u00eet. Le lendemain l\u2019empereur vint le trouver et\nlui dit: \u00abQue ton Dieu vienne donc, \u00e0 pr\u00e9sent, et te d\u00e9livre de ces\nfl\u00e8ches!\u00bb Et aussit\u00f4t une des fl\u00e8ches, se d\u00e9tournant, vint s\u2019enfoncer\ndans l\u2019\u0153il de l\u2019empereur qui, aussit\u00f4t, perdit la vue. Furieux, il fit\nreconduire le saint en prison, et ordonna que, le lendemain, il e\u00fbt la\nt\u00eate tranch\u00e9e. Mais Savinien pria Dieu qu\u2019il lui perm\u00eet de se\ntransporter \u00e0 l\u2019endroit ou il avait re\u00e7u le bapt\u00eame; et aussit\u00f4t ses\ncha\u00eenes se bris\u00e8rent, les portes de la prison s\u2019ouvrirent, et le saint\nput passer librement au milieu des soldats. Parvenu au fleuve, et voyant\nque des soldats le poursuivaient, il marcha sur l\u2019eau comme sur des\npierres, et atteignit ainsi l\u2019endroit o\u00f9 il avait \u00e9t\u00e9 baptis\u00e9. Puis,\nquand les soldats eurent, \u00e0 leur tour, franchi le fleuve, il leur dit:\n\u00abApr\u00e8s m\u2019avoir frapp\u00e9 de votre hache, portez un peu de mon sang \u00e0\nl\u2019empereur, afin qu\u2019il recouvre la vue et reconnaisse la puissance de\nDieu!\u00bb D\u00e9capit\u00e9, il souleva sa t\u00eate dans ses mains, et la porta \u00e0\nquarante-neuf pas de l\u00e0. Et l\u2019empereur, d\u00e8s qu\u2019il eut frott\u00e9 ses yeux du\nsang du saint martyr, recouvra aussit\u00f4t la vue; et il dit: \u00abVraiment bon\net grand est le Dieu des chr\u00e9tiens!\u00bb Et certaine femme qui, depuis\nquarante ans, avait perdu la vue, se fit conduire \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 gisait\nle corps du saint, et, ayant pri\u00e9, recouvra aussit\u00f4t la vue. Saint\nSavinien souffrit le martyre en l\u2019an 279, au mois de f\u00e9vrier. Mais nous\navons plac\u00e9 ici son histoire afin de la joindre \u00e0 celle de sa s\u0153ur, \u00e0\nqui s\u2019adresse surtout la f\u00eate de ce jour.\nII. Cette s\u0153ur, appel\u00e9e Savine, ne cessait point de pleurer son fr\u00e8re et\nde supplier pour lui les idoles. Mais, un jour, un ange lui apparut en\nr\u00eave et lui dit: \u00abSavine, ne pleure pas! Abandonne tout ce que tu\nposs\u00e8des, et tu trouveras ton fr\u00e8re \u00e9lev\u00e9 \u00e0 un grand honneur!\u00bb Quand\nelle s\u2019\u00e9veilla, Savine demanda \u00e0 sa s\u0153ur de lait: \u00abN\u2019as-tu rien vu ni\nentendu?\u00bb Et elle: \u00abMa\u00eetresse, j\u2019ai entendu une voix qui te parlait,\nmais je ne sais pas ce qu\u2019elle te disait.\u00bb Et Savine: \u00abEst-ce que tu ne\nme d\u00e9nonceras pas?\u00bb Et la s\u0153ur de lait: \u00abNon certes, ma\u00eetresse! Tout ce\nque tu feras sera bien, pourvu seulement que tu ne t\u2019\u00f4tes point la vie!\u00bb\nEt, le lendemain, toutes deux s\u2019enfuirent. Et comme son p\u00e8re ne\nparvenait pas \u00e0 la retrouver, il dit, levant les mains au ciel: \u00abS\u2019il y\na vraiment l\u00e0-haut un Dieu puissant, qu\u2019il d\u00e9truise mes idoles, qui\nn\u2019ont pas su prot\u00e9ger mes enfants!\u00bb Alors Dieu, d\u2019un coup de tonnerre,\nbrisa toutes les idoles: ce que voyant, un grand nombre de personnes se\nconvertirent \u00e0 la foi chr\u00e9tienne.\nCependant Savine, venant \u00e0 Rome, fut baptis\u00e9e par le pape Eus\u00e8be, gu\u00e9rit\ndeux aveugles et deux paralytiques, et demeura cinq ans dans la ville.\nMais un jour un ange lui apparut en r\u00eave et lui dit: \u00abSavine, n\u2019as-tu\ndonc abandonn\u00e9 toutes tes richesses que pour venir ici vivre dans les\nd\u00e9lices? L\u00e8ve-toi, et va dans la ville de Troyes, pour y retrouver ton\nfr\u00e8re!\u00bb Alors Savine dit \u00e0 sa s\u0153ur de lait: \u00abNous devons nous en aller\nd\u2019ici!\u00bb Et elle: \u00abMa\u00eetresse o\u00f9 veux-tu aller? Ici tu es aim\u00e9e de tous,\net tu veux aller chercher la mort dans des pays \u00e9trangers!\u00bb Mais Savine:\n\u00abDieu aura soin de nous!\u00bb\nPuis, prenant un pain d\u2019orge, elle se rendit \u00e0 Ravenne, et entra dans la\nmaison d\u2019un riche dont la fille \u00e9tait mourante. Et comme elle demandait\n\u00e0 la servante de ce riche qu\u2019on lui accord\u00e2t l\u2019hospitalit\u00e9, la servante\nlui dit: \u00abComment pourrais-tu recevoir l\u2019hospitalit\u00e9 ici, o\u00f9 la fille de\nmes ma\u00eetres est en train de mourir, et o\u00f9 tous sont plong\u00e9s dans la\nd\u00e9solation?\u00bb Mais Savine: \u00abJe ferai en sorte qu\u2019elle ne meure pas!\u00bb\nPuis, entrant dans la maison, elle prit la main de la mourante, qui,\naussit\u00f4t, se releva gu\u00e9rie. On voulut retenir Savine, mais elle\npoursuivit son chemin. Arriv\u00e9e \u00e0 un mille de Troyes, elle s\u2019arr\u00eata pour\nprendre un peu de repos. Vint \u00e0 passer un homme noble de la ville, nomm\u00e9\nLic\u00e9rius, qui leur demanda: \u00abD\u2019o\u00f9 \u00eates-vous?\u00bb Et Savine: \u00abSeigneur, je\nsuis \u00e9trang\u00e8re, et je cherche mon fr\u00e8re Savinien, perdu pour moi depuis\nlongtemps!\u00bb Alors Lic\u00e9rius: \u00abL\u2019homme que tu cherches a \u00e9t\u00e9 d\u00e9capit\u00e9 pour\nle Christ, il y a peu de temps, et c\u2019est ici m\u00eame qu\u2019il est enseveli!\u00bb\nSur quoi Savine, se prosternant en pri\u00e8re, dit:\u00bb Mon Dieu, qui m\u2019as\ntoujours gard\u00e9e dans la chastet\u00e9, laisse-moi maintenant reposer dans ce\nlieu! Je te recommande ma s\u0153ur de lait, qui a tout support\u00e9 pour moi. Et\nfais en sorte que je puisse voir, dans ton royaume, mon fr\u00e8re, qu\u2019il ne\nm\u2019a pas \u00e9t\u00e9 donn\u00e9 de voir dans ce monde!\u00bb Puis, ayant ainsi pri\u00e9, elle\nrendit son \u00e2me au Seigneur. Ce que voyant, sa compagne se mit \u00e0 pleurer,\ncar elle n\u2019avait m\u00eame pas les moyens n\u00e9cessaires pour l\u2019ensevelir. Mais\nLic\u00e9rius envoya chercher, en ville, des hommes pour ensevelir\nl\u2019\u00e9trang\u00e8re; et ainsi Savine fut mise au tombeau.\nC\u2019est le m\u00eame jour aussi que l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre la f\u00eate de sainte Sabine,\nqui \u00e9tait femme d\u2019un soldat nomm\u00e9 Valentin, et qui fut d\u00e9capit\u00e9e sous le\nr\u00e8gne d\u2019Adrien, pour avoir refus\u00e9 de sacrifier aux idoles.\nCXXVI\nSAINTS F\u00c9LIX ET ADAUCT, MARTYRS\n(30 ao\u00fbt)\nLe pr\u00eatre F\u00e9lix souffrit le martyre sous le r\u00e8gne de Diocl\u00e9tien et de\nMaximien, en compagnie, de son fr\u00e8re, qui, comme lui, s\u2019appelait F\u00e9lix\net \u00e9tait pr\u00eatre comme lui. Le fr\u00e8re a\u00een\u00e9, ayant \u00e9t\u00e9 conduit au temple de\nS\u00e9rapis pour y sacrifier, souffla sur le visage de la statue, qui,\naussit\u00f4t, se renversa. Il renversa de la m\u00eame fa\u00e7on, successivement, la\nstatue de Mercure et celle de Diane. Alors, apr\u00e8s l\u2019avoir tortur\u00e9 sur un\nchevalet, on le conduisit devant un arbre sacril\u00e8ge afin qu\u2019il y\nsacrifi\u00e2t. Mais lui, s\u2019\u00e9tant mis \u00e0 genoux et ayant pri\u00e9, souffla sur\nl\u2019arbre qui, aussit\u00f4t, se d\u00e9racina et tomba \u00e0 terre, brisant l\u2019autel.\nSur quoi le pr\u00e9fet le fit d\u00e9capiter \u00e0 l\u2019endroit m\u00eame, et ordonna que son\ncorps y f\u00fbt laiss\u00e9 pour servir de p\u00e2ture aux loups et aux chiens. Et, au\nmoment o\u00f9 on allait le mettre \u00e0 mort, son fr\u00e8re; sortant de la foule, se\nproclama chr\u00e9tien. Tous deux furent donc d\u00e9capit\u00e9s ensemble, apr\u00e8s\ns\u2019\u00eatre longuement embrass\u00e9s. Et les chr\u00e9tiens, ne connaissant pas le nom\ndu second martyr, l\u2019appel\u00e8rent _Adauctus_ (ajout\u00e9), parce qu\u2019il s\u2019\u00e9tait\najout\u00e9 \u00e0 saint F\u00e9lix pour recevoir la couronne du martyre. Les deux\nsaints furent ensevelis dans la fosse qu\u2019avait creus\u00e9e l\u2019arbre en se\nd\u00e9racinant. Et quand les pa\u00efens voulurent les d\u00e9terrer, le diable les en\nemp\u00eacha en s\u2019emparant d\u2019eux. Leur martyre eut lieu l\u2019an du Seigneur 287.\nCXXVII\nSAINT LOUP, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(1er septembre)\nLoup naquit \u00e0 Orl\u00e9ans d\u2019une famille royale. S\u2019\u00e9tant de bonne heure\ndistingu\u00e9 par ses vertus, il fut \u00e9lu archev\u00eaque de Sens. Il donnait aux\npauvres tout ce qu\u2019il avait; et comme, un jour, il en avait invit\u00e9 un\ngrand nombre \u00e0 sa table, et que le vin manquait, il r\u00e9pondit au\nsommelier qui venait le lui annoncer: \u00abJe crois bien que Dieu, qui\nnourrit les oiseaux, ne refusera pas de compl\u00e9ter notre charit\u00e9!\u00bb Et, en\neffet, un messager arriva au m\u00eame instant, qui annon\u00e7a que cent tonneaux\nde vin attendaient \u00e0 la porte.\nOn reprochait beaucoup \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque l\u2019affection qu\u2019il t\u00e9moignait \u00e0 une\njeune religieuse, fille de son pr\u00e9d\u00e9cesseur. Alors, en pr\u00e9sence de ceux\nqui l\u2019accusaient, il fit venir la jeune fille et l\u2019embrassa, disant:\n\u00abLes paroles des hommes ne sauraient nuire \u00e0 celui que ne souille pas sa\npropre conscience!\u00bb\nComme le roi des Francs Clotaire, \u00e9tant entr\u00e9 en Bourgogne, avait\nordonn\u00e9 \u00e0 son s\u00e9n\u00e9chal d\u2019assi\u00e9ger la ville de Sens, saint Loup se rendit\n\u00e0 l\u2019\u00e9glise de Saint-Etienne et se mit \u00e0 faire sonner la cloche: ce\nqu\u2019entendant, les ennemis furent saisis d\u2019une telle frayeur qu\u2019ils\ns\u2019enfuirent, par crainte d\u2019\u00eatre tu\u00e9s sur place. Et quand le roi, \u00e9tant\ndevenu ma\u00eetre de la Bourgogne, envoya \u00e0 Sens un autre s\u00e9n\u00e9chal,\ncelui-ci, furieux de ce que l\u2019\u00e9v\u00eaque ne f\u00fbt pas venu au devant de lui\navec des pr\u00e9sents, le calomnia si cruellement aupr\u00e8s de son ma\u00eetre que\ncelui-ci l\u2019envoya en exil. Mais, dans l\u2019exil comme sur son si\u00e8ge, le\nsaint brilla par sa science et par ses miracles. Et bient\u00f4t les\nhabitants de Sens, ayant mis \u00e0 mort l\u2019\u00e9v\u00eaque par qui l\u2019on avait remplac\u00e9\nsaint Loup, obtinrent du roi le rappel de celui-ci. Et quand le roi le\nvit \u00e9puis\u00e9 de privations, il se prosterna devant lui, lui demanda\npardon, et l\u2019envoya \u00e0 Sens apr\u00e8s l\u2019avoir combl\u00e9 de pr\u00e9sents. Et l\u2019on\nraconte que, comme il passait en bateau par Paris, la foule des\nprisonniers virent s\u2019ouvrir les portes de leurs cellules et tomber leurs\ncha\u00eenes, de fa\u00e7on qu\u2019ils purent se rendre librement au devant de lui.\nUn dimanche, pendant qu\u2019il c\u00e9l\u00e9brait la messe, une pierre pr\u00e9cieuse\ntomba du ciel dans son calice: le roi la fit mettre plus tard parmi ses\nreliques.\nLe roi Clotaire, apprenant que la cloche de Saint-Etienne de Sens avait\nun son d\u2019une douceur merveilleuse, fit transporter cette cloche \u00e0 Paris,\npour pouvoir l\u2019entendre \u00e0 sa guise. Mais, cet ordre ayant d\u00e9plu \u00e0 saint\nLoup, la cloche perdit toute sa douceur d\u00e8s qu\u2019elle sortit de Sens. Ce\nque voyant, le roi la fit aussit\u00f4t restituer; et, lorsque la cloche fut\narriv\u00e9e \u00e0 sept milles, de Sens, elle sonna si fort que toute la ville\nl\u2019entendit: de telle sorte que saint Loup put aller \u00e0 sa rencontre.\nUne nuit, tent\u00e9 par le diable, il se fit apporter un verre d\u2019eau froide;\npuis comprenant les ruses de l\u2019ennemi, il posa son oreiller sur le verre\net y tint le diable enferm\u00e9 jusqu\u2019au matin suivant. Une autre fois,\nrevenant chez lui de sa visite aux \u00e9glises de la ville, il entendit des\npr\u00eatres parlant \u00e0 voix haute et disant qu\u2019ils voulaient forniquer avec\ndes femmes. Alors, il entra dans son oratoire et pria pour eux; et\naussit\u00f4t l\u2019aiguillon de la tentation cessa de les tourmenter, et ils\nvinrent humblement lui demander pardon.\nEnfin saint Loup s\u2019\u00e9teignit en paix, en l\u2019an du Seigneur 610.\nCXXVIII\nSAINT GILLES, ABB\u00c9\n(1er septembre)\nGilles, ath\u00e9nien, \u00e9tait de famille noble, et avait \u00e9tudi\u00e9, d\u00e8s\nl\u2019enfance, les lettres sacr\u00e9es. Un jour, comme il se rendait \u00e0 l\u2019\u00e9glise,\nun malade, couch\u00e9 sur une place, lui demanda l\u2019aum\u00f4ne. Gilles lui donna\nsa tunique; et d\u00e8s que le malade la rev\u00eatit, il gu\u00e9rit. A la mort de ses\nparents, Gilles abandonna au Christ tout son patrimoine. Il gu\u00e9rit un\njour, par sa pri\u00e8re, un homme qui venait d\u2019\u00eatre mordu par un serpent. Il\ngu\u00e9rit aussi un poss\u00e9d\u00e9 qui, se tenant dans l\u2019\u00e9glise, troublait de ses\ncris les autres chr\u00e9tiens. Mais bient\u00f4t, craignant les dangers de la\nfaveur humaine, Gilles s\u2019enfuit secr\u00e8tement au bord de la mer. Il\naper\u00e7ut l\u00e0 des matelots qui allaient p\u00e9rir dans une temp\u00eate: il pria et\naussit\u00f4t la temp\u00eate s\u2019apaisa. En reconnaissance de quoi les matelots,\napprenant qu\u2019il voulait aller \u00e0 Rome, s\u2019offrirent \u00e0 l\u2019y emmener\ngratuitement avec eux.\nMais en arrivant \u00e0 Arles, Gilles s\u2019y arr\u00eata, et demeura deux ans avec\nsaint C\u00e9saire, \u00e9v\u00eaque de cette ville, o\u00f9 il gu\u00e9rit une femme atteinte de\nfi\u00e8vre depuis trois ans. Puis, ayant soif du d\u00e9sert, il s\u2019\u00e9loigna\nsecr\u00e8tement d\u2019Arles, et v\u00e9cut longtemps en compagnie de l\u2019ermite\nVered\u00f4me, dans un endroit o\u00f9, en sa faveur, Dieu voulut bien faire\ncesser la st\u00e9rilit\u00e9 du sol. Mais, comme le bruit de ses miracles se\nr\u00e9pandait partout, Gilles, craignant de nouveau les dangers de la\nlouange humaine, quitta son compagnon et s\u2019enfon\u00e7a encore dans le\nd\u00e9sert, o\u00f9 il eut le bonheur de trouver une grotte aupr\u00e8s d\u2019une source.\nIl y eut pour nourrici\u00e8re une biche qui, \u00e0 de certaines heures, venait\nlui donner son lait.\nOr, un jour, les fils du roi, qui chassaient par l\u00e0, virent cette biche\net la poursuivirent avec leurs chiens. Effray\u00e9e, elle se r\u00e9fugia aux\npieds de saint Gilles. Et celui-ci, \u00e9tonn\u00e9 de ses cris, sortit de sa\ncellule et entendit les chasseurs. Il demanda alors \u00e0 Dieu que f\u00fbt\nsauv\u00e9e la b\u00eate qu\u2019il lui avait donn\u00e9e pour nourrici\u00e8re. Et en effet\naucun des chiens n\u2019osait s\u2019approcher de la biche. La nuit \u00e9tant proche,\nles chasseurs s\u2019en revinrent chez eux. Et le lendemain, de nouveau, ils\ndurent rentrer chez eux sans avoir pris la biche. Ce qu\u2019apprenant, le\nroi se rendit sur les lieux avec l\u2019\u00e9v\u00eaque et une foule de chasseurs. Et\ncomme, de nouveau, les chiens refusaient d\u2019approcher, un des chasseurs,\npar accident, blessa d\u2019une fl\u00e8che le saint, qui demandait gr\u00e2ce pour la\nbiche. Apr\u00e8s quoi les chasseurs se fray\u00e8rent un chemin jusqu\u2019\u00e0 la\ngrotte, aper\u00e7urent un vieillard en habit monacal avec une biche \u00e9tendue\n\u00e0 ses pieds. Le roi et l\u2019\u00e9v\u00eaque s\u2019avanc\u00e8rent alors vers lui, lui\ndemand\u00e8rent qui il \u00e9tait, d\u2019o\u00f9 il \u00e9tait venu, comment il avait pu\narriver \u00e0 un endroit aussi sauvage, et enfin par qui il avait \u00e9t\u00e9\nbless\u00e9. Puis, lui ayant demand\u00e9 pardon de cette blessure dont ils\n\u00e9taient cause, ils lui donn\u00e8rent des rem\u00e8des pour la gu\u00e9rir, en m\u00eame\ntemps que de nombreux pr\u00e9sents. Mais le saint ne voulut m\u00eame pas jeter\nles yeux sur les pr\u00e9sents ni sur les rem\u00e8des. Bien plus, sachant que la\nvertu devenait plus parfaite dans la maladie, il pria Dieu de ne plus\nrecouvrer la sant\u00e9 aussi longtemps qu\u2019il vivrait.\nLe roi, cependant, lui fit de fr\u00e9quentes visites, pour recevoir de lui\nl\u2019aliment spirituel. Et toujours il lui offrait des tr\u00e9sors, et toujours\nle saint refusait de les accepter. Il conseilla enfin au roi d\u2019employer\nplut\u00f4t ces tr\u00e9sors \u00e0 construire un monast\u00e8re, o\u00f9 serait pratiqu\u00e9e dans\ntoute sa rigueur la discipline monastique. Et le roi suivit son conseil;\nmais, quand le monast\u00e8re fut construit, il insista par ses pri\u00e8res et\nses larmes pour forcer saint Gilles \u00e0 en devenir l\u2019abb\u00e9[12].\n [12] A Saint-Gilles-du-Gard, entre Arles et Lunel, sur le petit Rh\u00f4ne.\nLa renomm\u00e9e du saint parvint jusqu\u2019au roi Charles, qui le manda pr\u00e8s de\nlui et le re\u00e7ut avec d\u00e9f\u00e9rence. Il lui demanda, entre autres choses, de\nvouloir bien prier pour que lui f\u00fbt remis un tr\u00e8s grand p\u00e9ch\u00e9 qu\u2019il\navait commis jadis, et qu\u2019il n\u2019osait avouer \u00e0 personne, pas m\u00eame au\nsaint. Et le dimanche suivant, pendant que Gilles, c\u00e9l\u00e9brant sa messe,\npriait pour le roi, un ange lui apparut qui d\u00e9posa sur l\u2019autel une\nfeuille o\u00f9 \u00e9tait \u00e9crit que, gr\u00e2ce \u00e0 ses pri\u00e8res, le p\u00e9ch\u00e9 du roi se\ntrouvait pardonn\u00e9. Et l\u2019on dit aussi que, sur cette feuille, une main\nc\u00e9leste avait ajout\u00e9 que quiconque invoquerait saint Gilles pour la\nr\u00e9mission d\u2019un p\u00e9ch\u00e9, obtiendrait cette r\u00e9mission, pourvu seulement\nqu\u2019il ne comm\u00eet plus le m\u00eame p\u00e9ch\u00e9. Gilles porta la feuille au roi, qui\nse repentit humblement. Puis le saint reprit le chemin de son monast\u00e8re.\nEt \u00e0 N\u00eemes, en passant, il ressuscita le fils d\u2019un des chefs de la\nville, qui venait de mourir.\nPeu de temps apr\u00e8s, pr\u00e9voyant que son monast\u00e8re allait \u00eatre saccag\u00e9 par\nles ennemis, il se rendit \u00e0 Rome, et obtint du pape, pour son \u00e9glise, un\nprivil\u00e8ge, ainsi que deux portes en bois de cypr\u00e8s o\u00f9 se trouvaient\nsculpt\u00e9es les images des ap\u00f4tres. Apr\u00e8s quoi, ayant confi\u00e9 ces portes au\nTibre, et les ayant recommand\u00e9es \u00e0 la conduite divine, il retourna vers\nson monast\u00e8re; et, sur le chemin, \u00e0 Tiberon, il gu\u00e9rit un paralytique.\nEt quand il revint \u00e0 son monast\u00e8re, il trouva les portes qui\nl\u2019attendaient dans le port. Apr\u00e8s avoir rendu gr\u00e2ces \u00e0 Dieu, il les\ndressa au seuil de son \u00e9glise, tant pour l\u2019ornement de celle-ci que pour\nqu\u2019elles fussent le t\u00e9moignage du pacte accord\u00e9 au monast\u00e8re par la\ncurie romaine.\nEnfin, comprenant par r\u00e9v\u00e9lation que le jour de sa mort approchait, il\nen informa ses fr\u00e8res et leur demanda de prier pour lui. Et quand il se\nfut endormi dans le Seigneur, bien des personnes affirm\u00e8rent avoir\nentendu des ch\u0153urs d\u2019anges transportant son \u00e2me au ciel. Cette mort eut\nlieu en l\u2019an du Seigneur 700.\nCXXIX\nLA NATIVIT\u00c9 DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE\n(8 septembre)\nI. La glorieuse Vierge Marie \u00e9tait de la tribu de Juda, et de la race\nroyale de David. On sait que Matthieu et Luc, dans leurs \u00e9vangiles, nous\nretracent la g\u00e9n\u00e9alogie, non pas de Marie, mais de Joseph, qui cependant\nn\u2019a eu aucune part \u00e0 la conception du Christ: c\u2019est, dit-on, pour se\nconformer \u00e0 la coutume des Ecritures, o\u00f9 n\u2019est prise en consid\u00e9ration\nque la g\u00e9n\u00e9alogie des hommes, non celle des femmes. Quoi qu\u2019il en soit,\nd\u2019ailleurs, la sainte Vierge descendait certainement de la race de\nDavid: car les m\u00eames \u00e9vang\u00e9listes, qui admettent express\u00e9ment la\nconception toute divine de J\u00e9sus, attestent \u00e0 plusieurs reprises que\nJ\u00e9sus \u00e9tait de la semence de David.\nCe roi, en effet, eut, entre autres fils, Nathan et Salomon. De la race\nde Nathan fut (suivant Jean de Damas), L\u00e9vi, qui engendra Melchi et\nPanthar; Panthar engendra Barpanthar, qui engendra Joachim, qui fut p\u00e8re\nde la Vierge Marie. Et il y eut un des descendants de Nathan qui \u00e9pousa\nune descendante de Salomon; et lorsque H\u00e9li, de la tribu de Nathan,\nmourut sans enfants, son fr\u00e8re ut\u00e9rin Jacob, qui \u00e9tait de la tribu de\nSalomon, \u00e9pousa sa veuve et engendra d\u2019elle Joseph. Celui-ci \u00e9tait donc,\npar la nature, fils de Jacob et descendant de Salomon; mais, par la loi,\nil \u00e9tait fils d\u2019H\u00e9li et de la descendance de Nathan, car, dans les cas\nde ce genre, la loi assignait les enfants au premier mari.\nD\u2019autre part, l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_ et B\u00e8de, dans sa _Chronique_,\nracontent qu\u2019H\u00e9rode, pour faire croire \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait noble\net descendait d\u2019Isra\u00ebl, fit br\u00fbler toutes les g\u00e9n\u00e9alogies des Juifs, qui\n\u00e9taient conserv\u00e9es dans les archives secr\u00e8tes du Temple. Mais il y eut\ndes Nazar\u00e9ens, parents du Christ, qui reconstitu\u00e8rent la g\u00e9n\u00e9alogie de\nleur divin parent, en partie d\u2019apr\u00e8s leurs traditions de famille, en\npartie d\u2019apr\u00e8s des livres qu\u2019ils avaient conserv\u00e9s. A eux nous devons de\nsavoir que la femme de Joachim, nomm\u00e9e Anne, eut une s\u0153ur, nomm\u00e9e\nIsm\u00e9rie, qui fut m\u00e8re d\u2019Elisabeth et d\u2019Eliude. Elisabeth fut m\u00e8re de\nsaint Jean-Baptiste; d\u2019Eliude naquit Eminen, et d\u2019Eminen naquit saint\nServais, dont le corps est conserv\u00e9 dans la ville de Ma\u00ebstricht, qui\nrel\u00e8ve de l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9 de Li\u00e8ge. Quant \u00e0 Anne, la tradition rapporte qu\u2019elle\na eu successivement trois maris: Joachim, Cl\u00e9ophas et Salom\u00e9. De Joachim\nelle eut une fille, la Vierge Marie, qu\u2019elle donna en mariage \u00e0 Joseph.\nPuis, apr\u00e8s la mort de Joachim, elle \u00e9pousa Cl\u00e9ophas, fr\u00e8re de Joseph,\nde qui elle eut une autre fille, \u00e9galement appel\u00e9e Marie, et donn\u00e9e plus\ntard en mariage \u00e0 Alph\u00e9e. Cette seconde Marie eut d\u2019Alph\u00e9e quatre fils,\nJacques le Mineur, Joseph le Juste, Simon et Jude. Enfin, de son\ntroisi\u00e8me mariage avec Salom\u00e9, Anne eut encore une fille, \u00e9galement\nappel\u00e9e Marie, et qui \u00e9pousa Z\u00e9b\u00e9d\u00e9e. Et c\u2019est de cette troisi\u00e8me Marie\net de Z\u00e9b\u00e9d\u00e9e que sont n\u00e9s Jacques le Majeur et Jean l\u2019Evang\u00e9liste.\nD\u2019autre part, saint J\u00e9r\u00f4me nous dit, dans son _Prologue_, avoir lu dans\nson enfance un petit livre o\u00f9 se trouvait racont\u00e9e l\u2019histoire de la\nnaissance de la sainte Vierge; et il nous transcrit cette histoire, mais\nseulement de souvenir, et tr\u00e8s longtemps apr\u00e8s l\u2019avoir lue. Donc,\nsuivant ce r\u00e9cit, Joachim, qui \u00e9tait Galil\u00e9en, et de la ville de\nNazareth, s\u2019\u00e9tait mari\u00e9 avec sainte Anne, qui \u00e9tait de Bethl\u00e9em, en\nJud\u00e9e. Tous deux vivaient sans reproche, accomplissant tous les\ncommandements du Seigneur; ils faisaient de tous leurs biens trois parts\n\u00e9gales, dont ils ne gardaient qu\u2019une seule pour eux-m\u00eames et leur\nfamille, en donnant une au temple, l\u2019autre aux pauvres et aux p\u00e8lerins.\nEt comme, apr\u00e8s vingt ans de mariage, ils n\u2019avaient point d\u2019enfant, ils\nfirent v\u0153u que, si Dieu leur accordait un enfant, ils le voueraient au\nservice divin. Le jour de la f\u00eate de la D\u00e9dicace, Joachim, s\u2019\u00e9tant rendu\n\u00e0 J\u00e9rusalem, comme il faisait pour les trois grandes f\u00eates de l\u2019ann\u00e9e,\nalla pr\u00e9senter son offrande au Temple avec ceux de sa tribu. Mais le\npr\u00eatre le repoussa avec indignation de l\u2019autel, affirmant que c\u2019\u00e9tait un\nscandale qu\u2019un homme inf\u00e9cond, incapable d\u2019augmenter le peuple de Dieu,\npr\u00e9sent\u00e2t son offrande \u00e0 un Dieu qui avait mis sur lui le signe de sa\nmal\u00e9diction. Sur quoi Joachim, tout confus, n\u2019osa point retourner chez\nlui, et s\u2019en alla s\u00e9journer avec ses bergers. Mais, pendant qu\u2019il se\ntrouvait l\u00e0, un ange lui apparut un jour avec une grande lumi\u00e8re, et lui\ndit: \u00abJe suis envoy\u00e9 vers toi par le Seigneur, pour t\u2019annoncer que tes\npri\u00e8res ont \u00e9t\u00e9 entendues, et que tes aum\u00f4nes se sont \u00e9lev\u00e9es jusqu\u2019au\ntr\u00f4ne divin. Dieu a vu ta honte, et entendu l\u2019injuste reproche qu\u2019on t\u2019a\nfait de ta st\u00e9rilit\u00e9. Car Dieu ne punit point la nature, mais seulement\nle p\u00e9ch\u00e9. Et souvent, quand il ferme une matrice, il le fait afin de\nl\u2019ouvrir ensuite plus miraculeusement, de mani\u00e8re qu\u2019on sache que ce\nn\u2019est point de la luxure que na\u00eet l\u2019enfant qui doit na\u00eetre. Est-ce que\nSara, la m\u00e8re de votre race, n\u2019a pas support\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e2ge de\nquatre-vingt-dix ans l\u2019opprobre de la st\u00e9rilit\u00e9, avant de donner le jour\n\u00e0 Isaac, a qui fut renouvel\u00e9e la promesse de la b\u00e9n\u00e9diction de tout son\npeuple? Est-ce que Rachel n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 longtemps st\u00e9rile avant d\u2019enfanter\nJoseph, qui commanda \u00e0 toute l\u2019Egypte? Qui fut plus fort que Samson, ou\nplus saint que Samuel? Et cependant l\u2019un et l\u2019autre sont n\u00e9s de m\u00e8res\nst\u00e9riles. Sache donc que, de la m\u00eame fa\u00e7on, Anne, ta femme, te donnera\nune fille que tu appelleras Marie. Celle-ci, suivant ton v\u0153u, sera\nconsacr\u00e9e au Seigneur d\u00e8s l\u2019enfance; d\u00e8s le ventre de sa m\u00e8re elle sera\npleine du Saint-Esprit; et, afin que sa puret\u00e9 ne puisse donner lieu \u00e0\naucun soup\u00e7on, elle ne sera pas \u00e9lev\u00e9e au dehors, mais toujours gard\u00e9e \u00e0\nl\u2019int\u00e9rieur du temple. Et, de m\u00eame qu\u2019elle sera n\u00e9e d\u2019une m\u00e8re st\u00e9rile,\nd\u2019elle na\u00eetra miraculeusement le Fils du Tr\u00e8s-Haut, qui aura nom J\u00e9sus,\net qui apportera le salut \u00e0 toutes les nations. Quant au signe qui te\nprouvera la v\u00e9rit\u00e9 de mes paroles, \u00e9coute! En arrivant \u00e0 la Porte d\u2019Or,\n\u00e0 J\u00e9rusalem, tu rencontreras ta femme Anne, qui, inqui\u00e8te de ta longue\nabsence, se r\u00e9jouira grandement de ta vue!\u00bb Cela dit, l\u2019ange disparut;\nmais il apparut ensuite \u00e0 Anne, qui pleurait am\u00e8rement l\u2019absence de son\nmari; il lui annon\u00e7a ce qu\u2019il venait d\u2019annoncer \u00e0 Joachim, et lui\nordonna de se rendre \u00e0 J\u00e9rusalem, devant la Porte d\u2019Or, pour y\nrencontrer son mari. Anne et Joachim se rencontr\u00e8rent donc, tous deux,\nse r\u00e9jouissant de leur vision et de la post\u00e9rit\u00e9 qui leur \u00e9tait promise.\nEt, ayant ador\u00e9 le Seigneur, ils revinrent chez eux.\nC\u2019est ainsi qu\u2019Anne con\u00e7ut et mit au monde une fille, qui fut appel\u00e9e\nMarie. Et lorsque furent achev\u00e9es les trois ann\u00e9es de l\u2019allaitement,\nl\u2019enfant fut conduite au temple avec des offrandes. Le temple \u00e9tait\nsitu\u00e9 sur une montagne; et, pour parvenir \u00e0 l\u2019autel des holocaustes, qui\nse trouvait \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur, on avait encore \u00e0 monter quinze marches,\ncorrespondant aux quinze psaumes graduels. Et voici que la petite fille\nmonta toutes ces marches sans l\u2019aide de personne, comme si elle \u00e9tait\nd\u00e9j\u00e0 dans la perfection de l\u2019\u00e2ge. Puis, quand elle eut accompli son\noffrande, ses parents revinrent chez eux, la laissant avec les autres\nvierges dans le temple; et l\u00e0, tous les jours, elle croissait en\nsaintet\u00e9, visit\u00e9e par les anges, et admise \u00e0 la vision divine. Elle\ns\u2019\u00e9tait impos\u00e9 pour r\u00e8gle de rester en pri\u00e8re depuis le matin jusqu\u2019\u00e0 la\ntroisi\u00e8me heure; jusqu\u2019\u00e0 la neuvi\u00e8me heure, ensuite, elle s\u2019occupait \u00e0\ntisser la laine; apr\u00e8s quoi elle se remettait en pri\u00e8re, jusqu\u2019au moment\no\u00f9 un ange venait lui apporter sa nourriture.\nQuand elle eut quatorze ans, le pr\u00eatre d\u00e9clara que les vierges\ninstruites dans le temple et qui \u00e9taient parvenues \u00e0 leur pubert\u00e9\ndevaient retourner chez elles, pour \u00eatre unies \u00e0 des hommes en l\u00e9gitime\nmariage. Les autres vierges ob\u00e9irent \u00e0 cet ordre. Seule, Marie dit\nqu\u2019elle ne pouvait y ob\u00e9ir, car ses parents l\u2019avaient consacr\u00e9e au\nservice de Dieu, et elle-m\u00eame avait vou\u00e9 sa virginit\u00e9 au Seigneur. Ce\nqui mit le pr\u00eatre en grand embarras, car il n\u2019osait ni rompre un\nv\u0153u,--l\u2019Ecriture ayant dit: \u00abFaites des v\u0153ux et remplissez-les!\u00bb--ni\nautoriser un acte contraire aux usages. Lors de la f\u00eate qui suivit, les\nvieillards convoqu\u00e9s furent d\u2019avis qu\u2019en mati\u00e8re si douteuse on devait\ns\u2019en remettre \u00e0 l\u2019inspiration divine. Et, comme tous \u00e9taient en pri\u00e8re,\nune voix sortit du fond du temple, disant que tous les hommes nubiles et\nnon mari\u00e9s de la maison de David devaient s\u2019approcher de l\u2019autel, chacun\nportant une baguette \u00e0 la main; et la voix ajoutait que la Vierge Marie\naurait \u00e0 \u00e9pouser celui d\u2019entre eux dont la baguette produirait des\nfeuilles. Or il y avait l\u00e0 un homme de la maison de David nomm\u00e9 Joseph,\nqui, seul, ne se pr\u00e9senta point devant le pr\u00eatre, estimant inconvenant\nde pr\u00e9tendre, \u00e0 son \u00e2ge, devenir le mari d\u2019une vierge de quatorze ans.\nDe telle sorte que le miracle pr\u00e9dit par la voix divine n\u2019eut point\nlieu. Et le pr\u00eatre, de nouveau, interrogea le Seigneur, qui r\u00e9pondit que\ncelui-l\u00e0 seul n\u2019avait pas apport\u00e9 sa baguette qui \u00e9tait destin\u00e9 \u00e0\ndevenir le mari de la vierge. Force fut donc \u00e0 Joseph de se pr\u00e9senter \u00e0\nl\u2019autel; et aussit\u00f4t sa baguette produisit des feuilles, et l\u2019on vit\ndescendre sur elle une colombe, du haut du ciel. Alors Joseph, se\ntrouvant ainsi fianc\u00e9, se rendit \u00e0 Bethl\u00e9em, sa patrie, afin de\ns\u2019occuper de pr\u00e9parer ses noces, tandis que Marie retournait \u00e0 Nazareth,\ndans la maison de ses parents, avec sept vierges de son \u00e2ge que le\npr\u00eatre lui avait donn\u00e9es pour compagnes. C\u2019est vers ce temps-l\u00e0 que\nl\u2019ange Gabriel lui apparut, pendant qu\u2019elle \u00e9tait en pri\u00e8re, et lui\nannon\u00e7a que d\u2019elle na\u00eetrait le Fils de Dieu.\nLe jour exact o\u00f9 devait \u00eatre comm\u00e9mor\u00e9e la nativit\u00e9 de la Vierge fut\ntr\u00e8s longtemps ignor\u00e9 des fid\u00e8les. Mais un jour, suivant ce que rapporte\nJean Beleth, un saint homme, qui vivait dans la contemplation, s\u2019aper\u00e7ut\nque tous les ans \u00e0 la m\u00eame date, le 6 septembre, il entendait une\nmerveilleuse musique d\u2019anges, c\u00e9l\u00e9brant une f\u00eate. Il supplia le Ciel de\nlui r\u00e9v\u00e9ler quelle f\u00eate c\u2019\u00e9tait qu\u2019on c\u00e9l\u00e9brait au ciel ce jour-l\u00e0; et\nil obtint pour r\u00e9ponse que c\u2019\u00e9tait le jour anniversaire de la naissance\nde la glorieuse Vierge Marie: ce dont il fut charg\u00e9, en outre, de faire\npart aux fils de la sainte Eglise, pour qu\u2019ils s\u2019unissent, dans la\nc\u00e9l\u00e9bration de la f\u00eate, avec les troupes c\u00e9lestes. La chose fut\nrapport\u00e9e au Souverain Pontife et aux autres chefs de l\u2019Eglise qui,\nayant pri\u00e9 et je\u00fbn\u00e9, et consult\u00e9 les t\u00e9moignages de l\u2019Ecriture et des\ntraditions, d\u00e9cr\u00e9t\u00e8rent que, d\u00e9sormais, ce jour du 6 septembre serait\nuniversellement consacr\u00e9 \u00e0 la c\u00e9l\u00e9bration de la naissance de la Vierge\nMarie.\nQuant \u00e0 l\u2019octave de cette f\u00eate, elle n\u2019a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e que plus tard,\npar le pape Innocent IV, qui \u00e9tait d\u2019origine g\u00e9noise; et voici dans\nquelles circonstances. Lorsque mourut Gr\u00e9goire IX, les Romains\nenferm\u00e8rent tous les cardinaux dans une salle pour les forcer \u00e0 choisir\nau plus vite un nouveau chef de l\u2019Eglise. Mais comme les cardinaux ne\nparvenaient pas \u00e0 se mettre d\u2019accord, ce qui leur valait d\u2019\u00eatre fort\nmolest\u00e9s par les Romains, ils firent v\u0153u \u00e0 l\u00e0 Reine du Ciel que si,\ngr\u00e2ce \u00e0 elle, ils pouvaient enfin s\u2019accorder, et sortir de leur conclave\nsans \u00eatre maltrait\u00e9s, ils d\u00e9cr\u00e9teraient d\u00e9sormais que f\u00fbt c\u00e9l\u00e9br\u00e9e\nl\u2019octave de sa Nativit\u00e9. Et, en effet, ils tomb\u00e8rent d\u2019accord pour \u00e9lire\nC\u00e9lestin. Mais celui-ci v\u00e9cut trop peu de temps pour r\u00e9aliser le v\u0153u des\nmembres du conclave; et ce fut son successeur, Innocent IV, qui le\nr\u00e9alisa.\nNotons, \u00e0 ce propos, que les trois nativit\u00e9s c\u00e9l\u00e9br\u00e9es par l\u2019Eglise,\ncelles du Christ, de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, ont toutes les\ntrois des octaves, mais que, seule la nativit\u00e9 de la Vierge n\u2019est point\npr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019une vigile. En effet ces trois nativit\u00e9s d\u00e9signent trois\nnaissances spirituelles: car avec Jean nous renaissons dans l\u2019eau, avec\nMarie dans la p\u00e9nitence, et dans la gloire avec le Christ. Or notre\nrenaissance dans le bapt\u00eame et notre renaissance dans la gloire doivent\n\u00eatre pr\u00e9c\u00e9d\u00e9es de contrition, tandis que notre renaissance dans la\np\u00e9nitence est en elle-m\u00eame une contrition.\nII. Un tr\u00e8s vaillant capitaine, et qui n\u2019\u00e9tait pas moins d\u00e9vot \u00e0 la\nVierge se rendait un jour \u00e0 un tournoi lorsqu\u2019il rencontra, en chemin,\nun monast\u00e8re \u00e9lev\u00e9 en l\u2019honneur de Notre Dame, et y entra pour entendre\nla messe. Mais les messes se succ\u00e9daient les unes aux autres, et le\ncapitaine, par \u00e9gard pour la Vierge, tenait \u00e0 n\u2019en manquer aucune. Enfin\nil put sortir, et courut \u00e0 l\u2019endroit du combat. Et voil\u00e0 qu\u2019il\nrencontra, avant d\u2019y arriver, des gens qui d\u00e9j\u00e0 en revenaient, et qui le\nf\u00e9licit\u00e8rent de la valeur qu\u2019il y avait d\u00e9ploy\u00e9e. Cet \u00e9loge lui fut\nconfirm\u00e9 par tous ceux qui avaient assist\u00e9 au tournoi; et il y en eut\nm\u00eame qui vinrent lui rappeler qu\u2019il les avait d\u00e9faits. Sur quoi cet\nhomme, comprenant que la Reine des Cieux lui avait rendu sa politesse,\nraconta ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9, et, retournant au monast\u00e8re, s\u2019engagea\ndepuis lors enti\u00e8rement au service du Fils de la sainte Vierge.\nIII. Une veuve avait un fils unique qu\u2019elle aimait tendrement. Apprenant\nque ce fils avait \u00e9t\u00e9 pris par l\u2019ennemi, encha\u00een\u00e9 et mis en prison, elle\nfondit en larmes, et, s\u2019adressant \u00e0 la Vierge, pour qui elle avait un\nculte sp\u00e9cial, elle lui demanda avec insistance la lib\u00e9ration de son\nfils. Mais quand elle vit enfin que ses pri\u00e8res restaient sans effet,\nelle se rendit dans une \u00e9glise o\u00f9 se trouvait sculpt\u00e9e une image de\nMarie. L\u00e0, debout devant l\u2019image, elle dit: \u00abVierge sainte, je t\u2019ai\nsuppli\u00e9e de d\u00e9livrer mon fils, et tu n\u2019as pas voulu venir au secours\nd\u2019une malheureuse m\u00e8re; j\u2019ai implor\u00e9 ton patronage pour mon fils, et tu\nme l\u2019as refus\u00e9! Eh bien, de m\u00eame, que mon fils m\u2019a \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9, de m\u00eame\nje vais t\u2019enlever le tien, et le garderai en otage!\u00bb Ce que disant, elle\ns\u2019approcha, prit la statue de l\u2019enfant sur le sein de la Vierge,\nl\u2019emporta chez elle, l\u2019entoura d\u2019un linge sans tache, et l\u2019enferma sous\nclef dans un coffre, heureuse d\u2019avoir un si bon otage du retour de son\nfils. Or, la nuit suivante, la Vierge apparut au jeune homme, lui ouvrit\nla porte de sa prison, et lui dit: \u00abDis \u00e0 ta m\u00e8re, mon enfant, qu\u2019elle\nme rende mon fils, maintenant que je lui ai rendu le sien!\u00bb Le jeune\nhomme vint donc retrouver sa m\u00e8re, et lui raconta sa miraculeuse\nd\u00e9livrance. Et elle, ravie de joie, s\u2019empressa d\u2019aller rendre \u00e0 la\nVierge l\u2019enfant J\u00e9sus, en lui disant: \u00abJe te remercie, dame c\u00e9leste, de\nce que tu m\u2019aies restitu\u00e9 mon fils, et je te restitue le tien en\n\u00e9change!\u00bb\nIV. Il y avait un voleur qui commettait le plus de larcins qu\u2019il\npouvait, mais qui avait une grande d\u00e9votion pour la Vierge Marie, et ne\ncessait point de l\u2019invoquer. Un jour, pris en flagrant d\u00e9lit, il fut\ncondamn\u00e9 \u00e0 \u00eatre pendu. Et on le pendit en effet: mais aussit\u00f4t la Vierge\nMarie vint \u00e0 son aide, et, pendant trois jours, le tint dans ses bras,\nde telle sorte que sa pendaison ne lui fit aucun mal. Le troisi\u00e8me jour,\nceux qui l\u2019avaient pendu, passant par hasard pr\u00e8s de lui, furent surpris\nde le trouver vivant et la mine joyeuse. Ils pens\u00e8rent que la corde\navait \u00e9t\u00e9 mal attach\u00e9e, et voulurent l\u2019achever \u00e0 coups d\u2019\u00e9p\u00e9es; mais la\nVierge opposait sa main \u00e0 leurs \u00e9p\u00e9es, et aucun de leurs coups\nn\u2019atteignait le voleur. Celui-ci leur raconta enfin l\u2019assistance qu\u2019il\navait re\u00e7ue de la Vierge Marie, et eux, par amour pour Notre Dame, ils\nle rel\u00e2ch\u00e8rent. Et le voleur se fit moine, et, tant qu\u2019il v\u00e9cut, resta\nau service de la M\u00e8re de Dieu.\nV. Un clerc, tr\u00e8s d\u00e9vot \u00e0 la Vierge Marie, ne trouvait de plaisir qu\u2019\u00e0\nchanter ses heures. Mais, ayant h\u00e9rit\u00e9 de tous les biens de ses parents,\nil fut contraint par ses amis \u00e0 prendre femme, et \u00e0 gouverner son\nh\u00e9ritage. Il se mit donc en route pour c\u00e9l\u00e9brer ses noces; mais en\nchemin, rencontrant une \u00e9glise, il y entra pour r\u00e9citer les heures de la\nVierge. Et voici que la Vierge lui apparut, le visage s\u00e9v\u00e8re, et lui\ndit: \u00abInfid\u00e8le, pourquoi m\u2019abandonnes-tu, moi ton amie et ta fianc\u00e9e?\nPourquoi me pr\u00e9f\u00e8res-tu une autre femme?\u00bb Le clerc, plein de contrition,\nalla rejoindre ses compagnons, et, leur cachant ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9,\nlaissa c\u00e9l\u00e9brer ses noces. Mais, au milieu de la nuit, il s\u2019enfuit de sa\nmaison, entra dans un monast\u00e8re, et se voua tout entier au service de la\nVierge Marie.\nVI. Un bon pr\u00eatre de village ne c\u00e9l\u00e9brait jamais d\u2019autre messe que celle\nde la Vierge. D\u00e9nonc\u00e9 \u00e0 son \u00e9v\u00eaque, et mand\u00e9 devant lui, il lui avoua\nqu\u2019il ne savait pas d\u2019autre messe que celle-l\u00e0; sur quoi l\u2019\u00e9v\u00eaque le\nbl\u00e2ma s\u00e9v\u00e8rement, et le suspendit de son office. Mais la nuit suivante,\nla Vierge apparut \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque, le gronda \u00e0 son tour, lui demanda pourquoi\nil avait si mal trait\u00e9 son serviteur, et ajouta qu\u2019il mourrait avant\ntrente jours, si le pauvre pr\u00eatre n\u2019\u00e9tait pas restitu\u00e9 dans sa fonction.\nSur quoi l\u2019\u00e9v\u00eaque, \u00e9pouvant\u00e9, fit revenir le pr\u00eatre, s\u2019excusa devant\nlui, lui rendit sa fonction et lui enjoignit de ne jamais c\u00e9l\u00e9brer\nd\u2019autre messe que celle de Marie.\nVII. Il y avait un clerc qui \u00e9tait frivole et d\u00e9bauch\u00e9, mais qui,\ncependant, aimait beaucoup la sainte Vierge, et r\u00e9citait assid\u00fbment ses\nheures. Une nuit, en r\u00eave, il se vit transport\u00e9 au tribunal de Dieu. Et\nle Seigneur disait aux assistants: \u00abJugez vous-m\u00eames quelle peine m\u00e9rite\ncet homme, pour qui j\u2019ai eu tant de patience, sans qu\u2019il f\u00eet voir le\nmoindre signe d\u2019am\u00e9lioration!\u00bb Tous furent d\u2019avis qu\u2019il m\u00e9ritait d\u2019\u00eatre\ndamn\u00e9. Seule la Vierge Marie se leva et dit \u00e0 son Fils: \u00abMon Fils,\nj\u2019implore ta cl\u00e9mence pour cet homme! Permets-lui de vivre encore, par\n\u00e9gard pour moi, bien que, par ses propres m\u00e9rites, il soit d\u00fb \u00e0 la\nmort!\u00bb Et le Seigneur: \u00abJe consens, en ta faveur, \u00e0 ajourner sa\nsentence; mais c\u2019est \u00e0 la condition qu\u2019il se corrigera!\u00bb Alors la\nVierge, se tournant vers le clerc, lui dit: \u00abVa maintenant et cesse de\np\u00e9cher, de peur que ne t\u2019arrive plus de mal encore!\u00bb Et le clerc, se\nr\u00e9veillant, changea ses m\u0153urs, entra en religion et finit sa vie dans\nles bonnes \u0153uvres.\nVIII. Il y avait en Sicile, l\u2019an du Seigneur 537, un homme appel\u00e9\nTh\u00e9ophile, vicaire d\u2019un \u00e9v\u00eaque, qui, sous les ordres de son chef,\nadministrait si sagement le dioc\u00e8se que, lorsque l\u2019\u00e9v\u00eaque mourut, tout\nle peuple l\u2019\u00e9lut par acclamation pour le remplacer. Mais lui, content de\nson vicariat, pr\u00e9f\u00e9ra qu\u2019on pr\u00eet pour \u00e9v\u00eaque un autre pr\u00eatre. Et\ncelui-ci, peu de temps apr\u00e8s, le d\u00e9pouilla de ses fonctions de vicaire:\nce dont il eut tant de d\u00e9pit que, pour recouvrer ses fonctions, il alla\ndemander l\u2019aide d\u2019un sorcier juif. Le sorcier appela le diable, qui se\nh\u00e2ta d\u2019accourir. Sur son ordre, Th\u00e9ophile renia le Christ et la Vierge,\n\u00e9crivit son reniement avec son propre sang, scella l\u2019\u00e9crit avec son\nanneau, et le donna au diable, se vouant ainsi \u00e0 son service. Le diable,\ndonc, le fit rentrer en gr\u00e2ce aupr\u00e8s de l\u2019\u00e9v\u00eaque et restituer dans sa\ndignit\u00e9. Mais alors Th\u00e9ophile, rentrant en lui-m\u00eame, fut d\u00e9sol\u00e9 de ce\nqu\u2019il avait fait, et supplia la Vierge glorieuse de lui venir en aide.\nMarie lui apparut, lui fit de vifs reproches de son impi\u00e9t\u00e9, lui ordonna\nde renoncer au diable, exigea qu\u2019il proclam\u00e2t sa foi dans le Christ et\ndans toute la doctrine chr\u00e9tienne, et finit par obtenir sa gr\u00e2ce de son\ndivin Fils, en signe de quoi, lui apparaissant une seconde fois, elle\nlui posa sur la poitrine l\u2019\u00e9crit qu\u2019il avait donn\u00e9 au diable: afin de\nlui prouver, par l\u00e0, qu\u2019il n\u2019\u00e9tait plus esclave du d\u00e9mon, et que, gr\u00e2ce\n\u00e0 elle, il redevenait libre. Ce que voyant Th\u00e9ophile, transport\u00e9 de\njoie, raconta, devant l\u2019\u00e9v\u00eaque et le peuple tout entier, le miracle qui\nvenait de lui arriver, et, trois jours apr\u00e8s, il s\u2019endormit en paix dans\nle Seigneur.\nIX. Un mari et sa femme, ayant mari\u00e9 leur fille unique, et ne pouvant se\nr\u00e9signer \u00e0 se s\u00e9parer d\u2019elle, la gardaient dans leur maison, ainsi que\nleur gendre. Et la m\u00e8re de la jeune femme, par amour pour sa fille,\navait pour son gendre une affection tr\u00e8s vive: ce qui fit dire aux\nm\u00e9chantes langues que ce n\u2019\u00e9tait point par amour pour sa fille qu\u2019elle\naimait son gendre, mais bien pour son propre compte. De telle sorte que\nla femme, craignant que cette calomnie ne se r\u00e9pand\u00eet, promit \u00e0 deux\npaysans de leur donner \u00e0 chacun vingt sous s\u2019ils voulaient \u00e9trangler\nsecr\u00e8tement le gendre. Et un jour, les ayant enferm\u00e9s dans son cellier,\nelle envoya son mari hors de la maison, fit \u00e9galement sortir sa fille,\net demanda \u00e0 son gendre d\u2019aller chercher du vin dans le cellier, o\u00f9,\naussit\u00f4t, les deux paysans se jet\u00e8rent sur lui et l\u2019\u00e9trangl\u00e8rent. Alors\nla femme porta le mort dans le lit de sa fille, et l\u2019y installa comme\ns\u2019il dormait. Le soir, lorsque son mari et sa fille revinrent, elle\nordonna \u00e0 sa fille d\u2019aller r\u00e9veiller son mari, et de l\u2019appeler \u00e0 table.\nLa fille trouve son mari mort, accourt l\u2019annoncer \u00e0 ses parents: et\ntoute la famille de se lamenter, y compris la femme qui avait commis\nl\u2019homicide. Mais cette femme finit par se repentir sinc\u00e8rement de son\ncrime, et alla se confesser de tout \u00e0 un pr\u00eatre. Or, quelque temps\napr\u00e8s, une querelle s\u2019\u00e9leva entre cette femme et le pr\u00eatre qui,\npubliquement, lui reprocha le meurtre de son gendre. Les parents du mort\napprennent la chose, font passer la femme en jugement; et elle est\ncondamn\u00e9e \u00e0 \u00eatre br\u00fbl\u00e9e. Alors, se voyant pr\u00e8s de mourir, elle se\nr\u00e9fugie dans l\u2019\u00e9glise de la Vierge, et s\u2019y prosterne en pri\u00e8re, avec\nforce larmes. On la contraint \u00e0 sortir de l\u2019\u00e9glise, et on la jette sur\nun grand b\u00fbcher allum\u00e9: mais elle s\u2019y tient debout, saine et sauve, sans\nombre de mal. En vain les parents du mort apportent sur le b\u00fbcher de\nnouveaux sarments allum\u00e9s. Puis, voyant que le feu n\u2019a pas de prise sur\nelle, ils la transpercent de coups de lance. Mais le juge, t\u00e9moin du\nmiracle, les force \u00e0 s\u2019\u00e9loigner. Et puis, examinant avec soin la\ncondamn\u00e9e, il d\u00e9couvre que les coups de lance l\u2019ont atteinte et bless\u00e9e,\nmais que le feu n\u2019a laiss\u00e9 sur elle aucune trace. On la ram\u00e8ne dans sa\nmaison, on la ranime par des bains, et des stimulants. Mais Dieu, pour\nl\u2019emp\u00eacher d\u2019\u00eatre davantage en butte au soup\u00e7on des hommes, la fait\nmourir trois jours apr\u00e8s, repentante, et ne cessant point de c\u00e9l\u00e9brer\nles louanges de la Vierge Marie.\nCXXX\nSAINT ADRIEN ET SES COMPAGNONS, MARTYRS\n(9 septembre)\nAdrien subit le martyre sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur Maximien. Celui-ci,\nse trouvant \u00e0 Nicom\u00e9die, ordonna aux habitants de rechercher et de lui\namener tous les chr\u00e9tiens. On vit alors le voisin d\u00e9noncer son voisin,\nle parent d\u00e9noncer son parent, les uns y \u00e9tant pouss\u00e9s par la peur du\nch\u00e2timent, d\u2019autres par le d\u00e9sir de la r\u00e9compense promise. Trente-trois\nchr\u00e9tiens se trouv\u00e8rent ainsi arr\u00eat\u00e9s et conduits devant l\u2019empereur. Et\ncelui-ci: \u00abNe savez-vous pas quelles peines j\u2019ai \u00e9dict\u00e9es contre les\nchr\u00e9tiens!\u00bb Et eux: \u00abNous le savons, et nous nous moquons de tes ordres\nstupides!\u00bb Alors l\u2019empereur les fit frapper de nerfs de b\u0153uf, leur fit\nenfoncer des pierres dans la bouche, et les fit jeter en prison,\ncouverts de cha\u00eenes. Alors Adrien, qui commandait les soldats, admirant\nla constance des martyrs, leur dit: \u00abJe vous en prie, au nom de votre\nDieu, dites-moi quelle est la r\u00e9compense que vous attendez pour tant de\ntortures!\u00bb Et les saints lui dirent: \u00abLa r\u00e9compense que Dieu accorde \u00e0\nceux qui l\u2019aiment, jamais l\u2019\u0153il n\u2019en a vu de semblable, ni l\u2019oreille\nn\u2019en a entendu, ni le c\u0153ur n\u2019en a r\u00eav\u00e9.\u00bb Alors Adrien, s\u2019avan\u00e7ant, dit \u00e0\nl\u2019empereur: \u00abInscris-moi avec eux, car, moi aussi, je suis chr\u00e9tien!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, l\u2019empereur le fit charger de cha\u00eenes et jeter en prison.\nEt Nathalie, femme d\u2019Adrien, quand elle sut l\u2019arrestation de son mari,\nfondit en larmes et d\u00e9chira ses v\u00eatements. Mais quand elle apprit que\nc\u2019\u00e9tait pour la foi du Christ qu\u2019Adrien avait \u00e9t\u00e9 emprisonn\u00e9, toute\njoyeuse elle courut \u00e0 la prison et se mit \u00e0 baiser les cha\u00eenes de son\nmari et des autres martyrs. Car elle \u00e9tait chr\u00e9tienne; mais, par crainte\nde la pers\u00e9cution, elle s\u2019en \u00e9tait cach\u00e9e. Et elle dit \u00e0 son mari:\n\u00abHeureux es-tu, Adrien, mon seigneur, d\u2019avoir trouv\u00e9 des richesses bien\nsup\u00e9rieures \u00e0 celles que t\u2019ont laiss\u00e9es tes parents, des richesses dont\nseront priv\u00e9s, au jour du jugement, ceux-l\u00e0 m\u00eame qui poss\u00e8dent les plus\ngrands biens!\u00bb Elle l\u2019exhorta ensuite \u00e0 d\u00e9daigner toute gloire\nterrestre, \u00e0 n\u2019\u00e9couter ni amis ni parents, et \u00e0 avoir toujours le c\u0153ur\nlev\u00e9 vers les choses du ciel. Et Adrien lui dit: \u00abVa-t\u2019en maintenant, ma\ns\u0153ur! le jour de notre supplice, je te ferai venir, afin que tu assistes\n\u00e0 nos derniers moments.\u00bb Et Nathalie rentra dans sa maison, apr\u00e8s avoir\nrecommand\u00e9 aux autres saints d\u2019instruire son mari et de l\u2019encourager.\nLorsque Adrien sut que le jour du dernier supplice \u00e9tait arriv\u00e9, il\nobtint de ses gardiens, moyennant des pr\u00e9sents, qu\u2019ils lui permissent\nd\u2019aller jusque dans sa maison pour chercher sa femme, afin de tenir la\npromesse qu\u2019il lui avait faite. Et quelqu\u2019un, en le voyant venir, le\ndevan\u00e7a, et courut dire \u00e0 Nathalie: \u00abTon mari a \u00e9t\u00e9 rel\u00e2ch\u00e9, car le\nvoici qui vient!\u00bb Et elle, s\u2019imaginant qu\u2019Adrien avait eu peur du\nmartyre, pleurait am\u00e8rement. D\u00e8s qu\u2019elle l\u2019aper\u00e7ut, elle se h\u00e2ta de\nfermer devant lui la porte de la maison en disant: \u00abQue s\u2019\u00e9loigne de moi\ncelui qui s\u2019est \u00e9loign\u00e9 de Dieu!\u00bb Et, se tournant vers lui: \u00abMalheureux,\nqui donc te for\u00e7ait de commencer une \u0153uvre que tu \u00e9tais incapable\nd\u2019achever? Dis-moi pourquoi tu t\u2019es enfui avant la bataille, comment tu\nas succomb\u00e9 avant m\u00eame qu\u2019une seule fl\u00e8che ait \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9e? Malheur \u00e0\nmoi! Que ferai-je, li\u00e9e comme je le suis \u00e0 ce ren\u00e9gat?\u00bb Et saint Adrien,\nentendant tout cela, se r\u00e9jouissait dans son c\u0153ur, admirant cette femme\njeune, belle et noble, avec qui il \u00e9tait mari\u00e9 depuis quatorze mois.\nMais quand il la vit trop afflig\u00e9e, il lui dit: \u00abCe n\u2019est point pour\n\u00e9viter le martyre que je suis venu ici, mais pour te chercher, suivant\nma promesse!\u00bb Et elle, refusant de le croire: \u00abVoyez, comme ce tra\u00eetre\nessaie de me s\u00e9duire! Voyez comme ment ce nouveau Judas! Eloigne-toi de\nmoi, mis\u00e9rable! Et sache que je vais me tuer, pour n\u2019avoir plus \u00e0 vivre\navec toi!\u00bb Et comme elle refusait toujours de lui ouvrir, il lui dit:\n\u00abOuvre-moi vite, car je vais devoir repartir, et tu ne me verras plus,\net tu regretteras, plus tard, de ne m\u2019avoir pas revu avant mon d\u00e9part!\u00bb\nCe qu\u2019entendant, Nathalie lui ouvrit, et, quand ils se furent longuement\nembrass\u00e9s, ils all\u00e8rent ensemble \u00e0 la prison, o\u00f9 Nathalie essuyait avec\ndes linges pr\u00e9cieux les plaies b\u00e9antes des martyrs.\nQuand l\u2019empereur les fit compara\u00eetre devant lui, ils \u00e9taient tous encore\nsi accabl\u00e9s de leur supplice pr\u00e9c\u00e9dent qu\u2019ils se trouvaient incapables\nde marcher. On dut donc les porter comme des b\u00eates bless\u00e9es; seul Adrien\ns\u2019avan\u00e7ait \u00e0 pied derri\u00e8re eux, les mains encha\u00een\u00e9es. L\u2019empereur l\u2019ayant\nfait \u00e9tendre sur un chevalet, Nathalie s\u2019approcha de lui et lui dit:\n\u00abMon cher seigneur, n\u2019aie garde de trembler en pr\u00e9sence du supplice!\nQuelques minutes de souffrance, et aussit\u00f4t apr\u00e8s tu te r\u00e9jouiras parmi\nles anges!\u00bb Puis, voyant avec quel courage son mari recevait les coups,\nelle courut vers les autres saints pour le leur annoncer. Cependant,\nl\u2019empereur d\u00e9fendait \u00e0 Adrien de blasph\u00e9mer ses dieux. Et lui: \u00abSi je\nsouffre tous ces tourments pour blasph\u00e9mer de faux dieux, combien donc\nen souffriras-tu, toi, qui blasph\u00e8mes le seul Dieu v\u00e9ritable?\u00bb Et\nMaximien: \u00abCe sont ces imposteurs qui t\u2019ont enseign\u00e9 de telles paroles!\u00bb\nMais Adrien: \u00abNe les appelle pas des imposteurs! car ils sont les\ndocteurs de la vie \u00e9ternelle!\u00bb Et Nathalie, toute joyeuse, allait\nrapporter aux autres saints les paroles de son mari. L\u2019empereur fit\nensuite frapper Adrien par quatre hommes d\u2019une force prodigieuse; et ils\nle frapp\u00e8rent si cruellement, que ses entrailles lui sortaient du corps.\nApr\u00e8s quoi l\u2019empereur le fit ramener en prison avec les autres\nchr\u00e9tiens. Nous devons ajouter ici qu\u2019Adrien \u00e9tait un fr\u00eale et beau\njeune homme de vingt-huit ans. Et Nathalie, le voyant \u00e9tendu \u00e0 terre,\ntout meurtri, lui soutenait la t\u00eate de ses mains et lui disait: \u00abHeureux\nes-tu, mon seigneur, d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 admis au nombre des saints! Heureux\nes-tu, lumi\u00e8re de ma vie, de pouvoir souffrir pour celui qui a souffert\npour toi! Souffre encore, mon doux ami, afin de mieux voir ensuite la\ngloire c\u00e9leste!\u00bb\nOr l\u2019empereur apprenant que plusieurs femmes soignaient les saints dans\nla prison, d\u00e9fendit d\u00e9sormais qu\u2019on les laiss\u00e2t entrer. Mais Nathalie se\ncoupa les cheveux, rev\u00eatit des habits d\u2019homme et revint prodiguer ses\nsoins aux prisonniers. Elle engagea aussi, par son exemple, d\u2019autres\nfemmes \u00e0 l\u2019imiter. Et elle demanda \u00e0 son mari, quand il serait dans sa\ngloire, de prier pour elle, afin que Dieu la rappel\u00e2t vite loin de ce\nmonde, mais en laissant intact son jeune corps. Cependant, l\u2019empereur,\naverti de ce qui se passait dans la prison, ordonna de tuer les martyrs\nen leur brisant les membres. Et Nathalie, craignant que la vue du\nsupplice des autres n\u2019effray\u00e2t son mari, demanda au bourreau de\ncommencer par lui. On lui coupa les pieds, on lui rompit les membres, et\nNathalie demanda, en outre, qu\u2019on lui coup\u00e2t une main, de fa\u00e7on \u00e0 ce\nqu\u2019il ne rest\u00e2t pas en arri\u00e8re des autres saints pour la souffrance.\nCela fait, Adrien rendit son \u00e2me \u00e0 Dieu; et les autres chr\u00e9tiens,\ntendant tour \u00e0 tour leurs pieds \u00e0 la hache des bourreaux, moururent\ncomme lui. Et l\u2019empereur fit br\u00fbler leurs corps; mais Nathalie cacha\ndans son sein la main de son mari. Et quand elle vit jeter au feu le\ncorps d\u2019Adrien, elle ne put r\u00e9sister au d\u00e9sir de s\u2019\u00e9lancer dans les\nflammes pour le rejoindre. Mais aussit\u00f4t une pluie abondante se mit \u00e0\ntomber qui \u00e9teignit la flamme; de telle sorte que les chr\u00e9tiens purent\nrecueillir les corps des martyrs et les transporter \u00e0 Constantinople,\nd\u2019o\u00f9 on les rapporta en grande pompe \u00e0 Nicom\u00e9die lorsque fut restitu\u00e9e\nla paix \u00e0 l\u2019Eglise. Ce martyre eut lieu l\u2019an du Seigneur 280.\nNathalie, apr\u00e8s la mort de son mari, demeurait dans sa maison,\nconservant pieusement la main du martyr; et toujours, pour se consoler,\nelle gardait cette main sous son oreiller. Or un tribun, la voyant\nbelle, riche et noble, lui envoya des dames de la ville pour la demander\nen mariage. Nathalie leur r\u00e9pondit: \u00abQuel honneur pour moi de devenir la\nfemme d\u2019un tel homme! Accordez-moi seulement trois jours de d\u00e9lai, pour\nme pr\u00e9parer \u00e0 ce mariage!\u00bb Elle disait cela pour pouvoir s\u2019enfuir. Or,\nla m\u00eame nuit, un des martyrs lui apparut en r\u00eave, et, la consolant\ndoucement, lui enjoignit de se rendre au lieu o\u00f9 \u00e9taient les corps des\nmartyrs. D\u00e8s son r\u00e9veil, elle prit la main coup\u00e9e d\u2019Adrien, et\ns\u2019embarqua sur un vaisseau avec d\u2019autres fid\u00e8les. Ce qu\u2019apprenant, le\ntribun la poursuivit sur mer avec une troupe de soldats; mais une\ntemp\u00eate se leva qui en noya un grand nombre et for\u00e7a les autres \u00e0\nrentrer au port.\nAu milieu de la nuit, le diable, ayant pris la forme d\u2019un marin, et\n\u00e9tant mont\u00e9 sur un bateau fantastique, apparut aux compagnons de\nNathalie et leur dit: \u00abD\u2019o\u00f9 venez-vous et o\u00f9 allez-vous?\u00bb Ils\nr\u00e9pondirent: \u00abNous venons de Nicom\u00e9die et nous allons \u00e0 Constantinople!\u00bb\nAlors le diable: \u00abEn ce cas, vous faites fausse route, c\u2019est \u00e0 gauche\nqu\u2019est votre chemin!\u00bb Il leur disait cela pour les envoyer contre des\nrochers, o\u00f9 ils n\u2019auraient pas manqu\u00e9 de p\u00e9rir. Mais lorsqu\u2019ils eurent\nchang\u00e9 les voiles, Adrien se montra soudain devant eux, sur un autre\nbateau, leur apprit que c\u2019\u00e9tait le diable qui leur avait parl\u00e9, leur\nordonna de suivre la direction qu\u2019ils suivaient pr\u00e9c\u00e9demment, et,\nnavigant devant eux, il leur montra le chemin. Et Nathalie, en revoyant\nson mari, fut saisie d\u2019une joie immense.\nLe matin avant l\u2019aube, le vaisseau aborda \u00e0 Constantinople. Aussit\u00f4t\nNathalie se rendit \u00e0 la maison o\u00f9 \u00e9taient les corps des martyrs, et\nrepla\u00e7a la main d\u2019Adrien avec le reste du corps. Puis elle pria; et\nAdrien lui apparut en r\u00eave, lui enjoignant de venir le retrouver dans la\npaix \u00e9ternelle. R\u00e9veill\u00e9e, elle raconta son r\u00eave aux assistants, leur\ndit adieu et rendit l\u2019\u00e2me. Et son corps fut plac\u00e9 pr\u00e8s de ceux des\nmartyrs.\nCXXXI\nSAINT GORGON ET SAINT DOROTH\u00c9E, MARTYRS\n(9 septembre)\nGorgon et Doroth\u00e9e \u00e9taient, \u00e0 Nicom\u00e9die, les chefs de la troupe qui\ngardait le palais de Diocl\u00e9tien. Mais, pour pouvoir suivre plus\nlibrement leur ma\u00eetre divin, ils se d\u00e9mirent de leur fonction et se\nproclam\u00e8rent chr\u00e9tiens. Ce qu\u2019entendant, l\u2019empereur fut d\u00e9sol\u00e9 \u00e0 la\npens\u00e9e de perdre d\u2019aussi nobles et d\u00e9vou\u00e9s serviteurs. Mais comme ni les\nmenaces, ni les flatteries ne parvenaient \u00e0 les \u00e9mouvoir, il les fit\n\u00e9tendre sur le chevalet, fit d\u00e9chirer leurs corps avec des fouets et des\ngriffes de fer, fit jeter du vinaigre et du sel dans leurs intestins\nperfor\u00e9s; puis comme ils n\u2019en \u00e9prouvaient aucun mal, il les fit mettre\nsur un gril; et ils avaient l\u2019impression d\u2019\u00eatre couch\u00e9s sur un lit de\nfleurs. Alors Diocl\u00e9tien les fit pendre, et laissa leurs corps en p\u00e2ture\naux chiens et aux loups. Mais les corps demeur\u00e8rent intacts jusqu\u2019au\nmoment o\u00f9 les fid\u00e8les purent les recueillir. Ce martyre eut lieu en l\u2019an\ndu Seigneur 280.\nLongtemps apr\u00e8s, le corps de saint Gorgon fut transport\u00e9 \u00e0 Rome. Plus\ntard encore, en l\u2019an 763, l\u2019\u00e9v\u00eaque de Metz, neveu du roi P\u00e9pin, fit\ntransporter ce corps en Gaule et l\u2019ensevelit au monast\u00e8re de Gorgocie.\nCXXXII\nSAINTS PROTHE ET HYACINTHE, MARTYRS\n(11 septembre)\nProthe et Hyacinthe \u00e9taient compagnons d\u2019\u00e9tudes d\u2019Eug\u00e9nie, fille d\u2019un\nnoble romain nomm\u00e9 Philippe. Celui-ci, ayant \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9 par le S\u00e9nat\npr\u00e9fet d\u2019Alexandrie, avait emmen\u00e9 avec lui dans cette ville sa femme\nClaudie, ses fils Avit et Serge, et sa fille Eug\u00e9nie, instruite\nexcellemment dans la connaissance des arts et des lettres. A quinze ans,\nEug\u00e9nie fut demand\u00e9e en mariage par Aquilin, fils du consul Aquilin.\nMais elle: \u00abCe n\u2019est point d\u2019apr\u00e8s la naissance qu\u2019on doit se choisir un\nmari, mais d\u2019apr\u00e8s les m\u0153urs et le caract\u00e8re!\u00bb\nUn hasard fit tomber entre ses mains la doctrine de saint Paul, et\naussit\u00f4t son \u00e2me commen\u00e7a \u00e0 devenir chr\u00e9tienne. Les chr\u00e9tiens avaient\nalors l\u2019autorisation de demeurer dans un village voisin d\u2019Alexandrie.\nEug\u00e9nie s\u2019y rendit, comme en promenade, et elle entendit que les\nchr\u00e9tiens chantaient: \u00abTous les dieux des nations ne sont que des\nidoles; un seul Dieu a cr\u00e9\u00e9 le ciel et la terre.\u00bb Alors elle dit \u00e0 ses\ncompagnons d\u2019\u00e9tudes Prothe et Hyacinthe: \u00abNous avons approfondi tous les\nsyllogismes des philosophes, les cat\u00e9gories d\u2019Aristote, et les id\u00e9es de\nPlaton, et les pr\u00e9ceptes de Socrate. Mais voici que la phrase que\nchantent ces chr\u00e9tiens d\u00e9truit tout ce qu\u2019ont dit les po\u00e8tes, les\norateurs et les philosophes. Une puissance usurp\u00e9e a fait de moi votre\nsup\u00e9rieure; mais \u00e0 pr\u00e9sent la sagesse fait de moi votre s\u0153ur. Donc,\nsoyez mes fr\u00e8res, et suivons le Christ!\u00bb Les deux esclaves y\nconsentirent, et Eug\u00e9nie, ayant rev\u00eatu des habits masculins, se rendit\navec eux dans un monast\u00e8re dont l\u2019abb\u00e9 \u00e9tait un saint homme nomm\u00e9\nH\u00e9l\u00e9nus. Cet H\u00e9l\u00e9nus, discutant un jour avec un h\u00e9r\u00e9tique, et ne\nparvenant pas \u00e0 le convaincre par ses arguments, fit allumer un grand\nfeu, et offrit \u00e0 son adversaire d\u2019y entrer avec lui, sous la condition\nque celui des deux qui en sortirait indemne, serait consid\u00e9r\u00e9 comme\nprofessant la v\u00e9rit\u00e9. Puis il entra lui-m\u00eame, le premier, dans la\nflamme, et en sortit sans le moindre mal. Et l\u2019h\u00e9r\u00e9tique, ayant refus\u00e9\nd\u2019y entrer \u00e0 son tour, fut honteusement chass\u00e9 par la foule. C\u2019est donc\nvers cet H\u00e9l\u00e9nus que se rendit la jeune fille, et elle lui dit qu\u2019elle\n\u00e9tait un homme. Et lui: \u00abTu as bien raison de le dire, car, bien que tu\nsois femme, tu agis en homme!\u00bb Apr\u00e8s quoi il l\u2019admit au nombre de ses\nmoines avec Prothe et Hyacinthe, et lui ordonna de prendre le nom de\nfr\u00e8re Eug\u00e8ne.\nCependant, le p\u00e8re et la m\u00e8re d\u2019Eug\u00e9nie, ne la voyant pas revenir chez\neux, la firent rechercher partout sans pouvoir la trouver. Des devins,\nconsult\u00e9s par eux, leur r\u00e9pondirent que la jeune fille avait \u00e9t\u00e9\ntransport\u00e9e au ciel, o\u00f9 elle \u00e9tait devenue un astre. Aussi le p\u00e8re\nfit-il ex\u00e9cuter une statue de sa fille, et enjoignit-il au peuple de\nl\u2019adorer. Et Eug\u00e9nie, dans son monast\u00e8re, vivait avec ses compagnons\ndans la crainte de Dieu, de telle sorte que, \u00e0 la mort de l\u2019abb\u00e9, c\u2019est\nelle qui fut \u00e9lue pour le remplacer.\nIl y avait alors \u00e0 Alexandrie une femme riche et noble, appel\u00e9e\nM\u00e9lancie, que sainte Eug\u00e9nie avait gu\u00e9rie de la fi\u00e8vre quarte en\nl\u2019oignant d\u2019huile au nom de J\u00e9sus. Cette femme, frapp\u00e9e de l\u2019\u00e9l\u00e9gance et\nde la beaut\u00e9 de celui qu\u2019elle croyait \u00eatre le Fr\u00e8re Eug\u00e8ne, se prit pour\nlui d\u2019un violent amour, et songea aux moyens d\u2019entrer en relations\nintimes avec lui. Elle imagina de feindre une maladie, et de prier le\nFr\u00e8re de venir la voir. Et, quand il fut venu, elle lui r\u00e9v\u00e9la combien\nelle le d\u00e9sirait; apr\u00e8s quoi, le suppliant de s\u2019unir charnellement \u00e0\nelle, elle se jeta \u00e0 son cou et le couvrit de baisers. Indign\u00e9 de cette\nconduite, le Fr\u00e8re Eug\u00e8ne lui dit: \u00abTu m\u00e9rites bien ton nom de M\u00e9lancie,\ncar tu es pleine de noirceur, et la digne fille du prince des t\u00e9n\u00e8bres!\u00bb\nAussit\u00f4t la dame, furieuse de sa d\u00e9ception, et craignant en outre d\u2019\u00eatre\nd\u00e9nonc\u00e9e, se r\u00e9solut \u00e0 d\u00e9noncer la premi\u00e8re, et proclama que le Fr\u00e8re\nEug\u00e8ne avait voulu la violer. S\u2019\u00e9tant rendue chez le pr\u00e9fet Philippe,\nelle lui dit: \u00abUn jeune chr\u00e9tien, venu chez moi sous pr\u00e9texte de me\ngu\u00e9rir, a eu l\u2019impudence de se jeter sur moi pour me violer; et sans\nl\u2019aide de ma servante, qui se trouvait dans ma chambre, le monstre\naurait assouvi sur moi son ignoble d\u00e9sir.\u00bb Ce qu\u2019entendant, le pr\u00e9fet,\nirrit\u00e9, fit saisir Eug\u00e9nie et les autres serviteurs du Christ, et\nd\u00e9clara que tous seraient livr\u00e9s aux b\u00eates. Quand Eug\u00e9nie fut amen\u00e9e\ndevant lui, il lui dit: \u00abApprends-nous donc, sc\u00e9l\u00e9rat, si c\u2019est votre\nChrist qui vous a ordonn\u00e9 de violer les femmes de noble maison!\u00bb Alors\nEug\u00e9nie, baissant la t\u00eate pour n\u2019\u00eatre pas reconnue, r\u00e9pondit: \u00abNotre\nChrist nous a enseign\u00e9 la chastet\u00e9, et a promis la vie \u00e9ternelle \u00e0 ceux\ndont les \u00e2mes et les corps seraient purs. Quant \u00e0 cette M\u00e9lancie, nous\npourrions la convaincre de faux t\u00e9moignage; mais mieux vaut que nous\nsouffrions nous-m\u00eames, car, pour faire la preuve de son mensonge, nous\ndevrions sacrifier le fruit de notre patience!\u00bb On fit alors venir la\nservante de M\u00e9lancie; cette femme, styl\u00e9e par sa ma\u00eetresse, r\u00e9p\u00e9ta que\nle Fr\u00e8re Eug\u00e8ne avait voulu violer celle-ci. Et Eug\u00e9nie: \u00abPuisque c\u2019est\nainsi, puisque l\u2019impudique ose accuser d\u2019un tel crime les serviteurs du\nChrist, je d\u00e9voilerai la v\u00e9rit\u00e9, non point par orgueil, mais pour la\ngloire de Dieu!\u00bb Disant cela, elle coupa sa tunique de haut en bas,\njusqu\u2019\u00e0 la ceinture, et l\u2019on vit qu\u2019elle \u00e9tait une femme. Et elle dit au\npr\u00e9fet: \u00abJe suis Eug\u00e9nie, ta fille, Claudie est ma m\u00e8re, Avit et Serge,\nque je vois assis pr\u00e8s de toi, sont mes fr\u00e8res, et les deux moines que\nvoici sont Prothe et Hyacinthe!\u00bb Aussit\u00f4t le p\u00e8re, reconnaissant sa\nfille; se jeta dans ses bras en pleurant, et au m\u00eame instant une flamme,\ndescendue des cieux, consuma M\u00e9lancie et tous ses faux t\u00e9moins.\nC\u2019est ainsi qu\u2019Eug\u00e9nie convertit son p\u00e8re, sa m\u00e8re, ses fr\u00e8res, et toute\nleur maison. Philippe, se d\u00e9mettant de ses fonctions, fut \u00e9lu \u00e9v\u00eaque par\nles chr\u00e9tiens, et souffrit le martyre pour la foi. Eug\u00e9nie revint, avec\nses fr\u00e8res et sa m\u00e8re, \u00e0 Rome, o\u00f9 ils firent de nombreuses conversions.\nEt un jour, par ordre de l\u2019empereur, elle fut attach\u00e9e \u00e0 une grosse\npierre et jet\u00e9e dans le Tibre; mais la pierre se d\u00e9tacha de son corps,\net on vit la jeune fille marcher saine et sauve sur les eaux. On la\nplongea dans une fournaise ardente; la flamme s\u2019\u00e9teignit aussit\u00f4t. On\nl\u2019enferma dans un cachot sans fen\u00eatre; mais la cachot se remplit d\u2019un\nrayonnement de lumi\u00e8re. On la laissa dix jours sans nourriture; le\ndixi\u00e8me jour, le Sauveur lui apparut, lui offrit un pain, et lui dit:\n\u00abRe\u00e7ois cette nourriture de ma main! Je suis ton Sauveur, que tu as aim\u00e9\nde toute ton \u00e2me! Et sache que, le jour anniversaire de ma naissance\nterrestre, je t\u2019appellerai pr\u00e8s de moi!\u00bb Et en effet, le jour de No\u00ebl,\nun bourreau trancha la t\u00eate de la sainte. Alors celle-ci apparut \u00e0 sa\nm\u00e8re, et lui annon\u00e7a que, le dimanche suivant, elles se retrouveraient\nau ciel. Et en effet, le dimanche suivant, Claudie, pendant qu\u2019elle se\ntenait en pri\u00e8re, rendit son \u00e2me \u00e0 Dieu. Quant \u00e0 Prothe et Hyacinthe,\nsur leur refus de sacrifier aux idoles, ils eurent la t\u00eate tranch\u00e9e.\nCela se passait sous le r\u00e8gne de Val\u00e9rien et de Gallien, en l\u2019an du\nSeigneur 256.\nCXXXIII\nL\u2019EXALTATION DE LA SAINTE CROIX\n(14 septembre)\nI. La f\u00eate de l\u2019Exaltation de la Sainte Croix a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e en\nsouvenir d\u2019un solennel hommage rendu \u00e0 la croix du Seigneur. L\u2019an 615,\nDieu permit que son peuple f\u00fbt livr\u00e9 en proie \u00e0 la cruaut\u00e9 des pa\u00efens.\nCette ann\u00e9e-l\u00e0, le roi des Perses, Cosro\u00ebs, conqu\u00e9rant du monde, vint \u00e0\nJ\u00e9rusalem, et y fut frapp\u00e9 de terreur devant le s\u00e9pulcre du Christ;\nmais, en s\u2019en allant, il emporta avec lui la partie de la sainte croix\nque sainte H\u00e9l\u00e8ne avait laiss\u00e9e \u00e0 J\u00e9rusalem. Puis, rentr\u00e9 dans sa\ncapitale, il imagina de se faire passer pour dieu. Il se construisit une\ntour d\u2019or et d\u2019argent toute sem\u00e9e de pierreries, et y pla\u00e7a les images\ndu soleil, de la lune et des \u00e9toiles. Au sommet de la tour il\nrecueillait de l\u2019eau, qui montait jusque-l\u00e0 par un conduit secret, et il\nla faisait pleuvoir sur la ville comme une vraie pluie. Il y avait aussi\nsous la tour, dans une caverne, des chevaux qui tournaient en tra\u00eenant\ndes chars, de telle sorte qu\u2019ils semblaient \u00e9branler la tour, avec un\nbruit imitant le tonnerre. Abandonnant \u00e0 son fils le soin du royaume,\nCosro\u00ebs se retira dans cette tour, s\u2019assit dans un tr\u00f4ne, comme s\u2019il\n\u00e9tait Dieu le P\u00e8re, pla\u00e7a \u00e0 sa droite le bois de la croix pour\nrepr\u00e9senter le Fils, \u00e0 gauche pla\u00e7a le coq pour repr\u00e9senter le\nSaint-Esprit, et ordonna qu\u2019on lui rend\u00eet le culte divin.\nAlors l\u2019empereur H\u00e9raclius r\u00e9unit une nombreuse arm\u00e9e, et vint livrer\nbataille au fils de Cosro\u00ebs sur les bords du Danube. Et les deux princes\nconvinrent qu\u2019ils lutteraient seuls sur un pont, de telle sorte que le\nvainqueur p\u00fbt obtenir l\u2019empire sans aucun dommage pour l\u2019une ni l\u2019autre\narm\u00e9e. Et l\u2019on d\u00e9cr\u00e9ta que quiconque voudrait aider son prince aurait\nles jambes et les bras coup\u00e9s, et serait jet\u00e9 dans le fleuve. Mais\nH\u00e9raclius se recommanda \u00e0 Dieu et \u00e0 la sainte croix. Aussi fut-il\nvainqueur, apr\u00e8s une longue lutte, et soumit-il \u00e0 son empire l\u2019arm\u00e9e\nennemie. Tout le peuple de Cosro\u00ebs se convertit \u00e0 la foi chr\u00e9tienne et\nre\u00e7ut le bapt\u00eame. Seul Cosro\u00ebs ignorait l\u2019issue de la guerre: car, afin\nd\u2019\u00eatre ador\u00e9 comme un dieu, il n\u2019admettait aucun homme \u00e0 lui parler\nfamili\u00e8rement. Mais H\u00e9raclius parvint jusqu\u2019\u00e0 lui et, le trouvant assis\nsur son tr\u00f4ne dor\u00e9, il lui dit: \u00abPuisque tu as honor\u00e9 en une certaine\nmesure le bois de la sainte croix, je te laisserai la vie et le pouvoir\nroyal si tu consens \u00e0 recevoir le bapt\u00eame; si, au contraire, tu t\u2019y\nrefuses, je te trancherai la t\u00eate!\u00bb Cosro\u00ebs ayant refus\u00e9 de se\nconvertir, H\u00e9raclius tira son \u00e9p\u00e9e et lui trancha la t\u00eate. Puis, quand\nil l\u2019eut fait ensevelir avec les honneurs dus \u00e0 sa royaut\u00e9, il fit\nbaptiser son jeune fils \u00e2g\u00e9 de dix ans, le pr\u00e9senta lui-m\u00eame sur les\nfonts baptismaux, et lui transmit le royaume de son p\u00e8re. Il fit\nseulement d\u00e9truire la tour de Cosro\u00ebs, et en distribua l\u2019argent \u00e0 son\narm\u00e9e, r\u00e9servant l\u2019or et les pierreries pour servir \u00e0 la reconstruction\ndes \u00e9glises que le tyran avait d\u00e9truites.\nIl alla ensuite rapporter \u00e0 J\u00e9rusalem la sainte croix. Et comme, sur son\ncheval royal et avec ses ornements imp\u00e9riaux, il descendait du mont des\nOliviers, il arriva devant la porte par o\u00f9 \u00e9tait entr\u00e9 Notre-Seigneur,\nla veille de sa passion. Or voici que les pierres de la porte se\nrejoignirent de fa\u00e7on \u00e0 former comme un mur. Et au-dessus de la porte\napparut un ange qui, tenant en main le signe de la croix, dit: \u00abLorsque\nle Roi des Cieux est entr\u00e9 par cette porte, ce n\u2019est pas avec un luxe\nprincier, mais en pauvre, et mont\u00e9 sur un petit \u00e2ne: en quoi il vous a\nlaiss\u00e9 un exemple d\u2019humilit\u00e9 que vous devez suivre!\u00bb Puis, cela dit,\nl\u2019ange disparut. Alors l\u2019empereur, tout en larmes, se d\u00e9chaussa, se\nd\u00e9pouilla de ses v\u00eatements jusqu\u2019\u00e0 la chemise, et, prenant la croix du\nSeigneur, il en frappa humblement la porte qui, se soulevant, le laissa\npasser avec toute sa suite. Et une odeur d\u00e9licieuse se d\u00e9gagea du bois\nsacr\u00e9. Et l\u2019empereur s\u2019\u00e9cria pieusement: \u00abO croix plus splendide que\ntous les astres, c\u00e9l\u00e8bre et ch\u00e8re, qui seule as m\u00e9rit\u00e9 de porter l\u2019\u00e2me\ndu monde, doux bois, clous pr\u00e9cieux, sauvez la troupe qui se r\u00e9unit\naujourd\u2019hui pour vous louer, munie de votre signe!\u00bb Et aussit\u00f4t que la\ncroix fut restitu\u00e9e en son lieu, les anciens miracles se renouvel\u00e8rent.\nDes morts ressuscit\u00e8rent, quatre paralytiques furent gu\u00e9ris, dix l\u00e9preux\nfurent purifi\u00e9s, quinze aveugles recouvr\u00e8rent la vue, des d\u00e9mons\ns\u2019enfuirent des corps dont ils s\u2019\u00e9taient empar\u00e9s; et ainsi l\u2019empereur,\napr\u00e8s avoir reconstruit les \u00e9glises et les avoir combl\u00e9es de pr\u00e9sents,\nrevint dans sa capitale.\nCependant d\u2019autres chroniques donnent un autre r\u00e9cit de cette exaltation\nde la sainte croix. Elles pr\u00e9tendent que, comme Cosro\u00ebs s\u2019\u00e9tait empar\u00e9\nde J\u00e9rusalem et qu\u2019H\u00e9raclius voulait faire la paix avec lui, le roi des\nPerses avait jur\u00e9 de ne pas accorder la paix aux Romains aussi longtemps\nqu\u2019ils n\u2019auraient pas reni\u00e9 le crucifix pour adorer le soleil. Sur quoi\nH\u00e9raclius, rempli d\u2019un saint z\u00e8le, l\u2019avait attaqu\u00e9, battu et repouss\u00e9\njusqu\u2019\u00e0 Ct\u00e9siphon. L\u00e0 Cosro\u00ebs, atteint de dysenterie, avait voulu\ncouronner roi son fils Medase. Ce qu\u2019apprenant, son fils a\u00een\u00e9, Syro\u00efs,\ns\u2019\u00e9tait alli\u00e9 avec H\u00e9raclius, avait jet\u00e9 son p\u00e8re en prison et l\u2019avait\nenfin fait tuer \u00e0 coups de fl\u00e8ches. Il avait ensuite rendu \u00e0 H\u00e9raclius\nle bois de la croix, ainsi que le patriarche Zacharie, que Cosro\u00ebs avait\n\u00e9galement emmen\u00e9 de J\u00e9rusalem. Et l\u2019empereur s\u2019\u00e9tait empress\u00e9 de\nrapporter la croix \u00e0 J\u00e9rusalem, d\u2019o\u00f9 il l\u2019avait ensuite transport\u00e9e \u00e0\nConstantinople.\nII. A Constantinople, un Juif, \u00e9tant entr\u00e9 dans l\u2019\u00e9glise de\nSainte-Sophie, avait aper\u00e7u une image du Christ. Voyant qu\u2019il \u00e9tait\nseul, il tira son \u00e9p\u00e9e, visa l\u2019image et frappa le Christ \u00e0 la gorge: et\naussit\u00f4t un flot de sang jaillit, qui arrosa le visage et toute la t\u00eate\ndu Juif. Celui-ci, \u00e9pouvant\u00e9, prit l\u2019image, la jeta dans un puits, et\ns\u2019enfuit. Il fut rencontr\u00e9 par un chr\u00e9tien, qui lui dit: \u00abD\u2019o\u00f9 viens-tu,\nJuif? Tu as commis un meurtre!\u00bb Et comme le Juif niait, le chr\u00e9tien lui\ndit: \u00abCertes, tu as commis un meurtre, car tu as encore la t\u00eate tout\narros\u00e9e de sang!\u00bb Et le Juif: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9 le Dieu des chr\u00e9tiens est un\ngrand Dieu, et tout confirme sa foi! Ce n\u2019est pas un homme que j\u2019ai\nfrapp\u00e9, mais l\u2019image du Christ, et aussit\u00f4t le sang a jailli de sa\ngorge!\u00bb Puis le Juif conduisit ce chr\u00e9tien jusqu\u2019au puits, d\u2019o\u00f9 l\u2019on\nretira l\u2019image sainte. Et, aujourd\u2019hui encore, on voit la trace de la\nblessure dans la gorge du Christ.\nIII. Dans la ville de Berith, en Syrie, un chr\u00e9tien, qui avait lou\u00e9 un\nlogement \u00e0 l\u2019ann\u00e9e, avait fix\u00e9 au mur une croix, devant laquelle il\nfaisait ses pri\u00e8res. Mais, au bout d\u2019une ann\u00e9e, il se loua un autre\nlogement et oublia d\u2019emporter le crucifix. Le logement fut alors lou\u00e9 \u00e0\nun Juif qui, un jour, invita \u00e0 d\u00eener un de ses concitoyens. Et voici\nque, \u00e0 table, l\u2019invit\u00e9 aper\u00e7oit sur le mur le crucifix. Furieux, il\ndemande \u00e0 son h\u00f4te comment il ose garder chez lui l\u2019image du Nazar\u00e9en.\nEn vain l\u2019h\u00f4te lui jure, par tous les serments de sa race, que jamais\nencore il ne s\u2019est aper\u00e7u de la pr\u00e9sence du crucifix. L\u2019invit\u00e9 feint de\nse calmer, dit adieu \u00e0 son h\u00f4te affectueusement, et s\u2019en va le d\u00e9noncer\nau chef des Juifs. Aussit\u00f4t tous les Juifs de la ville s\u2019assemblent,\nenvahissent le logement, et, apercevant la croix, accablent d\u2019injures et\nde coups leur malheureux fr\u00e8re, qu\u2019ils jettent, \u00e0 demi mort, sur les\npierres du chemin. Apr\u00e8s quoi ils foulent aux pieds l\u2019image sainte, et\nrecommencent sur elle tous les sacril\u00e8ges de la passion du Seigneur.\nMais, au moment o\u00f9 ils lui percent le flanc d\u2019un coup de lance, voici\nque de l\u2019eau et du sang en jaillissent si abondamment qu\u2019un grand vase\ns\u2019en trouve rempli. Les Juifs, stup\u00e9faits, emportent ce sang dans leur\nsynagogue; et tout malade qui l\u2019applique sur son corps est aussit\u00f4t\ngu\u00e9ri. Ce que voyant, les Juifs vont raconter toute l\u2019histoire \u00e0\nl\u2019\u00e9v\u00eaque du dioc\u00e8se et re\u00e7oivent le bapt\u00eame. L\u2019\u00e9v\u00eaque transvase le sang\nmiraculeux dans des ampoules de cristal; puis, mandant pr\u00e8s de lui le\nchr\u00e9tien \u00e0 qui appartenait le crucifix, il le questionne sur la\nprovenance de celui-ci. Et le chr\u00e9tien lui r\u00e9pond: \u00abCe crucifix est\nl\u2019\u0153uvre de Nicod\u00e8me, qui, en mourant, l\u2019a l\u00e9gu\u00e9 \u00e0 Gamaliel, qui l\u2019a\nl\u00e9gu\u00e9 lui-m\u00eame \u00e0 Zach\u00e9e, qui l\u2019a l\u00e9gu\u00e9 \u00e0 Jacques, qui l\u2019a l\u00e9gu\u00e9 \u00e0 Simon.\nApr\u00e8s la destruction de J\u00e9rusalem, les fid\u00e8les l\u2019ont emport\u00e9 dans le\nroyaume d\u2019Agrippa, et ainsi il est venu entre les mains de mes parents,\nqui me l\u2019ont l\u00e9gu\u00e9 par h\u00e9ritage.\u00bb Ce miracle eut lieu en l\u2019an 750. C\u2019est\nen souvenir de lui que, le 3 d\u00e9cembre, l\u2019Eglise institua la f\u00eate du\nSouvenir de la Passion: ou encore, suivant d\u2019autres, le 5 novembre. A\nRome, une \u00e9glise fut consacr\u00e9e en l\u2019honneur du Sauveur, o\u00f9 l\u2019on conserve\naujourd\u2019hui encore une ampoule de ce sang, et o\u00f9 une f\u00eate solennelle est\nc\u00e9l\u00e9br\u00e9e \u00e0 son sujet.\nIV. Les infid\u00e8les eux-m\u00eames reconnaissent la vertu de la croix. D\u2019apr\u00e8s\nsaint Gr\u00e9goire, au troisi\u00e8me livre de ses _Dialogues_, Andr\u00e9, \u00e9v\u00eaque de\nFondi, ayant permis \u00e0 une religieuse de demeurer avec lui, le diable,\npour le tenter, lui imprima dans l\u2019esprit l\u2019image de cette femme, de\ntelle fa\u00e7on que, dans son lit, il \u00e9tait poursuivi de pens\u00e9es lubriques.\nOr, certain soir, un Juif, venant \u00e0 Rome, et ne trouvant plus de place\ndans les auberges, s\u2019installa pour la nuit dans un temple d\u2019Apollon. Et,\nbien qu\u2019il ne f\u00fbt pas chr\u00e9tien, il avait si peur d\u2019\u00eatre puni par les\nRomains comme un sacril\u00e8ge, que, par pr\u00e9caution, il eut l\u2019id\u00e9e de faire\nle signe de la croix. Or voici que, s\u2019\u00e9veillant au milieu de la nuit, il\nvit toute la troupe des mauvais esprits r\u00e9unis en conseil, autour d\u2019un\nchef qui interrogeait chacun d\u2019eux sur le mal qu\u2019il avait r\u00e9ussi \u00e0\nfaire.\nSaint Gr\u00e9goire, pour abr\u00e9ger, ne nous dit rien de la discussion qui eut\nlieu entre ces d\u00e9mons: mais nous pouvons nous en faire une id\u00e9e d\u2019apr\u00e8s\nun autre exemple, qui se trouve cit\u00e9 dans la vie des P\u00e8res. Nous y\nlisons, en effet, qu\u2019un homme, \u00e9tant entr\u00e9 dans un temple d\u2019idoles, vit\nSatan assis et toutes ses milices debout devant lui. Et Satan dit\nd\u2019abord \u00e0 l\u2019un des mauvais esprits: \u00abD\u2019o\u00f9 viens-tu?\u00bb Et le d\u00e9mon: \u00abJ\u2019ai\n\u00e9t\u00e9 dans telle province, j\u2019y ai suscit\u00e9 des guerres, caus\u00e9 toute sorte\nde troubles, et r\u00e9pandu beaucoup de sang. Voil\u00e0 ce que j\u2019ai \u00e0\nt\u2019annoncer!\u00bb Et Satan lui dit: \u00abEn combien de temps as-tu fait cela?\u00bb Et\nlui: \u00abEn trente jours.\u00bb Et Satan: \u00abPourquoi as-tu mis tant de temps?\u00bb Et\nil dit \u00e0 ses serviteurs: \u00abFouettez-le de verges, et ne craignez pas\nd\u2019appuyer!\u00bb Puis un autre diable vint et dit: \u00abSeigneur, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 sur la\nmer, o\u00f9 j\u2019ai soulev\u00e9 de grandes temp\u00eates et fait p\u00e9rir une grande\nquantit\u00e9 d\u2019hommes.\u00bb Et Satan: \u00abEn combien de temps as-tu fait cela?\u00bb Et\nlui: \u00abEn vingt jours.\u00bb Satan le fit fouetter de la m\u00eame fa\u00e7on en disant:\n\u00abTu ne t\u2019es pas fatigu\u00e9, pour faire si peu de chose en tant de jours!\u00bb\nPuis vint un troisi\u00e8me diable qui dit: \u00abJ\u2019ai \u00e9t\u00e9 dans une ville o\u00f9 il y\navait une noce. J\u2019ai produit une rixe, o\u00f9 beaucoup de sang a \u00e9t\u00e9\nr\u00e9pandu, et o\u00f9 le mari\u00e9, notamment, est mort. Voil\u00e0 ce que j\u2019ai \u00e0\nt\u2019annoncer!\u00bb Et Satan: \u00abEn combien de temps as-tu fait cela?\u00bb Et le\ndiable: \u00abEn dix jours.\u00bb Et Satan: \u00abTu n\u2019as pas honte d\u2019avoir fait si peu\nd\u2019ouvrage en tant de jours!\u00bb Et il le fit fouetter comme les deux\npr\u00e9c\u00e9dents. Puis vint un quatri\u00e8me diable qui dit: \u00abJe suis all\u00e9 dans le\nd\u00e9sert, et pendant quarante ans j\u2019ai pein\u00e9 autour d\u2019un certain moine;\nmais je viens enfin de le pr\u00e9cipiter dans un p\u00e9ch\u00e9 de chair!\u00bb A ces\nmots, Satan se leva de son tr\u00f4ne, alla vers ce diable, lui posa sur la\nt\u00eate sa propre couronne et le fit asseoir pr\u00e8s de lui, en disant: \u00abTu as\nfait l\u00e0 une grande action, et il n\u2019y a personne qui ait mieux employ\u00e9\nson temps!\u00bb\nC\u2019est sans doute \u00e0 un d\u00e9bat du m\u00eame genre qu\u2019aura assist\u00e9 le Juif dont\nparle saint Gr\u00e9goire. Toujours est-il que, apr\u00e8s que de nombreux diables\neurent rendu compte de leurs m\u00e9faits, l\u2019un d\u2019eux s\u2019avan\u00e7a et r\u00e9v\u00e9la\nquelle tentation charnelle il avait inspir\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque Andr\u00e9, ajoutant\nque, la veille, \u00e0 l\u2019heure des v\u00eapres, il avait pouss\u00e9 si loin son \u0153uvre\nde tentation que l\u2019\u00e9v\u00eaque avait, par mani\u00e8re de caresse, pos\u00e9 sa main\nsur le dos de la religieuse. Alors Satan l\u2019exhorta \u00e0 compl\u00e9ter son\n\u0153uvre, qui lui vaudrait une gloire merveilleuse parmi ses pairs. Puis il\nlui dit d\u2019aller voir quel \u00e9tait le t\u00e9m\u00e9raire qui avait os\u00e9 venir se\ncoucher dans son temple. Le Juif, comme l\u2019on pense, tremblait de tous\nses membres; mais le diable, s\u2019\u00e9tant approch\u00e9 de lui, d\u00e9couvrit qu\u2019il\n\u00e9tait muni du signe de la croix. Et il dit \u00e0 ses compagnons: \u00abC\u2019est un\nvase vide, en v\u00e9rit\u00e9, mais marqu\u00e9 du signe contre lequel nous ne pouvons\nrien!\u00bb Aussit\u00f4t toute la foule des mauvais esprits disparut; et le Juif,\nr\u00e9veill\u00e9, alla trouver l\u2019\u00e9v\u00eaque, \u00e0 qui il raconta sa vision. Aussit\u00f4t\nAndr\u00e9 g\u00e9mit profond\u00e9ment et renvoya de sa maison toutes les femmes qui\ns\u2019y trouvaient. Le Juif, de son c\u00f4t\u00e9, se fit baptiser.\nV. Saint Gr\u00e9goire rapporte \u00e9galement dans ses _Dialogues_, qu\u2019une\nreligieuse, \u00e9tant entr\u00e9e dans un jardin, aper\u00e7ut une laitue qui la tenta\nsi fort qu\u2019elle y mordit sans l\u2019avoir b\u00e9nie d\u2019un signe de croix.\nAussit\u00f4t le diable p\u00e9n\u00e9tra en elle. Et comme saint Equice venait pour\nl\u2019exorciser, le diable s\u2019\u00e9cria: \u00abQu\u2019ai-je fait de mal? J\u2019\u00e9tais\ntranquillement assis, l\u00e0, sur cette laitue, et voil\u00e0 que cette\nreligieuse est venue et m\u2019a mordu!\u00bb Mais, sur l\u2019ordre du saint, il fut\nbient\u00f4t forc\u00e9 de d\u00e9guerpir.\nVI. Enfin on lit, au livre XI de l\u2019_Histoire eccl\u00e9siastique_, que\nl\u2019empereur Th\u00e9odose fit effacer sur les murs d\u2019Alexandrie les embl\u00e8mes\nde S\u00e9rapis, et fit peindre, \u00e0 leur place, le signe de la croix. Ce que\nvoyant, les pa\u00efens et leurs pr\u00eatres se firent aussit\u00f4t baptiser, disant\nqu\u2019une ancienne tradition les avait avertis que leur religion perdrait\ntout pouvoir le jour o\u00f9 viendrait chez eux le signe de la vie: car il y\navait dans leur langue une lettre, tenue pour sacr\u00e9e, qui avait la forme\nde la croix, et qui, d\u2019apr\u00e8s leur doctrine, \u00e9tait le symbole de la vie\nfuture.\nCXXXIV\nSAINTE EUPH\u00c9MIE, VIERGE ET MARTYRE\n(16 septembre)\nEuph\u00e9mie, fille d\u2019un s\u00e9nateur, voyant les supplices inflig\u00e9s aux\nchr\u00e9tiens sous le r\u00e8gne de Diocl\u00e9tien, se rendit aupr\u00e8s du juge Priscus\net confessa publiquement le Christ. Ce juge ordonnait que les chr\u00e9tiens\nfussent mis \u00e0 mort l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, et que les survivants\nassistassent au martyre de leurs compagnons, esp\u00e9rant par l\u00e0 les\n\u00e9pouvanter et les d\u00e9tourner de leur foi. Or Euph\u00e9mie, \u00e0 chaque nouvelle\nex\u00e9cution qui se faisait en sa pr\u00e9sence, pleurait et se d\u00e9solait comme\nsi elle-m\u00eame avait \u00e9t\u00e9 supplici\u00e9e; ce dont le juge se r\u00e9jouissait,\npensant qu\u2019elle consentirait \u00e0 sacrifier aux idoles. Il lui demanda\nenfin de quoi elle se plaignait. Et elle: \u00abEtant de race noble, je me\nplains de ce que tu me pr\u00e9f\u00e8res des inconnus et des gens de rien, et de\nce que tu leur permettes d\u2019arriver avant moi \u00e0 la gloire promise!\u00bb Sur\nquoi le juge, furieux de sa d\u00e9ception, la fit jeter en prison, mais sans\nla charger de cha\u00eenes. Le lendemain, amen\u00e9e de nouveau devant le juge,\nelle se plaignit de nouveau de ce que, contrairement \u00e0 la loi, elle\nseule n\u2019e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9 charg\u00e9e de cha\u00eenes. Le juge la fit remettre en\nprison, apr\u00e8s avoir ordonn\u00e9 qu\u2019elle f\u00fbt soufflet\u00e9e; et l\u2019ayant suivie\ndans la prison, il voulut assouvir sur elle sa concupiscence; mais, \u00e0 la\npri\u00e8re de la vierge, la force divine paralysa le bras qu\u2019il levait sur\nelle. Et Priscus, croyant \u00e0 un sortil\u00e8ge, envoya vers elle un de ses\nfonctionnaires pour lui promettre toute sorte de faveurs si elle\nconsentait \u00e0 devenir sa ma\u00eetresse. Mais l\u2019envoy\u00e9 trouva la prison\nferm\u00e9e, de telle sorte qu\u2019il ne put ni l\u2019ouvrir avec ses cl\u00e9s ni en\nbriser la porte \u00e0 coups de hache. Et il fut poss\u00e9d\u00e9 d\u2019un d\u00e9mon, qui le\ncontraignit \u00e0 se d\u00e9chirer les chairs de ses propres mains.\nLe juge d\u00e9cida ensuite que la sainte e\u00fbt \u00e0 \u00eatre plac\u00e9e sur une roue dont\nles rayons \u00e9taient remplis de charbons ardents; et l\u2019auteur de cette\nroue s\u2019entendit avec les bourreaux pour que, sur un signe de lui, la\nflamme, sortant des rayons, consum\u00e2t le corps d\u2019Euph\u00e9mie. Mais Dieu fit\nen sorte que ce f\u00fbt cet homme lui-m\u00eame qui fut consum\u00e9 tandis\nqu\u2019Euph\u00e9mie, d\u00e9livr\u00e9e par un ange, apparut debout, saine et sauve, dans\nles airs. Alors un certain Appellien dit au juge: \u00abLe pouvoir de ces\nchr\u00e9tiens ne peut \u00eatre vaincu que par le fer. Je te conseille donc de la\nfaire d\u00e9capiter!\u00bb On \u00e9leva alors un \u00e9chafaud; mais le premier homme qui\nvoulut \u00e9tendre la main sur Euph\u00e9mie, pour l\u2019y faire monter, eut aussit\u00f4t\nla main paralys\u00e9e et fut emport\u00e9 \u00e0 demi mort. Un autre, nomme Sosth\u00e8ne,\narriv\u00e9 pr\u00e8s d\u2019elle, se convertit tout de suite, lui demanda pardon et,\ntirant son \u00e9p\u00e9e, d\u00e9clara au juge qu\u2019il se tuerait lui-m\u00eame plut\u00f4t que de\ntoucher \u00e0 celle que d\u00e9fendaient les anges.\nD\u00e9sesp\u00e9rant de la tuer par ce moyen, le juge dit \u00e0 son chancelier de\nmander aupr\u00e8s d\u2019elle les jeunes gens les plus vigoureux et les plus\nardents de la ville, afin qu\u2019ils usassent de son corps jusqu\u2019\u00e0 la faire\nmourir. Mais le premier qui entra dans la prison aper\u00e7ut une troupe de\nvierges resplendissantes qui priaient autour d\u2019Euph\u00e9mie; et aussit\u00f4t il\ndevint chr\u00e9tien. Alors le juge la fit suspendre par les cheveux, puis,\ndevant l\u2019inefficacit\u00e9 de ce nouveau supplice, la condamna \u00e0 \u00eatre priv\u00e9e\nde nourriture et \u00e0 \u00eatre press\u00e9e comme une olive entre d\u2019\u00e9normes pierres.\nElle resta ainsi pendant sept jours, nourrie par un ange; et, au bout de\nsept jours, les quatre grosses pierres se trouv\u00e8rent r\u00e9duites en une\nfine cendre.\nHonteux d\u2019\u00eatre vaincu par une jeune fille, le juge la fit plonger dans\nune fosse o\u00f9 se trouvaient trois b\u00eates d\u2019une f\u00e9rocit\u00e9 effroyable. Mais\nces b\u00eates accoururent pr\u00e8s d\u2019elle pour la caresser, et, joignant leurs\nqueues, lui firent comme un tr\u00f4ne o\u00f9 le juge la vit s\u2019asseoir. Enfin un\nbourreau, entrant dans la fosse, per\u00e7a d\u2019un glaive le c\u00f4t\u00e9 de la sainte,\nqui acheva ainsi les \u00e9preuves de son martyre. Pour le r\u00e9compenser, le\njuge le rev\u00eatit d\u2019un manteau de soie et lui ceignit les reins d\u2019une\nceinture dor\u00e9e; mais, au moment o\u00f9 cet homme sortait de la fosse, un\nlion s\u2019\u00e9lan\u00e7a sur lui et le d\u00e9vora, ne laissant que le manteau, la\nceinture et quelques ossements. Quant au juge Priscus, il en vint \u00e0 se\nd\u00e9vorer lui-m\u00eame, et rendit son \u00e2me au d\u00e9mon. Sainte Euph\u00e9mie fut\nensevelie \u00e0 Chalc\u00e9doine, l\u2019an du Seigneur 280; et, par ses m\u00e9rites, tous\nles Juifs et pa\u00efens de Chalc\u00e9doine se convertirent au christianisme.\nCXXXV\nSAINT LAMBERT, \u00c9V\u00caQUE ET MARTYR\n(17 septembre)\nLambert \u00e9tait noble de naissance, mais il fut plus noble encore par la\nsaintet\u00e9 de sa vie. Instruit dans les Ecritures d\u00e8s son enfance, il\n\u00e9tait si aim\u00e9 de tous que, apr\u00e8s la mort de son ma\u00eetre Th\u00e9odard, il fut\n\u00e9lu, \u00e0 sa place, \u00e9v\u00eaque de Ma\u00ebstricht. Le roi Child\u00e9ric avait pour lui\nune estime toute particuli\u00e8re, et le pr\u00e9f\u00e9rait \u00e0 tous les autres\n\u00e9v\u00eaques, jusqu\u2019\u00e0 ce que, un jour, tromp\u00e9 par la malice croissante des\nenvieux, il le chassa de son si\u00e8ge, et nomma F\u00e9ramond pour le remplacer.\nLambert se r\u00e9fugia alors dans un monast\u00e8re o\u00f9, pendant sept ans, il\ndonna l\u2019exemple de la plus haute vertu. Mais une nuit, comme il se\nlevait pour prier, il fit par hasard un grand bruit sur le pav\u00e9. Et\nl\u2019abb\u00e9, entendant le bruit, dit: \u00abQue celui qui a fait ce bruit aille\naussit\u00f4t \u00e0 la croix!\u00bb Aussit\u00f4t Lambert, pieds nus, et couvert d\u2019un\ncilice, courut vers la croix qui \u00e9tait \u00e0 la porte du monast\u00e8re, et y\nresta jusqu\u2019au matin, dans la neige et la glace. Et quand, le lendemain,\nl\u2019abb\u00e9 vit que c\u2019\u00e9tait lui qui \u00e9tait all\u00e9 \u00e0 la croix, il l\u2019envoya\nchercher, et, avec tous les moines, lui demanda pardon. Et l\u2019\u00e9v\u00eaque les\naccueillit avec une indulgence parfaite. Sept ans apr\u00e8s, F\u00e9ramond fut\nenfin chass\u00e9 de son si\u00e8ge, et saint Lambert y remonta, par ordre du roi\nP\u00e9pin. Et comme deux m\u00e9chants recommen\u00e7aient \u00e0 le tourmenter, ses amis\nles tu\u00e8rent ainsi qu\u2019ils le m\u00e9ritaient. Vers le m\u00eame temps, Lambert fit\nde vifs reproches \u00e0 P\u00e9pin au sujet d\u2019une courtisane qu\u2019il gardait pr\u00e8s\nde lui. Alors le fr\u00e8re de cette courtisane, qui servait \u00e0 la cour,\ns\u2019entendit avec Dodon, fr\u00e8re des deux hommes qui avaient \u00e9t\u00e9 tu\u00e9s; et,\nayant assembl\u00e9 une arm\u00e9e, ils assi\u00e9g\u00e8rent la maison de l\u2019\u00e9v\u00eaque.\nCelui-ci \u00e9tait en pri\u00e8re quand un de ses serviteurs vint lui annoncer\nque la maison \u00e9tait assi\u00e9g\u00e9e. Le saint prit d\u2019abord un poignard; mais\nbient\u00f4t il se ravisa et jeta le poignard, pr\u00e9f\u00e9rant vaincre ses ennemis\npar sa mort que de souiller de leur sang ses mains sacr\u00e9es. Il engagea\nses compagnons \u00e0 confesser leurs p\u00e9ch\u00e9s et \u00e0 attendre courageusement la\nmort; puis il se remit en pri\u00e8re; et aussit\u00f4t les impies, for\u00e7ant les\nportes, s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent sur lui et le mirent \u00e0 mort. Quand ils se furent\nretir\u00e9s, un des serviteurs de Lambert embarqua secr\u00e8tement son corps sur\nun bateau et le transporta dans l\u2019\u00e9glise, o\u00f9 il fut enseveli en grande\npompe par les habitants, d\u00e9sol\u00e9s de sa mort. Cette mort eut lieu en l\u2019an\ndu Seigneur 620.\nCXXXVI\nSAINT CORNEILLE, PAPE ET MARTYR\n(18 septembre)\nLe pape Corneille, successeur de saint Fabien, fut rel\u00e9gu\u00e9 en exil avec\nson clerg\u00e9 par l\u2019empereur D\u00e9cius. En exil, il re\u00e7ut une lettre\nd\u2019encouragement de saint Cyprien, \u00e9v\u00eaque de Carthage. Revenu \u00e0 Rome, il\ncomparut devant D\u00e9cius, qui, apr\u00e8s l\u2019avoir fait frapper de verges\nplomb\u00e9es, ordonna qu\u2019il f\u00fbt conduit au temple de Mars, pour sacrifier\naux idoles, ou, en cas de refus, pour subir la peine capitale. Comme on\nle conduisait, un soldat le pria de s\u2019arr\u00eater dans sa maison et de prier\npour sa femme Sallustie, qui, depuis cinq ans, \u00e9tait paralys\u00e9e.\nCorneille, par sa pri\u00e8re, gu\u00e9rit cette femme: sur quoi son mari et elle,\nainsi que vingt autres soldats, se convertirent \u00e0 la foi chr\u00e9tienne. Et\nD\u00e9cius les fit tous conduire au temple de Mars; et comme ils se\nrefusaient \u00e0 sacrifier, tous subirent le martyre avec saint Corneille.\nCe martyre eut lieu en l\u2019an 253.\nTrois ans plus tard, Cyprien, \u00e9v\u00eaque de Carthage, fut envoy\u00e9 en exil par\nle proconsul Patron. Mais le proconsul Gal\u00e8re, successeur de Patron, le\nrappela \u00e0 Carthage et le condamna \u00e0 la peine capitale. Et Cyprien, apr\u00e8s\navoir remerci\u00e9 Dieu de cette condamnation, recommanda \u00e0 ses amis de\ndonner quinze pi\u00e8ces d\u2019or \u00e0 son bourreau pour le r\u00e9compenser. Puis,\nfermant les yeux, il re\u00e7ut le coup mortel, en l\u2019an 256.\nCXXXVII\nSAINT EUSTACHE, MARTYR\n(20 septembre)\nEustache s\u2019appelait d\u2019abord Placide. Il commandait les arm\u00e9es de\nl\u2019empereur Trajan. C\u2019\u00e9tait un homme bon et mis\u00e9ricordieux, mais adonn\u00e9\nau culte des idoles. Il avait une femme, pa\u00efenne comme lui, et comme lui\nexcellente; et deux fils, \u00e0 qui il avait fait donner l\u2019\u00e9ducation la plus\nraffin\u00e9e.\nEt, comme il persistait dans les bonnes \u0153uvres, Dieu le jugea digne\nd\u2019\u00eatre admis \u00e0 la voie de la v\u00e9rit\u00e9. Un jour, \u00e9tant \u00e0 la chasse, il\nrencontra un troupeau de cerfs, parmi lesquels s\u2019en trouvait un plus\ngrand et plus beau que les autres, et qui, d\u00e8s qu\u2019il aper\u00e7ut les\nchasseurs, se s\u00e9para de ses compagnons pour s\u2019enfoncer dans le bois.\nAussit\u00f4t Placide se mit \u00e0 le poursuivre; mais, apr\u00e8s une longue course,\nle cerf grimpa sur un rocher; et Placide, arr\u00eat\u00e9 au pied du rocher,\nsongeait aux moyens de l\u2019atteindre. Et comme il observait avec attention\nle cerf, il vit briller entre ses cornes une grande croix avec l\u2019image\nde Notre-Seigneur. Et Dieu, parlant par la bouche du cerf, comme jadis\npar celle de l\u2019\u00e2ne de Balaam, lui dit: \u00abPlacide, pourquoi me\npers\u00e9cutes-tu? C\u2019est par faveur pour toi que je te suis apparu sous\ncette forme; et je suis le Christ, que tu sers sans le conna\u00eetre. Car\ntes aum\u00f4nes sont mont\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 moi; et c\u2019est, pour cela que je suis\nvenu, afin de te faire la chasse, par l\u2019entremise de ce cerf \u00e0 qui tu\nfais la chasse!\u00bb Ce qu\u2019entendant, Placide, effray\u00e9, sauta de cheval et\nse prosterna. Une heure apr\u00e8s, se relevant, il dit: \u00abExplique-moi qui tu\nes, et je croirai en toi!\u00bb Et la voix: \u00abPlacide, je suis le Christ, qui\nai cr\u00e9\u00e9 le ciel et la terre, qui ai s\u00e9par\u00e9 la lumi\u00e8re des t\u00e9n\u00e8bres, qui\nai constitu\u00e9 les ann\u00e9es et les jours, qui ai form\u00e9 l\u2019homme du limon de\nla terre, qui me suis incarn\u00e9 pour le salut du genre humain, qui ai \u00e9t\u00e9\ncrucifi\u00e9, enseveli, et qui suis ressuscit\u00e9 le troisi\u00e8me jour!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, Placide se prosterna de nouveau et dit: \u00abSeigneur, je\ncrois en toi!\u00bb Et la voix: \u00abSi tu crois, va trouver l\u2019\u00e9v\u00eaque, et\nfais-toi baptiser!\u00bb Et Placide: \u00abSeigneur, permets-tu que j\u2019instruise de\ntout cela ma femme et mes fils, pour que, eux aussi, ils croient en\ntoi?\u00bb Et la voix: \u00abInstruis-les de tout cela, afin qu\u2019ils se purifient\navec toi! Et demain, reviens \u00e0 cette place; je t\u2019appara\u00eetrai de nouveau\net je te r\u00e9v\u00e9lerai ce qui doit arriver.\u00bb De retour chez lui, Placide, au\nlit, raconta l\u2019aventure \u00e0 sa femme, qui lui dit: \u00abFigure-toi, mon ami,\nque j\u2019ai vu, moi aussi, en r\u00eave, la nuit pass\u00e9e, un crucifix, et qu\u2019il\nm\u2019a annonc\u00e9 que demain, avec mon mari et mes fils, je viendrais \u00e0 lui!\nJe sais maintenant que c\u2019\u00e9tait J\u00e9sus-Christ.\u00bb Ils se rendirent donc\naussit\u00f4t aupr\u00e8s de l\u2019\u00e9v\u00eaque de Rome, qui les baptisa avec grande joie,\ndonnant \u00e0 Placide le nom d\u2019Eustache, \u00e0 sa femme celui de Th\u00e9ospite, et\nnommant ses fils Th\u00e9ospit et Agapet.\nApr\u00e8s cela Eustache repartit de nouveau en chasse, de nouveau se s\u00e9para\nde son escorte, et, arriv\u00e9 au pied du rocher, aper\u00e7ut de nouveau sa\nvision de la veille. Se prosternant, la face contre terre, il dit:\n\u00abDaigne, Seigneur, tenir la promesse que tu as faite \u00e0 ton serviteur!\u00bb\nEt la voix: \u00abHeureux es-tu, Eustache, d\u2019avoir re\u00e7u le signe de ma gr\u00e2ce!\nMais d\u00e9j\u00e0 le diable, furieux de ton abandon, arme contre toi. Sache donc\nque tu auras beaucoup \u00e0 souffrir, avant d\u2019obtenir la couronne de la\nvictoire! Ne d\u00e9faille pas, ne regrette pas ton ancienne gloire; car je\nveux que tu apparaisses aux hommes comme un autre Job. Et quand tu seras\nau comble de l\u2019humiliation, je viendrai \u00e0 toi et t\u2019apporterai une gloire\nnouvelle. Dis-moi seulement si tu te r\u00e9signes \u00e0 subir toutes ces\n\u00e9preuves!\u00bb Et Eustache: \u00abSeigneur, si c\u2019est n\u00e9cessaire, envoie-moi\ntoutes les \u00e9preuves, \u00e0 la condition que tu daignes m\u2019accorder la force\nde les supporter!\u00bb Alors le Seigneur s\u2019envola au ciel, et Eustache,\nrevenu chez lui, raconta \u00e0 sa femme ce second miracle.\nPeu de jours apr\u00e8s, la peste fit p\u00e9rir tous les domestiques d\u2019Eustache,\npuis ses chevaux et tout son b\u00e9tail. Ce furent ensuite des voleurs qui,\nvoyant sa maison ainsi d\u00e9vast\u00e9e, y p\u00e9n\u00e9tr\u00e8rent la nuit, emport\u00e8rent tout\nce qu\u2019il y avait, dans la maison, d\u2019or, d\u2019argent et d\u2019objets de valeur:\nsi bien qu\u2019Eustache fut encore trop heureux de pouvoir s\u2019enfuir, nu,\navec sa femme et ses fils. Honteux de leur nudit\u00e9, ils prenaient le\nchemin de l\u2019Egypte afin de s\u2019y cacher. Arriv\u00e9s au bord de la mer, ils\ntrouv\u00e8rent un bateau et y mont\u00e8rent. Or le ma\u00eetre du bateau, frapp\u00e9 de\nla beaut\u00e9 de la femme d\u2019Eustache, \u00e9prouva le d\u00e9sir de la poss\u00e9der. Et\ncomme les voyageurs n\u2019avaient pas de quoi payer leur transport, cet\nhomme exigea que la jeune femme lui f\u00fbt laiss\u00e9e en gage: ce \u00e0 quoi\nEustache ne voulut point consentir. Alors le ma\u00eetre du bateau ordonna \u00e0\nses matelots de le jeter \u00e0 la mer. Et Eustache, l\u2019ayant appris, dut se\nr\u00e9signer \u00e0 leur laisser sa femme. Tristement il s\u2019en allait avec ses\ndeux enfants, et il g\u00e9missait, et il disait: \u00abMalheur \u00e0 moi et \u00e0 vous,\ncar voici que votre m\u00e8re se trouve livr\u00e9e \u00e0 un autre mari!\u00bb Il parvint\nainsi jusqu\u2019\u00e0 la rive d\u2019un grand fleuve dont les eaux \u00e9taient si hautes\nqu\u2019il n\u2019osait pas les traverser \u00e0 la nage avec ses deux fils. Il laissa\ndonc l\u2019un d\u2019eux sur le bord, tandis qu\u2019il transportait l\u2019autre. Puis\nayant achev\u00e9 cette premi\u00e8re travers\u00e9e, il d\u00e9posa l\u2019enfant sur l\u2019autre\nrive, et revint chercher celui qu\u2019il avait laiss\u00e9 derri\u00e8re lui. Mais,\ncomme il se trouvait au milieu du fleuve, il vit un loup qui, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant\nsur l\u2019enfant qu\u2019il allait chercher, le prenait entre ses dents et\nl\u2019emportait dans le bois. D\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, Eustache voulut du moins rejoindre\nl\u2019enfant \u00e0 qui il avait fait d\u00e9j\u00e0 passer le fleuve. Mais, avant\nd\u2019atteindre au rivage, il vit qu\u2019un lion accourait et lui enlevait son\nsecond fils. Alors le pauvre homme se mit \u00e0 g\u00e9mir et \u00e0 s\u2019arracher les\ncheveux; et, certes, il se serait noy\u00e9, si la Providence divine ne\nl\u2019avait retenu.\nCependant des bergers, voyant un lion qui emportait un enfant, se mirent\n\u00e0 sa poursuite avec leurs chiens; et Dieu permit que le lion rejet\u00e2t\nl\u2019enfant sans lui faire aucun mal. De m\u00eame des laboureurs poursuivirent\nle loup et parvinrent \u00e0 retirer de sa gueule l\u2019autre enfant. Mais\nEustache, qui ignorait tout cela, pleurait et disait: \u00abMalheureux\nsuis-je, jadis si riche, maintenant d\u00e9pouill\u00e9 de tout! Seigneur, tu m\u2019as\ndit que j\u2019aurais \u00e0 \u00eatre tent\u00e9 comme Job: mais ma peine d\u00e9passe celle de\nce saint homme, qui avait du moins un fumier o\u00f9 s\u2019\u00e9tendre, et des amis\npour en avoir piti\u00e9, et une femme! A moi, h\u00e9las, on a tout pris!\u00bb Il se\nrendit dans un village o\u00f9, pendant quinze ans, il cultiva les champs\npour gagner de quoi vivre. Et ses fils, \u00e9lev\u00e9s dans d\u2019autres villages,\ngrandissaient sans savoir qu\u2019ils \u00e9taient fr\u00e8res l\u2019un de l\u2019autre. La\nfemme d\u2019Eustache, elle aussi, vivait encore; et Dieu n\u2019avait point\npermis qu\u2019elle f\u00fbt poss\u00e9d\u00e9e par l\u2019homme \u00e0 qui son mari avait d\u00fb la\nlaisser: ce mis\u00e9rable en effet, \u00e9tait mort avant d\u2019avoir pu la toucher.\nOr l\u2019empereur et le peuple de Rome avaient beaucoup \u00e0 souffrir des\nassauts des ennemis. Et l\u2019empereur, se rappelant Placide, qui maintes\nfois lui avait assur\u00e9 la victoire, se d\u00e9solait de sa fuite soudaine. Il\nenvoya donc des soldats dans les diverses parties du monde pour le\nrechercher, promettant richesses et honneurs \u00e0 ceux qui parviendraient \u00e0\nd\u00e9couvrir sa retraite. Et deux de ces soldats, qui jadis avaient servi\nsous les ordres de Placide, vinrent dans le village o\u00f9 vivait leur\nancien chef. Placide, qui travaillait dans son champ, les reconnut\naussit\u00f4t: et les souvenirs qu\u2019ils \u00e9voqu\u00e8rent en lui raviv\u00e8rent sa peine.\nEt il s\u2019\u00e9cria: \u00abSeigneur, de m\u00eame que j\u2019ai pu revoir ces hommes, mes\ncompagnons d\u2019autrefois, ne pourrai-je pas revoir un jour ma ch\u00e8re femme?\ncar, pour mes fils, je sais qu\u2019ils ont \u00e9t\u00e9 d\u00e9vor\u00e9s par des b\u00eates\nf\u00e9roces!\u00bb Puis il vint au-devant des soldats, qui, sans le reconna\u00eetre,\nlui demand\u00e8rent s\u2019il ne savait rien d\u2019un \u00e9tranger nomm\u00e9 Placide, ayant\nune femme et deux fils. Il r\u00e9pondit qu\u2019il n\u2019en savait rien; mais il les\npria d\u2019\u00eatre ses h\u00f4tes; et, leur cachant ses larmes, il les servait de\nson mieux. Et eux, le consid\u00e9rant, se disaient: \u00abCombien cet homme\nressemble \u00e0 celui que nous cherchons!\u00bb Et l\u2019un d\u2019eux dit \u00e0 l\u2019autre:\n\u00abVoyons un peu s\u2019il a sur la t\u00eate une cicatrice, comme Placide en avait\nune, \u00e0 la suite d\u2019une blessure!\u00bb Ils d\u00e9couvrirent la cicatrice, et,\ncertains d\u00e9sormais d\u2019avoir retrouv\u00e9 l\u2019homme qu\u2019ils cherchaient, ils se\njet\u00e8rent dans ses bras et l\u2019interrog\u00e8rent sur sa femme et sur ses fils.\nIl leur r\u00e9pondit que ses fils \u00e9taient morts, et sa femme prisonni\u00e8re.\nPuis les soldats, apr\u00e8s avoir racont\u00e9 aux voisins, accourus en foule, la\nvaillance et la gloire de leur ancien chef, rev\u00eatirent celui-ci d\u2019un\nmanteau somptueux, et se mirent en route avec lui pour se rendre aupr\u00e8s\nde l\u2019empereur. Ils march\u00e8rent pendant quinze jours. Et l\u2019empereur,\napprenant l\u2019arriv\u00e9e de Placide, courut au-devant de lui, et le couvrit\nde baisers. Et il le contraignit \u00e0 reprendre son emploi de jadis, \u00e0 la\nt\u00eate de l\u2019arm\u00e9e.\nMais Eustache, d\u00e9nombrant ses troupes, et les jugeant insuffisantes,\nordonna de faire une grande lev\u00e9e dans les villes et villages de\nl\u2019empire. Et, dans chacun des deux villages o\u00f9 \u00e9taient \u00e9lev\u00e9s ses deux\nfils, ce furent eux qui se trouv\u00e8rent d\u00e9sign\u00e9s, par le suffrage de tous,\ncomme les plus robustes et les plus vaillants. Ils furent conduits au\ncamp du g\u00e9n\u00e9ral, qui, frapp\u00e9 de leur beaut\u00e9 et de leur vertu, se prit\nd\u2019affection pour eux et les attacha \u00e0 sa personne.\nAyant d\u00e9fait l\u2019ennemi, Eustache s\u2019arr\u00eata pendant trois jours, avec son\narm\u00e9e, dans la ville o\u00f9 demeurait sa femme, qui y tenait une petite\nauberge. Et Dieu voulut que les deux jeunes gens prissent logement chez\nleur m\u00e8re, qu\u2019ils ne connaissaient point. Et l\u00e0, assis \u00e0 table, ils se\nracontaient leurs souvenirs d\u2019enfance. Et leur m\u00e8re \u00e9coutait avidement\nleurs paroles. Or l\u2019a\u00een\u00e9 disait au plus jeune: \u00abDe mon enfance je ne me\nrappelle rien, si ce n\u2019est que mon p\u00e8re \u00e9tait g\u00e9n\u00e9ral d\u2019arm\u00e9e, que\nj\u2019avais une m\u00e8re tr\u00e8s belle, et un petit fr\u00e8re \u00e9galement tr\u00e8s beau. Une\nnuit, nous sommes sortis de notre maison, et plus tard nous avons laiss\u00e9\nsur un bateau, je ne sais pourquoi, notre m\u00e8re; et j\u2019ai vu ensuite, de\nl\u2019autre rive d\u2019un fleuve, qu\u2019un loup emportait mon fr\u00e8re; et moi-m\u00eame,\nquelques instants apr\u00e8s, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 emport\u00e9 par un lion. Mais des bergers\nm\u2019ont sauv\u00e9 et nourri.\u00bb Ce qu\u2019entendant, le second soldat se mit \u00e0\npleurer et dit: \u00abPar Dieu, je suis ton fr\u00e8re, car les laboureurs qui\nm\u2019ont \u00e9lev\u00e9 m\u2019ont racont\u00e9 qu\u2019ils m\u2019avaient tir\u00e9 de la gueule d\u2019un loup,\nau bord du m\u00eame fleuve!\u00bb Et, tout en larmes, ils se jet\u00e8rent aux bras\nl\u2019un de l\u2019autre. Leur m\u00e8re, cependant, qui avait entendu leur r\u00e9cit, se\nrendit le lendemain chez le chef de l\u2019arm\u00e9e et lui dit: \u00abJe te prie,\nSeigneur, de me faire ramener dans ma patrie, car je suis romaine et de\nrace noble!\u00bb Et, tandis qu\u2019elle parlait, levant les yeux sur Eustache,\nelle le reconnut. Elle se jeta \u00e0 ses pieds et lui dit qui elle \u00e9tait.\nEustache, la reconnaissant de son c\u00f4t\u00e9, la couvrit de baisers, et\nglorifia Dieu, consolateur des afflig\u00e9s. Puis sa femme lui dit: \u00abMon\nami, o\u00f9 sont nos fils?\u00bb Et lui: \u00abDes b\u00eates les ont d\u00e9vor\u00e9s!\u00bb Et il lui\nraconta comment ils les avait perdus. Et elle: \u00abRendons gr\u00e2ces \u00e0 Dieu,\ncar, de m\u00eame qu\u2019il nous a permis de nous retrouver l\u2019un l\u2019autre, je\ncrois qu\u2019il va nous permettre de retrouver nos enfants.\u00bb Sur quoi elle\nlui r\u00e9p\u00e9ta le r\u00e9cit des deux jeunes soldats. Et Eustache, les ayant\nmand\u00e9s, leur fit encore r\u00e9p\u00e9ter leurs r\u00e9cits; et il reconnut ses fils;\net sa femme et lui, fondant en larmes, ne se fatiguaient point de les\nembrasser.\nMais, lorsque Eustache revint \u00e0 Rome avec son arm\u00e9e victorieuse, Trajan\nvenait de mourir, et \u00e0 sa place venait de monter sur le tr\u00f4ne le m\u00e9chant\nAdrien. Celui-ci, cependant, fit l\u2019accueil le plus empress\u00e9 au vainqueur\ndes barbares, et offrit en son honneur un repas magnifique. Mais, le\nlendemain, s\u2019\u00e9tant rendu au temple pour sacrifier aux idoles, il vit\nqu\u2019Eustache se refusait \u00e0 tout sacrifice. Il lui en demanda la raison.\nEt Eustache: \u00abJe n\u2019adore pas d\u2019autre dieu que le Christ, et \u00e0 lui seul\nje puis sacrifier!\u00bb Alors, l\u2019empereur, furieux, le fit exposer dans\nl\u2019ar\u00e8ne avec sa femme et ses fils, et fit l\u00e2cher sur eux un lion f\u00e9roce.\nMais le lion, s\u2019\u00e9tant approch\u00e9 d\u2019eux, baissa la t\u00eate comme pour les\nsaluer, et s\u2019\u00e9loigna humblement. L\u2019empereur les fit ensuite plonger \u00e0\nl\u2019int\u00e9rieur d\u2019un b\u0153uf d\u2019airain rougi au feu, et pendant trois jours il\nles y laissa. Le troisi\u00e8me jour, quand on les retira, ils \u00e9taient morts,\nmais pas un cheveu, pas une partie de leur corps n\u2019avait trace de\nbr\u00fblure. Les chr\u00e9tiens emport\u00e8rent leurs corps, et, plus tard,\nconstruisirent un oratoire sur le lieu o\u00f9 ils les avaient ensevelis. Ce\nmartyre s\u2019accomplit le douzi\u00e8me jour d\u2019octobre, en l\u2019an du Seigneur 120,\nsous le r\u00e8gne d\u2019Adrien.\nCXXXVIII\nSAINT MATTHIEU, AP\u00d4TRE\n(21 septembre)\nI. L\u2019ap\u00f4tre Matthieu, pr\u00eachant en Ethiopie, y trouva sur son chemin deux\nmages nomm\u00e9s Zaro\u00ebs et Arphaxal qui, par leurs sortil\u00e8ges, parvenaient \u00e0\npriver les hommes de l\u2019usage de leur langue, ce qui leur avait donn\u00e9 une\ntelle vanit\u00e9 qu\u2019ils se faisaient adorer comme des dieux. Or Matthieu,\n\u00e9tant arriv\u00e9 dans la ville de Nadabar, et y ayant \u00e9t\u00e9 accueilli par\nl\u2019eunuque de la reine Candace, qu\u2019avait baptis\u00e9 l\u2019ap\u00f4tre Philippe,\nd\u00e9routait de telle sorte les artifices des deux mages que, tout ce que\nceux-ci faisaient pour le mal des hommes, il le faisait servir \u00e0 leur\nbien. On vint un jour lui dire que les mages s\u2019avan\u00e7aient, accompagn\u00e9s\nde deux dragons qui, vomissant du feu par la bouche et les naseaux,\nsemaient la mort sur leur passage. Aussit\u00f4t l\u2019ap\u00f4tre fit le signe de la\ncroix et alla \u00e0 leur rencontre. Et, d\u00e8s que les dragons l\u2019aper\u00e7urent,\nils vinrent humblement s\u2019\u00e9tendre \u00e0 ses pieds. Alors Matthieu dit aux\nmages: \u00abO\u00f9 donc est votre pouvoir? R\u00e9veillez vos dragons, si vous le\npouvez!\u00bb Et quand la foule se fut rassembl\u00e9e, il ordonna aux dragons de\ns\u2019en aller, au nom de J\u00e9sus; et ils s\u2019\u00e9loign\u00e8rent sans faire aucun mal.\nMatthieu se mit alors \u00e0 exposer au peuple la gloire du paradis\nterrestre, \u00e9lev\u00e9 tout pr\u00e8s du ciel, plus haut que les plus hautes\nmontagnes. Il dit que, dans ce jardin, n\u2019existaient ni ronces ni \u00e9pines,\nque les roses et les lys ne s\u2019y fanaient jamais, que tout y gardait une\n\u00e9ternelle jeunesse, que les orgues des anges y jouaient jour et nuit, et\nque les oiseaux y r\u00e9pondaient \u00e0 l\u2019appel qu\u2019on leur faisait. Et il dit\nque, de ce paradis terrestre, l\u2019homme avait \u00e9t\u00e9 chass\u00e9, mais que la\nnativit\u00e9 du Christ lui avait ouvert la porte du paradis c\u00e9leste.\nOr, pendant qu\u2019il pr\u00eachait ainsi, un grand tumulte se produisit, et l\u2019on\napprit que le fils du roi venait de mourir. Ne pouvant le ressusciter,\nles mages avaient imagin\u00e9 de persuader au roi qu\u2019il avait \u00e9t\u00e9 appel\u00e9 \u00e0\nfaire partie des dieux, de telle sorte qu\u2019on s\u2019appr\u00eatait \u00e0 lui \u00e9lever\nune statue et un temple. Mais l\u2019eunuque susdit, ayant fait mettre les\nmages sous bonne garde, appela Matthieu, qui, ayant pri\u00e9, ressuscita le\nmort. Ce que voyant le roi, qui s\u2019appelait Egippe, fit dire, dans toutes\nles provinces de son royaume: \u00abVenez voir un dieu qui se cache sous la\nfigure d\u2019un homme!\u00bb La foule arriva donc de toutes parts, avec des\ncouronnes d\u2019or et mille autres pr\u00e9sents, pr\u00eate \u00e0 offrir des sacrifices\nau nouveau dieu. Mais l\u2019ap\u00f4tre les r\u00e9primanda, en leur disant: \u00abHommes,\nque faites-vous? Je ne suis pas un dieu, mais le serviteur de mon ma\u00eetre\nJ\u00e9sus-Christ!\u00bb Puis, sur son ordre, l\u2019or et l\u2019argent que la foule avait\napport\u00e9s furent employ\u00e9s \u00e0 la construction d\u2019une grande \u00e9glise, qui se\ntrouva achev\u00e9e en trente jours. Et l\u2019ap\u00f4tre y v\u00e9cut trente-trois ans, et\nil convertit toute l\u2019Ethiopie. Le roi Egippe se fit baptiser avec sa\nfemme et toute sa maison. Et sa fille Euphig\u00e9nie, s\u2019\u00e9tant vou\u00e9e \u00e0 Dieu,\nfut plac\u00e9e par l\u2019ap\u00f4tre \u00e0 la t\u00eate d\u2019un couvent de plus de deux cents\nvierges.\nMais, plus tard, le roi Hirtacus, qui avait succ\u00e9d\u00e9 \u00e0 Egippe, d\u00e9sira\nprendre pour femme la pieuse Euphig\u00e9nie, et promit \u00e0 l\u2019ap\u00f4tre la moiti\u00e9\nde son royaume si, par son entremise, elle consentait \u00e0 ce mariage.\nL\u2019ap\u00f4tre lui dit de se rendre \u00e0 l\u2019\u00e9glise, le dimanche suivant, comme\nfaisait son pr\u00e9d\u00e9cesseur; ajoutant que l\u00e0, en pr\u00e9sence d\u2019Euphig\u00e9nie, il\napprendrait combien c\u2019\u00e9tait chose bonne qu\u2019un mariage suivant Dieu. Et\nle roi s\u2019empressa de se rendre \u00e0 l\u2019\u00e9glise, car il croyait que Matthieu\nvoulait engager Euphig\u00e9nie \u00e0 devenir sa femme. Et en effet Matthieu, en\npr\u00e9sence de tout le peuple, commen\u00e7a par exposer les avantages d\u2019une\nsainte union; ce dont le roi se r\u00e9jouit fort, pensant que l\u2019objet de\nl\u2019ap\u00f4tre \u00e9tait de convaincre Euphig\u00e9nie. Mais alors Matthieu reprit,\npoursuivant son discours: \u00abLe mariage \u00e9tant ainsi chose sacr\u00e9e et\ninviolable, un esclave qui voudrait poss\u00e9der la femme de son roi\nm\u00e9riterait la mort. Et de m\u00eame toi, Hirtacus, sachant qu\u2019Euphig\u00e9nie est\nla femme du roi \u00e9ternel, comment oses-tu songer \u00e0 prendre la femme de\nplus puissant que toi?\u00bb Ce qu\u2019entendant, le roi, fou de rage, sortit de\nl\u2019\u00e9glise. L\u2019ap\u00f4tre, plein de constance et d\u2019intr\u00e9pidit\u00e9, engagea le\npeuple \u00e0 la patience, et b\u00e9nit Euphig\u00e9nie, qui, \u00e9pouvant\u00e9e, s\u2019\u00e9tait\nprostern\u00e9e \u00e0 ses pieds. Quand la messe fut achev\u00e9e, le roi envoya dans\nl\u2019\u00e9glise un bourreau qui, frappant par derri\u00e8re, de son \u00e9p\u00e9e, l\u2019ap\u00f4tre\ndebout devant l\u2019autel et les mains jointes, en pri\u00e8re, le tua sur place,\net lui assura ainsi la couronne du martyre.\nLa foule, indign\u00e9e, s\u2019appr\u00eatait \u00e0 courir au palais du roi pour y mettre\nle feu, lorsque les pr\u00eatres et les diacres la retinrent, l\u2019engageant \u00e0\nc\u00e9l\u00e9brer plut\u00f4t, joyeusement, le martyre de l\u2019ap\u00f4tre. Et le roi, voyant\nque ni les entremetteuses ni les mages ne parvenaient \u00e0 fl\u00e9chir la\nr\u00e9solution d\u2019Euphig\u00e9nie, fit disposer un cercle de flammes autour de son\ncouvent, pour la faire p\u00e9rir avec les autres vierges. Mais saint\nMatthieu, apparaissant \u00e0 celles-ci, d\u00e9tourna le feu de leur maison, vers\nle palais du roi, qui se trouva aussit\u00f4t consum\u00e9. Seuls le roi et son\nfils unique \u00e9chapp\u00e8rent \u00e0 l\u2019incendie; et aussit\u00f4t le fils, confessant\nles crimes de son p\u00e8re, courut au tombeau de l\u2019ap\u00f4tre, tandis que le\np\u00e8re, atteint d\u2019une l\u00e8pre hideuse et incurable, se donna la mort de sa\npropre main. Alors le peuple prit pour roi le fr\u00e8re d\u2019Euphig\u00e9nie, qui\nr\u00e9gna soixante ans. Ce prince, et apr\u00e8s lui son fils, \u00e9tendirent encore\nle culte du Christ, remplissant d\u2019\u00e9glises toute l\u2019Ethiopie. Quant \u00e0\nZaro\u00ebs et Arphaxal, d\u00e8s le jour o\u00f9 Matthieu avait ressuscit\u00e9 le fils du\nroi, ils s\u2019\u00e9taient enfuis en Perse, o\u00f9 les ap\u00f4tres Simon et Jude\ndevaient, \u00e0 leur tour, d\u00e9jouer victorieusement leurs sortil\u00e8ges.\nII. Quatre choses sont particuli\u00e8rement remarquables chez saint\nMatthieu: 1\u00ba c\u2019est d\u2019abord la rapidit\u00e9 de son ob\u00e9issance; car d\u00e8s que le\nChrist l\u2019appela, aussit\u00f4t il abandonna son p\u00e9age, sans s\u2019occuper du\nd\u00e9triment qu\u2019il causait \u00e0 ses patrons, et s\u2019attacha absolument au\nChrist; 2\u00ba c\u2019est ensuite sa largesse ou lib\u00e9ralit\u00e9: car aussit\u00f4t il\npr\u00e9para pour le Christ un grand repas dans sa maison; 3\u00ba c\u2019est, en\ntroisi\u00e8me lieu, son humilit\u00e9, qui s\u2019est montr\u00e9e de deux fa\u00e7ons: car,\nd\u2019abord, lui seul, parmi les \u00e9vang\u00e9listes, a ouvertement reconnu, qu\u2019il\n\u00e9tait publicain; et puis, quand les Pharisiens ont murmur\u00e9 de ce que le\nChrist s\u2019asseyait \u00e0 la table d\u2019un p\u00e9cheur, Matthieu ne leur a rien\nr\u00e9pondu, tandis qu\u2019il aurait pu leur rappeler qu\u2019eux-m\u00eames \u00e9taient\ninfiniment plus p\u00e9cheurs que lui; 4\u00ba enfin l\u2019\u00e9vangile de Matthieu\noccupe, dans l\u2019Eglise, une place privil\u00e9gi\u00e9e. Il y est, en effet, plus\nsouvent cit\u00e9 que les autres, de m\u00eame que les Psaumes de David sont cit\u00e9s\nplus souvent que le reste de l\u2019Ancien Testament.\nLe manuscrit de ce v\u00e9n\u00e9rable \u00e9vangile, \u00e9crit de la propre main de saint\nMatthieu, fut retrouv\u00e9 vers l\u2019an 500, avec les reliques de saint\nBarnab\u00e9. Celui-ci le portait toujours sur lui, et c\u2019est en le mettant\nsur la t\u00eate des malades qu\u2019il les gu\u00e9rissait.\nCXXXIX\nSAINT MAURICE ET SES COMPAGNONS, MARTYRS\n(22 septembre)\nI. Maurice \u00e9tait le chef de la sainte l\u00e9gion connue sous le nom de\nL\u00e9gion Th\u00e9baine. Cette l\u00e9gion s\u2019appelait ainsi \u00e0 cause de la ville de\nTh\u00e8bes, patrie des l\u00e9gionnaires, ville d\u2019une fertilit\u00e9 et d\u2019une richesse\nmerveilleuses, et dont les habitants avaient la r\u00e9putation d\u2019\u00eatre grands\nde taille, courageux au combat, pleins de sagesse et d\u2019intelligence.\nTh\u00e8bes avait cent portes et \u00e9tait plac\u00e9e sur le fleuve Nil, qui\ns\u2019appelle, aussi Gyon, et qui a sa source dans le Paradis Terrestre.\nC\u2019est \u00e0 Th\u00e8bes que pr\u00eacha saint Jacques, fr\u00e8re du Seigneur; et, gr\u00e2ce \u00e0\nlui, les Th\u00e9bains se trouv\u00e8rent parfaitement instruits dans la foi du\nChrist.\nOr, en l\u2019an 277, Diocl\u00e9tien et Maximien, voulant extirper du monde\nentier la foi du Christ, envoy\u00e8rent dans toutes les provinces o\u00f9 se\ntrouvaient des chr\u00e9tiens une lettre d\u00e9clarant que, si les chr\u00e9tiens ne\nse convertissaient pas au culte des idoles, des supplices terribles leur\nseraient r\u00e9serv\u00e9s. Mais les chr\u00e9tiens, ayant re\u00e7u cette lettre,\ncong\u00e9di\u00e8rent les messagers sans leur donner de r\u00e9ponse. Alors les deux\nempereurs, furieux, mand\u00e8rent aux diverses provinces que tous les hommes\nvalides eussent \u00e0 \u00eatre arm\u00e9s et \u00e0 venir \u00e0 Rome pour faire partie des\ntroupes imp\u00e9riales. Sur quoi les Th\u00e9bains, se conformant au principe\nchr\u00e9tien de rendre \u00e0 C\u00e9sar ce qui appartenait \u00e0 C\u00e9sar, organis\u00e8rent une\nl\u00e9gion de six mille six cent soixante-six soldats, qu\u2019ils envoy\u00e8rent aux\nempereurs afin qu\u2019ils assistassent ceux-ci dans les guerres, \u00e0 la\ncondition de ne point prendre les armes contre les chr\u00e9tiens. Cette\nl\u00e9gion avait pour chef saint Maurice: ses porte-\u00e9tendards s\u2019appelaient\nCandide, Innocent, Exup\u00e8re, Victor et Constantin.\nDiocl\u00e9tien confia la L\u00e9gion Th\u00e9baine \u00e0 son associ\u00e9 Maximien, qui se\nrendait en Gaule avec une grande arm\u00e9e. Et, avant le d\u00e9part, le saint\npape Marcelin exhorta les l\u00e9gionnaires \u00e0 se laisser tuer plut\u00f4t que de\nmanquer \u00e0 leur foi chr\u00e9tienne. Or, lorsque l\u2019arm\u00e9e eut travers\u00e9 les\nAlpes, l\u2019empereur ordonna que toutes les l\u00e9gions sacrifiassent aux\nidoles et jurassent, d\u2019une seule voix, de combattre les rebelles, et\ntout particuli\u00e8rement les chr\u00e9tiens. Ce qu\u2019entendant, la L\u00e9gion Th\u00e9baine\nse s\u00e9para du reste de l\u2019arm\u00e9e et alla s\u2019\u00e9tablir \u00e0 huit milles plus loin,\ndans un endroit magnifique appel\u00e9 Agaune, sur la rive du Rh\u00f4ne[13]. Et\nquand Maximien lui enjoignit de venir sacrifier aux dieux avec le reste\nde l\u2019arm\u00e9e, les l\u00e9gionnaires r\u00e9pondirent qu\u2019ils ne pouvaient le faire,\n\u00e9tant eux-m\u00eames chr\u00e9tiens. L\u2019empereur, furieux, s\u2019\u00e9cria: \u00abQue ces\ntra\u00eetres sachent donc que ce n\u2019est pas seulement moi-m\u00eame, mais encore\nmes dieux que je vais venger d\u2019eux!\u00bb Et il envoya vers la L\u00e9gion\nTh\u00e9baine une autre de ses l\u00e9gions, avec ordre de d\u00e9capiter un sur dix\ndes l\u00e9gionnaires rebelles. Et les saints, tendant avec joie leurs cous,\nse disputaient l\u2019un \u00e0 l\u2019autre l\u2019honneur de recevoir la mort.\n [13] Aujourd\u2019hui Saint-Maurice-en-Valais.\nAlors saint Maurice, se levant parmi eux, leur parla ainsi: \u00abJe vous\nf\u00e9licite d\u2019\u00eatre tous pr\u00eats \u00e0 mourir pour le Christ! J\u2019ai support\u00e9 que\nvos compagnons fussent mis \u00e0 mort parce que j\u2019ai voulu suivre le\npr\u00e9cepte du Seigneur, qui a dit \u00e0 Pierre de remettre son \u00e9p\u00e9e au\nfourreau. Mais maintenant que nous voici entour\u00e9s des cadavres de nos\ncompagnons, et que nos manteaux sont rougis de leur sang, suivons-les \u00e0\nnotre tour dans le martyre!\u00bb Puis, avec l\u2019assentiment de toute la\nl\u00e9gion, il fit porter \u00e0 l\u2019empereur la r\u00e9ponse suivante: \u00abEmpereur, nous\nsommes tes soldats, et nous avons pris les armes pour d\u00e9fendre la chose\npublique. Nous ne sommes ni des tra\u00eetres ni des l\u00e2ches, mais rien ne\nnous fera abandonner la foi du Christ!\u00bb L\u2019empereur, en entendant cette\nr\u00e9ponse, ordonna que de nouveau la L\u00e9gion f\u00fbt d\u00e9cim\u00e9e. Et ainsi fut\nfait. Alors le porte-\u00e9tendard Exup\u00e8re, se dressant au milieu de ses\ncompagnons avec son \u00e9tendard, dit: \u00abNotre glorieux chef Maurice nous a\nparl\u00e9 de la gloire de nos compagnons d\u00e9funts. Exup\u00e8re, lui non plus, n\u2019a\npoint pris les armes pour r\u00e9sister \u00e0 de telles attaques. Que nos bras\ndroits jettent donc \u00e0 terre ces armes terrestres, et ne soient plus\narm\u00e9s que de vertu chr\u00e9tienne!\u00bb Apr\u00e8s quoi, avec l\u2019assentiment de tous,\nil fit r\u00e9pondre \u00e0 l\u2019empereur: \u00abEmpereur, nous sommes tes soldats, mais\nnous sommes les esclaves du Christ. A toi nous devons le service\nmilitaire, \u00e0 lui l\u2019innocence de nos c\u0153urs. De toi nous recevons le prix\nde notre travail, de lui nous avons re\u00e7u le principe de notre vie. Et\nnous sommes pr\u00eats \u00e0 subir tous les tourments plut\u00f4t que de renier sa\nfoi!\u00bb Alors l\u2019empereur ordonna \u00e0 son arm\u00e9e de cerner toute la L\u00e9gion, de\nfa\u00e7on que pas un seul des l\u00e9gionnaires n\u2019\u00e9chapp\u00e2t \u00e0 la mort. Ces soldats\ndu Christ furent donc entour\u00e9s par les soldats du diable, \u00e9gorg\u00e9s,\nfoul\u00e9s aux pieds des chevaux, et consacr\u00e9s au Christ par un glorieux\nmartyre. Cela eut lieu en l\u2019an du Seigneur 280.\nCependant, Dieu permit que plusieurs des l\u00e9gionnaires s\u2019\u00e9chappassent,\nqui, venant dans d\u2019autres r\u00e9gions, y pr\u00each\u00e8rent le nom du Christ. De ce\nnombre furent Solutor, Adventor et Octave, qui se rendirent \u00e0 Turin,\nAlexandre, qui vint \u00e0 Bergame, Segond, qui \u00e9vang\u00e9lisa Vintimille, et\naussi les bienheureux Constant, Victor Ours, et d\u2019autres encore.\nOr, pendant que les bourreaux de la L\u00e9gion, s\u2019\u00e9tant partag\u00e9 le butin,\nmangeaient ensemble, un vieillard nomm\u00e9 Victor passa par hasard pr\u00e8s\nd\u2019eux. Invit\u00e9 \u00e0 s\u2019asseoir avec eux, il leur demanda comment ils avaient\nle courage de manger parmi tant de cadavres. Et lorsqu\u2019il apprit que\nc\u2019\u00e9tait pour la foi du Christ que leurs victimes \u00e9taient mortes, il\nsoupira profond\u00e9ment, d\u00e9clarant qu\u2019il aurait \u00e9t\u00e9 bien heureux de p\u00e9rir\navec elles: sur quoi, les bourreaux, d\u00e9couvrant qu\u2019il \u00e9tait chr\u00e9tien,\nl\u2019\u00e9gorg\u00e8rent aussit\u00f4t.\nPlus tard Maximien et Diocl\u00e9tien se d\u00e9pouill\u00e8rent tous deux, le m\u00eame\njour, de la pourpre imp\u00e9riale, le premier \u00e0 Milan, le second \u00e0\nNicom\u00e9die, laissant l\u2019empire \u00e0 trois jeunes gens, Constance, Maxime et\nGal\u00e8re. Mais comme Maximien voulait reprendre le pouvoir, il fut\npoursuivi par son gendre Constance, et finit ses jours par la pendaison.\nLe corps de saint Innocent, un des l\u00e9gionnaires, \u00e9tait tomb\u00e9 dans les\neaux du Rh\u00f4ne; il en fut retir\u00e9 et enseveli avec les autres corps, dans\nl\u2019\u00e9glise du lieu, par les \u00e9v\u00eaques Domitien, de Gen\u00e8ve, Gratus, d\u2019Aoste,\net Protais. A la construction de cette \u00e9glise \u00e9tait employ\u00e9 un artisan\npa\u00efen. Le dimanche, il travaillait seul, pendant que ses compagnons\nc\u00e9l\u00e9braient le jour du Seigneur. Or la L\u00e9gion sacr\u00e9e lui apparut, et lui\nreprocha de profaner, comme il faisait, le jour sacr\u00e9, en s\u2019occupant\nd\u2019un travail manuel au lieu de s\u2019occuper des choses divines. Et aussit\u00f4t\ncet artisan, convaincu, courut \u00e0 l\u2019\u00e9glise et demanda \u00e0 devenir chr\u00e9tien.\nII. Certaine femme avait confi\u00e9 son fils \u00e0 l\u2019abb\u00e9 du monast\u00e8re de\nSaint-Maurice en Valais, o\u00f9 reposent les corps des saints martyrs. Le\njeune homme mourut au milieu de ses \u00e9tudes; et sa m\u00e8re, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e, le\npleurait jour et nuit. Alors saint Maurice lui apparut et lui dit: \u00abNe\npleure point ton fils comme s\u2019il \u00e9tait mort, mais sache qu\u2019il habite\navec nous. Que si tu en d\u00e9sires une preuve, demain et tous les jours de\nta vie l\u00e8ve-toi \u00e0 temps pour assister aux matines: tu entendras la voix\nde ton fils parmi les voix des moines qui chantent les psaumes!\u00bb Et en\neffet, la m\u00e8re, tous les matins, entendit la voix de son fils m\u00eal\u00e9e \u00e0\ncelle des moines.\nIII. Le roi Gontran qui, ayant renonc\u00e9 aux pompes du monde, distribuait\nses tr\u00e9sors aux pauvres et aux \u00e9glises, envoya un pr\u00eatre \u00e0 Saint-Maurice\npour demander quelques reliques des saints l\u00e9gionnaires. Mais comme le\npr\u00eatre revenait avec les reliques, une grande temp\u00eate s\u2019\u00e9leva sur le lac\nde Lausanne, o\u00f9 le bateau qui le portait faillit p\u00e9rir; mais il pla\u00e7a\nsur les flots la ch\u00e2sse qui contenait les reliques, et aussit\u00f4t un grand\ncalme succ\u00e9da \u00e0 la temp\u00eate.\nIV. L\u2019an du Seigneur 963, des moines, qui venaient de Rome et avaient\nobtenu du pape Jean les corps du pape saint Urbain et du martyr saint\nTiburce, visit\u00e8rent en passant l\u2019\u00e9glise des saints martyrs. Ils\nobtinrent de l\u2019abb\u00e9 et des moines d\u2019emporter aussi le corps de saint\nMaurice et la t\u00eate de saint Innocent, pour les placer \u00e0 Auxerre, dans\nl\u2019\u00e9glise que saint Germain avait d\u00e9di\u00e9e \u00e0 ces deux saints.\nV. Pierre Damien raconte qu\u2019il y avait en Bourgogne un clerc orgueilleux\net ambitieux qui s\u2019\u00e9tait empar\u00e9 par force d\u2019une \u00e9glise de saint Maurice.\nEt comme, un jour, \u00e0 la fin de la messe, il entendait chanter que\n\u00abquiconque s\u2019\u00e9l\u00e8ve sera abaiss\u00e9\u00bb, le mis\u00e9rable s\u2019\u00e9cria: \u00abC\u2019est faux,\ncar, si je m\u2019\u00e9tais humili\u00e9 devant mes ennemis, je ne poss\u00e9derais pas\naujourd\u2019hui une aussi riche \u00e9glise!\u00bb Mais aussit\u00f4t la foudre, pareille \u00e0\nun glaive de feu, p\u00e9n\u00e9tra dans la bouche qui venait de prononcer ce\nblasph\u00e8me; et le mauvais clerc fut tu\u00e9 sur-le-champ.\nCXL\nSAINTE JUSTINE, VIERGE ET MARTYRE\n(26 septembre)\nJustine \u00e9tait fille d\u2019un pr\u00eatre pa\u00efen d\u2019Antioche. Tous les jours, assise\n\u00e0 sa fen\u00eatre, elle entendait lire l\u2019Evangile par le diacre Proclus: et\nc\u2019est ainsi qu\u2019elle se convertit \u00e0 la foi chr\u00e9tienne. Sa m\u00e8re fit part\nde la chose \u00e0 son p\u00e8re, un soir, dans le lit o\u00f9 ils dormaient ensemble.\nEt quand ils se furent endormis, le Christ leur apparut, entour\u00e9\nd\u2019anges, et leur dit: \u00abVenez \u00e0 moi, je vous donnerai le royaume des\ncieux!\u00bb R\u00e9veill\u00e9s, ils se firent baptiser avec leur fille.\nSainte Justine eut beaucoup \u00e0 souffrir d\u2019un mage nomm\u00e9 Cyprien, qu\u2019elle\nfinit par convertir \u00e0 la foi du Christ. Ce Cyprien, qui avait \u00e9t\u00e9\nconsacr\u00e9 au diable d\u00e8s l\u2019\u00e2ge de sept ans, pratiquait les arts magiques,\net savait, par exemple, changer les femmes en chevaux. S\u2019\u00e9tant pris\nd\u2019amour pour Justine, c\u2019est \u00e0 la magie qu\u2019il eut recours pour parvenir \u00e0\nla poss\u00e9der, comme aussi pour la livrer \u00e0 un certain Acladius, qui \u00e9tait\n\u00e9galement amoureux de la jeune fille. Il appelle donc le diable, qui,\nlui apparaissant, lui demande ce qu\u2019il lui veut. Et Cyprien: \u00abJ\u2019aime une\njeune fille de la secte des Galil\u00e9ens. Peux-tu faire en sorte que je la\nposs\u00e8de?\u00bb Et le diable: \u00abComment ne le pourrais-je pas, moi qui ai pu\nchasser l\u2019homme du paradis, forcer Ca\u00efn \u00e0 tuer son fr\u00e8re, amener les\nJuifs \u00e0 tuer le Christ, et troubler et corrompre l\u2019humanit\u00e9 enti\u00e8re?\nPrends cet onguent et enduis-en la porte de sa maison; et moi, aussit\u00f4t,\nj\u2019allumerai dans son c\u0153ur un grand amour pour toi.\u00bb La nuit suivante, le\nd\u00e9mon s\u2019approche de Justine et s\u2019efforce d\u2019exciter son c\u0153ur \u00e0 cet amour\ncriminel. Mais elle, sentant le danger, se recommande pieusement au\nSeigneur et munit tout son corps du signe de la croix. A ce signe, le\ndiable, \u00e9pouvant\u00e9, s\u2019enfuit et revient pr\u00e8s de Cyprien, \u00e0 qui il avoue\nson \u00e9chec. Cyprien le renvoie, et appelle un diable plus puissant. Et\ncelui-ci: \u00abJe sais ton d\u00e9sir, et j\u2019ai vu l\u2019\u00e9chec de mon compagnon. Mais\nmoi, je ferai mieux que lui, et je r\u00e9ussirai o\u00f9 il a \u00e9chou\u00e9!\u00bb Apr\u00e8s quoi\nil se rend chez Justine et s\u2019efforce d\u2019exciter son \u00e2me \u00e0 l\u2019amour de\nCyprien. Mais la sainte, de nouveau, repousse la tentation au moyen d\u2019un\nsigne de croix. Alors Cyprien invoque le prince des diables et lui dit:\n\u00abVotre pouvoir est-il donc si petit qu\u2019une jeune fille suffise \u00e0 le\nvaincre?\u00bb Le diable, piqu\u00e9 au jeu, prend la forme d\u2019une jeune fille, et,\ns\u2019approchant de Justine, lui dit: \u00abJe viens pr\u00e8s de toi pour vivre avec\ntoi dans la chastet\u00e9; mais dis-moi d\u2019abord, je te prie, quelle sera la\nr\u00e9compense de nos efforts!\u00bb Et Justine: \u00abLa r\u00e9compense sera grande, et\nla peine petite!\u00bb Alors le d\u00e9mon: \u00abMais Dieu n\u2019a-t-il pas dit aux hommes\nde cro\u00eetre et de multiplier et de remplir la terre? Je crains, ch\u00e8re\namie, qu\u2019en pers\u00e9v\u00e9rant dans la chastet\u00e9 nous ne d\u00e9sob\u00e9issions \u00e0 Dieu au\nlieu de le satisfaire!\u00bb Et Justine, sous l\u2019action du d\u00e9mon, commen\u00e7a \u00e0\ndouter, et son c\u0153ur s\u2019enflamma de concupiscence, au point que d\u00e9j\u00e0 elle\nvoulait se lever pour aller se chercher un amant. Mais bient\u00f4t, revenant\n\u00e0 elle, et comprenant \u00e0 qui elle avait affaire, elle se munit du signe\nde la croix, et le diable s\u2019\u00e9vanouit sous son souffle, comme une cire\nqui fond. Il prit alors la forme d\u2019un beau jeune homme, s\u2019approcha\nd\u2019elle dans le lit o\u00f9 elle \u00e9tait couch\u00e9e, et voulut se jeter sur elle\npour l\u2019embrasser. Mais Justine, devinant le malin esprit, le repoussa\nd\u2019un signe de croix. Alors le diable, avec la permission de Dieu,\nl\u2019accabla de fi\u00e8vre, et r\u00e9pandit la peste dans la ville d\u2019Antioche, et\nfit proclamer, par des poss\u00e9d\u00e9s, que toute la ville p\u00e9rirait si Justine\nne consentait pas \u00e0 prendre un mari. Aussit\u00f4t la foule se pressa devant\nla maison des parents de Justine, demandant que la jeune fille f\u00fbt\nlivr\u00e9e \u00e0 un mari pour d\u00e9tourner le fl\u00e9au. Mais Justine, apr\u00e8s avoir\nr\u00e9sist\u00e9 pendant sept ans, pria pour eux et la peste disparut.\nVoyant enfin l\u2019inutilit\u00e9 de toutes ses ruses, le diable rev\u00eatit la forme\nde Justine, pour salir du moins la r\u00e9putation de la sainte. Sous cette\nforme, il vint trouver Cyprien et se jeta dans ses bras. Et Cyprien,\nravi de joie, s\u2019\u00e9cria: \u00abMerci d\u2019\u00eatre venue, Justine, la plus belle des\nfemmes!\u00bb Mais le diable ne put supporter d\u2019entendre nommer Justine, et\naussit\u00f4t s\u2019\u00e9vanouit en fum\u00e9e. Et Cyprien, se voyant d\u00e9\u00e7u, fut rempli de\ntristesse. Longtemps il veilla devant la porte de la jeune fille, se\ntransformant tant\u00f4t en femme, tant\u00f4t en oiseau; mais, devant la jeune\nfille, il n\u2019\u00e9tait plus ni femme, ni oiseau, et reprenait aussit\u00f4t sa\nforme naturelle. Et de m\u00eame Acladius, qui s\u2019\u00e9tait transform\u00e9 par magie\nen moineau, et voletait devant la fen\u00eatre de Justine, reprit sa forme\npremi\u00e8re d\u00e8s que la jeune fille l\u2019aper\u00e7ut. Et son \u00e9pouvante fut extr\u00eame,\ncar il craignait de se tuer en tombant. Mais Justine eut piti\u00e9 de lui,\net le fit descendre par une \u00e9chelle, en l\u2019avertissant de renoncer \u00e0 ses\nfolies, s\u2019il ne voulait pas s\u2019exposer \u00e0 \u00eatre condamn\u00e9 comme magicien.\nAlors Cyprien invoqua une derni\u00e8re fois le diable et lui dit: \u00abDis-moi,\nje t\u2019en prie, en quoi r\u00e9side le pouvoir de cette jeune fille?\u00bb Et le\ndiable: \u00abJe te le dirai, si tu consens \u00e0 me jurer solennellement que\njamais tu ne t\u2019\u00e9loigneras de moi.\u00bb Et Cyprien: \u00abJe te le jure!\u00bb Alors le\ndiable: \u00abC\u2019est en faisant le signe de la croix que cette jeune fille\nd\u00e9truit tout mon pouvoir.\u00bb Et Cyprien: \u00abDonc le crucifi\u00e9 a plus de\npouvoir que toi?\u00bb Et le diable: \u00abIl a plus de pouvoir que tout le reste\ndu monde, et c\u2019est lui qui livre au feu \u00e9ternel tous ceux que nous\nparvenons \u00e0 s\u00e9duire.\u00bb Alors Cyprien: \u00abAinsi, je dois, moi aussi, devenir\nl\u2019ami du crucifi\u00e9, pour \u00e9viter ce ch\u00e2timent?\u00bb Et le diable: \u00abTu m\u2019as\njur\u00e9 solennellement de ne jamais t\u2019\u00e9loigner de moi!\u00bb Mais Cyprien: \u00abJe\nte m\u00e9prise avec tout ton vain pouvoir, et je renonce \u00e0 toi et \u00e0 tous tes\ndiables, et je me munis du signe de la croix!\u00bb Et aussit\u00f4t le diable\ns\u2019enfuit, tout confus. Alors Cyprien se rendit aupr\u00e8s de l\u2019\u00e9v\u00eaque. Et\ncelui-ci, croyant qu\u2019il venait pour tromper les chr\u00e9tiens, lui dit: \u00abQue\nceux-l\u00e0 te suffisent, Cyprien, qui sont hors de l\u2019Eglise: contre\nl\u2019Eglise, tu n\u2019as pas de pouvoir!\u00bb Mais Cyprien lui raconta ce qui lui\n\u00e9tait arriv\u00e9 et lui demanda \u00e0 \u00eatre baptis\u00e9. Et, depuis lors, il se\ndistingua si \u00e9minemment, tant par la science que par la vertu, que, \u00e0 la\nmort de l\u2019\u00e9v\u00eaque, il fut lui-m\u00eame ordonn\u00e9 \u00e9v\u00eaque. Il fit entrer Justine\ndans un monast\u00e8re, o\u00f9 elle devint abbesse d\u2019une foule de saintes jeunes\nfilles. Et souvent saint Cyprien \u00e9crivait des lettres aux martyrs pour\nles encourager dans leur lutte. Or le seigneur de la r\u00e9gion fit\ncompara\u00eetre devant lui Cyprien et Justine, et leur enjoignit de\nsacrifier aux idoles. Et comme ils persistaient dans la foi du Christ,\nil les fit plonger dans une chaudi\u00e8re pleine de cire, de poix, et de\ngraisse. Mais ils n\u2019en \u00e9prouv\u00e8rent aucun mal, et s\u2019y rafra\u00eechirent comme\ndans un bain d\u2019eau froide. Alors le pr\u00eatre des idoles dit \u00e0 ce pr\u00e9fet:\n\u00abLaisse-moi me mettre devant la chaudi\u00e8re, et aussit\u00f4t je vaincrai tout\nle pouvoir de ces deux imposteurs!\u00bb Et quand il fut devant la chaudi\u00e8re,\nil s\u2019\u00e9cria: \u00abGrand est le Dieu Hercule, et grand Jupiter, le p\u00e8re des\ndieux!\u00bb Et aussit\u00f4t jaillit une flamme qui le consuma. Alors Cyprien et\nJustine furent extraits de la chaudi\u00e8re et d\u00e9capit\u00e9s. Leurs corps\nrest\u00e8rent pendant sept jours livr\u00e9s aux chiens; ils furent ensuite\ntransport\u00e9s \u00e0 Rome et reposent aujourd\u2019hui, dit-on, \u00e0 Plaisance. Leur\nmartyre eut lieu sous Diocl\u00e9tien, le 6 octobre 280.\nCXLI\nSAINTS COME ET DAMIEN, MARTYRS\n(27 septembre)\nI. Come et Damien \u00e9taient fr\u00e8res. Ils naquirent dans la ville d\u2019Eg\u00e9e,\nd\u2019une pieuse m\u00e8re, nomm\u00e9e Th\u00e9odote. Ayant appris la m\u00e9decine, ils\nre\u00e7urent de l\u2019Esprit-Saint une telle faveur qu\u2019ils purent gu\u00e9rir toutes\nles maladies, non seulement des hommes, mais m\u00eame des chevaux; et jamais\nils n\u2019admettaient qu\u2019on les pay\u00e2t de leurs soins. Or une dame, appel\u00e9e\nPalladie, qui avait d\u00e9j\u00e0 d\u00e9pens\u00e9 en frais de m\u00e9decins tout ce qu\u2019elle\navait, vint trouver les deux fr\u00e8res, qui la gu\u00e9rirent aussit\u00f4t. Elle\noffrit alors \u00e0 Damien un petit pr\u00e9sent, que, d\u2019abord, il refusa\nd\u2019accepter, mais que, cependant, il accepta enfin, non point par\ncupidit\u00e9, mais par \u00e9gard pour le z\u00e8le et la bonne volont\u00e9 de la pauvre\nfemme qui le lui offrait. Et Come, d\u00e8s qu\u2019il le sut, ordonna qu\u2019apr\u00e8s sa\nmort ses restes fussent ensevelis \u00e0 part de ceux de son fr\u00e8re. Mais, la\nnuit suivante, le Seigneur lui apparut, et excusa Damien de\nl\u2019acceptation du pr\u00e9sent.\nEntendant leur renomm\u00e9e, le proconsul Lysias les fit venir, et leur\ndemanda quels \u00e9taient leurs noms, leur patrie, leur fortune. A quoi les\nsaints r\u00e9pondirent: \u00abNos noms sont Come et Damien, et nous avons encore\ntrois autres fr\u00e8res qui s\u2019appellent Antime, L\u00e9once et Eupr\u00e9pie; notre\npatrie est l\u2019Arabie; et quant \u00e0 la fortune, c\u2019est chose que les\nchr\u00e9tiens ne connaissent pas.\u00bb Alors le proconsul fit aussi venir leurs\nfr\u00e8res; puis, sur leur refus de sacrifier aux idoles, il leur fit percer\nde clous les pieds et les mains. Comme ils se raillaient de ces\nsupplices, il les fit ensuite charger de cha\u00eenes et pr\u00e9cipiter dans la\nmer; mais aussit\u00f4t un ange les retira des flots, et ils se retrouv\u00e8rent\ndevant le proconsul. Et celui-ci: \u00abVous \u00eates de puissants sorciers, pour\nfaire de telles choses! Enseignez-moi donc vos sortil\u00e8ges, au nom de mes\ndieux!\u00bb Aussit\u00f4t deux d\u00e9mons s\u2019empar\u00e8rent de lui et le frapp\u00e8rent\ndurement au visage. Et lui, se tournant vers les deux saints: \u00abPar\npiti\u00e9, mes amis, priez pour moi votre Dieu!\u00bb Ils pri\u00e8rent, et les d\u00e9mons\ns\u2019enfuirent. Alors Lysias: \u00abVoyez-vous combien mes dieux sont irrit\u00e9s de\nce que j\u2019aie eu la pens\u00e9e de les abandonner! Aussi, d\u00e9sormais, ne vous\npermettrai-je plus de les blasph\u00e9mer!\u00bb Alors il les fit jeter dans un\ngrand feu; mais la flamme ne leur fit aucun mal, et br\u00fbla seulement un\ngrand nombre de pa\u00efens, qui se tenaient \u00e0 l\u2019entour.\nAttach\u00e9s sur un chevalet, un ange les pr\u00e9serve de toute souffrance, et\nla fatigue des bourreaux met un terme au supplice. Alors le proconsul\nfait conduire en prison les trois fr\u00e8res de Come et de Damien; et quant\n\u00e0 ceux-ci, il les fait mettre en croix et lapider. Mais les pierres\nqu\u2019on leur lance rejaillissent sur ceux qui les lancent, et en blessent\nun grand nombre. Alors le proconsul, furieux, fait ramener les trois\nautres fr\u00e8res, et ordonne que les deux saints, sur leur croix, soient\nperc\u00e9s de fl\u00e8ches; mais les fl\u00e8ches, au lieu d\u2019entrer dans leurs chairs,\nse retournent contre ceux qui les lancent. Enfin le proconsul, confus de\nsa d\u00e9faite, les fait d\u00e9capiter tous les cinq, au lever du jour.\nLes chr\u00e9tiens, se rappelant la parole de Come, voulurent alors enterrer\nDamien \u00e0 part de ses fr\u00e8res; mais soudain on entendit un chameau qui,\nprenant voix humaine, ordonna d\u2019ensevelir ensemble les cinq martyrs.\nCela se passait sous le r\u00e8gne de Diocl\u00e9tien.\nII. Un paysan s\u2019\u00e9tait endormi dans son champ, apr\u00e8s la moisson,\nlorsqu\u2019un serpent lui entra dans la bouche. R\u00e9veill\u00e9, le paysan revint\nchez lui sans rien sentir; mais, vers le soir, il fut pris de\nsouffrances atroces. Il invoqua alors saints Come et Damien, se rendit\ndans leur \u00e9glise; et, d\u00e8s qu\u2019il y fut arriv\u00e9, voici que le serpent lui\nsortit de la bouche comme il y \u00e9tait entr\u00e9.\nIII. Un homme qui partait pour un long voyage recommanda sa femme aux\nsaints Come et Damien; apr\u00e8s quoi il lui indiqua un signe qui, lorsqu\u2019on\nle ferait devant elle, signifierait qu\u2019on vient de sa part et pour\nl\u2019appeler. Or le diable, l\u2019ayant vu indiquer ce signe, va trouver la\nfemme, et lui dit qu\u2019il vient la chercher de la part de son mari. Et\nelle, h\u00e9sitant: \u00abJe reconnais bien le signe; mais je ne te croirai que\nsi tu me le jures, au nom des saints martyrs Come et Damien, \u00e0 qui mon\nmari m\u2019a recommand\u00e9e!\u00bb Le diable le lui jura, et elle le suivit. Mais\nbient\u00f4t, quand ils arriv\u00e8rent dans un lieu \u00e9cart\u00e9, elle s\u2019aper\u00e7ut que\nson guide voulait la jeter \u00e0 bas de son cheval, pour la tuer. Alors elle\ns\u2019\u00e9cria: \u00abSaints Come et Damien, secourez-moi, car c\u2019est en me fiant \u00e0\nvous que j\u2019ai suivi cet homme!\u00bb Et aussit\u00f4t les deux saints accoururent\n\u00e0 son secours, avec une troupe toute v\u00eatue de blanc, et forc\u00e8rent le\ndiable \u00e0 s\u2019enfuir honteusement.\nIV. Le pape F\u00e9lix fit construire \u00e0 Rome une grande \u00e9glise en l\u2019honneur\ndes deux saints. Cette \u00e9glise avait pour gardien un homme qui avait une\njambe toute rong\u00e9e par un cancer. Et voici que, dans son sommeil, le\npieux gardien vit saints Come et Damien lui appara\u00eetre avec des\nonguents. Et l\u2019un des deux saints dit \u00e0 l\u2019autre: \u00abO\u00f9 trouverons nous des\nchairs fra\u00eeches, pour mettre \u00e0 la place des chairs pourries que nous\nallons couper?\u00bb L\u2019autre saint r\u00e9pondit: \u00abOn a enterr\u00e9 aujourd\u2019hui un\nMaure dans le cimeti\u00e8re de Saint-Pierre aux Liens; prenons une de ses\njambes et donnons-la \u00e0 notre serviteur!\u00bb Et les deux saints firent\nainsi; apr\u00e8s quoi ils donn\u00e8rent au gardien la jambe du Maure, et\nrapport\u00e8rent dans le tombeau de celui-ci la jambe du malade. Et\ncelui-ci, \u00e0 son r\u00e9veil, se voyant gu\u00e9ri, raconta \u00e0 tous sa vision, et le\nmiracle qui l\u2019avait suivie. On courut alors au tombeau du Maure: on\nd\u00e9couvrit qu\u2019une de ses jambes manquait, et que, \u00e0 sa place, se trouvait\nla jambe malade du gardien.\nCXLII\nSAINT MICHEL, ARCHANGE\n(29 septembre)\nLe nom de Michel signifie \u00abpareil \u00e0 un dieu\u00bb. Saint Gr\u00e9goire dit que,\nchaque fois que Dieu veut faire un grand acte de r\u00e9sistance, c\u2019est\nl\u2019archange saint Michel qu\u2019il charge de le repr\u00e9senter. C\u2019est lui, en\neffet, comme dit Daniel, qui, au temps de l\u2019Ant\u00e9christ, se l\u00e8vera pour\nd\u00e9fendre les \u00e9lus; c\u2019est lui qui a lutt\u00e9 contre Satan et ses mauvais\nanges, et qui les a chass\u00e9s du ciel; c\u2019est lui qui a arrach\u00e9 au diable\nle corps de Mo\u00efse, que le diable voulait d\u00e9truire pour se faire lui-m\u00eame\nadorer des Juifs; c\u2019est lui qui recueille les \u00e2mes des saints et les\nconduit au paradis; c\u2019est lui qui fut jadis prince de la synagogue, et\ndont Dieu fit ensuite le prince de son Eglise; c\u2019est lui qui apporta aux\nEgyptiens les sept plaies, qui partagea les eaux de la mer Rouge, qui\nconduisit le peuple dans le d\u00e9sert jusqu\u2019\u00e0 la terre promise; c\u2019est lui\nqui, dans l\u2019arm\u00e9e des anges, porte la banni\u00e8re du Christ; c\u2019est lui qui\ntuera l\u2019Ant\u00e9christ au mont des Oliviers; c\u2019est \u00e0 sa voix que les morts\nressusciteront; et c\u2019est lui qui, au jour du jugement dernier,\npr\u00e9sentera la croix, les clefs, la lance et la couronne d\u2019\u00e9pines.\nLa f\u00eate de saint Michel a pour objet de c\u00e9l\u00e9brer son apparition, sa\nvictoire, sa d\u00e9dication et son souvenir.\n1\u00ba Son apparition s\u2019est manifest\u00e9e en plusieurs circonstances. Il est\napparu, d\u2019abord, sur le mont Gargan, qui se trouve en Pouille, aupr\u00e8s de\nla ville de Manfr\u00e9donie. L\u2019an du Seigneur 390, vivait dans cette ville\nun homme, nomm\u00e9 Garganus, qui poss\u00e9dait un \u00e9norme troupeau de b\u0153ufs et\nde moutons. Et comme ses troupeaux paissaient au flanc de la montagne,\nun taureau, laissant ses compagnons, grimpa jusqu\u2019au sommet de la\nmontagne. Garganus se mit \u00e0 sa recherche, avec une foule de ses\nserviteurs, et le trouva enfin, au sommet de la montagne, pr\u00e8s de\nl\u2019entr\u00e9e d\u2019une caverne. Furieux, il lan\u00e7a contre lui une fl\u00e8che\nempoisonn\u00e9e; mais celle-ci, comme repouss\u00e9e par le vent, se retourna\nvers lui et le frappa lui-m\u00eame. Ce qu\u2019apprenant, la ville enti\u00e8re fut\n\u00e9mue et vint demander \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque l\u2019explication du prodige. L\u2019\u00e9v\u00eaque\nordonna un je\u00fbne de trois jours, au bout duquel saint Michel apparut, et\nlui dit: \u00abSache que c\u2019est par ma volont\u00e9 que cet homme a \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 de\nsa fl\u00e8che! Je suis l\u2019archange Michel. J\u2019ai r\u00e9solu de me garder ce lieu;\net j\u2019ai eu recours \u00e0 ce signe pour faire conna\u00eetre que j\u2019en \u00e9tais\nl\u2019habitant et le gardien.\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019\u00e9v\u00eaque, avec toute la ville, se\nrendit en procession sur la montagne. Et, personne n\u2019osant entrer dans\nla caverne, on pria l\u2019archange devant le seuil.\nLa seconde apparition eut lieu vers l\u2019an du Seigneur 710, dans un lieu\nappel\u00e9 la Tombelaine, qui est au bord de la mer, \u00e0 une distance de six\nmilles de la ville d\u2019Avranches. Saint Michel apparut \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque de cette\nville et lui ordonna de lui \u00e9lever une \u00e9glise en cet endroit. Et comme\nl\u2019\u00e9v\u00eaque doutait de l\u2019endroit exact ou devait \u00eatre construite l\u2019\u00e9glise,\nl\u2019archange lui dit qu\u2019elle devait s\u2019\u00e9lever \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 l\u2019on\ntrouverait un taureau cach\u00e9 par des voleurs. Or il y avait, dans cet\nendroit, deux roches qu\u2019aucune force humaine ne pouvait soulever. Saint\nMichel apparut \u00e0 un habitant, lui ordonna de se rendre en ce lieu, et de\nsoulever les roches. Et l\u2019homme les souleva aussi ais\u00e9ment que si elles\nn\u2019avaient eu aucun poids. Ainsi fut construite cette \u00e9glise; et l\u2019on y\ntransporta, de l\u2019\u00e9glise du mont Gargan, une partie du manteau que\nl\u2019archange avait d\u00e9pos\u00e9 sur l\u2019autel, et une partie du marbre sur lequel\ns\u2019\u00e9taient pos\u00e9s ses pieds. Et, comme on manquait d\u2019eau en cet endroit,\nl\u2019archange dit de creuser un trou dans un rocher tr\u00e8s dur; et\naujourd\u2019hui encore l\u2019eau en jaillit, avec une extr\u00eame abondance. Cette\napparition est c\u00e9l\u00e9br\u00e9e en ce lieu, le 17 novembre, par une f\u00eate\nsolennelle.\nLe m\u00eame lieu fut t\u00e9moin d\u2019un autre miracle m\u00e9morable. Il y a l\u00e0 une\nmontagne que la mer entoure de toutes parts; mais, le jour de la f\u00eate de\nsaint Michel, un passage s\u2019y ouvre pour le peuple. Or, un jour qu\u2019une\ngrande foule s\u2019y pressait vers l\u2019\u00e9glise, une femme s\u2019y trouvait m\u00eal\u00e9e\nqui \u00e9tait enceinte et pr\u00e8s d\u2019accoucher. Et voici que, tout \u00e0 coup, les\nvagues afflu\u00e8rent d\u2019un grand \u00e9lan, et toute la foule \u00e9pouvant\u00e9e s\u2019enfuit\nsur le rivage, \u00e0 l\u2019exception de la femme enceinte qui, ne pouvant fuir,\nfut prise par les flots. Mais l\u2019archange saint Michel la garda de tout\nmal. Au milieu des flots, elle enfanta un fils, qu\u2019elle allaita de son\nsein; puis la mer lui livra passage, et on la vit sortir avec son\nenfant.\nLa troisi\u00e8me apparition eut lieu \u00e0 Rome, au temps du pape Gr\u00e9goire. Ce\npape avait institu\u00e9 de grandes litanies, \u00e0 cause de la peste qui\ns\u00e9vissait \u00e0 Rome. Et un jour, comme il priait pour son peuple, il vit\nd\u2019abord, au-dessus d\u2019une forteresse appel\u00e9e autrefois le tombeau\nd\u2019Adrien, un grand ange qui essuyait un glaive tout sanglant et le\nremettait au fourreau. Saint Gr\u00e9goire reconnut l\u2019archange Michel, et,\ncomprenant que sa pri\u00e8re avait \u00e9t\u00e9 exauc\u00e9e, il fit construire en cet\nendroit une \u00e9glise en l\u2019honneur des saints Anges. Et, aujourd\u2019hui\nencore, la forteresse porte le nom de Fort Saint-Ange. Le souvenir de\ncette apparition se c\u00e9l\u00e8bre le 7 mai, en m\u00eame temps que celui de\nl\u2019apparition du mont Gargan.\nLa quatri\u00e8me apparition est celle que nous raconte l\u2019_Histoire\ntripartite_. Il y a, pr\u00e8s de Constantinople, un endroit o\u00f9 l\u2019on\nc\u00e9l\u00e9brait autrefois la d\u00e9esse Vesta, mais o\u00f9 s\u2019\u00e9l\u00e8ve aujourd\u2019hui une\n\u00e9glise en l\u2019honneur de saint Michel, et cet endroit porte le nom de\nMicha\u00eblium. Un homme, appel\u00e9 Aquilin, y souffrait de la fi\u00e8vre. Les\nm\u00e9decins lui donn\u00e8rent une potion; mais il la rendit, et ensuite il\nrendait tout ce qu\u2019il avalait. Se voyant sur le point de mourir, il se\nfit transporter au lieu que j\u2019ai dit; et l\u00e0 saint Michel, lui\napparaissant, lui dit de faire, avec du miel, du vin et du poivre un\nbreuvage o\u00f9 il tremperait tous ses aliments. Aquilin le fit, et fut\ngu\u00e9ri, bien que ce f\u00fbt chose contraire aux lois de la m\u00e9decine de faire\nprendre \u00e0 un fi\u00e9vreux des boissons chaudes.\n2\u00ba Non moins nombreuses sont les victoires de saint Michel. La premi\u00e8re\nest celle qu\u2019il fit remporter aux habitants de la susdite ville de\nManfr\u00e9donie. En effet, peu de temps apr\u00e8s l\u2019apparition du mont Gargan,\nles Napolitains, encore pa\u00efens, se mirent en guerre contre les habitants\nde Manfr\u00e9donie et ceux d\u2019une ville voisine, B\u00e9n\u00e9vent. Les Manfr\u00e9doniens,\nsur le conseil de leur \u00e9v\u00eaque, demand\u00e8rent un armistice de trois jours,\npendant lesquels ils je\u00fbn\u00e8rent et invoqu\u00e8rent l\u2019assistance de leur\npatron saint Michel. La troisi\u00e8me nuit, saint Michel apparut \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque,\nlui dit que ses pri\u00e8res \u00e9taient exauc\u00e9es, promit la victoire \u00e0 ses\nconcitoyens, et leur conseilla d\u2019attaquer l\u2019ennemi \u00e0 quatre heures du\nmatin. Et \u00e0 peine l\u2019attaque \u00e9tait-elle commenc\u00e9e que le mont Gargan\nmugit terriblement, les \u00e9clairs luirent en foule, suivis d\u2019une obscurit\u00e9\nprofonde; et six cents hommes de l\u2019arm\u00e9e ennemie p\u00e9rirent, tant par le\nfer des Manfr\u00e9doniens, que par les fl\u00e8ches de feu provenant d\u2019un arc\ninvisible. Le reste des Napolitains, ayant reconnu la puissance de\nl\u2019archange, abjur\u00e8rent leur idol\u00e2trie pour se convertir \u00e0 la foi\nchr\u00e9tienne.\nEn second lieu doit \u00eatre cit\u00e9e la victoire que remporta saint Michel\nquand il chassa du ciel le dragon, c\u2019est-\u00e0-dire Lucifer, avec toute sa\nsuite. On sait, en effet, comment, Lucifer ayant aspir\u00e9 \u00e0 devenir l\u2019\u00e9gal\nde Dieu, l\u2019archange porte-enseigne des arm\u00e9es c\u00e9lestes le chassa du ciel\navec toute sa suite et les enferma, jusqu\u2019au jour du jugement dernier,\ndans les t\u00e9n\u00e8bres infernales. Car les d\u00e9mons n\u2019ont le droit d\u2019habiter ni\ndans le ciel, qui est la partie sup\u00e9rieure de l\u2019air, ni sur la terre, o\u00f9\nleur s\u00e9jour nous serait intol\u00e9rable. Mais ils habitent un espace entre\nle ciel et la terre: de fa\u00e7on que lorsqu\u2019ils regardent en haut, ils\nsouffrent de la vue du ciel qu\u2019ils ont perdu; et lorsqu\u2019ils regardent en\nbas, ils envient le sort des hommes, qui peuvent s\u2019\u00e9lever l\u00e0 d\u2019o\u00f9\neux-m\u00eames sont tomb\u00e9s. Mais souvent, avec la permission de Dieu, ils\ndescendent parmi nous pour nous \u00e9prouver, et volent autour de nous comme\ndes mouches. Et ils sont innombrables, et tout l\u2019air que nous respirons\nen est rempli comme de mouches. Mais, suivant l\u2019opinion d\u2019Orig\u00e8ne leur\nnombre diminue \u00e0 chaque victoire que nous remportons sur eux: car un\nd\u00e9mon qui a \u00e9t\u00e9 vaincu par un saint homme ne peut plus, d\u00e9sormais,\ntenter personne au moyen du vice sur lequel il a \u00e9t\u00e9 vaincu.\nUne autre victoire est celle que saint Michel et ses compagnons\nremportent tous les jours sur les d\u00e9mons, en nous d\u00e9fendant contre eux\net en nous d\u00e9livrant de leurs tentations. Et c\u2019est en trois fa\u00e7ons que\nles anges nous d\u00e9livrent de la tentation des d\u00e9mons: 1\u00ba en refr\u00e9nant le\npouvoir des d\u00e9mons; 2\u00ba en refr\u00e9nant notre concupiscence; 3\u00ba en imprimant\ndans notre esprit le souvenir de la passion du Seigneur.\nQuatri\u00e8me victoire: celle que l\u2019archange saint Michel remportera sur\nl\u2019Ant\u00e9christ quand il le tuera. Car on verra alors, comme le dit Daniel,\nle prince Michel se lever et prot\u00e9ger les \u00e9lus contre l\u2019Ant\u00e9christ.\nPuis, comme le dit la _Glosse de l\u2019Apocalypse_, l\u2019Ant\u00e9christ feindra\nd\u2019\u00eatre mort, se cachera pendant deux jours, puis repara\u00eetra, se disant\nressuscit\u00e9, et au moyen d\u2019artifices magiques s\u2019\u00e9l\u00e8vera dans les airs.\nMais quand il sera parvenu sur le mont des Oliviers, \u00e0 l\u2019endroit d\u2019o\u00f9 le\nSeigneur est mont\u00e9 au ciel, Michel se dressera en face de lui et le\ntuera.\n3\u00ba La f\u00eate de saint Michel est consid\u00e9r\u00e9e comme une f\u00eate de d\u00e9dication,\nparce que saint Michel a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 aux Manfr\u00e9doniens que le sommet du mont\nGargan lui appartenait et devait lui \u00eatre d\u00e9di\u00e9. Revenus de leur\nvictoire, les Manfr\u00e9doniens se demand\u00e8rent s\u2019ils devaient entrer dans le\nlieu que s\u2019\u00e9tait r\u00e9serv\u00e9 l\u2019archange, pour le consacrer. L\u2019\u00e9v\u00eaque s\u2019en\nrapporta, sur ce point, au pape P\u00e9lage, qui lui conseilla de s\u2019en\nrapporter \u00e0 saint Michel lui-m\u00eame. De nouveau il y eut trois jours de\npri\u00e8res et de je\u00fbnes. Le troisi\u00e8me jour, saint Michel apparut \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque\net lui dit: \u00abVous n\u2019avez pas besoin de consacrer l\u2019\u00e9glise que je me suis\nconstruite, car je l\u2019ai consacr\u00e9e moi-m\u00eame!\u00bb Et il ordonna \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque de\nse rendre en ce lieu le lendemain et les jours suivants, avec la foule,\npour y prier, ajoutant qu\u2019il se constituait le patron sp\u00e9cial de la\nville. Et, en signe de la susdite cons\u00e9cration, il leur dit qu\u2019ils\ntrouveraient des traces de pas d\u2019homme grav\u00e9es sur le marbre. Le\nlendemain, donc, l\u2019\u00e9v\u00eaque et tout le peuple entr\u00e8rent dans la caverne;\nils y trouv\u00e8rent une grande crypte avec trois autels, dont deux \u00e0\nl\u2019occident et un \u00e0 l\u2019orient, ce dernier entour\u00e9 d\u2019un manteau rouge. On y\nc\u00e9l\u00e9bra la messe, tous les assistants communi\u00e8rent, et l\u2019\u00e9v\u00eaque \u00e9tablit\nen ce lieu des pr\u00eatres et des clercs, pour y c\u00e9l\u00e9brer l\u2019office divin.\nDans cette caverne se trouve une source d\u2019eau transparente et douce, que\nle peuple boit apr\u00e8s la communion, et qui gu\u00e9rit diverses maladies. Et\nc\u2019est en apprenant tout cela que le Souverain Pontife a ordonn\u00e9 de f\u00eater\nce jour, dans le monde entier, en souvenir de saint Michel.\n4\u00ba Enfin l\u2019Eglise c\u00e9l\u00e8bre, ce jour-l\u00e0, le souvenir de saint Michel et de\ntous les anges. Nous devons, en effet, nous souvenir d\u2019eux, et les louer\net les honorer, pour de nombreux motifs: ils sont nos gardiens, nos\nassistants, nos fr\u00e8res et concitoyens, les porteurs de nos \u00e2mes au ciel,\nles repr\u00e9sentants de nos pri\u00e8res devant Dieu, et nos consolateurs dans\nles tribulations. Ils sont, d\u2019abord, nos gardiens: car tout homme a pr\u00e8s\nde lui deux anges, un mauvais pour l\u2019\u00e9prouver, et un bon pour le garder.\nNotre bon ange nous garde d\u00e8s le sein de notre m\u00e8re, c\u2019est lui qui nous\nemp\u00eache, sit\u00f4t n\u00e9s, de mourir avant de recevoir le bapt\u00eame; et, dans\nl\u2019\u00e2ge adulte, il nous exhorte au bien, et nous d\u00e9fend contre\nl\u2019oppression du tentateur. En second lieu, les anges sont nos\nassistants; car, comme le dit le livre des _H\u00e9breux_, ils sont des\nesprits charg\u00e9s de missions. Et rien ne montre autant la bont\u00e9 divine,\nainsi que l\u2019amour de Dieu pour nous, que ce fait que Dieu charge ces\nesprits sublimes, qui sont ses familiers, de venir nous aider dans notre\nsalut. En troisi\u00e8me lieu, les anges sont nos fr\u00e8res et nos concitoyens.\nCar tous les \u00e9lus sont r\u00e9partis parmi la hi\u00e9rarchie des anges, d\u2019apr\u00e8s\nleurs m\u00e9rites; les uns sont plac\u00e9s parmi les anges du degr\u00e9 sup\u00e9rieur,\nd\u2019autres parmi ceux du degr\u00e9 inf\u00e9rieur, d\u2019autres parmi ceux du degr\u00e9\nmoyen. Et seule la sainte Vierge est au-dessus d\u2019eux tous. En quatri\u00e8me\nlieu, les anges sont les porteurs de nos \u00e2mes au ciel: ainsi, dans\nl\u2019Evangile de saint Luc, le mendiant Lazare est \u00abport\u00e9 par un ange dans\nle sein d\u2019Abraham\u00bb. En cinqui\u00e8me lieu, ils sont les repr\u00e9sentants de nos\npri\u00e8res devant Dieu: t\u00e9moin l\u2019ange disant \u00e0 Tobie: \u00abPendant que tu\npriais en pleurant et ensevelissais les morts, j\u2019ai pr\u00e9sent\u00e9 ta pri\u00e8re\nau Seigneur.\u00bb En sixi\u00e8me et dernier lieu, les anges sont nos\nconsolateurs dans les tribulations. Ils le sont de trois fa\u00e7ons: 1\u00ba en\nnous r\u00e9confortant et raffermissant; 2\u00ba en nous aidant \u00e0 souffrir; 3\u00ba en\nr\u00e9frig\u00e9rant nos tribulations, comme l\u2019a fait l\u2019ange du Livre de Daniel\nqui, \u00e9tant descendu dans la fournaise aupr\u00e8s des trois jeunes gens, y\nfit souffler, au milieu des flammes, une brise parfum\u00e9e.\nCXLIII\nSAINT FURSY, \u00c9V\u00caQUE\n(29 septembre)\nL\u2019\u00e9v\u00eaque Fursy, apr\u00e8s une longue vie pleine de vertus, rendit son \u00e2me \u00e0\nDieu. Il vit alors venir \u00e0 lui trois anges, dont deux emport\u00e8rent son\n\u00e2me, tandis que le troisi\u00e8me les pr\u00e9c\u00e9dait, arm\u00e9 d\u2019un bouclier blanc, et\ntenant en main un glaive de feu. Il vit aussi des d\u00e9mons qui, pour\nl\u2019emp\u00eacher d\u2019avancer, lan\u00e7aient sur lui des fl\u00e8ches enflamm\u00e9es; mais\nl\u2019ange qui le pr\u00e9c\u00e9dait parait ces fl\u00e8ches avec son bouclier, et\naussit\u00f4t les \u00e9teignait. Alors les d\u00e9mons dirent aux anges: \u00abCet homme a\nsouvent tenu des discours oiseux; il n\u2019a pas le droit d\u2019\u00eatre admis dans\nl\u2019assembl\u00e9e des bienheureux!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abSi vous n\u2019apportez point la\npreuve qu\u2019il ait eu de grandes vices, de ses menus d\u00e9fauts il ne sera\npoint puni!\u00bb Alors un des d\u00e9mons: \u00abSi Dieu est juste, cet homme ne sera\npoint sauv\u00e9; car l\u2019\u00e9vangile dit que celui-l\u00e0 n\u2019entrera pas au royaume\ndes cieux qui n\u2019aura point su s\u2019abaisser pour devenir pareil \u00e0 un\nenfant!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abCet homme a eu l\u2019innocence dans le c\u0153ur; mais\nl\u2019habitude humaine l\u2019a emp\u00each\u00e9 d\u2019en faire un plein usage.\u00bb Et le d\u00e9mon:\n\u00abDe m\u00eame que, par habitude, il a mal agi, le juge supr\u00eame doit le punir\npar sa loi!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abQue Dieu juge entre nous!\u00bb Il y e\u00fbt alors un\ncombat, et l\u2019ange terrassa ses adversaires.\nPuis un des diables dit: \u00abLe serviteur qui, connaissant la volont\u00e9 de\nson ma\u00eetre, ne s\u2019y conforme pas, doit \u00eatre puni!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abEn quoi\ndonc cet homme ne s\u2019est-il donc pas conform\u00e9 \u00e0 la volont\u00e9 de son\nma\u00eetre?\u00bb Et le d\u00e9mon: \u00abIl a re\u00e7u des dons des m\u00e9chants!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abIl\na cru que chacun d\u2019eux avait fait p\u00e9nitence!\u00bb Et le d\u00e9mon: \u00abIl aurait\nd\u00fb, d\u2019abord, s\u2019assurer de cette p\u00e9nitence!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abQue Dieu juge\nentre nous!\u00bb De nouveau ils lutt\u00e8rent, et l\u2019ange resta victorieux. Alors\nle d\u00e9mon, revenant \u00e0 la charge: \u00abJe croyais jusqu\u2019ici que Dieu ne\nmentait jamais. Or, il a promis de punir, dans l\u2019\u00e9ternit\u00e9, toutes les\nfautes non expi\u00e9es sur la terre. Et l\u2019homme que voici n\u2019est point puni,\nbien qu\u2019il ait accept\u00e9 un manteau d\u2019un certain usurier. O\u00f9 donc est la\njustice de Dieu?\u00bb Et l\u2019ange: \u00abTu ignores la profondeur des jugements de\nDieu!\u00bb Alors le diable frappa si cruellement Fursy que, par la suite,\ncelui-ci garda toujours le souvenir du coup. Puis, prenant en enfer un\ndes damn\u00e9s, il le lan\u00e7a sur lui; et le damn\u00e9, en tombant sur lui, lui\nbr\u00fbla une m\u00e2choire et une \u00e9paule; et, dans ce damn\u00e9, Fursy reconnut\nl\u2019usurier dont il avait accept\u00e9 le manteau. Et l\u2019ange dit au mort:\n\u00abC\u2019est ta faute m\u00eame qui te br\u00fble: car, si tu n\u2019avais pas accept\u00e9 le don\nde ce m\u00e9chant, Dieu n\u2019aurait point permis que tu fusses ainsi ch\u00e2ti\u00e9!\u00bb\nRevenant \u00e0 la charge, le d\u00e9mon dit: \u00abL\u2019homme, d\u2019apr\u00e8s l\u2019\u00e9vangile, doit\naimer son prochain comme lui-m\u00eame.\u00bb Et l\u2019ange: \u00abCet homme a toujours\nfait le bien \u00e0 son prochain!\u00bb Mais le diable: \u00abCela ne suffit pas si, en\noutre, il n\u2019a pas aim\u00e9 son prochain autant que lui-m\u00eame! Fursy n\u2019a pas\nrempli la parole de Dieu: il doit \u00eatre damn\u00e9!\u00bb De nouveau, ange et d\u00e9mon\nlutt\u00e8rent, et la victoire resta \u00e0 l\u2019ange.\nAlors le d\u00e9mon: \u00abSi Dieu est juste, cet homme m\u00e9rite d\u2019\u00eatre ch\u00e2ti\u00e9; car\nil a promis de renoncer au si\u00e8cle, et, au contraire, il a aim\u00e9 le\nsi\u00e8cle!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abS\u2019il a aim\u00e9 les choses du si\u00e8cle, ce n\u2019est pas pour\nen jouir lui-m\u00eame, mais pour les donner aux pauvres!\u00bb Et le diable: \u00abDe\nquelque fa\u00e7on qu\u2019il les ait aim\u00e9es, il a agi contre le pr\u00e9cepte divin!\u00bb\nDe nouveau il y eut une lutte, mais Dieu fit en sorte que les anges\nrest\u00e8rent victorieux, et que le mort se vit entour\u00e9 d\u2019une immense\nclart\u00e9.\nAlors un des anges lui dit: \u00abRetourne-toi et regarde le monde!\u00bb Fursy,\ns\u2019\u00e9tant retourn\u00e9, vit une vall\u00e9e de t\u00e9n\u00e8bres au-dessus de laquelle\nbrillaient quatre grands feux. Et l\u2019ange lui dit: \u00abTu vois les quatre\nfeux qui br\u00fblent le monde: le feu du mensonge, le feu de la cupidit\u00e9, le\nfeu de la dissension, et le feu de l\u2019impi\u00e9t\u00e9.\u00bb Puis Fursy vit que ces\nquatre feux se fondaient en un seul, et se rapprochaient de lui.\nEffray\u00e9, il dit \u00e0 l\u2019ange: \u00abSeigneur, le feu s\u2019approche de moi!\u00bb Et\nl\u2019ange: \u00abComme tu ne l\u2019as pas allum\u00e9, il ne te br\u00fblera point; car ce feu\natteint les hommes d\u2019apr\u00e8s leurs m\u00e9rites. Et, dans la mesure o\u00f9 le corps\na br\u00fbl\u00e9 de d\u00e9sirs illicites, il br\u00fblera du feu infernal!\u00bb\nEt, apr\u00e8s tout cela, l\u2019\u00e2me de Fursy rentra dans son corps, \u00e0 la grande\nsurprise de ceux qui veillaient le cadavre. Et le vieil \u00e9v\u00eaque v\u00e9cut\nencore quelque temps; apr\u00e8s quoi il mourut, charg\u00e9 de bonnes \u0153uvres.\nCXLIV\nSAINT J\u00c9R\u00d4ME, DOCTEUR\n(30 septembre)\nJ\u00e9r\u00f4me, fils d\u2019Eus\u00e8be, de race noble, naquit dans la ville de Stridon,\naux confins de la Dalmatie et de la Pannonie. D\u00e8s sa jeunesse il vint \u00e0\nRome, et s\u2019y instruisit pleinement dans les lettres grecques, latines et\nh\u00e9bra\u00efques. Il eut pour professeur de grammaire Donat, et pour\nprofesseur de rh\u00e9torique l\u2019orateur Victorin: ce qui ne l\u2019emp\u00eachait pas\nd\u2019\u00e9tudier avec ardeur les Saintes Ecritures. Mais, un jour, comme il le\nraconte lui-m\u00eame dans une lettre, la simplicit\u00e9 du langage dans les\nlivres des Proph\u00e8tes l\u2019offusqua si fort qu\u2019il ne voulut plus lire que\nCic\u00e9ron et Platon. Or, vers le milieu du Car\u00eame, il fut pris d\u2019une\nfi\u00e8vre subite qui faillit le tuer. Et comme d\u00e9j\u00e0 l\u2019on pr\u00e9parait ses\nfun\u00e9railles, soudain il se vit conduit devant le tribunal de Dieu.\nInterrog\u00e9 sur sa condition, il r\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait chr\u00e9tien. Mais le\njuge: \u00abTu mens, tu n\u2019es pas chr\u00e9tien, mais cic\u00e9ronien!\u00bb Apr\u00e8s quoi il le\ncondamna \u00e0 \u00eatre battu. Et J\u00e9r\u00f4me de s\u2019\u00e9crier: \u00abAyez piti\u00e9 de moi,\nSeigneur, ayez piti\u00e9 de moi!\u00bb Et tous les assistants demandaient gr\u00e2ce\npour lui, en consid\u00e9ration de sa jeunesse. Enfin il s\u2019\u00e9cria: \u00abSeigneur,\nsi je lis jamais des livres profanes, c\u2019est que je t\u2019aurai reni\u00e9!\u00bb Et\naussit\u00f4t il revint \u00e0 lui, dans son lit; et il vit qu\u2019il \u00e9tait tout en\nlarmes, et qu\u2019il avait les \u00e9paules encore bleues des coups re\u00e7us par lui\nau tribunal c\u00e9leste. Aussi mit-il, depuis lors, autant de z\u00e8le \u00e0 lire\nles livres sacr\u00e9s qu\u2019il en avait mis, auparavant, \u00e0 lire les livres\nprofanes.\nA l\u2019\u00e2ge de vingt-neuf ans, il fut ordonn\u00e9 pr\u00eatre et cardinal de l\u2019Eglise\nromaine, puis, \u00e0 la mort du pape Lib\u00e8re, on fut unanime \u00e0 le proclamer\ndigne du sacerdoce supr\u00eame. Mais, comme il avait r\u00e9primand\u00e9 la d\u00e9bauche\nde certains pr\u00eatres et moines, ceux-ci, indign\u00e9s, lui tendirent toute\nsorte de pi\u00e8ges. Un matin, \u00e0 son r\u00e9veil, il trouva sur son lit un\nv\u00eatement de femme, que des m\u00e9chants avaient d\u00e9pos\u00e9 l\u00e0. Croyant que\nc\u2019\u00e9tait son propre v\u00eatement, il le rev\u00eatit, et se rendit ainsi \u00e0\nl\u2019\u00e9glise, ce qui permit de dire qu\u2019il avait eu une femme dans son lit.\nAlors, ne voulant plus \u00eatre expos\u00e9 \u00e0 de pareilles folies, il quitta Rome\net se rendit aupr\u00e8s de Gr\u00e9goire de Nazianze, \u00e9v\u00eaque de Constantinople,\nqui acheva de l\u2019instruire dans les lettres sacr\u00e9es.\nIl alla ensuite au d\u00e9sert; et lui-m\u00eame raconte, dans sa lettre \u00e0\nEustoche, tout ce qu\u2019il y souffrait pour l\u2019amour du Christ: \u00abDans cette\nmorne solitude br\u00fbl\u00e9e du soleil, je me figurais assister aux d\u00e9lices de\nRome. Mes membres d\u00e9form\u00e9s n\u2019\u00e9taient v\u00eatus que d\u2019un sac, ma peau \u00e9tait\nnoire comme celle d\u2019un Ethiopien; et toujours des larmes, toujours des\ng\u00e9missements; et quand, malgr\u00e9 ma r\u00e9sistance, le sommeil m\u2019accablait,\nj\u2019\u00e9talais mes os sur le sol nu. Je ne te dis rien de ma nourriture et de\nma boisson. Mais sache que, vivant en compagnie des scorpions et des\nb\u00eates f\u00e9roces, souvent j\u2019\u00e9tais tourment\u00e9 de r\u00eaves lascifs o\u00f9 je croyais\nassister \u00e0 des danses de jeunes filles. Alors je me fouettais jour et\nnuit, jusqu\u2019\u00e0 ce que le Seigneur m\u2019e\u00fbt rendu le calme.\u00bb\nAyant ainsi fait p\u00e9nitence pendant quatre ans, il alla demeurer dans la\nville de Bethl\u00e9em, s\u2019offrant comme un chien domestique \u00e0 l\u2019\u00e9table de son\nma\u00eetre. Il y fit transporter sa biblioth\u00e8que, qu\u2019il avait form\u00e9e avec\nbeaucoup de soin; et toute la journ\u00e9e, sans rien manger, il s\u2019occupait\nde lire et d\u2019\u00e9crire. Il resta l\u00e0 pendant cinquante-cinq ans et six mois,\nentour\u00e9 de nombreux disciples qui l\u2019aidaient \u00e0 traduire et \u00e0 commenter\nles Saintes Ecritures. Et l\u2019on dit aussi qu\u2019il resta chaste toute sa\nvie, bien que lui-m\u00eame ait \u00e9crit dans une lettre \u00e0 Pammaque: \u00abMa vertu\npr\u00e9f\u00e9r\u00e9e est la virginit\u00e9, encore que je ne puisse pas me vanter de la\nposs\u00e9der.\u00bb Enfin il arriva \u00e0 un tel degr\u00e9 de faiblesse que, \u00e9tendu sur\nsa couche, il se soulevait \u00e0 l\u2019aide d\u2019une corde attach\u00e9e au plafond,\npour pouvoir assister aux offices de son monast\u00e8re.\nUn soir, pendant que J\u00e9r\u00f4me \u00e9tait assis avec ses fr\u00e8res pour \u00e9couter la\nlecture sainte, voici qu\u2019un lion entra en boitant dans le monast\u00e8re.\nAussit\u00f4t tous les fr\u00e8res s\u2019enfuirent: seul J\u00e9r\u00f4me alla au-devant de lui\ncomme au-devant d\u2019un h\u00f4te, et, le lion lui ayant montr\u00e9 sa patte\nbless\u00e9e, il appela des fr\u00e8res et leur ordonna de laver sa plaie et d\u2019en\nprendre soin. Ainsi fut fait; et le lion, gu\u00e9ri, habita parmi les fr\u00e8res\ncomme un animal domestique. Sur quoi J\u00e9r\u00f4me, comprenant que ce lion leur\navait \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 plus encore pour leur utilit\u00e9 que pour la gu\u00e9rison de\nsa patte, pris conseil avec ses fr\u00e8res et ordonna au lion de conduire au\np\u00e2turage et de garder un \u00e2ne qu\u2019ils avaient, et qui leur servait \u00e0\nporter du bois. Et ainsi fut fait. Le lion se comportait en berger\nparfait, toujours pr\u00eat \u00e0 prot\u00e9ger l\u2019\u00e2ne, et ne manquant jamais de le\nramener au monast\u00e8re \u00e0 l\u2019heure des repas. Mais un jour, comme le lion\ns\u2019\u00e9tait endormi, des marchands avec des chameaux, qui passaient par l\u00e0\nvirent un \u00e2ne seul et s\u2019empress\u00e8rent de le voler. Quand le lion,\n\u00e9veill\u00e9, s\u2019aper\u00e7ut de l\u2019absence de son compagnon, il le chercha partout\nen rugissant; puis, n\u2019ayant pu le retrouver, il revint tristement \u00e0 la\nporte du monast\u00e8re, mais, par honte, n\u2019osa pas entrer. Or les fr\u00e8res,\nvoyant qu\u2019il arrivait en retard et sans l\u2019\u00e2ne, suppos\u00e8rent que, forc\u00e9\npar la faim, il l\u2019avait mang\u00e9. Ils refus\u00e8rent donc de lui donner sa\nration, et lui dirent: \u00abVa chercher le reste de l\u2019\u00e2ne, et fais-en ton\nd\u00eener!\u00bb Cependant comme ils h\u00e9sitaient \u00e0 croire qu\u2019il se f\u00fbt rendu\ncoupable d\u2019un tel acte, ils all\u00e8rent au p\u00e2turage en qu\u00eate de quelque\nindice; mais, n\u2019ayant rien trouv\u00e9, ils revinrent raconter la chose \u00e0\nJ\u00e9r\u00f4me. Alors, de l\u2019avis de celui-ci, ils confi\u00e8rent au lion le travail\nde l\u2019\u00e2ne, et l\u2019employ\u00e8rent \u00e0 porter leur bois: t\u00e2che dont la b\u00eate\ns\u2019acquittait avec une patience exemplaire. Mais un jour, sa t\u00e2che\nachev\u00e9e, le voil\u00e0 qui se met \u00e0 courir par les champs, et voil\u00e0 qu\u2019il\naper\u00e7oit de loin des marchands, avec des chameaux et un \u00e2ne s\u2019avan\u00e7ant \u00e0\nleur t\u00eate pour les guider, suivant l\u2019usage du pays. Aussit\u00f4t le lion, se\njetant sur la caravane avec un rugissement terrible, for\u00e7a les marchands\n\u00e0 prendre la fuite. Apr\u00e8s quoi, frappant le sol de sa queue, il obligea\nles chameaux \u00e0 l\u2019accompagner jusqu\u2019au monast\u00e8re, o\u00f9 J\u00e9r\u00f4me, d\u00e8s qu\u2019il\nles vit, dit \u00e0 ses fr\u00e8res: \u00abLavez les pieds \u00e0 nos h\u00f4tes, servez-leur \u00e0\nmanger, et puis attendons la volont\u00e9 de Dieu!\u00bb Et voici que le lion se\nmit \u00e0 courir joyeusement d\u2019un fr\u00e8re \u00e0 l\u2019autre, se prosternant devant\nchacun d\u2019eux comme s\u2019il leur demandait pardon de quelque faute. Et\nJ\u00e9r\u00f4me, pr\u00e9voyant l\u2019avenir, dit \u00e0 ses fr\u00e8res: \u00abPr\u00e9parez-vous \u00e0\naccueillir encore d\u2019autres h\u00f4tes!\u00bb Et en effet, au m\u00eame instant, on vint\nlui annoncer que des \u00e9trangers \u00e9taient l\u00e0, qui voulaient voir l\u2019abb\u00e9. Et\ntout de suite les marchands, se jetant \u00e0 ses pieds, lui demand\u00e8rent\npardon de leur vol; et lui, les relevant avec bont\u00e9, leur dit de\nreprendre ce qui leur appartenait, mais de respecter d\u00e9sormais le bien\nd\u2019autrui. Et les marchands, en t\u00e9moignage de leur reconnaissance, le\nforc\u00e8rent \u00e0 accepter une mesure d\u2019huile, lui promettant que, tous les\nans, eux et leurs h\u00e9ritiers donneraient aux fr\u00e8res une mesure pareille.\nComme, jusqu\u2019alors, on avait le droit de chanter dans les \u00e9glises\nn\u2019importe quels chants, l\u2019empereur Th\u00e9odose demanda au pape Damase de\nlui indiquer un savant docteur \u00e0 qui il p\u00fbt confier le soin de r\u00e9gler le\nchant des offices. Et Damase, sachant l\u2019\u00e9rudition et la sagesse de\nJ\u00e9r\u00f4me, le choisit pour cette t\u00e2che difficile. C\u2019est donc J\u00e9r\u00f4me qui\nd\u00e9finit les chants qui convenaient aux diff\u00e9rentes f\u00eates, et qui d\u00e9cida\nqu\u2019\u00e0 la fin de tous les psaumes devrait \u00eatre chant\u00e9 le _Gloria Patri_.\nC\u2019est lui aussi qui r\u00e9partit les \u00e9p\u00eetres et \u00e9vangiles pour tous les\ndimanches de l\u2019ann\u00e9e. Et son projet, envoy\u00e9 par lui de Bethl\u00e9em, fut\napprouv\u00e9 du pape et des cardinaux, qui le sanctionn\u00e8rent \u00e0 perp\u00e9tuit\u00e9.\nEnfin, parvenu \u00e0 l\u2019\u00e2ge de quatre-vingt-dix-huit ans et six mois, il\nrendit l\u2019\u00e2me, et fut enterr\u00e9 \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la grotte o\u00f9 avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9\nle corps du Seigneur. Sa mort eut lieu en l\u2019an du Seigneur 398.\nCXLV\nLA TRANSLATION DE SAINT R\u00c9MY\n(1er octobre)\nR\u00e9my convertit au Christ le roi et toute la nation des Francs. Le roi\navait une femme nomm\u00e9e Clotilde qui, tr\u00e8s fervente chr\u00e9tienne,\ns\u2019effor\u00e7ait en vain de convertir son mari \u00e0 sa foi. Or, Clotilde, ayant\nmis au monde un fils, obtint du roi, \u00e0 force d\u2019instances, de le faire\nbaptiser. Mais l\u2019enfant, d\u00e8s qu\u2019il fut baptis\u00e9, mourut. Et le roi Clovis\nlui dit: \u00abTu vois toi-m\u00eame, maintenant, quel mis\u00e9rable dieu est ton\nChrist, puisqu\u2019il ne peut m\u00eame pas garder en vie un enfant qui, lui\nayant \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9, aurait, plus tard, impos\u00e9 son culte \u00e0 tout le\nroyaume!\u00bb Mais Clotilde: \u00abAu contraire, je vois l\u00e0 une grande preuve\nd\u2019amour de la part de mon Dieu, qui, recueillant le premier fruit de mon\nventre, a daign\u00e9 lui accorder son royaume infini, bien sup\u00e9rieur au\ntien!\u00bb Plus tard, elle con\u00e7ut de nouveau et, enfanta un autre fils\nqu\u2019elle parvint \u00e9galement \u00e0 faire baptiser. Et, de nouveau, l\u2019enfant\ntomba malade au point qu\u2019on d\u00e9sesp\u00e9rait de sa vie. Et Clovis dit \u00e0 sa\nfemme: \u00abQuand m\u00eame tu enfanterais mille fils, ils p\u00e9riraient tous si tu\nles baptisais!\u00bb Pourtant ce second enfant gu\u00e9rit; et ce fut lui qui,\ndans la suite, succ\u00e9da \u00e0 Clovis.\nCelui-ci finit par se convertir \u00e0 la foi chr\u00e9tienne, ainsi que nous\nl\u2019avons racont\u00e9 dans un chapitre pr\u00e9c\u00e9dent, qu\u2019on trouvera tout de suite\napr\u00e8s celui de l\u2019Epiphanie. Apr\u00e8s sa conversion, il dit \u00e0 saint R\u00e9my:\n\u00abJe vais faire ma sieste; et toi, tout le terrain que ta pourras\nparcourir jusqu\u2019\u00e0 mon r\u00e9veil, tu le prendras pour ton \u00e9glise!\u00bb Et ainsi\nfut fait. Mais il y avait, sur ce terrain, un meunier qui ne voulut\npoint permettre \u00e0 saint R\u00e9my de traverser son moulin. Et le saint lui\ndit: \u00abMon ami, tu consentiras bien \u00e0 partager ce moulin avec nous?\u00bb Et\ncomme le meunier s\u2019obstinait \u00e0 n\u2019y point consentir, soudain la roue du\nmoulin se mit \u00e0 tourner en sens contraire. Sur quoi le meunier,\nrappelant saint R\u00e9my: \u00abServiteur de Dieu, reviens, et que le moulin vous\nappartienne comme \u00e0 moi!\u00bb Mais R\u00e9my: \u00abNon, il n\u2019appartiendra plus ni \u00e0\ntoi ni \u00e0 moi!\u00bb Et en effet, aussit\u00f4t la terre s\u2019ouvrit et engloutit le\nmoulin.\nLa f\u00eate qu\u2019on c\u00e9l\u00e8bre en ce jour ne comm\u00e9more point la mort de saint\nR\u00e9my, mais bien sa \u00abtranslation\u00bb Car, comme on transportait le corps du\nsaint \u00e0 l\u2019\u00e9glise des saints Timoth\u00e9e et Appolinaire, voici qu\u2019en passant\ndevant l\u2019\u00e9glise de Saint-Christophe la ch\u00e2sse se mit tout \u00e0 coup \u00e0 peser\nsi lourd qu\u2019aucune force humaine ne pouvait la soulever. Alors les\nporteurs pri\u00e8rent Dieu de leur faire voir par un signe s\u2019il voulait que\nle corps f\u00fbt d\u00e9pos\u00e9 dans cette \u00e9glise de Saint-Christophe, o\u00f9 se\ntrouvaient d\u00e9j\u00e0 conserv\u00e9es d\u2019innombrables reliques de saints. Et\naussit\u00f4t la ch\u00e2sse se laissa soulever comme un f\u00e9tu de paille; et on la\nd\u00e9posa solennellement dans cette \u00e9glise, o\u00f9 elle fit force miracles.\nPlus tard, on agrandit cette \u00e9glise, et l\u2019on construisit une crypte,\nderri\u00e8re l\u2019autel, pour recevoir le corps de saint R\u00e9my. Mais, de\nnouveau, la ch\u00e2sse qui contenait ce corps se trouva si lourde qu\u2019on dut\nrenoncer \u00e0 la transporter. Et voil\u00e0 que, le lendemain matin, qui \u00e9tait\nle premier jour d\u2019octobre, on vit que la ch\u00e2sse de saint R\u00e9my avait \u00e9t\u00e9\ntransport\u00e9e par des anges dans la crypte. Et, plus tard encore, les\nrestes du saint furent transport\u00e9s dans une autre crypte plus belle, o\u00f9\nils reposent aujourd\u2019hui dans une ch\u00e2sse d\u2019argent.\nCXLVI\nSAINT L\u00c9GER, \u00c9V\u00caQUE ET MARTYR\n(2 octobre)\nL\u00e9ger m\u00e9rita par ses vertus d\u2019\u00eatre \u00e9lu \u00e9v\u00eaque d\u2019Autun. A la mort du roi\nClotaire, et comme on \u00e9tait en peine de choisir un nouveau roi, L\u00e9ger,\ninspir\u00e9 de Dieu, et avec l\u2019approbation des princes, mit sur le tr\u00f4ne le\njeune Child\u00e9ric, fr\u00e8re de Clotaire, merveilleusement dou\u00e9 pour la\nroyaut\u00e9. Seul Ebro\u00efn, ministre de Clotaire, aurait voulu \u00e9lever au tr\u00f4ne\nun autre fr\u00e8re du roi d\u00e9funt, nomm\u00e9 Thierry: et cela non point dans\nl\u2019int\u00e9r\u00eat du royaume, mais dans le sien propre, parce que, chass\u00e9 du\npouvoir et d\u00e9test\u00e9 de tous, il redoutait la col\u00e8re de Child\u00e9ric et des\nprinces. Aussi cet Ebro\u00efn, d\u00e8s qu\u2019il vit \u00e9chouer ses efforts,\ndemanda-t-il au roi la permission d\u2019entrer dans un monast\u00e8re. Child\u00e9ric\nle lui permit, en m\u00eame temps qu\u2019il pla\u00e7ait sous bonne garde son fr\u00e8re\nThierry, afin de pr\u00e9venir ses mauvais desseins. Apr\u00e8s quoi gr\u00e2ce aux\nconseils de l\u2019\u00e9v\u00eaque tout le royaume jouit d\u2019une paix admirable. Mais au\nbout de quelque temps le roi, corrompu par de m\u00e9chantes influences, se\nprit d\u2019une telle haine contre le saint \u00e9v\u00eaque, qu\u2019il cherchait le moyen\nde le faire p\u00e9rir. Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque, plein de douceur et embrassant comme\ndes amis ses pires ennemis, invita le roi \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer la f\u00eate de P\u00e2ques\ndans sa cath\u00e9drale. Et, le matin de cette f\u00eate, il apprit que le roi\navait l\u2019intention de l\u2019assassiner. Il n\u2019en re\u00e7ut pas moins son meurtrier\n\u00e0 sa table; mais le soir venu, il se r\u00e9fugia au monast\u00e8re de Luxeuil, o\u00f9\nil servit avec charit\u00e9 Ebro\u00efn lui-m\u00eame, qui se cachait dans ce monast\u00e8re\nsous l\u2019habit d\u2019un moine.\nPeu de temps apr\u00e8s, Child\u00e9ric mourut, et Thierry monta sur le tr\u00f4ne.\nAlors L\u00e9ger, touch\u00e9 des larmes et des pri\u00e8res de son peuple, et\ncontraint par l\u2019ordre de son abb\u00e9, reprit possession de son si\u00e8ge\n\u00e9piscopal, tandis qu\u2019Ebro\u00efn, de son c\u00f4t\u00e9, ayant jet\u00e9 le froc, \u00e9tait\nnomm\u00e9 s\u00e9n\u00e9chal du nouveau roi. Or cet Ebro\u00efn, qui auparavant d\u00e9j\u00e0 \u00e9tait\nmauvais, devint pire encore depuis ce moment, et ne pensa qu\u2019aux moyens\nde se d\u00e9faire de L\u00e9ger. Il envoya des soldats pour s\u2019emparer du saint;\net celui-ci, pendant qu\u2019il sortait de sa ville en habit pontifical, fut\nappr\u00e9hend\u00e9, eut les yeux crev\u00e9s, et fut jet\u00e9 en prison o\u00f9 il resta deux\nans. Ebro\u00efn le fit ensuite amener au palais du roi avec son fr\u00e8re Garin.\nEt comme tous deux, bravant le ministre, r\u00e9pondaient sagement et\npacifiquement, Ebro\u00efn fit lapider Garin, et ordonna que L\u00e9ger f\u00fbt\ntra\u00een\u00e9, un jour entier, pieds nus sur des pierres tr\u00e8s aigu\u00ebs. Puis,\napprenant que l\u2019\u00e9v\u00eaque continuait \u00e0 louer Dieu dans ses tourments, il\nlui fit couper la langue et le fit ramener en prison. Mais le saint ne\nperdit pas l\u2019usage de la parole. Plus ardemment que jamais, au\ncontraire, il se livra \u00e0 la pr\u00e9dication: il pr\u00e9dit m\u00eame tous les d\u00e9tails\nde sa mort, ainsi que celle d\u2019Ebro\u00efn. Et une immense lumi\u00e8re entourait\nsa t\u00eate comme une couronne, ce dont tous les assistants furent\n\u00e9merveill\u00e9s. Alors Ebro\u00efn ordonna \u00e0 quatre bourreaux de lui trancher la\nt\u00eate. Et comme ceux-ci conduisaient le saint au lieu du supplice, il\nleur dit: \u00abMes chers fr\u00e8res, ne vous fatiguez pas \u00e0 faire ce long\nchemin, mais plut\u00f4t ex\u00e9cutez ici l\u2019ordre de celui qui vous a envoy\u00e9s!\u00bb\nAlors trois d\u2019entre eux furent si touch\u00e9s que, tombant \u00e0 ses pieds, ils\nlui demand\u00e8rent pardon. Le quatri\u00e8me, au contraire, eut le triste\ncourage d\u2019ex\u00e9cuter sa mission: et, d\u00e8s qu\u2019il l\u2019eut fait, un d\u00e9mon\ns\u2019empara de lui et le jeta dans le feu, o\u00f9 il p\u00e9rit mis\u00e9rablement.\nDeux ans apr\u00e8s, Ebro\u00efn, apprenant que le corps du saint s\u2019illustrait par\nde nombreux miracles, chargea un officier d\u2019aller s\u2019informer par\nlui-m\u00eame de ce qui en \u00e9tait. L\u2019officier plein de morgue et d\u2019arrogance,\nfoula aux pieds le tombeau, du saint, en s\u2019\u00e9criant: \u00abQue meurent tous\nceux qui croient qu\u2019un mort peut faire des miracles!\u00bb Et voil\u00e0 qu\u2019un\nd\u00e9mon s\u2019empara de lui et le tua sur-le-champ. Ce qu\u2019apprenant, Ebro\u00efn\nsouffrit plus cruellement encore de l\u2019envie; et, un jour, suivant la\npr\u00e9diction du saint, il se tua lui-m\u00eame en se per\u00e7ant de son \u00e9p\u00e9e. Le\nmartyre de saint L\u00e9ger eut lieu en l\u2019an du Seigneur 680, sous le r\u00e8gne\nde l\u2019empereur Constantin IV.\nCXLVII\nSAINT FRAN\u00c7OIS, CONFESSEUR[14]\n(4 octobre)\n [14] Ce chapitre ne figure pas dans les plus anciens manuscrits, ou\n n\u2019y figure qu\u2019en appendice, parmi les _Legend\u00e6 a quibusdam aliis\n superaddit\u00e6_. Son style et les d\u00e9fauts de sa composition\n suffiraient, du reste, \u00e0 le distinguer des chapitres \u00abcompil\u00e9s\u00bb par\n Jacques de Voragine. La rivalit\u00e9 des ordres dominicains et\n franciscains aura, \u00e9videmment, emp\u00each\u00e9 le v\u00e9n\u00e9rable Fr\u00e8re Pr\u00eacheur\n d\u2019admettre dans sa _L\u00e9gende_ le Pauvre d\u2019Assise.\nFran\u00e7ois, serviteur et ami du Tr\u00e8s-Haut, naquit dans la ville d\u2019Assise,\net fut d\u2019abord marchand. Jusqu\u2019\u00e0 vingt ans, il mena une vie dissip\u00e9e;\nmais Dieu, l\u2019ayant touch\u00e9 de l\u2019aiguillon de la maladie, le transforma\nsubitement en un tout autre homme.\nEtant all\u00e9 \u00e0 Rome en p\u00e8lerinage, il se d\u00e9pouilla de ses v\u00eatements,\nrev\u00eatit ceux d\u2019un mendiant, et s\u2019assit parmi les pauvres devant l\u2019\u00e9glise\nde Saint-Pierre. Il serait rest\u00e9 avec eux si ses amis ne l\u2019en avaient\nemp\u00each\u00e9. Le diable, pour le d\u00e9tourner de ses saintes intentions, lui\nmontra un jour une femme d\u2019Assise qui \u00e9tait bossue, et lui dit que, s\u2019il\npersistait dans son projet, il deviendrait pareil \u00e0 cette femme. Mais le\nSeigneur le r\u00e9conforta en lui disant: \u00abFran\u00e7ois, si tu veux me bien\nconna\u00eetre, fais ta douceur des choses am\u00e8res, et m\u00e9prise-toi toi-m\u00eame!\u00bb\nRencontrant un l\u00e9preux, dont tous avaient horreur, il s\u2019approcha de lui\net le baisa sur la bouche: et aussit\u00f4t le l\u00e9preux disparut. Alors\nFran\u00e7ois se rendit \u00e0 la l\u00e9proserie, et, baisant les mains des habitants,\nil leur distribua tout ce qu\u2019il avait.\nUn jour qu\u2019il \u00e9tait entr\u00e9, pour prier, dans l\u2019\u00e9glise de Saint-Damien,\nl\u2019image du Christ lui parla miraculeusement et lui dit: \u00abFran\u00e7ois, va\nr\u00e9parer ma maison, car, comme tu vois, elle tombe en ruine!\u00bb Et, d\u00e8s ce\nmoment, son \u00e2me se fondit de tendresse, et la compassion du Christ se\ngrava dans son c\u0153ur. Dans son d\u00e9sir de r\u00e9parer l\u2019\u00e9glise, il vendit tout\nce qu\u2019il poss\u00e9dait. Et comme le pr\u00eatre \u00e0 qui il offrait son argent\nrefusait de le prendre, par crainte de ses parents, il jeta cet argent\ncomme de la poussi\u00e8re. Puis, son p\u00e8re lui en ayant fait reproche, il se\nd\u00e9pouilla encore de ses v\u00eatements et s\u2019offrit, tout nu, au Seigneur.\nApr\u00e8s quoi, pour d\u00e9truire l\u2019effet des mal\u00e9dictions de son p\u00e8re, il\ndemanda \u00e0 un simple d\u2019esprit de devenir son p\u00e8re et de le b\u00e9nir.\nUn de ses fr\u00e8res, le voyant \u00e0 peine v\u00eatu, pendant l\u2019hiver, et transi de\nfroid, dit \u00e0 un passant: \u00abDemande donc \u00e0 Fran\u00e7ois de te vendre pour\nquelques sous de sa sueur!\u00bb Mais Fran\u00e7ois, l\u2019ayant entendu, r\u00e9pondit\nga\u00eement: \u00abJe ne puis, car je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 vendue au Seigneur!\u00bb Une autre\nfois, entendant lire les paroles que le Seigneur avait dites \u00e0 ses\ndisciples sur leur mission, il r\u00e9solut de devenir le serviteur des\npauvres, \u00f4ta la chaussure de ses pieds, rev\u00eatit un manteau grossier, et\nse ceignit d\u2019une corde. Traversant un bois, par un temps de neige, il\nfut pris par des voleurs qui lui demand\u00e8rent qui il \u00e9tait. Et comme il\nleur r\u00e9pondit qu\u2019il \u00e9tait un h\u00e9raut de Dieu, ils le renvers\u00e8rent dans la\nneige en lui disant: \u00abGis donc en paix, h\u00e9raut de Dieu!\u00bb\nCependant une grande foule d\u2019hommes, nobles et manants, clercs et\nla\u00efques, rejetant la pompe du si\u00e8cle, s\u2019attach\u00e8rent \u00e0 lui. Il leur\nenseigna la perfection \u00e9vang\u00e9lique, qui consiste \u00e0 vivre dans la\npauvret\u00e9 et la simplicit\u00e9. Il \u00e9crivit, en outre, pour eux, une r\u00e8gle\n\u00e9vang\u00e9lique, que le pape Innocent confirma. Et, d\u00e8s lors, il se mit \u00e0\nsemer avec une nouvelle ardeur la semence de la parole divine,\nparcourant sans arr\u00eat les villes et les villages.\nIl y avait alors un fr\u00e8re qui, \u00e0 ne voir que les actes, faisait l\u2019effet\nd\u2019un saint, mais qui avait cette singularit\u00e9 qu\u2019il poussait la r\u00e8gle du\nsilence jusqu\u2019\u00e0 ne pas vouloir ouvrir la bouche pour se confesser. Et\ncomme les autres fr\u00e8res faisaient son \u00e9loge, Fran\u00e7ois leur dit: \u00abMes\nfr\u00e8res, ne louez pas trop, chez lui, une conduite qui n\u2019est peut-\u00eatre\npas exempte d\u2019un peu de diablerie! Que ce fr\u00e8re consente \u00e0 se confesser\nau moins une fois par semaine! Et, s\u2019il ne le fait pas, c\u2019est donc que\nsa soi-disant vertu n\u2019est que pour nous tromper!\u00bb Mais le fr\u00e8re, invit\u00e9\n\u00e0 se confesser, mit un doigt sur sa bouche, et hocha la t\u00eate en signe de\nrefus. Et le fait est que, peu de temps apr\u00e8s, il se pervertit et finit\nsa vie dans la dissipation.\nUn jour, comme Fran\u00e7ois chevauchait sur un \u00e2ne, en compagnie de fr\u00e8re\nL\u00e9onard, qui \u00e9tait d\u2019une famille noble d\u2019Assise, celui-ci, qui marchait\n\u00e0 pied, se dit tout \u00e0 coup: \u00abCe n\u2019est point mes parents qui auraient\nconsenti \u00e0 se laisser ainsi traiter par les siens!\u00bb Et aussit\u00f4t\nFran\u00e7ois, descendant de son \u00e2ne, dit \u00e0 L\u00e9onard: \u00abCe n\u2019est point chose\nconvenable que toi, qui es noble, tu ailles \u00e0 pied tandis que je\nchevauche!\u00bb Sur quoi L\u00e9onard, confus, se jeta \u00e0 ses pieds et lui demanda\npardon.\nUne autre fois, une femme noble accourut au-devant de lui; et, toute\nhaletante de sa course, elle lui dit: \u00abPrie pour moi, p\u00e8re, car mon mari\nm\u2019emp\u00eache de mener la vie que je voudrais, et s\u2019oppose \u00e0 ce que je serve\npieusement le Christ!\u00bb Et lui: \u00abVa en paix, ma fille, et dis \u00e0 ton mari,\nde ma part, que le temps du salut est arriv\u00e9!\u00bb Elle redit la chose \u00e0 son\nmari; et celui-ci, aussit\u00f4t, changea, et s\u2019engagea \u00e0 la laisser vivre\ndans la continence.\nIl aimait \u00e0 ce point la pauvret\u00e9 qu\u2019il l\u2019appelait sa ma\u00eetresse, et que,\nquand il rencontrait un plus pauvre que lui, il se sentait tout honteux.\nUn jour qu\u2019un pauvre passait pr\u00e8s de lui, il dit \u00e0 son compagnon: \u00abOtons\nvite nos manteaux, donnons-les \u00e0 cet homme, et, nous prosternant \u00e0 ses\npieds, proclamons-nous coupables!\u00bb Une autre fois, il rencontra trois\nfemmes, exactement pareilles l\u2019une \u00e0 l\u2019autre, qui le salu\u00e8rent en\ndisant: \u00abBienvenue soit Madame la Pauvret\u00e9!\u00bb Puis, elles disparurent, et\njamais on ne les revit.\nEtant venu \u00e0 Arezzo et y ayant trouv\u00e9 la guerre civile, il dit \u00e0 fr\u00e8re\nSylvestre, son compagnon: \u00abVa devant la porte de la ville, et, de la\npart Dieu, ordonne aux d\u00e9mons de sortir de la ville!\u00bb Et \u00e0 peine\nSylvestre eut-il ob\u00e9i que les citoyens d\u2019Arezzo se r\u00e9concili\u00e8rent.--Ce\nm\u00eame Sylvestre, pendant qu\u2019il n\u2019\u00e9tait encore que pr\u00eatre s\u00e9culier, vit en\nsonge une croix d\u2019or qui sortait de la bouche de Fran\u00e7ois, et dont les\nbras embrassaient toute la terre. Aussit\u00f4t il renon\u00e7a au monde pour\nimiter l\u2019exemple de l\u2019homme de Dieu.\nPendant que Fran\u00e7ois \u00e9tait en pri\u00e8re, trois fois le diable l\u2019appela par\nson nom. Et, chaque fois, Fran\u00e7ois lui r\u00e9pondit; apr\u00e8s quoi il ajouta:\n\u00abIl n\u2019y a point de p\u00e9cheur au monde qui ne puisse esp\u00e9rer de Dieu son\npardon s\u2019il se convertit!\u00bb Alors le diable, voyant qu\u2019il ne pouvait pas\nle tenter de cette mani\u00e8re, lui envoya une cruelle tentation de la\nchair. Et Fran\u00e7ois, ayant enlev\u00e9 son manteau, se frappait avec sa\nceinture en disant: \u00abH\u00e9las, mon fr\u00e8re \u00e2ne, voil\u00e0 comment il faut que tu\nsubisses le fouet!\u00bb Puis, comme la tentation persistait, il se roula\ndans la neige; et, ayant fait sept petits tas de neige, il dit \u00e0 son\ncorps: \u00abRegarde, voici ta femme, voici tes deux fils et tes deux filles,\net voici ton serviteur et ta servante! H\u00e2te-toi de les v\u00eatir, car ils\nmeurent de froid! Et si tu trouves trop difficile de t\u2019occuper d\u2019eux, ne\nt\u2019occupe donc que de servir ton ma\u00eetre!\u00bb Aussit\u00f4t le diable, tout\nconfus, s\u2019en alla; et Fran\u00e7ois, glorifiant Dieu, rentra dans sa cellule.\nUn fr\u00e8re, compagnon du saint, ayant \u00e9t\u00e9 ravi en extase, vit les tr\u00f4nes\ndu ciel, et, parmi eux, un tr\u00f4ne plus haut et plus brillant que les\nautres. Et une voix lui dit: \u00abC\u2019\u00e9tait le si\u00e8ge d\u2019un des archanges\nd\u00e9chus; et maintenant nous le pr\u00e9parons pour l\u2019humble Fran\u00e7ois.\u00bb Alors,\ns\u2019\u00e9veillant, le fr\u00e8re demanda \u00e0 Fran\u00e7ois ce qu\u2019il pensait de lui-m\u00eame.\nEt Fran\u00e7ois: \u00abJe m\u2019apparais comme le plus grand des p\u00e9cheurs.\u00bb Aussit\u00f4t\nl\u2019Esprit-Saint dit \u00e0 l\u2019oreille du fr\u00e8re: \u00abReconnais combien \u00e9tait vraie\nta vision; car ce si\u00e8ge, perdu par l\u2019orgueil, sera gagn\u00e9 par\nl\u2019humilit\u00e9!\u00bb\nUne autre fois, Fran\u00e7ois lui-m\u00eame, \u00e9tant ravi en extase, vit au-dessus\nde sa t\u00eate un s\u00e9raphin crucifi\u00e9, qui lui imprima si profond\u00e9ment les\nsignes de la crucifixion que ce fut comme si Fran\u00e7ois avait \u00e9t\u00e9 vraiment\ncrucifi\u00e9. Et d\u00e9sormais le saint porta sur ses mains, ses pieds, et son\nc\u00f4t\u00e9, les stigmates de la croix; mais, dans son humilit\u00e9, il les cachait\navec tant de soin, que peu d\u2019hommes les virent avant sa mort, o\u00f9, au\ncontraire, tous purent les voir. Et la r\u00e9alit\u00e9 de ces stigmates\ns\u2019attesta encore par de nombreux miracles, parmi lesquels nous nous\nbornerons \u00e0 citer les deux suivants:\n1\u00ba Dans la Pouille, un homme appel\u00e9 Roger, \u00e9tant devant une image de\nsaint Fran\u00e7ois, se demanda si le miracle des stigmates \u00e9tait vrai, ou si\nce n\u2019\u00e9tait pas une pieuse illusion, ou m\u00eame une supercherie des fr\u00e8res.\nEt aussit\u00f4t, il entendit comme le bruit d\u2019une fl\u00e8che, et il se sentit la\nmain gauche travers\u00e9e, sous son gant; et en effet, quand il eut \u00f4t\u00e9 le\ngant, il vit que sa paume \u00e9tait gri\u00e8vement bless\u00e9e. Mais comme il se\nrepentait, et se jurait qu\u2019il ne cesserait plus d\u00e9sormais de croire aux\nstigmates de saint Fran\u00e7ois, sa blessure disparut peu de temps apr\u00e8s.\n2\u00ba Dans le royaume de Castille, un homme, qui se rendait en p\u00e8lerinage \u00e0\nune \u00e9glise de saint Fran\u00e7ois, tomba dans un pi\u00e8ge pr\u00e9par\u00e9 pour un autre\nhomme, et fut mortellement bless\u00e9. Or, au milieu de la nuit, comme la\ncloche des fr\u00e8res sonnait pour les matines, la femme du mort se mit \u00e0\ncrier: \u00abMon mari, l\u00e8ve-toi, et va aux matines, car la cloche t\u2019appelle!\u00bb\nEt aussit\u00f4t le mort fit un signe de la main comme pour demander qu\u2019on\nretir\u00e2t l\u2019\u00e9p\u00e9e qui lui traversait la gorge; et une main invisible retira\ncette \u00e9p\u00e9e et le mort se releva, enti\u00e8rement gu\u00e9ri. Et il dit: \u00abSaint\nFran\u00e7ois, venu \u00e0 mon secours, a appos\u00e9 ses stigmates sur mes blessures,\net, par leur contact, les a miraculeusement gu\u00e9ries. Puis, comme il\nvoulait repartir, je lui ai fait signe de retirer l\u2019\u00e9p\u00e9e que j\u2019avais\ndans la gorge, et qui m\u2019emp\u00eachait de parler!\u00bb\nSaint Fran\u00e7ois et saint Dominique, ces deux flambeaux du monde, se\nrencontr\u00e8rent \u00e0 Rome devant l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Ostie, qui devint plus tard\nsouverain pontife. Et l\u2019\u00e9v\u00eaque leur dit: \u00abPourquoi ne ferions-nous pas\nde vos fr\u00e8res des \u00e9v\u00eaques et des pr\u00e9lats, puisqu\u2019ils d\u00e9passent les\nautres fr\u00e8res par le savoir comme par l\u2019exemple?\u00bb Il y eut alors entre\nles deux saints une longue lutte d\u2019humilit\u00e9, car chacun d\u2019eux voulait\nlaisser \u00e0 l\u2019autre l\u2019honneur de r\u00e9pondre le premier. Enfin l\u2019humilit\u00e9 de\nFran\u00e7ois l\u2019emporta, car ce fut Dominique qui parla le premier; et\nl\u2019humilit\u00e9 de Dominique l\u2019emporta elle aussi, car ce fut par ob\u00e9issance\nqu\u2019il consentit \u00e0 parler. Donc il dit: \u00abSeigneur, mes fr\u00e8res sont \u00e9lev\u00e9s\nd\u00e9j\u00e0 \u00e0 un rang assez haut, par le seul fait de leur titre de fr\u00e8res; et\nje ne saurais permettre, quant \u00e0 moi, qu\u2019ils acceptassent une autre\nmarque de dignit\u00e9.\u00bb Puis Fran\u00e7ois, \u00e0 son tour, r\u00e9pondit: \u00abSeigneur, mes\nfr\u00e8res portent le nom de _mineurs_, pr\u00e9cis\u00e9ment afin qu\u2019ils n\u2019aient pas\nla pr\u00e9somption de se croira _majeurs_!\u00bb\nAvec sa simplicit\u00e9 de colombe, saint Fran\u00e7ois exhortait toutes les\ncr\u00e9atures \u00e0 l\u2019amour de Dieu. Il pr\u00eachait aux oiseaux, qui l\u2019\u00e9coutaient,\nse laissaient prendre par lui, ne s\u2019envolaient qu\u2019avec sa permission. A\nla Portioncule, tout pr\u00e8s de sa cellule, une cigale chantait; il \u00e9tendit\nla main vers elle et lui dit: \u00abMa s\u0153ur la cigale, viens ici!\u00bb Aussit\u00f4t\nla cigale grimpa sur sa main. Et lui: \u00abChante, ma s\u0153ur la cigale, et\nloue ton Cr\u00e9ateur!\u00bb Il se refusait \u00e0 souffler les lampes et les\nchandelles, ne voulant point profaner la lumi\u00e8re en y touchant. Il ne\nmarchait qu\u2019avec \u00e9gard sur les pierres, en consid\u00e9ration de l\u2019esprit\nqu\u2019il voyait en elles; il retirait de la route les vermisseaux, par\ncrainte qu\u2019ils ne fussent foul\u00e9s aux pieds des passants; il faisait\napporter du miel et du vin aux abeilles dans les rigueurs de l\u2019hiver. La\nvue du soleil, de la lune et des \u00e9toiles, le remplissait d\u2019une joie\nineffable; et il ne manquait jamais de les inviter \u00e0 l\u2019amour du\nCr\u00e9ateur. Un jour, traversant les marais de la V\u00e9n\u00e9tie, il trouva une\ngrande multitude d\u2019oiseaux qui chantaient; et il dit \u00e0 son compagnon:\n\u00abVoici nos s\u0153urs les avettes qui louent leur Cr\u00e9ateur! Allons au milieu\nd\u2019elles pour chanter nos heures!\u00bb Mais comme le chant des oiseaux\nl\u2019emp\u00eachait d\u2019entendre sa voix et celle de son compagnon, il leur dit:\n\u00abCh\u00e8res s\u0153urs, chantez moins fort, jusqu\u2019\u00e0 ce que nous ayons fini notre\noffice!\u00bb Et les oiseaux ob\u00e9irent; et, quand il eut achev\u00e9 ses laudes, il\nleur donna de nouveau la permission de chanter \u00e0 leur aise. Une autre\nfois, rencontrant sur la route une troupe d\u2019oiseaux, il les salua\ntendrement et leur dit: \u00abMes fr\u00e8res les oiseaux, vous avez bien des\nraisons de louer votre cr\u00e9ateur, qui vous a rev\u00eatus de plumes, vous a\ndonn\u00e9 des ailes pour voler, a fait pour vous la puret\u00e9 de l\u2019air, et\ngouverne votre vie sans vous en imposer le souci!\u00bb Aussit\u00f4t les oiseaux\ncommenc\u00e8rent \u00e0 tendre le cou vers lui, et l\u2019\u00e9cout\u00e8rent avec grande\nattention. Et pas un seul ne s\u2019envola avant qu\u2019il e\u00fbt achev\u00e9 de parler.\nIl avait une grave maladie d\u2019yeux, et l\u2019aggravait encore par ses larmes.\nEt comme ses fr\u00e8res l\u2019engageaient \u00e0 moins pleurer, pour \u00e9pargner sa vue,\nil leur dit: \u00abComment pourrais-je, par amour pour la lumi\u00e8re terrestre,\nqui nous est commune avec les mouches, renoncer au spectacle de la\nlumi\u00e8re \u00e9ternelle?\u00bb\nIl pr\u00e9f\u00e9rait s\u2019entendre bl\u00e2mer que louer; et il avait demand\u00e9 \u00e0 un de\nses fr\u00e8res que, d\u00e8s que le peuple faisait l\u2019\u00e9loge de sa saintet\u00e9, ce\nfr\u00e8re lui r\u00e9p\u00e9t\u00e2t dans l\u2019oreille les pires injures. Et comme ce fr\u00e8re,\nbien malgr\u00e9 lui, le traitait de rustre inutile et stupide, Fran\u00e7ois tout\njoyeux, lui disait: \u00abQue Dieu te b\u00e9nisse, car ce que tu dis l\u00e0 est bien\nvrai, et voil\u00e0 les choses que je m\u00e9rite d\u2019entendre!\u00bb Ce parfait\nserviteur de Dieu pr\u00e9f\u00e9rait aussi servir que commander, ob\u00e9ir\nqu\u2019ordonner. Il s\u2019\u00e9tait constitu\u00e9 un gardien, \u00e0 la volont\u00e9 duquel il se\nsoumettait aveugl\u00e9ment. Au fr\u00e8re qui l\u2019accompagnait dans sa route, il\navait toujours soin de promettre ob\u00e9issance; et c\u2019\u00e9tait toujours lui qui\nle servait.\nUn jour qu\u2019il passait par la Pouille, il trouva, \u00e0 terre, une bourse qui\nparaissait gonfl\u00e9e de deniers. Son compagnon voulait la ramasser, pour\nen distribuer le contenu aux pauvres, mais Fran\u00e7ois lui dit: \u00abMon cher\nfils, nous n\u2019avons pas le droit de prendre le bien d\u2019autrui!\u00bb Cependant,\ncomme le fr\u00e8re insistait, Fran\u00e7ois lui permit de prendre la bourse et de\nl\u2019ouvrir; et ils virent qu\u2019au lieu d\u2019argent elle contenait une grosse\nvip\u00e8re. Sur quoi le saint dit: \u00abL\u2019argent, pour les serviteurs de Dieu,\nn\u2019est jamais autre chose qu\u2019une vip\u00e8re venimeuse.\u00bb\nEtant l\u2019h\u00f4te d\u2019un habitant d\u2019Alexandrie, en Lombardie, cet homme lui\ndemanda que, pour observer le pr\u00e9cepte de l\u2019\u00e9vangile, il consent\u00eet \u00e0\nmanger tout ce qu\u2019on lui servirait. Le saint promit; et l\u2019h\u00f4te lui fit\nservir un magnifique chapon. Ce qu\u2019apprenant, un impie se pr\u00e9senta\ndevant eux, pendant qu\u2019ils mangeaient, et leur demanda l\u2019aum\u00f4ne au nom\nde Dieu. Saint Fran\u00e7ois lui fit aussit\u00f4t donner une part du chapon; et\nl\u2019impie, au lieu de la manger, la garda avec soin; puis, le lendemain,\npendant que le saint pr\u00eachait, il montra le morceau en disant: \u00abTenez,\nvoici de quoi se nourrit cet homme, que vous honorez comme un saint! Car\nc\u2019est lui-m\u00eame qui m\u2019a donn\u00e9, hier soir, ce reste de sa table!\u00bb Et il\nmontrait le morceau de chapon, mais la foule ne voyait qu\u2019un morceau de\npoisson, et l\u2019on traitait de fou l\u2019accusateur du saint. Et quand\ncelui-ci s\u2019aper\u00e7ut du miracle, tout honteux il demanda pardon; et\naussit\u00f4t la viande reprit sa forme premi\u00e8re.\nFran\u00e7ois voulait qu\u2019on trait\u00e2t avec un respect tout particulier les\nmains des pr\u00eatres, qui ont le pouvoir de transformer le pain en le corps\nde Dieu. Et il disait souvent: \u00abSi je rencontrais ensemble un grand\nsaint du ciel et un pauvre petit pr\u00eatre, je courrais d\u2019abord baiser les\nmains du pr\u00eatre, et je dirais au saint: \u00abAttends-moi un instant, saint\nLaurent, car les mains de cet homme produisent le Verbe vivant, et il\nfaut d\u2019abord que je leur fasse ma r\u00e9v\u00e9rence!\u00bb\nInnombrables sont les miracles qu\u2019il op\u00e9ra pendant sa vie. Le pain m\u00eame\nqu\u2019on lui apportait \u00e0 b\u00e9nir gu\u00e9rissait les malades. Il changeait l\u2019eau\nen vin, et tout malade qui go\u00fbtait de ce vin recouvrait la sant\u00e9. Et\nquand, apr\u00e8s une longue maladie, il sentit la mort s\u2019approcher, il se\nfit d\u00e9poser sur la terre nue, b\u00e9nit tous ses fr\u00e8res, et, en souvenir de\nla C\u00e8ne, partagea entre eux une bouch\u00e9e de pain. Il invitait la mort\nelle-m\u00eame \u00e0 louer Dieu avec lui, la saluant avec joie, et lui disant:\n\u00abBienvenue est ma s\u0153ur la mort!\u00bb C\u2019est ainsi qu\u2019il s\u2019endormit dans le\nSeigneur.\nUn fr\u00e8re nomm\u00e9 Augustin, qui cultivait le jardin du couvent, tomba\nmalade et perdit la parole. Mais tout \u00e0 coup il s\u2019\u00e9cria: \u00abAttends-moi,\nmon p\u00e8re, attends-moi! Je viens avec toi.\u00bb Et comme ses fr\u00e8res lui\ndemandaient ce qu\u2019il voulait dire, il r\u00e9pondit: \u00abNe voyez-vous pas notre\np\u00e8re Fran\u00e7ois, qui marche dans le ciel?\u00bb Et aussit\u00f4t, s\u2019endormant dans\nle Seigneur, il rejoignit son ma\u00eetre.\nUne femme, qui avait une pi\u00e9t\u00e9 sp\u00e9ciale pour saint Fran\u00e7ois mourut,\npendant que le clerg\u00e9 c\u00e9l\u00e9brait ses obs\u00e8ques, soudain elle se redressa\nsur son lit, et dit \u00e0 l\u2019un des pr\u00eatres: \u00abMon p\u00e8re, je veux me confesser.\nJ\u2019\u00e9tais morte, et j\u2019allais \u00eatre condamn\u00e9e \u00e0 la prison \u00e9ternelle, car\nj\u2019avais sur la conscience un p\u00e9ch\u00e9 dont je ne m\u2019\u00e9tais confess\u00e9e \u00e0\npersonne. Mais saint Fran\u00e7ois a daign\u00e9 prier pour moi, et a obtenu que\nje revinsse \u00e0 la vie pour r\u00e9v\u00e9ler mon p\u00e9ch\u00e9 et en recevoir mon pardon.\u00bb\nElle se confessa, re\u00e7ut l\u2019absolution et s\u2019endormit dans le Seigneur.\nUn paysan de Vicera, \u00e0 qui des fr\u00e8res franciscains demandaient une\ncharrue, leur r\u00e9pondit: \u00abPlut\u00f4t que de vous donner ma charrue,\nj\u2019aimerais mieux vous \u00e9corcher, et votre saint Fran\u00e7ois avec vous!\u00bb Peu\nde temps apr\u00e8s, le fils de cet homme tomba malade et mourut. Et son\np\u00e8re, se roulant \u00e0 terre, invoquait saint Fran\u00e7ois: \u00abC\u2019est moi qui ai\ncommis le p\u00e9ch\u00e9, c\u2019est moi que tu devais punir! Grand saint, rends \u00e0 un\npieux suppliant ce que tu as enlev\u00e9 \u00e0 l\u2019impie blasph\u00e9mateur!\u00bb Et\naussit\u00f4t le fils, ressuscit\u00e9, lui dit: \u00abQuand je suis mort, saint\nFran\u00e7ois m\u2019a conduit par un chemin long et sombre jusque dans une belle\nprairie; et puis il m\u2019a dit: \u00abRetourne maintenant chez ton p\u00e8re, mon\ncher enfant, je ne veux pas te retenir plus longtemps!\u00bb\nUn pauvre demandait \u00e0 un riche de lui prolonger le cr\u00e9dit d\u2019une dette,\npar amour pour saint Fran\u00e7ois. A quoi le riche r\u00e9pondit; \u00abJe\nt\u2019enfermerai dans un lieu o\u00f9 Fran\u00e7ois lui-m\u00eame ne pourra pas te venir en\naide.\u00bb Et il le fit jeter en prison. Mais, le soir m\u00eame, saint Fran\u00e7ois\napparut au prisonnier, brisa ses cha\u00eenes et le ramena dans sa maison.\nUn soldat, apr\u00e8s avoir d\u00e9pr\u00e9ci\u00e9 les miracles de saint Fran\u00e7ois pendant\nqu\u2019il jouait aux d\u00e9s, s\u2019\u00e9cria: \u00abSi Fran\u00e7ois est saint, que ces deux d\u00e9s\nam\u00e8nent donc le total 18!\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019un des deux d\u00e9s se trouva porter\n12 au lieu de 6, et neuf fois de suite ce miracle se renouvela. Mais le\nsoldat, aggravant son ancienne folie d\u2019une folie pire encore, s\u2019\u00e9cria:\n\u00abSi ce Fran\u00e7ois est vraiment un saint, je veux que mon corps tombe\naujourd\u2019hui perc\u00e9 d\u2019une \u00e9p\u00e9e!\u00bb Et, d\u00e8s que la partie fut finie, le neveu\nde cet homme, s\u2019\u00e9tant pris de querelle avec lui, tira son \u00e9p\u00e9e et lui en\ntransper\u00e7a le ventre, ce dont il mourut sur-le-champ.\nUn homme qu\u2019une paralysie emp\u00eachait de se mouvoir invoquait saint\nFran\u00e7ois, en disant: \u00abSecours-moi, saint Fran\u00e7ois, en souvenir de ma\nd\u00e9votion et des services que je t\u2019ai rendus; car autrefois je t\u2019ai port\u00e9\nsur mon \u00e2ne, j\u2019ai bais\u00e9 tes pieds et tes mains; et voici que je meurs\ndans de cruelles souffrances!\u00bb Aussit\u00f4t le saint, lui apparaissant, lui\ntoucha les jambes avec un b\u00e2ton qui avait la forme du T grec. Et le\nmalade recouvra la sant\u00e9, mais le signe du T grec resta \u00e0 jamais grav\u00e9\nsur sa peau. Or c\u2019\u00e9tait de ce signe que saint Fran\u00e7ois avait coutume de\nsigner ses lettres.\nDans la ville de Pomereto, en Pouille, une m\u00e8re, ayant perdu sa fille\nunique, invoquait en pleurant l\u2019aide de saint Fran\u00e7ois. Celui-ci lui\napparut et lui dit: \u00abNe pleure pas, car la lumi\u00e8re de sa lampe, que tu\ncrois \u00e9teinte, va se rallumer sur mon intercession!\u00bb La m\u00e8re, donc, ne\npermit point qu\u2019on emport\u00e2t le corps de sa fille et bient\u00f4t, prenant\ncelle-ci dans ses bras, elle la releva saine et sauve. Une autre fois, \u00e0\nRome, l\u2019intercession du saint rendit la vie \u00e0 un petit gar\u00e7on qui\ns\u2019\u00e9tait tu\u00e9 en tombant de la fen\u00eatre d\u2019un palais. A Suze, saint Fran\u00e7ois\nressuscita de la m\u00eame fa\u00e7on, pour r\u00e9pondre aux pri\u00e8res d\u2019une m\u00e8re, un\njeune homme qui \u00e9tait mort sous les d\u00e9combres d\u2019une maison, et qu\u2019on se\npr\u00e9parait d\u00e9j\u00e0 \u00e0 ensevelir.\nLe fr\u00e8re Jacques de Ri\u00e9ti, traversant un fleuve avec d\u2019autres fr\u00e8res, se\nnoya au moment o\u00f9 ses compagnons descendaient d\u00e9j\u00e0 sur le rivage. Les\nsurvivants invoqu\u00e8rent l\u2019aide de saint Fran\u00e7ois, et le noy\u00e9 lui-m\u00eame,\nd\u00e9j\u00e0 \u00e0 demi mort, l\u2019invoquait de son c\u00f4t\u00e9. Et voici que ses compagnons\nle virent marcher sur les vagues comme sur du sable, et ramener jusqu\u2019au\nrivage le bateau submerg\u00e9. Et ils virent m\u00eame que ses v\u00eatements \u00e9taient\nsecs, au point que pas une goutte d\u2019eau ne les avait mouill\u00e9s.\nCLXVIII\nSAINTE P\u00c9LAGIE, P\u00c9CHERESSE\n(8 octobre)\nP\u00e9lagie \u00e9tait une des femmes les plus nobles, les plus riches et les\nplus belles de la ville d\u2019Antioche. Ambitieuse et vaine, impudique de\ncorps et d\u2019\u00e2me, elle se promenait orgueilleusement par la ville, de\ntelle sorte qu\u2019on ne voyait rien sur elle que de l\u2019or, de l\u2019argent, et\ndes pierreries, et que, sur son passage, elle remplissait l\u2019air de\nparfums capiteux. Devant et derri\u00e8re elle, marchait une troupe nombreuse\nde jeunes hommes et de jeunes femmes, \u00e9galement v\u00eatus de robes\n\u00e9clatantes. Elle fut, un jour, rencontr\u00e9e, en cet \u00e9quipage, par un saint\nhomme nomm\u00e9 N\u00e9ron, \u00e9v\u00eaque d\u2019H\u00e9liopolis, qui s\u2019appelle aujourd\u2019hui\nDamiette. Et N\u00e9ron, voyant qu\u2019elle avait plus de souci de plaire au\nmonde que lui-m\u00eame n\u2019en avait de plaire \u00e0 Dieu, se mit \u00e0 pleurer. Puis,\nse jetant sur le pav\u00e9, il frappait son visage contre terre, priant Dieu\nde lui pardonner. Et il dit \u00e0 ceux qui \u00e9taient avec lui: \u00abEn v\u00e9rit\u00e9 je\nvous le dis, Dieu produira cette femme contre nous au jour du jugement:\ncar elle met plus de soin \u00e0 s\u2019orner pour plaire \u00e0 ses amants terrestres\nque nous n\u2019en mettons \u00e0 orner nos \u00e2mes pour plaire \u00e0 l\u2019\u00e9poux c\u00e9leste!\u00bb\nApr\u00e8s quoi il s\u2019endormit, et eut un r\u00eave. Il se vit c\u00e9l\u00e9brant la messe,\net autour de lui volait une colombe noire et puante. Il ordonna \u00e0 ses\ncat\u00e9chum\u00e8nes de la chasser, et la colombe disparut; mais apr\u00e8s la messe\nelle revint, et lui-m\u00eame la plongea dans un vase d\u2019eau, d\u2019o\u00f9 elle sortit\ntoute blanche et toute parfum\u00e9e; et elle s\u2019envola si haut qu\u2019on la\nperdit de vue. Ayant fait ce r\u00eave, N\u00e9ron s\u2019\u00e9veilla. Or, un jour qu\u2019il\npr\u00eachait dans l\u2019\u00e9glise en pr\u00e9sence de P\u00e9lagie, celle-ci fut si touch\u00e9e\nqu\u2019elle lui envoya le message suivant: \u00abAu saint \u00e9v\u00eaque, disciple du\nChrist, P\u00e9lagie, disciple du diable! Si tu es vraiment le disciple du\nChrist, qui, \u00e0 ce que l\u2019on dit, est descendu du ciel pour les p\u00e9cheurs,\ndaigne m\u2019accueillir, moi qui suis une p\u00e9cheresse, mais qui me repens!\u00bb\nL\u2019\u00e9v\u00eaque lui r\u00e9pondit: \u00abPar gr\u00e2ce, ne tente pas mon humilit\u00e9, car je\nsuis homme, et p\u00e9cheur! Mais si vraiment tu d\u00e9sires \u00eatre sauv\u00e9e, viens\nme voir non pas seul, mais parmi les fid\u00e8les!\u00bb Et elle vint vers lui, en\npr\u00e9sence de la foule, et se jeta \u00e0 ses pieds, et lui dit en pleurant:\n\u00abJe suis P\u00e9lagie, plage d\u2019iniquit\u00e9, toute ruisselante du flot de mes\np\u00e9ch\u00e9s, je suis un ab\u00eeme de perdition, je suis un pi\u00e8ge d\u2019\u00e2mes; mais \u00e0\npr\u00e9sent j\u2019ai horreur de tout cela!\u00bb L\u2019\u00e9v\u00eaque lui demanda son nom. Et\nelle: \u00abA ma naissance je fus appel\u00e9e P\u00e9lagie, mais l\u2019\u00e9clat de mes\nv\u00eatements m\u2019a fait donner le surnom de Marguerite.\u00bb Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque la\nre\u00e7ut avec bont\u00e9, lui imposa une p\u00e9nitence, l\u2019instruisit dans la crainte\nde Dieu et la r\u00e9g\u00e9n\u00e9ra par le saint bapt\u00eame.\nOr, une nuit, pendant que P\u00e9lagie dormait, le diable vint la r\u00e9veiller\net lui dit: \u00abMa ch\u00e8re Marguerite, pourquoi m\u2019as-tu abandonn\u00e9, moi qui\nt\u2019ai toujours orn\u00e9e de gloire et de richesse?\u00bb P\u00e9lagie fit le signe de\nla croix, souffla sur le diable et le mit en fuite. Le lendemain, elle\nrassembla tout ce qu\u2019elle poss\u00e9dait et le distribua aux pauvres. Apr\u00e8s\nquoi, sans pr\u00e9venir personne, elle s\u2019enfuit \u00e0 J\u00e9rusalem. L\u00e0, prenant\nl\u2019habit d\u2019un ermite, elle s\u2019installa dans une cellule, sur le mont des\nOliviers. Et elle servait Dieu dans l\u2019abstinence, et bient\u00f4t elle devint\nc\u00e9l\u00e8bre dans toute la r\u00e9gion, sous le nom de fr\u00e8re P\u00e9lage. Or, un diacre\nde l\u2019\u00e9v\u00eaque N\u00e9ron \u00e9tant venu \u00e0 J\u00e9rusalem pour visiter les lieux saints,\nl\u2019\u00e9v\u00eaque de J\u00e9rusalem lui parla d\u2019un saint ermite nomm\u00e9 Pelage, et\nl\u2019engagea \u00e0 aller le voir. Et P\u00e9lagie aussit\u00f4t le reconnut, tandis que\nlui ne la reconnaissait point, amaigrie et chang\u00e9e comme elle l\u2019\u00e9tait.\nEt elle lui dit: \u00abL\u2019\u00e9v\u00eaque N\u00e9ron vit-il encore?\u00bb Et lui: \u00abOui.\u00bb Et elle:\n\u00abQu\u2019il prie le Seigneur pour moi, car c\u2019est vraiment un ap\u00f4tre du\nChrist!\u00bb Le lendemain, le diacre revint la voir; mais, comme il frappait\n\u00e0 sa porte sans obtenir de r\u00e9ponse, il ouvrit la fen\u00eatre de la cellule,\net vit que le fr\u00e8re Pelage \u00e9tait mort. Il courut annoncer la chose \u00e0\nl\u2019\u00e9v\u00eaque, qui vint, avec son clerg\u00e9 et ses moines, pour ensevelir le\nsaint ermite. Et voil\u00e0 qu\u2019en retirant de la cellule le cadavre du\nd\u00e9funt, on d\u00e9couvrit que celui-ci \u00e9tait une femme! Sainte P\u00e9lagie mourut\nle 8 octobre de l\u2019an du Seigneur 290.\nCXLIX\nSAINTE MARGUERITE, VIERGE\n(8 octobre)\nMarguerite \u00e9tait une vierge tr\u00e8s belle, tr\u00e8s noble et tr\u00e8s riche. Elle\nfut \u00e9lev\u00e9e par ses parents dans un tel amour des bonnes m\u0153urs et de la\npudeur qu\u2019elle s\u2019effor\u00e7ait, autant que possible, de se d\u00e9rober aux\nregards des hommes. Elle fut enfin demand\u00e9e en mariage par un jeune\nnoble; et, comme les deux familles consentaient \u00e0 cette union, le jour\ndes noces fut d\u00e9cid\u00e9. Mais, ce jour-l\u00e0, pendant que toute la noblesse de\nla ville c\u00e9l\u00e9brait joyeusement la f\u00eate nuptiale, la jeune fianc\u00e9e,\nprostern\u00e9e \u00e0 terre et toute en larmes, songea avec \u00e9pouvante \u00e0 l\u2019ordure\nqu\u2019\u00e9taient toutes les joies de cette vie en comparaison de la perte de\nsa virginit\u00e9. Aussi se refusa-t-elle aux caresses de son mari; et, quand\ncelui-ci se fut endormi, elle coupa ses cheveux, prit un v\u00eatement\nd\u2019homme, et s\u2019enfuit. Apr\u00e8s avoir longtemps march\u00e9, elle se r\u00e9fugia dans\nun monast\u00e8re o\u00f9 elle devint moine sous le nom de Fr\u00e8re P\u00e9lage. Et telle\nfut la saintet\u00e9 de ses m\u0153urs que, sur l\u2019ordre de son abb\u00e9, et malgr\u00e9 sa\nr\u00e9sistance, elle dut se r\u00e9signer \u00e0 devenir le sup\u00e9rieur d\u2019un couvent de\nnonnes. Alors le diable, jaloux d\u2019elle, chercha un moyen de la perdre.\nIl poussa une des religieuses \u00e0 commettre le p\u00e9ch\u00e9 de chair; et quand la\ncoupable se trouva forc\u00e9e d\u2019avouer sa grossesse, religieuses et moines,\nconstern\u00e9s, furent unanimes \u00e0 consid\u00e9rer comme son s\u00e9ducteur le Fr\u00e8re\nP\u00e9lage, celui-ci \u00e9tant le seul homme qui v\u00e9c\u00fbt aupr\u00e8s d\u2019elle. Marguerite\nfut donc chass\u00e9e ignominieusement du monast\u00e8re et enferm\u00e9e dans une\ngrotte, o\u00f9 on lui apportait, de temps \u00e0 autre, un pain d\u2019orge et une\ncruche d\u2019eau. Mais elle, supportant cette \u00e9preuve avec patience, ne\ncessait point de rendre gr\u00e2ces \u00e0 Dieu. Enfin, lorsqu\u2019elle se sentit sur\nle point de mourir, elle \u00e9crivit \u00e0 l\u2019abb\u00e9 et aux moines: \u00abDe naissance\nnoble, je portais dans le si\u00e8cle le nom de Marguerite; mais j\u2019ai pris le\nnom de P\u00e9lage parce que j\u2019ai travers\u00e9 la plage des tentations. Je\ndemande maintenant que mes saintes s\u0153urs m\u2019ensevelissent, afin que les\nfemmes reconnaissent une vierge en celle que les calomniateurs ont fait\npasser pour un d\u00e9bauch\u00e9!\u00bb Au re\u00e7u de cette lettre, les religieuses\ncoururent \u00e0 la grotte de l\u2019ermite; elles reconnurent que le Fr\u00e8re P\u00e9lage\n\u00e9tait une femme, une pure vierge; et elle fut ensevelie avec honneur\ndans le couvent de femmes qu\u2019elle avait dirig\u00e9; et religieuses et moines\nfirent p\u00e9nitence de l\u2019injuste traitement qu\u2019elle avait subi.\nCL\nSAINTE THA\u00cfS, COURTISANE\n(8 octobre)\nLa courtisane Tha\u00efs \u00e9tait si belle que beaucoup d\u2019hommes, ayant vendu\ntous leurs biens par amour pour elle, s\u2019\u00e9taient vus r\u00e9duits \u00e0 l\u2019extr\u00eame\nmis\u00e8re, et que le seuil de sa maison \u00e9tait arros\u00e9 du sang de ses amants,\npouss\u00e9s par leur jalousie \u00e0 s\u2019entretuer. Ce qu\u2019apprenant, le solitaire\nPaphnuce se procura une pi\u00e8ce d\u2019argent, rev\u00eatit un habit s\u00e9culier, et se\nrendit dans la ville d\u2019Egypte o\u00f9 demeurait la courtisane: apr\u00e8s quoi il\nremit \u00e0 celle-ci sa pi\u00e8ce d\u2019argent, comme afin de pouvoir p\u00e9cher avec\nelle. Et Tha\u00efs, ayant re\u00e7u la pi\u00e8ce d\u2019argent, lui dit: \u00abEntrons dans ma\nchambre!\u00bb Paphnuce entra dans cette chambre, o\u00f9 il y avait un lit tout\ncouvert d\u2019\u00e9toffes de prix. Mais comme la courtisane l\u2019invitait \u00e0 monter\nsur ce lit, il lui dit: \u00abSi tu as une autre chambre, plus retir\u00e9e,\nallons plut\u00f4t l\u00e0!\u00bb Elle le conduisit dans plusieurs autres chambres;\nmais toujours il disait qu\u2019il avait peur d\u2019\u00eatre vu. Alors Tha\u00efs: \u00abJ\u2019ai\ndans ma maison une chambre o\u00f9 personne ne peut entrer; mais si c\u2019est\nDieu que tu crains, il n\u2019y a pas de lieu au monde o\u00f9 tu puisses te\nd\u00e9rober \u00e0 ses regards!\u00bb Et Paphnuce: \u00abTu sais donc que Dieu existe?\u00bb\nElle r\u00e9pondit qu\u2019elle le savait, qu\u2019elle connaissait aussi la vie future\net le ch\u00e2timent des p\u00e9cheurs. Alors Paphnuce: \u00abSi tu connais tout cela,\npourquoi as-tu caus\u00e9 la perte de tant d\u2019\u00e2mes? Tu auras \u00e0 rendre compte \u00e0\nDieu de toutes ces \u00e2mes, en m\u00eame temps que de la tienne: et s\u00fbrement tu\nseras damn\u00e9e!\u00bb Ce qu\u2019entendant, Tha\u00efs se jeta aux pieds du solitaire,\nfondit en larmes, et s\u2019\u00e9cria: \u00abMais je sais aussi qu\u2019on peut se\nrepentir, mon p\u00e8re, et j\u2019ai confiance dans ta pri\u00e8re pour m\u2019obtenir la\nremise de mes p\u00e9ch\u00e9s! Accorde-moi seulement trois heures de d\u00e9lai, et,\napr\u00e8s cela, j\u2019irai o\u00f9 tu m\u2019ordonneras d\u2019aller, et je ferai ce que tu\nm\u2019ordonneras de faire!\u00bb Elle profita de ce d\u00e9lai pour recueillir tous\nles richesses qu\u2019elle avait gagn\u00e9es par ses p\u00e9ch\u00e9s, et, les transportant\nsur la grande place, en pr\u00e9sence de la foule, elle y mit le feu, et elle\ndisait: \u00abVenez tous, vous qui avez p\u00e9ch\u00e9 avec moi, et voyez ce que je\nfais de vos pr\u00e9sents!\u00bb Puis, quand elle eut tout br\u00fbl\u00e9 (et il y avait l\u00e0\ndes objets dont l\u2019ensemble valait 400 livres d\u2019or) elle rejoignit\nPaphnuce, qui la conduisit dans un couvent de femmes. Il l\u2019enferma dans\nune \u00e9troite cellule, en mura la porte, et ne laissa qu\u2019une petite\nfen\u00eatre par o\u00f9 l\u2019on devait, tous les jours, lui apporter un peu de pain\net d\u2019eau. Et comme ensuite il se retirait, elle lui dit: \u00abQue\nm\u2019ordonnes-tu, mon p\u00e8re, au sujet de l\u2019endroit o\u00f9 je devrai uriner et\nd\u00e9poser mes excr\u00e9ments?\u00bb Et Paphnuce: \u00abTu feras tout cela dans ta\ncellule, ainsi que tu le m\u00e9rites!\u00bb Elle lui demanda ensuite comment elle\ndevait prier. Et lui: \u00abTu n\u2019es pas digne de prononcer le nom de Dieu, ni\nde lever les mains au ciel, car tes mains et les l\u00e8vres sont pleines\nd\u2019impuret\u00e9. Tu te borneras donc \u00e0 te prosterner du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019Orient, et\n\u00e0 r\u00e9p\u00e9ter toujours cette phrase: \u00abToi qui m\u2019as cr\u00e9\u00e9e, aie piti\u00e9 de moi!\u00bb\nApr\u00e8s que Tha\u00efs fut ainsi rest\u00e9e enferm\u00e9e pendant trois ans, Paphnuce\neut piti\u00e9 d\u2019elle et vint trouver saint Antoine, pour lui demander si\nDieu n\u2019avait pas encore remis les p\u00e9ch\u00e9s de la p\u00e9nitente. Antoine r\u00e9unit\nalors ses disciples, et leur enjoignit de rester en oraison, chacun de\nson c\u00f4t\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 ce que Dieu r\u00e9v\u00e9l\u00e2t \u00e0 l\u2019un d\u2019eux l\u2019objet de la visite\ndu solitaire Paphnuce. Et comme les disciples \u00e9taient en oraison, l\u2019un\nd\u2019eux, Paul, vit au ciel un grand lit couvert d\u2019\u00e9toffes pr\u00e9cieuses, et\ngard\u00e9 par trois vierges au visage rayonnant. Ces trois vierges \u00e9taient\nla peur des ch\u00e2timents futurs, la honte des p\u00e9ch\u00e9s commis et la passion\nde la justice de Dieu. Et comme Paul disait \u00e0 ces trois vierges que ce\nlit \u00e9tait sans doute r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 Antoine, une voix d\u2019en haut lui r\u00e9pondit:\n\u00abNon, ce lit n\u2019est point pour ton p\u00e8re Antoine, mais pour la courtisane\nTha\u00efs!\u00bb Le lendemain, Paul s\u2019empressa de raconter sa vision; et\nPaphnuce, d\u00e9couvrant ainsi la volont\u00e9 du ciel, s\u2019empressa d\u2019aller au\nmonast\u00e8re pour ouvrir la cellule de la p\u00e9nitente. Mais celle-ci le\nsuppliait de la laisser enferm\u00e9e. Et il lui dit: \u00abSors de l\u00e0, car Dieu\nt\u2019a remis tes p\u00e9ch\u00e9s. Il te les a remis non seulement \u00e0 cause de la\np\u00e9nitence, mais parce que tu as toujours gard\u00e9 sa crainte au fond de ton\n\u00e2me!\u00bb Elle v\u00e9cut encore quinze jours, et s\u2019endormit en paix.\nUn autre solitaire nomm\u00e9 Ephrem, voulut convertir de la m\u00eame fa\u00e7on une\nautre courtisane. Comme celle-ci essayait impudemment de l\u2019inciter au\np\u00e9ch\u00e9, il lui dit: \u00abSuis-moi!\u00bb Apr\u00e8s quoi il la conduisit dans un lieu\no\u00f9 se trouvait une grande foule, et il lui dit: \u00abCouche-toi, pour que je\nm\u2019unisse \u00e0 toi!\u00bb Et elle: \u00abComment pourrais-je faire cela, quand toute\ncette foule me regarde?\u00bb Et Ephrem: \u00abSi tu rougis d\u2019\u00eatre vue par des\nhommes, ne devrais-tu pas rougir bien plus encore devant ton Cr\u00e9ateur,\ndont le regard p\u00e9n\u00e8tre jusqu\u2019au plus profond des t\u00e9n\u00e8bres?\u00bb Alors la\ncourtisane, toute confuse, s\u2019enfuit.\nCLI\nSAINTS DENIS, RUSTIQUE ET \u00c9LEUTH\u00c8RE, MARTYRS\n(9 octobre)\nI. Denis l\u2019Ar\u00e9opagite fut converti \u00e0 la foi du Christ par l\u2019ap\u00f4tre saint\nPaul. Son surnom d\u2019Ar\u00e9opagite lui venait du nom d\u2019un faubourg d\u2019Ath\u00e8nes\no\u00f9 il demeurait, et qui s\u2019appelait Ar\u00e9opage, c\u2019est-\u00e0-dire faubourg de\nMars, parce qu\u2019on y voyait un temple du dieu Mars. Dans ce faubourg, qui\n\u00e9tait la demeure favorite des savants, Denis se livrait \u00e0 l\u2019\u00e9tude de la\nphilosophie; et on l\u2019appelait aussi le Th\u00e9osophe, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019homme\nvers\u00e9 dans la science de Dieu. Et il avait avec lui un compagnon\nd\u2019\u00e9tudes nomm\u00e9 Apollophane. Or, le jour de la passion du Christ, la\nville d\u2019Ath\u00e8nes, de m\u00eame que le monde entier, fut soudain remplie d\u2019une\n\u00e9paisse t\u00e9n\u00e8bre; et les savants d\u2019Ath\u00e8nes ne parvenaient pas \u00e0 d\u00e9couvrir\nla cause naturelle de ce fait \u00e9trange, tout \u00e0 fait diff\u00e9rent des\n\u00e9clipses ordinaires. Ajoutons, \u00e0 ce propos, que de nombreux t\u00e9moignages\nattestent l\u2019universalit\u00e9 de la soudaine t\u00e9n\u00e8bre qui suivit la mort du\nSeigneur. Elle fut constat\u00e9e en Gr\u00e8ce comme \u00e0 Rome, et dans l\u2019Asie\nMineure. Et l\u2019on raconte que Denis, en pr\u00e9sence de ce ph\u00e9nom\u00e8ne, aurait\ndit \u00e0 ses compatriotes: \u00abCette nuit nouvelle pr\u00e9sage le prochain\nav\u00e8nement d\u2019une lumi\u00e8re nouvelle, dont le monde entier sera illumin\u00e9.\u00bb\nSur quoi les Ath\u00e9niens \u00e9lev\u00e8rent un autel o\u00f9 ils mirent cette\ninscription: _Au Dieu inconnu_.\nEt lorsque saint Paul vint \u00e0 Ath\u00e8nes, il vit cet autel et s\u2019\u00e9cria: \u00abCe\nDieu que vous adorez sans le conna\u00eetre, je suis venu vous le r\u00e9v\u00e9ler!\u00bb\nPuis, s\u2019adressant \u00e0 Denis comme au plus savant des philosophes, il lui\ndemanda qui \u00e9tait ce Dieu inconnu. Et Denis: \u00abC\u2019est le seul vrai Dieu,\nmais il se cache \u00e0 nous et nous est inconnu.\u00bb Et saint Paul: \u00abCe Dieu\nest celui que je viens vous r\u00e9v\u00e9ler, celui qui a cr\u00e9\u00e9 le ciel et la\nterre, et qui a rev\u00eatu la forme humaine, et a subi la mort, et est\nressuscit\u00e9 le troisi\u00e8me jour.\u00bb Et, comme Denis continuait a discuter\navec Paul, un aveugle vint \u00e0 passer pr\u00e8s d\u2019eux. Alors Denis dit \u00e0 Paul:\n\u00abSi, au nom de ton Dieu, tu dis \u00e0 cet aveugle de recouvrer la vue, et\ns\u2019il la recouvre, je me convertirai aussit\u00f4t \u00e0 ta foi. Mais afin que tu\nne puisses pas employer de formule magique, je te dicterai moi-m\u00eame la\nformule que tu devras employer pour gu\u00e9rir cet aveugle au nom de ton\nma\u00eetre J\u00e9sus!\u00bb Alors Paul, pour \u00e9carter tout soup\u00e7on, dit \u00e0 Denis de\nprononcer lui-m\u00eame les paroles qu\u2019il voulait lui dicter, et qui \u00e9taient\ncelles-ci: \u00abAu nom de J\u00e9sus-Christ, n\u00e9 d\u2019une vierge, puis crucifi\u00e9, puis\nressuscit\u00e9 des morts et mont\u00e9 au ciel, recouvre la vue!\u00bb Et d\u00e8s que\nDenis eut prononc\u00e9 ces paroles, aussit\u00f4t l\u2019aveugle fut gu\u00e9ri de sa\nc\u00e9cit\u00e9. Alors Denis re\u00e7ut le bapt\u00eame, avec sa femme Damaris, et toute sa\nmaison. Saint Paul l\u2019instruisit ensuite, pendant trois ans, des v\u00e9rit\u00e9s\nde la la foi; et il finit par l\u2019ordonner \u00e9v\u00eaque d\u2019Ath\u00e8nes. Et Denis, par\nl\u2019ardeur de sa pr\u00e9dication, convertit \u00e0 la foi chr\u00e9tienne sa ville\nnatale, ainsi que la plus grande partie de la r\u00e9gion environnante.\nIl nous donne \u00e0 entendre lui-m\u00eame, dans ses livres, que c\u2019est \u00e0 lui que\nsaint Paul a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 ce qu\u2019il a vu lorsque, dans son ravissement, il a\n\u00e9t\u00e9 transport\u00e9 au troisi\u00e8me ciel. Et le fait est que Denis nous a\nd\u00e9crit, avec une clart\u00e9 et une abondance parfaites, la hi\u00e9rarchie des\nanges, leurs ordres, dispositions et offices. Il nous parle de tout cela\ncomme si, au lieu de l\u2019avoir appris d\u2019une autre bouche, lui-m\u00eame avait\n\u00e9t\u00e9 ravi au troisi\u00e8me ciel. Et il eut aussi le don de proph\u00e9tie, ainsi\nque nous le voyons par la lettre qu\u2019il \u00e9crivit \u00e0 l\u2019\u00e9vang\u00e9liste Jean,\nexil\u00e9 dans l\u2019\u00eele de Pathmos. Il lui disait, dans cette lettre:\n\u00abR\u00e9jouis-toi, fr\u00e8re bien-aim\u00e9, car tu seras d\u00e9livr\u00e9 de ton exil de\nPathmos, et tu retourneras sur la terre d\u2019Asie, et tu y laisseras \u00e0 ceux\nqui viendront apr\u00e8s toi le souvenir de la fa\u00e7on dont tu auras imit\u00e9\nl\u2019exemple du Christ!\u00bb Et il nous apprend aussi, dans son livre sur les\nnoms divins, qu\u2019il fut un de ceux qui assist\u00e8rent au dernier sommeil de\nla sainte Vierge.\nLorsqu\u2019il apprit que saint Pierre et saint Paul \u00e9taient tenus en prison\n\u00e0 Rome, sous N\u00e9ron, il nomma un autre \u00e9v\u00eaque \u00e0 sa place et se mit en\nroute pour aller voir les deux saints. Et lorsque ceux-ci eurent rendu\nleurs \u00e2mes \u00e0 Dieu, le pape Cl\u00e9ment envoya Denis en France, lui donnant\npour compagnons Rustique et Eleuth\u00e8re.\nDenis se rendit alors \u00e0 Paris o\u00f9 il fit de nombreuses conversions, \u00e9leva\nplusieurs \u00e9glises et ordonna bon nombre de pr\u00eatres. Et telle \u00e9tait la\ngr\u00e2ce c\u00e9leste qui brillait en lui que, souvent, comme le peuple\ns\u2019\u00e9lan\u00e7ait vers lui pour l\u2019attaquer, \u00e0 l\u2019instigation des pr\u00eatres des\nidoles, les assaillants sentaient toute leur fureur s\u2019\u00e9vanouir d\u00e8s\nqu\u2019ils se trouvaient en pr\u00e9sence de lui. Les uns se prosternaient \u00e0 ses\npieds; les autres, effray\u00e9s, prenaient la fuite. Mais le diable, furieux\nde voir son culte diminuer de jour en jour; inspira \u00e0 l\u2019empereur\nDomitien la pens\u00e9e inhumaine d\u2019ordonner que quiconque d\u00e9couvrirait un\nchr\u00e9tien serait tenu de le faire sacrifier aux idoles, sous peine d\u2019\u00eatre\nlui-m\u00eame s\u00e9v\u00e8rement puni. Et un pr\u00e9fet nomm\u00e9 Fescennius fut envoy\u00e9 de\nRome contre les chr\u00e9tiens de Paris. Ce pr\u00e9fet, ayant trouv\u00e9 Denis occup\u00e9\n\u00e0 pr\u00eacher devant le peuple, ordonna de l\u2019arr\u00eater, de le garrotter avec\nune grosse corde et de l\u2019amener \u00e0 son pr\u00e9toire, en compagnie des deux\nsaints Rustique et Eleuth\u00e8re.\nPendant que les trois saints, en pr\u00e9sence du pr\u00e9fet, proclamaient\ncourageusement leur foi, arriva certaine dame noble qui affirma que son\nmari avait \u00e9t\u00e9 s\u00e9duit par les trois imposteurs. Le pr\u00e9fet manda aussit\u00f4t\nce mari, qui, pers\u00e9v\u00e9rant dans sa foi, fut mis \u00e0 mort sur-le-champ.\nQuant aux trois saints, ils furent flagell\u00e9s par douze soldats, charg\u00e9s\nde cha\u00eenes et jet\u00e9s en prison. Le lendemain, Denis fut \u00e9tendu, nu, sur\nun gril enflamm\u00e9. Et lui, au milieu de ses souffrances, rendait gr\u00e2ce \u00e0\nDieu. Il fut ensuite donn\u00e9 en p\u00e2ture \u00e0 des b\u00eates f\u00e9roces, dont on avait\nexcit\u00e9 la faim par un je\u00fbne prolong\u00e9. Mais, au moment o\u00f9 ces animaux\ns\u2019\u00e9lan\u00e7aient sur lui, il fit sur eux le signe de la croix; et eux, tout\nde suite, l\u2019entour\u00e8rent doucement, comme des agneaux. Le pr\u00e9fet le fit\nalors mettre en croix, puis, apr\u00e8s l\u2019avoir longtemps tortur\u00e9, le fit\nreconduire en prison avec d\u2019autres chr\u00e9tiens. Et l\u00e0, pendant que Denis\nc\u00e9l\u00e9brait la messe, J\u00e9sus lui apparut, entour\u00e9 d\u2019une immense lumi\u00e8re, et\nlui dit, en lui offrant un pain: \u00abPrends ceci, mon fils, en t\u00e9moignage\nde la reconnaissance qui t\u2019est due!\u00bb Le lendemain, apr\u00e8s d\u2019autres\nsupplices, les trois saints eurent la t\u00eate tranch\u00e9e \u00e0 coups de hache,\ndevant l\u2019idole du dieu Mercure. Mais aussit\u00f4t le corps de saint Denis se\nredressa, prit dans ses mains sa t\u00eate coup\u00e9e, et, sous la conduite d\u2019un\nange, marcha pendant deux milles, depuis la colline de Montmartre,\nc\u2019est-\u00e0-dire mont des martyrs, jusqu\u2019au lieu o\u00f9 reposent aujourd\u2019hui ses\nrestes par le fait de son propre choix et de la providence divine.\nEt aussit\u00f4t s\u2019\u00e9leva dans ce lieu une musique d\u2019anges si harmonieuse que,\nparmi la foule de ceux qui l\u2019entendirent, la femme du pr\u00e9fet Lisbius,\nnomm\u00e9e Laertia, se proclama chr\u00e9tienne, ce qui lui valut d\u2019\u00eatre\nd\u00e9capit\u00e9e, et de recevoir ainsi le bapt\u00eame du sang. Le fils de cette\nfemme, nomm\u00e9 Vibius, apr\u00e8s avoir servi \u00e0 Rome sous trois empereurs, se\nfit baptiser en revenant \u00e0 Paris et adopta la vie religieuse.\nLes infid\u00e8les, craignant que les chr\u00e9tiens n\u2019ensevelissent les corps des\nsaints Rustique et Eleuth\u00e8re, enjoignirent qu\u2019ils fussent jet\u00e9s dans la\nSeine. Mais une femme noble invita \u00e0 sa table les porteurs des deux\ncorps; puis, pendant qu\u2019ils mangeaient, elle leur d\u00e9roba les corps et\nles fit ensevelir secr\u00e8tement dans son champ, o\u00f9 ils rest\u00e8rent jusqu\u2019\u00e0\nce que, la pers\u00e9cution ayant cess\u00e9, on p\u00fbt les r\u00e9unir au corps de saint\nDenis. Les trois saints subirent le martyre sous le r\u00e8gne de Domitien,\nen l\u2019an du Seigneur 96. Saint Denis \u00e9tait alors \u00e2g\u00e9 de quatre-vingt-dix\nans.\nII. Sous le r\u00e8gne de Louis, fils de Charlemagne, des envoy\u00e9s de\nl\u2019empereur de Constantinople, Michel, apport\u00e8rent \u00e0 la cour de France,\nentre autres pr\u00e9sents, une traduction latine du livre de saint Denis sur\nla _Hi\u00e9rarchie_; et, la nuit suivante, dix-neuf malades se trouv\u00e8rent\ngu\u00e9ris dans l\u2019\u00e9glise du saint.\nIII. Un jour que l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Arles, saint Rieul, c\u00e9l\u00e9brait la messe dans\nsa cath\u00e9drale, il joignit aux noms des ap\u00f4tres ceux \u00abdes bienheureux\nmartyrs Denis, Rustique et Eleuth\u00e8re\u00bb. Apr\u00e8s quoi lui-m\u00eame et les\nassistants furent tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9s de ce qu\u2019il avait dit, car personne ne\nconnaissait encore le martyre des trois saints. Et voil\u00e0 que trois\ncolombes descendirent sur la croix de l\u2019autel, qui portaient \u00e9crits sur\nleurs poitrines, en lettres de sang, les noms des trois saints. Et ainsi\ntous comprirent que les \u00e2mes des saints s\u2019\u00e9taient enfuies de leurs\ncorps.\nIV. En l\u2019an du Seigneur 644, le roi de France Dagobert, qui avait d\u00e8s\nl\u2019enfance une grande v\u00e9n\u00e9ration pour saint Denis, mourut. Et un saint\nhomme vit alors, dans un r\u00eave, que l\u2019\u00e2me du roi \u00e9tait emport\u00e9e au ciel\npour \u00eatre jug\u00e9e, et que bon nombre de saints lui reprochaient les maux\ncaus\u00e9s par lui \u00e0 leurs \u00e9glises. Et comme d\u00e9j\u00e0 les mauvais anges\ns\u2019appr\u00eataient \u00e0 mener l\u2019\u00e2me en enfer, survint saint Denis, qui interc\u00e9da\npour elle et obtint sa lib\u00e9ration. On ajoute m\u00eame que l\u2019\u00e2me de Dagobert\nserait alors rentr\u00e9e dans son corps afin de pouvoir faire p\u00e9nitence. Au\ncontraire le roi Clovis, ayant ouvert irrespectueusement le cercueil du\nsaint, et lui ayant bris\u00e9 un os du bras, ne tarda pas \u00e0 mourir dans un\nacc\u00e8s de d\u00e9mence.\nV. Enfin nous devons signaler que Hincmar, \u00e9v\u00eaque de Reims, et aussi\nJean Scot, dans leurs lettres \u00e0 Charlemagne, attestent tous deux que\nsaint Denis, l\u2019ap\u00f4tre des Gaules, \u00e9tait bien le m\u00eame homme que Denis\nl\u2019Ar\u00e9opagite: c\u2019est donc \u00e0 tort que d\u2019aucuns l\u2019ont ni\u00e9, se fondant sur\nune pr\u00e9tendue contradiction des dates.\nCLII\nSAINT CALIXTE, PAPE ET MARTYR\n(14 octobre)\nLe pape Calixte souffrit le martyre en l\u2019an du Seigneur 222, sous\nl\u2019empereur Alexandre. Cette ann\u00e9e-l\u00e0, la partie la plus \u00e9lev\u00e9e de Rome\nfut d\u00e9truite par un incendie, et la main gauche d\u2019une grande statue de\nJupiter fut trouv\u00e9e fondue. Alors tous les pr\u00eatres pa\u00efens vinrent\ndemander \u00e0 l\u2019empereur Alexandre qu\u2019il ordonn\u00e2t des sacrifices pour\napaiser la col\u00e8re des dieux. Et pendant qu\u2019on c\u00e9l\u00e9brait ces sacrifices,\nle matin du jour de la semaine consacr\u00e9e \u00e0 Jupiter, la foudre, tombant\nsoudain, tua quatre des pr\u00eatres, et l\u2019autel de Jupiter fut br\u00fbl\u00e9, et le\nsoleil s\u2019obscurcit \u00e0 tel point que le peuple, effray\u00e9, s\u2019enfuit hors de\nla ville. Sur quoi le consul Palmace demanda \u00e0 l\u2019empereur la destruction\ncompl\u00e8te des chr\u00e9tiens, qu\u2019il rendait responsables de ces calamit\u00e9s. Et,\nl\u2019empereur ayant agr\u00e9\u00e9 sa demande, il se mit en route avec des soldats\nvers le quartier du Transt\u00e9v\u00e8re o\u00f9 Calixte se tenait cach\u00e9 avec son\nclerg\u00e9. Mais, en route, tous les soldats de son escorte perdirent\nsoudain la vue. L\u2019empereur ordonna alors que, le jour de Mercure, un\nsacrifice f\u00fbt offert \u00e0 ce dieu, pour obtenir de lui une r\u00e9ponse au sujet\nde tout ce qui se passait. Et, pendant le sacrifice, une des vierges du\ntemple de Mercure, nomm\u00e9e Julienne, s\u2019\u00e9cria soudain: \u00abLe Dieu de Calixte\nest le seul vrai Dieu, et c\u2019est lui qui est indign\u00e9 de nos pollutions!\u00bb\nCe qu\u2019entendant, Palmace se rendit aupr\u00e8s de Calixte qui s\u2019\u00e9tait r\u00e9fugi\u00e9\ndans la ville de Ravenne, et se fit baptiser avec sa femme et toute sa\nmaison. Et comme il pers\u00e9v\u00e9rait dans les je\u00fbnes et les pri\u00e8res, un\nsoldat, nomm\u00e9 Simplice, vint le trouver, et lui promit de se convertir \u00e0\nsa foi s\u2019il r\u00e9ussissait \u00e0 gu\u00e9rir sa femme, frapp\u00e9e de paralysie. Palmace\npria donc pour elle; et voici qu\u2019elle-m\u00eame accourut vers lui, en disant:\n\u00abBaptise-moi au nom du Christ, qui m\u2019a gu\u00e9rie!\u00bb Et Calixte la baptisa,\nainsi que son mari et d\u2019autres pa\u00efens. Ce qu\u2019apprenant, l\u2019empereur fit\ntrancher la t\u00eate \u00e0 tous ceux que Calixte avait baptis\u00e9s, et laissa\npendant cinq jours Calixte lui-m\u00eame sans nourriture ni boisson. Puis,\nvoyant que tout cela restait inutile, il le fit fouetter pendant\nplusieurs jours; et il le fit enfin jeter dans un puits avec une pierre\nattach\u00e9e au cou. Le pr\u00eatre Ast\u00e8re retira du puits le corps du saint, et\nlui donna une s\u00e9pulture chr\u00e9tienne.\nCLIII\nSAINT L\u00c9ONARD, ABB\u00c9\n(15 octobre)\nI. L\u00e9onard vivait vers l\u2019an 500. Fils d\u2019un des premiers fonctionnaires\nde la cour de France, il fut baptis\u00e9 par saint Remi, archev\u00eaque de\nReims, et instruit par lui des v\u00e9rit\u00e9s de la foi. Et telle fut sa faveur\naupr\u00e8s de son souverain qu\u2019il obtint la permission de mettre en libert\u00e9\ntous les prisonniers qu\u2019il voulait d\u00e9livrer. Longtemps le roi le garda\npr\u00e8s de lui, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019enfin la voix du peuple le contraignit \u00e0 lui\noffrir un \u00e9v\u00each\u00e9. Mais L\u00e9onard refusa cet honneur, et, aspirant \u00e0 la\nsolitude, il se rendit \u00e0 Orl\u00e9ans avec un autre chr\u00e9tien nomm\u00e9 Liphard.\nIls v\u00e9curent l\u00e0 pendant quelque temps de la vie c\u00e9nobitique; mais\nensuite Liphard resta seul sur la rive de la Loire, et L\u00e9onard, conduit\npar l\u2019Esprit-Saint, se rendit en Aquitaine pour y pr\u00eacher le Christ. Il\npr\u00eachait dans les villes et les villages, et op\u00e9rait de nombreux\nmiracles; mais, de pr\u00e9f\u00e9rence, il habitait dans une for\u00eat voisine de\nLimoges, o\u00f9 se trouvait une des chasses favorites du roi. Or, un jour,\ncomme le roi \u00e9tait venu chasser dans la for\u00eat, et que la reine, par\namour pour lui, l\u2019y avait suivi, celle-ci \u00e9prouva soudain les douleurs\nde l\u2019enfantement. Le roi et toute la cour s\u2019affligeaient fort du danger\no\u00f9 ils la voyaient; et L\u00e9onard, qui passait parla, entendit leurs\ng\u00e9missements. Emu de piti\u00e9, il aborda le roi, qui, en apprenant qu\u2019il\n\u00e9tait disciple de saint Remi, s\u2019empressa de le conduire aupr\u00e8s de la\nreine, afin qu\u2019il pri\u00e2t pour elle et pour l\u2019enfant qui allait na\u00eetre.\nL\u00e9onard se mit en pri\u00e8re, et obtint aussit\u00f4t ce qu\u2019il demandait \u00e0 Dieu.\nAlors le roi lui offrit de nombreux pr\u00e9sents; mais le saint les refusa,\nl\u2019engageant plut\u00f4t \u00e0 les donner aux pauvres. Du moins le roi voulut lui\ndonner la for\u00eat o\u00f9 se trouvait son ermitage. Mais lui: \u00abNon, je n\u2019aurais\nque faire de toute la for\u00eat; mais donne-moi seulement l\u2019espace que\npourra parcourir mon petit \u00e2ne durant la nuit!\u00bb Ce \u00e0 quoi le roi\nconsentit volontiers. Et L\u00e9onard, dans l\u2019espace ainsi obtenu,\nconstruisit un monast\u00e8re, o\u00f9 il v\u00e9cut dans l\u2019abstinence en compagnie de\ndeux moines. Et il appela ce lieu Nobliac, pour rappeler la grande\nnoblesse du roi qui le lui avait donn\u00e9. Et comme l\u2019eau manquait \u00e0 une\nlieue alentour, L\u00e9onard fit creuser un puits, pria, et le puits se\nremplit d\u2019eau. Et il brilla par tant de miracles que tout prisonnier qui\ninvoquait son nom se trouvait aussit\u00f4t d\u00e9livr\u00e9, en souvenir de quoi il\noffrait au saint les cha\u00eenes de ses mains et de ses pieds. Et plusieurs\nde ces prisonniers rest\u00e8rent avec lui pour servir le Seigneur. Il y eut\naussi sept familles nobles qui, vendant tous leurs biens, et en\ndistribuant le profit aux pauvres, vinrent demeurer pr\u00e8s de lui dans la\nfor\u00eat. Enfin saint L\u00e9onard rendit son \u00e2me \u00e0 Dieu le quinzi\u00e8me jour\nd\u2019octobre; et, apr\u00e8s sa mort, une voix d\u2019en haut r\u00e9v\u00e9la au clerg\u00e9 de son\n\u00e9glise que, \u00e0 cause de l\u2019affluence de la foule, son corps e\u00fbt \u00e0 \u00eatre\ntransport\u00e9 dans une \u00e9glise nouvelle. Le clerg\u00e9 et le peuple pass\u00e8rent\nalors trois jours dans le je\u00fbne et la pri\u00e8re; apr\u00e8s quoi, regardant\nautour d\u2019eux, ils virent toute la r\u00e9gion couverte de neige, \u00e0\nl\u2019exception d\u2019un seul endroit qui \u00e9tait rest\u00e9 vert. Et ils comprirent\nque c\u2019\u00e9tait l\u00e0 que saint L\u00e9onard voulait \u00eatre enseveli. Ils l\u2019y\ntransport\u00e8rent donc; et l\u2019\u00e9norme quantit\u00e9 de cha\u00eenes qu\u2019on voit,\naujourd\u2019hui encore, suspendues en ex-voto autour de sa tombe, suffisent\n\u00e0 prouver combien il a op\u00e9r\u00e9 de miracles en faveur des prisonniers.\nII. Le vicomte de Limoges, pour effrayer les m\u00e9chants, avait fait\nsceller au pied de la plus haute tour de son palais une lourde cha\u00eene\nqu\u2019il faisait attacher au cou des criminels; et ceux-ci, expos\u00e9s aux\nintemp\u00e9ries de l\u2019air, souffraient l\u00e0 un supplice pire que mille morts.\nOr un serviteur de saint L\u00e9onard se trouva un jour attach\u00e9 \u00e0 cette\ncha\u00eene sans avoir fait aucun mal; dans sa d\u00e9tresse, il pria saint\nL\u00e9onard de le d\u00e9livrer, lui rappelant combien d\u2019autres prisonniers il\navait d\u00e9j\u00e0 d\u00e9livr\u00e9s. Et aussit\u00f4t le saint lui apparut, tout v\u00eatu de\nblanc, et lui dit: \u00abNe crains rien, mais prends cette cha\u00eene, et\nsuis-moi jusqu\u2019\u00e0 mon \u00e9glise!\u00bb Devant la porte de l\u2019\u00e9glise, le saint\ndisparut; et le prisonnier, apr\u00e8s avoir racont\u00e9 \u00e0 tous sa miraculeuse\naventure, suspendit la grosse cha\u00eene au-dessus du tombeau.\nIII. Un homme vivait, aupr\u00e8s du monast\u00e8re de saint L\u00e9onard, qui\nentretenait pour le saint une d\u00e9votion toute particuli\u00e8re. Cet homme fut\npris par un tyran. Et le tyran se disait: \u00abL\u00e9onard d\u00e9livre tous les\nprisonniers: tous mes efforts seront vains pour l\u2019emp\u00eacher de d\u00e9livrer\naussi celui-l\u00e0. Mais je sais ce que je vais faire! Sous ma tour je ferai\ncreuser une fosse, o\u00f9 je jetterai mon prisonnier avec des cha\u00eenes aux\npieds; et \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la fosse j\u2019\u00e9l\u00e8verai une arche de bois que je\nremplirai de soldats arm\u00e9s. Car L\u00e9onard a beau briser toutes les\ncha\u00eenes, jamais encore je n\u2019ai entendu qu\u2019il p\u00e9n\u00e9tr\u00e2t sous terre.\u00bb Le\ntyran fit donc comme il avait dit; et comme le prisonnier invoquait\nsaint L\u00e9onard, celui-ci, la nuit, vint \u00e0 son aide. Il commen\u00e7a d\u2019abord\npar retourner l\u2019arche de bois o\u00f9 \u00e9taient les soldats, \u00e9crasant ceux-ci\nsous son poids. Puis, descendant au fond de la fosse avec une grande\nlumi\u00e8re, il prit la main de son serviteur et lui dit: \u00abDors-tu, ou es-tu\n\u00e9veill\u00e9? Je suis L\u00e9onard que tu as appel\u00e9!\u00bb Et le prisonnier: \u00abSeigneur,\nsecours-moi!\u00bb Aussit\u00f4t le saint, brisant ses cha\u00eenes, le prit sur ses\n\u00e9paules et l\u2019emporta hors de la tour; apr\u00e8s quoi il le ramena jusque\ndans sa maison, s\u2019entretenant avec lui comme un ami avec son ami.\nIV. Un p\u00e8lerin, qui revenait du tombeau de saint L\u00e9onard, fut pris par\ndes brigands, en Auvergne, et enferm\u00e9 dans un caveau. En vain il\nsuppliait les brigands de le remettre en libert\u00e9, au nom de saint\nL\u00e9onard. Ils r\u00e9pondaient toujours qu\u2019ils ne le rel\u00e2cheraient point avant\nqu\u2019il se f\u00fbt rachet\u00e9 par une forte ran\u00e7on. Alors le prisonnier: \u00abQue\nsaint L\u00e9onard, mon patron, d\u00e9cide donc entre vous et moi!\u00bb Et, la nuit\nsuivante, le saint apparut au chef de la troupe et lui ordonna de\nrel\u00e2cher le p\u00e8lerin. Mais le chef, quand il s\u2019\u00e9veilla, n\u2019attacha point\nd\u2019importance \u00e0 son r\u00eave; et il fit de m\u00eame la nuit suivante, o\u00f9 le saint\nlui apparut de nouveau. La troisi\u00e8me nuit, saint L\u00e9onard vint chercher\nle prisonnier et l\u2019emmena hors de la forteresse; et, d\u00e8s l\u2019instant\nd\u2019apr\u00e8s, la grosse tour de celle-ci s\u2019\u00e9croula, \u00e9crasant tous les\nbrigands, \u00e0 l\u2019exception du chef qui, les membres bris\u00e9s, comprit enfin\ncombien il avait eu tort de d\u00e9daigner les avertissements de saint\nL\u00e9onard.\nV. Un soldat, emprisonn\u00e9 en Bretagne, invoqua saint L\u00e9onard: aussit\u00f4t\ncelui-ci, au vu et \u00e0 la stupeur de tous, entra dans la prison, brisa les\ncha\u00eenes de l\u2019homme qui l\u2019invoquait, les lui mit dans les mains, et\nl\u2019entra\u00eena au dehors, sans que personne os\u00e2t lui r\u00e9sister.\nVI. Il y a eu encore un autre saint L\u00e9onard, \u00e9galement moine et plein de\nvertu, dont le corps repose aujourd\u2019hui dans la ville de Corbigny.\nCelui-l\u00e0, \u00e9tant abb\u00e9 de son monast\u00e8re, s\u2019humiliait au point d\u2019appara\u00eetre\ncomme le dernier des moines. Son exemple entra\u00eenait tant de vocations\nque des envieux le d\u00e9nonc\u00e8rent au roi Clotaire, disant \u00e0 celui-ci que,\ns\u2019il n\u2019y mettait bon ordre, L\u00e9onard finirait par d\u00e9peupler son royaume.\nLe roi, trop cr\u00e9dule, envoya \u00e0 Corbigny une troupe pour chasser L\u00e9onard\nde son monast\u00e8re. Mais \u00e0 peine ces soldats eurent-ils vu et entendu le\nsaint que, touch\u00e9s, ils demand\u00e8rent \u00e0 devenir ses disciples. Alors le\nroi, p\u00e9nitent, vint demander pardon au saint, et priva de leurs honneurs\nceux qui l\u2019avaient d\u00e9nonc\u00e9; mais L\u00e9onard, interc\u00e9dant pour eux, obtint\nleur gr\u00e2ce. Il obtint aussi de Dieu, comme l\u2019autre saint L\u00e9onard, la\npermission de faire tomber les cha\u00eenes de ceux qui invoqueraient son\nnom. Et un jour qu\u2019il \u00e9tait en pri\u00e8re, un grand serpent sortit de terre\n\u00e0 ses pieds, et rampa le long de son corps. Mais L\u00e9onard n\u2019en acheva pas\nmoins sa pri\u00e8re; apr\u00e8s quoi il s\u2019\u00e9cria: \u00abJe sais que, depuis la\ncr\u00e9ation, tu tourmentes les hommes autant que cela t\u2019est possible. Mais\nsi, maintenant, Dieu m\u2019a livr\u00e9 \u00e0 toi, inflige-moi la punition que j\u2019ai\nm\u00e9rit\u00e9e!\u00bb Et aussit\u00f4t le serpent, sortant par son capuchon, s\u2019\u00e9tendit\nmort \u00e0 ses pieds.\nUn jour de l\u2019ann\u00e9e du Seigneur 570, saint L\u00e9onard, apr\u00e8s avoir tranch\u00e9\nune querelle entre deux \u00e9v\u00eaques, annon\u00e7a qu\u2019il mourrait le jour suivant;\net en effet c\u2019est ce jour-l\u00e0 qu\u2019il rendit son \u00e2me \u00e0 Dieu.\nCLIV\nSAINT LUC, \u00c9VANG\u00c9LISTE\n(18 octobre)\nI. Luc, Syrien, \u00e9tait d\u2019Antioche, et avait d\u2019abord \u00e9tudi\u00e9 la m\u00e9decine.\nCertains auteurs veulent qu\u2019il ait fait partie des soixante-douze\ndisciples du Seigneur; mais on peut admettre avec plus de vraisemblance\nl\u2019opinion de saint J\u00e9r\u00f4me, qui nous dit que saint Luc fut disciple des\nap\u00f4tres, et non du Seigneur lui-m\u00eame. Il fut si parfait dans sa vie\nqu\u2019il re\u00e7ut une quadruple ordination, quant \u00e0 Dieu, quant au prochain,\nquant \u00e0 lui-m\u00eame et quant \u00e0 son office. Et, en signe de cette quadruple\nordination, des auteurs le d\u00e9crivent comme ayant quatre faces, la face\nd\u2019un homme, celle d\u2019un lion, celle d\u2019un b\u0153uf et celle d\u2019un aigle. Chacun\ndes \u00e9vang\u00e9listes, d\u2019ailleurs, a eu ainsi quatre faces, qui lui ont\npermis d\u2019\u00e9crire de l\u2019humanit\u00e9 du Christ, de sa passion, de sa\nr\u00e9surrection et de sa divinit\u00e9. Mais l\u2019usage est, plus commun\u00e9ment, de\nd\u00e9signer chacun des quatre \u00e9vang\u00e9listes par une seule de ces faces.\nSuivant saint J\u00e9r\u00f4me, Matthieu a pour attribut l\u2019homme, parce qu\u2019il\ninsiste surtout sur l\u2019humanit\u00e9 du Christ; Luc a pour attribut le b\u0153uf,\nparce qu\u2019il traite surtout du sacerdoce du Christ; Jean a pour attribut\nl\u2019aigle, parce que, volant plus haut que les autres, il nous parle\nsurtout de la divinit\u00e9 du Christ; et Marc a pour attribut le lion parce\nque son \u00e9vangile nous t\u00e9moigne surtout de la r\u00e9surrection. Car on dit\nque les lionceaux, quand ils naissent, gisent pendant trois jours comme\ndes cadavres, et puis sont r\u00e9veill\u00e9s par le rugissement de leur m\u00e8re.\nSi maintenant on veut savoir les raisons de la quadruple ordination de\nsaint Luc, on les apprend en \u00e9tudiant la vie de ce saint.\n1\u00ba Il fut d\u2019abord ordonn\u00e9 quant \u00e0 Dieu. Cette ordination, suivant saint\nBernard, se fait par l\u2019affection, la cogitation et l\u2019intention. Or saint\nLuc fut saint par l\u2019affection, car saint J\u00e9r\u00f4me dit de lui: \u00abIl mourut\nen Bithynie, plein de l\u2019Esprit-Saint.\u00bb Il fut ensuite pur dans la\ncogitation; nous savons qu\u2019il resta vierge de corps et d\u2019\u00e2me. Et son\nintention fut droite, car, dans tout ce qu\u2019il faisait, il ne cherchait\nque la gloire du Seigneur.\n2\u00ba Saint Luc fut ordonn\u00e9 quant au prochain. Il donna, en effet, au\nprochain tout ce qu\u2019il put en subsides, car il accompagna saint Paul\ndans toutes ses \u00e9preuves, et, ne le quittant jamais, l\u2019aida dans sa\npr\u00e9dication. Il donna aussi au prochain tout ce qu\u2019il put en conseils,\ncar il r\u00e9digea, \u00e0 l\u2019usage de tous, ce qu\u2019il savait de la doctrine\n\u00e9vang\u00e9lique et apostolique. Et l\u2019on peut dire aussi qu\u2019il donna au\nprochain tout ce qu\u2019il put en service; car d\u2019excellents auteurs, et\nnotamment saint Gr\u00e9goire, affirment qu\u2019il fut, avec Cl\u00e9ophas, un des\ndeux disciples d\u2019Emma\u00fcs; bien que saint Ambroise donne \u00e0 ce second\ndisciple un autre nom.\n3\u00ba Saint Luc fut ordonn\u00e9 quant \u00e0 lui-m\u00eame. D\u2019abord il v\u00e9cut sobrement:\ncar saint J\u00e9r\u00f4me dit qu\u2019il n\u2019eut jamais de femme ni de fils. Il v\u00e9cut\naussi modestement: car, dans son \u00e9vangile, il cita le nom de Cl\u00e9ophas et\nomit de citer le sien.\n4\u00ba Saint Luc fut ordonn\u00e9 quant \u00e0 son office, qui \u00e9tait d\u2019\u00e9crire\nl\u2019\u00e9vangile. On croit, en effet, qu\u2019il recourut tout particuli\u00e8rement \u00e0\nla sainte Vierge comme \u00e0 l\u2019arche de son Testament, et que c\u2019est d\u2019elle\nqu\u2019il apprit bien des choses, notamment sur des sujets qu\u2019elle seule\npouvait conna\u00eetre: tels l\u2019Annonciation, la Nativit\u00e9 et autres sujets\ndont il est seul \u00e0 parler. Et l\u2019on sait aussi que saint Paul approuvait\ntout particuli\u00e8rement l\u2019\u00e9vangile de saint Luc, \u00e0 tel point que saint\nJ\u00e9r\u00f4me a pu dire: \u00abToutes les fois que saint Paul parle de l\u2019Evangile,\nc\u2019est de l\u2019Evangile de saint Luc qu\u2019il veut parler.\u00bb\nII. On lit dans l\u2019Histoire d\u2019Antioche que les chr\u00e9tiens de cette ville,\napr\u00e8s s\u2019\u00eatre souill\u00e9s par beaucoup de vices, furent assi\u00e9g\u00e9s par une\narm\u00e9e turque qui les fit cruellement souffrir de faim et de privations.\nMais lorsque, se repentant, ils se convertirent pleinement au Seigneur,\ncertain religieux, qui priait, la nuit, dans l\u2019\u00e9glise de Sainte-Marie \u00e0\nTripoli, vit appara\u00eetre un homme tout v\u00eatu de blanc et rayonnant de\nlumi\u00e8re. Et cet homme, interrog\u00e9, dit qu\u2019il \u00e9tait saint Luc, et qu\u2019il\nvenait d\u2019Antioche, o\u00f9 le Seigneur avait convoqu\u00e9 les milices du ciel,\nainsi que les ap\u00f4tres et les martyrs, pour venir en aide aux chr\u00e9tiens\nassi\u00e9g\u00e9s. Et, en effet, ceux-ci, miraculeusement stimul\u00e9s, mirent en\nd\u00e9route l\u2019arm\u00e9e des Turcs.\nCLV\nLES ONZE MILLE VIERGES, MARTYRES\n(21 octobre)\nI. Il y avait en Bretagne un roi tr\u00e8s chr\u00e9tien, nomm\u00e9 Nothus ou Maurus,\nqui mit au monde une fille nomm\u00e9e Ursule. Et celle-ci \u00e9tait si bonne, si\nsage, et si belle, que sa renomm\u00e9e s\u2019\u00e9tendait partout. Or le roi\nd\u2019Angleterre, souverain tr\u00e8s puissant et qui avait soumis \u00e0 son empire\nde nombreuses nations, forma le projet de marier son fils unique avec\ncette princesse, dont tout le monde vantait l\u2019esprit et le corps. Le\njeune homme, de son c\u00f4t\u00e9, \u00e9tait tr\u00e8s enflamm\u00e9 \u00e0 l\u2019id\u00e9e de ce mariage.\nUne ambassade fut donc envoy\u00e9e aupr\u00e8s du p\u00e8re d\u2019Ursule; et le roi\nd\u2019Angleterre promit aux ambassadeurs de les r\u00e9compenser s\u2019ils ramenaient\nla jeune fille, mais, au contraire, les mena\u00e7a de les ch\u00e2tier s\u2019ils\nrevenaient sans elle. Alors le p\u00e8re d\u2019Ursule prit peur: car, d\u2019une part,\nil redoutait la rancune d\u2019un souverain plus puissant que lui, et,\nd\u2019autre part, il ne pouvait admettre que sa fille dev\u00eent la femme d\u2019un\npa\u00efen, ce \u00e0 quoi Ursule, d\u2019ailleurs, n\u2019aurait jamais consenti. Alors\ncelle-ci, inspir\u00e9e d\u2019en haut, fit proposer au jeune prince de lui\nenvoyer dix vierges, et de donner pour compagnes mille vierges \u00e0 chacune\nde ces dix-l\u00e0 ainsi qu\u2019\u00e0 elle-m\u00eame: ajoutant qu\u2019en compagnie de ces onze\nmille vierges elle demandait \u00e0 rester pendant un espace de trois ans,\npour se rendre avec elles \u00e0 Rome, sur une flotte, et y obtenir la\ncons\u00e9cration de sa virginit\u00e9. Le jeune prince, de son c\u00f4t\u00e9, aurait \u00e0\nrecevoir le bapt\u00eame, et \u00e0 s\u2019instruire, pendant ces trois ans, des\nv\u00e9rit\u00e9s de la foi: apr\u00e8s quoi Ursule consentirait \u00e0 devenir sa femme. Et\nl\u2019on entend bien que, si elle imposait de telles conditions, c\u2019\u00e9tait\ndans l\u2019espoir de d\u00e9courager le jeune prince, tout en gardant \u00e0 son p\u00e8re\nla faveur du roi anglais.\nMais le jeune homme admit tr\u00e8s volontiers les conditions d\u2019Ursule, et se\nfit baptiser, et pressa son p\u00e8re d\u2019ex\u00e9cuter tout ce qu\u2019Ursule avait\ndemand\u00e9. Alors des vierges arriv\u00e8rent de toutes parts dans la capitale\ndu roi Maurus, et de toutes parts la foule afflua pour \u00eatre t\u00e9moin d\u2019un\naussi grand spectacle. De nombreux \u00e9v\u00eaques voulurent aussi se joindre au\np\u00e8lerinage des onze mille vierges: parmi eux se trouvait, notamment,\nl\u2019\u00e9v\u00eaque de B\u00e2le, Pantulus, qui se rendit avec elles jusqu\u2019\u00e0 Rome, et,\nau retour, partagea leur martyre. On voyait l\u00e0 aussi sainte G\u00e9rasine,\nreine de Sicile qui, ayant \u00e9pous\u00e9 un tyran cruel, l\u2019avait transform\u00e9 en\nun doux agneau. Elle \u00e9tait s\u0153ur de l\u2019\u00e9v\u00eaque Matrisius et de Daria, la\nm\u00e8re de sainte Ursule. D\u00e8s que le p\u00e8re de celle-ci lui eut r\u00e9v\u00e9l\u00e9 par\nlettre le secret du voyage, elle se mit aussit\u00f4t en route pour la\nBretagne avec ses quatre filles Babille, Julienne, Victoire et Dor\u00e9e. Et\nson petit gar\u00e7on Adrien, par amour pour ses s\u0153urs, voulut se joindre\naussi \u00e0 l\u2019exp\u00e9dition. C\u2019est sur le conseil de G\u00e9rasine que les onze\nmille vierges furent r\u00e9parties en groupes, d\u2019apr\u00e8s les divers royaumes\ndont elles provenaient. Et c\u2019est encore sainte G\u00e9rasine qui se chargea\nde commander \u00e0 tous ces groupes, et elle subit le martyre en leur\ncompagnie.\nEnfin tout se trouva pr\u00eat pour le d\u00e9part. Et, pendant que sainte Ursule\ns\u2019occupait de convertir les onze mille vierges, la reine G\u00e9rasine\ninstruisait les chevaliers de l\u2019escorte, leur faisant pr\u00eater le serment\nd\u2019un nouvel ordre de chevalerie. Puis on se mit en route; et, dans\nl\u2019espace d\u2019une seule journ\u00e9e, sous un vent favorable, la sainte caravane\narriva dans un port des Gaules nomm\u00e9 Tiel, puis \u00e0 Cologne, o\u00f9 un ange\napparut \u00e0 Ursule pour lui annoncer que ses compagnes et elle\nreviendraient \u00e0 Cologne et y recevraient la couronne du martyre. De l\u00e0,\npoursuivant leur chemin vers Rome, les vierges arriv\u00e8rent \u00e0 B\u00e2le: elles\ny laiss\u00e8rent leurs vaisseaux et poursuivirent leur voyage \u00e0 pied.\nElles furent re\u00e7ues \u00e0 Rome avec grand honneur par le pape Cyriaque, qui,\n\u00e9tant n\u00e9 lui-m\u00eame en Bretagne, se trouvait avoir de nombreux parents\ndans le p\u00e8lerinage. Et, la m\u00eame nuit, une vision r\u00e9v\u00e9la \u00e0 Cyriaque qu\u2019il\nrecevrait les palmes du martyre en compagnie des onze mille vierges.\nAussi, sans rien r\u00e9v\u00e9ler de cette vision, s\u2019empressa-t-il de baptiser\ncelles des vierges qui n\u2019avaient pas encore re\u00e7u le bapt\u00eame. Puis, quand\nil jugea le moment venu, il d\u00e9clara \u00e0 son clerg\u00e9 r\u00e9uni qu\u2019il se\nd\u00e9mettait de toutes ses fonctions et dignit\u00e9s, pour se joindre \u00e0 la\ntroupe des onze mille vierges. En vain tous les pr\u00eatres, et surtout les\ncardinaux, l\u2019accus\u00e8rent d\u2019\u00eatre en d\u00e9lire, et lui firent honte\nd\u2019abandonner son pontificat pour suivre un troupeau de femmes. Sans les\n\u00e9couter, il ordonna en son lieu un saint homme nomm\u00e9 Amet, qui gouverna\nl\u2019Eglise apr\u00e8s lui. Et comme il renon\u00e7ait \u00e0 son pontificat,\ncontrairement \u00e0 la volont\u00e9 de son clerg\u00e9, celui-ci le raya de la liste\ndes papes. Et, d\u00e8s ce jour, le saint ch\u0153ur des onze mille vierges perdit\ntoute sa faveur aupr\u00e8s de la curie romaine.\nOr deux chefs de l\u2019arm\u00e9e romaine, Maxime et Africain, hommes impies et\nm\u00e9chants, voyant cette grande multitude de vierges, et toute la foule\nqui se pressait pour grossir leur p\u00e8lerinage, craignirent que ce\np\u00e8lerinage ne donn\u00e2t trop d\u2019extension \u00e0 la religion chr\u00e9tienne. Ils\nenvoy\u00e8rent donc secr\u00e8tement des expr\u00e8s \u00e0 Jules, chef des Huns, pour\nl\u2019engager \u00e0 attendre \u00e0 Cologne, avec son arm\u00e9e, le retour des onze mille\nvierges, et pour les massacrer.\nCependant, les vierges se mirent en route pour leur retour, en compagnie\ndu pape Cyriaque, du cardinal Vincent et de Jacques, archev\u00eaque\nd\u2019Antioche, qui \u00e9tait, lui aussi, originaire de Bretagne. Jacques, qui\n\u00e9tait venu \u00e0 Rome pour voir le pape, allait d\u00e9j\u00e0 repartir pour Antioche\nlorsque, apprenant le prochain d\u00e9part des vierges, il prit le parti\nd\u2019aller avec elles au-devant du martyre. Et de m\u00eame fit encore Maurice,\n\u00e9v\u00eaque de Mod\u00e8ne, qui \u00e9tait l\u2019oncle de Babille et de Julienne; de m\u00eame\nfirent Follau, \u00e9v\u00eaque de Lucques, et Sulpice, \u00e9v\u00eaque de Ravenne.\nCependant le fianc\u00e9 de sainte Ursule, qui s\u2019appelait Eth\u00e9r\u00e9, \u00e9tait\ndevenu roi de son pays, \u00e0 la mort de son p\u00e8re, et avait converti sa m\u00e8re\n\u00e0 la foi du Christ. Un jour, une vision d\u2019en haut lui apprit qu\u2019Ursule\nvenait de quitter Rome; et une voix lui ordonna d\u2019aller aussit\u00f4t \u00e0 sa\nrencontre, pour souffrir avec elle le martyre dans la ville de Cologne.\nIl se mit aussit\u00f4t en route avec sa m\u00e8re, sa petite s\u0153ur Florentine et\nl\u2019\u00e9v\u00eaque Cl\u00e9ment. Vinrent aussi se joindre au p\u00e8lerinage Marcule, \u00e9v\u00eaque\nde Gr\u00e8ce et sa ni\u00e8ce Constance, fille de Doroth\u00e9e, roi de\nConstantinople. Cette Constance avait \u00e9t\u00e9 fianc\u00e9e \u00e0 un fils de roi;\nmais, son fianc\u00e9 \u00e9tant mort avant le mariage, elle s\u2019\u00e9tait consacr\u00e9e au\nSeigneur.\nLorsque toute cette troupe arriva \u00e0 Cologne, elle trouva la ville\ninvestie par les Huns. Et ces barbares, avec de grands cris, se jet\u00e8rent\nsur les pieuses vierges, qu\u2019ils massacr\u00e8rent toutes, comme des loups\ns\u2019\u00e9lan\u00e7ant sur un troupeau d\u2019agneaux. Seule, Ursule restait encore\nvivante. Et le prince des Huns, \u00e9merveill\u00e9 de sa beaut\u00e9, lui offrit de\nl\u2019\u00e9pouser, pour la consoler de la mort de ses compagnes. Mais, comme la\nsainte repoussait avec horreur sa proposition, furieux de se voir\nd\u00e9daign\u00e9, il la transper\u00e7a d\u2019une fl\u00e8che et acheva son martyre.\nIl y eut cependant encore une autre vierge, nomm\u00e9e Cordule, qui d\u2019abord,\n\u00e9pouvant\u00e9e, se cacha au fond d\u2019un bateau et y resta toute la nuit. Mais,\nle lendemain, elle courut d\u2019elle-m\u00eame au-devant de la mort. Et, comme\nl\u2019Eglise omettait ensuite de la mentionner dans la c\u00e9l\u00e9bration de la\nf\u00eate des onze mille vierges--car on croyait qu\u2019elle avait \u00e9chapp\u00e9 au\nsupplice de ses compagnes--elle apparut un jour \u00e0 une recluse et lui\nr\u00e9v\u00e9la qu\u2019elle avait, elle aussi, obtenu la couronne du martyre.\nLa tradition veut que ce martyre ait eu lieu en l\u2019an du Seigneur 238.\nMais la vraisemblance des dates contredit cette affirmation. Car, en\n238, ni la Sicile, ni Constantinople n\u2019avaient des rois, tandis que l\u2019on\ncite parmi les martyrs de Cologne, la reine de Sicile et la fille du roi\nde Constantinople. Plus vraisemblablement, le martyre des onze mille\nvierges aura eu lieu \u00e0 l\u2019\u00e9poque des invasions des Huns et des Goths, et,\npar exemple, sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur Marcien, qui r\u00e9gnait en l\u2019an\nII. Certain abb\u00e9 re\u00e7ut de l\u2019abbesse de Cologne le corps d\u2019une des\nvierges, moyennant la promesse de le placer dans un cercueil d\u2019argent.\nMais comme, durant toute une ann\u00e9e, le corps restait plac\u00e9 dans son\ncercueil de bois, les moines virent un matin la vierge en personne\ndescendre de l\u2019autel, s\u2019incliner pieusement, puis se retirer en passant\nau milieu du ch\u0153ur. Alors l\u2019abb\u00e9, allant au cercueil, le trouva vide. Il\ncourut \u00e0 Cologne, fit part de la chose \u00e0 l\u2019abbesse; et en effet le corps\nde la martyre se retrouva \u00e0 la place d\u2019o\u00f9 on l\u2019avait pris. Mais en vain\nl\u2019abb\u00e9 demanda pardon et promit que, si on lui donnait de nouveau une\ndes saintes reliques, il s\u2019empresserait de lui faire faire un cercueil\nde prix. Il ne put rien obtenir.\nIII. Un religieux qui avait pour les onze mille vierges une d\u00e9votion\nparticuli\u00e8re, vit un jour appara\u00eetre devant lui une belle jeune femme,\nqui lui demanda s\u2019il la connaissait. Et comme il d\u00e9clarait ne la point\nconna\u00eetre, elle lui dit: \u00abJe suis une des vierges que tu aimes \u00e0\ninvoquer. Et, pour te r\u00e9compenser de ta pi\u00e9t\u00e9, nous avons obtenu de\nt\u2019assister \u00e0 l\u2019heure de ta mort, pourvu seulement que, d\u2019ici l\u00e0, tu aies\nr\u00e9cit\u00e9, onze mille fois l\u2019oraison dominicale!\u00bb Puis la vision disparut,\net le religieux s\u2019empressa de r\u00e9citer onze mille fois la sainte pri\u00e8re.\nApr\u00e8s quoi, sentant l\u2019heure de sa mort approcher, il fit appeler son\nabb\u00e9 et demanda \u00e0 recevoir l\u2019extr\u00eame-onction. Mais au moment o\u00f9 on la\nlui administrait, il s\u2019\u00e9cria soudain qu\u2019on e\u00fbt \u00e0 s\u2019\u00e9carter, pour faire\nplace aux saintes martyres qui accouraient pr\u00e8s de lui. Interrog\u00e9 par\nson abb\u00e9, il lui raconta alors la promesse qu\u2019il avait obtenue; et tous,\naussit\u00f4t, sortirent de sa cellule. Et quand ils y revinrent, ils virent\nque l\u2019\u00e2me de leur fr\u00e8re s\u2019\u00e9tait envol\u00e9e.\nCLVI\nSAINT CRISANT ET SAINTE DARIA, MARTYRS\n(25 octobre)\nCrisant \u00e9tait fils d\u2019un noble de Narbonne nomm\u00e9 Solime. Celui-ci, ne\npouvant d\u00e9tourner son fils de la foi du Christ, le fit enfermer dans une\nchambre en compagnie de cinq jeunes filles charg\u00e9es de le s\u00e9duire par\nleurs caresses. Mais Crisant pria Dieu de le rendre vainqueur de la b\u00eate\nf\u00e9roce qu\u2019est la concupiscence; et aussit\u00f4t les cinq jeunes filles\nfurent envahies d\u2019un sommeil profond, dont elles ne pouvaient s\u2019\u00e9veiller\nque hors la chambre. Alors une pr\u00eatresse de Diane, nomm\u00e9e Daria, vierge\npleine de sagesse et de beaut\u00e9, s\u2019offrit \u00e0 ramener Crisant au culte des\nidoles. Elle se rendit chez lui, et, comme le jeune homme lui reprochait\nla pompe de ses v\u00eatements, elle r\u00e9pondit qu\u2019elle ne s\u2019\u00e9tait point v\u00eatue\nainsi pour l\u2019amour de cette pompe, mais dans l\u2019espoir de mieux servir la\ncause des dieux. Crisant lui reprocha ensuite de prendre pour des dieux\ndes \u00eatres que ceux-l\u00e0 m\u00eame qui les ont invent\u00e9s repr\u00e9sentent comme\ncharg\u00e9s de vices et d\u2019impudicit\u00e9. Et comme Daria lui r\u00e9pondait que, sous\nles noms de ces dieux, c\u2019\u00e9taient les divers \u00e9l\u00e9ments qu\u2019adoraient les\nphilosophes, le jeune homme lui dit: \u00abSi l\u2019un v\u00e9n\u00e8re la terre comme une\nd\u00e9esse tandis qu\u2019un autre la cultive pour avoir du bl\u00e9, c\u2019est celui-l\u00e0\nque la d\u00e9esse r\u00e9compense le plus; et de m\u00eame pour la mer et les autres\n\u00e9l\u00e9ments!\u00bb Puis Crisant convertit Daria, et le jeune couple, feignant\nd\u2019\u00eatre uni par le lien du mariage charnel, tandis qu\u2019il ne l\u2019\u00e9tait que\npar des liens spirituels, op\u00e9ra autour de lui de nombreuses conversions\nentre lesquelles on cite notamment celles du tribun Claude, de sa femme,\nde ses enfants et d\u2019autres officiers.\nLe pr\u00e9fet Num\u00e9rien fit alors jeter Crisant dans une prison infecte, mais\nla puanteur de cette prison se changea en un parfum merveilleux. Daria,\nde son c\u00f4t\u00e9, fut plac\u00e9e dans un lupanar; mais aussit\u00f4t un lion,\ns\u2019enfuyant de l\u2019amphith\u00e9\u00e2tre, vint garder la porte de ce mauvais lieu.\nArrive un homme envoy\u00e9 par le pr\u00e9fet pour corrompre la vierge: le lion\ns\u2019empare de lui, et, d\u2019un signe de t\u00eate, demande \u00e0 Daria ce qu\u2019il doit\nen faire. Daria r\u00e9pond qu\u2019elle est pr\u00eate \u00e0 recevoir l\u2019envoy\u00e9; et\naussit\u00f4t celui-ci, converti, s\u2019en va proclamer, par toute la ville, la\nsaintet\u00e9 de la jeune femme. Arrivent ensuite des chasseurs, charg\u00e9s de\ns\u2019emparer du lion; mais c\u2019est le fauve qui s\u2019empare d\u2019eux et les d\u00e9pose\naux pieds de la vierge, qui les convertit. Enfin le pr\u00e9fet ordonne\nd\u2019allumer un grand feu devant l\u2019entr\u00e9e de la maison, de fa\u00e7on que Daria\net le lion p\u00e9rissent br\u00fbl\u00e9s. Et Daria, voyant l\u2019effroi du lion, lui\npermet de s\u2019enfuir o\u00f9 bon lui semblera.\nMille autres supplices furent encore inflig\u00e9s \u00e0 Crisant et \u00e0 Daria, sans\nque les deux martyrs en eussent aucun mal. Enfin tous deux, par ordre du\npr\u00e9fet, se virent jet\u00e9s dans une fosse, et \u00e9cras\u00e9s sous les pierres. Ils\nmoururent sous l\u2019\u00e9piscopat de Carus de Narbonne, qui monta sur son si\u00e8ge\nen l\u2019an du Seigneur 211.\nCLVII\nSAINTS SIMON ET JUDE, AP\u00d4TRES\n(28 octobre)\nI. Simon et Jude, appel\u00e9 aussi Thad\u00e9e, originaires de Cana, \u00e9taient\nfr\u00e8res de Jacques le Mineur et fils de Marie Cl\u00e9ophas, femme d\u2019Alph\u00e9e.\nApr\u00e8s l\u2019ascension du Seigneur, Jude fut envoy\u00e9 par Thomas aupr\u00e8s du roi\nd\u2019Edesse Abgare, qui avait \u00e9crit \u00e0 Notre-Seigneur J\u00e9sus la lettre\nsuivante: \u00abAbgare, roi, fils d\u2019Euchassie, au bon J\u00e9sus qui s\u2019est montr\u00e9\ndans le pays de J\u00e9rusalem, salut! J\u2019ai entendu parler de toi, des\ngu\u00e9risons que tu fais sans drogues et sans herbes, et que tu rends la\nvue aux aveugles, la marche aux paralytiques, la puret\u00e9 aux l\u00e9preux et\nla vie aux morts: et j\u2019ai conclu de tout cela que, pour accomplir tant\nde merveilles, tu devais \u00eatre ou bien Dieu lui-m\u00eame descendu des cieux,\nou bien le fils de Dieu. Je t\u2019\u00e9cris donc pour que tu daignes prendre la\npeine de venir jusque chez moi, pour me gu\u00e9rir d\u2019une maladie qui me\ntourmente depuis longtemps. J\u2019ai appris aussi que les Juifs murmuraient\ncontre toi et voulaient te tendre des pi\u00e8ges. Viens chez moi, je t\u2019en\nprie! J\u2019ai \u00e0 moi une ville qui, en v\u00e9rit\u00e9, est petite, mais honn\u00eate, et\nqui nous suffira bien \u00e0 tous deux!\u00bb Et le Seigneur J\u00e9sus r\u00e9pondit en ces\ntermes: \u00abHeureux es-tu, toi qui as cru en moi sans m\u2019avoir vu! car il\nest \u00e9crit de moi que ceux qui me verront ne croiront pas, et que ceux\nqui ne me verront pas croiront. Quant \u00e0 ce que tu me demandes de venir\naupr\u00e8s de toi, il faut d\u2019abord que j\u2019accomplisse ce pour quoi je suis\nenvoy\u00e9 et qu\u2019ensuite je retourne aupr\u00e8s de Celui qui m\u2019a envoy\u00e9. Mais,\nd\u00e8s que je serai remont\u00e9 au ciel, je t\u2019enverrai un de mes disciples,\npour te gu\u00e9rir et te donner la vraie vie!\u00bb Alors Abgare, comprenant\nqu\u2019il devait renoncer \u00e0 voir le Christ en personne, chargea du moins un\npeintre d\u2019aller faire son portrait. Mais lorsque ce peintre arriva\ndevant le Christ, il trouva le visage de celui-ci rayonnant d\u2019un tel\n\u00e9clat qu\u2019il ne parvint pas \u00e0 en discerner clairement les traits, ni, par\nsuite, \u00e0 les dessiner. Ce que voyant, le Seigneur appuya sa sainte face\nsur le manteau du peintre et y grava ainsi son image \u00e0 l\u2019intention du\nbon roi Abgare. Et Jean de Damas, qui nous raconte tout cela d\u2019apr\u00e8s une\nvieille chronique, nous d\u00e9crit aussi ce portrait du Seigneur. Il nous\naffirme qu\u2019on y voit l\u2019image d\u2019un homme avec de grands yeux, d\u2019\u00e9pais\nsourcils, un visage allong\u00e9, et des \u00e9paules un peu vo\u00fbt\u00e9es, ce qui est\nsigne de maturit\u00e9. Quant \u00e0 la lettre du Christ, tel \u00e9tait son pouvoir\nque, dans la ville d\u2019Edesse, aucun h\u00e9r\u00e9tique ni pa\u00efen ne pouvait vivre,\net qu\u2019aucun tyran ne pouvait opprimer les habitants. Mais lorsque\nEdesse, plus tard, fut prise et profan\u00e9e par les Sarrasins, elle perdit\nle privil\u00e8ge de cette sainte lettre.\nLors donc que Jude Thad\u00e9e vint aupr\u00e8s d\u2019Abgare, pour accomplir la\npromesse faite par J\u00e9sus, le roi d\u00e9couvrit aussit\u00f4t sur son visage un\nrayonnement de splendeur divine. Emerveill\u00e9 et \u00e9pouvant\u00e9, il dit: \u00abTu es\nvraiment le disciple de J\u00e9sus, fils de Dieu, qui m\u2019a promis de m\u2019envoyer\nl\u2019un de ses disciples pour me gu\u00e9rir et pour me donner la vraie vie!\u00bb Et\nThad\u00e9e: \u00abSi tu crois dans le Fils de Dieu, tous les d\u00e9sirs de ton c\u0153ur\nseront r\u00e9alis\u00e9s!\u00bb Et Abgare: \u00abCertes, je crois en lui; et bien\nvolontiers j\u2019\u00e9gorgerais les m\u00e9chants Juifs qui l\u2019ont crucifi\u00e9!\u00bb Or le\nroi Abgare \u00e9tait l\u00e9preux; mais Thad\u00e9e prit la lettre du Seigneur, lui en\nfrotta le visage, et aussit\u00f4t sa l\u00e8pre disparut.\nII. Jude pr\u00eacha ensuite en M\u00e9sopotamie et dans le Pont, et Simon en\nEgypte. Puis ils se rendirent en Perse, et y trouv\u00e8rent deux mages\nZaro\u00ebs et Arphaxal, que saint Matthieu avait chass\u00e9s de l\u2019Ethiopie. En\nce temps-l\u00e0 Baradac, g\u00e9n\u00e9ral babylonien, qui s\u2019appr\u00eatait \u00e0 partir en\nguerre contre les Indiens, consulta ses dieux sur l\u2019issue de sa\ncampagne. Et il obtint pour r\u00e9ponse que ses dieux ne pourraient lui\nr\u00e9pondre aussi longtemps que les deux ap\u00f4tres chr\u00e9tiens seraient dans le\npays. Baradac fit alors rechercher les deux ap\u00f4tres, leur demanda qui\nils \u00e9taient et pourquoi ils \u00e9taient venus. Et ils r\u00e9pondirent: \u00abDe\nnation, nous sommes H\u00e9breux, de condition, serviteurs du Christ; et nous\nsommes venus ici pour ton salut et celui des tiens.\u00bb Et Baradac: \u00abJe\nvous \u00e9couterai plus \u00e0 loisir quand je serai revenu vainqueur de mon\nexp\u00e9dition.\u00bb Et les ap\u00f4tres: \u00abMieux vaudrait pour toi conna\u00eetre d\u00e8s\nmaintenant celui qui, seul, peut te donner la victoire!\u00bb Et Baradac: \u00abSi\nvous \u00eates plus puissants que nos dieux, pr\u00e9dites-moi quelle sera l\u2019issue\nde ma campagne!\u00bb Et les ap\u00f4tres: \u00abPour que tu reconnaisses combien tes\ndieux sont menteurs, demande-leur d\u2019abord de r\u00e9pondre \u00e0 ta question!\u00bb\nAlors les devins, consult\u00e9s, pr\u00e9dirent une grande guerre, et une grande\nfuite de peuples apr\u00e8s la bataille. Sur quoi les ap\u00f4tres se mirent \u00e0\nrire. Et Baradac: \u00abComment! Je tremble d\u2019effroi, et vous riez?\u00bb Et les\nap\u00f4tres: \u00abSois sans crainte, car la paix est entr\u00e9e ici avec nous.\nDemain, \u00e0 la troisi\u00e8me heure, des envoy\u00e9s viendront te trouver ici de la\npart des Indiens, pour te demander la paix et se soumettre \u00e0 ton\npouvoir.\u00bb Alors ce fut au tour des pr\u00eatres de railler, et ils dirent \u00e0\nBaradac: \u00abCes gens-l\u00e0 veulent te tromper afin que, pendant que tu seras\nsans d\u00e9fiance, l\u2019ennemi se jette sur toi!\u00bb Et les ap\u00f4tres: \u00abNous ne\nt\u2019avons pas dit d\u2019attendre un mois, mais seulement un jour! D\u00e8s demain,\ntu auras la paix et la victoire!\u00bb Alors Baradac les fit tenir sous bonne\ngarde les uns et les autres. Le lendemain, tout arriva comme les ap\u00f4tres\nl\u2019avaient pr\u00e9dit; et comme Baradac voulait ch\u00e2tier les devins de leur\nmensonge, les ap\u00f4tres l\u2019en emp\u00each\u00e8rent, disant qu\u2019ils n\u2019\u00e9taient pas\nenvoy\u00e9s pour tuer les vivants, mais pour vivifier les morts. Baradac en\nfut tr\u00e8s surpris, comme aussi de l\u2019insistance qu\u2019ils mettaient \u00e0 refuser\nses pr\u00e9sents. Il les conduisit donc \u00e0 son roi, et lui dit: \u00abSire, voici\ndes dieux cach\u00e9s sous la figure humaine!\u00bb Mais les mages, jaloux des\nap\u00f4tres, les accus\u00e8rent d\u2019\u00eatre des m\u00e9chants, qui m\u00e9ditaient la fin du\nroyaume. Alors Baradac: \u00abSi vous l\u2019osez, discutez avec ces deux hommes!\u00bb\nEt les mages: \u00abNous ne voulons pas discuter avec eux; mais fais venir\nici les hommes les plus \u00e9loquents de la ville; et, s\u2019ils peuvent parler,\nnous reconna\u00eetrons notre ignorance.\u00bb Et, en effet, amen\u00e9s devant eux,\nles plus habiles avocats devinrent aussit\u00f4t muets et incapables m\u00eame de\ns\u2019exprimer par gestes. Et les mages dirent au roi: \u00abPour te prouver\nnotre pouvoir, nous allons leur permettre de parler, mais nous leur\nd\u00e9fendrons de marcher; puis nous leur permettrons de marcher, mais nous\nles emp\u00eacherons de voir, m\u00eame avec les yeux ouverts.\u00bb Et tout cela\narriva comme ils l\u2019avaient dit. Alors Baradac mena les avocats en\npr\u00e9sence des ap\u00f4tres. Et en voyant ceux-ci tout v\u00eatus de haillons, les\navocats les m\u00e9pris\u00e8rent au fond de leur c\u0153ur. Mais Simon leur dit:\n\u00abC\u2019est chose fr\u00e9quente que des \u00e9crins d\u2019or et de diamant ne contiennent\nque des mati\u00e8res viles, tandis que de viles caisses de bois enferment\ndes bijoux faits de pierres pr\u00e9cieuses. Mais si vous promettez de\nrenoncer au culte des idoles et d\u2019adorer le Dieu invisible, nous ferons\nsur vous le signe de la croix, et vous pourrez confondre les mages!\u00bb\nAinsi fut fait; et lorsque les avocats revinrent aupr\u00e8s des mages,\nceux-ci n\u2019eurent plus aucun pouvoir sur eux. Alors la foule se mit \u00e0 les\ninsulter, et fit amener des serpents pour les \u00e9touffer. Mais les deux\nap\u00f4tres, appel\u00e9s par le roi, prirent les serpents dans leurs manteaux et\nles lanc\u00e8rent sur les mages, en disant: \u00abAu nom du Seigneur, vous ne\nmourrez pas, mais, d\u00e9chir\u00e9s par les serpents, vous remplirez l\u2019air de\nvos cris de douleur!\u00bb Aussit\u00f4t les serpents se mirent \u00e0 d\u00e9vorer leurs\nchairs, et les mages hurlaient comme des loups; et le roi et la foule\npriaient les ap\u00f4tres d\u2019ordonner aux serpents de les mettre \u00e0 mort. Mais\nles ap\u00f4tres: \u00abNous avons \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9s pour ressusciter les morts, et non\npour tuer les vivants!\u00bb Apr\u00e8s quoi, ayant pri\u00e9 Dieu, ils ordonn\u00e8rent aux\nserpents de reprendre, dans le corps des mages, tout le venin qu\u2019ils y\navaient d\u00e9pos\u00e9, puis de s\u2019enfuir aux lieux d\u2019o\u00f9 ils \u00e9taient venus. Les\nserpents ob\u00e9irent; et, pendant cette seconde \u00e9preuve, la douleur des\nmages fut plus vive encore. Et les ap\u00f4tres leur dirent: \u00abVous souffrirez\nainsi pendant trois jours, afin de vous gu\u00e9rir de votre malice!\u00bb Mais,\nle troisi\u00e8me jour, venant \u00e0 eux, les ap\u00f4tres leur dirent:\n\u00abNotre-Seigneur ne veut pas qu\u2019on le serve par force, donc levez-vous,\nsoyez d\u00e9livr\u00e9s de vos souffrances, et allez-vous-en, avec plein pouvoir\nde faire ce que vous voudrez!\u00bb Et les mages s\u2019en all\u00e8rent gu\u00e9ris, mais\nsans renoncer \u00e0 leur malice; et ils soulev\u00e8rent contre les ap\u00f4tres la\nBabylonie tout enti\u00e8re.\nPlus tard, la fille d\u2019un des principaux de la ville, ayant mis au monde\nun enfant, accusa un saint diacre de l\u2019avoir viol\u00e9e. Les parents\nvoulaient tuer le diacre; mais les ap\u00f4tres, survenant, demand\u00e8rent quand\nl\u2019enfant \u00e9tait n\u00e9. Et les parents: \u00abHier, \u00e0 la premi\u00e8re heure!\u00bb Et les\nap\u00f4tres: \u00abAmenez ici cet enfant, et amenez en m\u00eame temps le diacre que\nvous accusez!\u00bb Cela fait, les ap\u00f4tres dirent \u00e0 l\u2019enfant: \u00abEnfant, au nom\nde J\u00e9sus, dis-nous si c\u2019est bien cet homme-l\u00e0 qui t\u2019a procr\u00e9\u00e9!\u00bb Et\nl\u2019enfant: \u00abCet homme-l\u00e0 est chaste et saint, et n\u2019a jamais souill\u00e9 sa\nchair!\u00bb Sur quoi les parents de la jeune fille press\u00e8rent les ap\u00f4tres de\nfaire dire \u00e0 l\u2019enfant quel \u00e9tait le vrai coupable. Mais les ap\u00f4tres:\n\u00abNotre t\u00e2che est de faire absoudre les innocents, non de perdre les\ncoupables!\u00bb\nVers le m\u00eame temps, deux tigres f\u00e9roces, qu\u2019on avait enferm\u00e9s dans des\ncaveaux, s\u2019\u00e9chapp\u00e8rent, d\u00e9vorant tous ceux qu\u2019ils rencontraient. Alors\nles ap\u00f4tres vinrent au-devant d\u2019eux et, ayant invoqu\u00e9 le nom du\nSeigneur, les rendirent doux comme des agneaux. Ils voulurent ensuite\ns\u2019en aller de la ville, mais, \u00e0 la demande des habitants, ils y\nrest\u00e8rent encore pendant un an et trois mois; et, durant ce temps, plus\nde soixante mille personnes furent baptis\u00e9es, y compris le roi et les\nprincipaux seigneurs.\nCependant, les deux mages susdits s\u2019\u00e9taient rendus dans une ville nomm\u00e9e\nSuamir, o\u00f9 il y avait soixante-dix pr\u00eatres des idoles; et ils excit\u00e8rent\nces pr\u00eatres contre les ap\u00f4tres. Lors donc que ceux-ci, apr\u00e8s avoir\nparcouru toute la province, arriv\u00e8rent dans cette ville, les pr\u00eatres et\nle peuple s\u2019empar\u00e8rent d\u2019eux et les conduisirent au temple du soleil.\nSur quoi un ange apparut aux deux saints et leur dit: \u00abChoisissez l\u2019une\nde ces deux alternatives: ou bien la mort imm\u00e9diate de ces m\u00e9chants, ou\nvotre martyre!\u00bb Et les ap\u00f4tres: \u00abCe que nous demandons, c\u2019est que Dieu\nconvertisse ces hommes, et nous accorde, \u00e0 nous, la palme du martyre!\u00bb\nPuis, au milieu d\u2019un grand silence, ils dirent \u00e0 la foule: \u00abAfin que\nvous sachiez que ces idoles sont pleines de d\u00e9mons, nous ordonnons \u00e0\nceux-ci d\u2019en sortir, et de briser, chacun, sa statue!\u00bb Aussit\u00f4t, des\nstatues sortirent des Ethiopiens, noirs et nus, qui, apr\u00e8s les avoir\nbris\u00e9es, s\u2019enfuirent avec des cris terribles. Ce que voyant, les pr\u00eatres\nse jet\u00e8rent sur les ap\u00f4tres et les \u00e9gorg\u00e8rent. Et aussit\u00f4t, dans un ciel\nd\u2019une s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 parfaite, des coups de foudre jaillirent qui fendirent en\ndeux le temple et r\u00e9duisirent les mages \u00e0 l\u2019\u00e9tat de charbons. Et le roi\nfit transporter les corps des ap\u00f4tres dans sa capitale, o\u00f9 il \u00e9leva en\nleur honneur une \u00e9glise magnifique.\nD\u2019autre part, Isidore, dans son livre sur la mort des ap\u00f4tres, Eus\u00e8be\ndans son _Histoire eccl\u00e9siastique_, B\u00e8de dans ses commentaires des\n_Actes des Ap\u00f4tres_ et Jean Beleth dans sa _Somme_, affirment que saint\nSimon souffrit le supplice de la croix. Suivant eux, le saint, apr\u00e8s\navoir pr\u00each\u00e9 en Egypte, revint \u00e0 J\u00e9rusalem, o\u00f9 les ap\u00f4tres l\u2019\u00e9lurent,\nd\u2019une voix unanime, pour remplacer Jacques le Mineur sur le si\u00e8ge\n\u00e9piscopal. Il gouverna donc l\u2019Eglise de J\u00e9rusalem pendant nombre\nd\u2019ann\u00e9es et ressuscita trente morts. Il avait atteint l\u2019\u00e2ge de cent\nvingt ans, lorsque, sous le r\u00e8gne de Trajan, il fut pris et mis en croix\npar le consul Atticus. Mais ces m\u00eames \u00e9crivains admettent que ce saint\nSimon peut avoir \u00e9t\u00e9 un autre Simon, fils de Cl\u00e9ophas et neveu de saint\nJoseph.\nCLVIII\nSAINT QUENTIN, MARTYR\n(31 octobre)\nQuentin \u00e9tait de famille noble et citoyen romain. Il \u00e9tait venu dans la\nville d\u2019Amiens et y op\u00e9rait de nombreux miracles, lorsque, par ordre de\nMaximien, le pr\u00e9fet de la ville s\u2019empara de lui, et le jeta en prison\napr\u00e8s l\u2019avoir fait rouer de coups. Mais un ange d\u00e9livra le prisonnier,\nqui s\u2019empressa de retourner sur la grand\u2019place pour y pr\u00eacher au peuple.\nArr\u00eat\u00e9 de nouveau, \u00e9tendu sur un chevalet o\u00f9 ses veines se rompirent,\ncruellement frapp\u00e9 de nerfs de b\u0153uf, br\u00fbl\u00e9 avec de l\u2019huile, de la poix\net de la graisse bouillantes, il supportait tout, et raillait le pr\u00e9fet.\nCelui-ci, furieux, lui fit jeter au visage de la chaux, du vinaigre et\nde la moutarde. Puis, voyant que cela m\u00eame ne l\u2019\u00e9mouvait point, il le\nfit transporter en un lieu du Vermandois; et l\u00e0, apr\u00e8s lui avoir fait\nenfoncer deux grands clous dans la t\u00eate, et dix autres sous les ongles\net dans la chair, il ordonna enfin de le d\u00e9capiter.\nLe corps du saint, jet\u00e9 dans une rivi\u00e8re, y resta cach\u00e9 pendant\ncinquante-cinq ans. Il fut retrouv\u00e9 par une dame noble de Rome, dans les\nconditions que voici. Cette dame qui \u00e9tait aveugle et tr\u00e8s pieuse, fut\navertie la nuit par un ange d\u2019avoir \u00e0 se rendre au camp de Vermandois,\npour y retrouver le corps de saint Quentin et l\u2019ensevelir. Elle se\nrendit donc au lieu dit, avec une nombreuse escorte, et, arriv\u00e9e l\u00e0, se\nmit en pri\u00e8re. Et aussit\u00f4t le corps de saint Quentin flotta, intact et\nparfum\u00e9, \u00e0 la surface des eaux. La dame, qui en r\u00e9compense de ses soins,\navait recouvr\u00e9 la vue, s\u2019occupa d\u2019ensevelir le saint, ordonna de b\u00e2tir\nune \u00e9glise sur son tombeau, et, cela fait, s\u2019en retourna \u00e0 Rome.\nCLIX\nLA TOUSSAINT\n(1er novembre)\nLa f\u00eate de la Toussaint a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e pour quatre objets: en premier\nlieu, pour comm\u00e9morer la cons\u00e9cration d\u2019un certain temple; en second\nlieu pour suppl\u00e9er \u00e0 des omissions; en troisi\u00e8me lieu pour expier nos\nn\u00e9gligences; en quatri\u00e8me lieu pour nous faciliter l\u2019accomplissement de\nnos v\u0153ux.\n1\u00ba Voici d\u2019abord l\u2019histoire de la cons\u00e9cration du temple. Les Romains,\ndevenus ma\u00eetres du monde, avaient construit un temple \u00e9norme, au milieu\nduquel ils avaient plac\u00e9 leur idole; et tout \u00e0 l\u2019entour \u00e9taient les\nidoles de toutes les provinces conquises, la face tourn\u00e9e vers l\u2019idole\ndes Romains. Et l\u2019on raconte que, lorsque l\u2019une des provinces se\nr\u00e9voltait, son idole, par un artifice diabolique, tournait le dos \u00e0\ncelle des Romains; sur quoi Rome envoyait dans cette province une\nnombreuse arm\u00e9e. Mais bient\u00f4t ce temple ne suffit pas aux Romains, qui\nconstruisirent pour chaque dieu un temple particulier. Et comme tous les\ndieux ne pouvaient pas avoir un temple \u00e0 eux dans la ville, les Romains,\npour mieux \u00e9taler leur folie, construisirent en l\u2019honneur de tous les\ndieux un temple plus admirable encore que les autres, et l\u2019appel\u00e8rent le\nPanth\u00e9on, ce qui signifie le temple de tous les dieux. Pour tromper le\npeuple, les pr\u00eatres des idoles lui racont\u00e8rent que la d\u00e9esse Cyb\u00e8le,\nqu\u2019ils appelaient la m\u00e8re de tous les dieux, leur \u00e9tait apparue; et\ncette d\u00e9esse leur aurait dit que, si Rome voulait remporter la victoire\nsur toutes les nations, on e\u00fbt \u00e0 \u00e9lever, \u00e0 tous les dieux ses fils, un\ntemple magnifique. Ce temple fut construit sur une base circulaire, afin\nde symboliser l\u2019\u00e9ternit\u00e9 des dieux; mais lorsqu\u2019on e\u00fbt \u00e9lev\u00e9 les murs \u00e0\nune certaine hauteur, on vit qu\u2019ils ne pouvaient pas tenir \u00e0 cause de la\nlargeur du diam\u00e8tre. Alors, on imagina de remplir l\u2019int\u00e9rieur de terre,\npour faire tenir les murs; et \u00e0 cette terre on m\u00eala quelques pi\u00e8ces\nd\u2019argent. Puis, quand le temple fut achev\u00e9, on d\u00e9clara que tous ceux qui\nemporteraient de la terre pour le d\u00e9blayer auraient le droit de\ns\u2019approprier tout ce qu\u2019ils trouveraient dans la terre: sur quoi le\npeuple se pr\u00e9cipita en foule dans le temple, avec l\u2019espoir de\ns\u2019approprier les pi\u00e8ces d\u2019argent m\u00eal\u00e9es \u00e0 la terre, et le temple ne\ntarda pas \u00e0 \u00eatre d\u00e9blay\u00e9. On dit aussi que, au sommet du temple, les\nRomains plac\u00e8rent une coupole de bronze dor\u00e9 o\u00f9 \u00e9taient sculpt\u00e9es toutes\nles provinces; mais cette coupole, plus tard, tomba, laissant un vide\ndans le toit du temple. Or, sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur Phocas, lorsque\ndepuis longtemps d\u00e9j\u00e0 Rome \u00e9tait devenue chr\u00e9tienne, le pape Boniface,\nquatri\u00e8me successeur de saint Gr\u00e9goire, obtint de l\u2019empereur le susdit\ntemple, le d\u00e9barrassa de toutes ses idoles, et, le 3 mai de l\u2019ann\u00e9e 605,\nle consacra \u00e0 la Vierge Marie et \u00e0 tous les martyrs: d\u2019o\u00f9 il re\u00e7ut le\nnom de Sainte-Marie aux Martyrs, mais le peuple l\u2019appelle plus\ncouramment Sainte-Marie la Ronde. Plus tard encore, un pape nomm\u00e9\nGr\u00e9goire transporta au 1er novembre la date de la f\u00eate anniversaire de\ncette cons\u00e9cration: car \u00e0 cette f\u00eate les fid\u00e8les venaient en foule, pour\nrendre hommage aux saints martyrs, et le pape jugea meilleur que la f\u00eate\nfut c\u00e9l\u00e9br\u00e9e \u00e0 un moment de l\u2019ann\u00e9e o\u00f9, les vendanges et les moissons\n\u00e9tant faites, les p\u00e8lerins pouvaient plus facilement trouver \u00e0 se\nnourrir. En m\u00eame temps, ce pape d\u00e9cr\u00e9ta qu\u2019on c\u00e9l\u00e9brerait, ce jour-l\u00e0,\ndans l\u2019Eglise tout enti\u00e8re, non seulement l\u2019anniversaire de cette\ncons\u00e9cration, mais la m\u00e9moire de tous les saints. Et ainsi ce temple,\nqui avait \u00e9t\u00e9 construit pour toutes les idoles, se trouve aujourd\u2019hui\nconsacr\u00e9 \u00e0 tous les saints.\n2\u00ba La f\u00eate de la Toussaint a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e pour suppl\u00e9er \u00e0 des\nomissions: car il y a beaucoup de saints que nous oublions, et qui non\nseulement n\u2019ont pas de f\u00eate propre, mais qui ne se trouvent m\u00eame pas\ncomm\u00e9mor\u00e9s dans nos pri\u00e8res. C\u2019est, en effet, chose impossible que nous\nc\u00e9l\u00e9brions s\u00e9par\u00e9ment la f\u00eate de tous les saints, tant \u00e0 cause de leur\ninnombrable quantit\u00e9 que de notre faiblesse et du manque de temps. Dans\nl\u2019\u00e9p\u00eetre qu\u2019il a mise en pr\u00e9face \u00e0 son calendrier, saint J\u00e9r\u00f4me dit: \u00abA\nl\u2019exception du 1er janvier, il n\u2019y a pas, dans toute l\u2019ann\u00e9e, un seul\njour o\u00f9 l\u2019on ne puisse trouver inscrite la m\u00e9moire d\u2019au moins cinq mille\nmartyrs. Et c\u2019est pour cela que l\u2019Eglise, dans sa sagesse, ne pouvant\npas accorder \u00e0 chacun des saints un jour de f\u00eate sp\u00e9cial, a d\u00e9cr\u00e9t\u00e9 que,\ndu moins, une fois par an, tous les saints seraient f\u00eat\u00e9s ensemble en\ngrande solennit\u00e9.\u00bb\n3\u00ba La f\u00eate de la Toussaint a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e pour expier des n\u00e9gligences.\nCar bien que nous ne c\u00e9l\u00e9brions la f\u00eate que de peu de saints, encore\nn\u00e9gligeons-nous souvent ceux-l\u00e0 m\u00eame, par ignorance ou par paresse. Et\nc\u2019est de ce p\u00e9ch\u00e9 que nous pouvons nous d\u00e9livrer en c\u00e9l\u00e9brant d\u2019une\nfa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale tous les saints, le jour de la Toussaint.\nNotons, \u00e0 ce propos, que les saints du Nouveau Testament que nous f\u00eatons\nen ce jour, comme dans tout le cours de l\u2019ann\u00e9e, se r\u00e9partissent en\nquatre cat\u00e9gories: les ap\u00f4tres, les martyrs, les confesseurs et les\nvierges. La premi\u00e8re cat\u00e9gorie est celle des ap\u00f4tres, qui d\u00e9passent tous\nles autres saints en dignit\u00e9, en pouvoir, en saintet\u00e9 et en efficacit\u00e9.\nLa seconde cat\u00e9gorie est celle des martyrs, dont l\u2019excellence se\nmanifeste en ce qu\u2019ils ont souffert des maux tr\u00e8s vari\u00e9s, avec une\nconstance invariable et une extr\u00eame utilit\u00e9 pour le salut des hommes. La\ntroisi\u00e8me cat\u00e9gorie est celle des confesseurs, qui ont proclam\u00e9 Dieu de\ntrois fa\u00e7ons: par le c\u0153ur, la bouche, et les \u0153uvres. Enfin, la quatri\u00e8me\ncat\u00e9gorie est celle des vierges, dont la dignit\u00e9 et l\u2019excellence se\nmanifestent en ce que: 1\u00ba elles sont les \u00e9pouses du Roi \u00e9ternel; 2\u00ba\nelles sont comparables aux anges; 3\u00ba elles jouissent au Ciel de nombreux\nprivil\u00e8ges (\u00e9tant admises \u00e0 porter la couronne de l\u2019aur\u00e9ole, \u00e0 chanter\nles cantiques, \u00e0 marcher derri\u00e8re l\u2019Agneau, etc.); 4\u00ba elles sont\nsup\u00e9rieures aux femmes mari\u00e9es. Car, comme le dit saint Augustin, \u00abla\nf\u00e9condit\u00e9 la plus riche et la plus heureuse, pour une femme, est celle\nqui consiste non \u00e0 s\u2019alourdir le ventre mais \u00e0 s\u2019agrandir l\u2019\u00e2me\u00bb,\nattendu que \u00abla f\u00e9condit\u00e9 du ventre ne remplit, que la terre, tandis que\nla f\u00e9condit\u00e9 de l\u2019\u00e2me remplit le ciel\u00bb. Gilbert dit que, \u00absi l\u2019\u00e9tat de\nmariage est bon, la virginit\u00e9 est meilleure\u00bb. Et saint J\u00e9r\u00f4me \u00e9crit,\ndans sa lettre \u00e0 Pammaque: \u00abEntre l\u2019\u00e9tat de mariage et la virginit\u00e9, la\ndiff\u00e9rence est la m\u00eame qu\u2019entre l\u2019\u00e9tat de non-p\u00e9ch\u00e9 et l\u2019\u00e9tat de bonnes\n\u0153uvres; ou encore, d\u2019une fa\u00e7on plus simple, qu\u2019entre le bien et le\nmieux.\u00bb\n4\u00ba Enfin la f\u00eate de la Toussaint a \u00e9t\u00e9 institu\u00e9e pour nous faciliter\nl\u2019obtention de nos v\u0153ux. De m\u00eame que nous honorons en ce jour tous les\nsaints, de m\u00eame nous leur demandons d\u2019interc\u00e9der, tous ensemble, pour\nnous, de fa\u00e7on \u00e0 nous faire avoir plus facilement la mis\u00e9ricorde de\nDieu. Les saints peuvent, en effet, interc\u00e9der pour nous par leurs\nm\u00e9rites et par leur affection: par leurs m\u00e9rites, en ce que le surplus\nde leurs bonnes \u0153uvres s\u2019emploie \u00e0 compenser nos fautes; par leur\naffection, en ce qu\u2019ils demandent \u00e0 Dieu que nos v\u0153ux se r\u00e9alisent,\nchose qu\u2019ils ne font, cependant, que quand ils savent que cela ne\ncontrarie pas la volont\u00e9 de Dieu.\nEt que, dans ce jour, tous les saints se joignent pour interc\u00e9der en\nnotre faveur, c\u2019est ce que prouve une vision qui eut lieu l\u2019ann\u00e9e qui\nsuivit l\u2019institution de cette f\u00eate. Le jour de la Toussaint de cette\nann\u00e9e-l\u00e0, le gardien de l\u2019\u00e9glise de Saint-Pierre, apr\u00e8s avoir pieusement\nfait le tour de tous les autels et implor\u00e9 les suffrages de tous les\nsaints, s\u2019assoupit un moment devant l\u2019autel de saint Pierre. Il fut\nalors ravi en extase et vit le Roi des Rois assis sur son tr\u00f4ne, avec\ntous les anges autour de lui. Puis vint la Vierge des Vierges, avec un\ndiad\u00e8me de feu autour de la t\u00eate, et suivie de la foule innombrable des\nvierges. D\u00e8s qu\u2019elle entra, le Roi se leva et la fit asseoir sur un\ntr\u00f4ne, pr\u00e8s de lui. Puis vint un homme v\u00eatu de poils de chameau, et\nsuivi d\u2019une multitude de vieillards v\u00e9n\u00e9rables; puis un autre homme, en\nhabits de pontife, suivi d\u2019un groupe d\u2019hommes habill\u00e9s de la m\u00eame fa\u00e7on.\nDerri\u00e8re eux s\u2019avan\u00e7a une foule innombrable de soldats, que suivait \u00e0\nson tour une foule infinie d\u2019hommes de toutes les nations. Tous,\nparvenus devant le Roi des Rois, s\u2019agenouill\u00e8rent devant lui et se\nmirent \u00e0 l\u2019adorer. L\u2019homme en habits pontificaux entonna les matines; et\nainsi commen\u00e7a le service divin. Et l\u2019ange qui avait conduit le susdit\ngardien lui expliqua ensuite le sens de cette vision. Il lui dit que la\nVierge assise sur le tr\u00f4ne \u00e9tait la m\u00e8re de Dieu, que l\u2019homme v\u00eatu de\npoils de chameau \u00e9tait saint Jean-Baptiste, ayant derri\u00e8re lui les\npatriarches et les proph\u00e8tes; que l\u2019homme en habits pontificaux \u00e9tait\nsaint Pierre, suivi des ap\u00f4tres; que les soldats \u00e9taient les martyrs, et\nque la foule \u00e9tait form\u00e9e des saints confesseurs. Et l\u2019ange dit au\ngardien que tous ces saints \u00e9taient venus en pr\u00e9sence du Roi des Rois\npour le remercier de l\u2019honneur que lui rendaient, en ce jour, les\nhommes, et pour prier pour le monde entier. Puis l\u2019ange conduisit le\ngardien dans un autre lieu, o\u00f9 il lui montra des personnes des deux\nsexes, dont les unes \u00e9taient v\u00eatues d\u2019or, ou assises \u00e0 des tables\nsomptueuses, tandis que d\u2019autres, nues et mis\u00e9rables, mendiaient du\nsecours. Et l\u2019ange dit au gardien: \u00abCe lieu est le Purgatoire. Les Ames\nque tu vois dans l\u2019abondance sont celles qu\u2019assistent copieusement les\nsuffrages de leurs amis; les \u00e2mes de ces mendiants sont celles de\npersonnes qui n\u2019ont point d\u2019amis, au ciel ni sur la terre, pour\ns\u2019occuper d\u2019elles.\u00bb Et l\u2019ange ordonna au gardien de rapporter tout cela\nau souverain pontife, afin que, apr\u00e8s la f\u00eate de la Toussaint, il\ninstitu\u00e2t la f\u00eate des Ames, c\u2019est-\u00e0-dire une f\u00eate o\u00f9, du moins, des\nsuffrages communs s\u2019\u00e9l\u00e8veraient au Ciel en faveur de ceux qui n\u2019avaient\npersonne pour adresser en leur faveur des suffrages particuliers.\nCLX\nLE JOUR DES AMES\n(2 novembre)\nL\u2019Eglise a institu\u00e9, en ce jour, la comm\u00e9moration des fid\u00e8les d\u00e9funts,\nafin d\u2019accorder un b\u00e9n\u00e9fice g\u00e9n\u00e9ral de pri\u00e8res \u00e0 ceux, parmi ces\nd\u00e9funts, qui n\u2019en poss\u00e8dent point de particuliers. Cette f\u00eate a \u00e9t\u00e9\ninstitu\u00e9e \u00e0 la suite de la vision racont\u00e9e au chapitre pr\u00e9c\u00e9dent. Pierre\nDamien raconte aussi que saint Odilon, abb\u00e9 de Cluny, apprenant que l\u2019on\nentendait souvent sortir de l\u2019Etna les hurlements des d\u00e9mons, et les\nvoix plaintives d\u2019\u00e2mes d\u00e9funtes qui demandaient \u00e0 \u00eatre arrach\u00e9es de\nleurs mains par des aum\u00f4nes et des pri\u00e8res, d\u00e9cida que, dans les\nmonast\u00e8res de son ordre, la f\u00eate de la Toussaint serait suivie de la\ncomm\u00e9moration des \u00e2mes d\u00e9funtes; et cette d\u00e9cision fut ensuite approuv\u00e9e\npar l\u2019Eglise enti\u00e8re.\nTrois questions sont \u00e0 consid\u00e9rer, \u00e0 propos de cette f\u00eate: 1\u00ba quelles\nsont les \u00e2mes qui vont au purgatoire? 2\u00ba par qui sont-elles ch\u00e2ti\u00e9es? 3\u00ba\nen quel lieu vont-elles?\n1\u00ba Trois sortes d\u2019\u00e2mes vont en purgatoire: d\u2019abord celles qui meurent\nsans avoir accompli la p\u00e9nitence qui leur a \u00e9t\u00e9 impos\u00e9e; en second lieu\ncelles \u00e0 qui le pr\u00eatre, par ignorance ou par n\u00e9gligence, n\u2019a pas impos\u00e9\nune p\u00e9nitence suffisante; en troisi\u00e8me lieu celles qui emportent avec\nelles, en mourant, \u00able bois, le foin et la stipule\u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire qui,\ntout en adorant Dieu, restent attach\u00e9es aux biens de la terre.\n2\u00ba Sur la question de savoir par qui sont ch\u00e2ti\u00e9es les \u00e2mes du\npurgatoire, on est d\u2019accord pour affirmer que leur purgation et punition\nse fait par de mauvais anges, et non par de bons anges. Et l\u2019on doit\ncroire, au contraire, que les bons anges visitent souvent leurs fr\u00e8res\net concitoyens dans le purgatoire, les consolent et les exhortent \u00e0\nsouffrir avec patience.\n3\u00ba Enfin, touchant le lieu du purgatoire, bon nombre de savants estiment\nqu\u2019il se trouve dans le voisinage de l\u2019enfer, bien que d\u2019autres\npr\u00e9tendent qu\u2019il est situ\u00e9 dans l\u2019air, et dans la zone torride. Nous\nsavons, d\u2019autre part, que la toute-puissance divine peut assigner aux\ndiverses \u00e2mes des demeures diff\u00e9rentes, et cela pour cinq causes: 1\u00ba\npour l\u2019all\u00e9gement de leur punition; 2\u00ba pour leur plus prompte\nlib\u00e9ration; 3\u00ba pour notre instruction; 4\u00ba pour l\u2019expiation d\u2019une faute\ncommise dans un certain lieu; 5\u00ba en raison de la pri\u00e8re d\u2019un saint.\nChacune de ces causes peut \u00eatre illustr\u00e9e par un exemple.\nPremi\u00e8re cause: all\u00e9gement de la punition. Saint Gr\u00e9goire rapporte que\nplusieurs saints ont connu, par r\u00e9v\u00e9lation, que des \u00e2mes \u00e9taient\nsimplement punies par le s\u00e9jour dans les t\u00e9n\u00e8bres.\nSeconde cause: plus prompte lib\u00e9ration. Cela signifie que certaines \u00e2mes\nsont plac\u00e9es en des lieux d\u2019o\u00f9 elles puissent r\u00e9v\u00e9ler aux vivants leur\nmis\u00e9rable condition, et obtenir d\u2019eux des pri\u00e8res pour \u00eatre plus vite\ntir\u00e9es de peine. C\u2019est ainsi que des p\u00eacheurs du dioc\u00e8se de saint\nTh\u00e9obald prirent en automne un grand morceau de glace, prise qui leur\nfut plus agr\u00e9able que celle d\u2019un poisson, parce que leur \u00e9v\u00eaque\nsouffrait de douleurs dans les pieds, et n\u2019avait point de glace pour se\nrafra\u00eechir les membres malades. Mais un jour l\u2019\u00e9v\u00eaque entendit sortir du\ngla\u00e7on une voix humaine qui lui dit: \u00abJe suis une \u00e2me condamn\u00e9e \u00e0\ns\u00e9journer dans ce gla\u00e7on pour mes p\u00e9ch\u00e9s; et je pourrais \u00eatre d\u00e9livr\u00e9e\nsi tu disais pour moi trente messes pendant trente jours de suite!\u00bb Mais\ncomme l\u2019\u00e9v\u00eaque avait d\u00e9j\u00e0 dit la moiti\u00e9 des trente messes, et se\npr\u00e9parait \u00e0 en dire une nouvelle, le diable souleva un grand conflit\nentre les habitants de la ville: l\u2019\u00e9v\u00eaque, mand\u00e9 pour apaiser la\ndiscorde, se d\u00e9pouilla de ses ornements sacr\u00e9s, et ne dit point la messe\nce jour-l\u00e0. Il e\u00fbt donc \u00e0 recommencer le lendemain une nouvelle\ntrentaine, et d\u00e9j\u00e0 il avait dit vingt messes lorsqu\u2019une immense arm\u00e9e\nassi\u00e9gea la ville, et l\u2019obligea cette fois encore, \u00e0 passer la journ\u00e9e\nloin de son \u00e9glise. Il recommen\u00e7a, le lendemain, une nouvelle trentaine;\net d\u00e9j\u00e0 il s\u2019appr\u00eatait pour la derni\u00e8re messe lorsqu\u2019on vint lui\nannoncer que sa maison \u00e9tait en feu. Mais, comme on voulait qu\u2019il\ninterromp\u00eet sa messe, il s\u2019\u00e9cria: \u00abSi m\u00eame la ville enti\u00e8re br\u00fblait, je\ndirais ma messe jusqu\u2019au bout!\u00bb Et \u00e0 peine l\u2019eut-il dite que la glace\nfondit, et que le feu s\u2019\u00e9vanouit comme un brouillard, sans laisser aucun\ndommage.\nTroisi\u00e8me cause: notre instruction. Des \u00e2mes peuvent \u00eatre plac\u00e9es en un\nlieu d\u2019o\u00f9 elles nous avertissent de la grandeur des peines que nous\nvaudront nos p\u00e9ch\u00e9s. C\u2019est de quoi nous avons un exemple dans un fait\narriv\u00e9 \u00e0 Paris, et qui nous est racont\u00e9 par le Chantre Parisien. Ma\u00eetre\nSilo avait demand\u00e9 \u00e0 un docteur de ses amis, qui \u00e9tait malade, de\nrevenir, apr\u00e8s sa mort, pour lui faire part de l\u2019\u00e9tat o\u00f9 il se trouvait.\nQuelques jours apr\u00e8s, le docteur d\u00e9funt lui apparut tout v\u00eatu d\u2019une\nchape de parchemin o\u00f9 \u00e9taient inscrits des sophismes; et, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur,\ncette chape \u00e9tait garnie de charbons ardents. Et il dit \u00e0 son ancien\ncompagnon: \u00abCette chape p\u00e8se plus lourdement \u00e0 mon corps que si je\nportais une tour sur mes \u00e9paules! Elle m\u2019a \u00e9t\u00e9 impos\u00e9e en punition de la\ngloire que m\u2019avaient value mes sophismes.\u00bb Et comme ma\u00eetre Silo estimait\nque c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une punition assez facile \u00e0 supporter, le d\u00e9funt lui dit\nde lui toucher la main, et, de sa main, fit tomber sur lui une goutte de\nsueur: cette goutte perfora la main de ma\u00eetre Silo plus cruellement que\nn\u2019aurait fait une fl\u00e8che, et il y sentit une douleur \u00e9pouvantable. Alors\nle d\u00e9funt lui dit: \u00abVoil\u00e0 ce que je sens dans tout mon corps!\u00bb Sur quoi\nma\u00eetre Silo, effray\u00e9 de l\u2019\u00e9normit\u00e9 d\u2019une telle peine, r\u00e9solut de\nrenoncer au si\u00e8cle et d\u2019entrer en religion, ce qu\u2019il fit apr\u00e8s avoir\nd\u2019abord compos\u00e9, \u00e0 l\u2019usage de ses coll\u00e8gues et \u00e9l\u00e8ves, le distique\nsuivant:\n Linquo choas ranis, cra corvis, vanaque vanis.\n Ad logicam pergo qu\u00e6 mortis non timet ergo[15].\n [15] J\u2019abandonne le coassement aux grenouilles, le croassement aux\n corbeaux et les vanit\u00e9s aux vains; et je vais vers la seule logique\n qui ne redoute point les _ergo_ de la mort!\nQuatri\u00e8me cause: l\u2019expiation d\u2019une faute. Saint Augustin dit en effet\nque certaines \u00e2mes subissent leur peine dans le lieu m\u00eame o\u00f9 elles ont\ncommis leur faute, et c\u2019est ce que prouve un exemple racont\u00e9 par saint\nGr\u00e9goire dans son quatri\u00e8me dialogue. Un pr\u00eatre trouvait toujours,\nlorsqu\u2019il entrait dans son bain, un homme inconnu qui le servait avec de\ngrands \u00e9gards. Et comme un jour, pour le r\u00e9compenser, il lui offrait du\npain b\u00e9nit, l\u2019inconnu lui r\u00e9pondit tristement: \u00abH\u00e9las, mon P\u00e8re, je ne\npuis toucher \u00e0 ce pain consacr\u00e9! J\u2019\u00e9tais autrefois le ma\u00eetre de ce lieu,\net j\u2019y suis retenu aujourd\u2019hui, apr\u00e8s ma mort, en punition de mes\nfautes. Mais je te prie d\u2019offrir \u00e0 Dieu ce pain pour mes p\u00e9ch\u00e9s; et, le\njour o\u00f9 tu ne me trouveras plus ici, tu sauras que tes pri\u00e8res auront\n\u00e9t\u00e9 exauc\u00e9es.\u00bb Le pr\u00eatre offrit pour lui la sainte hostie pendant une\nsemaine; apr\u00e8s quoi, quand il revint au bain, il ne le trouva plus.\nCinqui\u00e8me cause: la pri\u00e8re d\u2019un saint. C\u2019est ainsi que, dans le chapitre\nconsacr\u00e9 \u00e0 la f\u00eate de saint Patrice, nous avons racont\u00e9 comment ce saint\na obtenu, pour certains morts, d\u2019avoir leur purgatoire en un certain\nlieu sous la terre.\nOn peut se demander, ensuite, quels sont les suffrages qui peuvent aider\nles \u00e2mes du purgatoire. Parmi ceux qui sont les plus utiles \u00e0 ces \u00e2mes,\nfigurent la pri\u00e8re des amis, les aum\u00f4nes, l\u2019immolation de la sainte\nhostie et l\u2019observation des je\u00fbnes.\nL\u2019utilit\u00e9 des pri\u00e8res des amis nous est prouv\u00e9e par l\u2019exemple de\nPaschase, tel que nous le raconte saint Gr\u00e9goire dans ses _Dialogues_.\nCe Paschase \u00e9tait un homme plein de vertu et de saintet\u00e9; mais comme on\navait \u00e9lu deux souverains pontifes, et qu\u2019ensuite l\u2019Eglise s\u2019\u00e9tait\nd\u00e9cid\u00e9e \u00e0 reconna\u00eetre l\u2019un d\u2019entre eux, Paschase s\u2019\u00e9tait obstin\u00e9,\njusqu\u2019\u00e0 sa mort, \u00e0 lui pr\u00e9f\u00e9rer l\u2019autre. Quand il mourut, un poss\u00e9d\u00e9 fut\ngu\u00e9ri en touchant sa dalmatique, pos\u00e9e sur son cercueil. Mais, longtemps\napr\u00e8s, l\u2019\u00e9v\u00eaque de Capoue, Germain, \u00e9tant entr\u00e9 au bain pour cause de\nsant\u00e9, aper\u00e7ut le susdit Paschase qui le servait humblement. Effray\u00e9, il\nse demanda ce que pouvait faire l\u00e0 un si saint homme. Et Paschase lui\ndit qu\u2019il portait le ch\u00e2timent d\u2019avoir soutenu la mauvaise cause dans la\nrivalit\u00e9 des deux papes. Et il ajouta: \u00abPrie Dieu pour moi; et le jour\no\u00f9 tu ne me retrouveras plus ici, c\u2019est que ta pri\u00e8re aura \u00e9t\u00e9 exauc\u00e9e!\u00bb\nGermain pria donc pour lui; et, quelques jours apr\u00e8s, en revenant au\nbain, il ne le vit plus.--Autre exemple: Pierre de Cluny raconte qu\u2019un\npr\u00eatre, qui c\u00e9l\u00e9brait tous les jours une messe pour les morts, fut\nd\u00e9nonc\u00e9 \u00e0 son \u00e9v\u00eaque, et suspendu de son office. Or, un jour que\nl\u2019\u00e9v\u00eaque traversait le cimeti\u00e8re pour c\u00e9l\u00e9brer les matines, les morts se\nsoulev\u00e8rent contre lui en disant: \u00abCet \u00e9v\u00eaque, non content de ne point\ndire de messe pour nous, nous a encore enlev\u00e9 notre pr\u00eatre. Mais, s\u2019il\nne r\u00e9pare point le mal qu\u2019il a fait, la mort l\u2019attend!\u00bb Aussi l\u2019\u00e9v\u00eaque\ns\u2019empressa-t-il de lever la suspension du pr\u00eatre, et de dire lui-m\u00eame,\nd\u00e9sormais, des messes pour les morts.\nCombien sont agr\u00e9ables aux morts les pri\u00e8res des vivants, c\u2019est ce que\nnous prouve un exemple cit\u00e9 par le Chantre Parisien. Un homme avait\ncoutume, en traversant le cimeti\u00e8re, de r\u00e9citer un psaume pour les\nmorts. Et comme, un jour, ses ennemis le poursuivaient dans le\ncimeti\u00e8re, les morts se soulev\u00e8rent, le prot\u00e9g\u00e8rent et mirent en fuite\nses ennemis \u00e9pouvant\u00e9s.\nVoici maintenant, d\u2019apr\u00e8s saint Gr\u00e9goire, un exemple qui prouve combien\nles aum\u00f4nes sont pr\u00e9cieuses pour la lib\u00e9ration des \u00e2mes d\u00e9funtes. Un\nsoldat, qui \u00e9tait mort et revenu \u00e0 la vie, raconta qu\u2019il avait vu un\npont sous lequel coulait un fleuve noir et f\u00e9tide. Au del\u00e0 du pont\ns\u2019\u00e9tendait une belle prairie, par\u00e9e de fleurs parfum\u00e9es, et o\u00f9 se\npromenaient, par groupes, des hommes v\u00eatus de blanc. Mais tout p\u00e9cheur\nqui s\u2019aventurait sur le pont tombait dans l\u2019horrible fleuve, et seuls\nles justes s\u2019avan\u00e7aient d\u2019un pas s\u00fbr jusque dans la prairie. Et le\nsoldat vit, dans ce fleuve, un homme nomm\u00e9 Pierre, qui \u00e9tait couch\u00e9 sur\nle dos, ayant sur soi un \u00e9norme poids de fer. Et on lui dit que cet\nhomme souffrait cette peine parce que, de son vivant, quand il avait \u00e0\nch\u00e2tier un coupable, il le faisait par cruaut\u00e9 plus que par ob\u00e9issance.\nUn autre homme, nomm\u00e9 Etienne, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 tomb\u00e9 dans le fleuve, lorsque\ndes hommes v\u00eatus de blanc le prirent par les bras et le hiss\u00e8rent jusque\ndans la prairie. Et l\u2019on dit au soldat que ces hommes repr\u00e9sentaient les\naum\u00f4nes d\u2019Etienne luttant contre les vices de sa chair.\nCombien l\u2019immolation de l\u2019hostie peut servir aux d\u00e9funts, c\u2019est ce que\nnous prouvent de nombreux exemples. Saint Gr\u00e9goire raconte, dans ses\n_Dialogues_, qu\u2019un de ses moines, nomm\u00e9 Juste, \u00e9tant sur le point de\nmourir, avait avou\u00e9 qu\u2019il poss\u00e9dait secr\u00e8tement trois pi\u00e8ces d\u2019or. Saint\nGr\u00e9goire ordonna de placer ces trois pi\u00e8ces dans son cercueil, en\ndisant: \u00abQue ton argent t\u2019accompagne dans la perdition!\u00bb Mais en m\u00eame\ntemps il demanda aux fr\u00e8res d\u2019immoler l\u2019hostie pour le mort pendant\ntrente jours. Au bout des trente jours, le mort apparut \u00e0 un de ses\nfr\u00e8res. Et comme celui-ci lui demandait en quel \u00e9tat il se trouvait:\n\u00abJ\u2019ai \u00e9t\u00e9, jusqu\u2019ici, en fort mauvais \u00e9tat; mais, ce matin, j\u2019ai \u00e9t\u00e9\nadmis \u00e0 la communion et ma peine a cess\u00e9!\u00bb\nL\u2019immolation de l\u2019hostie peut m\u00eame servir pour les vivants. Un homme,\ndont tous les compagnons avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9cras\u00e9s sous une roche, dans une\nmine d\u2019argent, restait vivant, mais se trouvait enferm\u00e9 dans la mine,\nfaute d\u2019issue. Sa femme, le croyant mort, faisait dire tous les jours\nune messe pour lui, o\u00f9 elle assistait elle-m\u00eame. Mais pendant trois\njours le diable, l\u2019arr\u00eatant sur son chemin, lui dit: \u00abInutile d\u2019aller\nplus loin, car la messe est d\u00e9j\u00e0 dite!\u00bb De telle sorte que, pendant ces\ntrois jours, la femme ne fit point c\u00e9l\u00e9brer de messe pour son mari, et\nne put pas non plus offrir sur l\u2019autel le pain, la cruche de vin et le\ncierge qu\u2019elle offrait tous les jours. Or, peu de temps apr\u00e8s, un homme\nqui travaillait dans la mine entendit une voix qui semblait venir\nd\u2019au-dessous de lui, et qui lui disait: \u00abNe frappe pas aussi fort, car\nvoici une grosse pierre qui menace de tomber sur moi!\u00bb Alors le mineur\ncessa de creuser en cet endroit, et, sur le c\u00f4t\u00e9, se fraya un chemin\njusqu\u2019\u00e0 un endroit o\u00f9 il trouva, vivant et en parfaite sant\u00e9, celui que\nl\u2019on croyait mort. Et comme on lui demandait comment il avait pu vivre\nl\u00e0 si longtemps, il dit que, tous les jours, except\u00e9 pendant trois\njours, une main invisible lui avait apport\u00e9 du pain, une cruche de vin\net un cierge allum\u00e9. Ce qu\u2019entendant sa femme, ravie de bonheur, comprit\nque c\u2019\u00e9tait de son offrande que son mari avait v\u00e9cu. Ce miracle, que\nnous raconte Pierre de Cluny, a eu lieu dans un village appel\u00e9\nFerri\u00e8res, du dioc\u00e8se de Grenoble. Et pareillement saint Gr\u00e9goire\nraconte l\u2019histoire d\u2019un marin qui allait p\u00e9rir en mer lorsqu\u2019une messe,\ndite pour lui par un pr\u00eatre, lui permit de sortir des flots. Et comme on\nlui demandait de quoi il avait pu vivre, sur son \u00e9pave, il dit qu\u2019un\ninconnu lui avait apport\u00e9 un pain: or, c\u2019\u00e9tait \u00e0 l\u2019heure m\u00eame o\u00f9 le\npr\u00eatre immolait l\u2019hostie pour lui.\nLes je\u00fbnes et autres p\u00e9nitences, de la part des parents et amis des\nmorts, peuvent \u00e9galement \u00eatre d\u2019un grand prix pour abr\u00e9ger aux \u00e2mes la\ndur\u00e9e de leur peine. Une veuve se d\u00e9sesp\u00e9rait de sa pauvret\u00e9, lorsque le\ndiable lui apparut et lui promit de la rendre riche, si elle consentait\n\u00e0 faire ce qu\u2019il voudrait. La femme y consentit; et le diable lui\nordonna quatre choses: 1\u00ba de contraindre \u00e0 la fornication des hommes\nd\u2019\u00e9glise qui demeuraient chez elle; 2\u00ba d\u2019accueillir chez soi des\npauvres, mais pour les renvoyer ensuite nus, au milieu de la nuit; 3\u00ba\nd\u2019emp\u00eacher les pri\u00e8res \u00e0 l\u2019\u00e9glise, en parlant tr\u00e8s haut; et 4\u00ba de ne\nsouffler mot de tout cela \u00e0 \u00e2me qui vive. Or, comme cette, femme allait\nmourir, et que son fils l\u2019engageait \u00e0 se confesser, elle lui avoua ce\nqu\u2019elle avait fait, et lui dit que, tel \u00e9tant son cas, aucune confession\nne pourrait la sauver. Mais comme le fils insistait en pleurant, et\npromettait de faire pour elle autant de p\u00e9nitence qu\u2019il faudrait, elle\nfinit par consentir \u00e0 ce qu\u2019il all\u00e2t chercher un pr\u00eatre. Mais, avant que\nle pr\u00eatre ne f\u00fbt arriv\u00e9, les d\u00e9mons se jet\u00e8rent sur elle, lui causant\nune frayeur si forte, qu\u2019elle en mourut. Son fils n\u2019en confessa pas\nmoins au pr\u00eatre le p\u00e9ch\u00e9 de sa m\u00e8re; et celle-ci, apr\u00e8s qu\u2019il e\u00fbt fait\np\u00e9nitence pendant sept ans, lui apparut, pour le remercier de l\u2019avoir\nd\u00e9livr\u00e9e.\nMais nous devons ajouter que ces suffrages, pour avoir de la valeur,\ndoivent provenir de personnes \u00e9tant elles-m\u00eames vertueuses: car les\nsuffrages des m\u00e9chants ne servent de rien aux \u00e2mes des d\u00e9funts. Un\nsoldat \u00e9tait couch\u00e9 avec sa femme dans son lit; et, comme la lune\nenvoyait ses rayons dans la chambre, le soldat s\u2019\u00e9tonnait de ce que les\ncr\u00e9atures raisonnables refusassent d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la loi divine, tandis que\nles \u00eatres sans raison y ob\u00e9issaient: apr\u00e8s quoi il se mit \u00e0 parler des\np\u00e9ch\u00e9s d\u2019un de ses camarades, qui \u00e9tait mort. Mais au m\u00eame instant le\nmort entra dans la chambre et lui dit: \u00abMon ami, ne pense mal de\npersonne; et, si j\u2019ai p\u00e9ch\u00e9 envers toi, pardonne-le-moi!\u00bb Le soldat lui\nayant demand\u00e9 en quel \u00e9tat il se trouvait, il r\u00e9pondit: \u00abJe suis tortur\u00e9\nde mille fa\u00e7ons, en punition surtout d\u2019avoir viol\u00e9 un cimeti\u00e8re et d\u2019y\navoir bless\u00e9 quelqu\u2019un pour lui d\u00e9rober sa cape. C\u2019est cette cape que je\nsuis condamn\u00e9 \u00e0 porter sur mon dos; et une montagne n\u2019y p\u00e8serait pas\ndavantage!\u00bb Il demanda \u00e0 son camarade de faire dire des pri\u00e8res pour\nlui. Mais comme son camarade lui proposait de les faire dire par tel et\ntel pr\u00eatre, le mort, sans rien r\u00e9pondre, secouait la t\u00eate en signe de\nrefus. Enfin le vivant lui demanda s\u2019il voulait qu\u2019un certain ermite\npri\u00e2t pour lui. Et le mort: \u00abOh! pl\u00fbt \u00e0 Dieu que celui-l\u00e0 consent\u00eet \u00e0\nprier pour moi!\u00bb Et il dit encore \u00e0 son compagnon, avant de dispara\u00eetre:\n\u00abJe te pr\u00e9viens que, dans deux ans d\u2019aujourd\u2019hui, tu mourras \u00e0 ton\ntour!\u00bb De telle sorte que le soldat put changer de vie, et s\u2019endormir\ndans le Seigneur.\nQuand nous disons que les suffrages offerts par les m\u00e9chants ne peuvent\nservir aux morts, on entend bien que nous voulons parler des pri\u00e8res,\nje\u00fbnes, etc., mais non des sacrements, tels que la c\u00e9l\u00e9bration de la\nmesse, dont le plus mauvais pr\u00eatre ne saurait emp\u00eacher le caract\u00e8re\nsacr\u00e9. Et les mourants doivent, \u00e0 ce propos, se garder de commettre \u00e0\ndes m\u00e9chants le soin de veiller, apr\u00e8s leur mort, sur le salut de leurs\n\u00e2mes, afin que ne leur arrive point l\u2019aventure qui arriva \u00e0 certain\nsoldat partant pour combattre les Maures avec Charlemagne. Ce soldat\navait demand\u00e9 \u00e0 un de ses parents, au cas o\u00f9 il mourrait, de vendre son\ncheval et d\u2019en distribuer le prix aux pauvres. Apr\u00e8s quoi le soldat\nmourut: mais son parent, trouvant le cheval \u00e0 son go\u00fbt, le garda pour\nlui. Or, peu de temps apr\u00e8s, le mort lui apparut et lui dit: \u00abInfid\u00e8le\nparent, tu m\u2019as fait souffrir pendant huit jours les peines du\npurgatoire, en ne donnant pas aux pauvres le prix de mon cheval; mais tu\nen seras puni, car, aujourd\u2019hui m\u00eame, les diables vont emporter ton \u00e2me\nen enfer!\u00bb Et, au m\u00eame instant, on entendit dans l\u2019air une grande\nclameur, comme des cris de lions, d\u2019ours et de loups; et l\u2019\u00e2me du\nmauvais parent fut emport\u00e9e en enfer.\nCLXI\nLES QUATRE COURONN\u00c9S, MARTYRS\n(8 novembre)\nLes quatre couronn\u00e9s s\u2019appelaient S\u00e9v\u00e8re, S\u00e9v\u00e9rien, Carpophore et\nVictorin. Par l\u2019ordre de Diocl\u00e9tien, ils furent battus de verges\nplomb\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 ce que mort s\u2019ensuiv\u00eet. On fut pendant tr\u00e8s longtemps\nsans trouver les noms de ces quatre martyrs; et l\u2019Eglise, faute de\nconna\u00eetre leurs noms, d\u00e9cida de c\u00e9l\u00e9brer leur f\u00eate le m\u00eame jour que\ncelle de cinq autres martyrs, Claude, Castor, Symphorien, Nicostrate et\nSimplice, qui subirent le martyre deux ans plus tard. Ces cinq martyrs\n\u00e9taient sculpteurs; et comme ils se refusaient \u00e0 sculpter une idole pour\nDiocl\u00e9tien, ils furent enferm\u00e9s vivants dans des tonneaux plomb\u00e9s, et\npr\u00e9cipit\u00e9s dans la mer, en l\u2019an du Seigneur 287. C\u2019est donc le jour de\nla f\u00eate de ces cinq martyrs que le pape Melchiade ordonna que fussent\ncomm\u00e9mor\u00e9s, sous le nom des Quatre Couronn\u00e9s, les quatre autres martyrs\ndont on ignorait les noms. Et bien que, par la suite, une r\u00e9v\u00e9lation\ndivine e\u00fbt permis de conna\u00eetre les noms de ces saints, l\u2019usage se\nconserva de les d\u00e9signer sous le nom collectif des Quatre Couronn\u00e9s.\nCLXII\nSAINT TH\u00c9ODORE, MARTYR\n(9 novembre)\nTh\u00e9odore souffrit le martyre dans la ville des Marmanites, sous le r\u00e8gne\ndes empereurs Diocl\u00e9tien et Maximien. Comme le pr\u00e9fet de la ville lui\ndisait que, s\u2019il sacrifiait aux idoles, il serait restitu\u00e9 dans son\nancienne dignit\u00e9 militaire, il r\u00e9pondit: \u00abJe sers maintenant dans\nl\u2019arm\u00e9e de mon Dieu et de son fils, J\u00e9sus-Christ!\u00bb Et le pr\u00e9fet: \u00abAinsi\nton Dieu a un fils?\u00bb Et Th\u00e9odore: \u00abOui.\u00bb Et le pr\u00e9fet: \u00abPouvons-nous le\nconna\u00eetre?\u00bb Et Th\u00e9odore: \u00abPl\u00fbt au ciel que vous le connussiez et\nvinssiez \u00e0 lui!\u00bb Ayant re\u00e7u l\u2019ordre de sacrifier aux idoles, Th\u00e9odore\nentra, de nuit, dans le temple de Mars, et y mit le feu. D\u00e9nonc\u00e9 par\nquelqu\u2019un qui l\u2019avait vu faire, il fut jet\u00e9 en prison pour y mourir de\nfaim. Mais le Seigneur lui apparut et lui dit: \u00abAie confiance, mon\nserviteur Th\u00e9odore, car je suis avec toi!\u00bb Puis une troupe d\u2019anges,\nv\u00eatus de blanc, entra dans la cellule et se mit \u00e0 chanter des psaumes\navec le prisonnier. Ce que voyant, les gardiens s\u2019enfuirent, \u00e9pouvant\u00e9s.\nLe lendemain Th\u00e9odore fut de nouveau invit\u00e9 \u00e0 sacrifier aux idoles. Et\nil dit: \u00abVous pouvez br\u00fbler mes chairs et me prodiguer tous les\nsupplices; tant que respireront mes narines je ne renierai point mon\nDieu!\u00bb Il fut alors pendu \u00e0 un poteau, et on lui d\u00e9chira les chairs si\ncruellement que ses c\u00f4tes furent mises \u00e0 nu. Alors le pr\u00e9fet: \u00abTh\u00e9odore,\nveux-tu \u00eatre avec nous ou avec ton Christ?\u00bb Et lui: \u00abC\u2019est avec mon\nChrist que j\u2019ai \u00e9t\u00e9, et suis, et serai!\u00bb Le pr\u00e9fet le fit br\u00fbler sur un\nb\u00fbcher, o\u00f9 il rendit l\u2019\u00e2me; mais son corps resta intact, et une odeur\nd\u00e9licieuse s\u2019en exhalait, et l\u2019on entendit une voix qui disait: \u00abViens,\nmon aim\u00e9, entre dans la joie de ton Seigneur!\u00bb Et bon nombre\nd\u2019assistants virent le ciel s\u2019ouvrir. Ce martyre eut lieu en l\u2019an du\nSeigneur 287.\nCLXIII\nSAINT MARTIN, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(11 novembre)\nI. Martin \u00e9tait originaire de la Pannonie; mais il fut \u00e9lev\u00e9 \u00e0 Pavie, en\nItalie, et servit ensuite les empereurs Constantin et Julien, avec son\np\u00e8re, qui \u00e9tait tribun des soldats. Cependant, ce n\u2019est pas de son plein\ngr\u00e9 qu\u2019il entra dans l\u2019arm\u00e9e: car, inspir\u00e9 d\u2019en haut d\u00e8s son enfance, \u00e0\nl\u2019\u00e2ge de douze ans il s\u2019\u00e9tait enfui dans une \u00e9glise, pour demander \u00e0\ndevenir cat\u00e9chum\u00e8ne; et il se serait fait ermite, si la faiblesse de sa\nsant\u00e9 ne l\u2019en e\u00fbt emp\u00each\u00e9. Mais lorsque les empereurs r\u00e9solurent que les\nfils des v\u00e9t\u00e9rans eussent \u00e0 servir avec leurs p\u00e8res, force fut au jeune\nMartin de s\u2019enr\u00f4ler. Il avait alors quinze ans. Et, du moins, ne\nvoulut-il avoir qu\u2019un seul serviteur, que d\u2019ailleurs lui-m\u00eame se\nplaisait \u00e0 servir, lui brossant ses v\u00eatements et lui \u00f4tant sa chaussure.\nUn jour d\u2019hiver, comme il passait sous une des portes d\u2019Amiens, il\nrencontra un pauvre qui \u00e9tait tout nu. Aussit\u00f4t, coupant en deux, avec\nson \u00e9p\u00e9e, le manteau dont il \u00e9tait recouvert, il en donna \u00e0 ce pauvre\nune des deux moiti\u00e9s. Et, la nuit suivante, il vit le Christ lui-m\u00eame\nv\u00eatu de cette moiti\u00e9 de manteau; et il entendit que Notre-Seigneur\ndisait aux anges qui l\u2019entouraient: \u00abCe manteau, Martin me l\u2019a donn\u00e9\nquand il n\u2019\u00e9tait encore que cat\u00e9chum\u00e8ne!\u00bb Le saint jeune homme, au\nreste, ne tira de cette vision aucune vanit\u00e9, mais y vit seulement une\nnouvelle preuve de la bont\u00e9 de Dieu. A dix-huit ans, il se fit baptiser.\nIl aurait voulu se consacrer tout entier au Seigneur; mais son tribun\nlui demanda de servir deux ann\u00e9es encore, lui promettant de le laisser,\nensuite, libre de se retirer. Or, au bout de ces deux ans, et comme les\nbarbares envahissaient la Gaule, l\u2019empereur Julien distribua de l\u2019argent\nentre les soldats charg\u00e9s de les repousser. Mais Martin refusa d\u2019en\nprendre sa part, disant: \u00abJe suis soldat du Christ et n\u2019ai pas le droit\nde combattre!\u00bb Julien, indign\u00e9, lui dit que ce n\u2019\u00e9tait pas par pi\u00e9t\u00e9,\nmais par peur qu\u2019il renon\u00e7ait au service, devant la guerre imminente. Et\nl\u2019intr\u00e9pide jeune homme lui r\u00e9pondit: \u00abPuisque tu mets ma conduite sur\nle compte de la l\u00e2chet\u00e9, je me pr\u00e9senterai demain sans armes en face de\nl\u2019ennemi, et je braverai ses coups avec le signe de la croix en guise de\ncasque et de bouclier.\u00bb Julien donna l\u2019ordre qu\u2019on le m\u00eet en demeure de\nfaire comme il avait dit. Mais le lendemain, d\u00e8s le matin, l\u2019ennemi\nannon\u00e7a qu\u2019il se rendait avec tous ses biens: et ainsi la victoire fut\nobtenue sans perte de sang, par le seul m\u00e9rite du saint.\nAu sortir de l\u2019arm\u00e9e, Martin se rendit aupr\u00e8s de saint Hilaire, \u00e9v\u00eaque\nde Poitiers, qui l\u2019ordonna son coadjuteur. Mais une nuit, en r\u00eave, le\nSeigneur l\u2019avertit d\u2019avoir \u00e0 aller visiter ses parents, qui \u00e9taient\nrest\u00e9s pa\u00efens. Il se mit en route, pr\u00e9voyant avec raison qu\u2019il aurait \u00e0\ntraverser toutes sortes d\u2019\u00e9preuves. Au passage des Alpes, il fut attaqu\u00e9\npar des voleurs, qui, apr\u00e8s lui avoir li\u00e9 les mains derri\u00e8re le dos, le\nlaiss\u00e8rent \u00e0 la garde de l\u2019un d\u2019eux. Et comme, avant de le laisser, ils\nlui demandaient s\u2019il avait peur, il r\u00e9pondit que jamais au contraire il\nn\u2019avait \u00e9t\u00e9 plus rassur\u00e9, car il savait que la mis\u00e9ricorde divine se\nfaisait voir le plus volontiers dans les tentations. Rest\u00e9 seul avec le\nvoleur, il lui pr\u00eacha l\u2019\u00e9vangile, et le convertit: de telle sorte que\ncet homme, apr\u00e8s l\u2019avoir reconduit sur la grand\u2019route, mena depuis lors\nune vie honorable. A Milan, ensuite, c\u2019est le diable lui-m\u00eame qui,\nprenant forme humaine, aborda Martin et lui demanda o\u00f9 il allait. Et\nMartin: \u00abJe vais o\u00f9 mon ma\u00eetre m\u2019appelle!\u00bb Et le diable: \u00abO\u00f9 que tu\nailles, tu trouveras le diable contre toi!\u00bb Mais Martin lui r\u00e9pondit:\n\u00abAvec l\u2019aide du Cr\u00e9ateur je ne crains rien de la cr\u00e9ature!\u00bb Enfin,\narriv\u00e9 \u00e0 Pavie, Martin convertit sa m\u00e8re: son p\u00e8re, au contraire,\npers\u00e9v\u00e9ra dans l\u2019idol\u00e2trie.\nPeu de temps apr\u00e8s, l\u2019h\u00e9r\u00e9sie arienne s\u2019\u00e9tant r\u00e9pandue \u00e0 Pavie, et\nMartin se trouvant \u00e0 peu pr\u00e8s seul \u00e0 y r\u00e9sister, on le chassa de la\nville, non sans l\u2019avoir battu. Il revint \u00e0 Milan et y fonda un\nmonast\u00e8re; mais, de l\u00e0 encore, les ariens le bannirent. En compagnie\nd\u2019un seul pr\u00eatre, il se r\u00e9fugia dans l\u2019\u00eele Gallinaria. Pendant qu\u2019il y\n\u00e9tait, il absorba un jour, par erreur, de la graine d\u2019ell\u00e9bore; et d\u00e9j\u00e0\nle poison allait le faire mourir, lorsque, par la force de sa pri\u00e8re, il\nvainquit \u00e0 la fois le danger et la douleur. Enfin, ayant appris que\nsaint Hilaire \u00e9tait revenu d\u2019exil, il alla le rejoindre, et fonda un\nmonast\u00e8re pr\u00e8s de Poitiers[16]. L\u00e0, un jour, il apprit qu\u2019un cat\u00e9chum\u00e8ne\nvenait de mourir sans avoir re\u00e7u le bapt\u00eame. Il se rendit dans la\ncellule du d\u00e9funt, pria sur son corps et le rappela \u00e0 la vie. Et ce\ncat\u00e9chum\u00e8ne rapporta que, au moment o\u00f9 on l\u2019entra\u00eenait d\u00e9j\u00e0 en enfer,\ndeux anges avaient murmur\u00e9 \u00e0 l\u2019oreille de son juge que c\u2019\u00e9tait l\u00e0 le\np\u00e9cheur pour qui priait saint Martin. Et le saint rendit \u00e9galement la\nvie \u00e0 un homme qui s\u2019\u00e9tait pendu, ce qui permit \u00e0 cet homme de faire\np\u00e9nitence.\n [16] A Ligug\u00e9.\nL\u2019\u00e9v\u00eaque de Tours \u00e9tant mort, la ville d\u00e9signa Martin pour lui succ\u00e9der.\nEn vain quelques \u00e9v\u00eaques s\u2019oppos\u00e8rent \u00e0 cette \u00e9lection, sous pr\u00e9texte\nque Martin \u00e9tait n\u00e9glig\u00e9 dans ses v\u00eatements et d\u2019humble figure. Il n\u2019en\nfut pas moins promu \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9, malgr\u00e9 ses ennemis, et aussi malgr\u00e9 lui.\nEt comme il ne pouvait supporter le tumulte de la ville, il fonda, \u00e0\ndeux milles de Tours, un monast\u00e8re[17], o\u00f9 il v\u00e9cut dans l\u2019abstinence,\nen compagnie de quatre-vingts disciples. Aucun d\u2019eux ne buvait de vin,\nsauf en cas de maladie; et le bien-\u00eatre m\u00eame, dans ce monast\u00e8re, \u00e9tait\ntenu pour un p\u00e9ch\u00e9.\n [17] Marmoutier (ou le Monast\u00e8re de Martin).\nVoyant qu\u2019on invoquait comme un martyr un homme dont il ne pouvait\nd\u00e9couvrir ni la vie ni les m\u00e9rites, Martin se mit un jour en pri\u00e8re sur\nla tombe du soi-disant martyr, et demanda \u00e0 Dieu de vouloir bien lui\nfaire savoir ce qui en \u00e9tait. Alors, se retournant, il vit une ombre\nnoire qui, interrog\u00e9e par lui, r\u00e9pondit que, loin d\u2019\u00eatre l\u2019ombre d\u2019un\nsaint, elle \u00e9tait celle d\u2019un voleur, et frapp\u00e9e en ch\u00e2timent de ses\ncrimes. Sur quoi Martin fit d\u00e9truire l\u2019autel consacr\u00e9 \u00e0 ce pr\u00e9tendu\nsaint.\nS\u00e9v\u00e8re et Gallus, disciples de saint Martin, racontent que ce saint\naborda un jour l\u2019empereur Valentinien avec une requ\u00eate, et que\nl\u2019empereur fit fermer devant lui les portes de son palais, sachant que\ncelui-ci venait demander des choses qu\u2019on ne pouvait lui accorder. Mais\nMartin, ayant \u00e9t\u00e9 ainsi repouss\u00e9 trois fois de suite, se v\u00eatit d\u2019un\ncilice, se couvrit de cendres, et pendant une semaine s\u2019abstint de\nmanger et de boire. Puis, averti par un ange, il se rendit au palais, et\np\u00e9n\u00e9tra librement jusqu\u2019\u00e0 l\u2019empereur. Celui-ci, furieux de voir qu\u2019il\navait pu entrer, refusa de se lever pour l\u2019accueillir; mais le feu prit\n\u00e0 son tr\u00f4ne, et si rapidement qu\u2019il en eut la partie post\u00e9rieure du\ncorps br\u00fbl\u00e9e: de telle sorte que force lui fut bien de se lever. Alors,\nreconnaissant la puissance divine, il se jeta dans les bras du saint et\nlui accorda d\u2019avance tout ce qu\u2019il venait demander.\nLes m\u00eames auteurs nous racontent comment le saint ressuscita un mort.\nUne m\u00e8re l\u2019ayant pri\u00e9 de ressusciter son jeune fils, qui venait de\nmourir, le saint s\u2019agenouilla, en pr\u00e9sence d\u2019une foule innombrable de\npa\u00efens, et aussit\u00f4t l\u2019enfant revint \u00e0 la vie: sur quoi tous les pa\u00efens\nre\u00e7urent la foi.\nTelle \u00e9tait la saintet\u00e9 de Martin que tout lui ob\u00e9issait, m\u00eame les\n\u00e9l\u00e9ments, les arbres, et les b\u00eates. Un jour qu\u2019il avait mis le feu \u00e0 un\ntemple pa\u00efen, et que le vent avait port\u00e9 la flamme sur une maison\nvoisine, il monta sur le toit de cette maison, se pla\u00e7a au milieu de la\nflamme; et l\u2019on vit celle-ci se retourner contre le vent pour \u00e9pargner\nla maison. Une autre fois, dans un naufrage, un marchand non encore\nconverti s\u2019\u00e9cria: \u00abDieu de Martin, sauve-nous!\u00bb et aussit\u00f4t le calme\nsucc\u00e9da \u00e0 la temp\u00eate. Une autre fois, comme Martin voulait abattre un\npin consacr\u00e9 au diable, en pr\u00e9sence d\u2019une foule de paysans, un de\nceux-ci lui dit: \u00abSi tu as vraiment confiance en ton Dieu, laisse-nous\nabattre cet arbre et le faire tomber sur toi!\u00bb Et au moment o\u00f9 l\u2019arbre\n\u00e9tait sur le point de tomber, Martin fit le signe de la croix, et\nl\u2019arbre, retombant de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, faillit \u00e9craser les paysans qui se\ntrouvaient l\u00e0, et qui, devant ce miracle, se convertirent \u00e0 la foi. Un\nautre jour, voyant des chiens qui poursuivaient un li\u00e8vre, il leur\nordonna de renoncer \u00e0 leur poursuite: aussit\u00f4t les chiens s\u2019arr\u00eat\u00e8rent,\net vinrent se ranger pr\u00e8s du saint, comme s\u2019ils \u00e9taient tenus \u00e0 la\nlaisse. Un autre jour, sur son ordre, un serpent qui traversait un\nfleuve rebroussa chemin et retourna d\u2019o\u00f9 il \u00e9tait venu. Et saint Martin,\ng\u00e9missant, s\u2019\u00e9cria: \u00abLes serpents m\u2019\u00e9coutent, et les hommes ne veulent\npas m\u2019\u00e9couter!\u00bb\nParmi les vertus du saint, on doit citer, d\u2019abord, l\u2019humilit\u00e9. Etant \u00e0\nParis, il alla au-devant d\u2019un l\u00e9preux qui faisait horreur \u00e0 tous,\nl\u2019embrassa, le b\u00e9nit et lui rendit la sant\u00e9. Jamais il ne voulut\ns\u2019asseoir dans sa cath\u00e8dre: il s\u2019asseyait sur un petit si\u00e8ge rustique du\ngenre des tr\u00e9pieds. En second lieu, il brilla par sa dignit\u00e9: car il fut\n\u00e9gal aux ap\u00f4tres par les gr\u00e2ces qu\u2019il re\u00e7ut du Saint-Esprit. Un jour,\ncomme il \u00e9tait seul dans sa cellule, et que ses disciples, S\u00e9v\u00e8re et\nGallus, l\u2019attendaient devant la porte, ceux-ci entendirent soudain\nplusieurs voix f\u00e9minines qui s\u2019entretenaient avec lui. Ils lui\ndemand\u00e8rent ensuite ce qui en \u00e9tait. Et lui: \u00abJe veux bien vous le dire,\nmais \u00e0 la condition que vous ne le r\u00e9p\u00e9tiez \u00e0 personne. Sachez donc que\nles saintes Agn\u00e8s, Th\u00e8cle, et Marie ont daign\u00e9 me faire visite!\u00bb Et il\navoua que souvent il recevait la visite de ces saintes, ainsi que celle\ndes ap\u00f4tres Pierre et Paul. En troisi\u00e8me lieu, il brilla par sa justice.\nAyant \u00e9t\u00e9 un jour invit\u00e9 \u00e0 d\u00eener par l\u2019empereur Maxime, et ayant tenu,\nle premier, la coupe en main, il ne passa pas ensuite celle-ci \u00e0\nl\u2019empereur, comme on s\u2019y attendait, mais \u00e0 un de ses pr\u00eatres, qu\u2019il\nestimait le plus digne de cet honneur. En quatri\u00e8me lieu, il brillait\npar la patience. Durant son \u00e9piscopat, il se laissait impun\u00e9ment\ninjurier par ses clercs, et sans cesser, pour cela, de leur t\u00e9moigner sa\nfaveur. Jamais personne ne le vit se f\u00e2cher, ni s\u2019affliger, ni railler.\nUn jour, comme il s\u2019avan\u00e7ait sur son \u00e2ne, v\u00eatu d\u2019un manteau noir, et\nque, \u00e0 sa vue, les chevaux d\u2019une compagnie de soldats s\u2019\u00e9taient\neffray\u00e9s, les soldats se jet\u00e8rent sur lui et le battirent cruellement.\nMais plus ils le frappaient, moins il paraissait se soucier de leurs\ncoups. Puis, quand ils voulurent remonter sur leurs chevaux, ces b\u00eates\nrefus\u00e8rent de bouger, malgr\u00e9 tous les coups de fouet: si bien que les\nsoldats, revenant vers Martin, lui demand\u00e8rent pardon de leurs p\u00e9ch\u00e9s;\net, sur l\u2019ordre du saint, les chevaux consentirent \u00e0 se remettre en\nroute. Martin brillait aussi par l\u2019assiduit\u00e9 dans la pri\u00e8re. M\u00eame quand\nil lisait ou travaillait, il ne cessait point de prier. Et il brillait\naussi par l\u2019aust\u00e9rit\u00e9. Son disciple S\u00e9v\u00e8re raconte, dans sa lettre \u00e0\nEus\u00e8be, que Martin, \u00e9tant un jour venu dans une ville de son dioc\u00e8se, y\ntrouva, pr\u00e9par\u00e9 \u00e0 son intention, un lit moelleux; et lui, ayant horreur\nde ce luxe, se coucha sur le sol, sans autre v\u00eatement qu\u2019un cilice,\nainsi qu\u2019il faisait tous les jours. Or, vers minuit, la paille qu\u2019il\navait rejet\u00e9e prit feu; et Martin, s\u2019\u00e9veillant, se trouva entour\u00e9 par\nles flammes. Il fit alors le signe de la croix; et quand les moines,\neffray\u00e9s, accoururent s\u2019attendant \u00e0 le trouver br\u00fbl\u00e9, ils virent avec\nsurprise que l\u2019incendie ne lui avait fait aucun mal. Le saint brillait\naussi par sa compassion \u00e0 l\u2019\u00e9gard des p\u00e9cheurs: il excusait les pires\ncrimes d\u00e8s qu\u2019il voyait qu\u2019on s\u2019en repentait. Et comme le diable le lui\nreprochait, il r\u00e9pondit: \u00abSi toi-m\u00eame, malheureux, tu renon\u00e7ais \u00e0\ntourmenter les hommes, j\u2019aurais encore assez de confiance en ton\nrepentir pour te promettre la mis\u00e9ricorde de Notre-Seigneur!\u00bb Il\nbrillait aussi par sa bont\u00e9 pour les pauvres. Un jour qu\u2019il se rendait \u00e0\nson \u00e9glise pour y c\u00e9l\u00e9brer une f\u00eate, un pauvre le suivit, qui \u00e9tait tout\nnu. Martin recommanda \u00e0 son archidiacre de lui donner des v\u00eatements; et,\ncomme l\u2019archidiacre ne se pressait point de le faire, Martin, entr\u00e9 dans\nsa sacristie, donna au pauvre sa propre tunique, en lui recommandant de\ns\u2019\u00e9loigner au plus vite. Puis, lorsque l\u2019archidiacre vint l\u2019avertir\nqu\u2019il e\u00fbt \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer sa messe, il r\u00e9pondit qu\u2019il ne pouvait la c\u00e9l\u00e9brer,\naussi longtemps que le pauvre n\u2019aurait pas eu un v\u00eatement. Alors\nl\u2019archidiacre se rendit au march\u00e9, et y acheta, pour quelque sous, une\nm\u00e9chante tunique, qu\u2019il vint jeter au pieds de saint Martin: car il\nignorait que celui-ci avait besoin d\u2019un v\u00eatement pour lui-m\u00eame, ayant\ndonn\u00e9 le sien au pauvre. Et le saint rev\u00eatit cette mis\u00e9rable tunique,\nqui lui descendait \u00e0 peine jusqu\u2019aux genoux, et dont les manches lui\nvenaient aux coudes; et c\u2019est dans ce costume qu\u2019il c\u00e9l\u00e9bra sa messe.\nEt, pendant qu\u2019il la c\u00e9l\u00e9brait, les assistants virent qu\u2019un globe de feu\napparaissait au-dessus de sa t\u00eate. Une autre fois, rencontrant une femme\nqui s\u2019\u00e9tait coup\u00e9 les cheveux, il dit en plaisantant \u00e0 ses disciples:\n\u00abVoil\u00e0 une personne qui a suivi le pr\u00e9cepte de l\u2019\u00e9vangile! Elle avait\ndeux tuniques, et elle s\u2019est s\u00e9par\u00e9e de l\u2019une d\u2019elles. Imitez son\nexemple!\u00bb Il brillait aussi par sa puissance \u00e0 chasser les d\u00e9mons.\nVoyant un jour une vache qui \u00e9tait poss\u00e9d\u00e9e, et qui causait de grands\ndommages, il la for\u00e7a de s\u2019arr\u00eater, en levant le doigt. Puis, lorsqu\u2019il\naper\u00e7ut le d\u00e9mon assis sur son dos, il lui cria: \u00abEloigne-toi de l\u00e0, et\ncesse de tourmenter cette b\u00eate innocente!\u00bb Aussit\u00f4t le d\u00e9mon s\u2019enfuit et\nla vache, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre agenouill\u00e9e devant le saint, rejoignit son\ntroupeau. Il brillait aussi par son habilet\u00e9 \u00e0 reconna\u00eetre les d\u00e9mons.\nIl les d\u00e9couvrait sous tous leurs d\u00e9guisements, qu\u2019ils prissent la forme\nde Jupiter, ou celle de Mercure, ou celle de V\u00e9nus ou de Minerve. Un\njour le diable lui apparut sous la forme d\u2019un roi, v\u00eatu de pourpre, le\ndiad\u00e8me au front, et tout couvert d\u2019or et de pierreries, avec un visage\ntranquille et souriant. Et il lui dit, apr\u00e8s un long silence: \u00abMartin,\nreconnais celui que tu adores! Je suis le Christ! Et, \u00e9tant descendu sur\nla terre, c\u2019est \u00e0 toi, le premier, que j\u2019ai voulu appara\u00eetre!\u00bb Et comme\nMartin ne r\u00e9pondait toujours pas: \u00abMartin, pourquoi h\u00e9sites-tu \u00e0 croire,\npuisque tu me vois? Je suis le Christ!\u00bb Alors le grand saint r\u00e9pondit:\n\u00abMon Seigneur J\u00e9sus, pour revenir sur la terre, ne se v\u00eatirait point de\npourpre, et ne mettrait pas un diad\u00e8me sur son front!\u00bb Sur quoi le d\u00e9mon\ndisparut, remplissant de puanteur la cellule du saint.\nSaint Martin connut et r\u00e9v\u00e9la longtemps d\u2019avance le moment de sa mort.\nUn jour qu\u2019il s\u2019\u00e9tait rendu dans le dioc\u00e8se de Candes, pour y apaiser\nune discorde, il sentit que les forces de son corps l\u2019abandonnaient, et\nannon\u00e7a \u00e0 ses disciples que son heure approchait. Alors, les disciples,\ntout en larmes: \u00abP\u00e8re, pourquoi nous abandonnes-tu dans la d\u00e9solation?\nCar voici que les loups ravisseurs envahissent ton troupeau!\u00bb Alors,\ntouch\u00e9 de leurs larmes et de leurs pri\u00e8res, il pria ainsi: \u00abSeigneur, si\nje suis encore n\u00e9cessaire \u00e0 ton peuple, je ne refuse point de poursuivre\nma t\u00e2che; que ta volont\u00e9 soit faite!\u00bb Mais il \u00e9tait fort en peine de\nsavoir ce qu\u2019il pr\u00e9f\u00e9rait, ne pouvant se r\u00e9signer, ni \u00e0 abandonner son\ntroupeau, ni \u00e0 retarder le moment de sa comparution devant le Christ. Et\ncomme il souffrait de la fi\u00e8vre, et que ses disciples le priaient de\nlaisser mettre un peu de paille sur sa couche, il r\u00e9pondit: \u00abNon, mes\nenfants, un chr\u00e9tien ne doit mourir que sur des cendres!\u00bb Il se tenait\n\u00e9tendu sur le dos, les yeux et les bras lev\u00e9s vers le ciel; et comme ses\npr\u00eatres l\u2019engageaient \u00e0 all\u00e9ger la fatigue de son corps en se couchant\nsur le c\u00f4t\u00e9: \u00abMes fr\u00e8res, laissez-moi regarder plut\u00f4t le ciel que la\nterre!\u00bb Puis, voyant que le diable le regardait: \u00abQue fais-tu l\u00e0,\nm\u00e9chante b\u00eate? tu ne peux plus rien contre moi, car je vois d\u00e9j\u00e0 Abraham\nqui m\u2019ouvre les bras!\u00bb Et, ce disant, il rendit l\u2019\u00e2me; et son visage\nresplendit comme s\u2019il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 rev\u00eatu de la gloire supr\u00eame; et les\nassistants entendirent le ch\u0153ur des anges l\u2019accompagnant au ciel. Il\nmourut \u00e0 l\u2019\u00e2ge de quatre-vingt-un ans, vers l\u2019an du Seigneur 395, sous\nle r\u00e8gne des empereurs Honorius et Arcade.\nA ses obs\u00e8ques se r\u00e9unirent les habitants du Poitou et ceux de la\nTouraine; et une grande altercation s\u2019\u00e9leva entre eux. Les Poitevins\ndisaient: \u00abIl est moine de chez nous, c\u2019est \u00e0 nous que revient son\ncorps!\u00bb Et les Tourangeaux: \u00abDieu vous l\u2019a enlev\u00e9 pour nous le donner!\u00bb\nLa nuit, pendant que les Poitevins dorment, les Tourangeaux s\u2019emparent\ndu corps, le jettent, par la fen\u00eatre, dans un bateau, et l\u2019emportent, le\nlong de la Loire, jusqu\u2019\u00e0 la ville de Tours.\nII. Le matin de la mort du saint, saint S\u00e9verin, \u00e9v\u00eaque de Cologne,\nvisitant son \u00e9glise \u00e0 son ordinaire, entendit chanter les anges dans le\nciel. Il appela son archidiacre et lui demanda s\u2019il n\u2019entendait rien. Le\ndiacre eut beau tendre le col, dresser les oreilles, et se hausser sur\nle bout des pieds en s\u2019appuyant sur un b\u00e2ton: il dut avouer qu\u2019il\nn\u2019entendait rien. Cependant, l\u2019\u00e9v\u00eaque ayant pri\u00e9 pour lui, il commen\u00e7a \u00e0\nentendre des voix dans le ciel. Et saint S\u00e9verin lui dit: \u00abC\u2019est mon\nma\u00eetre Martin qui vient de quitter le monde, et que les anges emportent\nau ciel!\u00bb Et, en effet, l\u2019archidiacre, quelques jours apr\u00e8s, apprit qu\u2019\u00e0\ncette m\u00eame heure saint Martin \u00e9tait mort. Et, quelques jours plus tard,\n\u00e0 Milan, saint Ambroise s\u2019endormit au milieu de sa messe, entre la\nproph\u00e9tie et l\u2019\u00e9p\u00eetre. Personne n\u2019osant l\u2019\u00e9veiller, deux ou trois heures\nse pass\u00e8rent ainsi. Enfin ses diacres se d\u00e9cid\u00e8rent \u00e0 le tirer de son\nsommeil, en lui disant que le peuple s\u2019impatientait. Et lui: \u00abMon fr\u00e8re\nMartin vient de mourir, et j\u2019ai assist\u00e9 \u00e0 ses obs\u00e8ques; mais, en\nm\u2019\u00e9veillant comme vous l\u2019avez fait, vous m\u2019avez emp\u00each\u00e9 d\u2019\u00eatre pr\u00e9sent\naux derni\u00e8res r\u00e9ponses!\u00bb\nIII. Ma\u00eetre Jean Beleth affirme que les rois de France ont coutume, dans\nles batailles, de porter la chape de saint Martin.\nIV. Soixante-quatre ans apr\u00e8s la mort du saint, saint Perpet, ayant b\u00e2ti\nen son honneur une grande \u00e9glise, voulut y transporter son corps. Mais\nen vain son clerg\u00e9 et lui veill\u00e8rent et je\u00fbn\u00e8rent pendant trois jours:\nle cercueil ne se laissait point soulever. Et comme d\u00e9j\u00e0 ils allaient\nrenoncer, un beau vieillard leur apparut, qui leur dit:\n\u00abQu\u2019attendez-vous? Ne voyez-vous pas que Martin lui-m\u00eame est pr\u00eat \u00e0 vous\naider?\u00bb Puis il leur pr\u00eata un coup de main, et le cercueil fut soulev\u00e9\nsans aucune difficult\u00e9. Cette translation eut lieu au mois de juillet.\nV. Il y avait alors, \u00e0 Tours, deux compagnons, dont l\u2019un \u00e9tait aveugle\net l\u2019autre paralytique. L\u2019aveugle portait le paralytique, et le\nparalytique guidait l\u2019aveugle; et, vivant ainsi, ils tiraient un gros\nprofit de la mendicit\u00e9. Quand ils apprirent qu\u2019on portait le corps de\nsaint Martin en procession \u00e0 l\u2019\u00e9glise nouvelle pour l\u2019y d\u00e9poser, ils\ncraignirent que la procession ne pass\u00e2t dans la rue o\u00f9 ils se tenaient,\net que saint Martin ne s\u2019avis\u00e2t de les gu\u00e9rir: car ils se disaient que,\ngu\u00e9ris, ils perdraient leur gagne-pain. Ils imagin\u00e8rent donc de s\u2019enfuir\nde chez eux, et se r\u00e9fugi\u00e8rent dans une rue o\u00f9, certainement, la\nprocession ne devait point passer. Et, pendant qu\u2019ils fuyaient, ils\nrencontr\u00e8rent le corps de saint Martin, qui les gu\u00e9rit tous les deux.\nTant il est vrai que Dieu accorde ses bienfaits \u00e0 ceux-l\u00e0 m\u00eame qui ne\nles demandent pas!\nCLXIV\nSAINT BRICE, \u00c9V\u00caQUE ET CONFESSEUR\n(13 novembre)\nBrice \u00e9tait diacre de saint Martin, et, suivant l\u2019exemple de maints\nautres, il ne se faisait pas faute de railler son v\u00e9n\u00e9rable \u00e9v\u00eaque. Un\npauvre lui ayant un jour demand\u00e9 o\u00f9 \u00e9tait Martin, Brice lui r\u00e9pondit:\n\u00abSi c\u2019est ce fou que tu cherches, regarde, car le voici qui, comme un\ninsens\u00e9, consid\u00e8re le ciel!\u00bb Le pauvre alla donc trouver Martin, et\nobtint de lui ce qu\u2019il demandait. Apr\u00e8s quoi le saint, appelant Brice,\nlui dit: \u00abAinsi, Brice, je te fais l\u2019effet d\u2019\u00eatre un fou?\u00bb Et comme le\ndiacre, honteux, voulait nier, Martin lui dit: \u00abNe voyais-tu pas que mon\noreille \u00e9tait tout pr\u00e8s de ta bouche, tout \u00e0 l\u2019heure, quand tu parlais\nde moi? Eh bien, \u00e9coute ce que je vais te dire! J\u2019ai obtenu du Seigneur\nde t\u2019avoir pour successeur dans l\u2019\u00e9piscopat; mais je dois t\u2019avertir que\ntu auras \u00e0 traverser bien des \u00e9preuves!\u00bb Et Brice continuait de railler,\ndisant: \u00abMe trompais-je en affirmant que ce vieillard \u00e9tait fou?\u00bb\nOr, \u00e0 la mort de saint Martin, Brice fut \u00e9lu \u00e9v\u00eaque de Tours. Et, d\u00e8s ce\nmoment, bien qu\u2019il gard\u00e2t encore son ancien orgueil, il s\u2019adonna tout\nentier \u00e0 la pri\u00e8re. Quant \u00e0 sa chastet\u00e9, jamais il ne l\u2019avait entam\u00e9e,\nni ne devait l\u2019entamer. Cependant, la trenti\u00e8me ann\u00e9e de son \u00e9piscopat,\nune religieuse qui lui lavait ses v\u00eatements, fut s\u00e9duite et enfanta un\nfils. Sur quoi le peuple s\u2019amassa avec des pierres devant la porte de\nl\u2019\u00e9v\u00eaque, disant: \u00abTrop longtemps, par pi\u00e9t\u00e9 pour saint Martin, nous\navons ferm\u00e9 les yeux sur ta luxure; mais dor\u00e9navant nous renon\u00e7ons \u00e0\nbaiser tes mains, souill\u00e9es de vices!\u00bb Alors l\u2019\u00e9v\u00eaque, indign\u00e9: \u00abQu\u2019on\nm\u2019am\u00e8ne ici l\u2019enfant de cette femme!\u00bb Ainsi fut fait; et \u00e0 cet enfant,\nqui \u00e9tait \u00e2g\u00e9 de trente jours, Brice dit: \u00abAu nom du Fils de Dieu, je te\nsomme de dire si c\u2019est moi qui t\u2019ai engendr\u00e9!\u00bb Et l\u2019enfant: \u00abNon, ce\nn\u2019est pas toi!\u00bb Mais le peuple ne voulut voir dans tout cela qu\u2019un\nartifice magique. Alors Brice, au vu de tous, prit dans son manteau des\ncharbons ardents, et les porta jusqu\u2019au tombeau de saint Martin; puis il\nrouvrit son manteau, et l\u2019on vit que les charbons l\u2019avaient laiss\u00e9\nintact. Et Brice dit: \u00abDe m\u00eame que mon manteau est rest\u00e9 intact sous les\ncharbons ardents, de m\u00eame mon corps est pur du commerce de la femme!\u00bb\nMais le peuple continuait \u00e0 ne pas le croire. Accabl\u00e9 d\u2019outrages et\nd\u2019injures, chass\u00e9 de son si\u00e8ge \u00e9piscopal, Brice se rendit aupr\u00e8s du pape\net y resta sept ans, faisant p\u00e9nitence de ses p\u00e9ch\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9gard de saint\nMartin. Le peuple de Tours envoya \u00e0 Rome Justinien, afin qu\u2019il se\nd\u00e9fend\u00eet, en pr\u00e9sence de Brice, d\u2019avoir accept\u00e9 de se substituer \u00e0 lui\ndans l\u2019\u00e9piscopat. Mais ce Justinien mourut en arrivant \u00e0 Verceil; et le\npeuple de Tours \u00e9lut \u00e0 sa place un certain Germain. Cependant Brice,\napr\u00e8s sept ann\u00e9es d\u2019exil, reprit le chemin de Tours, avec l\u2019autorisation\ndu pape; et comme il \u00e9tait arriv\u00e9 d\u00e9j\u00e0 \u00e0 un mille de Tours, il apprit\nd\u2019en haut que Germain venait de mourir. Ce qu\u2019apprenant, Brice dit \u00e0 ses\ncompagnons: \u00abLevez-vous, car nous avons \u00e0 ensevelir l\u2019\u00e9v\u00eaque de Tours!\u00bb\nEt, en effet, pendant que Brice entrait par l\u2019une des portes de la\nville, d\u2019une autre porte sortaient les restes mortels de Germain. Et\nsaint Brice, apr\u00e8s l\u2019avoir enseveli, reprit possession de son si\u00e8ge, o\u00f9,\npendant sept ann\u00e9es encore, il donna l\u2019exemple de toutes les vertus. Il\nmourut en paix dans la quarante-huiti\u00e8me ann\u00e9e de son \u00e9piscopat.\nCLXV\nSAINTE ELISABETH, VEUVE[18]\n(20 novembre)\n [18] Ce chapitre, qui manque dans la plupart des manuscrits anciens,\n n\u2019est certainement pas de Jacques de Voragine.\n1\u00ba Elisabeth, fille d\u2019un illustre roi de Hongrie, anoblit encore par sa\nfoi et ses vertus la race tr\u00e8s noble dont elle \u00e9tait sortie. Elev\u00e9e,\npour ainsi dire, au-dessus de la nature humaine, toute petite encore\nelle d\u00e9daignait les jeux enfantins, ne s\u2019occupant qu\u2019\u00e0 avancer toujours\ndans la v\u00e9n\u00e9ration de Dieu. A cinq ans, elle avait tant de plaisir \u00e0\nprier dans l\u2019\u00e9glise que ses compagnes ou ses servantes ne parvenaient\npas \u00e0 l\u2019en faire sortir. M\u00eame en jouant, on la voyait toujours courir du\nc\u00f4t\u00e9 d\u2019une chapelle, afin de pouvoir plus facilement y entrer. Et quand\nelle y \u00e9tait entr\u00e9e, elle fl\u00e9chissait les genoux, ou s\u2019\u00e9tendait \u00e0 plat\nsur les dalles, ou, sans savoir lire, prenait en main un psautier, de\npeur que quelqu\u2019un ne v\u00eent la d\u00e9ranger. Et dans ses jeux d\u2019enfants,\nc\u2019\u00e9tait en Dieu qu\u2019elle mettait toutes ses esp\u00e9rances. De tout ce\nqu\u2019elle gagnait ou qu\u2019on lui donnait, elle r\u00e9servait la dixi\u00e8me partie\npour des petites filles pauvres, \u00e0 qui elle recommandait, en m\u00eame temps,\nde saluer souvent d\u2019une pri\u00e8re la Vierge Marie.\nA mesure qu\u2019elle grandissait en \u00e2ge, elle grandissait plus encore en\nd\u00e9votion. Elle s\u2019\u00e9tait choisi pour patronne la sainte Vierge, et avait\npri\u00e9 saint Jean l\u2019Evang\u00e9liste de se constituer le gardien de sa\nchastet\u00e9. Pour saint Pierre, aussi, elle avait une telle d\u00e9votion\nqu\u2019elle ne refusait rien de ce qu\u2019on lui demandait au nom de ce saint.\nCraignant que les succ\u00e8s du monde ne lui devinssent trop agr\u00e9ables, elle\ns\u2019ing\u00e9niait \u00e0 s\u2019en \u00f4ter toujours une partie. Quand elle gagnait \u00e0\nquelque jeu, elle s\u2019arr\u00eatait de jouer en se disant: \u00abJe renonce au reste\npour l\u2019amour de Dieu!\u00bb Dans les danses, apr\u00e8s avoir fait un tour avec\nses compagnes, elle leur disait: \u00abQue cet unique tour nous suffise!\nRenon\u00e7ons aux autres pour l\u2019amour de Dieu!\u00bb Le luxe dans les v\u00eatements\nlui \u00e9tait odieux. Elle s\u2019\u00e9tait interdit, notamment, de mettre des gants,\nle dimanche, avant l\u2019heure de midi. Elle s\u2019\u00e9tait impos\u00e9 un nombre\nd\u00e9termin\u00e9 de pri\u00e8res; et lorsque les servantes la mettaient au lit avant\nqu\u2019elle e\u00fbt achev\u00e9 de les r\u00e9citer, elle se tenait \u00e9veill\u00e9e pour aller\njusqu\u2019au bout. Et toujours elle s\u2019astreignait \u00e0 tout cela par des v\u0153ux\nsolennels, de fa\u00e7on que personne, par persuasion, ne p\u00fbt ensuite l\u2019en\nd\u00e9tourner. Quant aux offices religieux, elle les suivait avec tant de\nr\u00e9v\u00e9rence que, pendant la lecture de l\u2019\u00e9vangile et la cons\u00e9cration de\nl\u2019hostie, elle \u00f4tait ses manchettes et se d\u00e9pouillait de tous ses\nornements.\nAinsi elle v\u00e9cut, sagement et innocemment, toute sa vie de jeune fille,\njusqu\u2019au jour o\u00f9, sur l\u2019ordre de son p\u00e8re, elle fut forc\u00e9e d\u2019entrer dans\nla vie de mariage. Elle se soumit, bien contre son gr\u00e9, \u00e0 l\u2019union\nconjugale, non point pour y trouver du plaisir, mais pour ne point\npara\u00eetre d\u00e9daigner les ordres de son p\u00e8re, comme aussi pour procr\u00e9er des\nfils au service de Dieu. Fid\u00e8le \u00e0 la couche nuptiale, toujours elle\nresta chaste d\u2019intention. Et elle fit v\u0153u devant ma\u00eetre Conrad, que, si\nelle survivait \u00e0 son mari, elle observerait une continence perp\u00e9tuelle.\nElle \u00e9pousa le landgrave de Thuringe; mais, tout en changeant de\ncondition de vie, elle ne changea point de disposition int\u00e9rieure.\nJamais elle ne cessa de montrer sa d\u00e9votion et son humilit\u00e9 devant Dieu;\nson aust\u00e9rit\u00e9 et son abstinence \u00e0 l\u2019\u00e9gard de soi-m\u00eame; sa largesse et sa\ncompassion envers les pauvres. Sa ferveur pour la pri\u00e8re \u00e9tait si grande\nqu\u2019elle devan\u00e7ait \u00e0 l\u2019\u00e9glise ses servantes m\u00eame, comme si elle e\u00fbt\nvoulu, par des pri\u00e8res secr\u00e8tes, obtenir de Dieu quelque gr\u00e2ce sp\u00e9ciale.\nLa nuit, souvent elle se relevait pour prier, malgr\u00e9 la d\u00e9fense que, par\nsollicitude pour sa sant\u00e9, lui en faisait son mari. Elle s\u2019\u00e9tait\nentendue avec une de ses servantes pour que celle-ci, les nuits o\u00f9 elle\ntarderait \u00e0 se r\u00e9veiller, la tir\u00e2t de son sommeil en lui donnant un coup\nsur les pieds. Et une nuit, la servante, au lieu de frapper sur les\npieds de sa ma\u00eetresse, frappa sur ceux du mari, qui, soudain r\u00e9veill\u00e9,\ncomprit toute la chose, mais, sagement, feignit de ne s\u2019\u00eatre aper\u00e7u de\nrien. Toujours aussi Elisabeth pleurait en priant; mais ces douces\nlarmes n\u2019alt\u00e9raient son visage que pour lui donner une expression d\u2019une\njoie c\u00e9leste.\nMod\u00e8le d\u2019humilit\u00e9, elle s\u2019attachait \u00e0 ne pas d\u00e9daigner m\u00eame les choses\nles plus viles et les plus repoussantes. Ayant rencontr\u00e9 un mendiant\ndont tout le visage n\u2019\u00e9tait qu\u2019une plaie ignoble et infecte, elle le\nrecueillit sur son sein, lui coupa les cheveux et lui lava la t\u00eate, en\npr\u00e9sence de ses servantes qui se moquaient du pauvre homme. Aux\nRogations, elle suivait la procession pieds nus, en robe de laine; et, \u00e0\nchaque station, on la voyait prendre place parmi les mendiantes.\nLorsqu\u2019elle se rendait \u00e0 l\u2019\u00e9glise pour ses relevailles, jamais elle ne\ns\u2019ornait comme les autres femmes; mais, \u00e0 l\u2019exemple de la Vierge\nimmacul\u00e9e, elle se rendait \u00e0 l\u2019autel en portant elle-m\u00eame le nouveau-n\u00e9\ndans ses langes; et humblement elle offrait un agneau et un cierge.\nApr\u00e8s quoi, rentr\u00e9e au palais, elle donnait \u00e0 une pauvre femme la robe\nqui lui avait servi pour la c\u00e9r\u00e9monie. C\u2019est \u00e9galement par humilit\u00e9 que,\navec le consentement de son mari, et r\u00e9serve faite des droits conjugaux,\nelle pr\u00eata v\u0153u d\u2019ob\u00e9issance \u00e0 ma\u00eetre Conrad, le tenant pour son\nsup\u00e9rieur en science et en religion. Et un jour, comme Conrad l\u2019appelait\n\u00e0 une pr\u00e9dication, une visite survint qui l\u2019emp\u00eacha d\u2019ob\u00e9ir: ce dont le\nsavant homme fut si irrit\u00e9 qu\u2019il refusa de lui pardonner sa\nd\u00e9sob\u00e9issance jusqu\u2019au moment o\u00f9, l\u2019ayant fait mettre en chemise, il\nl\u2019e\u00fbt vu battre de verges en compagnie de celles de ses servantes qui\nl\u2019avaient encourag\u00e9e \u00e0 d\u00e9sob\u00e9ir.\nElle s\u2019imposait une abstinence si rigoureuse qu\u2019elle mac\u00e9rait son corps\npar les veilles, les je\u00fbnes et les disciplines. D\u00e8s que son mari \u00e9tait\nabsent, elle passait les nuits en pri\u00e8re. Et telle \u00e9tait sa temp\u00e9rance\ndans le boire et le manger que, souvent, \u00e0 la table somptueuse de son\nmari, elle se contentait de pain sec. Elle finit m\u00eame par s\u2019abstenir\ntout \u00e0 fait, sur l\u2019ordre de ma\u00eetre Conrad, de toucher \u00e0 aucun des mets\nque mangeait son mari. Ce qui ne l\u2019emp\u00eachait point de s\u2019asseoir \u00e0 table,\nde servir les convives et de les \u00e9gayer par son urbanit\u00e9, tout en\ncachant avec soin sa propre abstinence. Et son mari supportait tout cela\navec patience, affirmant qu\u2019il suivrait lui-m\u00eame volontiers l\u2019exemple de\nsa femme s\u2019il ne craignait de mettre en \u00e9moi toute sa famille.\nMais autant elle aimait les privations pour soi, autant elle \u00e9tait\ng\u00e9n\u00e9reuse pour les pauvres. Elle subvenait \u00e0 leurs besoins avec tant de\nlargesse que tous l\u2019appelaient la m\u00e8re des pauvres. Elle habillait de\nses propres mains ceux qui \u00e9taient nus, elle ensevelissait les mendiants\net les p\u00e8lerins, elle pr\u00e9sentait les enfants aux fonts baptismaux, apr\u00e8s\nleur avoir elle-m\u00eame cousu leurs langes. Un jour, elle donna \u00e0 une\nmendiante une robe si belle que la pauvre femme, dans l\u2019exc\u00e8s de sa\njoie, s\u2019\u00e9vanouit et tomba inanim\u00e9e. Ce que voyant, Elisabeth se repentit\nam\u00e8rement; mais elle pria pour la morte, et aussit\u00f4t celle-ci se releva\ngu\u00e9rie. Souvent aussi elle filait la laine avec ses servantes, et, de la\nlaine fil\u00e9e par elle, faisait faire des v\u00eatements. Elle nourrissait les\naffam\u00e9s. Pendant que le landgrave son mari s\u2019\u00e9tait rendu \u00e0 la cour de\nl\u2019empereur Fr\u00e9d\u00e9ric, qui \u00e9tait alors \u00e0 Cr\u00e9mone, elle fit recueillir tout\nle grain des granges royales et l\u2019employa \u00e0 nourrir, tous les jours, les\npauvres qu\u2019elle convoqua de toutes parts. Quand l\u2019argent lui manquait,\nelle vendait ses ornements, ou ceux de ses servantes, pour en offrir le\nproduit aux pauvres. De la m\u00eame fa\u00e7on, elle d\u00e9salt\u00e9rait ceux qui avaient\nsoif. Un jour qu\u2019elle distribuait de la cervoise aux pauvres, on\ns\u2019aper\u00e7ut que la liqueur ne diminuait pas dans le vase, malgr\u00e9 la grande\nquantit\u00e9 qui s\u2019en trouvait vers\u00e9e. Elle-m\u00eame, encore, recevait les\npauvres et les p\u00e8lerins. Elle fit construire une grande maison au pied\ndu ch\u00e2teau, afin d\u2019y recueillir les malades; et tous les jours, malgr\u00e9\nla difficult\u00e9 des descentes et des mont\u00e9es, elle s\u2019y rendait en\npersonne, prodiguant aux malades les cadeaux, les soins et les saintes\nparoles. Dans la m\u00eame maison elle faisait \u00e9lever et nourrir des enfants\npauvres; et \u00e0 ces enfants elle se montrait toujours si douce et si\nhumble que tous l\u2019appelaient leur m\u00e8re, et que, d\u00e8s qu\u2019elle entrait, ils\nl\u2019entouraient tous comme leur m\u00e8re. Un jour qu\u2019elle \u00e9tait all\u00e9e acheter\npour eux de petits vases et de petits anneaux de verre, ainsi qu\u2019une\nfoule d\u2019autres jouets fragiles, elle laissa tomber sur les pierres\ntoutes ses emplettes; mais pas un seul des objets de verre ne se brisa.\nEn un mot, il n\u2019y a pas une seule des sept \u0153uvres de mis\u00e9ricorde qu\u2019elle\nne rempl\u00eet avec un z\u00e8le et une ferveur admirables.\nUne part d\u2019\u00e9loges revient aussi au mari d\u2019Elisabeth qui, malgr\u00e9 les\ninnombrables affaires temporelles qui l\u2019occupaient, restait fid\u00e8le au\nservice de Dieu, et, faute de pouvoir se livrer lui-m\u00eame aux \u0153uvres de\nmis\u00e9ricorde, laissait du moins \u00e0 sa femme toute libert\u00e9 de s\u2019y livrer.\nC\u2019est pour r\u00e9pondre au v\u0153u de sa femme qu\u2019il partit pour la croisade, de\nfa\u00e7on \u00e0 employer ses armes pour la d\u00e9fense de la foi. Et pendant qu\u2019il\n\u00e9tait en Terre Sainte, ce pieux et bon prince rendit son \u00e2me au\nSeigneur. Aussit\u00f4t Elisabeth embrassa avec ardeur l\u2019\u00e9tat de veuve,\nrenouvelant le v\u0153u de chastet\u00e9 qu\u2019elle avait fait jadis en pr\u00e9vision\nd\u2019un veuvage possible.\nCependant, quand la mort de son mari fut connue en Thuringe, des parents\ndu landgrave la chass\u00e8rent de son ch\u00e2teau comme dissipatrice et\nprodigue. Et elle dut se r\u00e9fugier, \u00e0 la nuit tombante, dans une \u00e9table \u00e0\nporcs, qui d\u00e9pendait de la maison d\u2019un cabaretier. Et, le lendemain\nmatin, s\u2019\u00e9tant rendue au couvent des Fr\u00e8res Mineurs, elle pria ceux-ci\nde chanter le _Te Deum laudamus_, pour remercier Dieu des \u00e9preuves qu\u2019Il\nlui envoyait. On lui enjoignit alors d\u2019aller demeurer avec ses enfants\ndans la maison d\u2019un de ses ennemis, o\u00f9 on lui avait assign\u00e9 pour\ndomicile un endroit des plus restreints. Fort mal re\u00e7ue par l\u2019h\u00f4te et\nl\u2019h\u00f4tesse, elle ne tarda point \u00e0 repartir, apr\u00e8s avoir dit adieu aux\nmurs de sa chambre en ajoutant: \u00abJ\u2019eusse pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 dire adieu aux hommes \u00e0\nqui appartiennent ces murs, s\u2019ils m\u2019avaient trait\u00e9e avec plus de bont\u00e9!\u00bb\nApr\u00e8s quoi elle revint \u00e0 sa premi\u00e8re retraite, confiant ses enfants \u00e0\ndiverses personnes. Et comme, un jour, marchant dans un sentier d\u2019une\nboue profonde, elle posait les pieds sur des pierres, une vieille femme\nqu\u2019elle avait combl\u00e9e de bienfaits voulut marcher sur les m\u00eames pierres,\net refusa de lui livrer passage: si bien que la sainte tomba. Mais,\ns\u2019\u00e9tant relev\u00e9e, elle fut tout heureuse d\u2019avoir \u00e0 secouer la boue dont\nelle \u00e9tait couverte.\nQuelque temps apr\u00e8s, une abbesse, sa marraine, prenant en piti\u00e9 son\nextr\u00eame mis\u00e8re, la conduisit aupr\u00e8s de son oncle l\u2019\u00e9v\u00eaque de Bamberg,\nqui la re\u00e7ut fort bien, mais la retint chez lui avec l\u2019intention de la\nmarier en secondes noces. Ce qu\u2019apprenant, les servantes qui\nl\u2019accompagnaient fondirent en larmes; mais la sainte les r\u00e9conforta en\ndisant: \u00abJ\u2019ai confiance dans le Seigneur, pour l\u2019amour duquel j\u2019ai fait\nv\u0153u de chastet\u00e9. Il saura bien m\u2019encourager dans ma r\u00e9solution, \u00e9loigner\nde moi toute violence, et dissoudre les mauvais projets des hommes. Ou\nque si mon oncle, malgr\u00e9 mes refus, s\u2019obstinait \u00e0 vouloir me remarier,\nj\u2019aurais toujours la ressource de me couper le nez de mes propres mains,\nce qui suffirait bien pour que personne ne s\u2019avis\u00e2t plus de me prendre\npour femme!\u00bb Et, en effet, comme son oncle l\u2019avait fait conduire dans un\nch\u00e2teau d\u2019o\u00f9 il lui d\u00e9fendait de sortir, voici que, sur l\u2019ordre de Dieu,\nles restes de son mari furent ramen\u00e9s de Terre Sainte. Et force fut \u00e0\nl\u2019\u00e9v\u00eaque de la laisser partir, pour aller \u00e0 la rencontre de ces ch\u00e8res\nreliques.\nAlors Elisabeth rev\u00eatit l\u2019habit religieux, et, se vouant \u00e0 la pauvret\u00e9,\nforma le projet d\u2019aller mendier de porte en porte; mais ma\u00eetre Conrad le\nlui d\u00e9fendit. Elle ne porta plus d\u00e9sormais qu\u2019un humble manteau gris; et\ncomme les manches de sa tunique s\u2019\u00e9taient d\u00e9chir\u00e9es, elle les rapi\u00e9\u00e7a\navec une \u00e9toffe d\u2019une autre couleur. Ce qu\u2019apprenant, son p\u00e8re, le roi\nde Hongrie, lui envoya un de ses officiers, pour qu\u2019il la ramen\u00e2t dans\nsa patrie. Et l\u2019officier, la voyant ainsi v\u00eatue et assise \u00e0 son rouet\navec des servantes, fut rempli \u00e0 la fois de honte et de respect. Et il\ns\u2019\u00e9cria que jamais encore fille de roi n\u2019avait port\u00e9 une robe si\ngrossi\u00e8re. Mais en vain il insista pour la ramener en Hongrie. La sainte\npr\u00e9f\u00e9ra rester, pauvre, parmi ses pauvres.\nPour achever de faire dispara\u00eetre tout obstacle entre Dieu et elle, elle\npria Dieu d\u2019arracher m\u00eame de son c\u0153ur la tendresse qu\u2019elle avait pour\nses enfants. Et une voix d\u2019en haut lui r\u00e9pondit que sa pri\u00e8re \u00e9tait\nexauc\u00e9e. Sur quoi elle dit \u00e0 ses compagnes: \u00abLe Seigneur a entendu ma\nvoix, car non seulement tous les biens temporels m\u2019apparaissent comme du\nfumier, mais voici que de mes fils m\u00eame je ne me soucie plus que dans la\nmesure o\u00f9 je me soucie du reste des hommes!\u00bb De son c\u00f4t\u00e9, ma\u00eetre Conrad,\npour l\u2019\u00e9prouver et la mortifier, la s\u00e9parait des personnes qu\u2019elle\naimait le mieux. C\u2019est ainsi qu\u2019il lui enjoignit de ne plus voir deux\nservantes qu\u2019elle connaissait depuis l\u2019enfance, et qu\u2019elle aimait plus\nque toutes les autres. Et la sainte ob\u00e9it, apr\u00e8s bien des larmes vers\u00e9es\nde part et d\u2019autre. Elle \u00e9tait prompte \u00e0 l\u2019ob\u00e9issance. Un jour qu\u2019elle\n\u00e9tait entr\u00e9e dans un couvent de religieuses sans en avoir obtenu\nl\u2019autorisation de ma\u00eetre Conrad, celui-ci la fit battre si durement,\nque, trois semaines apr\u00e8s, son corps conservait les traces des coups.\nDans son humilit\u00e9, elle n\u2019admettait point que ses servantes lui\ndonnassent le nom de ma\u00eetresse, ni lui parlassent autrement qu\u2019on parle\n\u00e0 un inf\u00e9rieur. Elle lavait elle-m\u00eame tous les ustensiles de cuisine,\ns\u2019ing\u00e9niant \u00e0 les cacher afin que ses servantes ne pussent les laver\npour elle. Et elle leur disait que, si elle avait pu conna\u00eetre une\nmani\u00e8re de vivre plus m\u00e9prisable encore, c\u2019est avec joie qu\u2019elle\nl\u2019aurait adopt\u00e9e.\nCes humbles t\u00e2ches ne l\u2019emp\u00eachaient point de se livrer assid\u00fbment \u00e0 la\ncontemplation; et souvent elle avait des visions c\u00e9lestes. Souvent aussi\nsa pri\u00e8re \u00e9tait si fervente qu\u2019elle enflammait d\u2019autres personnes.\nAppelant un jour \u00e0 elle un jeune homme luxueusement v\u00eatu, elle lui dit:\n\u00abTu parais avoir une vie bien dissolue, tandis que tu devrais t\u2019occuper\nde servir ton cr\u00e9ateur. Veux-tu que je prie Dieu pour toi?\u00bb Et lui: \u00abJe\nle veux, et je t\u2019en supplie vivement!\u00bb Elle se mit donc en pri\u00e8re et le\njeune homme pria avec elle. Trois fois le jeune homme lui demanda de\ncesser de prier, car il se sentait envahi d\u2019une flamme qui le consumait.\nMais elle pria jusqu\u2019au bout; et, quand elle eut fini, le jeune homme,\nillumin\u00e9 de la gr\u00e2ce divine, revint \u00e0 lui, et entra aussit\u00f4t dans\nl\u2019ordre des Fr\u00e8res Mineurs.\nSon nouveau genre de vie, au reste, ne la refroidit point dans son z\u00e8le\npour les \u0153uvres de mis\u00e9ricorde. Ayant re\u00e7u en dot une somme de deux\nmille marcs, elle en distribua une partie aux pauvres, et, avec le\nreste, fit construire \u00e0 Marbourg un grand h\u00f4pital. Aussi tous\nl\u2019accusaient-ils de dissipation et de prodigalit\u00e9. Couramment on la\ntraitait de folle; et, comme elle recevait avec joie toutes les injures,\non lui disait que, pour montrer tant de joie, elle avait bien vite\noubli\u00e9 le souvenir de son mari.\nEt elle, apr\u00e8s avoir construit son h\u00f4pital, ne pensa plus qu\u2019\u00e0 devenir\nl\u2019humble servante des pauvres. Elle-m\u00eame les baignait, les couvrait dans\nleur lit, et disait en souriant \u00e0 ses compagnes: \u00abQue Dieu est bon de\nnous permettre ainsi de le baigner et de le couvrir!\u00bb Une nuit, ayant \u00e0\nsoigner un enfant borgne et rempli de vermine, elle le porta sept fois\nde suite aux latrines, et lava ses linges affreusement souill\u00e9s. Une\nautre fois, elle lava et mit au lit une femme atteinte d\u2019une l\u00e8pre\nhideuse; elle essuya et banda ses ulc\u00e8res, coupa ses ongles et,\nagenouill\u00e9e devant elle, la d\u00e9chaussa pour oindre les plaies de ses\npieds. Et lorsque le soin des pauvres lui laissait quelques instants,\nelle filait de la laine qu\u2019on lui envoyait d\u2019un monast\u00e8re; apr\u00e8s quoi\nelle distribuait aux pauvres l\u2019argent ainsi gagn\u00e9. S\u2019occupant elle-m\u00eame\nd\u2019administrer la r\u00e9partition de ses dons, elle d\u00e9cr\u00e9ta un jour que toute\nfemme qui viendrait la solliciter sans un besoin r\u00e9el serait punie de la\nperte de ses cheveux. Or voil\u00e0 qu\u2019une jeune fille nomm\u00e9e Radegonde, et\nqui avait une chevelure d\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse, vint \u00e0 l\u2019h\u00f4pital de\nsainte Elisabeth en solliciteuse, non pas en v\u00e9rit\u00e9 pour recevoir\nl\u2019aum\u00f4ne, mais pour voir sa s\u0153ur qui \u00e9tait malade. Ayant ainsi\ncontrevenu \u00e0 la loi, elle fut aussit\u00f4t condamn\u00e9e \u00e0 perdre ses cheveux:\nce dont elle ne se fit pas faute de pleurer et de se lamenter. Et comme\nquelques-uns des assistants affirmaient qu\u2019elle \u00e9tait innocente,\nElisabeth dit: \u00abEn tout cas, n\u2019ayant plus ses cheveux, elle mettra moins\nd\u2019ardeur \u00e0 la danse, et fera voir moins de vanit\u00e9!\u00bb Interrogeant ensuite\nla jeune fille, elle apprit que celle-ci serait depuis longtemps d\u00e9j\u00e0\nentr\u00e9e dans un couvent si elle n\u2019en avait \u00e9t\u00e9 emp\u00each\u00e9e par son amour\npassionn\u00e9 pour sa chevelure. Sur quoi Elisabeth lui dit: \u00abJe suis plus\nheureuse de t\u2019avoir fait couper tes cheveux que je ne le serais\nd\u2019apprendre l\u2019\u00e9lection de mon fils \u00e0 l\u2019empire!\u00bb Aussit\u00f4t la jeune fille\nprit l\u2019habit religieux, et vint demeurer \u00e0 l\u2019h\u00f4pital avec sainte\nElisabeth.\nUne pauvre femme ayant mis au monde une fille, sainte Elisabeth tint\nl\u2019enfant sur les fonts baptismaux, l\u2019appela de son nom, lui donna les\nmanches de fourrure d\u2019une de ses suivantes, pour lui servir de\ncouverture, et donna \u00e0 la m\u00e8re ses propres sandales. Mais, trois\nsemaines apr\u00e8s, la femme, abandonnant son enfant, s\u2019enfuit avec son\nmari. Sainte Elisabeth, d\u00e8s qu\u2019elle l\u2019apprit, se mit en pri\u00e8re; et\naussit\u00f4t la femme et le mari, emp\u00each\u00e9s d\u2019avancer dans leur fuite, durent\nrevenir sur leurs pas, et se jeter au pieds de sainte Elisabeth. Et\ncelle-ci, apr\u00e8s les avoir grond\u00e9s justement de leur ingratitude, leur\nrendit l\u2019enfant \u00e0 nourrir et les pourvut du n\u00e9cessaire.\nAinsi approcha le temps o\u00f9 le Seigneur s\u2019appr\u00eata \u00e0 rappeler \u00e0 lui sa\nch\u00e8re servante, pour l\u2019admettre \u00e0 la contemplation du royaume des anges.\nAlit\u00e9e avec la fi\u00e8vre, et la face tourn\u00e9e contre le mur, les assistantes\nentendirent une douce m\u00e9lodie sortir de ses l\u00e8vres. Et comme une de ses\ncompagnes l\u2019interrogeait, elle r\u00e9pondit: \u00abUn petit oiseau, s\u2019\u00e9tant pos\u00e9\nentre moi et le mur, chantait, avec tant de douceur, que je n\u2019ai pu\nm\u2019emp\u00eacher de chanter avec lui.\u00bb Jusqu\u2019aux plus cruels moments de sa\nmaladie, jamais elle ne perdit sa ga\u00eet\u00e9, et jamais elle ne se rel\u00e2cha de\nprier. La veille de sa mort, elle dit: \u00abVoici qu\u2019approche minuit,\nl\u2019heure o\u00f9 le Christ a voulu na\u00eetre et reposer dans une \u00e9table!\u00bb Et\nlorsque d\u00e9j\u00e0 l\u2019heure de sa mort fut toute proche, elle dit: \u00abVoici venir\nl\u2019instant o\u00f9 Dieu a appel\u00e9 ses amis aux noces c\u00e9lestes!\u00bb Et elle\ns\u2019endormit dans le Seigneur, en l\u2019an de gr\u00e2ce 1226.\nPendant les quatre jours qui pr\u00e9c\u00e9d\u00e8rent son inhumation, aucune mauvaise\nodeur ne se d\u00e9gagea de son corps, mais, au contraire, un parfum s\u2019en\nexhala qui r\u00e9confortait tous les c\u0153urs. Et, le jour de ses obs\u00e8ques, on\nvit sur l\u2019\u00e9glise une foule d\u2019oiseaux que personne jamais n\u2019avait vus\nauparavant, et qui paraissaient c\u00e9l\u00e9brer les fun\u00e9railles de la sainte,\ntant leurs chants \u00e9taient doux, mesur\u00e9s et savants. Et il y eut l\u00e0 une\nabondante clameur des pauvres, une extr\u00eame pi\u00e9t\u00e9 du peuple. Les uns\ns\u2019arrachaient les cheveux de d\u00e9sespoir, d\u2019autres s\u2019effor\u00e7aient de\nd\u00e9rober une parcelle du linceul de la sainte, afin de la garder comme la\nplus belle relique. Et l\u2019on d\u00e9couvrit, peu de temps apr\u00e8s, que le\nmonument o\u00f9 l\u2019on avait d\u00e9pos\u00e9 le corps de sainte Elisabeth s\u2019\u00e9tait\nmiraculeusement rempli d\u2019une huile parfum\u00e9e.\nCLXVI\nSAINTE C\u00c9CILE, VIERGE ET MARTYRE\n(22 novembre)\nC\u00e9cile, jeune fille romaine, de race noble, et nourrie d\u00e8s le berceau\ndans la foi du Christ, portait toujours un \u00e9vangile cach\u00e9 dans sa\npoitrine, priait nuit et jour, et demandait au Seigneur de lui conserver\nsa virginit\u00e9. Elle fut cependant fianc\u00e9e \u00e0 un jeune homme nomm\u00e9\nVal\u00e9rien. Le jour de ses noces, elle rev\u00eatit ses chairs d\u2019un cilice,\npar-dessous les robes dor\u00e9es; et, pendant que les orgues jouaient, elle,\ns\u2019adressant \u00e0 Dieu seul, chantait: \u00abPermets, Seigneur, que mon c\u0153ur et\nmon corps restent immacul\u00e9s!\u00bb Vint enfin la nuit, et C\u00e9cile se trouva\nseule avec son fianc\u00e9 dans le silence de sa chambre. Et elle lui dit:\n\u00abDoux jeune homme bien-aim\u00e9, j\u2019ai un myst\u00e8re \u00e0 te r\u00e9v\u00e9ler, \u00e0 la\ncondition seulement que tu me jures de ne point me trahir!\u00bb Puis,\nVal\u00e9rien le lui ayant jur\u00e9, elle lui dit: \u00abSache donc que j\u2019ai pour\namant un ange de Dieu, et que mon amant est jaloux de mon corps. S\u2019il\napprenait que, m\u00eame l\u00e9g\u00e8rement, tu m\u2019aies touch\u00e9 d\u2019un amour impur,\naussit\u00f4t il te frapperait et te ferait perdre la fleur de ta belle\njeunesse. Mais si, au contraire, il apprend que tu m\u2019aimes d\u2019un amour\npur, il t\u2019aimera autant que moi et te montrera sa gloire!\u00bb Alors\nVal\u00e9rien, inspir\u00e9 de Dieu, dit: \u00abSi tu veux que je te croie, fais-moi\nvoir cet amant! Et si c\u2019est en v\u00e9rit\u00e9 un ange, je ferai ce que tu me\ndemandes. Mais si ton amant est un homme, je le tuerai avec toi!\u00bb Et\nC\u00e9cile: \u00abPour que tu voies mon amant, il faut que tu croies dans le vrai\nDieu, et que tu promettes de te faire baptiser. Va \u00e0 trois milles d\u2019ici,\ndans la voie Apienne! Tu y trouveras des pauvres, \u00e0 qui tu diras que\nC\u00e9cile t\u2019envoie vers eux pour qu\u2019ils te conduisent aupr\u00e8s du saint\nvieillard Urbain. Et quand tu seras en pr\u00e9sence de ce vieillard,\nr\u00e9p\u00e8te-lui mes paroles! Il te purifiera; et, \u00e0 ton retour ici, tu verras\nl\u2019ange!\u00bb Val\u00e9rien se mit en route, et alla trouver l\u2019\u00e9v\u00eaque saint\nUrbain, qui se cachait parmi les tombeaux des martyrs. Et quand il lui\neut r\u00e9p\u00e9t\u00e9 les paroles de C\u00e9cile, le vieillard, levant les mains au\nciel, s\u2019\u00e9cria: \u00abSeigneur J\u00e9sus-Christ, bon pasteur, recueille le fruit\nde la semence que tu as sem\u00e9e en C\u00e9cile! Car voici que, ayant re\u00e7u pour\nmari un lion farouche, ta servante te l\u2019as envoy\u00e9 comme un doux agneau!\u00bb\nAussit\u00f4t apparut un vieillard tout v\u00eatu de blanc, qui tenait un livre\n\u00e9crit en lettres d\u2019or. A sa vue, Val\u00e9rien, \u00e9pouvant\u00e9, se jeta sur le\nsol; mais le vieillard le releva et lut dans son livre: \u00abUn seul Dieu,\nune seule foi, un seul bapt\u00eame!\u00bb Puis il dit \u00e0 Val\u00e9rien: \u00abCrois-tu \u00e0\ntout cela, ou bien doutes-tu encore?\u00bb Et Val\u00e9rien de s\u2019\u00e9crier: \u00abIl n\u2019y a\nrien sous le ciel \u00e0 quoi je croie davantage!\u00bb Aussit\u00f4t le vieillard\ndisparut. Val\u00e9rien re\u00e7ut le bapt\u00eame des mains de saint Urbain; et, quand\nil revint aupr\u00e8s de C\u00e9cile, il la trouva s\u2019entretenant avec un ange,\ndans sa chambre. Et cet ange tenait en main deux couronnes de roses et\nde lis, dont il donna l\u2019une \u00e0 C\u00e9cile et l\u2019autre \u00e0 Val\u00e9rien, en disant:\n\u00abGardez ces couronnes avec un c\u0153ur pur et un corps immacul\u00e9, car je vous\nles ai apport\u00e9es du paradis de Dieu! Jamais elles ne se faneront ni ne\nperdront leur parfum; mais ceux-l\u00e0 seuls pourront les voir qui aimeront\nla chastet\u00e9. Quant \u00e0 toi, Val\u00e9rien, puisque tu as suivi le sage conseil\nde C\u00e9cile, demande ce que tu veux, et tu l\u2019obtiendras!\u00bb Et Val\u00e9rien: \u00abIl\nn\u2019y a rien dans cette vie qui ne me soit plus pr\u00e9cieux que l\u2019affection\nde mon fr\u00e8re unique. Je d\u00e9sirerais donc, que comme moi, il reconn\u00fbt la\nv\u00e9rit\u00e9!\u00bb Et l\u2019ange: \u00abTa demande pla\u00eet \u00e0 Dieu. Sache que tous deux, ton\nfr\u00e8re et toi, vous irez au Seigneur avec la palme du martyre!\u00bb\nL\u00e0-dessus entra dans la chambre le fr\u00e8re de Val\u00e9rien, Tiburce. Et,\nfrapp\u00e9 du parfum des fleurs, il dit: \u00abJe me demande d\u2019o\u00f9 peut venir, en\ncette saison, ce parfum de roses et de lis. Sans compter que, si m\u00eame\nj\u2019avais les mains pleines de ces fleurs, je ne me sentirais pas impr\u00e9gn\u00e9\nde leur parfum aussi profond\u00e9ment!\u00bb Et Val\u00e9rien: \u00abC\u2019est que nous avons\ndes couronnes faites de ces fleurs, et dont l\u2019\u00e9clat n\u2019est pas moins\nmerveilleux que le parfum. Mais tes yeux ne peuvent les voir; ils le\npourront, seulement, si tu consens \u00e0 partager notre foi.\u00bb Et Tiburce:\n\u00abEst-ce que je r\u00eave, ou bien me parles-tu vraiment?\u00bb Et Val\u00e9rien: \u00abC\u2019est\njusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent que nous avons r\u00eav\u00e9; et d\u00e9sormais nous nous sommes\n\u00e9veill\u00e9s \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9.\u00bb Et Tiburce: \u00abComment sais-tu cela?\u00bb Et Val\u00e9rien:\n\u00abC\u2019est un ange qui me l\u2019a appris; et tu pourrais le voir, comme nous,\nsi, apr\u00e8s avoir renonc\u00e9 aux idoles, tu te faisais purifier.\u00bb Apr\u00e8s quoi\nC\u00e9cile lui d\u00e9montra avec tant d\u2019\u00e9vidence l\u2019inanit\u00e9 des idoles, que\nTiburce s\u2019\u00e9cria: \u00abCelui qui ne croit pas \u00e0 cela est une b\u00eate brute!\u00bb\nAlors C\u00e9cile, lui baisant la poitrine, dit: \u00abJe reconnais en toi mon\nfr\u00e8re, et c\u2019est Dieu qui a fait de toi mon fr\u00e8re, comme de ton fr\u00e8re il\na fait mon mari. Va donc avec Val\u00e9rien pour te faire purifier, afin qu\u2019\u00e0\nton retour tu puisses contempler le visage de l\u2019ange!\u00bb Et elle demanda \u00e0\nVal\u00e9rien de conduire son fr\u00e8re aupr\u00e8s de l\u2019\u00e9v\u00eaque Urbain. Alors Tiburce:\n\u00abSerait-ce le m\u00eame Urbain qui se cache quelque part, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9\ntant de fois condamn\u00e9? Mais, si on le d\u00e9couvre, on le br\u00fblera, et nous\nserons br\u00fbl\u00e9s avec lui; et, pendant que nous chercherons au ciel une\ndivinit\u00e9 cach\u00e9e, nous trouverons sur la terre les angoisses du\nsupplice!\u00bb Et C\u00e9cile: \u00abSi la vie d\u2019ici-bas \u00e9tait notre seule vie, nous\naurions raison de redouter de la perdre. Mais il y a une autre vie,\nmeilleure, et qui ne se perdra point. C\u2019est celle que nous a annonc\u00e9e le\nFils de Dieu.\u00bb Puis elle lui raconta l\u2019av\u00e8nement du Christ et sa\npassion. Si bien que Tiburce dit \u00e0 son fr\u00e8re: \u00abPar piti\u00e9, conduis-moi\nvite vers cet homme de Dieu, pour que je re\u00e7oive ma purification!\u00bb Et\nd\u00e8s qu\u2019il fut baptis\u00e9, il put, lui aussi, voir l\u2019ange, et obtenir de lui\nce qu\u2019il d\u00e9sirait.\nAinsi convertis, Val\u00e9rien et Tiburce passaient leur temps \u00e0 distribuer\ndes aum\u00f4nes et \u00e0 ensevelir les corps des martyrs. Ce qu\u2019apprenant, le\npr\u00e9fet Almaque leur demanda pourquoi ils ensevelissaient des hommes\njustement condamn\u00e9s pour leurs crimes. Et Tiburce: \u00abPl\u00fbt \u00e0 Dieu que nous\nfussions dignes d\u2019\u00eatre les esclaves de ceux que tu appelles des\ncriminels! Car ils ont su d\u00e9daigner ce qui para\u00eet exister et n\u2019existe\npas; et ils ont trouv\u00e9 ce qui para\u00eet ne pas exister et qui existe!\u00bb Et\nAlmaque: \u00abDe quoi parles-tu l\u00e0?\u00bb Et Tiburce: \u00abCe qui para\u00eet exister et\nqui n\u2019existe pas, c\u2019est tout ce qui est dans ce monde; et c\u2019est cela qui\nconduit l\u2019homme, lui aussi, \u00e0 ne pas exister. Et ce qui para\u00eet ne pas\nexister et qui existe, c\u2019est le salut des justes.\u00bb Le pr\u00e9fet lui\nr\u00e9pondit qu\u2019il d\u00e9raisonnait. Puis, s\u2019adressant \u00e0 Val\u00e9rien: \u00abPuisque ton\nfr\u00e8re a le cerveau d\u00e9rang\u00e9, toi, du moins, essaie de me r\u00e9pondre\nraisonnablement! Dis-moi ce qui vous porte \u00e0 d\u00e9daigner les plaisirs de\nla vie et \u00e0 rechercher les souffrances.\u00bb Val\u00e9rien r\u00e9pondit que, l\u2019hiver,\nil avait vu des oisifs se moquant du p\u00e9nible travail des laboureurs;\nmais, l\u2019\u00e9t\u00e9 venu, et la saison des moissons, ceux-l\u00e0 se r\u00e9jouissaient\ndont on s\u2019\u00e9tait moqu\u00e9, tandis que les railleurs se mettaient \u00e0 pleurer.\n\u00abEt de m\u00eame, nous aussi, nous supportons la fatigue et les injures; mais\nplus tard nous recevrons la gloire et la r\u00e9compense \u00e9ternelles. Et vous,\nqui \u00e9prouvez ici-bas une joie partag\u00e9e, vous trouverez dans l\u2019avenir le\ndeuil \u00e9ternel!\u00bb Et le pr\u00e9fet: \u00abAinsi nous, princes glorieux, nous\nn\u2019aurions \u00e0 attendre qu\u2019un deuil \u00e9ternel, tandis que vous, mis\u00e9rables,\nvous poss\u00e9deriez une joie sans fin?\u00bb Et Val\u00e9rien: \u00abVous n\u2019\u00eates que de\npauvres hommes, et non pas des princes. N\u00e9s comme nous, vous aurez\nseulement \u00e0 rendre \u00e0 Dieu des comptes plus forts.\u00bb Alors le pr\u00e9fet: \u00abA\nquoi bon tous ces bavardages? Sacrifiez aux dieux, et vous vous en irez\nlibrement!\u00bb Et comme les deux saints se refusaient \u00e0 sacrifier, le\npr\u00e9fet les confia \u00e0 la garde de Maxime, qui allait, lui aussi, devenir\nun saint. Et Maxime leur dit: \u00abO fleur pourpr\u00e9e de la jeunesse, \u00f4 couple\ncharmant et tendre, d\u2019o\u00f9 vient que vous couriez ainsi \u00e0 la mort comme \u00e0\nun festin?\u00bb Val\u00e9rien lui r\u00e9pondit que, s\u2019il voulait partager leur foi,\nil pourrait, apr\u00e8s leur mort, contempler la gloire de leurs \u00e2mes. Et\nMaxime: \u00abJe veux que la foudre m\u2019an\u00e9antisse, si, quand j\u2019aurai vu ce que\nvous me promettez, je ne proclame pas que votre Dieu est le seul vrai\nDieu!\u00bb Sur quoi Maxime et toute sa famille et tous les gardiens se\nconvertirent, et re\u00e7urent le bapt\u00eame des mains d\u2019Urbain, qui vint en\nsecret dans la prison.\nLe lendemain, \u00e0 l\u2019aurore, C\u00e9cile s\u2019\u00e9cria: \u00abAllez, soldats du Christ,\nrejetez l\u2019\u0153uvre des t\u00e9n\u00e8bres, et rev\u00eatez les armes de lumi\u00e8re!\u00bb On\nconduisit les martyrs \u00e0 quatre milles de Rome, devant une statue de\nJupiter. Et comme ils se refusaient \u00e0 sacrifier, ils eurent la t\u00eate\ntranch\u00e9e. Et Maxime affirma sous serment qu\u2019il avait vu des anges\nbriller autour d\u2019eux et emporter leurs \u00e2mes vers le ciel, pareilles \u00e0\ndes vierges qu\u2019on porte dans leur lit. Ce qu\u2019entendant, Almaque ordonna\nque Maxime f\u00fbt frapp\u00e9 de verges plomb\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 ce que mort s\u2019ensuiv\u00eet.\nC\u00e9cile recueillit son corps et l\u2019ensevelit \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ceux des deux\nsaints.\nApr\u00e8s cela, Almaque s\u2019enquit des biens laiss\u00e9s par ceux-ci. Et,\nd\u00e9couvrant que la femme de Val\u00e9rien \u00e9tait chr\u00e9tienne, il lui ordonna de\nsacrifier aux idoles, sous peine de mort. Les soldats qui la\nconduisaient l\u2019engageaient \u00e0 se soumettre, d\u00e9sol\u00e9s de voir une jeune\nfemme si belle et si noble se livrer \u00e0 la mort. Et elle leur dit: \u00abChers\namis, ce n\u2019est point l\u00e0 perdre sa jeunesse, mais faire un \u00e9change; c\u2019est\ndonner de la boue et recevoir de l\u2019or, c\u2019est donner une cabane et\nrecevoir un palais. Si quelqu\u2019un vous offrait une livre pour un sou, ne\nvous h\u00e2teriez-vous pas d\u2019accepter son offre? Or Dieu rend au centuple\ntout ce qu\u2019on lui donne. Croyez-vous \u00e0 tout ce que je vous dis?\u00bb Et eux:\n\u00abNous croyons que ton ma\u00eetre le Christ est le vrai Dieu, puisqu\u2019il\nposs\u00e8de une servante telle que toi!\u00bb Et l\u2019\u00e9v\u00eaque Urbain les baptisa, au\nnombre de plus de quatre cents.\nPuis C\u00e9cile comparut devant Almaque et r\u00e9pondit \u00e0 ses questions en\nproclamant sa foi. Alors Almaque: \u00abLaisse maintenant tes folies, et\nsacrifie aux dieux!\u00bb Et C\u00e9cile: \u00abC\u2019est toi qui me parais atteint de\nfolie: car, l\u00e0 o\u00f9 tu vois des dieux, nous ne voyons que des pierres.\nEtends la main, et constate du moins par le toucher ce que tes yeux ne\nparviennent pas \u00e0 voir!\u00bb Almaque, furieux, la fit ramener dans sa\nmaison, o\u00f9, jour et nuit, il ordonna qu\u2019elle f\u00fbt plong\u00e9e dans un bain\nd\u2019eau bouillante. Mais elle y resta comme en un lieu frais, et sans que\nm\u00eame une goutte de sueur par\u00fbt sur elle. Ce qu\u2019apprenant, Almaque\nordonna qu\u2019elle e\u00fbt la t\u00eate tranch\u00e9e dans son bain. Le bourreau la\nfrappa de trois coups de hache; et comme elle vivait toujours, et que la\nloi d\u00e9fendait de frapper les condamn\u00e9s de plus de trois coups, la sainte\nfut laiss\u00e9e encore respirante. Elle surv\u00e9cut trois jours \u00e0 son supplice.\nElle distribua aux pauvres tous ses biens, et recommanda \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque\nUrbain tous les fid\u00e8les qu\u2019elle avait convertis, en disant: \u00abJ\u2019ai\ndemand\u00e9 au ciel ces trois jours de d\u00e9lai pour te faire une derni\u00e8re fois\nmes recommandations, et pour te prier de consacrer une \u00e9glise sur\nl\u2019emplacement de cette maison o\u00f9 je meurs.\u00bb Puis elle rendit l\u2019\u00e2me, et\nsaint Urbain, apr\u00e8s l\u2019avoir ensevelie, transforma sa maison en \u00e9glise,\ncomme elle l\u2019avait demand\u00e9. Elle mourut \u00e0 l\u2019\u00e2ge de vingt-trois ans, en\nl\u2019an du Seigneur 200, sous l\u2019empereur Alexandre. Mais d\u2019autres\nhistoriens veulent que son martyre ait eu lieu vingt ans plus tard, sous\nle r\u00e8gne de Marc-Aur\u00e8le.\nCLXVII\nSAINT CL\u00c9MENT, PAPE ET MARTYR\n(23 novembre)\nI. L\u2019\u00e9v\u00eaque Cl\u00e9ment \u00e9tait romain et de famille noble. Son p\u00e8re\ns\u2019appelait Faustinien, sa m\u00e8re Macidienne; il avait deux fr\u00e8res, dont\nl\u2019un s\u2019appelait Faust, l\u2019autre Faustin. Or Macidienne \u00e9tait si belle que\nle fr\u00e8re de son mari se prit pour elle d\u2019un amour passionn\u00e9. Et comme il\nla pressait vivement, et qu\u2019elle ne voulait ni se livrer ni le d\u00e9noncer,\nde peur de susciter l\u2019inimiti\u00e9 entre les deux fr\u00e8res, elle forma le\nprojet de s\u2019\u00e9loigner de Rome pour quelque temps, de fa\u00e7on que son\nabsence \u00e9teign\u00eet l\u2019amour coupable qu\u2019enflammait sa pr\u00e9sence. Pour\nobtenir de son mari le consentement de son d\u00e9part, elle imagina de lui\nraconter qu\u2019une voix lui avait dit, en r\u00eave, de quitter Rome aussit\u00f4t,\navec ses deux jumeaux Faust et Faustin, faute de quoi ils p\u00e9riraient\ntous. Le mari, \u00e9pouvant\u00e9, envoya sa femme et ses deux enfants \u00e0 Ath\u00e8nes,\ngardant pr\u00e8s lui, pour le consoler, son plus jeune fils Cl\u00e9ment, \u00e2g\u00e9 de\ncinq ans. Et le bateau qui portait Macidienne fit naufrage, durant la\nnuit. Macidienne, rejet\u00e9e par les flots, se r\u00e9fugia sur un rocher, d\u2019o\u00f9\nelle se serait certainement pr\u00e9cipit\u00e9e \u00e0 la mer, dans l\u2019exc\u00e8s de sa\ndouleur, si elle n\u2019avait pas conserv\u00e9 du moins l\u2019espoir de retrouver les\ncadavres de ses fils, qu\u2019elle croyait noy\u00e9s. En vain des femmes, qui\ndemeuraient dans ces r\u00e9gions, s\u2019effor\u00e7aient de la consoler en lui\nracontant leurs propres infortunes. Une de ces femmes, cependant, finit\npar la d\u00e9cider \u00e0 demeurer chez elle, en lui disant qu\u2019elle avait,\nelle-m\u00eame, perdu dans un naufrage son mari, encore tout jeune, et que\njamais elle n\u2019avait consenti \u00e0 se remarier. Mais bient\u00f4t Macidienne\nsentit faiblir ses mains, que, dans son d\u00e9sespoir, elle avait longtemps\nd\u00e9chir\u00e9es avec ses dents. Et comme la femme qui l\u2019avait recueillie \u00e9tait\ntomb\u00e9e malade et ne pouvait plus se lever, la m\u00e8re de Cl\u00e9ment se trouva\ncontrainte de mendier pour avoir de quoi se nourrir ainsi que son\nh\u00f4tesse.\nUn an apr\u00e8s son d\u00e9part de Rome, son mari envoya des serviteurs \u00e0 Ath\u00e8nes\npour s\u2019informer de ce qu\u2019\u00e9taient devenus sa femme et ses fils. Les\nenvoy\u00e9s ne revinrent pas. D\u2019autres serviteurs, qu\u2019il envoya ensuite,\nrevinrent, mais pour annoncer qu\u2019ils n\u2019avaient pu d\u00e9couvrir aucune trace\nde Macidienne et de ses enfants. Alors Faustinien, laissant Cl\u00e9ment \u00e0 la\ngarde de tuteurs, partit lui-m\u00eame pour Ath\u00e8nes; et il ne revint pas.\nAinsi Cl\u00e9ment se trouva orphelin, sans aucune nouvelle de ses parents ni\nde ses fr\u00e8res.\nIl s\u2019adonna tout entier \u00e0 l\u2019\u00e9tude, et atteignit jusqu\u2019aux plus profonds\nsecrets de la philosophie. Il d\u00e9sirait surtout se renseigner sur\nl\u2019immortalit\u00e9 de l\u2019\u00e2me; et lorsqu\u2019un des ma\u00eetres qu\u2019il consultait lui\naffirmait que son \u00e2me \u00e9tait immortelle, il en \u00e9prouvait une grande joie;\nmais lorsqu\u2019un autre philosophe lui disait que l\u2019\u00e2me \u00e9tait mortelle, il\nrecommen\u00e7ait \u00e0 se d\u00e9soler. En ce temps-l\u00e0 vint \u00e0 Rome saint Barnab\u00e9,\npour pr\u00eacher la doctrine du Christ; et tous les philosophes le\nraillaient comme un insens\u00e9. Cl\u00e9ment, qui d\u2019abord le raillait de m\u00eame\nque ses confr\u00e8res, lui posa un jour, par moquerie, la question suivante:\n\u00abD\u2019o\u00f9 vient que le moucheron, qui est tout petit, poss\u00e8de six pattes et\ndes ailes, tandis que l\u2019\u00e9l\u00e9phant, qui est \u00e9norme, ne poss\u00e8de point\nd\u2019ailes et seulement quatre pattes?\u00bb Alors Barnab\u00e9: \u00abMalheureux, je ne\nserais pas en peine de r\u00e9pondre \u00e0 ta question, si tu me la posais\nseulement par amour de la v\u00e9rit\u00e9. Mais c\u2019est chose absurde, en ce\nmoment, de rien vous dire au sujet des cr\u00e9atures, puisque vous ne voulez\npas conna\u00eetre l\u2019auteur de toutes les cr\u00e9atures! Ignorant le Cr\u00e9ateur, ce\nn\u2019est que justice que vous erriez sur les cr\u00e9atures!\u00bb Et ces paroles\ns\u2019enfonc\u00e8rent si profond\u00e9ment dans le c\u0153ur du jeune philosophe, qu\u2019il\ns\u2019attacha \u00e0 Barnab\u00e9 et s\u2019instruisit pr\u00e8s de lui dans la foi du Christ.\nApr\u00e8s quoi il se rendit en Jud\u00e9e aupr\u00e8s de saint Pierre qui acheva de\nl\u2019instruire, et lui d\u00e9montra avec \u00e9vidence l\u2019immortalit\u00e9 de l\u2019\u00e2me.\nEn ce temps-l\u00e0, deux disciples de Simon le Magicien, Aquila et Nic\u00e9tas,\nreconnaissant les mensonges de leur ma\u00eetre, rejoignirent saint Pierre et\ndevinrent ses disciples. Et un jour que Pierre s\u2019\u00e9tait rendu avec ses\ndisciples dans l\u2019\u00eele o\u00f9 demeurait Macidienne, la m\u00e8re de Cl\u00e9ment, ils\naper\u00e7urent, sur le seuil d\u2019un temple, qui \u00e9tait la principale curiosit\u00e9\nde cette \u00eele, une femme qui mendiait. Ils lui reproch\u00e8rent de ne pas se\nservir de ses mains pour gagner sa vie en travaillant. Et la femme:\n\u00abSeigneur, je n\u2019ai en v\u00e9rit\u00e9 que les apparences de mes mains, car j\u2019ai\ntout \u00e0 fait perdu la force de m\u2019en servir; et je regrette de n\u2019avoir\npoint jadis suivi mon instinct qui me poussait \u00e0 me pr\u00e9cipiter dans la\nmer, plut\u00f4t que de poursuivre une vie mis\u00e9rable.\u00bb Et Pierre: \u00abQue dis-tu\nl\u00e0? Ignores-tu donc que les \u00e2mes de ceux qui se tuent sont s\u00e9v\u00e8rement\npunies?\u00bb Et elle: \u00abAh, si j\u2019avais la certitude que les \u00e2mes vivent apr\u00e8s\nla mort, je me tuerais aussit\u00f4t avec joie, pour pouvoir au moins un\ninstant revoir mes deux fils ch\u00e9ris!\u00bb Et comme Pierre lui demandait la\ncause d\u2019un tel d\u00e9sespoir, elle lui raconta toutes ses aventures. Et\nPierre: \u00abJ\u2019ai un disciple nomm\u00e9 Cl\u00e9ment qui m\u2019a racont\u00e9 une histoire\ntoute pareille \u00e0 la tienne, touchant sa m\u00e8re et ses fr\u00e8res!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, la femme s\u2019\u00e9vanouit de stupeur. Puis elle dit, revenant \u00e0\nelle: \u00abC\u2019est moi qui suis la m\u00e8re de ce jeune homme!\u00bb Et, se jetant aux\npieds de saint Pierre, elle le supplia de la conduire de suite en\npr\u00e9sence de son fils. Et Pierre: \u00abTon fils est ici, dans notre bateau;\nmais quand tu le verras, efforce-toi de ne rien dire jusqu\u2019\u00e0 ce que nous\nayons quitt\u00e9 le rivage de l\u2019\u00eele!\u00bb Et quand Cl\u00e9ment vit revenir saint\nPierre tenant par la main une vieille femme, il ne put s\u2019emp\u00eacher\nd\u2019abord de rire de ce spectacle. Mais bient\u00f4t Macidienne, assise pr\u00e8s de\nson fils, ne put se contenir davantage et se jeta dans ses bras. Et lui,\nla croyant folle, la repoussait avec indignation. Alors Pierre: \u00abQue\nfais-tu, mon fils Cl\u00e9ment? Ne repousse point ta m\u00e8re!\u00bb Et Cl\u00e9ment\nreconnut sa m\u00e8re, et tout en larmes, la couvrit de baisers. Saint Pierre\nse fit ensuite conduire chez la vieille h\u00f4tesse de Macidienne, qui\ngisait paralys\u00e9e; aussit\u00f4t il la gu\u00e9rit. Puis Macidienne interrogea\nCl\u00e9ment sur son son p\u00e8re. Et lui: \u00abIl s\u2019est mis en route pour te\nchercher et n\u2019est jamais revenu!\u00bb En r\u00e9ponse, Macidienne soupira; mais\nla grande joie d\u2019avoir retrouv\u00e9 son fils la consolait presque de tous\nses chagrins.\nSurvinrent alors Nic\u00e9tas et Aquila. Et comme ils demandaient quelle\n\u00e9tait la femme qu\u2019ils voyaient, Cl\u00e9ment leur dit: \u00abC\u2019est ma m\u00e8re, que\nDieu m\u2019a rendue par l\u2019entremise de Pierre!\u00bb Pierre leur raconta alors\ntoute l\u2019histoire. Et aussit\u00f4t Nic\u00e9tas et Aquila se lev\u00e8rent tout\ntroubl\u00e9s. Et ils dirent: \u00abDieu puissant, r\u00eavons-nous ou cela est-il\nr\u00e9el?\u00bb Et, reconnaissant la r\u00e9alit\u00e9 de ce qu\u2019ils voyaient et\nentendaient, ils s\u2019\u00e9cri\u00e8rent: \u00abC\u2019est nous qui sommes ce Faust et ce\nFaustin, que notre m\u00e8re croit noy\u00e9s!\u00bb Et ils se jet\u00e8rent au cou de\nMacidienne, grandement surprise. Et celle-ci, d\u00e8s qu\u2019elle reconnut ses\ndeux fils, faillit mourir de joie. Puis, revenant \u00e0 elle: \u00abDe gr\u00e2ce, mes\nchers enfants, racontez-moi comment vous \u00eates encore en vie?\u00bb Et eux:\n\u00abApr\u00e8s le naufrage, comme nous naviguions sur une planche, des pirates\nnous trouv\u00e8rent, qui nous emmen\u00e8rent, et finirent par nous vendre \u00e0 une\nhonn\u00eate veuve nomm\u00e9e Justine. Cette femme nous traita comme ses fils, et\nnous instruisit dans les arts lib\u00e9raux. Nous nous attach\u00e2mes ensuite \u00e0\nl\u2019un de nos condisciples, Simon le Magicien. Mais ayant reconnu sa\nfausset\u00e9, nous l\u2019abandonn\u00e2mes, et, par l\u2019entremise de Zach\u00e9e, nous\ndev\u00eenmes disciples de Pierre.\u00bb\nLe jour suivant, saint Pierre se retira, pour prier, dans un lieu\n\u00e9cart\u00e9, en compagnie de ses trois disciples. L\u00e0, un pauvre vieillard\nd\u2019aspect v\u00e9n\u00e9rable les aborda, et leur dit: \u00abJ\u2019ai piti\u00e9 de vous, mes\nfr\u00e8res, en voyant \u00e0 quelles erreurs vous entra\u00eene votre pi\u00e9t\u00e9! Car il\nn\u2019existe ni Dieu, ni Providence, mais tout se trouve engendr\u00e9 par le\nsimple hasard, ainsi que je l\u2019ai constat\u00e9 clairement par mon propre\nexemple.\u00bb Et Cl\u00e9ment, consid\u00e9rant ce vieillard, se sentait troubl\u00e9, et\navait l\u2019impression de l\u2019avoir d\u00e9j\u00e0 vu quelque part ailleurs. Sur l\u2019ordre\nde Pierre, les trois disciples discut\u00e8rent longtemps avec l\u2019inconnu pour\nlui d\u00e9montrer la r\u00e9alit\u00e9 de la Providence. Et comme, \u00e0 plusieurs\nreprises, par respect pour son \u00e2ge, ils l\u2019avaient appel\u00e9 \u00abp\u00e8re\u00bb, Aquila\ndit tout \u00e0 coup: \u00abPourquoi donnons-nous \u00e0 cet homme un titre que nous\nn\u2019avons le droit de donner \u00e0 personne sur terre?\u00bb Puis, se tournant vers\nle vieillard, il lui dit: \u00abMon p\u00e8re, ne te f\u00e2che point de ce que je\nviens de dire, car notre loi nous d\u00e9fend de donner le nom de p\u00e8re \u00e0\naucun \u00eatre humain!\u00bb L\u00e0-dessus, tous les assistants se mirent \u00e0 rire. Et\ncomme Aquila en demandait le motif, Cl\u00e9ment lui dit: \u00abNe vois-tu pas que\ntu fais toi-m\u00eame ce que tu nous reproches, et que tu dis \u00abp\u00e8re\u00bb \u00e0 ce\nvieillard?\u00bb Mais Aquila affirma qu\u2019il ne se souvenait plus d\u2019avoir\nemploy\u00e9 ce mot. Et quand le d\u00e9bat sur la Providence fut \u00e9puis\u00e9, le\nvieillard dit: \u00abJe serais tout pr\u00eat \u00e0 admettre la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019une\nProvidence, si je n\u2019avais eu dans ma vie la preuve manifeste du hasard\naveugle qui dirige les choses. Sachez donc que ma femme, n\u00e9e sous la\nconstellation de V\u00e9nus et de Saturne, se trouvait par l\u00e0 pr\u00e9destin\u00e9e \u00e0\ncommettre l\u2019adult\u00e8re, \u00e0 s\u2019\u00e9prendre d\u2019un esclave et \u00e0 \u00eatre noy\u00e9e. Or,\nc\u2019est ce qui lui est arriv\u00e9. S\u2019\u00e9tant \u00e9prise d\u2019un esclave, et craignant\nle danger et la honte, elle s\u2019est enfuie avec lui et a p\u00e9ri en mer. Et\nmon fr\u00e8re m\u2019a racont\u00e9 qu\u2019elle s\u2019\u00e9tait d\u2019abord \u00e9prise de lui, mais que,\nsur son refus de la satisfaire, elle avait retourn\u00e9 vers un de nos\nesclaves la concupiscence o\u00f9 la condamnait sa destin\u00e9e.\u00bb Apr\u00e8s quoi le\nvieillard leur dit comment sa femme, sous pr\u00e9texte d\u2019un r\u00eave qu\u2019elle\naurait eu, avait quitt\u00e9 Rome avec ses deux fils pour se rendre \u00e0\nAth\u00e8nes. Les trois disciples, \u00e0 ces mots, reconnurent leur p\u00e8re et\nvoulurent se jeter dans ses bras; mais Pierre leur dit d\u2019attendre qu\u2019il\nle leur e\u00fbt permis. Et il dit au vieillard: \u00abSi je te fais voir\naujourd\u2019hui ta femme avec tes trois fils, et si je te prouve qu\u2019elle t\u2019a\ntoujours \u00e9t\u00e9 fid\u00e8le, admettras-tu le n\u00e9ant de ta soi-disant\npr\u00e9destination?\u00bb Et le vieillard: \u00abCe que tu me proposes l\u00e0 est aussi\nimpossible qu\u2019il est impossible d\u2019\u00e9chapper \u00e0 sa destin\u00e9e!\u00bb Et Pierre:\n\u00abSache donc que voici ton fils Cl\u00e9ment et tes deux jumeaux Faust et\nFaustin!\u00bb Ce qu\u2019entendant, le vieillard tomba \u00e9vanoui. A peine avait-il\nrepris les sens que sa femme s\u2019approcha, criant: \u00abO\u00f9 est mon cher mari\net ma\u00eetre?\u00bb Et le vieillard s\u2019\u00e9lan\u00e7a au-devant d\u2019elle, et l\u2019embrassa en\npleurant. Et Pierre lui raconta en d\u00e9tail l\u2019histoire de sa femme et de\nses enfants.\nPendant que Faustinien vivait ainsi avec toute sa famille, on vint lui\nannoncer que deux de ses amis \u00e9taient les h\u00f4tes de Simon le Magicien.\nFaustinien, enchant\u00e9, s\u2019empressa de leur faire visite, et, pendant qu\u2019il\n\u00e9tait l\u00e0, on vint annoncer qu\u2019un ministre de l\u2019empereur \u00e9tait arriv\u00e9 \u00e0\nAntioche avec mission de rechercher et de mettre \u00e0 mort tous les\nmagiciens. Alors Simon, par un sortil\u00e8ge, imprima sa propre ressemblance\nsur le visage de Faustinien. Il fit cela par haine des fils de\nFaustinien, qui l\u2019avaient abandonn\u00e9, et afin que Faustinien f\u00fbt arr\u00eat\u00e9\net tu\u00e9 \u00e0 sa place. Et lui-m\u00eame, apr\u00e8s cela, s\u2019enfuit vers une autre\nr\u00e9gion. Or, quand Faustinien revint aupr\u00e8s de ses fils, ceux-ci furent\neffray\u00e9s de voir un homme qui, avec la voix de leur p\u00e8re, avait le\nvisage de Simon. Seul, saint Pierre voyait le visage de Faustinien tel\nqu\u2019il \u00e9tait en r\u00e9alit\u00e9; et il s\u2019\u00e9tonnait fort de l\u2019effroi que le\nvieillard paraissait inspirer aux siens. Puis, lorsqu\u2019il eut enfin\ncompris ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9, il dit \u00e0 Faustinien: \u00abNagu\u00e8re, pendant que\nj\u2019\u00e9tais \u00e0 Antioche, Simon, par ses calomnies, a excit\u00e9 le peuple contre\nmoi au point qu\u2019on voulait me d\u00e9chirer \u00e0 coups de dents. Donc, puisque\ntu as maintenant le visage de Simon, va \u00e0 Antioche, r\u00e9tracte en pr\u00e9sence\ndu peuple tout ce que le vrai Simon a dit de moi; et ensuite je viendrai\nmoi-m\u00eame \u00e0 Antioche pour te rendre ton visage naturel!\u00bb\nTout cela se trouve racont\u00e9 dans l\u2019_Itin\u00e9raire_ de Cl\u00e9ment; mais ce\nlivre est apocryphe et ne doit pas \u00eatre cru \u00e0 la lettre. Nous ne\nsaurions croire, notamment, que saint Pierre ait pu ordonner \u00e0\nFaustinien de se faire passer pour Simon, car c\u2019est l\u00e0 un mensonge que\nDieu ne saurait approuver. Gardons-nous donc de prendre tout ce r\u00e9cit\npour enti\u00e8rement authentique!\nFaustinien--toujours d\u2019apr\u00e8s notre livre--se rendit \u00e0 Antioche, convoqua\nle peuple, et dit: \u00abMoi, Simon, je proclame et avoue m\u2019\u00eatre tromp\u00e9 dans\ntout ce que je vous ai dit de Pierre, qui n\u2019est ni un imposteur, ni un\nmagicien, mais un ap\u00f4tre envoy\u00e9 pour le salut des hommes!\u00bb Et, quand il\neut excit\u00e9 dans le peuple l\u2019amour de Pierre, celui-ci vint \u00e0 son tour,\net, ayant pri\u00e9, effa\u00e7a enti\u00e8rement de son visage la ressemblance de\nSimon. Ce qu\u2019apprenant, Simon lui-m\u00eame accourut et dit au peuple: \u00abJe\nm\u2019\u00e9tonne que, apr\u00e8s la fa\u00e7on dont je vous ai engag\u00e9s \u00e0 vous d\u00e9fier des\nimpostures de Pierre, vous ayez non seulement \u00e9cout\u00e9 cet homme, mais que\nvous lui ayez fait l\u2019accueil le plus empress\u00e9!\u00bb Sur qui la foule, se\nretournant contre lui avec col\u00e8re, l\u2019accabla de reproches, et le chassa\nhonteusement de la ville. Voil\u00e0 ce que nous raconte Cl\u00e9ment lui-m\u00eame, ou\ndu moins l\u2019auteur de l\u2019ouvrage qui lui est attribu\u00e9.\nII. Plus tard, saint Pierre, \u00e9tant venu \u00e0 Rome, et voyant approcher\nl\u2019heure de sa passion, ordonna Cl\u00e9ment \u00e9v\u00eaque \u00e0 sa place. Mais, \u00e0 la\nmort du prince des ap\u00f4tres, le sage Cl\u00e9ment se d\u00e9mit de ses fonctions en\nfaveur de Lin, puis de Clet: car il craignait que cet exemple ne\nperp\u00e9tu\u00e2t dans l\u2019Eglise, l\u2019usage, pour les papes, d\u2019\u00e9lire eux-m\u00eames leur\nsuccesseur, ce qui aurait rendu h\u00e9r\u00e9ditaire la possession du\nSaint-Si\u00e8ge. D\u2019autres auteurs, cependant, croient que Lin et Clet n\u2019ont\njamais \u00e9t\u00e9 proprement des papes, mais seulement des coadjuteurs de saint\nPierre, et que c\u2019est \u00e0 ce titre qu\u2019ils figurent dans le catalogue des\npontifes. Le fait est que, apr\u00e8s eux, Cl\u00e9ment fut \u00e9lu pape et contraint\n\u00e0 accepter cet honneur. Et tel \u00e9tait l\u2019\u00e9clat de ses m\u0153urs que les Juifs\net les pa\u00efens l\u2019aimaient presque autant que le troupeau des chr\u00e9tiens.\nIl avait fait dresser la liste compl\u00e8te de tous les pauvres des diverses\nprovinces, et il veillait \u00e0 ce que ceux qu\u2019il avait baptis\u00e9s ne fussent\njamais expos\u00e9s au d\u00e9shonneur de la mendicit\u00e9.\nIl avait consacr\u00e9 au Seigneur la vierge Domicille, ni\u00e8ce de l\u2019empereur\nDomitien. Et la vertueuse Th\u00e9odore, femme d\u2019un ami de l\u2019empereur nomm\u00e9\nSisinnius, convertie par lui, avait fait v\u0153u de ne plus se d\u00e9partir\nd\u00e9sormais de la chastet\u00e9. Or Sisinnius, par jalousie, et voulant savoir\nce que sa femme allait faire dans l\u2019\u00e9glise des chr\u00e9tiens, la suivit\nsecr\u00e8tement dans cette \u00e9glise. Aussit\u00f4t, il devint aveugle et sourd; et\nil dit \u00e0 ses esclaves: \u00abConduisez-moi vite hors d\u2019ici!\u00bb Mais les\nesclaves, le tenant par la main, tournaient en tous sens, dans l\u2019\u00e9glise,\nsans pouvoir en sortir. Ce que voyant, Th\u00e9odore voulut d\u2019abord se\ncacher, par crainte que son mari ne la reconn\u00fbt; mais quand elle comprit\nque Sisinnius \u00e9tait devenu aveugle et sourd, et ne pouvait sortir de\nl\u2019\u00e9glise, elle pria Dieu; puis elle dit aux esclaves: \u00abAllez maintenant,\net ramenez votre ma\u00eetre dans sa maison!\u00bb Apr\u00e8s quoi elle raconta \u00e0 saint\nCl\u00e9ment ce qui venait d\u2019arriver. Sur sa demande, le saint se rendit dans\nsa maison, pria, et aussit\u00f4t le mari recouvra l\u2019ou\u00efe et la vue. Mais\nalors celui-ci, rouvrant les yeux, et apercevant l\u2019\u00e9v\u00eaque debout pr\u00e8s de\nsa femme, fut pris de fureur, soup\u00e7onnant quelque artifice magique, et\nordonna \u00e0 ses serviteurs de s\u2019emparer de Cl\u00e9ment, de le lier et de\nl\u2019emporter en prison. Mais les serviteurs, au lieu de lier le saint,\nentouraient de leurs liens une colonne de pierre; et Sisinnius, lui\naussi, croyait que c\u2019\u00e9tait Cl\u00e9ment qu\u2019on liait devant lui. Cependant,\nCl\u00e9ment, devenu invisible pour Sisinnius et ses serviteurs, put se\nretirer librement, apr\u00e8s avoir recommand\u00e9 \u00e0 Th\u00e9odore de prier pour la\nconversion de son mari. Et pendant qu\u2019elle priait, saint Pierre lui\napparut et lui dit: \u00abPar toi ton mari sera sauv\u00e9, afin que\ns\u2019accomplissent ces mots de mon fr\u00e8re Paul: _le mari infid\u00e8le sera sauv\u00e9\npar la femme fid\u00e8le_!\u00bb Ayant dit cela, saint Pierre disparut; et au m\u00eame\ninstant Sisinnius manda sa femme pour la prier de faire venir pr\u00e8s de\nlui l\u2019\u00e9v\u00eaque Cl\u00e9ment. Celui-ci vint, l\u2019instruisit dans la foi et le\nbaptisa avec trois cent treize personnes de sa maison. Et Sisinnius, \u00e0\nson tour, convertit au Christ une foule de nobles et d\u2019amis de\nl\u2019empereur Nerva.\nAlors le prince des pr\u00eatres pa\u00efens, \u00e0 force d\u2019argent, provoqua une\ngrande s\u00e9dition du peuple contre saint Cl\u00e9ment. Le pr\u00e9fet Mamertin\n\u00e9crivit aussit\u00f4t \u00e0 l\u2019empereur Trajan, qui r\u00e9pondit que Cl\u00e9ment, s\u2019il\nrefusait de sacrifier aux idoles, e\u00fbt \u00e0 \u00eatre exil\u00e9 au del\u00e0 des mers dans\nles d\u00e9serts de la Cherson\u00e8se. Et Mamertin, qui avait eu l\u2019occasion de\nconna\u00eetre la saintet\u00e9 de l\u2019\u00e9v\u00eaque, lui dit en pleurant: \u00abPuisse le Dieu\nque tu sers te secourir en cette circonstance!\u00bb Il lui donna un bateau\nqu\u2019il approvisionna de tout le n\u00e9cessaire; et bon nombre de clercs et de\nla\u00efcs le suivirent dans son exil. Arriv\u00e9 en Cherson\u00e8se, Cl\u00e9ment y trouva\nd\u00e9j\u00e0 plus de deux mille chr\u00e9tiens, condamn\u00e9s \u00e0 tailler le marbre pour\nles statues des dieux pa\u00efens. Et comme ils allaient au-devant de lui\navec des pleurs et des larmes, il les consolait en disant: \u00abJe n\u2019ai\npoint m\u00e9rit\u00e9 l\u2019honneur que me fait le Seigneur en me choisissant pour\n\u00eatre le chef de martyrs tels que vous!\u00bb Et comme ils lui disaient qu\u2019ils\n\u00e9taient forc\u00e9s d\u2019aller chercher de l\u2019eau \u00e0 six milles de l\u00e0, Cl\u00e9ment\nr\u00e9pondit: \u00abPrions tous Notre-Seigneur J\u00e9sus-Christ pour que, de m\u00eame\nqu\u2019il a fait jaillir l\u2019eau du roc dans le d\u00e9sert du Sina\u00ef, il donne en\nce lieu \u00e0 ses confesseurs une source d\u2019eau fra\u00eeche!\u00bb Alors, ayant pri\u00e9,\nCl\u00e9ment vit un agneau qui, de sa patte lev\u00e9e, semblait lui d\u00e9signer\nquelque chose. Aussit\u00f4t, reconnaissant la pr\u00e9sence du Christ, il marcha\nau lieu d\u00e9sign\u00e9, et dit: \u00abAu nom du P\u00e8re, du Fils et du Saint-Esprit,\nfrappez le sol en ce lieu!\u00bb Mais comme personne ne voyait l\u2019agneau,\npersonne ne put frapper le sol \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 il se trouvait. Seul\nCl\u00e9ment, prenant une baguette, donna un l\u00e9ger coup sous le pied de\nl\u2019agneau; et aussit\u00f4t une source jaillit, qui ne tarda pas \u00e0 devenir un\nfleuve. Le bruit du miracle se r\u00e9pandit dans la r\u00e9gion, si bien qu\u2019en un\nseul jour plus de cinq cents personnes re\u00e7urent le bapt\u00eame, et que, dans\nl\u2019espace d\u2019une ann\u00e9e, soixante-quinze \u00e9glises furent construites dans la\nprovince.\nTrois ans apr\u00e8s, l\u2019empereur Trajan, inform\u00e9 de ces miracles, envoya en\nCherson\u00e8se un de ses officiers. Mais celui-ci, voyant que le peuple tout\nentier \u00e9tait pr\u00eat \u00e0 mourir, recula devant un si grand nombre\nd\u2019ex\u00e9cutions, et se contenta de faire pr\u00e9cipiter dans la mer saint\nCl\u00e9ment, avec une ancre attach\u00e9e \u00e0 son cou. Et il disait: \u00abD\u00e9sormais, du\nmoins, ces gens-l\u00e0 ne pourront plus l\u2019adorer comme un Dieu!\u00bb Or, comme\ntoute la foule se tenait sur le rivage, deux des disciples de Cl\u00e9ment,\nCorneille et Ph\u00e9bus, pri\u00e8rent Dieu de leur montrer le corps de son\nmartyr. Aussit\u00f4t la mer se retira \u00e0 trois milles du rivage; et tous,\nmarchant \u00e0 pieds secs dans son lit, parvinrent jusqu\u2019\u00e0 une grotte de\nmarbre o\u00f9 ils virent le corps de saint Cl\u00e9ment, avec l\u2019ancre aupr\u00e8s de\nlui. Et une voix du ciel leur d\u00e9fendit d\u2019emporter le corps loin de ce\nlieu.\nIII. Depuis lors, tous les ans, \u00e0 l\u2019anniversaire du martyre de saint\nCl\u00e9ment, la mer se retirait de la m\u00eame fa\u00e7on pendant une semaine,\npermettant aux fid\u00e8les d\u2019atteindre, \u00e0 pieds secs, le tombeau du saint.\nEt, \u00e0 l\u2019une de ces f\u00eates, une femme vint l\u00e0 avec son petit gar\u00e7on. Or\nvoici qu\u2019apr\u00e8s les c\u00e9r\u00e9monies de la f\u00eate, et comme l\u2019enfant s\u2019\u00e9tait\nendormi, on entendit un bruit soudain de flots qui approchaient; et la\nfemme, \u00e9pouvant\u00e9e, s\u2019enfuit avec la foule en oubliant son enfant.\nArriv\u00e9e sur la plage, la pauvre femme se d\u00e9solait, \u00e9levant jusqu\u2019au ciel\ndes cris lamentables. Et longtemps elle esp\u00e9ra, du moins, que les flots\nlui rapporteraient le cadavre de son fils. Enfin, voyant son esp\u00e9rance\nd\u00e9\u00e7ue, elle s\u2019en retourna dans sa maison et y passa une ann\u00e9e dans les\nlarmes. Mais, l\u2019ann\u00e9e suivante, \u00e9tant revenue au tombeau de saint\nCl\u00e9ment et ayant pri\u00e9 le saint, elle aper\u00e7ut son fils couch\u00e9 \u00e0 l\u2019endroit\no\u00f9 elle l\u2019avait laiss\u00e9. Elle crut qu\u2019il \u00e9tait mort, et s\u2019approcha pour\nemporter son cadavre. Grandes furent sa surprise et sa joie lorsqu\u2019elle\nd\u00e9couvrit que l\u2019enfant n\u2019\u00e9tait qu\u2019endormi. Elle le r\u00e9veilla, le couvrit\nde baisers et lui demanda ce qu\u2019il avait fait, pendant toute cette\nann\u00e9e. Mais l\u2019enfant, tr\u00e8s surpris, r\u00e9pondit qu\u2019il croyait n\u2019avoir dormi\nque quelques instants.\nIV. L\u00e9on, \u00e9v\u00eaque d\u2019Ostie, raconte que, sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur\nMichel, un pr\u00eatre, surnomm\u00e9 le Philosophe, vint en Cherson\u00e8se pour\ninterroger les habitants sur les actes de saint Cl\u00e9ment et de ses\ncompagnons. Mais les habitants, qui \u00e9taient presque tous des nouveaux\nvenus, dans la r\u00e9gion, ne purent lui fournir aucun renseignement. Le\nfait est que, en raison de la corruption de ces habitants, le miracle du\nretrait de la mer avait depuis longtemps cess\u00e9; sans compter que,\npendant que ce miracle durait encore, les barbares avaient d\u00e9truit le\ntemple o\u00f9 reposait le cercueil de saint Cl\u00e9ment. Alors le Philosophe se\nrendit dans une petite ville nomm\u00e9e G\u00e9orgie; puis, en compagnie de\nl\u2019\u00e9v\u00eaque, du clerg\u00e9 et du peuple, il se mit en qu\u00eate des saintes\nreliques. Et pendant qu\u2019on fouillait le sol du rivage, en priant et en\nchantant des hymnes, Dieu permit qu\u2019on d\u00e9couvr\u00eet le corps, ainsi que\nl\u2019ancre, que les flots avaient port\u00e9s jusque-l\u00e0. Le Philosophe conduisit\nensuite le corps de saint Cl\u00e9ment \u00e0 Rome, et le d\u00e9posa dans l\u2019\u00e9glise qui\nporte aujourd\u2019hui le nom du saint. Et ce corps continue \u00e0 op\u00e9rer\nd\u2019innombrables miracles. Cependant, \u00e0 en croire une autre chronique, le\ncorps de saint Cl\u00e9ment aurait \u00e9t\u00e9 retrouv\u00e9 et rapport\u00e9 \u00e0 Rome par le\nbienheureux Cyrille, \u00e9v\u00eaque des Moraves.\nCLXVIII\nSAINT CHRYSOGONE, MARTYR\n(24 novembre)\nChrysogone fut jet\u00e9, par ordre de Diocl\u00e9tien, dans une prison o\u00f9 sainte\nAnastasie le nourrissait de ses aum\u00f4nes. Et lorsque Anastasie se trouva\n\u00e0 son tour emprisonn\u00e9e par son mari, elle \u00e9crivit \u00e0 son ma\u00eetre\nChrysogone la lettre suivante: \u00abAnastasie au saint confesseur du Christ\nChrysogone. Mari\u00e9e \u00e0 un homme sacril\u00e8ge, j\u2019ai feint une maladie pour me\nd\u00e9rober \u00e0 sa couche; et, jour et nuit, je reste prostern\u00e9e devant\nN\u00f4tre-Seigneur J\u00e9sus-Christ. Et mon mari, non content de d\u00e9penser mon\npatrimoine avec des idol\u00e2tres, me tient si \u00e9troitement enferm\u00e9e que je\nm\u2019attends \u00e0 mourir d\u2019un instant \u00e0 l\u2019autre. Et bien que cette mort n\u2019ait\nrien que de glorieux, je souffre de voir que les richesses que j\u2019avais\nconsacr\u00e9es \u00e0 Dieu et aux pauvres se trouvent ainsi gaspill\u00e9es par ces\n\u00eatres indignes. Adieu, saint homme, ne m\u2019oublie pas!\u00bb Et Chrysogone lui\nr\u00e9pondit: \u00abGarde-toi de te laisser troubler par l\u2019adversit\u00e9! Bient\u00f4t\nJ\u00e9sus t\u2019appellera \u00e0 lui, et, comme apr\u00e8s les t\u00e9n\u00e8bres de la nuit, tu\nverras la lumi\u00e8re \u00e9clatante de Dieu; et \u00e0 l\u2019hiver succ\u00e9dera pour toi un\ndoux \u00e9t\u00e9 dor\u00e9. Adieu et prie pour moi!\u00bb\nCependant, le mari de sainte Anastasie, pour achever de se d\u00e9livrer\nd\u2019elle, ne lui faisait plus donner, dans sa prison, qu\u2019un quartier de\npain. La sainte \u00e9crivit alors \u00e0 Chrysogone: \u00abLa fin de mon corps\napproche. Puisse mon \u00e2me \u00eatre accueillie par Celui pour l\u2019amour de qui\nje supporte tout ce que te racontera la vieille femme qui te remettra\ncette lettre!\u00bb Et Chrysogone lui r\u00e9pondit: \u00abLes bonheurs et les malheurs\nde ce monde aboutissent \u00e0 une seule et m\u00eame fin. C\u2019est sur une seule et\nm\u00eame mer que naviguent les mis\u00e9rables bateaux que sont nos corps. Mais\ncertains de ces bateaux, attach\u00e9s par de fortes cha\u00eenes, traversent sans\ndanger les plus cruelles temp\u00eates, tandis que d\u2019autres, plus fragiles,\n\u00e9chouent et se brisent m\u00eame en pleine bonace. Toi donc, servante du\nChrist, arme-toi de la croix et pr\u00e9pare-toi \u00e0 l\u2019\u0153uvre de Dieu!\u00bb\nLorsque Diocl\u00e9tien vint \u00e0 Aquil\u00e9e, pour mettre \u00e0 mort les chr\u00e9tiens, il\nfit venir devant lui saint Chrysogone et lui dit: \u00abSi tu veux sacrifier\naux dieux, je te nommerai pr\u00e9fet de ce pays et j\u2019\u00e9l\u00e8verai ta famille au\nrang consulaire!\u00bb Mais Chrysogone r\u00e9pondit: \u00abJe n\u2019adore qu\u2019un seul Dieu,\nqui est dans le ciel, et je m\u00e9prise tes dignit\u00e9s comme de la boue!\u00bb Sur\nl\u2019ordre de l\u2019empereur, il eut la t\u00eate tranch\u00e9e. Cela se passait en l\u2019an\ndu Seigneur 287. Le pr\u00eatre Z\u00e8le ensevelit pieusement les deux tron\u00e7ons\nde son corps.\nCLXIX\nSAINTE CATHERINE, VIERGE ET MARTYRE\n(25 novembre)\nI. Catherine, fille du roi Coste, fut instruite d\u00e8s son enfance dans\ntous les arts lib\u00e9raux. Lorsque l\u2019empereur Maxence convoqua \u00e0 Alexandrie\ntous les habitants de la province, riches et pauvres, pour sacrifier aux\nidoles, Catherine, qui avait alors dix-huit ans, et qui \u00e9tait rest\u00e9e\nseule dans son palais avec de nombreux serviteurs, entendit un jour un\ngrand bruit m\u00eal\u00e9 de chants et de g\u00e9missements. Elle demanda d\u2019o\u00f9 cela\nprovenait; et quand elle le sut, prenant avec elle quelques serviteurs\net se munissant du signe de la croix, elle se rendit sur la place, o\u00f9\nelle vit de nombreux chr\u00e9tiens qui, par peur de la mort, se laissaient\nconduire aux temples pour y sacrifier. Bless\u00e9e de cette vue jusqu\u2019au\nfond de son c\u0153ur elle aborda audacieusement l\u2019empereur et lui dit: \u00abJe\nviens te saluer, empereur, \u00e0 la fois par d\u00e9f\u00e9rence pour ta dignit\u00e9 et\nparce que je veux t\u2019engager \u00e0 t\u2019\u00e9loigner du culte de tes dieux pour\nreconna\u00eetre le seul vrai cr\u00e9ateur!\u00bb Puis, debout devant la porte d\u2019un\ntemple, elle se mit \u00e0 discuter avec Maxence, conform\u00e9ment aux diverses\nmodes du syllogisme, par all\u00e9gorie et par m\u00e9taphore. Apr\u00e8s quoi,\nrevenant au langage commun, elle dit: \u00abJe me suis adress\u00e9e jusqu\u2019ici au\nsavant, en toi. Mais \u00e0 pr\u00e9sent, dis-moi comment tu as pu rassembler\ncette foule pour c\u00e9l\u00e9brer la sottise des idoles!\u00bb Et comme elle\nd\u00e9montrait savamment la v\u00e9rit\u00e9 de l\u2019incarnation, l\u2019empereur, stup\u00e9fait,\nne sut d\u2019abord que lui r\u00e9pondre. Enfin il lui dit: \u00abO femme, laisse-moi\nachever le sacrifice, et ensuite je te r\u00e9pondrai!\u00bb Et il la fit conduire\ndans son palais, o\u00f9 il ordonna qu\u2019elle f\u00fbt soigneusement gard\u00e9e: car il\navait \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s frapp\u00e9 de sa science et de sa beaut\u00e9. Catherine \u00e9tait en\neffet d\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse, que personne ne pouvait voir sans en\n\u00eatre ravi.\nApr\u00e8s la f\u00eate, l\u2019empereur se rendit au palais et dit \u00e0 Catherine: \u00abJ\u2019ai\nentendu ton \u00e9loquence et admir\u00e9 ta sagesse; mais, absorb\u00e9 comme je\nl\u2019\u00e9tais par la c\u00e9r\u00e9monie, je n\u2019ai pas pu pleinement comprendre tout ce\nque tu disais. Dis-moi donc \u00e0 pr\u00e9sent qui tu es!\u00bb Et elle: \u00abJe suis\nCatherine, fille du roi Coste. N\u00e9e dans la pourpre, et \u00e9lev\u00e9e d\u00e8s\nl\u2019enfance dans les arts lib\u00e9raux, j\u2019ai d\u00e9daign\u00e9 tout cela pour me\nr\u00e9fugier aupr\u00e8s de mon Seigneur J\u00e9sus-Christ. Et quant aux dieux que tu\nadores, ils ne sauraient secourir ni toi, ni personne!\u00bb Et l\u2019empereur:\n\u00abJe le vois, tu cherches \u00e0 nous d\u00e9cevoir par ta pernicieuse \u00e9loquence,\nen t\u2019effor\u00e7ant d\u2019argumenter \u00e0 la mani\u00e8re des philosophes!\u00bb Et,\ncomprenant qu\u2019il ne parviendrait pas \u00e0 lui r\u00e9pondre lui-m\u00eame, il manda\nen grande h\u00e2te, \u00e0 Alexandrie, tous les grammairiens et rh\u00e9teurs du\ntemps, leur promettant de grandes r\u00e9compenses s\u2019ils parvenaient \u00e0\nr\u00e9futer la jeune fille. Il en vint ainsi plus de cinquante, tous fameux\ndans les sciences de ce monde. Et comme ils demandaient pourquoi on les\navait fait venir de r\u00e9gions si lointaines, l\u2019empereur r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est\nque nous avons ici une jeune fille d\u2019une sagesse et d\u2019un esprit\nincomparables, qui r\u00e9fute tous les savants, et pr\u00e9tend que tous nos\ndieux ne sont que des d\u00e9mons. R\u00e9futez-la, et je vous renverrai chez vous\ncharg\u00e9s d\u2019honneurs et de pr\u00e9sents!\u00bb Alors un des orateurs s\u2019\u00e9cria: \u00abO\n\u00e9trange projet, de rassembler tous les savants des quatre coins du monde\npour tenir t\u00eate \u00e0 une jeune fille que le moindre de nos clients\nr\u00e9duirait au silence!\u00bb Et l\u2019empereur: \u00abJe pouvais en v\u00e9rit\u00e9 la\ncontraindre \u00e0 sacrifier aux dieux, ou la ch\u00e2tier en cas de refus; mais\nj\u2019ai jug\u00e9 meilleur qu\u2019elle f\u00fbt confondue par vos arguments.\u00bb Alors les\norateurs: \u00abQu\u2019on am\u00e8ne donc en notre pr\u00e9sence cette jeune fille, afin\nqu\u2019elle avoue sa t\u00e9m\u00e9rit\u00e9, et reconnaisse n\u2019avoir m\u00eame jamais vu de\nvrais savants!\u00bb\nMais Catherine, en apprenant le combat qui se pr\u00e9parait pour elle, se\nrecommanda au Seigneur; et un ange descendit vers elle pour l\u2019engager \u00e0\nla fermet\u00e9, lui affirmant que, non seulement elle ne serait pas vaincue\npar ses adversaires, mais que m\u00eame elle les convertirait et leur\nprocurerait la palme du martyre. Amen\u00e9e en pr\u00e9sence des orateurs, elle\ndit \u00e0 Maxence: \u00abDe quel droit opposes-tu cinquante orateurs \u00e0 une seule\njeune fille? et pourquoi promets-tu de les r\u00e9compenser, en cas de\nvictoire, tandis que tu me forces \u00e0 lutter sans espoir de r\u00e9compense?\nMais j\u2019aurai ma r\u00e9compense dans mon Seigneur J\u00e9sus-Christ, espoir et\ncouronne de ceux qui luttent pour lui!\u00bb Les orateurs lui dirent alors\nque c\u2019\u00e9tait chose impossible qu\u2019un Dieu dev\u00eent homme et conn\u00fbt la\nsouffrance. Mais elle r\u00e9pondit en leur montrant que les pa\u00efens eux-m\u00eames\navaient pr\u00e9dit l\u2019incarnation du Christ. La Sibylle n\u2019avait-elle pas dit:\n\u00abHeureux le Dieu qui pend sur une croix de bois!\u00bb Et Catherine continua\nde discuter ainsi avec les orateurs, les r\u00e9futant par des raisons\n\u00e9videntes, jusqu\u2019\u00e0 ce que, stup\u00e9faits, ils ne surent plus que lui dire.\nAlors l\u2019empereur, furieux, leur reprocha de se laisser vaincre\nhonteusement par une jeune fille. Et l\u2019un de ces orateurs, qui \u00e9tait le\nplus savant, et parlait au nom de ses confr\u00e8res, dit: \u00abTu sais,\nempereur, que personne jamais n\u2019a pu nous r\u00e9sister; mais c\u2019est l\u2019esprit\nm\u00eame de Dieu qui parle en cette jeune fille; et elle nous a remplis\nd\u2019une telle admiration que nous n\u2019osons plus dire un seul mot contre ce\nChrist qui nous appara\u00eet d\u00e9sormais comme le seul vrai Dieu!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, l\u2019empereur, exasp\u00e9r\u00e9, les fit tous br\u00fbler au milieu de la\nville; et Catherine, en m\u00eame temps qu\u2019elle les r\u00e9confortait, achevait de\nles instruire des v\u00e9rit\u00e9s de la foi. Et, comme ils se plaignaient\nd\u2019avoir \u00e0 mourir sans \u00eatre baptis\u00e9s, elle leur r\u00e9pondit: \u00abSoyez sans\ncrainte, car l\u2019effusion de votre sang vous tiendra lieu de bapt\u00eame!\u00bb\nAlors, s\u2019\u00e9tant munis du signe de la croix, ils furent pr\u00e9cipit\u00e9s dans\nles flammes; et ils rendirent leurs \u00e2mes de telle fa\u00e7on que ni leurs\ncheveux, ni leurs v\u00eatements, ne furent touch\u00e9s par le feu.\nPendant que les chr\u00e9tiens s\u2019occupaient de les ensevelir, Maxence dit \u00e0\nCatherine: \u00abNoble jeune fille, aie piti\u00e9 de ta jeunesse, et je te ferai\nimp\u00e9ratrice dans mon palais, et le peuple entier adorera ton image, au\nmilieu de la ville!\u00bb Mais elle: \u00abCesse de dire des choses dont la pens\u00e9e\nm\u00eame est un crime. J\u2019ai pris le Christ pour fianc\u00e9, lui seul est ma\ngloire et mon amour; et ni caresses ni tourments ne pourront me\nd\u00e9tourner de lui!\u00bb L\u2019empereur la fit alors d\u00e9pouiller de ses v\u00eatements;\nil la fit frapper de griffes de fer, puis, l\u2019ayant jet\u00e9e dans une\nobscure prison, il ordonna que pendant dix jours on la laiss\u00e2t sans\nnourriture.\nL\u00e0-dessus, l\u2019empereur se vit forc\u00e9 de se rendre dans une autre province.\nOr sa femme, qui avait pour amant un officier nomm\u00e9 Porphyre, vint, la\nnuit, dans la prison de Catherine. Et, y \u00e9tant entr\u00e9e, elle vit la\ncellule remplie d\u2019une clart\u00e9 immense, et elle vit que les anges\npansaient les plaies de la prisonni\u00e8re. Et celle-ci, s\u2019\u00e9tant mise \u00e0 lui\nd\u00e9crire les joies \u00e9ternelles, la convertit et lui pr\u00e9dit la couronne du\nmartyre. Ce qu\u2019apprenant, Porphyre alla se jeter, lui aussi, aux pieds\nde Catherine, et il re\u00e7ut la foi du Christ avec deux cents de ses\nhommes.\nQuand l\u2019empereur revint, douze jours apr\u00e8s son d\u00e9part, il se fit amener\nla jeune fille, qu\u2019il s\u2019attendait \u00e0 voir an\u00e9antie par ce je\u00fbne prolong\u00e9.\nLa voyant au contraire resplendissante de vie, il soup\u00e7onna que\nquelqu\u2019un l\u2019avait nourrie, dans sa prison, et d\u00e9cr\u00e9ta que ses gardiens\nfussent mis \u00e0 la torture. Mais Catherine: \u00abAucun \u00eatre humain ne m\u2019a\nnourrie, mais bien le Christ par l\u2019entremise de ses anges.\u00bb Alors\nl\u2019empereur, plus frapp\u00e9 que jamais de sa beaut\u00e9, lui proposa, une fois\nde plus, de l\u2019\u00e9lever au tr\u00f4ne avec lui. Et comme elle s\u2019y refusait, il\nlui dit: \u00abChoisis entre deux choses, ou bien de sacrifier aux idoles, et\nde vivre, ou bien de mourir dans des tourments effroyables!\u00bb Et elle:\n\u00abQuelques tourments que tu puisses imaginer, n\u2019h\u00e9site pas \u00e0 me les\ninfliger, car j\u2019ai soif d\u2019offrir ma chair et mon sang \u00e0 J\u00e9sus, qui a\noffert pour moi sa chair et son sang! Lui seul est mon Dieu, mon ma\u00eetre,\nmon mari et mon amant!\u00bb Alors un pr\u00e9fet conseilla \u00e0 l\u2019empereur de faire\npr\u00e9parer quatre roues garnies de pointes de fer, et de s\u2019en servir pour\nd\u00e9chirer les chairs de Catherine, de fa\u00e7on \u00e0 \u00e9pouvanter, par un tel\nexemple, les autres chr\u00e9tiens. Et l\u2019on d\u00e9cida que, de ces quatre roues,\no\u00f9 l\u2019on attacha la sainte, deux seraient pouss\u00e9es dans un sens et deux\ndans un autre, pour que les membres de Catherine fussent arrach\u00e9s et\nbroy\u00e9s en morceaux. Mais la sainte pria Dieu que, pour la gloire de son\nnom et pour la conversion des assistants, il an\u00e9ant\u00eet cette affreuse\nmachine. Et voici qu\u2019un ange secoua si fortement la masse \u00e9norme des\nquatre roues, que quatre mille pa\u00efens p\u00e9rirent \u00e9cras\u00e9s.\nEn ce moment l\u2019imp\u00e9ratrice, qui avait assist\u00e9 \u00e0 la sc\u00e8ne du haut du\npalais, s\u2019enhardit \u00e0 descendre, et reprocha \u00e0 son mari tant de cruaut\u00e9.\nLe roi lui fit arracher les mamelles, puis trancher la t\u00eate. Et\nl\u2019imp\u00e9ratrice, allant au martyre demanda \u00e0 Catherine de prier pour elle.\nEt Catherine: \u00abSois sans crainte, princesse aim\u00e9e de Dieu, car ta\nroyaut\u00e9 passag\u00e8re va se changer aujourd\u2019hui en une royaut\u00e9 \u00e9ternelle, et\nen \u00e9change d\u2019un mari mortel tu en acquerras un immortel!\u00bb Sur quoi,\nl\u2019imp\u00e9ratrice, raffermie, encouragea ses bourreaux \u00e0 ex\u00e9cuter leur\nmission. Ils la conduisirent donc hors de la ville, lui arrach\u00e8rent les\nmamelles avec des pointes de fer et lui coup\u00e8rent la t\u00eate. Et Porphyre,\nrecueillant ses restes, les ensevelit.\nI. Le lendemain, Maxence envoya au supplice les bourreaux de sa femme,\nqu\u2019il soup\u00e7onnait d\u2019avoir d\u00e9rob\u00e9 le corps de celle-ci. Mais Porphyre,\ns\u2019\u00e9lan\u00e7ant au milieu de la foule, s\u2019\u00e9cria: \u00abC\u2019est moi qui ai enseveli la\nservante du Christ, ayant re\u00e7u comme elle la foi chr\u00e9tienne!\u00bb Maxence,\nfou de douleur, poussa un rugissement terrible et s\u2019\u00e9cria: \u00abMalheureux\nque je suis! voici maintenant que Porphyre lui-m\u00eame s\u2019est laiss\u00e9\ns\u00e9duire, mon seul confident, le seul en qui j\u2019avais confiance!\u00bb Et comme\nil le d\u00e9non\u00e7ait \u00e0 ses soldats, ceux-ci r\u00e9pondirent: \u00abNous aussi, nous\nsommes chr\u00e9tiens et pr\u00eats \u00e0 mourir!\u00bb Sur quoi, l\u2019empereur, ivre de rage,\nles fit tous d\u00e9capiter ainsi que Porphyre, et ordonna que leurs restes\nfussent jet\u00e9s aux chiens.\nPuis, se tournant vers Catherine: \u00abBien que, par tes sortil\u00e8ges, tu aies\ncaus\u00e9 la mort de l\u2019imp\u00e9ratrice, je t\u2019offre encore, cependant, de devenir\nla premi\u00e8re dans mon palais!\u00bb Et comme, de nouveau, elle repoussait son\noffre avec indignation, il la condamna \u00e0 \u00eatre d\u00e9capit\u00e9e. Or, pendant\nqu\u2019on la menait au supplice, elle dit, les yeux lev\u00e9s au ciel: \u00abEspoir\net salut des croyants, honneur et gloire des vierges, J\u00e9sus, mon bon\nma\u00eetre, exauce ma pri\u00e8re! Fais en sorte que toute personne qui\nm\u2019invoquera, soit \u00e0 l\u2019heure de la mort ou dans le danger, se trouve\nsecourue en souvenir de ma passion!\u00bb Et une voix, du haut du ciel, lui\nr\u00e9pondit: \u00abViens, ma ch\u00e8re fianc\u00e9e, les portes du ciel sont ouvertes\ndevant toi. Et \u00e0 ceux qui c\u00e9l\u00e9breront pieusement ton martyre je promets\nle secours qu\u2019ils demanderont!\u00bb Apr\u00e8s quoi la sainte eut la t\u00eate\ntranch\u00e9e, et de son corps jaillit du lait au lieu de sang. Et des anges,\nrecueillant ses restes, les transport\u00e8rent de ce lieu sur le mont Sina\u00ef,\no\u00f9 ils ne l\u2019ensevelirent que vingt jours apr\u00e8s. Aujourd\u2019hui encore, une\nhuile miraculeuse d\u00e9coule de ses os, qui gu\u00e9rit aussit\u00f4t les membres\naffaiblis. Sainte Catherine fut martyris\u00e9e vers l\u2019an du Seigneur 310.\nQuant \u00e0 la fa\u00e7on dont Maxence fut puni de ce crime et des autres qu\u2019il\navait commis, nous l\u2019avons racont\u00e9e d\u00e9j\u00e0 en traitant de l\u2019Invention de\nla Sainte Croix[19].\n [19] La l\u00e9gende du _Mariage mystique_ de sainte Catherine appara\u00eet,\n pour la premi\u00e8re fois, dans une traduction anglaise de la _L\u00e9gende\n dor\u00e9e_ par le fr\u00e8re Jean de Bungay, dat\u00e9e de 1438. Et c\u2019est\n \u00e9galement vers cette date que certains peintres du Nord (\u00e0 Cologne,\n \u00e0 Bruges) ont commenc\u00e9 \u00e0 introduire le _Mariage mystique_ dans leur\n repr\u00e9sentation des actes de sainte Catherine.\nIII. Un moine de Rouen s\u2019\u00e9tait rendu au mont Sina\u00ef, et, pendant sept\nans, avait pieusement pri\u00e9 sainte Catherine. Au bout de ce temps, il\ndemanda \u00e0 la sainte la gr\u00e2ce de poss\u00e9der un fragment de ses reliques; et\naussit\u00f4t de la main de la sainte se d\u00e9tacha un doigt, que le moine\nemporta joyeusement dans son monast\u00e8re.--Un autre moine, apr\u00e8s avoir eu\nlongtemps une d\u00e9votion sp\u00e9ciale pour sainte Catherine, avait peu \u00e0 peu\nn\u00e9glig\u00e9 d\u2019invoquer la sainte. Or un jour, \u00e9tant en pri\u00e8re, il vit passer\ndevant lui une troupe de vierges dont l\u2019une, en l\u2019approchant, se\nd\u00e9tourna et se couvrit le visage. Et comme il demandait \u00e0 ses compagnes\nqui elle \u00e9tait, une d\u2019elles lui r\u00e9pondit: \u00abC\u2019est Catherine, que jadis tu\nconnaissais bien! Mais comme maintenant tu parais ne plus la conna\u00eetre,\nelle s\u2019est voil\u00e9 le visage en t\u2019apercevant, pour passer pr\u00e8s de toi\ncomme une inconnue!\u00bb\nIV. Certains auteurs se demandent si, au lieu de Maxence, ce n\u2019est pas\nplut\u00f4t Maximin qui a pr\u00e9sid\u00e9 au martyre de sainte Catherine. Il y avait\nalors trois empereurs: 1\u00ba Constantin, qui avait succ\u00e9d\u00e9 \u00e0 son p\u00e8re; 2\u00ba\nMaxence, fils de Maximilien, \u00e9lu \u00e0 Rome par les soldats; 3\u00ba Maximin,\nproclam\u00e9 C\u00e9sar en Orient. Et, suivant les chroniques, Maxence\npers\u00e9cutait les chr\u00e9tiens \u00e0 Rome, pendant que Maximin les pers\u00e9cutait en\nOrient. On suppose donc qu\u2019il y aura eu, dans le premier r\u00e9cit du\nmartyre de sainte Catherine, une faute d\u2019\u00e9criture, et que c\u2019est Maximin\nqu\u2019on doit lire au lieu de Maxence.\nCLXX\nSAINTS BARLAAM ET JOSAPHAT, ABB\u00c9S\n(27 novembre)\nBarlaam, dont l\u2019histoire nous est racont\u00e9e par Jean de Damas, convertit\n\u00e0 la foi chr\u00e9tienne le roi Josaphat.\nEn un temps o\u00f9 l\u2019Inde enti\u00e8re \u00e9tait pleine de chr\u00e9tiens, surgit un roi\npuissant nomm\u00e9 Avennir, qui pers\u00e9cuta cruellement les chr\u00e9tiens et\nsurtout les moines. Or l\u2019ami et principal officier de ce roi, touch\u00e9 de\nla gr\u00e2ce divine, s\u2019enfuit de la cour pour entrer dans un ordre\nmonastique. Le roi, irrit\u00e9, le fit rechercher par tout le d\u00e9sert; et,\nquand on l\u2019eut trouv\u00e9, il le fit compara\u00eetre devant lui. Et, voyant v\u00eatu\nd\u2019un manteau grossier cet homme nagu\u00e8re \u00e9l\u00e9gant et riche, il lui dit:\n\u00abInsens\u00e9, quelle folie t\u2019a pris de changer ton honneur en infamie?\u00bb Et\nle religieux: \u00abSi tu veux conna\u00eetre mes motifs, chasse d\u2019abord loin de\ntoi tes ennemies!\u00bb Le roi lui demanda qui \u00e9taient ces ennemies. Et lui:\n\u00abCe sont la col\u00e8re et la concupiscence, car ce sont elles qui\nt\u2019emp\u00eachent de voir la v\u00e9rit\u00e9.\u00bb Et le roi: \u00abParle, maintenant!\u00bb Et lui:\n\u00abLes insens\u00e9s, ce sont ceux qui d\u00e9daignent comme n\u2019existant point les\nchoses qui existent, et qui poursuivent comme des r\u00e9alit\u00e9s les choses\nqui n\u2019existent pas.\u00bb Apr\u00e8s quoi il lui expliqua longuement le myst\u00e8re de\nl\u2019incarnation et les v\u00e9rit\u00e9s de la foi. Et le roi lui dit: \u00abSi tu ne\nm\u2019avais pas fait promettre, tout \u00e0 l\u2019heure, de bannir d\u2019ici la col\u00e8re\npendant que je t\u2019\u00e9couterais, je t\u2019enverrais maintenant au b\u00fbcher!\nL\u00e8ve-toi et fuis loin de mes yeux, et malheur \u00e0 toi si je te retrouve\njamais!\u00bb Et l\u2019homme de Dieu s\u2019en alla tout triste, car il avait bien\nesp\u00e9r\u00e9 subir le martyre.\nLe roi Avennir n\u2019avait pas d\u2019enfant. Il eut enfin un fils, qui \u00e9tait\nd\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse, et qui fut appel\u00e9 Josaphat. En l\u2019honneur de\nsa naissance, le roi fit c\u00e9l\u00e9brer de grands sacrifices; et il r\u00e9unit\nsoixante astrologues, qu\u2019il interrogea sur les destin\u00e9es futures de\nl\u2019enfant. Tous r\u00e9pondirent qu\u2019il serait grand en puissance et en\nrichesse; mais le plus sage d\u2019entre eux ajouta: \u00abO roi, l\u2019enfant qui\nt\u2019est n\u00e9 sera en effet tout cela, mais dans un autre royaume que le\ntien! car, si je ne me trompe, il sera un des princes de cette religion\nchr\u00e9tienne que tu pers\u00e9cutes!\u00bb Ce qu\u2019entendant, le roi, effray\u00e9, fit\nconstruire \u00e0 l\u2019\u00e9cart un magnifique palais, qu\u2019il donna pour demeure \u00e0\nson fils; et il lui donna pour compagnons de beaux jeunes gens, en leur\nrecommandant de ne jamais parler \u00e0 Josaphat ni de la vieillesse, ni de\nla maladie, ni de la pauvret\u00e9, ni de rien d\u2019attristant: de telle sorte\nque l\u2019esprit de l\u2019enfant, tout occup\u00e9 de choses gaies, n\u2019e\u00fbt jamais\nl\u2019occasion de penser \u00e0 l\u2019avenir. Si l\u2019un des compagnons de Josaphat\n\u00e9tait malade, il aurait aussit\u00f4t \u00e0 \u00eatre remplac\u00e9 par un autre bien\nportant. Mais surtout, d\u00e9fense \u00e9tait faite de jamais mentionner le nom\nou la doctrine du Christ.\nIl y avait alors aupr\u00e8s du roi un haut fonctionnaire qui \u00e9tait chr\u00e9tien,\nmais en secret. Cet homme, chassant un jour avec le roi, aper\u00e7ut \u00e0 terre\nun mendiant qu\u2019une b\u00eate f\u00e9roce avait bless\u00e9 au pied. Et le mendiant le\npria de le recueillir chez lui, ajoutant qu\u2019il pourrait lui rendre\nservice. Alors le ministre: \u00abJe consens volontiers \u00e0 te recueillir chez\nmoi, mais je ne vois gu\u00e8re comment tu pourrais m\u2019\u00eatre utile!\u00bb Et le\nmendiant: \u00abC\u2019est que je suis m\u00e9decin des paroles. Si quelqu\u2019un souffre\nd\u2019une parole qu\u2019il a dite ou entendue, je sais des rem\u00e8des pour le\ngu\u00e9rir.\u00bb Le ministre, sans prendre au s\u00e9rieux les mots du mendiant,\nl\u2019emmena chez lui et le soigna, par charit\u00e9 chr\u00e9tienne. Or des hommes\njaloux et m\u00e9chants, pour nuire \u00e0 ce ministre, l\u2019accus\u00e8rent aupr\u00e8s du\nprince non seulement d\u2019\u00eatre chr\u00e9tien, mais de flatter le peuple pour\ns\u2019emparer du pouvoir. Et ils dirent au roi: \u00abSi tu veux en avoir la\npreuve, re\u00e7ois-le en particulier, et dis-lui que, sentant l\u2019approche de\nla mort, tu as l\u2019intention de renoncer au tr\u00f4ne pour te faire moine! Tu\nverras bien ce qu\u2019il te r\u00e9pondra.\u00bb Le roi suivit leur conseil; et le\nministre, ne soup\u00e7onnant point la ruse, loua fort l\u2019intention\nqu\u2019exprimait son ma\u00eetre. Ce dont le roi fut rempli de fureur, car il y\nvoyait la preuve de la trahison du ministre. Mais il se contint et ne\nr\u00e9pondit rien. Sur quoi le ministre, tout confus de cet accueil, alla\nraconter la chose au mendiant qu\u2019il avait recueilli. Et celui-ci, en\nv\u00e9ritable \u00abm\u00e9decin des paroles\u00bb, lui dit: \u00abLe roi te soup\u00e7onne de\nvouloir le d\u00e9tr\u00f4ner. L\u00e8ve-toi vite, coupe tes cheveux, rev\u00eats un cilice,\net va chez le roi. Et quand il te demandera ce que cela signifie, tu lui\nr\u00e9pondras que tu es pr\u00eat \u00e0 le suivre dans son monast\u00e8re, voulant\npartager ses privations comme tu as partag\u00e9 sa prosp\u00e9rit\u00e9!\u00bb Le ministre\nfit ainsi, et le roi, apr\u00e8s avoir puni les d\u00e9nonciateurs, l\u2019\u00e9leva encore\n\u00e0 de plus hautes dignit\u00e9s.\nCependant, le prince Josaphat \u00e9tait parvenu \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Etonn\u00e9 de ce\nque son p\u00e8re le t\u00eent enferm\u00e9, il interrogeait l\u00e0-dessus son serviteur\nfavori, ajoutant que cette d\u00e9fense de sortir lui \u00f4tait le go\u00fbt de manger\net de boire. Le roi, inform\u00e9 de cela, lui fit donner des chevaux et lui\npermit de sortir dans la campagne, \u00e0 la condition qu\u2019une escorte le\npr\u00e9c\u00e9d\u00e2t pour \u00e9carter de ses yeux tout spectacle attristant. Or\nJosaphat, dans une de ses promenades, rencontra un l\u00e9preux et un\naveugle. Stup\u00e9fait, il demanda ce que c\u2019\u00e9tait. Et ses compagnons: \u00abCe\nsont l\u00e0 des maux qui arrivent aux hommes!\u00bb Et lui: \u00abA tous les hommes?\u00bb\nEt, sur leur r\u00e9ponse n\u00e9gative, il reprit: \u00abSait-on du moins \u00e0 l\u2019avance\nquels hommes doivent \u00eatre atteints de ces maux?\u00bb Et ses compagnons: \u00abQui\npourrait conna\u00eetre l\u2019avenir des hommes?\u00bb Sur quoi Josaphat rentra chez\nlui plein d\u2019anxi\u00e9t\u00e9.\nUne autre fois, il rencontra un homme bris\u00e9 par la vieillesse. L\u2019homme\navait un visage rugueux, un dos vo\u00fbt\u00e9, une bouche sans dents, une parole\nbalbutiante. Etonn\u00e9, Josaphat demanda ce que c\u2019\u00e9tait. Et quand on lui\ne\u00fbt r\u00e9pondu que c\u2019\u00e9tait l\u2019\u00e2ge qui avait mis l\u2019homme en cet \u00e9tat, il\ndemanda: \u00abEt quelle sera sa fin?\u00bb On lui r\u00e9pondit: \u00abLa mort!\u00bb Et lui:\n\u00abEst-ce que tous doivent mourir, ou seulement quelques-uns?\u00bb On lui\nr\u00e9pondit: \u00abTous!\u00bb Et Josaphat: \u00abA quel \u00e2ge?\u00bb Et eux: \u00abOn peut vivre\njusqu\u2019\u00e0 quatre-vingts ou cent ans, et puis on meurt.\u00bb Et le jeune homme,\nroulant dans son c\u0153ur toutes ces pens\u00e9es nouvelles, se d\u00e9solait en\nsecret, bien que, devant son p\u00e8re, il continu\u00e2t de feindre la ga\u00eet\u00e9.\nOr, un saint moine nomm\u00e9 Barlaam vivait alors dans le d\u00e9sert de Sennaar.\nInstruit par l\u2019Esprit-Saint de ce qui arrivait au fils du roi, il prit\nl\u2019habit d\u2019un marchand, se rendit \u00e0 la capitale, et, abordant le\npr\u00e9cepteur du prince, il lui dit: \u00abJe suis marchand, et j\u2019ai \u00e0 vendre\nune pierre merveilleuse qui ouvre les yeux aux aveugles et les oreilles\naux sourds, rend la parole aux muets et la raison aux fous. Conduis-moi\npr\u00e8s du jeune prince, pour que je la lui montre!\u00bb Et le pr\u00e9cepteur: \u00abJe\nme connais en pierres. Montre-moi celle dont tu parles, et, si elle est\ntelle que tu le dis, le fils du roi te l\u2019ach\u00e8tera!\u00bb Mais Barlaam: \u00abMa\npierre a encore cette propri\u00e9t\u00e9 que seuls peuvent la voir ceux qui sont\nchastes et que n\u2019a point corrompus le p\u00e9ch\u00e9. Avec les yeux que tu as, tu\nne pourrais pas la voir, tandis qu\u2019on m\u2019a dit que le fils du roi \u00e9tait\nchaste et ignorait le mal.\u00bb Le pr\u00e9cepteur le conduisit alors devant\nJosaphat, qui l\u2019accueillit avec d\u00e9f\u00e9rence. Et Barlaam: \u00abPrince, tu as\nbien fait de me recevoir, sans d\u00e9daigner mon humble figure! Tu as fait\ncomme un roi qui, quand il voyageait dans son carrosse dor\u00e9 et\nrencontrait des mendiants en haillons, descendait de son carrosse et\nleur baisait les pieds. Les ministres de ce roi, n\u2019osant le bl\u00e2mer\nouvertement, dirent \u00e0 son fr\u00e8re comment il se conduisait; et le fr\u00e8re,\nlui aussi, en fut scandalis\u00e9. Or c\u2019\u00e9tait l\u2019usage que, lorsqu\u2019un homme\n\u00e9tait condamn\u00e9 \u00e0 mort, le crieur du roi venait sonner de la trompe\ndevant sa maison. Un soir, donc, le roi envoya son crieur sonner de la\ntrompe devant la maison de son fr\u00e8re. Ce qu\u2019entendant, celui-ci se crut\ncondamn\u00e9 \u00e0 mort. Il ne put dormir de toute la nuit, fit son testament,\ns\u2019habilla tout de noir et vint en pleurant au palais du roi avec sa\nfemme et ses enfants. Et le roi lui dit: \u00abSot que tu es! Tu t\u2019es effray\u00e9\nen entendant le messager de ton fr\u00e8re, envers qui tu sais que tu n\u2019es\npoint coupable; et tu me bl\u00e2mes de m\u2019\u00e9mouvoir \u00e0 la vue des messagers de\nDieu, contre qui j\u2019ai si souvent p\u00e9ch\u00e9!\u00bb Apr\u00e8s cela le roi prit quatre\ncoffres. Dans deux d\u2019entre eux, qu\u2019il fit garnir d\u2019or \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur, il\nmit \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur des ossements en putr\u00e9faction. Dans les deux autres,\nqu\u2019il fit garnir de poix \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur, il mit \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur des\ndiamants et des perles. Puis, convoquant les ministres qui s\u2019\u00e9taient\nplaints de lui \u00e0 son fr\u00e8re, il leur demanda quels \u00e9taient les plus\npr\u00e9cieux des quatre coffres. Ils d\u00e9sign\u00e8rent aussit\u00f4t ceux qui \u00e9taient\ncouverts d\u2019or, d\u00e9daignant les deux autres. Alors le roi fit ouvrir les\ndeux coffres dor\u00e9s, et une puanteur infecte s\u2019en exhala. Et le roi: \u00abCes\ncoffres sont l\u2019image de ceux qui, somptueusement v\u00eatus, ont dans leur\nc\u0153ur le vice et l\u2019impuret\u00e9.\u00bb Puis il fit ouvrir les deux autres coffres,\net on y vit luire l\u2019\u00e9clat des pierreries. Et il dit: \u00abCeci est l\u2019image\ndes pauvres que vous m\u2019avez bl\u00e2m\u00e9 d\u2019honorer: car, sous leurs haillons\nmis\u00e9rables, ils rayonnent de l\u2019\u00e9clat de toutes les vertus.\u00bb\nPuis Barlaam expliqua longuement \u00e0 Josaphat l\u2019incarnation, la passion et\nla r\u00e9surrection du Christ. Il lui parla aussi du jugement dernier et de\nla r\u00e9tribution des bons et des m\u00e9chants. Et, pour lui faire entendre\nl\u2019erreur des idol\u00e2tres, il lui raconta la parabole suivante: Un archer,\nayant pris un rossignol, voulait le tuer. Mais, l\u2019oiseau: \u00abHomme, quel\nprofit auras-tu de ma mort? Pour ton ventre m\u00eame je ne ferai qu\u2019une\nbouch\u00e9e! Tandis que, si tu veux me rendre le vol, je te donnerai trois\nconseils excellents \u00e0 suivre.\u00bb L\u2019archer, \u00e9tonn\u00e9, promit \u00e0 l\u2019oiseau de le\nremettre en libert\u00e9 en \u00e9change des trois conseils. Et le rossignol lui\ndit: \u00ab1\u00ba n\u2019essaie jamais d\u2019atteindre des choses qui sont hors\nd\u2019atteinte; 2\u00ba ne t\u2019afflige jamais d\u2019une perte irr\u00e9parable; 3\u00ba ne crois\njamais des choses incroyables. Retiens ces trois conseils, et tu t\u2019en\ntrouveras bien!\u00bb L\u2019archer, suivant sa promesse, l\u00e2cha le rossignol. Et\ncelui-ci, volant dans les airs, lui dit: \u00abMalheur \u00e0 toi, homme, car tu\nas fait une sottise, et tu as perdu un grand tr\u00e9sor! Sache donc que j\u2019ai\ndans mon ventre un diamant deux fois plus gros qu\u2019un \u0153uf d\u2019autruche!\u00bb Ce\nqu\u2019entendant, l\u2019archer fut d\u00e9sol\u00e9 d\u2019avoir remis en libert\u00e9 le rossignol;\net, pour le reprendre, il lui disait: \u00abViens dans ma maison, tu y verras\nbien des choses curieuses, et je te ferai un beau cadeau!\u00bb Et le\nrossignol: \u00abMaintenant je reconnais, sans erreur possible, que tu es un\nsot, car de mes trois conseils tu ne tires aucun profit. Tu t\u2019affliges\nde m\u2019avoir perdu, tandis que tu ne saurais me ravoir; tu t\u2019efforces de\nm\u2019atteindre, tandis que c\u2019est chose impossible; et tu crois que je puis\navoir dans le ventre un diamant dix fois plus gros que mon corps tout\nentier!\u00bb Et Barlaam ajouta: \u00abNon moins stupides sont ceux qui croient\naux idoles et invoquent l\u2019appui de statues qu\u2019ils ont eux-m\u00eames\nfabriqu\u00e9es!\u00bb\nPuis Barlaam exposa au jeune prince le mensonge et la vanit\u00e9 des\nplaisirs du monde. Et, \u00e0 l\u2019appui de ses arguments, il lui raconta les\napologues suivants. Il lui dit, d\u2019abord, que ceux qui d\u00e9sirent les\nplaisirs corporels au d\u00e9triment de leur \u00e2me ressemblent \u00e0 un homme qui,\nfuyant devant une licorne, tomba dans un pr\u00e9cipice. En tombant, il\ns\u2019accrocha des deux mains \u00e0 un arbuste et enfon\u00e7a ses pieds dans une\nboue glissante. Il vit alors que deux rats, un blanc et un noir,\nrongeaient les racines de l\u2019arbuste et \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 sur le point de le\nd\u00e9tacher. Au fond de l\u2019ab\u00eeme, il vit un dragon terrible qui ouvrait la\nbouche pour le d\u00e9vorer; et, dans la boue o\u00f9 s\u2019\u00e9taient enfonc\u00e9s ses\npieds, il vit quatre vip\u00e8res qui levaient la t\u00eate. Mais soudain il\naper\u00e7ut une goutte de miel qui d\u00e9coulait d\u2019une branche de l\u2019arbuste. Et\naussit\u00f4t, oubliant tous les dangers qui l\u2019entouraient, il se laissa\naller \u00e0 la douceur de manger ce miel. Et Barlaam dit \u00e0 Josaphat: \u00abLa\nlicorne, c\u2019est la mort, que l\u2019homme s\u2019efforce de fuir. L\u2019ab\u00eeme, c\u2019est\nnotre monde de mis\u00e8re. L\u2019arbuste c\u2019est notre vie, dont les racines sont\nrong\u00e9es jour et nuit, et dont l\u2019\u00e9croulement est sans cesse plus proche.\nLes quatre vip\u00e8res sont les quatre \u00e9l\u00e9ments, dont le d\u00e9sordre am\u00e8ne la\ndissolution du corps. Le dragon, c\u2019est le diable. Et la goutte de miel,\nce sont les plaisirs d\u00e9cevants dont la poursuite nous d\u00e9tourne de la vue\nde notre destin\u00e9e.\u00bb\nAutre exemple. Ceux qui aiment le monde sont pareils \u00e0 un homme qui\navait trois amis, dont il l\u2019aimait l\u2019un plus que lui-m\u00eame, le second\nautant que lui-m\u00eame, le troisi\u00e8me moins que lui-m\u00eame. Cet homme, \u00e9tant\nen danger de mort, courut invoquer l\u2019aide du premier ami. Et celui-ci:\n\u00abMalheureux, je ne puis rien pour toi! J\u2019ai d\u2019autres amis avec qui je\ndois me r\u00e9jouir. Tout ce que je puis faire pour toi, c\u2019est de te donner\nces deux cilices, pour te couvrir en cas de besoin.\u00bb L\u2019homme alla\ntrouver son second ami, qui lui dit: \u00abJe n\u2019ai que faire de souffrir avec\ntoi, \u00e9tant moi-m\u00eame accabl\u00e9 de souci. Je puis seulement, si tu veux, te\nfaire un pas de conduite jusqu\u2019\u00e0 la porte du tribunal.\u00bb Alors l\u2019homme,\nd\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, aller trouver son troisi\u00e8me ami, et lui dit, la mine basse:\n\u00abJ\u2019ose \u00e0 peine te parler, car je ne t\u2019ai pas aim\u00e9 comme je le devais.\nMais, dans l\u2019embarras o\u00f9 je me trouve, et sans autres amis, je me suis\ndit que peut-\u00eatre tu ne refuserais pas de me secourir.\u00bb Et l\u2019ami, avec\nun bon sourire, lui r\u00e9pondit: \u00abCertes, tu es pour moi un ami tr\u00e8s cher,\net je n\u2019oublie pas le service que tu m\u2019as rendu! Viens, je vais aller\navec toi au tribunal, pour t\u2019emp\u00eacher d\u2019\u00eatre livr\u00e9 \u00e0 tes ennemis!\u00bb Et\nBarlaam ajouta: \u00abLe premier de ces amis est la possession des richesses,\npour qui l\u2019homme s\u2019expose \u00e0 mille dangers, et de qui, \u00e0 l\u2019heure de la\nmort, il ne tire aucun profit, si ce n\u2019est des linceuls pour\nl\u2019ensevelir. Le second ami, ce sont la femme, les fils, les parents, qui\nnous font un pas de conduite jusqu\u2019\u00e0 notre tombeau, et puis s\u2019en\nretournent aussit\u00f4t \u00e0 leurs affaires. Le troisi\u00e8me ami, c\u2019est la foi,\nl\u2019esp\u00e9rance, la charit\u00e9 et l\u2019aum\u00f4ne, et toutes les bonnes \u0153uvres, qui,\nlorsque nous mourons, nous accompagnent au tribunal de Dieu et nous\nd\u00e9livrent de nos ennemis les d\u00e9mons.\u00bb\nBarlaam dit encore ceci: \u00abDans une grande ville, on avait l\u2019habitude\nd\u2019\u00e9lire pour prince, tous les ans, un homme \u00e9tranger et inconnu, \u00e0 qui\non laissait plein pouvoir de faire ce qu\u2019il voulait; mais au bout de\nl\u2019ann\u00e9e, tandis que cet homme ne songeait qu\u2019\u00e0 sa jouissance, se croyant\ndestin\u00e9 \u00e0 r\u00e9gner toujours, voil\u00e0 que tous les citoyens s\u2019insurgeaient\ncontre lui, le tra\u00eenaient nu par les rues de la ville, et le rel\u00e9guaient\ndans une \u00eele d\u00e9serte o\u00f9 il mourait de faim et de froid. Or il y eut un\nde ces princes improvis\u00e9s qui, ayant appris la coutume de ses sujets,\nprit la pr\u00e9caution de d\u00e9poser dans l\u2019\u00eele de grands tr\u00e9sors, de telle\nsorte que, quand il y fut \u00e0 son tour rel\u00e9gu\u00e9, il ne manqua de rien.\nCette ville est le monde; ses citoyens sont les princes des t\u00e9n\u00e8bres; et\n\u00e0 l\u2019improviste la mort survient, qui nous rel\u00e8gue dans le feu de\nl\u2019enfer. Et notre provision de richesses pour l\u2019autre vie ne peut se\nfaire que par l\u2019entremise des pauvres.\u00bb\nQuand Barlaam eut ainsi achev\u00e9 d\u2019instruire le fils du roi, celui-ci\nvoulut tout abandonner pour le suivre. Mais Barlaam lui r\u00e9pondit, que,\ns\u2019il faisait cela, il serait pareil \u00e0 certain jeune homme qui, apr\u00e8s\navoir refus\u00e9 de se marier avec une jeune fille riche et noble, s\u2019enfuit\ndans un lieu o\u00f9 il trouva une autre jeune fille, tr\u00e8s pauvre,\ntravaillant et priant aupr\u00e8s de son vieux p\u00e8re. Et il lui dit: \u00abFemme,\nque fais-tu l\u00e0? Manquant de tout, tu rends gr\u00e2ces \u00e0 Dieu comme si tu en\navais re\u00e7u de grands biens!\u00bb Et la jeune fille: \u00abLes choses ext\u00e9rieures\nne sont pas \u00e0 nous, mais seulement celles qui sont au dedans de nous. Or\nDieu m\u2019a accord\u00e9 de grands biens: car il m\u2019a faite \u00e0 son image, il m\u2019a\nappel\u00e9e \u00e0 sa gloire et m\u2019a ouvert la porte de son royaume.\u00bb Le jeune\nhomme, la voyant aussi sage que belle, la demanda en mariage \u00e0 son p\u00e8re.\nEt celui-ci: \u00abTu ne peux pas \u00e9pouser ma fille, car tu es fils de gens\nnobles et riches, et je ne suis qu\u2019un pauvre homme!\u00bb Et comme le jeune\nhomme insistait, le vieillard lui dit: \u00abJe ne puis te la donner en\nmariage, car tu la conduirais dans la maison de ton p\u00e8re, et elle est\nmon unique enfant.\u00bb Et le jeune homme: \u00abJe resterai pr\u00e8s de vous et me\nconformerai en tout \u00e0 votre mani\u00e8re de vivre!\u00bb Puis, d\u00e9pouillant ses\nv\u00eatements pr\u00e9cieux, il endossa un manteau de bure pareil \u00e0 celui du\nvieillard, se fixa pr\u00e8s de lui et \u00e9pousa la jeune fille. Et apr\u00e8s que le\nvieillard eut \u00e9prouv\u00e9 sa constance, il le conduisit enfin dans la\nchambre nuptiale; et, l\u00e0, il lui montra un tr\u00e9sor comme il n\u2019en avait\njamais vu, et le lui donna tout entier.\nA cela le jeune prince Josaphat r\u00e9pondit: \u00abJe comprends l\u2019allusion que\ncontient ton r\u00e9cit. Mais dis-moi, p\u00e8re, quel \u00e2ge tu as et o\u00f9 tu\ndemeures, car je ne veux pas me s\u00e9parer de toi.\u00bb Et Barlaam: \u00abIl y a\nquarante-cinq ans que je demeure au d\u00e9sert de Sennaar.\u00bb Alors Josaphat:\n\u00abMais tu as l\u2019air d\u2019avoir plus de soixante-dix ans!\u00bb Et Barlaam: \u00abOui,\ntel est mon \u00e2ge, si l\u2019on compte mes ann\u00e9es depuis ma naissance. Mais je\nn\u2019admets pas que l\u2019on compte, dans la mesure de ma vie, le temps que\nj\u2019ai d\u00e9pens\u00e9 aux vanit\u00e9s du monde: car pendant ce temps-l\u00e0 j\u2019\u00e9tais mort,\net des ann\u00e9es de mort ne doivent pas compter dans la vie.\u00bb Et comme\nJosaphat insistait pour le suivre au d\u00e9sert, Barlaam lui dit: \u00abSi tu le\nfais, je ne pourrai jouir de ta soci\u00e9t\u00e9, et je serai cause de\npers\u00e9cution pour mes fr\u00e8res! Reste plut\u00f4t ici; et quand tu jugeras le\ntemps opportun, tu viendras me rejoindre!\u00bb Puis, ayant baptis\u00e9 le\nprince, il l\u2019embrassa une derni\u00e8re fois et s\u2019en retourna au d\u00e9sert.\nQuand le roi apprit que son fils \u00e9tait devenu chr\u00e9tien, il en \u00e9prouva\nune vive douleur. Alors un de ses amis, nomm\u00e9 Arachis, pour le consoler,\nlui dit: \u00abJe connais un ermite qui est de notre religion et qui\nressemble tout \u00e0 fait \u00e0 Barlaam. Que cet homme, se faisant passer pour\nBarlaam, d\u00e9fende d\u2019abord la foi chr\u00e9tienne; puis qu\u2019il se laisse r\u00e9futer\net renie son christianisme; et ton fils le reniera, lui aussi!\u00bb Le roi\nfeignit donc d\u2019organiser une grande exp\u00e9dition pour rechercher Barlaam,\net fit savoir \u00e0 son fils qu\u2019il l\u2019avait retrouv\u00e9. Ce qu\u2019apprenant,\nJosaphat se d\u00e9sola d\u2019abord de la capture de son ma\u00eetre; mais bient\u00f4t\nDieu lui r\u00e9v\u00e9la que ce n\u2019\u00e9tait pas le vrai Barlaam. Alors le roi, venant\nchez son fils, lui dit: \u00abMon enfant, tu m\u2019as caus\u00e9 une grande tristesse,\ntu as d\u00e9shonor\u00e9 mes cheveux blancs et tu m\u2019as \u00f4t\u00e9 la lumi\u00e8re de mes\nyeux! Pourquoi, mon cher fils, as-tu abandonn\u00e9 le culte de mes dieux?\u00bb\nEt Josaphat; \u00abMon p\u00e8re, pourquoi t\u2019affliger de ce que j\u2019aie \u00e9t\u00e9 admis \u00e0\nparticiper d\u2019un grand bien? Quel p\u00e8re a jamais paru triste de la\nprosp\u00e9rit\u00e9 de son fils?\u00bb Sur quoi le roi, furieux, se plaignit \u00e0 Arachis\nde l\u2019endurcissement de Josaphat. Arachis lui conseilla de ne pas lui\nparler aussi s\u00e9v\u00e8rement, ajoutant qu\u2019avec de douces flatteries on en\nviendrait mieux \u00e0 bout. Aussi, le lendemain, le roi dit-il \u00e0 son fils,\nen le couvrant de baisers: \u00abMon fils ch\u00e9ri, honore et respecte ton vieux\np\u00e8re! Ne sais-tu pas le bien que c\u2019est d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 son p\u00e8re et de le\nrendre heureux? Ne sais-tu pas que tous ceux qui y ont manqu\u00e9 ont p\u00e9ri\nmis\u00e9rablement?\u00bb Et Josaphat: \u00abIl y a un temps pour aimer et un temps\npour ob\u00e9ir, un temps de paix et un temps de guerre. Mais, \u00e0 ceux qui\nnous d\u00e9tournent de Dieu, nous ne devons jamais ob\u00e9ir, fussent-ils m\u00eame\nnos parents!\u00bb Alors le roi, voyant sa constance: \u00abPuisque rien ne peut\nte fl\u00e9chir, viens, et nous croirons tous deux aux m\u00eames v\u00e9rit\u00e9s.\nBarlaam, qui t\u2019a converti, est ici prisonnier. Convoque tous les\nchr\u00e9tiens, et que les hommes de ma religion et ceux de la tienne\ndiscutent librement! Si ce sont les chr\u00e9tiens qui l\u2019emportent, nous\ncroirons \u00e0 leur Dieu; et si ce sont les hommes de notre religion, tu\nrenonceras \u00e0 ton christianisme!\u00bb Josaphat consentit \u00e0 cette proposition\net fut mis en pr\u00e9sence du faux Barlaam.\nAussit\u00f4t il lui dit: \u00abTu sais, Barlaam, comment tu m\u2019as instruit! Si\ndonc tu d\u00e9fends la foi que tu m\u2019as enseign\u00e9e, je resterai ton disciple\njusqu\u2019\u00e0 la fin de mes jours. Mais si, au contraire, tu te laisses\nvaincre, j\u2019arracherai moi-m\u00eame ton c\u0153ur et ta langue et les donnerai aux\nchiens, pour que d\u00e9sormais personne ne s\u2019avise plus d\u2019induire en erreur\nun fils de roi!\u00bb Ce qu\u2019entendant le faux Barlaam, dont le vrai nom \u00e9tait\nNachor, trembla et se troubla cruellement, car il se voyait pris \u00e0 son\npropre pi\u00e8ge. Il r\u00e9fl\u00e9chit que le plus prudent \u00e9tait d\u2019\u00eatre de l\u2019avis du\nfils du roi. Or un rh\u00e9teur se leva et lui dit: \u00abEs-tu Barlaam, qui as\ninduit en erreur le fils du roi?\u00bb Et lui: \u00abJe suis Barlaam, qui n\u2019ai pas\ninduit en erreur le fils du roi, mais au contraire qui l\u2019ai d\u00e9livr\u00e9 de\nl\u2019erreur!\u00bb Et le rh\u00e9teur: \u00abAlors que les plus sages et les plus savants\ndes hommes ont ador\u00e9 nos dieux, comment oses-tu t\u2019insurger contre eux?\u00bb\nEt le faux Barlaam: \u00abLes Chald\u00e9ens, les Grecs et les Egyptiens ont\ncommis l\u2019erreur de prendre pour des dieux de simples cr\u00e9atures. Les\nChald\u00e9ens ont ador\u00e9 les \u00e9l\u00e9ments, cr\u00e9\u00e9s pour l\u2019utilit\u00e9 de l\u2019homme. Les\nGrecs ont ador\u00e9 des hommes criminels, tels que Saturne, qui d\u00e9vorait ses\nfils et s\u2019\u00e9tait coup\u00e9 ses parties g\u00e9nitales; tels que Jupiter, qui, pour\ncommettre l\u2019adult\u00e8re, aimait \u00e0 prendre des formes d\u2019animaux; tels encore\nque V\u00e9nus, qui trompait son mari avec Adonis. Les Egyptiens ont ador\u00e9\ndes b\u00eates, le b\u0153uf, le mouton, le porc, et d\u2019autres encore. Seuls les\nchr\u00e9tiens adorent le fils du vrai Dieu qui est descendu des cieux pour\nsauver les hommes.\u00bb Et Nachor continua de d\u00e9fendre la foi chr\u00e9tienne, en\nsorte que les rh\u00e9teurs, stup\u00e9faits, ne surent que r\u00e9pondre. Et Josaphat\nse r\u00e9jouissait fort de voir que le Seigneur faisait d\u00e9fendre la v\u00e9rit\u00e9\npar la bouche d\u2019un ennemi. Mais le roi, au contraire, \u00e9tait furieux. Il\ns\u2019empressa de lever la s\u00e9ance, sous pr\u00e9texte d\u2019ajourner le d\u00e9bat au\nlendemain. Et Josaphat lui dit: \u00abSi tu ne veux pas qu\u2019on doute de ta\njustice, permets \u00e0 mon ma\u00eetre de passer la nuit avec moi, pour que nous\nconvenions ensemble de nos r\u00e9ponses pour demain! Et toi, de la m\u00eame\nfa\u00e7on, entends-toi avec tes rh\u00e9teurs!\u00bb Le roi et Nachor y consentirent,\nesp\u00e9rant toujours l\u2019induire en erreur. Mais lorsque Nachor se rendit au\npalais de Josaphat, celui-ci lui dit: \u00abNe crois pas que j\u2019ignore qui tu\nes! Je sais que tu n\u2019es pas Barlaam, mais l\u2019astrologue Nachor.\u00bb Puis il\nlui exposa si bien les voies du salut qu\u2019il le convertit. Et, le\nlendemain, Nachor s\u2019en alla au d\u00e9sert, o\u00f9, ayant re\u00e7u le bapt\u00eame, il se\nfit ermite.\nCependant, un mage nomm\u00e9 Th\u00e9odas, instruit de tout cela, vint trouver le\nroi et lui dit qu\u2019il connaissait un moyen de d\u00e9tourner Josaphat de son\nchristianisme. Et le roi: \u00abSi tu parviens \u00e0 cela, je t\u2019\u00e9l\u00e8verai une\nstatue d\u2019or et ordonnerai qu\u2019on t\u2019offre des sacrifices comme \u00e0 un dieu!\u00bb\nAlors Th\u00e9odas: \u00abEloigne de ton fils tous ses compagnons, et introduis\ndans son palais des femmes belles et orn\u00e9es, pour qu\u2019elles le servent et\npassent tout leur temps avec lui! Moi, je lui enverrai un de mes\nesprits, qui l\u2019enflammera de concupiscence. Car rien n\u2019a autant de\npouvoir pour s\u00e9duire les jeunes gens qu\u2019un visage de femme! Certain roi\nvenait de voir na\u00eetre un fils lorsque les m\u00e9decins lui dirent que si,\npendant dix ans, l\u2019enfant apercevait une seule fois le soleil ou la\nlune, il perdrait l\u2019usage de ses yeux. Alors ce roi fit enfermer son\nfils, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e2ge de dix ans, dans une grotte souterraine. Les dix ans\n\u00e9coul\u00e9s, il ordonna qu\u2019on \u00e9tal\u00e2t devant son fils toutes les choses du\nmonde, afin qu\u2019il appr\u00eet \u00e0 les conna\u00eetre ainsi que leurs noms. L\u2019enfant\napprit \u00e0 conna\u00eetre, de cette fa\u00e7on, les noms de l\u2019or et de l\u2019argent, des\npierres pr\u00e9cieuses, des chevaux, et de tout le reste. Mais quand il\ndemanda quel \u00e9tait le nom des femmes, le ministre du roi lui r\u00e9pondit en\nplaisantant qu\u2019on les appelait _des diables \u00e0 s\u00e9duire les hommes_. Et\nlorsque ensuite le roi demanda \u00e0 son fils ce qu\u2019il aimait le mieux, de\ntoutes les choses qu\u2019il avait vues, l\u2019enfant r\u00e9pondit que c\u2019\u00e9tait, \u00e0\nbeaucoup pr\u00e8s, _les diables \u00e0 s\u00e9duire les hommes_.\u00bb\nAussit\u00f4t le roi, cong\u00e9diant tous les compagnons de son fils, les\nrempla\u00e7a par de belles jeunes filles, qui ne cessaient point de\nl\u2019exciter \u00e0 la luxure. Et le malin esprit envoy\u00e9 par le mage p\u00e9n\u00e9tra\ndans le c\u0153ur du jeune homme et y alluma un grand feu. De telle sorte\nque, br\u00fbl\u00e9 tout ensemble au dehors et au dedans, le malheureux Josaphat\nsouffrait cruellement. Mais il se recommandait \u00e0 Dieu; et Dieu finit par\n\u00e9loigner de lui toute tentation.\nAlors le roi envoya \u00e0 son fils une jeune princesse d\u2019une beaut\u00e9\nmerveilleuse. Et comme Josaphat lui pr\u00eachait le Christ, elle r\u00e9pondit:\n\u00abSi tu veux me d\u00e9tourner du culte des idoles, marie-toi avec moi! Car\nles chr\u00e9tiens eux-m\u00eames approuvent le mariage; puisque leurs\npatriarches, leurs proph\u00e8tes et leur ap\u00f4tre Pierre \u00e9taient mari\u00e9s.\u00bb Mais\nJosaphat: \u00abCh\u00e8re amie, ce sont l\u00e0 de vaines paroles. Les chr\u00e9tiens\npeuvent, en effet, se marier, mais non pas ceux qui ont promis au Christ\nde garder leur virginit\u00e9!\u00bb Et elle: \u00abSoit! mais si tu veux sauver mon\n\u00e2me, accorde-moi du moins une petite gr\u00e2ce! Accouple-toi avec moi cette\nnuit seulement, et je te promets que, demain matin, je me ferai\nchr\u00e9tienne!\u00bb Elle parlait avec tant d\u2019instance, et \u00e9tait si belle,\nqu\u2019elle commen\u00e7a \u00e0 \u00e9branler s\u00e9rieusement la tour de son \u00e2me. Ce que\nvoyant, Satan dit \u00e0 ses compagnons: \u00abVoyez comme cette jeune fille\n\u00e9branle l\u2019\u00e2me que nous n\u2019avons pu toucher! Profitons de l\u2019occasion pour\nnous pr\u00e9cipiter dans cette \u00e2me!\u00bb Alors le pauvre jeune homme, se voyant\nsi tent\u00e9--car il l\u2019\u00e9tait et par sa concupiscence et par son d\u00e9sir de\nsauver la jeune fille,--se mit \u00e0 pleurer et tomba en pri\u00e8re. Et, pendant\nsa pri\u00e8re, il s\u2019endormit et eut un r\u00eave. Il se vit amen\u00e9 dans un pr\u00e9\nfleuri o\u00f9 les feuilles des arbres, sous une brise l\u00e9g\u00e8re, murmuraient\ndoucement et exhalaient un parfum merveilleux. Il y avait l\u00e0 des fruits\nd\u2019un go\u00fbt incomparable, des eaux d\u2019une limpidit\u00e9 ravissante, des si\u00e8ges\net des lits orn\u00e9s d\u2019or et de pierreries. Et une voix lui dit que c\u2019\u00e9tait\nl\u00e0 le s\u00e9jour des bienheureux. Il demanda la permission d\u2019y rester, mais\nla voix lui r\u00e9pondit: \u00abTu pourras y revenir un jour, si tu sais r\u00e9sister\n\u00e0 tes mauvais d\u00e9sirs.\u00bb Puis il vit, dans son r\u00eave, un lieu sinistre et\nf\u00e9tide, et la voix lui dit que c\u2019\u00e9tait le s\u00e9jour des damn\u00e9s. Et,\nlorsqu\u2019il s\u2019\u00e9veilla, la beaut\u00e9 de la jeune fille lui parut exhaler la\nm\u00eame puanteur.\nLes malins esprits s\u2019en retourn\u00e8rent aupr\u00e8s de Th\u00e9odas, et lui dirent:\n\u00abTant qu\u2019il n\u2019avait pas fait le signe de la croix, nous pouvions\np\u00e9n\u00e9trer en lui et le troubler vivement. Mais d\u00e8s qu\u2019il eut fait ce\nsigne, nous d\u00fbmes nous enfuir.\u00bb Alors Th\u00e9odas se rendit lui-m\u00eame aupr\u00e8s\nde Josaphat, esp\u00e9rant le s\u00e9duire par de belles paroles. Mais ce fut lui\nqui fut pris par celui qu\u2019il voulait prendre. Converti par Josaphat, il\nre\u00e7ut le bapt\u00eame, et mena, depuis lors, une vie exemplaire.\nLe roi, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, abandonna \u00e0 son fils la moiti\u00e9 de son royaume. Et\nJosaphat, malgr\u00e9 son extr\u00eame impatience de se r\u00e9fugier au d\u00e9sert, jugea\nutile, dans l\u2019int\u00e9r\u00eat de la foi, d\u2019accepter pour quelque temps le\nroyaume qui lui \u00e9tait offert. Il construisit de nombreuses \u00e9glises,\ndressa partout des croix, et convertit tous ses sujets. Son p\u00e8re\nlui-m\u00eame finit par se laisser convaincre par la pr\u00e9dication de son fils.\nIl crut en J\u00e9sus-Christ, re\u00e7ut le bapt\u00eame, laissa le royaume entier \u00e0\nJosaphat, et acheva sa vie dans la p\u00e9nitence.\nApr\u00e8s cela, Josaphat voulut, \u00e0 son tour, se retirer dans le d\u00e9sert; mais\nlongtemps les pri\u00e8res de son peuple le retinrent. Un jour enfin, il\ns\u2019enfuit, donna \u00e0 un pauvre ses habits royaux, et, en \u00e9change, rev\u00eatit\nses haillons. Ainsi il erra dans le d\u00e9sert pendant deux ans, sans\npouvoir trouver Barlaam. Enfin, apercevant un caveau, il frappa \u00e0 la\nporte et dit: \u00abP\u00e8re, b\u00e9nis-moi!\u00bb Et Barlaam, entendant sa voix, sortit\ndu caveau. Ils s\u2019embrass\u00e8rent longuement, heureux de se revoir. Josaphat\nraconta \u00e0 Barlaam tout ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9; et, ensemble, ils en\nrendirent gr\u00e2ces \u00e0 Dieu. Et Josaphat v\u00e9cut l\u00e0 de nombreuses ann\u00e9es, dans\nla vertu et les privations. Quant \u00e0 Barlaam, lorsqu\u2019il eut accompli sa\ndestin\u00e9e, il mourut en paix \u00e0 l\u2019\u00e2ge de quatre-vingts ans, l\u2019an du\nSeigneur 400. Josaphat, lui, renon\u00e7a \u00e0 son royaume dans la\nvingt-cinqui\u00e8me ann\u00e9e de son \u00e2ge; il v\u00e9cut ensuite au d\u00e9sert pendant\ntrente-cinq ans, et puis s\u2019endormit, \u00e0 son tour, dans le Seigneur[20].\n [20] C\u2019est l\u2019histoire de saint Josaphat qui a fait affirmer \u00e0 Max\n M\u00fcller,--et \u00e0 bien d\u2019autres, apr\u00e8s lui,--que \u00abBoudha \u00e9tait devenu un\n saint de l\u2019Eglise catholique\u00bb. En effet, au dire de ces savants, le\n nom de \u00abJosaphat\u00bb ne peut \u00eatre qu\u2019une d\u00e9formation de \u00abBodhisattva\u00bb;\n et il y a, dans le fameux _Lalila Vistara_, une l\u00e9gende qui rappelle\n ce que Jean de Damas et Jacques de Voragine nous racontent de\n l\u2019enfance du fils du roi Avennir. Quant \u00e0 l\u2019esprit profond\u00e9ment\n chr\u00e9tien qui anime tout le r\u00e9cit de la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_, sous la\n d\u00e9licieuse couleur orientale dont il est rev\u00eatu, c\u2019est apparemment\n chose sans importance, ou, en tout cas, incapable de pr\u00e9valoir\n contre l\u2019identit\u00e9 manifeste des deux noms de \u00abJosaphat\u00bb et de\n \u00abBodhisattva\u00bb!\nCLXXI\nSAINT JACQUES L\u2019INTERCIS, MARTYR\n(27 novembre)\nLe martyr Jacques, surnomm\u00e9 l\u2019Intercis[21], noble de naissance, mais\nplus noble encore par sa foi, \u00e9tait originaire de la ville d\u2019Elape, dans\nle pays des Perses. N\u00e9 de parents chr\u00e9tiens, et mari\u00e9 \u00e0 une femme\nchr\u00e9tienne, il vivait dans la familiarit\u00e9 du roi des Perses, qui finit\nm\u00eame par le d\u00e9cider \u00e0 sacrifier aux idoles. Ce qu\u2019entendant, la m\u00e8re et\nla femme de Jacques lui \u00e9crivirent aussit\u00f4t: \u00abEn ob\u00e9issant \u00e0 un mortel,\ntu as abandonn\u00e9 Celui de qui d\u00e9pend la vie, tu as chang\u00e9 la v\u00e9rit\u00e9 en\nmensonge; en c\u00e9dant \u00e0 un mortel, tu as reni\u00e9 le juge des vivants et des\nmorts. Sache donc que, d\u00e9sormais, nous te serons \u00e9trang\u00e8res, et que\njamais plus tu ne nous reverras!\u00bb Et Jacques, ayant lu cette lettre,\ns\u2019\u00e9cria en pleurant: \u00abSi ma m\u00e8re et ma femme me sont devenues\n\u00e9trang\u00e8res, combien plus \u00e9tranger doit m\u2019\u00eatre devenu mon Dieu!\u00bb Et comme\nil se repentait am\u00e8rement de sa faute, on fit savoir au roi que Jacques\n\u00e9tait de nouveau chr\u00e9tien. Alors le roi le fit compara\u00eetre et lui dit:\n\u00abR\u00e9ponds-moi, es-tu Nazar\u00e9en?\u00bb Et Jacques: \u00abOui!\u00bb Et lui: \u00abDonc tu es\nmage!\u00bb Et Jacques: \u00abDieu me pr\u00e9serve d\u2019\u00eatre mage!\u00bb Et comme le roi le\nmena\u00e7ait de nombreux supplices, Jacques r\u00e9pondit: \u00abTes menaces ne\nsauraient me troubler, car tes paroles me traversent plus vite les\noreilles que le vent ne met de temps \u00e0 passer sur un rocher!\u00bb Et le roi:\n\u00abSois prudent, ne t\u2019expose pas \u00e0 une mort cruelle!\u00bb Et Jacques: \u00abCe\nn\u2019est point l\u00e0 une mort, mais plut\u00f4t un sommeil, d\u2019o\u00f9 l\u2019on ne tarde pas\n\u00e0 se r\u00e9veiller pour la r\u00e9surrection!\u00bb Et le roi: \u00abNe crois pas les\nNazar\u00e9ens qui pr\u00e9tendent que la mort n\u2019est qu\u2019un sommeil, car les plus\ngrands empereurs la redoutent!\u00bb Et Jacques: \u00abQuant \u00e0 nous, nous ne\ncraignons point la mort, car elle n\u2019est pour nous que l\u2019entr\u00e9e de la\nvie!\u00bb Alors le roi, sur le conseil de ses amis, d\u00e9cida que, pour\nl\u2019exemple, Jacques serait mutil\u00e9 membre \u00e0 membre. Et comme plusieurs\nt\u00e9moins, \u00e9mus de piti\u00e9, pleuraient sur le saint, celui-ci leur dit: \u00abNe\npleurez pas sur moi, mais sur vous-m\u00eames, car moi, je vais \u00e0 la vie, et\nvous, au supplice \u00e9ternel!\u00bb\n [21] Ce surnom, qui signifie \u00able coup\u00e9 en morceaux\u00bb est une allusion\n au martyre du saint.\nAlors les bourreaux lui coup\u00e8rent le pouce de la main droite, et Jacques\ns\u2019\u00e9cria: \u00abSeigneur J\u00e9sus, re\u00e7ois ce rameau de l\u2019arbre de la mis\u00e9ricorde;\ncar le vigneron coupe le sarment de sa vigne afin qu\u2019elle germe mieux et\nsoit couronn\u00e9e de fruits!\u00bb Et le bourreau: \u00abSi tu consens \u00e0 c\u00e9der, je\npuis encore te faire gr\u00e2ce et gu\u00e9rir ta main!\u00bb Et, comme Jacques s\u2019y\nrefusait, il lui coupa un second doigt. Et Jacques dit: \u00abRe\u00e7ois ces deux\nrameaux que tu as plant\u00e9s!\u00bb Au troisi\u00e8me doigt coup\u00e9, il dit: \u00abD\u00e9livr\u00e9\nd\u2019une triple tentation, je b\u00e9nis le P\u00e8re, le Fils et le Saint-Esprit!\u00bb\nAu quatri\u00e8me doigt, Jacques dit: \u00abProtecteur des fils d\u2019Isra\u00ebl, quatre\nfois b\u00e9ni, re\u00e7ois de ton serviteur ce quatri\u00e8me hommage!\u00bb Enfin, au\ncinqui\u00e8me doigt: \u00abMaintenant ma joie est compl\u00e8te!\u00bb\nAlors les bourreaux lui dirent: \u00abAie maintenant piti\u00e9 de ton \u00e2me! Et ne\nt\u2019afflige pas d\u2019avoir perdu une main, car il y a bien des hommes qui\nn\u2019ont qu\u2019une main, et qui abondent en honneurs et richesses!\u00bb Et\nJacques: \u00abQuand les bergers tondent leurs brebis, se contentent-ils de\ncouper la laine du c\u00f4t\u00e9 droit, en laissant tout enti\u00e8re celle du c\u00f4t\u00e9\ngauche?\u00bb On lui coupa le petit doigt de la main gauche. Et lui:\n\u00abSeigneur, \u00e9tant le plus grand, tu as voulu devenir, pour nous, le plus\npetit! Reprends le corps que tu as rachet\u00e9 de ton propre sang!\u00bb Au\nsepti\u00e8me doigt, il dit: \u00abSept fois par jour j\u2019ai lou\u00e9 le Seigneur!\u00bb Au\nhuiti\u00e8me: \u00abC\u2019est le huiti\u00e8me jour que J\u00e9sus a \u00e9t\u00e9 circoncis. Permets \u00e0\nl\u2019\u00e2me de ton serviteur, Seigneur, d\u2019\u00eatre, elle aussi, purifi\u00e9e par les\nrites sacr\u00e9s!\u00bb Au neuvi\u00e8me doigt, il dit: \u00abC\u2019est \u00e0 la neuvi\u00e8me heure que\nle Christ a expir\u00e9 sur la croix. Aussi, Seigneur, suis-je heureux de te\nproclamer et de te remercier, dans la douleur de l\u2019amputation de mon\nneuvi\u00e8me doigt.\u00bb Enfin, au dixi\u00e8me doigt, il dit: \u00abLa dixi\u00e8me lettre de\nl\u2019alphabet, _iota_, est la lettre par laquelle commence le nom de\nJ\u00e9sus-Christ!\u00bb Alors quelques-uns des assistants dirent: \u00abO toi que nous\navons aim\u00e9, feins tout au moins de renier ton Dieu pour obtenir la vie\nsauve! On t\u2019a, en v\u00e9rit\u00e9, coup\u00e9 les mains; mais nous connaissons des\nm\u00e9decins tr\u00e8s habiles qui sauront te gu\u00e9rir de ta souffrance.\u00bb Et\nJacques: \u00abLoin de moi une aussi honteuse dissimulation! Celui qui\nregarde en arri\u00e8re pendant qu\u2019il conduit la charrue ne saurait \u00eatre\npropre au royaume de Dieu.\u00bb Sur quoi les bourreaux, furieux, lui\ncoup\u00e8rent tour \u00e0 tour les dix doigts de ses pieds. Et \u00e0 chaque doigt\ncoup\u00e9 il glorifiait Dieu d\u2019une fa\u00e7on nouvelle. On lui coupa ensuite le\npied droit, puis le pied gauche, puis le bras droit et le bras gauche,\npuis la jambe droite jusqu\u2019\u00e0 la cuisse. Et le saint, se tordant sous la\ndouleur, s\u2019\u00e9cria: \u00abSeigneur J\u00e9sus-Christ, aide-moi, car voici que\ns\u2019emparent de moi les g\u00e9missements de la mort!\u00bb Et il dit aux bourreaux:\n\u00abLe Seigneur me rev\u00eatira d\u2019une chair nouvelle, que vos blessures ne\nsauront atteindre!\u00bb Et d\u00e9j\u00e0 les bourreaux commen\u00e7aient \u00e0 se fatiguer,\nayant travaill\u00e9 sur lui de la premi\u00e8re jusqu\u2019\u00e0 la neuvi\u00e8me heure. Ils\nlui coup\u00e8rent cependant encore la jambe gauche, jusqu\u2019\u00e0 la cuisse. Et\nsaint Jacques s\u2019\u00e9cria: \u00abDieu des vivants et des morts, \u00e9coute-moi, qui\nsuis \u00e0 demi vivant et \u00e0 demi mort! Je n\u2019ai plus de doigts ni de mains \u00e0\ntendre vers toi, plus de genoux \u00e0 fl\u00e9chir devant toi! Je suis comme une\nmaison qui s\u2019effondre, ayant perdu toutes les colonnes, qui la\nsoutenaient. Ecoute-moi, Seigneur J\u00e9sus, et tire mon \u00e2me de sa prison!\u00bb\nA peine eut-il dit cela qu\u2019un des bourreaux s\u2019approcha et lui trancha la\nt\u00eate. Il mourut le jour du 27 novembre.\nCLXXII\nSAINT SATURNIN, SAINTE PERP\u00c9TUE, SAINTE F\u00c9LICIT\u00c9 ET LEURS COMPAGNONS,\nMARTYRS\n(23 et 29 novembre)[22]\n [22] La f\u00eate de saint Saturnin de Toulouse est c\u00e9l\u00e9br\u00e9e le 29\n novembre; celle de sainte F\u00e9licit\u00e9 et de ses compagnons, le 23 du\n m\u00eame mois.\nI. Saturnin, ordonn\u00e9 pr\u00eatre par les disciples des ap\u00f4tres, fut d\u00e9sign\u00e9\npour aller occuper l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9 de Toulouse. Et comme, d\u00e8s qu\u2019il fut entr\u00e9\ndans la ville, tous les d\u00e9mons cess\u00e8rent de r\u00e9pondre aux questions qu\u2019on\nleur faisait, un des pa\u00efens dit que, si l\u2019on ne tuait pas Saturnin, on\nn\u2019obtiendrait plus jamais rien des dieux. On s\u2019empara donc de Saturnin;\net celui-ci, sur son refus de sacrifier, fut attach\u00e9 au pied d\u2019un\ntaureau furieux, qu\u2019on pr\u00e9cipita ensuite le long des marches du\nCapitole. Le saint eut la t\u00eate bris\u00e9e, la cervelle \u00e9cras\u00e9e; et ainsi, il\nre\u00e7ut heureusement la couronne du martyre. Deux femmes recueillirent son\ncorps, et, par peur des pa\u00efens, le cach\u00e8rent dans un puits, d\u2019o\u00f9 les\nsuccesseurs de saint Saturnin le transport\u00e8rent, plus tard, dans un lieu\nconsacr\u00e9.\nII. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre \u00e0 Rome, en l\u2019an\n286, sous Maximien. Le pr\u00e9fet de la ville, apr\u00e8s l\u2019avoir longtemps tenu\nen prison, le fit attacher sur un chevalet, o\u00f9 il fut rou\u00e9 de coups. On\nlui br\u00fbla ensuite les c\u00f4tes, et l\u2019on finit par le d\u00e9capiter.\nIII. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre en Afrique avec\nson fr\u00e8re Satire, un compagnon nomm\u00e9 R\u00e9vocat, la s\u0153ur de celui-ci,\nnomm\u00e9e F\u00e9licit\u00e9, et une femme noble nomm\u00e9e Perp\u00e9tue. Ayant refus\u00e9 de\nsacrifier aux idoles, ils furent tous jet\u00e9s en prison. Ce que voyant, le\np\u00e8re de Perp\u00e9tue courut \u00e0 la prison, et dit: \u00abMa fille, qu\u2019as-tu fait?\nTu as d\u00e9shonor\u00e9 ta famille! car jamais encore personne de ta race n\u2019a\n\u00e9t\u00e9 emprisonn\u00e9!\u00bb Et quand il apprit que sa fille \u00e9tait chr\u00e9tienne, il\ns\u2019\u00e9lan\u00e7a sur elle pour lui crever les yeux. Or, cette nuit-l\u00e0, Perp\u00e9tue\neut un r\u00eave qu\u2019elle raconta en ces termes \u00e0 ses compagnons: \u00abJ\u2019ai vu une\n\u00e9chelle d\u2019or qui s\u2019\u00e9levait jusqu\u2019au ciel, si \u00e9troite qu\u2019on ne pouvait y\ngrimper qu\u2019un \u00e0 un, et encore \u00e0 la condition d\u2019\u00eatre petit de taille. Car\n\u00e0 droite et \u00e0 gauche, sur les portants, \u00e9taient fix\u00e9s des couteaux et\ndes glaives tr\u00e8s aigus, de telle sorte que ceux qui grimpaient ne\npouvaient regarder ni derri\u00e8re eux ni autour d\u2019eux, mais \u00e9taient forc\u00e9s\nd\u2019avoir toujours les yeux lev\u00e9s au ciel. Sous l\u2019\u00e9chelle se tenait un\nimmense et terrible dragon, essayant d\u2019effrayer tous ceux qui voulaient\ngrimper. Et j\u2019ai vu Satire grimper sur l\u2019\u00e9chelle, parvenir jusqu\u2019en\nhaut, puis se retourner, et nous faire signe de le suivre sans crainte.\u00bb\nCe qu\u2019entendant, tous les prisonniers rendirent gr\u00e2ce \u00e0 Dieu, car ils\ncomprirent qu\u2019ils avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9lus pour le martyre. Amen\u00e9s devant le\njuge, ils refus\u00e8rent de sacrifier: sur quoi le juge fit s\u00e9parer les\ntrois hommes des deux femmes, et dit \u00e0 F\u00e9licit\u00e9: \u00abAs-tu un mari?\u00bb Et\nelle: \u00abOui, mais je le d\u00e9daigne!\u00bb Et lui: \u00abAie piti\u00e9 de toi, jeune\nfemme, et consens \u00e0 vivre, d\u2019autant plus que tu portes un enfant dans\nton ventre!\u00bb Mais elle: \u00abFais de moi ce que tu voudras, jamais tu ne\nm\u2019am\u00e8neras \u00e0 ta volont\u00e9!\u00bb Cependant, les parents et le mari de Perp\u00e9tue\navaient amen\u00e9 \u00e0 celle-ci son petit gar\u00e7on encore \u00e0 la mamelle. Et le\np\u00e8re de la sainte dit \u00e0 sa fille: \u00abMon doux enfant, aie piti\u00e9 de moi, de\nta pauvre m\u00e8re, et de ton mari, qui ne pourra pas vivre sans toi!\u00bb Mais\nPerp\u00e9tue ne se laissait point toucher. Alors son p\u00e8re lui jeta au cou\nson petit gar\u00e7on. Mais elle, repoussant l\u2019enfant, dit aux siens:\n\u00abEloignez-vous de moi, ennemis de Dieu, car je ne vous connais plus!\u00bb\nApr\u00e8s quoi le pr\u00e9fet, voyant la constance des martyrs, les renvoya en\nprison. Et comme les saints s\u2019affligeaient sur F\u00e9licit\u00e9, qui \u00e9tait alors\nenceinte de huit mois, Dieu fit alors en sorte qu\u2019elle \u00e9prouva soudain\nles douleurs de l\u2019enfantement, et mit au monde un fils vivant. Et les\ngardiens lui disaient: \u00abSi tu souffres si cruellement d\u00e8s \u00e0 pr\u00e9sent, que\nsera-ce quand tu compara\u00eetras devant le juge?\u00bb Mais F\u00e9licit\u00e9: \u00abIci, je\nsouffre pour moi; l\u00e0-bas Dieu souffrira pour moi!\u00bb On les fit ensuite\nsortir de prison, les mains li\u00e9es derri\u00e8re le dos, et on les conduisit\ndans l\u2019amphith\u00e9\u00e2tre. Satire et Perp\u00e9tue furent d\u00e9vor\u00e9s par des lions,\nR\u00e9vocat et F\u00e9licit\u00e9 par des l\u00e9opards; et Saturnin eut la t\u00eate tranch\u00e9e.\nCela se passait vers l\u2019an 256, sous les empereurs Val\u00e9rien et Gallien.\nCLXXIII[23]\nSAINT PASTEUR, ABB\u00c9\n [23] Les cinq chapitres qui suivent forment, en appendice \u00e0 la\n _L\u00e9gende des Saints_, une sorte de manuel de la vie monastique.\nSaint Pasteur demeura de longues ann\u00e9es au d\u00e9sert, avec ses fr\u00e8res, et\nse distingua par sa saintet\u00e9. Sa m\u00e8re d\u00e9sirait beaucoup revoir ses fils;\net comme ils s\u2019y refusaient, elle se rendit un jour au devant d\u2019eux\npendant qu\u2019ils allaient \u00e0 la ruche. Mais aussit\u00f4t ils s\u2019enfuirent dans\nleurs cellules, dont ils barricad\u00e8rent les portes. Et elle, debout\ndevant la porte de la cellule de Pasteur, pleurait et g\u00e9missait.\nPasteur, \u00e0 travers la porte, lui dit: \u00abVieille femme, qu\u2019as-tu \u00e0 crier\nainsi?\u00bb Mais elle, entendant sa voix redoublait ses cris, disant: \u00abJe\nveux vous voir, mes chers fils! Est-ce donc mal, que je vous revoie? Ne\nsuis-je pas votre m\u00e8re, qui vous ai allait\u00e9s?\u00bb Et son fils: \u00abVeux-tu\nnous voir dans ce monde-ci ou dans l\u2019autre?\u00bb Et elle: \u00abSi je ne peux pas\ndans celui-ci, que du moins je le puisse dans l\u2019autre, mes enfants!\u00bb Et\nPasteur: \u00abSi tu te r\u00e9signes chr\u00e9tiennement \u00e0 ne pas nous voir dans ce\nmonde-ci, tu nous verras certainement dans l\u2019autre!\u00bb Sur quoi la vieille\ns\u2019en alla toute r\u00e9confort\u00e9e.\nLe juge de la province voulait, lui aussi, voir Pasteur, qui refusait de\nse laisser voir. Ce juge fit alors jeter en prison le neveu de l\u2019ermite,\nen disant: \u00abSi Pasteur vient interc\u00e9der pour lui, je le rel\u00e2cherai!\u00bb La\nm\u00e8re de l\u2019enfant vint pleurer devant la porte de Pasteur. Et comme\ncelui-ci ne lui r\u00e9pondait pas, elle lui dit: \u00abSi m\u00eame tu as des\nentrailles de fer, insensibles \u00e0 toute compassion, qu\u2019au moins la voix\ndu sang te parle en faveur de mon fils!\u00bb Mais son fr\u00e8re se borna \u00e0 lui\nfaire r\u00e9pondre: \u00abPasteur n\u2019a jamais eu de fils!\u00bb La m\u00e8re du prisonnier\nrevint toute en larmes aupr\u00e8s du juge, qui lui dit: \u00abQu\u2019au moins ton\nfr\u00e8re dise un mot pour ton fils et je le remettrai en libert\u00e9!\u00bb Mais\nPasteur se borna \u00e0 lui r\u00e9pondre: \u00abExamine la cause suivant ta loi; et,\ns\u2019il est digne de mort, mets-le \u00e0 mort; s\u2019il est innocent, fais-en ce\nqui te plaira!\u00bb Pasteur disait \u00e0 ses fr\u00e8res: \u00abPour \u00eatre libre de ce\nmonde, le moine n\u2019a qu\u2019\u00e0 d\u00e9tester deux choses.\u00bb Et comme un de ses\nfr\u00e8res lui demandait ce que c\u2019\u00e9tait, il r\u00e9pondit: \u00abLa jouissance\ncharnelle et la vaine gloire. Si tu veux trouver le repos dans ce monde\net dans l\u2019autre, dis-toi toujours: qui suis-je? Et ne juge personne!\u00bb Un\nfr\u00e8re d\u2019un couvent ayant commis une faute, l\u2019abb\u00e9, sur le conseil d\u2019un\nermite, le chassa. Or, comme ce fr\u00e8re s\u2019enfuyait, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, Pasteur\nl\u2019appela, le consola, et lui demanda d\u2019aller chercher l\u2019ermite qui\nl\u2019avait d\u00e9nonc\u00e9. Et \u00e0 cet ermite il dit: \u00abIl y avait deux hommes, dont\nchacun venait de perdre son fils. Et voici que l\u2019un des deux abandonna\nson propre mort pour aller pleurer le mort de l\u2019autre!\u00bb L\u2019ermite comprit\nla parabole, et se repentit. Une autre fois, un fr\u00e8re dit \u00e0 Pasteur\nqu\u2019il voulait s\u2019en aller, parce qu\u2019on lui avait rapport\u00e9, d\u2019un de ses\nfr\u00e8res, des choses qui l\u2019avaient scandalis\u00e9. Pasteur lui r\u00e9pondit de ne\npas croire ces choses, qui n\u2019\u00e9taient pas vraies. Et le fr\u00e8re: \u00abPardon,\nelles sont vraies, car c\u2019est le fr\u00e8re Fid\u00e8le qui me les a rapport\u00e9es!\u00bb\nEt Pasteur: \u00abCelui qui te les a rapport\u00e9es ne saurait \u00eatre Fid\u00e8le; car,\ns\u2019il \u00e9tait fid\u00e8le, il ne songerait pas \u00e0 d\u00e9noncer ses fr\u00e8res!\u00bb Et le\nfr\u00e8re: \u00abMais je l\u2019ai vu aussi de mes propres yeux!\u00bb Et Pasteur: \u00abSais-tu\nce que c\u2019est qu\u2019une paille et qu\u2019une poutre? Eh bien, mets-toi dans\nl\u2019esprit que tes p\u00e9ch\u00e9s \u00e0 toi sont comme une poutre, et ceux de ton\nfr\u00e8re comme un f\u00e9tu de paille!\u00bb\nUn fr\u00e8re qui avait commis un grand p\u00e9ch\u00e9 voulut faire p\u00e9nitence pendant\ntrois ans. Mais d\u2019abord il demanda \u00e0 Pasteur si c\u2019\u00e9tait beaucoup. Et\nPasteur: \u00abC\u2019est beaucoup!\u00bb Le fr\u00e8re demanda si un an de p\u00e9nitence serait\nsuffisant. Et Pasteur: \u00abC\u2019est beaucoup!\u00bb On en vint \u00e0 proposer quarante\njours; mais Pasteur dit encore: \u00abC\u2019est beaucoup!\u00bb Et il ajouta:\n\u00abJ\u2019estime que si un homme se repent de tout son c\u0153ur, et se promet de ne\npas recommencer son p\u00e9ch\u00e9, Dieu se contente parfaitement d\u2019une p\u00e9nitence\nm\u00eame de trois jours.\u00bb\nUn fr\u00e8re lui demanda ce qu\u2019il devait faire d\u2019un h\u00e9ritage qui venait de\nlui \u00e9choir. Pasteur lui dit de revenir trois jours apr\u00e8s. Et, trois\njours apr\u00e8s, il lui dit: \u00abSi tu donnes ton argent \u00e0 l\u2019Eglise, on le\nd\u00e9pensera en repas; si tu le donnes \u00e0 tes parents, tu n\u2019en auras point\nde r\u00e9compense; si tu le donnes aux pauvres, tu seras certain de l\u2019avoir\nbien plac\u00e9. Mais au reste fais ce que tu voudras, car je ne me sens pas\nle droit de rien d\u00e9cider!\u00bb Voil\u00e0 ce que nous apprend sur saint Pasteur\nla _Vie des P\u00e8res du D\u00e9sert_.\nCLXXIV\nSAINT JEAN, ABB\u00c9\nJean, abb\u00e9, s\u2019entretenant avec un autre solitaire, Episius, qui depuis\nquarante ans vivait au d\u00e9sert, lui demanda quel profit il en avait\nretir\u00e9. Episius r\u00e9pondit: \u00abDepuis que je suis au d\u00e9sert, jamais le\nsoleil ne m\u2019a vu mangeant!\u00bb Et Jean: \u00abNi moi en col\u00e8re!\u00bb De la m\u00eame\nfa\u00e7on, comme l\u2019\u00e9v\u00eaque Epiphane nourrissait de viande le solitaire\nHilarion, celui-ci lui dit: \u00abPardonne-moi, car depuis que j\u2019ai rev\u00eatu\ncet habit, je n\u2019ai point mang\u00e9 de nourriture animale.\u00bb Et l\u2019\u00e9v\u00eaque:\n\u00abMoi, depuis que j\u2019ai rev\u00eatu cet habit, jamais j\u2019ai permis que quelqu\u2019un\nall\u00e2t dormir qui avait dans son c\u0153ur un grief contre moi; et, moi-m\u00eame,\njamais je ne me suis endormi en ayant au c\u0153ur un grief contre\nquelqu\u2019un.\u00bb Et Hilarion: \u00abPardonne-moi, car tu es meilleur que moi!\u00bb\nJean r\u00e9solut un jour de ne rien faire pour lui-m\u00eame, \u00e0 la fa\u00e7on des\nanges, afin de se consacrer plus enti\u00e8rement \u00e0 Dieu. Il se d\u00e9pouilla\ndonc de son froc, sortit de sa cellule, et, pendant une semaine, resta\n\u00e9tendu dans le d\u00e9sert. Mais au bout de cette semaine, mourant de faim et\ntout d\u00e9vor\u00e9 des morsures des mouches et des gu\u00eapes, il alla frapper \u00e0 la\nporte d\u2019un de ses fr\u00e8res. Et celui-ci: \u00abQui es-tu?\u00bb Et lui: \u00abJe suis\nJean!\u00bb Mais le fr\u00e8re: \u00abC\u2019est impossible! Jean est devenu un ange, et\nn\u2019est plus parmi les hommes!\u00bb Et Jean: \u00abJe t\u2019assure que c\u2019est moi!\u00bb Mais\nle fr\u00e8re lui refusa de lui ouvrir la porte et le laissa en peine\njusqu\u2019au lendemain. Puis, lui ouvrant enfin la porte, il lui dit: \u00abSi tu\nn\u2019es qu\u2019un homme, tu as besoin de travailler pour te nourrir et pour\nvivre!\u00bb Et Jean: \u00abPardonne-moi, fr\u00e8re, car j\u2019ai p\u00e9ch\u00e9!\u00bb\nJean \u00e9tant sur le point de mourir, ses fr\u00e8res lui demand\u00e8rent de leur\nlaisser quelques bonnes paroles, en guise d\u2019h\u00e9ritage. Mais il g\u00e9mit et\ndit: \u00abJamais je n\u2019ai fait ma propre volont\u00e9, et jamais je n\u2019ai rien\nenseign\u00e9 qu\u2019en le faisant moi-m\u00eame!\u00bb Tout cela est extrait de la _Vie\ndes P\u00e8res_.\nCLXXV\nSAINT MO\u00cfSE, ABB\u00c9\nLe solitaire Mo\u00efse dit \u00e0 un de ses fr\u00e8res, qui lui demandait de\nl\u2019instruire: \u00abEnferme-toi dans ta cellule, et elle t\u2019enseignera tout!\u00bb\nUn vieillard malade voulait se rendre en Egypte pour ne pas \u00eatre trop \u00e0\ncharge aux fr\u00e8res. Mo\u00efse lui dit: \u00abNe t\u2019en va pas, car tu commettrais le\np\u00e9ch\u00e9 de chair!\u00bb Et le vieillard: \u00abComment peux-tu me dire cela, \u00e0 moi\nqui ne suis plus qu\u2019un cadavre?\u00bb Il partit donc, et une jeune fille le\nsoigna par d\u00e9vouement; et quand il fut convalescent, il la viola.\nLorsqu\u2019elle eut enfant\u00e9 un fils, le vieillard prit l\u2019enfant dans ses\nlanges, et, le jour d\u2019une grande f\u00eate, entra dans l\u2019\u00e9glise o\u00f9 les fr\u00e8res\n\u00e9taient rassembl\u00e9s. Et il leur dit: \u00abVous voyez cet enfant? C\u2019est le\nfils de la d\u00e9sob\u00e9issance! Prenez bien garde \u00e0 vous, mes fr\u00e8res, et priez\npour moi!\u00bb Apr\u00e8s quoi il revint s\u2019enfermer dans sa cellule.\nUn des fr\u00e8res ayant p\u00e9ch\u00e9, on envoya chercher Mo\u00efse, qui arriva en\nportant sur son dos un sac plein de sable. Et comme on lui demandait ce\nque cela signifiait: \u00abCe sont mes p\u00e9ch\u00e9s qui courent derri\u00e8re moi, mais,\ncomme je ne les vois pas, voici que je viens juger les p\u00e9ch\u00e9s d\u2019autrui!\u00bb\nLes fr\u00e8res comprirent et pardonn\u00e8rent au coupable. On raconte une chose\nanalogue du solitaire Prieur, qui, ayant \u00e0 juger un de ses fr\u00e8res, fit\nporter derri\u00e8re lui un grand sac de sable et, devant lui, un sac plus\npetit. Et il dit: \u00abLe grand sac, ce sont mes p\u00e9ch\u00e9s mais comme ils sont\nderri\u00e8re moi, je ne les vois pas et ne m\u2019en afflige pas; le petit sac,\nce sont les p\u00e9ch\u00e9s de mon fr\u00e8re; et comme ils sont devant moi, je suis\ntout pr\u00eat \u00e0 les juger avec s\u00e9v\u00e9rit\u00e9.\u00bb\nMo\u00efse fut ordonn\u00e9 pr\u00eatre, et l\u2019\u00e9v\u00eaque lui dit, en le rev\u00eatant du\nsuperhum\u00e9ral: \u00abTe voil\u00e0 tout blanc!\u00bb Et lui: \u00abSeigneur, que ne puis-je\nl\u2019\u00eatre plut\u00f4t au dedans!\u00bb Puis l\u2019\u00e9v\u00eaque, voulant l\u2019\u00e9prouver, dit \u00e0 son\nclerg\u00e9 de le repousser au moment o\u00f9 il approcherait de l\u2019autel, et\nd\u2019\u00e9couter ensuite ce qu\u2019il dirait. On fit ainsi, et on entendit qu\u2019il\ndisait: \u00abVoil\u00e0 qui est bien fait pour toi! car, n\u2019\u00e9tant pas un homme,\npourquoi as-tu eu la pr\u00e9somption d\u2019aller parmi les hommes?\u00bb Tout cela\nest extrait de la _Vie des P\u00e8res._\nCLXXVI\nSAINT ARS\u00c8NE, ABB\u00c9\nArs\u00e8ne, \u00e9tant encore \u00e0 Rome, dans le palais de ses parents, priait Dieu\nde le diriger dans les voies du salut. Il entendit une voix qui lui dit:\n\u00abFuis les hommes et tu sera sauv\u00e9!\u00bb Il adopta donc la vie monacale; et\nd\u00e8s qu\u2019il l\u2019eut fait; la voix lui dit: \u00abRetraite, silence, repos!\u00bb\nAu sujet de ce \u00abrepos\u00bb que doivent rechercher les serviteurs du Christ,\non lit dans la _Vie des P\u00e8res_, l\u2019histoire suivante. Trois fr\u00e8res\ns\u2019\u00e9tant fait moines, l\u2019un choisit pour t\u00e2che de ramener la paix parmi\nles gens en discorde, le second, de soigner les malades, le troisi\u00e8me,\nde se reposer dans la solitude. Sur quoi le premier se mit en devoir\nd\u2019apaiser les querelles; mais il ne put plaire \u00e0 tous; et, d\u00e9sesp\u00e9rant\nde son \u0153uvre, il se rendit chez son fr\u00e8re. Il le trouva non moins abattu\nque lui-m\u00eame. Et c\u2019est dans cet \u00e9tat qu\u2019ils se rendirent tous deux\naupr\u00e8s du troisi\u00e8me fr\u00e8re. Quand ils lui eurent racont\u00e9 leurs d\u00e9boires,\nl\u2019ermite versa de l\u2019eau dans un bassin et leur dit: \u00abRegardez-vous dans\ncette eau quand elle est troubl\u00e9e!\u00bb Puis il leur dit: \u00abRegardez-vous\nmaintenant dans la m\u00eame eau devenue tranquille!\u00bb Cette fois; ils virent\nleur visage refl\u00e9t\u00e9 dans l\u2019eau. Et leur fr\u00e8re leur dit: \u00abDe la m\u00eame\nfa\u00e7on, ceux qui vivent au milieu des hommes se trouvent hors d\u2019\u00e9tat de\nvoir leurs propres p\u00e9ch\u00e9s; mais, d\u00e8s qu\u2019ils se reposent, ils peuvent\nvoir leurs p\u00e9ch\u00e9s.\u00bb\nUne vieille dame noble et pieuse vint voir le solitaire Ars\u00e8ne, et, par\nl\u2019entremise de l\u2019archev\u00eaque Th\u00e9ophile, lui fit demander de la recevoir.\nComme Ars\u00e8ne s\u2019y refusait, elle se rendit jusqu\u2019\u00e0 sa cellule, l\u2019aper\u00e7ut\ndebout devant la porte, et se prosterna \u00e0 ses pieds. Et Ars\u00e8ne, apr\u00e8s\nl\u2019avoir relev\u00e9e, avec indignation: \u00abMalheureuse femme, pourquoi as-tu\nentrepris ce voyage? Tu vas maintenant revenir \u00e0 Rome; tu y raconteras \u00e0\ntoutes les femmes que tu as vu le solitaire Ars\u00e8ne, et toutes voudront\nvenir pour me voir aussi!\u00bb Et la dame: \u00abSi Dieu me permet de revenir \u00e0\nRome; je ferais en sorte qu\u2019aucune femme ne vienne ici: mais je te\nsupplie de prier pour moi et de ne pas m\u2019oublier!\u00bb Mais lui: \u00abJe vais\nprier Dieu qu\u2019il efface ton souvenir de mon c\u0153ur!\u00bb Ce qu\u2019entendant la\ndame, confuse, s\u2019en retourna en ville, et, \u00e0 force de s\u2019affliger, fut\nprise de fi\u00e8vre. L\u2019archev\u00eaque, venu pr\u00e8s d\u2019elle pour la consoler; lui\ndit: \u00abNe sais-tu donc pas que tu es une femme, et que c\u2019est par les\nfemmes que l\u2019ennemi attaque le plus volontiers les saints? Voil\u00e0\npourquoi Ars\u00e8ne t\u2019a dit ce qu\u2019il t\u2019a dit! Mais, quant \u00e0 ton \u00e2me, tu peux\n\u00eatre certaine qu\u2019il priera pour elle!\u00bb Et la vieille dame, ainsi\nconsol\u00e9e, recouvra la sant\u00e9.\nLa _Vie des P\u00e8res_ raconte, \u00e0 ce m\u00eame propos, l\u2019histoire d\u2019un moine qui,\nayant \u00e0 porter sa vieille m\u00e8re pour traverser un fleuve, commen\u00e7a par\ns\u2019envelopper les mains dans son manteau. Et sa m\u00e8re: \u00abPourquoi\ncouvres-tu tes mains, mon enfant?\u00bb Et lui: \u00abLe corps de toute femme est\nfait de feu! J\u2019ai peur que, en te touchant, l\u2019image des autres femmes ne\nme revienne \u00e0 l\u2019esprit!\u00bb\nArs\u00e8ne passa toute sa vie assis dans sa cellule, ayant dans son sein un\nlinge pour essuyer les pleurs qui coulaient de ses yeux. Il veillait\ntoute la nuit. Et, le matin, tombant de fatigue, il disait au sommeil:\n\u00abViens, mauvais serviteur!\u00bb et il s\u2019endormait pour un peu de temps. Il\ndisait: \u00abUne heure de bon sommeil doit suffire au moine!\u00bb\nLe p\u00e8re d\u2019Ars\u00e8ne, qui \u00e9tait un riche s\u00e9nateur, laissa \u00e0 son fils, en\nmourant, toute sa fortune. Alors un certain Magistrien vint lui apporter\nle testament paternel; et lui, le prenant en main, voulait le d\u00e9chirer.\nMagistrien le supplia de n\u2019en rien faire, disant que, s\u2019il le faisait,\non lui trancherait la t\u00eate. Et Ars\u00e8ne: \u00abJe suis mort avant mon p\u00e8re.\nComment donc peut-il faire de moi son h\u00e9ritier?\u00bb Et il rendit le\ntestament sans vouloir le lire.\nUn jour, une voix lui dit: \u00abViens, je te montrerai les \u0153uvres des\nhommes!\u00bb Puis, l\u2019ayant conduit en un certain lieu, l\u2019ange lui montra\nd\u2019abord un Ethiopien s\u2019occupant \u00e0 faire un fagot de bois si lourd qu\u2019il\nne pouvait l\u2019emporter. L\u2019ange lui fit voir ensuite un homme qui puisait\nde l\u2019eau dans un lac pour la verser dans une citerne creuse, d\u2019o\u00f9 l\u2019eau,\ntout de suite, retournait dans le lac. Il lui montra aussi deux hommes\nqui portaient une longue poutre; mais quand ils voulurent entrer dans le\ntemple, ils ne le purent, \u00e0 cause de la fa\u00e7on dont ils portaient la\npoutre. Et l\u2019ange dit: \u00abCeux-ci, ce sont ceux qui subissent le joug de\nDieu avec orgueil, non avec humilit\u00e9; et, pour ce motif, ils ne peuvent\nentrer dans le royaume de Dieu. L\u2019homme qui fait les fagots est le\np\u00e9cheur que sa p\u00e9nitence n\u2019emp\u00eache pas de p\u00e9cher de nouveau, et qui\najoute ainsi l\u2019iniquit\u00e9 \u00e0 l\u2019iniquit\u00e9. L\u2019homme qui verse de l\u2019eau dans la\nciterne sans fond est l\u2019homme qui, en m\u00ealant les bonnes et les mauvaises\nactions, perd le b\u00e9n\u00e9fice de ses bonnes actions.\u00bb Tout cela est extrait\nde la _Vie des P\u00e8res_.\nCLXXVII\nAGATHON, ABB\u00c9\nLe solitaire Agathon garda, pendant trois ans, une pierre dans sa\nbouche, afin de s\u2019accoutumer au silence. Un autre fr\u00e8re, entrant au\nmilieu d\u2019une assembl\u00e9e, se dit: \u00abTu n\u2019es qu\u2019un \u00e2ne. Fais donc comme\nl\u2019\u00e2ne, qui brait et ne parle pas, re\u00e7oit l\u2019injure et ne r\u00e9ponds rien!\u00bb\nUn autre fr\u00e8re, chass\u00e9 de table, ne r\u00e9pondit rien. Plus tard, interrog\u00e9\nsur le motif de sa conduite, il r\u00e9pondit: \u00abJ\u2019ai voulu ressembler au\nchien, qui, quand on le chasse, s\u2019en va!\u00bb\nInterrog\u00e9 sur la plus difficile de toutes les vertus, Agathon r\u00e9pondit:\n\u00abC\u2019est de prier Dieu; car, dans les autres travaux, on peut toujours se\nreposer; tandis que l\u2019homme qui prie doit toujours lutter.\u00bb Et il disait\n\u00e0 ses fr\u00e8res: \u00abVous devez toujours vivre entre vous comme au premier\ninstant o\u00f9 vous vous rencontrez, et ne point vous faire de confidences.\nCar il n\u2019y a point de pire passion que la confidence, et c\u2019est elle qui\nengendre toutes les passions. Un homme irrit\u00e9, m\u00eame s\u2019il ressuscitait\nles morts, ne plairait encore ni \u00e0 Dieu ni aux hommes. Deux fr\u00e8res\navaient v\u00e9cu longtemps ensemble sans que rien p\u00fbt jamais les irriter\nl\u2019un contre l\u2019autre. Un jour, l\u2019un d\u2019eux dit \u00e0 l\u2019autre: \u00abEssayons de\nnous quereller, comme font les autres hommes!\u00bb Et l\u2019autre: \u00abMais je ne\nsais pas comment on fait pour se quereller.\u00bb Et son fr\u00e8re: \u00abTiens, je\npose l\u00e0 cette cruche, je dis qu\u2019elle est \u00e0 moi, tu r\u00e9ponds qu\u2019elle est \u00e0\ntoi, et voil\u00e0 une querelle!\u00bb Ils mettent donc la cruche au milieu de la\ncellule. Et l\u2019un dit \u00e0 l\u2019autre: \u00abCeci est \u00e0 moi!\u00bb L\u2019autre r\u00e9pond: \u00abMais\nnon, c\u2019est \u00e0 moi!\u00bb Et son fr\u00e8re: \u00abEh bien oui, c\u2019est \u00e0 toi! tu peux le\nprendre!\u00bb Et ainsi ils se s\u00e9par\u00e8rent sans \u00eatre parvenus \u00e0 se quereller.\nAvant de mourir, Agathon resta immobile pendant trois jours, les yeux\nouverts. Ses fr\u00e8res lui demand\u00e8rent ce qu\u2019il faisait. Et lui: \u00abJ\u2019attends\nle jugement de Dieu!\u00bb Et eux: \u00abEn as-tu peur?\u00bb Et lui: \u00abJe me suis\nefforc\u00e9 autant que j\u2019ai pu d\u2019ob\u00e9ir aux ordres de Dieu. Mais je suis\nhomme, et je ne sais pas si mes \u0153uvres plairont au Seigneur!\u00bb Et eux:\n\u00abTes \u0153uvres ne sont-elles donc pas suivant Dieu?\u00bb Et lui: \u00abJe ne saurai\ncela que quand je compara\u00eetrai devant Lui. Car la justice de Dieu ne\npeut pas \u00eatre la m\u00eame que celle des hommes.\u00bb Et comme ses fr\u00e8res\nvoulaient continuer \u00e0 l\u2019interroger, il leur dit: \u00abPar piti\u00e9, ne me dites\nplus rien, car je suis occup\u00e9!\u00bb Et, cela dit, il rendit l\u2019\u00e2me\njoyeusement. Tout cela est extrait de la _Vie des P\u00e8res_.\nCLXXVIII\nSAINT P\u00c9LAGE, PAPE[24]\n [24] C\u2019est ici que Jacques de Voragine a plac\u00e9 son _Histoire\n lombarde_, qui n\u2019est en somme, comme l\u2019on va voir, qu\u2019une chronique\n des principaux \u00e9v\u00e9nements politiques et religieux, depuis le Ve\n jusqu\u2019au XIIIe si\u00e8cle.\nP\u00e9lage fut un pape d\u2019une grande saintet\u00e9, qui mourut plein de bonnes\n\u0153uvres, apr\u00e8s avoir gouvern\u00e9 l\u2019Eglise de la fa\u00e7on la plus louable. Nous\ndevons ajouter que ce P\u00e9lage n\u2019est pas celui qui fut pape imm\u00e9diatement\navant saint Gr\u00e9goire. A saint P\u00e9lage succ\u00e9da Jean III, \u00e0 Jean III\nBeno\u00eet, \u00e0 Beno\u00eet un autre P\u00e9lage, qui eut pour successeur saint\nGr\u00e9goire.\nC\u2019est sous le pontificat de saint P\u00e9lage que les Lombards sont arriv\u00e9s\nen Italie; et comme leur histoire est g\u00e9n\u00e9ralement peu connue, j\u2019ai\nd\u00e9cid\u00e9 de la r\u00e9sumer ici, d\u2019apr\u00e8s l\u2019_Histoire lombarde_ de\nl\u2019historiographe Paul, et diverses chroniques.\nLes Lombards.\nI. Les Lombards \u00e9taient un grand peuple germanique qui, sorti de l\u2019\u00eele\nde Scandinavie, sur le rivage septentrional de l\u2019Europe, parvint enfin,\napr\u00e8s de nombreux combats et voyages, en Pannonie, o\u00f9 il s\u2019installa \u00e0\ndemeure, n\u2019osant pas s\u2019avancer plus loin vers le sud. On les appela\nd\u2019abord les Vinules, puis les Lombards, \u00e0 cause des longues barbes\nqu\u2019ils avaient coutume de porter. Or, pendant qu\u2019ils \u00e9taient encore en\nGermanie, leur roi Agilmud trouva, dans une piscine, sept enfants\njumeaux que leur m\u00e8re, une femme galante, avait jet\u00e9s l\u00e0 pour les faire\nmourir. Le roi, surpris, retournait ces enfants avec sa lance, lorsque\nl\u2019un d\u2019eux saisit la lance dans sa main. Ce que voyant, le roi le fit\n\u00e9lever, lui donna le nom de Lamission, et lui pr\u00e9dit un grand avenir. En\neffet, ce Lamission se distingua si fort qu\u2019\u00e0 la mort d\u2019Agilmud ce fut\nlui que les Lombards \u00e9lurent pour roi.\nVers le m\u00eame temps, c\u2019est-\u00e0-dire vers l\u2019an 490, un \u00e9v\u00eaque arien, ayant \u00e0\nbaptiser un homme appel\u00e9 Barbe, lui dit: \u00abJe te baptise au nom du P\u00e8re,\npar le Fils, dans le Saint-Esprit\u00bb; ce par quoi il voulait signifier que\nle Fils et le Saint-Esprit \u00e9taient inf\u00e9rieurs au P\u00e8re. Mais aussit\u00f4t\ntoute l\u2019eau disparut de la piscine qui servait au bapt\u00eame, et Barbe se\nconvertit \u00e0 la foi v\u00e9ritable.--Vers le m\u00eame temps encore fleurirent deux\nfr\u00e8res ut\u00e9rins, saints M\u00e9dard et Gildart, qui naquirent le m\u00eame jour,\nfurent consacr\u00e9s \u00e9v\u00eaques le m\u00eame jour, moururent le m\u00eame jour et furent\nb\u00e9atifi\u00e9s le m\u00eame jour.--Et il y a encore un autre miracle que nous\ndevons raconter ici. L\u2019an 450, pendant que l\u2019h\u00e9r\u00e9sie arienne pullulait\nen Gaule, l\u2019unit\u00e9 de substance des trois personnes de la Trinit\u00e9 fut\nd\u00e9montr\u00e9e aux hommes par un symbole visible. Sigebert raconte en effet\nque l\u2019\u00e9v\u00eaque de Bazas, c\u00e9l\u00e9brant sa messe, vit tomber sur l\u2019autel trois\ngouttes transparentes, d\u2019\u00e9gale grandeur, qui, se r\u00e9unissant, form\u00e8rent\nun unique diamant d\u2019une beaut\u00e9 merveilleuse. L\u2019\u00e9v\u00eaque pla\u00e7a ce diamant\nau milieu d\u2019une croix d\u2019or: aussit\u00f4t toutes les autres pierres de la\ncroix se d\u00e9tach\u00e8rent et tomb\u00e8rent. Ce diamant paraissait obscur aux\nimpies tandis qu\u2019il s\u2019illuminait pour les yeux des justes; il donnait la\nsant\u00e9 aux malades et renfor\u00e7ait la pi\u00e9t\u00e9 de ceux qui adoraient la croix.\nDans la suite, les Lombards eurent un autre roi nomm\u00e9 Alboin, qui d\u00e9fit\net tua le roi des G\u00e9pides: ce qui lui valut d\u2019\u00eatre ensuite attaqu\u00e9 par\nle fils de ce roi, qu\u2019il d\u00e9fit et tua pareillement. Apr\u00e8s quoi, il prit\npour femme la fille de ce roi, nomm\u00e9e Rosemonde; et, en m\u00eame temps, du\ncr\u00e2ne du roi vaincu il se fit faire une coupe, orn\u00e9e d\u2019argent; et il\ns\u2019en servait pour boire.\nL\u2019empire romain \u00e9tait alors gouvern\u00e9 par Justin le Petit, avec l\u2019aide\nd\u2019un eunuque nomm\u00e9 Nars\u00e8s, homme de sens et de valeur, qui avait\nrepouss\u00e9 l\u2019invasion des Goths, et rendu la paix \u00e0 toute l\u2019Italie. Mais\nles grands honneurs dont il jouissait lui attir\u00e8rent l\u2019envie des\nRomains: faussement accus\u00e9 aupr\u00e8s de l\u2019empereur, il perdit ses dignit\u00e9s;\net l\u2019imp\u00e9ratrice Sophie, pour achever de l\u2019humilier, le condamna \u00e0\nd\u00e9vider et \u00e0 filer la laine avec ses servantes. A quoi Nars\u00e8s se r\u00e9signa\nen disant qu\u2019il tisserait pour l\u2019imp\u00e9ratrice une toile dont, aussi\nlongtemps qu\u2019elle vivrait, elle ne pourrait sortir.\nEt en effet ce Nars\u00e8s, s\u2019\u00e9tant retir\u00e9 \u00e0 Naples, manda aux Lombards\nd\u2019abandonner leur mis\u00e9rable Pannonie pour venir prendre possession du\nsol fertile de l\u2019Italie. Ce qu\u2019entendant, Alboin se mit en route avec\nses Lombards, et p\u00e9n\u00e9tra en Italie, l\u2019an du Seigneur 568. Ils\ns\u2019emparaient de toutes les villes qu\u2019ils trouvaient sur leur passage,\nmettant \u00e0 mort tous les habitants: car Alboin s\u2019\u00e9tait jur\u00e9 de tuer tous\nles chr\u00e9tiens. Mais quand ils voulurent entrer \u00e0 Pavie, apr\u00e8s un si\u00e8ge\nde trois ans, le cheval du roi s\u2019agenouilla devant la porte de la ville,\net, press\u00e9 de coups d\u2019\u00e9peron, refusa de se relever. Alors un chr\u00e9tien\nexpliqua au roi la cause du miracle; et c\u2019est ainsi qu\u2019Alboin renon\u00e7a \u00e0\nson serment. Les Lombards p\u00e9n\u00e9tr\u00e8rent ensuite \u00e0 Milan. En peu de temps,\nils subjugu\u00e8rent presque toute l\u2019Italie, \u00e0 l\u2019exception de Rome et de la\nRomagne.\nSe trouvant \u00e0 V\u00e9rone, dans un grand festin, Alboin versa \u00e0 boire \u00e0 sa\nfemme dans le cr\u00e2ne du roi G\u00e9pide, en lui disant: \u00abBois avec ton p\u00e8re!\u00bb\nCe qui remplit Rosemonde de haine contre son mari. Or, il y avait un\nchef lombard qui avait pour concubine une servante de la reine.\nRosemonde, une nuit, prit place dans le lit de sa servante, y re\u00e7ut le\nchef, puis, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre donn\u00e9e \u00e0 lui, lui dit: \u00abSais-tu qui je suis?\u00bb\nIl r\u00e9pondit en nommant sa concubine. Mais elle: \u00abPas du tout! Je suis\nRosemonde; et tu viens de perp\u00e9trer un crime qui, si tu ne tues pas\nAlboin, te vaudra certainement d\u2019\u00eatre tu\u00e9 par lui! Donc, je veux que tu\nme venges de mon mari, qui, ayant tu\u00e9 mon p\u00e8re, m\u2019a fait boire dans son\ncr\u00e2ne en guise de coupe!\u00bb Le chef se refusa \u00e0 tuer lui-m\u00eame Alboin, mais\npromit de trouver quelqu\u2019un pour accomplir le crime. Alors la reine\nenleva de la chambre du roi toutes les armes qui s\u2019y trouvaient, et lia\nfortement le glaive qu\u2019Alboin mettait toujours \u00e0 la t\u00eate de son lit, de\nmani\u00e8re que le roi ne p\u00fbt le tirer du fourreau. Lorsque le meurtrier\np\u00e9n\u00e9tra dans la chambre, le roi, qui l\u2019avait vu venir, sauta hors de son\nlit, et, ne parvenant pas \u00e0 tirer son glaive, saisit un escabeau et se\nd\u00e9fendit vaillamment. Mais le meurtrier, mieux arm\u00e9 que lui, eut enfin\nsur lui le dessus, et le tua. Puis, emportant tous les tr\u00e9sors du\npalais, il s\u2019enfuit avec Rosemonde \u00e0 Ravenne. Mais l\u00e0, Rosemonde, ayant\nvu un jeune et beau pr\u00e9fet, et l\u2019ayant d\u00e9sir\u00e9 pour mari, versa du poison\ndans le verre de son complice; et lui, apr\u00e8s en avoir bu, fut \u00e9tonn\u00e9\nd\u2019un go\u00fbt amer, et ordonna \u00e0 Rosemonde de boire le reste. Rosemonde, le\ncouteau sur la gorge, dut boire le breuvage empoisonn\u00e9; et c\u2019est ainsi\nque tous deux p\u00e9rirent.\nEnfin un roi lombard, nomm\u00e9 Adaloth, se fit baptiser et re\u00e7ut la foi du\nChrist. Plus tard, une reine lombarde nomm\u00e9e Th\u00e9odelinde, personne\npieuse et sage, fit construire un bel oratoire \u00e0 Monza. Elle convertit \u00e0\nsa foi son mari Agisulphe, qui fut duc de Turin avant de devenir roi des\nLombards. Et c\u2019est sur le conseil de Th\u00e9odelinde que ce roi fit\nd\u00e9finitivement la paix avec l\u2019Empire et l\u2019Eglise romaine. Cette paix fut\nconclue le jour des saints Gervais et Protais; et c\u2019est pourquoi saint\nGr\u00e9goire fit chanter \u00e0 l\u2019office de la messe, le jour de ces saints:\n_Loquetur Dominus pacem_, etc. Saint Gr\u00e9goire \u00e9tait d\u2019ailleurs l\u2019ami de\nla reine Th\u00e9odelinde, \u00e0 qui il d\u00e9dia ses _Dialogues_. Et la paix,\nconclue le jour des saints Gervais et Protais, fut confirm\u00e9e le jour de\nSaint-Jean-Baptiste par la conversion g\u00e9n\u00e9rale des Lombards. En souvenir\nde quoi Th\u00e9odelinde fit construire \u00e0 Monza le susdit oratoire, d\u00e9di\u00e9 \u00e0\nsaint Jean, qu\u2019une vision avait, en outre, r\u00e9v\u00e9l\u00e9 \u00e0 un saint homme comme\nle patron et le d\u00e9fenseur des Lombards.\nGr\u00e9goire, \u00e0 sa mort, eut pour successeur Savin, qui eut pour successeur\nBoniface III, \u00e0 qui succ\u00e9da Boniface IV. C\u2019est \u00e0 la pri\u00e8re de ce dernier\nque l\u2019empereur Phocas, en l\u2019an 660, donna \u00e0 l\u2019Eglise chr\u00e9tienne le\nPanth\u00e9on de Rome. Et c\u2019est sur les pri\u00e8res de Boniface III qu\u2019il\nconsentit \u00e0 reconna\u00eetre la chaire de Rome comme la t\u00eate de toutes les\nEglises, titre que revendiquait, jusqu\u2019alors, l\u2019\u00e9glise de\nConstantinople.\nMahomet.\nII. C\u2019est sous le pontificat de Boniface IV, apr\u00e8s la mort de Phocas et\nsous le r\u00e8gne d\u2019H\u00e9raclius, vers l\u2019an du Seigneur 610, que le mage et\nfaux proph\u00e8te Mahomet commen\u00e7a \u00e0 induire en erreur les Isma\u00eblites ou\ndescendants d\u2019Agar, c\u2019est-\u00e0-dire les Sarrasins. Et voici, d\u2019apr\u00e8s une\nhistoire de cet imposteur, comment il s\u2019y prit. Un clerc fameux, d\u00e9pit\u00e9\nde ne pouvoir obtenir de la curie romaine un honneur qu\u2019il d\u00e9sirait\nobtenir, se r\u00e9fugia outre-mer, o\u00f9 il fit de nombreuses dupes.\nRencontrant Mahomet, il lui d\u00e9clara qu\u2019il le mettrait \u00e0 la t\u00eate de son\npeuple. Et, d\u2019abord, il accoutuma une colombe \u00e0 venir manger des grains\nqu\u2019il introduisait dans l\u2019oreille du jeune Sarrasin: de telle sorte que\nla colombe, d\u00e8s qu\u2019elle apercevait Mahomet, accourait sur son \u00e9paule et\nmettait son bec dans son oreille. Alors le clerc susdit, ayant convoqu\u00e9\nle peuple, lui dit que celui-l\u00e0 devrait \u00eatre son chef que lui\nd\u00e9signerait l\u2019Esprit-Saint, descendant sur lui sous la forme d\u2019une\ncolombe. Puis il l\u00e2cha la colombe, qui vint se placer sur l\u2019\u00e9paule de\nMahomet et lui becqueta dans l\u2019oreille. Le peuple crut que c\u2019\u00e9tait le\nSaint-Esprit qui descendait sur lui, pour lui dicter \u00e0 l\u2019oreille la\nparole de Dieu. Ainsi Mahomet trompa les Sarrasins, qui, le prenant pour\nchef, envahirent le royaume de la Perse et tout l\u2019empire d\u2019Orient\njusqu\u2019\u00e0 Alexandrie.\nVoil\u00e0 ce que raconte une chronique populaire; mais plus vraisemblable\nest une autre version, que nous allons rapporter maintenant. D\u2019apr\u00e8s\ncelle-ci, Mahomet, inventant lui-m\u00eame des lois, feignait de les recevoir\nde l\u2019Esprit-Saint, sous la forme d\u2019une colombe. Dans ces lois, il\nintroduisit bon nombre de choses emprunt\u00e9es \u00e0 l\u2019Ancien et au Nouveau\nTestament. Car, dans sa premi\u00e8re jeunesse, il avait \u00e9t\u00e9 marchand, avait\nparcouru avec ses chameaux l\u2019Egypte et la Palestine, et s\u2019\u00e9tait souvent\nentretenu avec des Juifs et des chr\u00e9tiens. De l\u00e0 vient que les\nSarrasins, de m\u00eame que les Juifs, pratiquent la circoncision; et\ns\u2019abstiennent de la viande du porc: Mahomet leur ayant fait croire que\nle porc avait \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9, apr\u00e8s le d\u00e9luge, de la fiente du chameau. Avec\nles chr\u00e9tiens, les Sarrasins croient en un seul Dieu tout-puissant,\ncr\u00e9ateur de toutes choses. M\u00ealant ainsi le vrai au faux, Mahomet affirme\nque Mo\u00efse a \u00e9t\u00e9 un grand proph\u00e8te, et le Christ un proph\u00e8te plus grand\nencore, n\u00e9 d\u2019une vierge et par la seule vertu de Dieu. Il dit aussi,\ndans son _Alcoran_, que le Christ, dans son enfance, a cr\u00e9\u00e9 des oiseaux\navec le limon de la terre. Mais il dit ensuite que ce n\u2019est point le\nChrist lui-m\u00eame qui \u00e0 subi la passion et est ressuscit\u00e9: d\u2019apr\u00e8s lui,\nc\u2019est un autre homme qui aurait subi la passion, \u00e0 la place du Christ.\nUne femme noble nomm\u00e9e Cadicha, qui \u00e9tait \u00e0 la t\u00eate d\u2019une province\nappel\u00e9e Corocanie, voyant cet homme admis dans la familiarit\u00e9 des Juifs\net des Sarrasins, crut que la majest\u00e9 divine \u00e9tait en lui. Et, comme\nelle \u00e9tait veuve, elle le prit pour mari, ce qui le rendit ma\u00eetre de\ntoute la province. Et lui, par ses artifices, il fit croire non\nseulement \u00e0 cette femme, mais aux Juifs et aux Sarrasins, qu\u2019il \u00e9tait le\nMessie promis par la Loi. Mais, dans la suite, Mahomet eut de fr\u00e9quents\nacc\u00e8s d\u2019\u00e9pilepsie. Et comme Cadicha s\u2019en affligeait, car cette maladie\n\u00e9tait consid\u00e9r\u00e9e comme un signe d\u2019impuret\u00e9, il imagina de lui dire que\nses acc\u00e8s \u00e9taient caus\u00e9s par l\u2019\u00e9motion qu\u2019il ressentait des fr\u00e9quentes\nvisites de l\u2019archange Gabriel.\nAilleurs encore on lit que le ma\u00eetre de Mahomet fut un moine appel\u00e9\nSerge, qui fut chass\u00e9 par ses fr\u00e8res pour avoir partag\u00e9 l\u2019h\u00e9r\u00e9sie des\nNestoriens, ou, suivant d\u2019autres, celle des Jacobites: secte qui pr\u00eache\nla circoncision, et pr\u00e9tend que le Christ a \u00e9t\u00e9 non un Dieu, mais un\nhomme juste et saint, con\u00e7u du Saint-Esprit, et n\u00e9 d\u2019une vierge, toutes\nchoses que croient \u00e9galement les Mahom\u00e9tans. Ce serait donc ce Serge qui\naurait instruit Mahomet dans l\u2019Ancien et le Nouveau Testament. Car\njusque-l\u00e0 le jeune homme, avec toute la race des Arabes, adorait V\u00e9nus;\net aujourd\u2019hui encore, le jour sacr\u00e9, pour les Sarrasins, est le\nvendredi, de m\u00eame que pour les Juifs le samedi ou sabbat, et pour les\nchr\u00e9tiens le dimanche, ou jour du Seigneur.\nEnrichi de la fortune de sa femme Cadicha, Mahomet prit une telle\nambition qu\u2019il r\u00eava de devenir ma\u00eetre de l\u2019Arabie enti\u00e8re. Mais comme il\nvoyait qu\u2019il ne pourrait pas dominer les Arabes par la violence, il\nr\u00e9solut de se faire passer pour proph\u00e8te, de mani\u00e8re \u00e0 les subjuguer par\nune apparente saintet\u00e9. Tenant dans un lieu secret le susdit Serge, il\nlui demandait conseil sur toutes choses, et disait ensuite au peuple que\nc\u2019\u00e9tait l\u2019archange Gabriel qui le conseillait. Ainsi tout le peuple se\nlaissa s\u00e9duire et l\u2019accepta pour chef. On dit aussi que Serge, qui avait\n\u00e9t\u00e9 moine, voulut que les Sarrasins rev\u00eatissent l\u2019habit monacal, ou du\nmoins la cagoule sans le capuchon, et que, \u00e0 l\u2019imitation des moines, ils\nfissent, \u00e0 heure fixe, de nombreuses g\u00e9nuflexions et pri\u00e8res, mais en se\ntournant vers le midi, pour se distinguer des Juifs, qui se tournaient\nvers l\u2019occident, et des chr\u00e9tiens, qui se tournaient vers l\u2019orient. Et,\nen effet, ce sont des pratiques que les Sarrasins observent encore\naujourd\u2019hui. Nombreuses sont les lois que Mahomet, \u00e0 l\u2019instigation de\nSerge, prit dans la loi mosa\u00efque. C\u2019est ainsi que les Sarrasins font de\nfr\u00e9quentes ablutions; avant de prier, ils doivent se purifier en se\nlavant les mains, les bras, le visage, la bouche et tous les membres de\nleurs corps. Dans leurs pri\u00e8res, ils adorent Dieu, qui n\u2019a point d\u2019\u00e9gal,\net Mahomet, son proph\u00e8te. Ils je\u00fbnent pendant un mois entier de l\u2019ann\u00e9e;\net, pendant ce je\u00fbne, ils ne peuvent manger que la nuit. Aussi longtemps\nqu\u2019il fait assez clair pour qu\u2019on distingue le blanc du noir, ils ne\npeuvent ni manger, ni boire, ni se souiller en s\u2019unissant \u00e0 la femme. Ce\nn\u2019est que depuis le coucher du soleil jusqu\u2019\u00e0 l\u2019aube du jour suivant\nqu\u2019ils peuvent manger, boire et se servir de leurs femmes l\u00e9gitimes. Une\nfois par an, ils doivent se rendre en p\u00e8lerinage \u00e0 la Mecque, o\u00f9 se\ntrouve une maison appel\u00e9e la Maison de Dieu, qu\u2019ils disent avoir \u00e9t\u00e9\nconstruite par Adam, et o\u00f9 ils croient qu\u2019ont pri\u00e9 tous les proph\u00e8tes,\ndepuis Abraham et Isma\u00ebl jusqu\u2019\u00e0 Mahomet. Ils doivent faire le tour de\ncette maison, v\u00eatus de robes sans couture, et jeter des pierres \u00e0\nl\u2019int\u00e9rieur, pour lapider le diable. Toutes les viandes leur sont\npermises, sauf le porc, le sang et les animaux qui ne sont point tu\u00e9s de\nla main des hommes. Chacun d\u2019eux a le droit d\u2019avoir \u00e0 la fois quatre\nfemmes, et de r\u00e9pudier ses femmes trois fois. Ils peuvent, en outre,\navoir, en aussi grande quantit\u00e9 qu\u2019ils veulent, des captives et\nconcubines, qu\u2019ils ont le droit de revendre \u00e0 volont\u00e9, \u00e0 moins qu\u2019elles\nn\u2019aient enfant\u00e9 de leurs \u0153uvres. Ils ont \u00e9galement le droit de prendre\ndes femmes dans leur propre famille, pour fortifier leur race. L\u2019homme\nsurpris avec une femme adult\u00e8re est lapid\u00e9 avec elle; l\u2019homme surpris en\nfornication avec une femme ne lui appartenant pas est frapp\u00e9 de\nquatre-vingts coups de verges. Seul Mahomet pr\u00e9tendit que, par la voix\nde l\u2019ange Gabriel, Dieu lui avait permis d\u2019approcher les femmes des\nautres, afin d\u2019engendrer des sages et des proph\u00e8tes. Un jour, cependant,\nun de ses esclaves, qui avait une femme tr\u00e8s belle, l\u2019ayant trouv\u00e9e avec\nMahomet, la r\u00e9pudia. Et Mahomet la prit chez lui avec ses autres femmes;\nmais, craignant les murmures du peuple, il raconta qu\u2019une charte lui\navait \u00e9t\u00e9 donn\u00e9e du ciel, d\u2019apr\u00e8s laquelle la femme r\u00e9pudi\u00e9e par son\nmari appartenait \u00e0 celui qui l\u2019avait recueillie: loi que les Sarrasins\nobservent encore aujourd\u2019hui. Quand l\u2019un d\u2019entre eux est accus\u00e9 en\njustice, il n\u2019a qu\u2019\u00e0 affirmer, sous serment, son innocence pour \u00eatre\nacquitt\u00e9. Les voleurs sont d\u2019abord battus de verges; \u00e0 la seconde\nr\u00e9cidive on leur coupe une main; \u00e0 la troisi\u00e8me, un pied. Enfin, l\u2019usage\ndu vin est absolument interdit. A ceux qui ob\u00e9issent \u00e0 tous les\ncommandements de sa loi, Mahomet promet le paradis, c\u2019est-\u00e0-dire un\njardin de d\u00e9lices tout arros\u00e9 de cours d\u2019eau, o\u00f9 ils auront des demeures\n\u00e9ternelles, un ciel toujours pur et doux, des mets excellents, des\nv\u00eatements de soie, et o\u00f9 ils pourront s\u2019accoupler en mille fa\u00e7ons\nvoluptueuses avec des vierges d\u2019une beaut\u00e9 surnaturelle. Des anges s\u2019y\nprom\u00e8neront \u00e0 toute heure, leur offrant du lait et du vin dans des vases\nd\u2019or et d\u2019argent. Ses \u00e9lus y verront aussi trois fleuves, l\u2019un de lait,\nl\u2019autre de miel et l\u2019autre de vin. Et ils y verront des anges si grands\nqu\u2019ils auront besoin d\u2019une journ\u00e9e enti\u00e8re pour mesurer l\u2019espace compris\nentre leurs deux yeux. Ceux qui ne croient pas en Mahomet seront au\ncontraire condamn\u00e9s \u00e0 un enfer sans fin. Mais de quelques p\u00e9ch\u00e9s qu\u2019un\nhomme soit charg\u00e9, si, dans l\u2019instant de sa mort, il croit \u00e0 Mahomet,\ncelui-ci obtiendra de Dieu son salut \u00e0 l\u2019heure du jugement.\nLes Sarrasins croient encore bien d\u2019autres choses au sujet de leur faux\nproph\u00e8te: par exemple que Dieu, en cr\u00e9ant le ciel et la terre, avait\ndevant les yeux le nom de Mahomet, et que, si Mahomet n\u2019avait pas d\u00fb\nna\u00eetre, Dieu n\u2019aurait cr\u00e9\u00e9 ni le ciel ni la terre. On raconte aussi que\nMahomet a pris la lune dans son sein, l\u2019a partag\u00e9e en deux, puis\nreform\u00e9e enti\u00e8re. On raconte que, des ennemis voulant lui faire avaler\ndu poison dans de la viande d\u2019agneau, l\u2019agneau lui aurait dit:\n\u00abGarde-toi de me manger, car j\u2019ai en moi du poison!\u00bb Ce qui n\u2019emp\u00eacha\npas Mahomet de mourir empoisonn\u00e9.\nCharlemagne.\nIII. Mais il est temps que notre plume revienne \u00e0 l\u2019histoire des\nLombards. Ceux-ci, donc, bien qu\u2019ils eussent re\u00e7u la foi du Christ,\ncausaient cependant de nombreux ennuis \u00e0 l\u2019empire romain. Mais plus\ntard, P\u00e9pin, le maire du palais du roi des Francs, \u00e9tant mort, son fils\nCharles Martel lui succ\u00e9da, qui, apr\u00e8s de nombreuses victoires, laissa\nsa charge \u00e0 ses deux fils Charles et P\u00e9pin. Mais Charles, renon\u00e7ant au\nmonde, entra au monast\u00e8re du Mont Cassin, tandis que son fr\u00e8re P\u00e9pin,\nsans avoir le titre de roi, g\u00e9rait vaillamment le royaume des Francs. Le\nroi v\u00e9ritable, Child\u00e9ric, au contraire, \u00e9tait paresseux et inutile, de\ntelle sorte que P\u00e9pin demanda au pape Zacharie si, se contentant d\u2019avoir\nle nom de roi, cet incapable devait continuer \u00e0 r\u00e9gner. A quoi le pape\nr\u00e9pondit que celui-l\u00e0 devait \u00eatre roi qui savait bien g\u00e9rer le royaume.\nCe qu\u2019entendant les Francs enferm\u00e8rent Child\u00e9ric dans un monast\u00e8re et\nfirent roi P\u00e9pin, en l\u2019an du Seigneur 750.\nOr, peu de temps apr\u00e8s, Astolphe, roi des Lombards, d\u00e9pouilla l\u2019Eglise\nromaine de ses possessions; et le pape Etienne, qui avait succ\u00e9d\u00e9 \u00e0\nZacharie, r\u00e9clama contre eux l\u2019aide du roi P\u00e9pin. Celui-ci vint en\nItalie avec une nombreuse arm\u00e9e, assi\u00e9gea le roi Astolphe, et obtint de\nlui quarante otages, comme gage de sa promesse de ne plus inqui\u00e9ter\nl\u2019Eglise romaine et de lui rendre tout ce qu\u2019il lui avait enlev\u00e9. Mais\nd\u00e8s que P\u00e9pin se fut retir\u00e9, Astolphe tint pour nulles toutes ses\npromesses: ce dont il ne tarda pas \u00e0 \u00eatre puni, car, peu apr\u00e8s, au\nmoment o\u00f9 il partait pour la chasse, il mourut subitement. Il eut pour\nsuccesseur Desiderius.\nC\u2019est vers le m\u00eame temps que le roi des Goths, Th\u00e9odoric, qui gouvernait\nl\u2019Italie par ordre de l\u2019empereur, et qui \u00e9tait infect\u00e9 de l\u2019h\u00e9r\u00e9sie\narienne, exila le philosophe Bo\u00ebce, qui, avec son gendre Symmaque, avait\nillustr\u00e9 la r\u00e9publique et d\u00e9fendu l\u2019autorit\u00e9 du S\u00e9nat romain. Exil\u00e9 \u00e0\nPavie, Bo\u00ebce y \u00e9crivit son livre de la _Consolation_. Il fut ensuite mis\n\u00e0 mort par ordre de Th\u00e9odoric. Sa femme, nomm\u00e9e Elp\u00e8s, passe pour \u00eatre\nl\u2019auteur de l\u2019hymne des ap\u00f4tres Pierre et Paul, qui commence ainsi:\n_Felix per omnes festum mundi cardines_. Elle composa aussi sa propre\n\u00e9pitaphe, ainsi con\u00e7ue:\n Elpes dicta fui, Sicili\u00e6 regionis alumna,\n Quam procul a patria conjugis egit amor;\n Porticibus sacris jam nunc peregrina quiesco,\n Judicis oberni testificata thronum.\nLe roi Th\u00e9odoric mourut subitement. Saint Gr\u00e9goire raconte qu\u2019un saint\nermite le vit enfoncer, nu, dans la chaudi\u00e8re de Vulcain, par le pape\nJean et Symmaque, qu\u2019il avait mis \u00e0 mort.\nEn l\u2019an du Seigneur 687, florissait en Angleterre le v\u00e9n\u00e9rable B\u00e8de,\npr\u00eatre et moine, qui a sa place parmi les saints, mais que l\u2019Eglise\nappelle d\u2019ordinaire le \u00abV\u00e9n\u00e9rable\u00bb, et non le \u00absaint\u00bb. On raconte, en\neffet, qu\u2019un jour, dans sa vieillesse, sa vue s\u2019\u00e9tant obscurcie, il se\nfaisait conduire par un guide, au bras duquel il allait par villes et\nvillages, pr\u00eachant la parole de Dieu. Or un jour, comme il traversait\nune vall\u00e9e d\u00e9serte jonch\u00e9e de grosses pierres, le guide, par moquerie,\ndit \u00e0 B\u00e8de qu\u2019il y avait l\u00e0 une foule nombreuse, qui attendait en\nsilence sa pr\u00e9dication. Le vieillard se mit donc \u00e0 pr\u00eacher; et au moment\no\u00f9 il terminait son discours par les mots _Per omnia secula seculorum_,\ntoutes les pierres lui r\u00e9pondirent \u00e0 haute voix, _Amen, venerabilis\npater_! On raconte aussi que, apr\u00e8s sa mort, un pr\u00eatre s\u2019occupait \u00e0\n\u00e9crire un distique latin qu\u2019il voulait faire graver sur son tombeau. Il\navait d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit le premier vers: _Hac sunt in fossa_, et il avait\nd\u2019abord song\u00e9 \u00e0 mettre au second vers: _Bed\u00e6 sancti ossa_. Mais ce\nsecond vers n\u2019allait pas bien pour la mesure: de sorte que le pr\u00eatre se\ncoucha, se r\u00e9servant de r\u00e9fl\u00e9chir jusqu\u2019au lendemain. En voici que, le\nlendemain, en arrivant au tombeau, il trouva le distique compl\u00e9t\u00e9 ainsi\nde la main des anges:\n Hac sunt in fossa\n Bed\u00e6 venerabilis ossa.\nEt l\u2019on raconte encore que le v\u00e9n\u00e9rable B\u00e8de, au jour de l\u2019Ascension, se\nfit transporter \u00e0 l\u2019autel, o\u00f9 il r\u00e9cita jusqu\u2019au bout l\u2019antienne _O Rex\nglori\u00e6, Domine virtutum_; apr\u00e8s quoi il s\u2019endormit dans le Seigneur, et\nun parfum sortit de lui, si doux, que tous se croyaient transport\u00e9s en\nparadis. Son corps est conserv\u00e9, avec de grands honneurs, dans la ville\nde G\u00eanes.\nVers le m\u00eame temps, \u00e0 savoir en l\u2019an 700, Racord, roi des Frisons, au\nmoment de recevoir le bapt\u00eame, et comme il avait d\u00e9j\u00e0 un de ses pieds\ndans la piscine, demanda tout \u00e0 coup si c\u2019\u00e9tait au ciel ou en enfer que\nse trouvaient la plupart de ses anc\u00eatres; puis, apprenant que c\u2019\u00e9tait en\nenfer, il retira le pied qu\u2019il avait mis dans l\u2019eau, et dit: \u00abMieux vaut\naller avec le plus grand nombre qu\u2019avec le plus petit!\u00bb Mais on raconte\nqu\u2019il n\u2019agit ainsi que sur la promesse fallacieuse du d\u00e9mon, qui lui\navait dit que, trois jours apr\u00e8s, il lui donnerait des biens\nincomparables; et, le quatri\u00e8me jour, ce Racord mourut, d\u2019une mort\nsubite, pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9.--La m\u00eame ann\u00e9e, on raconte qu\u2019en Campanie du\nbl\u00e9, de l\u2019orge et des l\u00e9gumes tomb\u00e8rent du ciel sous forme de pluie.\nEn l\u2019an 740, comme on transportait le corps de saint Beno\u00eet du Mont\nCassin au monast\u00e8re de Fleury-sur-Loire, et le corps de sa s\u0153ur sainte\nScolastique au Mans, un moine du Mont Cassin s\u2019opposa \u00e0 cette\ntranslation; mais les miracles de Dieu et la r\u00e9sistance des Francs\neurent raison de sa d\u00e9fense.--La m\u00eame ann\u00e9e, il y eut un grand\ntremblement de terre, qui d\u00e9truisit certaines villes, et en transporta\nd\u2019autres \u00e0 une distance de plus de six milles, avec tous leurs murs et\ntous leurs habitants. La m\u00eame ann\u00e9e encore fut faite la translation \u00e0\nRome de sainte P\u00e9tronille, fille de l\u2019ap\u00f4tre saint Pierre, sur le\ntombeau de marbre de laquelle ce grand saint avait \u00e9crit lui-m\u00eame: \u00abA\nP\u00e9tronille dor\u00e9e, ma bien ch\u00e8re fille!\u00bb Et c\u2019est encore vers ce temps\nque les Tyriens ravag\u00e8rent l\u2019Arm\u00e9nie. Ces barbares, ayant \u00e9t\u00e9 atteints\nd\u2019une peste, re\u00e7urent des chr\u00e9tiens le conseil de se tondre la t\u00eate en\nforme de croix. Et ils ont gard\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 nos jours cette pratique, en\nsouvenir de la gu\u00e9rison ainsi obtenue.\nA la mort du glorieux P\u00e9pin, son fils Charlemagne monta sur le tr\u00f4ne. Le\npape Adrien lui envoya des l\u00e9gats pour lui demander secours contre le\nroi des Lombards Desiderius, qui, \u00e0 l\u2019exemple de son p\u00e8re Astolphe,\nvexait, en toute mani\u00e8re, l\u2019Eglise romaine. Sur quoi Charles, ayant\nrassembl\u00e9 une grande arm\u00e9e, entra en Italie par le mont Cenis, mit le\nsi\u00e8ge devant Pavie, s\u2019empara de Desiderius et de toute sa famille, les\nexila en Gaule, et rendit \u00e0 l\u2019Eglise tous les droits que les Lombards\nlui avaient enlev\u00e9s. Il avait dans son arm\u00e9e deux vaillants soldats du\nChrist, Amicus et Am\u00e9lius, qui furent tu\u00e9s \u00e0 Mortara, dans la bataille\no\u00f9 Charlemagne d\u00e9fit les Lombards. Et ainsi se termina le r\u00e8gne de ces\nLombards, qui d\u00e9sormais n\u2019eurent plus de chefs que ceux que leur\nd\u00e9signaient les empereurs.\nCharles se rendit ensuite \u00e0 Rome, o\u00f9 le pape, dans un synode de cent\ncinquante-quatre \u00e9v\u00eaques, lui conf\u00e9ra le droit d\u2019\u00e9lire les souverains\npontifes et d\u2019investir, avant leur cons\u00e9cration, les archev\u00eaques et\n\u00e9v\u00eaques des diverses provinces. C\u2019est aussi \u00e0 Rome que le pape sacra\nrois les fils de Charlemagne, P\u00e9pin, roi d\u2019Italie, et Louis, roi\nd\u2019Aquitaine. Mais P\u00e9pin, convaincu d\u2019avoir conspir\u00e9 contre son p\u00e8re, fut\ntonsur\u00e9 et fait moine.\nEn l\u2019an 780, sous le r\u00e8gne de l\u2019imp\u00e9ratrice Ir\u00e8ne et de son fils\nConstantin, un homme d\u00e9couvrit, sous un mur en Thrace, un coffre de\npierre o\u00f9 se trouvait le cadavre d\u2019un homme avec cette inscription: \u00abLe\nChrist na\u00eetra de la Vierge Marie. Et c\u2019est sous les empereurs Constantin\net Ir\u00e8ne que tu me reverras, \u00f4 soleil!\u00bb\nA la mort d\u2019Adrien, L\u00e9on fut \u00e9lu pape, homme infiniment v\u00e9n\u00e9rable, mais\n\u00e0 qui les proches d\u2019Adrien firent crever les yeux et couper la langue\npar la populace, pendant qu\u2019il c\u00e9l\u00e9brait les litanies. Mais Dieu lui\nrendit miraculeusement la vue et la parole; apr\u00e8s quoi Charlemagne le\nr\u00e9installa dans son si\u00e8ge et ch\u00e2tia les coupables.\nAlors les Romains, sur le conseil du pape, l\u2019an du Seigneur 784, d\u2019un\naccord unanime, se s\u00e9par\u00e8rent de l\u2019empire de Constantinople et\nproclam\u00e8rent empereur Charlemagne, qui re\u00e7ut la couronne imp\u00e9riale des\nmains du pape L\u00e9on. Car, bien que depuis Constantin le si\u00e8ge de l\u2019empire\nf\u00fbt transport\u00e9 \u00e0 Constantinople, les empereurs continu\u00e8rent \u00e0 garder le\ntitre d\u2019empereurs romains jusqu\u2019au jour o\u00f9 ce titre fut d\u00e9cern\u00e9 au roi\ndes Francs. Et, depuis ce temps, il y eut deux empires, l\u2019un appel\u00e9 Grec\nou d\u2019Orient, l\u2019autre romain.\nC\u2019est au temps de Charlemagne, et \u00e0 son instigation, que l\u2019office\nambrosien fut solennellement remplac\u00e9 par l\u2019office gr\u00e9gorien. Saint\nAmbroise, pers\u00e9cut\u00e9 par l\u2019imp\u00e9ratrice Justine et les siens, et s\u2019\u00e9tant\nr\u00e9fugi\u00e9 dans son \u00e9glise avec la foule des catholiques, avait fait\nchanter, \u00e0 la mani\u00e8re orientale, des hymnes et des psaumes, pour\nemp\u00eacher les fid\u00e8les de sentir le poids de leur r\u00e9clusion. Et son\ninstitution fut ensuite adopt\u00e9e dans toutes les \u00e9glises: mais saint\nGr\u00e9goire, plus tard, y fit nombre de changements, d\u2019additions et de\nsuppressions. D\u2019ailleurs, c\u2019est par une longue suite de modifications\nque les P\u00e8res ont constitu\u00e9 l\u2019office divin. Par exemple, on a commenc\u00e9\nla messe de trois mani\u00e8res diff\u00e9rentes: on la commen\u00e7ait d\u2019abord par des\nle\u00e7ons, comme cela se fait encore au samedi saint; plus tard le pape\nC\u00e9lestin rempla\u00e7a les le\u00e7ons par des psaumes; et saint Gr\u00e9goire ne garda\nqu\u2019un verset du psaume de l\u2019_Intro\u00eft_, qui, avant lui, se chantait tout\nentier. Les psaumes, autrefois, \u00e9taient chant\u00e9s par tous les fid\u00e8les,\nformant une couronne autour de l\u2019autel: de l\u00e0 vient le nom de _ch\u0153ur_\ndonn\u00e9 \u00e0 la partie de l\u2019\u00e9glise qui entoure l\u2019autel. Plus tard Flavien et\nTh\u00e9odore firent chanter les psaumes alternativement, ayant appris cet\nusage de saint Ignace, \u00e0 qui Dieu lui-m\u00eame l\u2019avait r\u00e9v\u00e9l\u00e9. Ensuite saint\nJ\u00e9r\u00f4me ajouta, au chant des psaumes, l\u2019\u00e9p\u00eetre et l\u2019\u00e9vangile. Saint\nAmbroise, G\u00e9lase et saint Gr\u00e9goire ajout\u00e8rent d\u2019autres chants et\nd\u2019autres pri\u00e8res: c\u2019est d\u2019eux que vient l\u2019usage de chanter les graduels,\nles traits et l\u2019Alleluia. Dans le _Gloria in excelsis_, les mots\n_Laudamus te_ et suivants furent ajout\u00e9s, d\u2019apr\u00e8s les uns, par saint\nHilaire, d\u2019apr\u00e8s d\u2019autres par le pape Symmaque ou encore par le pape\nT\u00e9lesphore. Notker, abb\u00e9 de Saint-Gall, composa le premier des s\u00e9quences\npour \u00eatre chant\u00e9es \u00e0 la place des neumes de l\u2019Alleluia; et le pape\nNicolas permit de chanter ces s\u00e9quences \u00e0 la messe. Germain de Tr\u00e8ves\ncomposa le _Rex omnipotens_, le _Sancti spiritus adsit_, l\u2019_Ave maria_,\net l\u2019Antienne _Alma Redemptoris Mater_. L\u2019\u00e9v\u00eaque Pierre de Compostelle\ncomposa le _Salve Regina_. Et Sigebert affirme, d\u2019autre part, que c\u2019est\nau roi de France Robert que nous devons la s\u00e9quence: _Sancti spiritus_.\nCharlemagne, au dire de l\u2019archev\u00eaque Turpin, \u00e9tait beau, mais d\u2019aspect\nfarouche. Sa taille avait huit pieds de longueur, son visage une palme\net demie, sa barbe une palme, et son front un pied. Il \u00e9tait si fort,\nqu\u2019il tranchait d\u2019un seul coup d\u2019\u00e9p\u00e9e un cavalier arm\u00e9 et son cheval,\nredressait \u00e0 la fois quatre fers \u00e0 cheval et levait de terre, d\u2019une\nseule main, jusqu\u2019\u00e0 la hauteur de sa t\u00eate, un soldat en armes. Il\nmangeait un li\u00e8vre entier ou deux poules, ou une oie, mais \u00e9tait si\nsobre pour sa boisson, faite de vin coup\u00e9 d\u2019eau, qu\u2019il buvait rarement\nplus de trois fois par repas. Il construisit de nombreux monast\u00e8res et\nmourut saintement, faisant du Christ son h\u00e9ritier.\nIl eut pour successeur \u00e0 l\u2019empire, en l\u2019an 815, son fils Louis le\nD\u00e9bonnaire, sous le r\u00e8gne duquel les \u00e9v\u00eaques et pr\u00eatres renonc\u00e8rent \u00e0\nporter des ceintures brod\u00e9es d\u2019or, des manteaux pr\u00e9cieux et autres\nornements s\u00e9culiers. L\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Orl\u00e9ans Th\u00e9odule, faussement accus\u00e9\naupr\u00e8s de Louis, fut emprisonn\u00e9 par lui \u00e0 Angers. Mais un jour que\nl\u2019empereur, \u00e0 la f\u00eate des Rameaux, suivait une procession qui passait\ndevant la prison, Th\u00e9odule chanta, par la fen\u00eatre, les beaux vers qu\u2019il\nvenait de composer: _Gloria, laus et honor tibi sit_, etc.; et\nl\u2019empereur en fut si charm\u00e9 qu\u2019il remit l\u2019\u00e9v\u00eaque en libert\u00e9 et lui\nrendit son si\u00e8ge.--A ce m\u00eame empereur Louis, les envoy\u00e9s de l\u2019empereur\ngrec Michel apport\u00e8rent, entre autres pr\u00e9sents, la traduction latine des\nlivres de saint Denis sur la _hi\u00e9rarchie_; le livre fut d\u00e9pos\u00e9 dans\nl\u2019\u00e9glise du saint, et, la m\u00eame nuit, dix-neuf malades y furent gu\u00e9ris.\nA la mort de Louis, l\u2019empire \u00e9chut \u00e0 Lothaire: mais les fr\u00e8res de\ncelui-ci, Charles et Louis, lui firent la guerre, et il y eut en France\nun carnage sans pareil. Enfin, par trait\u00e9, Charles r\u00e9gna sur la France,\nLouis sur l\u2019Allemagne et Lothaire sur l\u2019Italie, ainsi que sur cette\npartie de la France qui s\u2019est appel\u00e9e depuis Lotharingie ou Lorraine. Ce\nm\u00eame Lothaire, plus tard, transmit l\u2019empire \u00e0 son fils Louis et rev\u00eatit\nl\u2019habit monacal.\nLe pape d\u2019alors \u00e9tait Serge, un Romain qui avait pour premier nom, \u00e0 ce\nque l\u2019on dit, Bouche de Porc. C\u2019est depuis ce temps que les papes eurent\n\u00e0 changer de nom en montant sur le tr\u00f4ne apostolique: d\u2019abord parce que\nle Seigneur a chang\u00e9 les noms de ses ap\u00f4tres; en second lieu pour\nsignifier qu\u2019un pape doit changer de vie et devenir parfait; en\ntroisi\u00e8me lieu pour emp\u00eacher qu\u2019un homme occupant une fonction si belle\nsoit forc\u00e9 de porter un vilain nom.\nC\u2019est sous le r\u00e8gne de l\u2019empereur Louis qu\u2019\u00e0 Brescia, en Italie, on vit\npleuvoir du sang pendant trois jours et trois nuits. Vers le m\u00eame temps\nd\u2019innombrables sauterelles envahirent la Gaule, ayant six paires\nd\u2019ailes, six pieds et deux dents dures comme des pierres. Elles\ntravers\u00e8rent tout le royaume, d\u00e9truisant partout la v\u00e9g\u00e9tation, jusqu\u2019\u00e0\nce qu\u2019enfin une temp\u00eate les noya dans la mer de Bretagne; mais leurs\ncadavres, rejet\u00e9s sur le rivage, amen\u00e8rent, en pourrissant, une peste\nqui fit mourir le tiers de la population.\nLes empereurs allemands.\nIV. En l\u2019an 938, l\u2019empire \u00e9chut \u00e0 Othon Ier. Celui-ci, un jour de\nP\u00e2ques, avait fait pr\u00e9parer un grand repas pour les princes, ses\nvassaux. Et le petit gar\u00e7on d\u2019un de ces princes, ayant pris un plat sur\nla table, fut renvers\u00e9 \u00e0 terre, d\u2019un coup de b\u00e2ton, par l\u2019officier qui\nportait les plats. Le pr\u00e9cepteur de l\u2019enfant tua aussit\u00f4t cet officier;\net, comme l\u2019empereur voulait le condamner sans jugement, cet homme le\nrenversa lui-m\u00eame et voulut l\u2019\u00e9trangler. Mais Othon, arrach\u00e9 de ses\nmains, pardonna au pr\u00e9cepteur, disant que lui-m\u00eame avait \u00e9t\u00e9 coupable de\nn\u2019avoir pas respect\u00e9 le caract\u00e8re sacr\u00e9 de la f\u00eate.\nA Othon Ier succ\u00e9da Othon II. Celui-ci, apprenant que les Italiens\nviolaient souvent la paix, vint \u00e0 Rome, et y offrit un grand banquet,\nsur les marches de l\u2019\u00e9glise, \u00e0 tous les princes et pr\u00e9lats de la ville.\nEt, pendant qu\u2019ils mangeaient, l\u2019empereur les fit tous charger de\ncha\u00eenes; puis, leur reprochant am\u00e8rement la violation de la paix, il fit\ntrancher la t\u00eate \u00e0 ceux qui \u00e9taient coupables, et permit aux autres\nd\u2019achever leur repas.\nIl eut pour successeur, en l\u2019an 984, Othon III, surnomm\u00e9 Merveille du\nMonde. Ce prince avait une femme qui voulait se prostituer \u00e0 un certain\ncomte. Et comme celui-ci se refusait \u00e0 un tel crime, elle le noircit\naupr\u00e8s de l\u2019empereur, qui le fit d\u00e9capiter sans jugement. Mais le comte,\navant de subir sa peine, pria sa femme de prouver son innocence, apr\u00e8s\nsa mort, par l\u2019\u00e9preuve du fer rouge. Un jour donc, la veuve se pr\u00e9sente\ndevant l\u2019empereur avec la t\u00eate de son mari et lui demande de quel\nch\u00e2timent est digne celui qui a mis \u00e0 mort un innocent. L\u2019empereur lui\nr\u00e9pond qu\u2019un tel homme est digne de la mort. Et la veuve: \u00abC\u2019est toi qui\nes cet homme: car, \u00e0 la suggestion de ta femme, tu as fait p\u00e9rir mon\nmari innocent; et je m\u2019offre \u00e0 le confirmer par l\u2019\u00e9preuve du fer rouge!\u00bb\nCe que voyant, l\u2019empereur, stup\u00e9fait, se remit entre les mains de cette\nfemme, pour \u00eatre puni. Mais le pape intervint, et obtint de la veuve,\nsuccessivement, quatre d\u00e9lais, dont l\u2019un \u00e9tait de dix jours, l\u2019autre de\nhuit, l\u2019autre de sept et l\u2019autre de six. Alors l\u2019empereur, ayant examin\u00e9\nla cause et reconnu la v\u00e9rit\u00e9, ordonna que sa femme f\u00fbt br\u00fbl\u00e9e vive, et\nc\u00e9da \u00e0 la veuve, pour racheter sa faute, quatre ch\u00e2teaux. Ces ch\u00e2teaux\nse voient encore aujourd\u2019hui dans le dioc\u00e8se de Luna, et ne portent\nd\u2019autres noms que les chiffres Dix, Huit, Sept et Six.\nL\u2019empire \u00e9chut ensuite \u00e0 saint Henri, prince de Bavi\u00e8re. Ce prince maria\nsa s\u0153ur, nomm\u00e9e Galla, au roi de Hongrie Etienne, encore pa\u00efen, et qu\u2019il\nconvertit ainsi que tout son peuple. Et Etienne acquit une telle pi\u00e9t\u00e9\nqu\u2019il m\u00e9rita de devenir saint lui aussi, et de faire de nombreux\nmiracles. Quant \u00e0 l\u2019empereur Henri et \u00e0 sa femme Cun\u00e9gonde, ils v\u00e9curent\nensemble dans la chastet\u00e9 et s\u2019endormirent en Dieu.\nA saint Henri succ\u00e9da Conrad, qui avait \u00e9pous\u00e9 la ni\u00e8ce du saint. Il\nemprisonna bon nombre d\u2019\u00e9v\u00eaques italiens, et incendia un faubourg de\nMilan, ville dont l\u2019\u00e9v\u00eaque s\u2019\u00e9tait \u00e9vad\u00e9 de sa prison. Mais, le jour de\nla Pentec\u00f4te, comme l\u2019empereur assistait \u00e0 la messe dans une petite\n\u00e9glise voisine de Milan, cette \u00e9glise fut soudain secou\u00e9e de coups de\nfoudre et d\u2019\u00e9clairs si violents que bon nombre d\u2019assistants moururent de\nfrayeur. Et l\u2019\u00e9v\u00eaque Bruno, qui c\u00e9l\u00e9brait la messe, et le secr\u00e9taire de\nl\u2019empereur, et d\u2019autres encore dirent qu\u2019ils avaient vu, pendant la\nmesse, saint Ambroise debout devant Conrad, et le mena\u00e7ant.\nSous le r\u00e8gne de ce Conrad, en l\u2019an 1025, un certain comte L\u00e9opold,\ncraignant la col\u00e8re du roi, s\u2019\u00e9tait r\u00e9fugi\u00e9 dans une \u00eele, o\u00f9 il habitait\nune cabane avec sa femme, qui \u00e9tait enceinte. Or l\u2019empereur, comme il\nchassait dans cette \u00eele, fut surpris par la nuit, et dut demander\nl\u2019hospitalit\u00e9 dans la cabane. La m\u00eame nuit, la femme de L\u00e9opold mit au\njour un fils; et une voix dit \u00e0 Conrad que l\u2019enfant qui venait de na\u00eetre\nserait son gendre. Le lendemain, Conrad ordonna \u00e0 deux de ses hommes\nd\u2019enlever par force cet enfant, de le tuer, et de lui apporter son c\u0153ur.\nMais les deux hommes, touch\u00e9s de piti\u00e9 \u00e0 la vue du bel enfant, le\npos\u00e8rent sur un arbre, et apport\u00e8rent \u00e0 l\u2019empereur le c\u0153ur d\u2019un li\u00e8vre.\nEt un prince qui passait par l\u00e0 entendit les vagissements de l\u2019enfant,\nle recueillit, et, n\u2019ayant point d\u2019enfant de sa femme, il le fit passer\npour son propre fils. Et cet enfant, nomm\u00e9 Henri, \u00e9tait si beau, si\nsage, et si plaisant en toute mani\u00e8re, que Conrad, l\u2019ayant vu, d\u00e9sira le\ngarder pr\u00e8s de lui. Mais bient\u00f4t un doute lui vint, et il crut\nreconna\u00eetre dans ce jeune homme l\u2019enfant dont il avait jadis ordonn\u00e9 la\nmort. Pour se d\u00e9barrasser de lui, il le chargea de porter \u00e0\nl\u2019imp\u00e9ratrice une lettre o\u00f9 il avait \u00e9crit ceci: \u00abD\u00e8s que cette lettre\nte parviendra, ne manque pas de faire mourir le jeune homme qui te\nl\u2019aura apport\u00e9e!\u00bb Mais Henri s\u2019arr\u00eata, en chemin, dans un ermitage, et\ns\u2019y endormit de fatigue. L\u2019ermite, voyant la lettre imp\u00e9riale, dont le\nsceau s\u2019\u00e9tait ouvert, eut la curiosit\u00e9 de la lire: et, l\u2019ayant lue, et\nayant eu horreur du crime projet\u00e9, il y substitua ces mots: \u00abDonne notre\nfille en mariage au porteur de cette lettre!\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019imp\u00e9ratrice,\nvoyant cette lettre rev\u00eatue du sceau imp\u00e9rial, fit c\u00e9l\u00e9brer, \u00e0\nAix-la-Chapelle, les noces de sa fille avec le jeune Henri. Ce\nqu\u2019apprenant, l\u2019empereur comprit l\u2019inutilit\u00e9 de lutter davantage contre\nla volont\u00e9 de Dieu, et d\u00e9cida que son gendre r\u00e9gnerait apr\u00e8s lui. A\nl\u2019endroit o\u00f9 naquit Henri s\u2019\u00e9l\u00e8ve aujourd\u2019hui encore le c\u00e9l\u00e8bre\nmonast\u00e8re d\u2019Ursanie. Et Henri, devenu empereur, \u00e9loigna de sa cour tous\nles jongleurs, pour donner aux pauvres tout l\u2019argent qu\u2019on leur donnait.\nSous son r\u00e8gne un grand schisme se fit dans l\u2019Eglise, et trois papes\nfurent \u00e9lus en m\u00eame temps. Apr\u00e8s quoi ils vendirent, tous trois, leur\ntitre \u00e0 un pr\u00eatre nomm\u00e9 Gratien qui, lorsque l\u2019empereur Henri marcha sur\nRome pour faire cesser le schisme, alla au devant de lui et lui offrit\nune couronne d\u2019or, esp\u00e9rant ainsi se le rendre favorable. Mais Henri,\nayant convoqu\u00e9 le synode, convainquit ce Gratien de simonie, le d\u00e9posa,\net fit proc\u00e9der \u00e0 l\u2019\u00e9lection d\u2019un nouveau pape: encore que, d\u2019apr\u00e8s\nd\u2019autres auteurs, ce serait Gratien lui-m\u00eame qui, reconnaissant son\nerreur, aurait demand\u00e9 \u00e0 Henri d\u2019\u00eatre d\u00e9pos\u00e9.\nA cet Henri succ\u00e9da un autre Henri. Sous son r\u00e8gne, Bruno fut \u00e9lu pape,\nqui prit le nom de L\u00e9on, et qui composa les hymnes d\u2019un grand nombre de\nsaints. Comme il se rendait \u00e0 Rome, pour prendre possession de son\nsi\u00e8ge, il entendit chanter par les anges l\u2019intro\u00eft _Dicit Dominus, ego\ncogito_, etc. C\u2019est aussi \u00e0 ce moment que l\u2019Eglise fut troubl\u00e9e par\nl\u2019h\u00e9r\u00e9sie de B\u00e9renger, qui pr\u00e9tendait que le corps et le sang du Christ\nne se trouvaient point r\u00e9ellement dans l\u2019hostie, mais y \u00e9taient\nseulement figur\u00e9s: h\u00e9r\u00e9sie qui fut remarquablement r\u00e9fut\u00e9e par Lanfranc\nde Pavie, prieur du Bec, qui fut le ma\u00eetre de saint Anselme de\nCantorbery.\nPuis r\u00e9gna Henri IV, sous le r\u00e8gne de qui fleurit Lanfranc. Et c\u2019est\nalors que, attir\u00e9 par l\u2019enseignement de ce docteur, vint \u00e0 lui le\nBourguignon Anselme, qui devait ensuite lui succ\u00e9der dans le prieur\u00e9 du\nBec. Sous le m\u00eame r\u00e8gne, J\u00e9rusalem, qui avait \u00e9t\u00e9 prise par les\nSarrazins, fut reconquise par les fid\u00e8les. C\u2019est aussi le temps o\u00f9 les\nrestes de saint Nicolas furent transport\u00e9s \u00e0 Bari. Du couvent de Molesme\nsortirent vingt et un moines, avec leur abb\u00e9 saint Robert, pour aller\nfonder un ordre nouveau dans la solitude de C\u00eeteaux. Le prieur de Cluny\nHildebrand fut \u00e9lu pape sous le nom de Gr\u00e9goire. Hildebrand, tandis\nqu\u2019il n\u2019\u00e9tait encore que l\u00e9gat \u00e0 Lyon, convainquit miraculeusement de\nsimonie l\u2019archev\u00eaque d\u2019Embrun. Cet archev\u00eaque corrompait tous ses\naccusateurs et l\u2019on ne parvenait pas \u00e0 le convaincre. Mais Hildebrand\nlui ordonna de dire: \u00abGloire au P\u00e8re, au Fils, et au Saint-Esprit!\u00bb Et\nl\u2019archev\u00eaque disait bien: \u00abGloire au P\u00e8re, et au Fils\u00bb, mais en vain il\ns\u2019effor\u00e7ait d\u2019ajouter: \u00abEt au Saint-Esprit\u00bb: car il avait p\u00e9ch\u00e9 contre\nle Saint-Esprit. Alors il reconnut son p\u00e9ch\u00e9, fut d\u00e9pos\u00e9, et put de\nnouveau nommer \u00e0 haute voix le Saint-Esprit. Ce miracle nous est racont\u00e9\npar Bonizzi, dans le livre qu\u2019il a d\u00e9di\u00e9 \u00e0 la comtesse Mathilde. En l\u2019an\n1107, Henri IV mourut \u00e0 Spire, et y fut enseveli avec les empereurs\npr\u00e9c\u00e9dents: et l\u2019on grava ce vers, sur son tombeau:\n Filius h\u00eec, pater h\u00eec, avus h\u00eec, proavus jacet istic.\nA Henri IV succ\u00e9da Henri V, qui s\u2019empara du pape et des cardinaux, et ne\nles remit en libert\u00e9 qu\u2019en \u00e9change du droit d\u2019investir les \u00e9v\u00eaques et\nles abb\u00e9s. C\u2019est sous son r\u00e8gne que saint Bernard, avec ses fr\u00e8res,\nentra au monast\u00e8re de C\u00eeteaux. Dans la paroisse de Li\u00e8ge, une truie\nenfanta un pourceau qui avait un visage d\u2019homme; ailleurs naquit un\npoulet avec quatre pattes.\nA Henri V succ\u00e9da Lothaire. Sous son r\u00e8gne naquit en Espagne un monstre\nqui avait deux corps et deux visages, \u00e0 moiti\u00e9 homme, \u00e0 moiti\u00e9 chien.\nSous Conrad, qui fut fait empereur en 1138, mourut le savant et pieux\ndocteur Hugues de Saint-Victor. Dans sa derni\u00e8re maladie, ne pouvant\nplus prendre aucune nourriture, il demandait cependant \u00e0 recevoir\nl\u2019hostie sainte. Les fr\u00e8res, pour le calmer, lui apport\u00e8rent une hostie\nnon consacr\u00e9e. Mais lui: \u00abMes fr\u00e8res, pourquoi voulez-vous me tromper?\nCe n\u2019est point mon Seigneur que vous m\u2019avez apport\u00e9 l\u00e0!\u00bb Alors ils lui\napport\u00e8rent une hostie consacr\u00e9e. Et lui, voyant qu\u2019il ne pouvait pas\nl\u2019avaler, leva les mains au ciel, et dit: \u00abQue le Fils remonte vers le\nP\u00e8re, et que l\u2019\u00e2me remonte \u00e0 Dieu qui l\u2019a faite!\u00bb Ce disant, il rendit\nl\u2019\u00e2me, et l\u2019hostie disparut miraculeusement.--Sous le m\u00eame r\u00e8gne,\nEug\u00e8ne, abb\u00e9 du monast\u00e8re de Saint-Anastase, est \u00e9lu pape. Renvoy\u00e9 de\nRome, o\u00f9 les s\u00e9nateurs ont nomm\u00e9 un autre pape, il vient en Gaule, et\nenvoie devant lui saint Bernard, qui pr\u00eache les voies de Dieu et fait de\nnombreux miracles.--C\u2019est aussi le temps o\u00f9 fleurit Gilbert de la\nPorr\u00e9e.\nEn l\u2019an 1154, l\u2019empire \u00e9choit \u00e0 Fr\u00e9d\u00e9ric, neveu de Conrad. C\u2019est le\ntemps o\u00f9 fleurit ma\u00eetre Pierre Lombard, \u00e9v\u00eaque de Paris, qui compile\nexcellemment la _Glosse_ du psautier et des Ep\u00eetres de saint\nPaul.--Trois lunes apparaissent au ciel, puis trois soleils, et au\nmilieu le signe de la croix.--Contre le pape canonique Alexandre deux\nautres cardinaux se font nommer papes, et all\u00e8guent la faveur de\nl\u2019empereur. Et ce schisme dure dix-huit ans, pendant lesquels l\u2019arm\u00e9e\nallemande de Fr\u00e9d\u00e9ric attaque les Romains \u00e0 Monte Porto, et les massacre\nen si grand nombre, depuis l\u2019heure de none jusqu\u2019\u00e0 l\u2019heure des v\u00eapres,\nque jamais il n\u2019y eut autant de Romains tu\u00e9s \u00e0 la fois, bien que, jadis,\nAnnibal ait pu remplir trois coffres avec les bagues prises par lui aux\ndoigts des patriciens massacr\u00e9s. Beaucoup des victimes de Fr\u00e9d\u00e9ric sont\nenterr\u00e9es dans l\u2019\u00e9glise des saints Etienne et Laurent.\nFr\u00e9d\u00e9ric, pendant qu\u2019il visite la Terre Sainte et se baigne dans un\nfleuve, est tu\u00e9, ou, suivant d\u2019autres, se noie, en l\u2019an 1190. Il a pour\nsuccesseur son fils Henri. Sous son r\u00e8gne ont lieu des pluies si\nterribles, avec tant de tonnerres, d\u2019\u00e9clairs, et de temp\u00eates, que de\nm\u00e9moire d\u2019homme, on en n\u2019a point connu de pareilles. Des pierres grosses\ncomme des \u0153ufs se m\u00ealent \u00e0 la pluie, d\u00e9truisent les arbres, les vignes,\nles moissons, et tuent nombre d\u2019hommes. Et l\u2019on voit aussi voler dans\nles airs des corbeaux et autres oiseaux qui, portant dans leur bec des\ncharbons allum\u00e9s, incendient les maisons.\nHenri VI s\u2019\u00e9tait montr\u00e9 si tyrannique \u00e0 l\u2019\u00e9gard de l\u2019Eglise que, \u00e0 sa\nmort, le pape Innocent III s\u2019opposa \u00e0 ce que son fr\u00e8re Philippe f\u00fbt \u00e9lu\nempereur, et fit couronner roi d\u2019Allemagne, \u00e0 Aix-la-Chapelle, Othon,\nprince de Saxe. C\u2019est alors que des chevaliers fran\u00e7ais, qui voyageaient\noutre-mer apr\u00e8s la d\u00e9livrance de la Terre Sainte, s\u2019empar\u00e8rent de\nConstantinople. C\u2019est aussi de ce moment que date la cr\u00e9ation de l\u2019ordre\ndes Fr\u00e8res Pr\u00eacheurs, et de tous les autres fr\u00e8res. Et Innocent III\nenvoya aussi des ambassadeurs \u00e0 Philippe, roi de France, pour le sommer\nd\u2019envahir le territoire des Albigeois et de d\u00e9truire l\u2019h\u00e9r\u00e9sie. Sur quoi\nPhilippe, s\u2019\u00e9tant empar\u00e9 des h\u00e9r\u00e9tiques, les fit tous br\u00fbler.\nEnfin Innocent couronna Othon empereur, et lui fit jurer de respecter\nles droits de l\u2019Eglise; mais Othon, sit\u00f4t \u00e9lu, rompit son serment, et\nfit confisquer les biens de tous ceux qui se rendraient en p\u00e8lerinage \u00e0\nRome: sur quoi le pape l\u2019excommunia et le d\u00e9posa de l\u2019empire. C\u2019est\nalors que v\u00e9cut sainte Elisabeth, fille du roi de Hongrie et femme du\nlandgrave de Thuringe: entre autres miracles innombrables, on dit\nqu\u2019elle ressuscita seize morts, rendit la vue \u00e0 un aveugle-n\u00e9, et que,\naujourd\u2019hui encore, une huile d\u00e9coule de ses saintes reliques.\nApr\u00e8s la d\u00e9position d\u2019Othon, Fr\u00e9d\u00e9ric, fils d\u2019Henri, fut \u00e9lu empereur et\ncouronn\u00e9 par le pape Honorius. Ce prince \u00e9dicta d\u2019abord des lois\nexcellentes pour la libert\u00e9 de l\u2019Eglise et contre les h\u00e9r\u00e9tiques. Mais\nplus tard, enivr\u00e9 \u00e0 son tour par l\u2019exc\u00e8s de gloire et de fortune, il se\nmontra tyrannique \u00e0 l\u2019\u00e9gard de l\u2019Eglise, emprisonna deux cardinaux, fit\nsaisir des pr\u00e9lats que le pape Gr\u00e9goire IX convoquait pour un concile,\net se vit excommuni\u00e9 par ce pontife. Puis Gr\u00e9goire, accabl\u00e9 de\ntribulations, mourut, et Innocent IV, G\u00e9nois d\u2019origine, r\u00e9unit \u00e0 Lyon un\nconcile qui d\u00e9posa Fr\u00e9d\u00e9ric. Et, depuis sa d\u00e9position et sa mort, le\nsi\u00e8ge imp\u00e9rial a \u00e9t\u00e9 vacant; il l\u2019est encore \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 nous \u00e9crivons\nceci.\nCLXXIX\nLA D\u00c9DICACE DE L\u2019\u00c9GLISE[25]\n [25] La _D\u00e9dicace de l\u2019Eglise_ \u00e9tait, autrefois, le dernier office du\n _Br\u00e9viaire_, dont la _L\u00e9gende Dor\u00e9e_ n\u2019est qu\u2019une fa\u00e7on d\u2019adaptation\n \u00e0 l\u2019usage du peuple.\nI. La d\u00e9dicace des \u00e9glises est compt\u00e9e par l\u2019Eglise au nombre des\ngrandes f\u00eates. Nous avons \u00e0 consid\u00e9rer, par rapport \u00e0 cette f\u00eate, trois\nquestions: 1\u00ba pourquoi doit-on \u00abd\u00e9dier\u00bb ou consacrer une \u00e9glise? 2\u00ba\ncomment se fait cette cons\u00e9cration? 3\u00ba par qui et comment une \u00e9glise\nest-elle profan\u00e9e?\n1\u00ba Il y a, dans une \u00e9glise, deux choses que l\u2019on doit consacrer, \u00e0\nsavoir l\u2019autel et le temple lui-m\u00eame. L\u2019autel est consacr\u00e9 pour trois\nmotifs: 1\u00ba Pour devenir digne de recevoir le sacrement du Seigneur,\nc\u2019est-\u00e0-dire le corps et le sang du Christ, que nous immolons en\nsouvenir de sa passion, ainsi qu\u2019il nous l\u2019a lui-m\u00eame ordonn\u00e9. Et c\u2019est\nencore pour nous rappeler cette passion et ce sacrement qu\u2019on place sur\nl\u2019autel, et dans toute l\u2019\u00e9glise, l\u2019image du crucifix et d\u2019autres images,\nafin qu\u2019elles soient comme les livres des fid\u00e8les la\u00efcs. 2\u00ba Pour devenir\ndigne de servir de lieu \u00e0 l\u2019invocation du nom du Seigneur. Cette\ninvocation, quand elle se fait sur l\u2019autel, s\u2019appelle proprement\n_missa_, messe, en raison de la mission c\u00e9leste du Christ dans l\u2019hostie.\nEt nous devons noter, \u00e0 ce propos, que la messe se chante en trois\nlangues, en grec, en h\u00e9breu, et en latin, en souvenir de la triple\ninscription mise sur la croix, et aussi pour signifier que toutes les\nlangues doivent c\u00e9l\u00e9brer Dieu. Latins sont l\u2019\u00e9vangile, l\u2019\u00e9p\u00eetre,\nl\u2019oraison et le chant; grecs sont les mots _Kyrie eleison_, _Christe\neleison_, qui se chantent neuf fois en souvenir des neuf ordres des\nanges; enfin h\u00e9breux sont les mots _alleluia_, _amen_, _sabaoth_, et\n_hosanna_. 3\u00ba Pour devenir digne de servir de lieu au chant religieux.\nCe chant lui-m\u00eame est de trois sortes: les psaumes, les le\u00e7ons, et les\nchants proprement dits.\nQuant au temple o\u00f9 se trouve l\u2019autel, l\u2019Eglise le consacre pour cinq\nmotifs: 1\u00ba pour en chasser le diable et son pouvoir. Saint Gr\u00e9goire\nrapporte dans un de ses _Dialogues_ que, lorsque les reliques de saint\nS\u00e9bastien et de sainte Agathe furent d\u00e9pos\u00e9es dans une \u00e9glise qui avait\nservi de temple \u00e0 l\u2019h\u00e9r\u00e9sie arienne, la foule vit un porc courir, \u00e7\u00e0 et\nl\u00e0, se frayant un chemin vers la porte; et d\u00e8s qu\u2019il eut atteint la\nporte il disparut. La nuit suivante, on entendit, dans le toit de cette\n\u00e9glise, un bruit effroyable, comme si quelqu\u2019un courait \u00e7\u00e0 et l\u00e0,\ncherchant \u00e0 s\u2019enfuir. Ce tapage se reproduisit encore les deux nuits\nsuivantes, et avec tant de force qu\u2019on crut bien que l\u2019\u00e9glise allait\ns\u2019\u00e9crouler. Mais la quatri\u00e8me nuit, on ne l\u2019entendit plus, et d\u00e9sormais\nl\u2019\u00e9glise se trouva purifi\u00e9e. 2\u00ba Pour que ceux qui se r\u00e9fugient dans\nl\u2019\u00e9glise puissent \u00eatre sauv\u00e9s. Et c\u2019est en symbole de ce salut spirituel\nque certaines \u00e9glises, lors de leur cons\u00e9cration, re\u00e7oivent des princes\nle privil\u00e8ge du droit d\u2019asile, c\u2019est-\u00e0-dire la permission de mettre \u00e0\nl\u2019abri des poursuites ceux qui viennent s\u2019y r\u00e9fugier. 3\u00ba Pour que les\npri\u00e8res faites dans l\u2019\u00e9glise soient exauc\u00e9es. Notons, ici, que les\npri\u00e8res, dans l\u2019\u00e9glise, s\u2019adressent du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019orient, parce que nous\nconsid\u00e9rons l\u2019orient comme le lieu de l\u2019Eden, notre premi\u00e8re patrie, et\nparce que c\u2019est du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019orient que les ap\u00f4tres ont vu le Christ\nmonter au ciel. 4\u00ba Pour que nous puissions c\u00e9l\u00e9brer, dans le temple, les\nlouanges de Dieu. Ces louanges se c\u00e9l\u00e8brent dans les sept heures\ncanoniques, \u00e0 savoir: matines, prime, tierce, sexte, none, v\u00eapres, et\ncomplies. Car, bien que nous soyons tenus de louer Dieu \u00e0 toute heure,\nl\u2019Eglise, en consid\u00e9ration de notre faiblesse, nous a permis de louer\nsp\u00e9cialement Dieu \u00e0 ces sept moments privil\u00e9gi\u00e9s, dont chacun correspond\n\u00e0 un souvenir sacr\u00e9. C\u2019est en effet, \u00e0 minuit, heure des matines, qu\u2019est\nn\u00e9 le Christ, qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 pris par les Juifs, et qu\u2019il est descendu aux\nenfers. Prime est l\u2019heure o\u00f9 le Christ lui-m\u00eame avait coutume de se\nrendre au temple et c\u2019est aussi l\u2019heure o\u00f9 il apparut aux saintes\nfemmes, apr\u00e8s sa r\u00e9surrection. Tierce est l\u2019heure o\u00f9 le Christ, attach\u00e9\n\u00e0 une colonne qui montre encore les traces de son sang, a \u00e9t\u00e9 flagell\u00e9\npar ordre de Pilate, et c\u2019est aussi l\u2019heure o\u00f9 l\u2019Esprit-Saint a \u00e9t\u00e9\nenvoy\u00e9 aux ap\u00f4tres. Sexte est l\u2019heure o\u00f9 le Christ a \u00e9t\u00e9 attach\u00e9 \u00e0 la\ncroix avec des clous, et o\u00f9 la terre enti\u00e8re s\u2019est couverte de t\u00e9n\u00e8bres.\nNone est l\u2019heure o\u00f9 le Christ a rendu son \u00e2me, o\u00f9 l\u2019on a perc\u00e9 son\nflanc, et o\u00f9 il est mont\u00e9 au ciel. V\u00eapres est l\u2019heure o\u00f9 il a institu\u00e9\nle sacrement de l\u2019Eucharistie, o\u00f9 il a lav\u00e9 les pieds des disciples, o\u00f9\nil a \u00e9t\u00e9 mis au tombeau, et o\u00f9 il est apparu aux disciples d\u2019Emma\u00fcs.\nComplies est l\u2019heure o\u00f9 il a su\u00e9 des gouttes de sang, et o\u00f9, ressuscit\u00e9,\nil est venu annoncer la paix \u00e0 ses disciples. Enfin, 5\u00ba, l\u2019Eglise doit\n\u00eatre consacr\u00e9e pour que puissent y \u00eatre administr\u00e9s les sacrements\neccl\u00e9siastiques.\n2\u00ba--Voyons maintenant de quelle mani\u00e8re se fait la cons\u00e9cration de\nl\u2019autel, et celle du temple entier. Pour consacrer l\u2019autel, on figure\nd\u2019abord, aux quatre coins, quatre croix avec de l\u2019eau b\u00e9nite; puis on\nfait sept fois le tour de l\u2019autel; puis on l\u2019asperge sept fois d\u2019eau\nb\u00e9nite m\u00eal\u00e9e d\u2019hysope; puis on y br\u00fble de l\u2019encens; puis on l\u2019oint avec\nle saint chr\u00eame; enfin on le recouvre d\u2019une nappe immacul\u00e9e. Ces six\nop\u00e9rations symbolisent les vertus que doivent poss\u00e9der ceux qui\napprochent de l\u2019autel. 1\u00ba Ils doivent avoir les quatre sortes d\u2019amour\nsanctionn\u00e9es par la croix du Christ, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019amour de Dieu,\nl\u2019amour de soi-m\u00eame, l\u2019amour des amis, et l\u2019amour des ennemis. Et les\nquatre croix signifient aussi le salut des quatre parties du monde par\nla croix. 2\u00ba Les sept tours de l\u2019autel symbolisent la vigilance que le\nSeigneur exige de ses pr\u00eatres. Et ils peuvent rappeler aussi les sept\nchemins de J\u00e9sus-Christ, \u00e0 savoir: du ciel dans le sein de la Vierge, de\nce sein \u00e0 la cr\u00e8che, de la cr\u00e8che dans le monde, du monde sur la croix,\nde la croix dans le tombeau, du tombeau aux enfers, et des enfers au\nciel. 3\u00ba Les sept aspersions d\u2019eau b\u00e9nite symbolisent les sept fois que\nle Christ a vers\u00e9 son sang, \u00e0 savoir: dans la circoncision, au Jardin\ndes Oliviers, dans la flagellation, dans le couronnement d\u2019\u00e9pines, dans\nle percement de ses mains, dans le percement de ses pieds, et dans le\npercement de son flanc. 4\u00ba La fum\u00e9e de l\u2019encens symbolise la pri\u00e8re, qui\ndoit s\u2019\u00e9lever au ciel avec ferveur et d\u00e9votion. 5\u00ba L\u2019onction du saint\nchr\u00eame signifie que le pr\u00eatre doit avoir la conscience pure et le parfum\nde la bonne r\u00e9putation. 6\u00ba Enfin les nappes immacul\u00e9es symbolisent la\npuret\u00e9 des bonnes \u0153uvres, qui cachent la nudit\u00e9 de l\u2019\u00e2me et l\u2019ornent de\nbeaut\u00e9.\nQuant \u00e0 la cons\u00e9cration du temple tout entier, elle comprend \u00e9galement\nplusieurs parties. D\u2019abord l\u2019\u00e9v\u00eaque fait trois fois le tour de l\u2019\u00e9glise,\net, chaque fois qu\u2019il passe devant la porte, il frappe celle-ci de son\nb\u00e2ton pastoral, en disant: _Aperite portas principes vestras_, etc. Puis\non asperge d\u2019eau b\u00e9nite l\u2019int\u00e9rieur et l\u2019ext\u00e9rieur du temple; on fait\naussi, sur le pav\u00e9, une croix de cendres et de sable, et on y \u00e9crit, en\ntravers, l\u2019alphabet grec et l\u2019alphabet latin; sur les murs, on peint des\ncroix qu\u2019on oint de saint chr\u00eame, et devant lesquelles on allume des\ncierges. Et voici maintenant la signification de ces diverses\nc\u00e9r\u00e9monies: 1\u00ba Le triple tour de l\u2019Eglise signifie que celle-ci est\nconsacr\u00e9e en l\u2019honneur de la Sainte Trinit\u00e9. Ou bien encore il d\u00e9signe\nle triple \u00e9tat des \u00e2mes sauv\u00e9es par l\u2019Eglise, \u00e0 savoir l\u2019\u00e9tat de\nvirginit\u00e9, l\u2019\u00e9tat de continence, et l\u2019\u00e9tat de mariage. Cette distinction\ndes trois \u00e9tats se retrouve, suivant Richard de Saint-Victor, dans la\ndisposition mat\u00e9rielle de l\u2019\u00e9glise: car le sanctuaire correspond \u00e0\nl\u2019\u00e9tat de virginit\u00e9, le ch\u0153ur, \u00e0 l\u2019\u00e9tat de continence, et la nef \u00e0\nl\u2019\u00e9tat de mariage. 2\u00ba La triple percussion \u00e0 la porte symbolise le droit\nqu\u2019a le Christ de p\u00e9n\u00e9trer dans l\u2019\u00e9glise, \u00e0 savoir, en sa qualit\u00e9 de\ncr\u00e9ateur, de r\u00e9dempteur et de glorificateur. 3\u00ba La triple r\u00e9citation de\nla formule _aperite portas_ d\u00e9signe la triple puissance du Seigneur, \u00e0\nsavoir: dans le ciel, dans le monde, et dans l\u2019enfer. 4\u00ba L\u2019aspersion\nd\u2019eau b\u00e9nite a pour objet, d\u2019abord, l\u2019expulsion du d\u00e9mon, que l\u2019eau\nb\u00e9nite a pour vertu propre de chasser. Cette aspersion a aussi pour\nobjet la purification de l\u2019\u00e9glise, qui, comme toutes choses terrestres,\nest corrompue et souill\u00e9e. Et cette aspersion a enfin pour objet de\nrelever l\u2019\u00e9glise de toute mal\u00e9diction, et d\u2019y substituer la b\u00e9n\u00e9diction\nde Dieu. 5\u00ba L\u2019inscription des deux alphabets repr\u00e9sente la conjonction\ndu peuple juif et du peuple des gentils, et aussi la conjonction des\ndeux testaments, lesquelles, toutes deux, ont \u00e9t\u00e9 consomm\u00e9es par la\ncroix du Christ. 6\u00ba La peinture des croix sur les murs a pour objet\nd\u2019effrayer les d\u00e9mons, et de marquer le triomphe du Christ, dont la\ncroix est l\u2019\u00e9tendard. 7\u00ba Enfin les cierges allum\u00e9s devant ces croix, au\nnombre de douze, symbolisent les douze ap\u00f4tres, qui ont illumin\u00e9 le\nmonde par la foi du Christ.\n3\u00ba Quant \u00e0 la question de savoir par qui une \u00e9glise est profan\u00e9e, nous\ndevons nous rappeler que le Temple m\u00eame de Dieu a \u00e9t\u00e9 profan\u00e9 par trois\nhommes: J\u00e9roboam, Nabuzardam, et Antiochus. 1\u00ba J\u00e9roboam a profan\u00e9 le\ntemple par avarice, afin que le royaume n\u2019\u00e9ch\u00fbt pas \u00e0 Roboam. Et, de\nm\u00eame, l\u2019\u00e9glise de Dieu se trouve profan\u00e9e par l\u2019avarice des clercs.\nSaint Bernard a dit: \u00abCitez-moi donc un pr\u00e9lat qui ne mette pas plus de\nvigilance \u00e0 vider la bourse de ses sujets qu\u2019\u00e0 extirper les vices!\u00bb Et\nl\u2019\u00e9glise est encore profan\u00e9e lorsqu\u2019elle est construite avec un argent\nacquis par l\u2019avarice, c\u2019est-\u00e0-dire mal gagn\u00e9. Un usurier, ayant fait\nconstruire une \u00e9glise, invita l\u2019\u00e9v\u00eaque \u00e0 venir la consacrer. Mais\nl\u2019\u00e9v\u00eaque, en y entrant, aper\u00e7ut le diable assis dans la cath\u00e8dre en\nhabit \u00e9piscopal. Ce que voyant, l\u2019\u00e9v\u00eaque s\u2019enfuit avec ses clercs,\nl\u2019\u00e9glise ayant d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e par le diable; et aussit\u00f4t le diable\nd\u00e9truisit cette \u00e9glise avec un grand fracas; 2\u00ba Quant \u00e0 Nabuzardam, dont\nle livre des _Rois_ nous apprend qu\u2019il incendia le temple de Dieu,\nc\u2019\u00e9tait un chef cuisinier. Et, de m\u00eame, l\u2019\u00e9glise est profan\u00e9e lorsque\nceux qui doivent la servir sont adonn\u00e9s \u00e0 la gourmandise ou \u00e0 la luxure,\net, suivant la parole de l\u2019ap\u00f4tre \u00abont fait de leur ventre leur dieu\u00bb.\n3\u00ba Le roi Antiochus, qui souilla et profana le Temple de Dieu, \u00e9tait le\nplus orgueilleux des hommes, et le plus ambitieux. Et, de m\u00eame, les\n\u00e9glises sont souvent profan\u00e9es par l\u2019orgueil et l\u2019ambition du clerg\u00e9.\nProfan\u00e9 trois fois, le Temple a \u00e9t\u00e9 aussi consacr\u00e9 trois fois: par\nMo\u00efse, par Salomon, et par Juda Macchab\u00e9e; ce qui nous indique que, \u00e0 la\nd\u00e9dicace de l\u2019\u00e9glise, doivent concourir l\u2019humilit\u00e9 de Mo\u00efse, la sagesse\nde Salomon, et le z\u00e8le de Juda Macchab\u00e9e pour la d\u00e9fense de la foi.\nII. Voil\u00e0 ce que nous avons eu \u00e0 dire de la cons\u00e9cration de l\u2019\u00e9glise;\nmais nous devons ajouter qu\u2019il y a une autre \u00e9glise qui doit \u00eatre non\nmoins solennellement consacr\u00e9e \u00e0 Dieu: c\u2019est, \u00e0 savoir, l\u2019\u00e9glise\nspirituelle, que forme l\u2019assembl\u00e9e de tous les fid\u00e8les. Elle a pour\npierres d\u2019angle la foi, l\u2019esp\u00e9rance, la charit\u00e9, et les bonnes \u0153uvres;\nchoses qui, comme le dit saint Gr\u00e9goire, sont toujours \u00e9gales, car nous\nesp\u00e9rons dans la mesure o\u00f9 nous croyons, nous aimons dans la mesure o\u00f9\nnous croyons et esp\u00e9rons; et nos \u0153uvres sont en proportion de notre foi,\nde notre esp\u00e9rance, et de notre charit\u00e9. L\u2019autel de cette \u00e9glise est\nnotre c\u0153ur, sur lequel autel nous devons offrir \u00e0 Dieu trois choses: la\nflamme de la dilection, l\u2019encens de l\u2019oraison, et le sacrifice de la\np\u00e9nitence.\nEt, de m\u00eame que l\u2019\u00e9glise mat\u00e9rielle, ce temple spirituel doit \u00eatre\nconsacr\u00e9 solennellement. D\u2019abord son pr\u00eatre, le Christ, en fait trois\nfois le tour, en nous rappelant les p\u00e9ch\u00e9s de notre bouche, de notre\nc\u0153ur, et de nos \u0153uvres. Et il frappe trois fois \u00e0 la porte ferm\u00e9e de\nnotre c\u0153ur, par ses bienfaits, par ses conseils, et par ses \u00e9preuves. Et\nl\u2019\u00e9glise spirituelle doit \u00eatre aussi arros\u00e9e trois fois d\u2019eau, \u00e0\nl\u2019int\u00e9rieur, et \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur; et cela par les larmes int\u00e9rieures et\next\u00e9rieures, que nous devons verser en consid\u00e9rant: 1\u00ba que nous avons\nv\u00e9cu dans le p\u00e9ch\u00e9; 2\u00ba que nous sommes mis\u00e9rables; 3\u00ba que nous sommes\npriv\u00e9s de la gloire des justes. Quant \u00e0 l\u2019alphabet \u00e9crit dans notre\nc\u0153ur, il consiste en trois choses qui se trouvent grav\u00e9es en nous: 1\u00ba la\nr\u00e8gle de nos actions; 2\u00ba le t\u00e9moignage des bienfaits de Dieu; 3\u00ba\nl\u2019accusation de nos propres p\u00e9ch\u00e9s. Et nous devons enfin peindre des\ncroix dans nos \u00e2mes, c\u2019est-\u00e0-dire assumer les mac\u00e9rations de la\np\u00e9nitence; et devant ces croix nous devons allumer des cierges, et nous\ndevons les oindre d\u2019huile sainte, ce qui signifie que nous devons, non\nseulement les supporter avec patience, mais encore avec z\u00e8le et avec\nplaisir.\nEt celui qui aura proc\u00e9d\u00e9 \u00e0 cette cons\u00e9cration de lui-m\u00eame, celui-l\u00e0\nsera vraiment un temple d\u00e9di\u00e9 au Seigneur. Celui-l\u00e0 sera vraiment digne\nque le Christ habite en lui sous la forme de la Gr\u00e2ce divine, en\nattendant que lui-m\u00eame soit admis \u00e0 habiter dans la Gloire du Christ. Ce\nque daigne nous accorder le Dieu qui vit et r\u00e8gne dans les si\u00e8cles des\nsi\u00e8cles! Ainsi soit-il!\nFIN\n [26] Les chiffres en caract\u00e8res gras signifient que les noms auxquels\n ils se rapportent font l\u2019objet d\u2019un chapitre sp\u00e9cial.\n (Note du transcripteur: ces chiffres ont \u00e9t\u00e9 not\u00e9s entre signes\n \u00e9gale dans la transcription, comme ceci: =379=.)\n Il a \u00e9t\u00e9, naturellement, impossible d\u2019introduire dans cet index des\n noms comme Dieu, J\u00e9sus ou comme le Diable, Satan, etc., qui se\n trouvent r\u00e9p\u00e9t\u00e9s presque \u00e0 toutes les pages.\nAbban\u00e8s, 31 et suiv.\nAbdias, proph\u00e8te, 478.\nAbdon (saint), =379=.\nAbgar, roi d\u2019Edesse, 37, 596 et suiv.\nAbias, grand pr\u00eatre, 304.\nAbiathar, grand-pr\u00eatre, 354.\nAbiathar, docteur, 68.\nAbibas, fils de s. Gamaliel, 395 et suiv.\nAbonde (saint), 428.\nAchace (saint), 457.\nAcha\u00efe, 10,\nAchill\u00e9e (saint), =272= et suiv.\nAcladius, 538, 540.\nAdaloth, 693.\nAd\u00e9odat, fils de saint Augustin, 462.\nAdonis, 673.\nAdriatique (mer), 265.\nAdrien (saint), martyr, =503= et suiv.\nAdrien (saint), compagnon de sainte Ursule, 591.\nAdrien, pape, 178, 701.\nAdventor (saint), 536.\nAfricain, p\u00e8re de saint Nazaire, 370.\nAfricain, 592.\nAgapet (saint), 525 et suiv.\nAgap\u00e8te, Ir\u00e8ne, et Thionie, (saintes), 43.\nAgapite (saint), 225.\nAgar, 694.\nAgarenien, 26.\nAgathe (sainte), XXVIII, 27, 30, =146= et suiv., 712.\nAgathon (saint), =689= et suiv.\nAgaune, 534.\nAgilmude, 691.\nAgisulphe, 693.\nAgla\u00e9 (sainte), 275 et suiv.\nAgla\u00e9, m\u00e8re de saint Alexis, 330 et suiv.\nAgontius, 322.\nAgrippa, pr\u00e9fet, 314 et suiv.\nAix-en-Provence, 343, 345, 375.\nAix-la-Chapelle, 72, 707, 710.\nAlassio, 79.\nAlbain, messager de Pilate, 255.\nAlbane, 457.\nAlbenga, III, 209.\nAlbert (le fr\u00e8re), 346.\nAlbigeois, 711.\nAlboin, 691, 692 et suiv.\nAleth, m\u00e8re de saint Bernard, 440.\nAlexandre (saint), fils de sainte F\u00e9licit\u00e9, 329.\nAlexandre (saint), ermite, 210.\nAlexandre (saint), l\u00e9gion th\u00e9baine, 536.\nAlexandre, (saint), pape, 388, 390 et suiv.\nAlexandre III, pape, 62, 479, 710.\nAlexandre IV, pape, XII.\nAlexandre, \u00e9v\u00eaque, 414.\nAlexandre le Grand, 480.\nAlexandre, fils d\u2019H\u00e9rode, 58 et suiv.\nAlexandre, pr\u00e9fet, 298 et suiv.\nAlexandre, s\u00e9nateur, 396.\nAlexandrie (sainte), 231.\nAlexandrie (Italie), 568.\nAlexis (saint), =330= et suiv.\nAlipe, 461 et suiv.\nAllemagne, 704, 710.\nAlmaque, pr\u00e9fet, 280, 641 et suiv.\nAmand (saint), =151= et suiv.\nAmator (saint), 210 et suiv., 380.\nAmbroise, p\u00e8re de saint Ambroise, 216.\nAmerius, 73.\nAmet (saint), pape, 592.\nAmicus et Aur\u00e9lius (saints), 701.\nAmiens, XVI, 602, 619.\nAmin\u00e9e, 280.\nAmphiloque, \u00e9v\u00eaque, 289.\nAnastase (saint), 87, 169.\nAnastasie (sainte), =43= et suiv., 655 et suiv.\nAndr\u00e9 (saint), =7= et suiv., 459.\nAndr\u00e9, \u00e9v\u00eaque, 516.\nAndr\u00e9, 177 et suiv.\nAngelico, (le bienheureux fra) V, XXIV.\nAngers, 704.\nAniane, \u00e9v\u00eaque, 234.\nAnnas, 68.\nAnne, grand-pr\u00eatre, 205.\nAnnibal, 710.\nAnolin, ge\u00f4lier, 281.\nAnolin, pr\u00e9fet, 373.\nAnselme (saint), 708.\nAntime (saint), 542.\nAntiochus, 716.\nAntipater, p\u00e8re d\u2019H\u00e9rode, 57.\nAntipater, fils d\u2019H\u00e9rode, 58, 60, 369.\nAntoine (saint), XIV, XX, XXVIII, 83 et suiv., =87= et suiv., 461, 576.\nAntoine (Marc-), 391.\nAntoine II, empereur, 338.\nAntonin, empereur, 329.\nAnture, m\u00e8re de saint Jean Chrysostome, 125.\nAoste, 536.\nAphrodise, 146, 147.\nApia, 79 et suiv.\nApilion, 22.\nApollinaire (saint), 452.\nApollinaire (saint), =347= et suiv.\nApolline (sainte), XIII, =152= et suiv.\nApollophane, 577.\nApostelle, 248.\nAppellius, 73.\nApronien (saint), 418.\nApul\u00e9e, disciple de s. Pierre, 319.\nAquila, 646 et suiv. (V. _Faustin_).\nAquilin, consul, 509.\nAquilin, 547.\nAquiline (sainte), 364 et suiv.\nArabie, 542.\nArachis, 671 et suiv.\nArch\u00e9la\u00fcs, fils d\u2019H\u00e9rode, 58 et suiv.\nArch\u00e9mius, ge\u00f4lier, 283 et suiv.\nAr\u00e9opage, 577.\nAretas, roi, 476.\nArgos, 18.\nArimathie, 205, 258.\nAristobule, fils d\u2019H\u00e9rode, 58 et suiv.\nAristod\u00e8me, 53, 54.\nAristote, 509.\nArm\u00e9nie, femme de Carpasius, 281.\nArm\u00e9nie, 701.\nAro\u00ebl, 68.\nArras, 150.\nArs\u00e8ne (saint), =686= et suiv.\nArth\u00e9mie, fille de Diocl\u00e9tien, 418 et suiv.\nAspasius, 99.\nAsserbus, 244.\nAssise, 561 et suiv.\nAstaroth, 454 et suiv.\nAstase (comte), 301 et suiv.\nAst\u00e8re (saint), 583.\nAsti, 207 et suiv.\nAstyage, 456.\nAstolphe, 699.\nAthanase (saint), 385, 387, 479.\nAtticus, 602.\nAtus, 199.\nAuguste (C\u00e9sar-Octave), 38, 40, 57 et suiv., 74, 391 et suiv.\nAugustin (saint), XI, XII, XXIII, 3, 14, 31, 41, 42, 47 et suiv., 72,\nAugustin (fr\u00e8re), 569.\nAugustin, pr\u00eatre, 169.\nAur\u00e9lien, empereur, 484 et suiv.\nAur\u00e9lien, consul, 272 et suiv.\nAuvergne, 115, 586.\nAuxerre, 210 et suiv., 380, 537.\nAvennir, 663 et suiv.\nAvignon, 376.\nAvranches, 546.\nBabille (sainte), 591.\nBactriane, 37.\nBaillet, XXIII.\nBalachius, 90.\nBalbine (sainte), 390 et suiv.\nBaldak, idole, 456.\nBamberg, 634.\nBalthazar, 73.\nBaradac, 598 et suiv.\nBarbe, 691.\nBarcelone, 360.\nBarlaam (saint), =663= et suiv.\nBarpanthar, 493.\nBarsabas, 463.\nBarth\u00e9lemy (saint), =453= et suiv.\nBartolomm\u00e9o (Fra), V.\nBasile (saint), X, 119, =289= et suiv.\nBavi\u00e8re, 706.\nBazas, 691.\nB\u00e9atrice (sainte), 374 et suiv.\nBec (le Prieur\u00e9 du), 708.\nsuiv.\nBelz\u00e9buth, 156, 183.\nBenedetto (Fra), V.\nB\u00e9n\u00e9vent, 458, 547.\nBenjamin, 68.\nBeno\u00eet (saint), =184= et suiv., 701.\nBeno\u00eet, pape, 690.\nBeno\u00eet, 248.\nB\u00e9renger, h\u00e9r\u00e9tique, 708.\nBergame, 536.\nB\u00e9rith, ville, 515.\nB\u00e9rith, idole, 454.\nBernard, 356.\nBithynie, 589.\nBlaise (saint), 65, =139= et suiv.\nBodhisattva, 676.\nBo\u00ebce, 699.\nBollandus, XX, XXI, XXVIII.\nBologne, 401 et suiv.\nBols\u00e8ne, 352.\nBoniface (saint), =275= et suiv.\nBoniface III, pape, 694.\nBoniface IV, 604, 694.\nBonizzi, 709.\nBormida (la), 208.\nBoudha, 676.\nBourges, 438.\nBouts (Thierry), XIX.\nBrescia, 705.\nBretagne, 590 et suiv., 705.\nBrice (saint), =627= et suiv.\nBrione, 424.\nBrison, eunuque, 128.\nBruges, XVIII, 662.\nBruno, \u00e9v\u00eaque (L\u00e9on IX), 706 et suiv.\nBruxelles, XIX.\nCadicha, 695 et suiv.\nCa\u00efn, 538.\nCa\u00efus Caligula, 388 et suiv., 478.\nCalabre, 457.\nCalahorra, 399.\nCalixte (saint), pape, 124, 280, 356 et suiv., =582= et suiv.\nCalixte, ami de Julien l\u2019Apostat, 480.\nCalocerus (saint), 207 et suiv.\nCalvaire (mont du), 198.\nCana, pr\u00e8s Pavie, 471.\nCandace, 530.\nCandes, 625.\nCandide (saint), 534.\nCantorbery, 61.\nCarcassonne, 410.\nCarin, fils de saint Sim\u00e9on, 205, 207.\nCarisius, 35 et suiv.\nCarpaccio, XIX.\nCarpasius, 281, 419.\nCarpe (saint), 203 et suiv.\nCarpophore (saint), 616.\nCarus, \u00e9v\u00eaque de Narbonne, 596.\nCasal, 468.\nCasa Mari\u00e6, 408.\nCassien (saint), 54, 384.\nCassiodore, 58.\nCastille, 565.\nCastor (saint), 617.\nCatherine (sainte), XXII, =656= et suiv.\nCaxton, XIII.\nC\u00e9cile (sainte), 224, 280 et suiv., =639= et suiv.\nCedon (saint), 339.\nC\u00e9lestin, pape, 498, 703.\nC\u00e9lestin, p\u00e8re de s. Bernard, 440.\nC\u00e9lion (mont), 366 et suiv.\nCelse (saint), =370= et suiv.\nCelse, 301.\nCenis (mont), 701.\nC\u00e9rasius, 370, 373.\nC\u00e9saire (saint), 273, 490.\nC\u00e9sar (Jules), 38.\nChald\u00e9e, 76.\nChal\u00e9, 457.\nChantre parisien (le), 611, 614.\nCharit\u00e9 (sainte), 284.\nCharles-Martel, roi, 492, 698.\nCharles le Chauve, 704.\nCharles II, roi de Naples, VII.\nChartres, 119, 435.\nChartreuse (Grande-), 446, 447.\nCherson\u00e8se, 652.\nChild\u00e9ric, roi, 521, 559, 698 et suiv.\nChristine (sainte), =349= et suiv.\nChristophe (saint), XXIV, =361= et suiv.\nChromace, 94.\nChrysogone (saint), 43, =655= et suiv.\nChrysostome (Voir _Jean_).\nChusi, 68.\nCibor\u00e9e, 161 et suiv.\nCic\u00e9ron, 553.\nCiline, 77.\nCivita-Vecchia, 352.\nClairvaux, 443, 447.\nClasse, 347.\nClaude (saint), 617.\nClaude, empereur, 314.\nClaude, tribun, 596.\nClaudie, 509 et suiv.\nCl\u00e9ment (saint), \u00e9v\u00eaque, 593.\nCl\u00e9op\u00e2tre, 391.\nCl\u00e9ophas, fr\u00e8re de s. Joseph, 251, 494.\nCl\u00e9ophas, disciple de J\u00e9sus, 589.\nClotilde (sainte), 557.\nCocavilla, 274.\nCo\u00ebl, roi, 263.\nCogoleto, II.\nColomb (Christophe), II.\nColone, 457.\nC\u00f4me (saint), =541= et suiv.\nC\u00f4me, ville, 245, 246.\nCompostelle, 354 et suiv.\nConcorde (sainte), 427 et suiv.\nConcordien (saint), 210 et suiv.\nConrad le Teuton, 408 et suiv.\nConrad Ier, empereur, 706 et suiv.\nConrad II, 709, 710.\nConrad (ma\u00eetre), 631 et suiv.\nConstance (sainte), martyre, 593.\nConstance, empereur, 374, 385 et suiv., 536.\nConstance, fille de Constantin, 100, 307 et suiv., 479.\nConstant (saint), 536.\nConstant, empereur, 483.\nConstantin (saint), 366 et suiv.\nConstantin (saint), l\u00e9gion th\u00e9baine, 534.\nConstantin, p\u00e8re de Constantin le Grand, 262.\nConstantin le Grand, 23, 66 et suiv., 76, 99 et suiv., 261 et suiv.,\nConstantin II, 81, 91, 702.\nConstantin IV, 561.\nConstantinople (\u00e9glise Sainte-Sophie \u00e0), 266, 284, 515.\nCorbigny, 587.\nCordoue, 379.\nCordule, 593.\nCorneille, disciple de saint Cl\u00e9ment, 653.\nCorneille (Pierre), 472.\nCorneille, philosophe, 461.\nCorn\u00e9lius, 372.\nCorocanie, 694.\nCosro\u00ebs, 512 et suiv.\nCoste, roi, 656.\nCouronn\u00e9s (les Quatre), saints, 616.\nCraton, 51, 68.\nCr\u00e9mone, 634.\nCrescence (sainte), 297.\nCrescence, 169.\nCrisant (saint), =595= et suiv.\nCrispin, 115.\nCt\u00e9siphon, 480, 515.\nCumanes, 133.\nCun\u00e9gonde (sainte), 425, 706.\nCyb\u00e8le, 604.\nCyprien (saint), d\u2019Antioche, 538 et suiv.\nCyprien (saint), 523.\nCyr (saint), =298= et suiv., 448.\nCyriaque (saint), =417= et suiv.\nCyriaque (saint), Judas, 265 et suiv.\nCyriaque (saint), pape, 592.\nCyrille (saint), \u00e9v\u00eaque des Moraves, 655.\nCyrille (sainte), 428.\nCyrin (saint), de Carthage, 65.\nDacie, 307.\nDacien, pr\u00e9fet de Rome, XX, 229 et suiv.\nDacien, pr\u00e9fet de Valence, 101 et suiv.\nDagnus, 363 et suiv.\nDalmatie, 553.\nDamaris (sainte), 578.\nDamascus, 73.\nDamien (saint), =541= et suiv.\nDamiette, 571.\nDaniel, 544.\nDaria (sainte), martyre, =595=.\nDaria (sainte), m\u00e8re de sainte Ursule, 591.\nD\u00e9cius (Gallien), 83.\nD\u00e9mophile, 203.\nD\u00e9mosth\u00e8ne, pr\u00e9fet, 290.\nD\u00e9mosth\u00e8ne, patricien, 349.\nDenis (saint), un des Sept Dormants, 366 et suiv.\nDenis, pape, 428.\nDenis, \u00e9v\u00eaque, 385, 386.\nDenis, oncle de saint Pancrace, 274.\nDenis, 32.\nDesiderius, roi lombard, 699, 701.\nDidon, 464.\nDieudonn\u00e9, 26.\nDioscore, 129 et suiv.\nDismas, 198.\nDivin, 153.\nDoeth, 68.\nDodon, 522.\nDomicille (sainte), 272 et suiv., 651.\nDominique (saint), XV, =399= et suiv., 565, 566.\nDomitien, \u00e9v\u00eaque, 536.\nDonat (saint), 337, =415= et suiv.\nDonat, grammairien, 553.\nDor\u00e9e (sainte), 591.\nDoria, VII, IX.\nDormants (les Sept), saints, =366= et suiv.\nDoroth\u00e9e (saint), 289, 457.\nDoroth\u00e9e (saint), compagnon de saint Gorgon, 508.\nDoroth\u00e9e, roi de Constantinople, 593.\nDoroth\u00e9e, 284.\nDrusienne (sainte), 50, 52.\nEbionites, 249.\nEbro\u00efn, 439, 559 et suiv.\nEcosse, 181.\nEdmond (saint), 56.\nEg\u00e9e, ville, 541.\nEg\u00e9e, 11 et suiv.\nEgippe, 531.\nElape (Perse), 677.\nEl\u00e9azar, 387.\nEleuth\u00e8re (saint), =577= et suiv.\nElisabeth (sainte), m\u00e8re de saint Jean-Baptiste, 305, 494.\nElisabeth (sainte) de Hongrie, XXVII, =629= et suiv., 711.\nElis\u00e9e, 478.\nEliude, 494.\nElius, 351.\nElp\u00e8s, 699.\nElymas, 288.\nEmbrun, 710.\nEm\u00e9rantienne (sainte), 99.\nEm\u00e8se, 481.\nEmilie, 216.\nEminen, 494.\nEn\u00e9e, 312.\nEngade, 40.\nEphrem, abb\u00e9, 577.\nEpimaque (saint), 271.\nEpiphane (saint), \u00e9v\u00eaque, 129 et suiv., 430, 684.\nEpiphane, p\u00e8re de saint Nicolas, 18.\nEpisius, 684.\nEquice (saint), 518.\nErasme, XIX.\nEsclavonie, 378.\nEsp\u00e9rance (sainte), 284.\nEth\u00e9r\u00e9 (saint), 593.\nEtienne (saint), martyr, =45= et suiv., 113, 114, 265, =394= et suiv.\nEtienne de Hongrie (saint), 706.\nEtienne (saint), pape, =393= et suiv.\nEtienne, \u00e9v\u00eaque, 169.\nEtienne, juge, 424.\nEtienne, clerc, 346 et suiv.\nEucharie, 338, 375.\nEuchassie, 597.\nEudoxie, m\u00e8re de Th\u00e9odose, 131.\nEudoxie, fille de Th\u00e9odose, 134, 392, 397 et suiv.\nEug\u00e8ne (saint), 178.\nEug\u00e8ne, pape, 709.\nEug\u00e9nie (sainte), 509 et suiv.\nEuloge, patriarche, 169.\nEuloge, pr\u00e9fet, 155.\nEuph\u00e9mie (sainte), =519= et suiv.\nEuph\u00e9mien, p\u00e8re de saint Alexis, 330 et suiv.\nEuphig\u00e9nie, 531 et suiv.\nEuphrosine (sainte), s\u0153ur de lait de sainte Domicille, 273.\nEuphrosine, 415.\nEupr\u00e9pie (sainte), 542.\nEurope, 159.\nEus\u00e8be (saint), \u00e9v\u00eaque de Verceil, 79, 202, 288, =384= et suiv.\nEus\u00e8be, pape, 261, 486.\nEus\u00e8be, p\u00e8re de saint J\u00e9r\u00f4me, 553.\nEustache (saint), =524= et suiv.\nEustache, 415.\nEustochius, 435, 554.\nEustorge (saint), 76.\nEuthice (saint), 273.\nEuthicie, 27.\nEutrope, 125 et suiv.\nEutych\u00e8s, 311.\nEvadracien, 417.\nEvode, 462.\nExup\u00e8re (saint), 534, 535.\nFabien (saint), pape, =91= et suiv., 523.\nFabien, \u00e9v\u00eaque, 311.\nFabien, pr\u00e9fet, 95.\nFantaste, 43.\nFaust, 644 et suiv.\nFaustin (saint), 208.\nFaustin, 644 et suiv.\nFaustinien, 644 et suiv.\nFebrua, 136.\nF\u00e9licien (saint), =286=.\nF\u00e9licissime (saint), 225.\nF\u00e9licit\u00e9 (sainte), =329=.\nF\u00e9licit\u00e9 (sainte), =679= et suiv.\nF\u00e9licula (sainte), 282.\nF\u00e9lix, (saint), \u00e9v\u00eaque, =81= et suiv.\nF\u00e9lix (saint), pape, =374=, 544.\nF\u00e9lix et Adauct (saints), =487= et suiv.\nF\u00e9lix (saint), fils de sainte F\u00e9licit\u00e9, 329.\nF\u00e9lix, p\u00e8re de saint Dominique, 399.\nF\u00e9ramond, 521 et suiv.\nFerr\u00e9ol (saint), 115.\nFerri\u00e8res-en-Dauphin\u00e9, 614.\nFescennius, 580.\nFiesque, VII.\nFiesque (Obezzon de), VI.\nFlaccus, 282.\nFlavien, pape, 703.\nFleury-sur-Loire, 701.\nFlorence (sainte), 298.\nFlorence, ville, 360.\nFlorent, pr\u00eatre, 187 et suiv.\nFlorentine (sainte), 593.\nFoi (sainte), 284.\nFollau (saint), 593.\nFondi, 516.\nFontaine, 440, 469.\nFortunat (saint), 96, 281, 424.\nFortunat, 463.\nFossa Nova, 406.\nFoulques, \u00e9v\u00eaque de Toulouse, 401.\nFradin, XXVII.\nFrancesca (Piero della), XIX.\nFran\u00e7ois (saint), XV, XXIV, XXVII, 402, 403, =561= et suiv.\nFr\u00e9d\u00e9ric Barberousse, empereur, 458, 633, 710.\nFr\u00e9d\u00e9ric II, empereur, XII, 711.\nFrisons, 700.\nFront (saint), 313, 377 et suiv.\nFulbert, 119.\nFulgence, 75.\nFursy (saint), =551= et suiv.\nGabriel (saint), archange, 195, 304, 497, 697.\nGade, 33.\nGal\u00e8re, empereur, 536.\nGal\u00e8re, proconsul, 523.\nGalgalat, 73.\nGalla, fille de Symmaque, 322, 323.\nGalla, reine de Hongrie, 706.\nGalla, Goth, 190, 191.\nGallican (saint), 307, 308.\nGallinaria, \u00eele, 79, 620.\nGallus, 621.\nGallus, 308.\nGargan (saint), 545 et suiv.\nGarganus, 545.\nGaribaldi, IV.\nGarin, 560.\nGascogne, 152.\nGaspard, 73.\nG\u00e9lase, pape, 289, 703.\nGenebald, 77, 78.\nG\u00e9n\u00e9sareth, 7, 338.\nGeorges (saint), XX, XXI, XXV, =226= et suiv.\nGeorges, pr\u00eatre, 313.\nG\u00e9orgie, 654.\nG\u00e9pides, 691.\nG\u00e9rard, fr\u00e8re de saint Bernard, 442.\nG\u00e9rasine (sainte), 591.\nGergovie, 508.\nGermain-l\u2019Auxerrois (saint), 210, 211, =380= et suiv., 537.\nGermain (saint), \u00e9v\u00eaque de Capoue, 193, 612.\nGermain de Tr\u00e8ves, 703.\nGermain, \u00e9v\u00eaque de Tours, 629.\nGermanie, 691.\nGesmas, 198.\nGilbert de la Porr\u00e9e, 606, 710.\nGildart (saint), 691.\nGilles (saint), =490= et suiv.\nGirard, duc de Bourgogne, 345.\nGodolias, 68.\nGolgotha, 204.\nGondofer, roi, 31.\nGontran, 537.\nGordien (saint), =271= et suiv.\nGordien, p\u00e8re de saint Gr\u00e9goire, 165.\nGorgon et Doroth\u00e9e (saints), =508=.\nGratien, pr\u00eatre, 708.\nGratus, \u00e9v\u00eaque, 536.\nGr\u00e9goire de Nazianze (saint), 554.\nGr\u00e9goire (saint), martyr, 457.\nGr\u00e9goire II, pape, 605.\nGr\u00e9goire VII (Voir _Hildebrand_).\nGr\u00e9goire IX, 498, 711.\nGr\u00e9gorien (chant), 702 et suiv.\nGrenoble, 614.\nGrimaldi, VII.\nGuale, \u00e9v\u00eaque, 411.\nGuido, fr\u00e8re de saint Bernard, 443.\nGuilfroy, 246.\nGuillaume d\u2019Auxerre, 305.\nH\u00e9breux, 4.\nHelenus (saint), abb\u00e9, 509, 510.\nH\u00e9li, 493.\nH\u00e9linaud, 55.\nHenri (saint) empereur, 425, 708.\nHenri III, 708.\nHenri IV, 708.\nHenri VI, 710.\nH\u00e9raclius, empereur, 152, 513 et suiv.\nH\u00e9raclius II, 694.\nH\u00e9raclius, pr\u00e9fet, 453.\nH\u00e9raclius (saint), 291, 292.\nHercule, 541.\nHermagoras (saint), 233.\nHerm\u00e8s, pr\u00e9fet, 390.\nHermog\u00e8ne, 352 et suiv.\nHermopolis, 58.\nH\u00e9rode d\u2019Ascalon, 57 et suiv., 74 et suiv., 476, 493.\nHilaire (saint), moine, 415, 417.\nHilarion, solitaire, 684.\nHildebrand, 708.\nHincmar, 76, 582.\nHippolyte (saint), 421 et suiv., =426= et suiv.\nHirtacus, 531 et suiv.\nHonor\u00e9 (saint), 221.\nHonorius (saint), 462.\nHubert de Besan\u00e7on, 356, 359.\nHugues de Cluny, (saint), 41, 42, 357.\nHugues de Saint-Victor, 357, 709.\nHumbert, roi, 97.\nHyacinthe (saint), =509= et suiv.\nIgnace (saint), =142= et suiv.,251, 703.\nInnocent (saint), 534, 536.\nInnocent Ier, pape, 332, 401.\nInnocent, pr\u00e9fet, 170.\nInnocents (les saints), 49, 59 et suiv., 202, 387.\nIr\u00e8ne, imp\u00e9ratrice, 702.\nIr\u00e9n\u00e9e (saint), 428.\nIslande, 181 et suiv., 450.\nIscarioth (\u00eele), 161.\nIsidore, pr\u00eatre, 126, 129.\nIsma\u00ebl, 697.\nIsm\u00e9rie, 494.\nIssachar, 161.\nJacob, 493.\nJacobites, 695.\nJacques le Majeur (saint), 251, 271, =352= et suiv., 494.\nJacques le Mineur (saint), 7, 57, 199, 204, =250= et suiv.\nJacques l\u2019Intercis (saint), =676= et suiv.\nJacques (saint), archev\u00eaque d\u2019Antioche, 592.\nJacques de Ri\u00e9ti, fr\u00e8re, 571.\nJa\u00efre, 312.\nJanus, 72.\nJean l\u2019Evang\u00e9liste (saint), III, 7, 49, =50= et suiv., 73, 142, 143,\nJean l\u2019Aum\u00f4nier (saint), X, =105= et suiv.\nJean (saint), martyr, =307= et suiv.\nJean Chrysostome (saint), 6, 37, 59, 74, 75, =125= et suiv., 312.\nJean (saint) Dormant, =366= et suiv.\nJean (saint), abb\u00e9, 170, =684=.\nJean III, pape, 690, 699.\nJean XIII, pape, 392.\nJean, \u00e9v\u00eaque de J\u00e9rusalem, 394, 396.\nJean, \u00e9v\u00eaque de Constantinople, 169.\nJean, pr\u00eatre, 169.\nJean de Damas (Voir _Damasc\u00e8ne_).\nJean-Marc, disciple de saint Barnab\u00e9, 287 et suiv.\nJean de Bungay, 662.\nJeanne, m\u00e8re de saint Nicolas, 18.\nJeanne, m\u00e8re de saint Dominique, 399.\nJ\u00e9roboam, 716.\nJ\u00e9sus, fils d\u2019Ananias, 254.\nJoachim (saint), 493 et suiv.\nJonapata, 256.\nJonas, 68.\nJosaphat (saint), =663= et suiv.\nJosaphat (vall\u00e9e de), 5, 432, 433.\nJos\u00e9as, 354.\nJoseph, fils de Jacob, 494.\nJoseph le Juste (Barsabas), 163, 494.\nJoseph d\u2019Arimathie, 204, 205, 258.\nJoseph, m\u00e9decin, 295.\nJou\u00e9-l\u00e8s-Tours, 115.\nJovinien, empereur, 387.\nJovinien, 252.\nJubal, 68.\nJuda, 493.\nJuda Macchab\u00e9e, 716.\nJudas (Voir _s. Cyriaque_).\nJudas Iscarioth, 160 et suiv., 199, 250, 424.\nJude (saint), ap\u00f4tre, 494, 532, =596= et suiv.\nJules (saint), 115 et suiv.\nJules, roi des Huns, 592.\nJulien (saint), \u00e9v\u00eaque du Mans, =114=.\nJulien (saint) d\u2019Auvergne, =115=.\nJulien (saint), martyr, =115= et suiv.\nJulien l\u2019Hospitalier (saint), =116= et suiv.\nJulien l\u2019Apostat, 118 et suiv., 265 et suiv., 271, 308 et suiv., 478 et\nJulien II, empereur, 387, 415, 479.\nJulien Gallion, 320.\nJulien, pape, 385.\nJulien, pr\u00e9fet, 480.\nJulien, juge, 351, 352,\nJulienne (sainte), martyre, =155= et suiv.\nJulienne (sainte) compagne de sainte Ursule, 591.\nJulienne, vierge, 583.\nJulienne, 396.\nJulite (sainte), =298= et suiv.\nJunien (saint), 210.\nJust, 283.\nJuste, m\u00e8re de saint Sylvestre, 65.\nJustin l\u2019Ancien, empereur, 194.\nJustin (saint), 423, 426 et suiv.\nJustin le Petit, empereur, 692.\nJustine (sainte), =538= et suiv.\nJustine, 648.\nJustine, imp\u00e9ratrice, 217 et suiv., 702.\nJustinien, \u00e9v\u00eaque de Tours, 629.\nLambert (saint), =521= et suiv.\nLa\u00ebrtia (sainte), 580.\nLamission, 691.\nLamon, moine, 132.\nLanfranc, 708.\nLaodic\u00e9e, 330, 331.\nLaon, 78.\nLarge (saint), 418.\nLarron (saint), 78.\nLatran, 401.\nLaunoi (J. de), XIX et suiv.\nLaurent (saint), 138, 225, 397 et suiv., =419= et suiv., 426 et suiv.,\nLazare (saint), 198, 206, 338 et suiv., 369, 375 et suiv.\nLazare (le pauvre), 550.\nL\u00e9ger (saint), =559= et suiv.\nL\u00e9on (saint), pape, 279, =310= et suiv.\nL\u00e9on, pape, 80 et suiv.\nL\u00e9on III, pape, 702.\nL\u00e9on IX, pape (Voir _Bruno_).\nL\u00e9on, \u00e9v\u00eaque d\u2019Ostie, 654.\nL\u00e9on, empereur, 235, 268.\nL\u00e9onard (saint), de Limoges, =583= et suiv.\nL\u00e9onard (saint), de Corbigny, 587.\nL\u00e9onard (fr\u00e8re), 563.\nL\u00e9once (saint), 542.\nL\u00e9once, 81.\nL\u00e9opold, 706.\nLeucius, fils de saint Sim\u00e9on, 205 et suiv.\nLibye, 226.\nLic\u00e9rius, 486 et suiv.\nLigug\u00e9, 620.\nLigurie, 216.\nLimoges, 584 et suiv.\nLiphart (saint), 584.\nLisbius, pr\u00e9fet, 580.\nLoire, 584.\nLombardie, VI, 244, 568.\nLombards, 690 et suiv.\nLongin (saint), XXIV, =180=.\nLorraine, 704.\nLothaire, empereur, 704.\nLouis (saint), XV.\nLouis le D\u00e9bonnaire, 581, 702.\nLouis II, empereur, 704, 705.\nLouis, roi d\u2019Aquitaine, 702.\nLoup (saint), 381, =488= et suiv.\nLouve (reine), 355 et suiv.\nLucain, 320.\nLucie (sainte), =27= et suiv., 394.\nLucien (saint), 457.\nLucien, pr\u00eatre, 394 et suiv.\nLucillus, 421.\nLucine (sainte), 96, 281, 375.\nLucques, 593.\nLucr\u00e8ce, pr\u00e9fet, 374 et suiv.\nLuna, 706.\nLuitprand, roi, 468.\nLunel, 492.\nLuxeuil, 559.\nLuxurius, 273.\nLycie, 363.\nLycopolis, 386.\nLysias, 542.\nLystre, 324.\nMacaire (saint), abb\u00e9, =85= et suiv.\nMacaire (saint), \u00e9v\u00eaque, 264, 265.\nMac\u00e9doine, 165.\nMac\u00e9donius, 219.\nMachab\u00e9es (les saints), =387= et suiv.\nMach\u00e9ron, 480.\nMacidienne, 644 et suiv.\nMacrobe, 59.\nMagdala, 338.\nMages (rois), 37, =73= et suiv.\nMagistrien, 688.\nMaguelone, 247.\nMahomet, 694 et suiv.\nMalachie (saint), 450, 451.\nMalaspina (marquis), 470.\nMalchus (saint), 366 et suiv.\nMamert (saint), 115, 268.\nMamertin (saint), =210= et suiv.\nMamertin, 652.\nManfredonie, 545, 547.\nManin, V.\nMantoue, 238.\nMarbourg, 637.\nMarc (saint), l\u2019\u00e9vang\u00e9liste, 8, =232= et suiv., 267, 588.\nMarc et Marcellin (saints), 92, 94 et suiv.\nMarc, empereur, 338.\nMarc (Voir _Jean_).\nMarcel (saint), moine, 481.\nMarcelin (saint), pape, =239= et suiv., 534.\nMarcellin, pr\u00eatre, 283 et suiv.\nMarcien (saint), 207 et suiv.\nMarcien, empereur, 481, 594.\nMarcule (saint), 593.\nMarguerite (sainte), martyre, =334= et suiv.\nMarguerite (sainte), vierge, =573= et suiv.\nMarie (la bienheureuse Vierge), 38, 40, 58, 63, 76, =134= et suiv., 142,\nMarie Cl\u00e9ophas (sainte), 251, 596.\nMarie-Madeleine (sainte), 204, =338= et suiv., 375, 377.\nMarie l\u2019Egyptienne (sainte), =212= et suiv.\nMarie, femme d\u2019Alph\u00e9e, 494.\nMarie, femme de Z\u00e9b\u00e9d\u00e9e, 494.\nMarin (saint), moine, 211.\nMarine (sainte), =299= et suiv.\nMaris, \u00e9v\u00eaque, 479.\nMarmanites, 617.\nMarmoutiers, XI, 621.\nMaron (saint), 273.\nMarseille, 339 et suiv., 375.\nMarthe (sainte), 338, 339, =375= et suiv.\nMartial (saint), fils de sainte F\u00e9licit\u00e9, 329.\nMartial, 47, 48.\nMartial, 313.\nMartien (saint), 366 et suiv.\nMartille (sainte), 339, 378.\nMartin (saint), XXIV, 368, =618= et suiv., 627 et suiv.\nMartinien, 318.\nMaterne (saint), 313.\nMathias (saint), =160= et suiv., 199.\nMathilde (comtesse), 709.\nMartisius (saint), 591.\nMaur (saint), 186 et suiv.\nMaurice (saint), =533= et suiv.\nMaurice (saint), \u00e9v\u00eaque, 593.\nMaurice, empereur, 162.\nMaurus, 590.\nMaxence, \u00e9v\u00eaque de Milan, 385.\nMaxence, empereur, 262, 656 et suiv.\nMaxime (saint), martyr, 642.\nMaxime (saint), \u00e9v\u00eaque, 81, 82.\nMaxime, empereur, 536, 623.\nMaxime, 592.\nMaximien (saint), 366 et suiv.\nMaximilla, 15.\nMaximin (saint), 339 et suiv., 375, 376.\nMaximin, 662.\nMayence, 450.\nMazzini, V.\nMecque (la), 697.\nM\u00e9dard (saint), 691.\nM\u00e9duse, 515.\nM\u00e9la, 320.\nM\u00e9lancie, 510, 511.\nMelchi, 493.\nMelchior, 73.\nMelitus (saint), 169.\nMello, 277.\nMemling, XIX.\nMercure (saint), 119.\nM\u00e9sopotamie, 598.\nMessine, 452.\nM\u00e9thode, 18, 37.\nMetz, 508.\nMichaelium, 547.\nMichel (saint), archange, 206, 259, 351, 434, =544= et suiv.\nMichel, empereur, 581, 654, 704.\nMigdomie, 34 et suiv.\nMilas, 456.\nMinerve, 625.\nMityl\u00e8ne, 324.\nMod\u00e8ne, 356.\nModeste (saint), =296= et suiv.\nMo\u00efse (saint), abb\u00e9, =685= et suiv.\nMolesme, 708.\nMonique (sainte), 459 et suiv.\nMonte-Porto, 710.\nMontfort (comte de), 399.\nMontmartre, 580.\nMontpellier, 247.\nMont-Saint-Michel, 356, 545 et suiv.\nMonza, 483, 693 et suiv.\nMoraves, 655.\nMortara, 701.\nMuller (Max), 673.\nMuratori, VIII, IX, X.\nMurillo, XIX.\nNaboth, 222.\nNabor (saint), 302.\nNabuzardam, 716.\nNachor, 672 et suiv.\nNadabar, 530.\nNaples, 692.\nNars\u00e8s, 692.\nNathalie (sainte), 504 et suiv.\nNazaire (saint), 301, =370= et suiv.\nN\u00e9brode, 462.\nN\u00e9potien, 22.\nNestorien, 695.\nN\u00e9r\u00e9e (saint), =272= et suiv.\nN\u00e9ron (saint), 571 et suiv.\nNerva, empereur, 652.\nNestorius, 311.\nNic\u00e9e (sainte), 364, 365.\nNic\u00e9tas (Faustinien), 647 et suiv.\nNicolas (saint), =18= et suiv., 179, 708.\nNicolas I, pape, 703.\nNicolas IV, pape, VI.\nNicolas, d\u2019Irlande, 182 et suiv.\nNicolas, de Bologne, 413.\nNicolas, 9, 10.\nNicostrate (saint), 617.\nNicostrate, 93.\nN\u00eemes, 492.\nNivard, 443.\nNobliac, 584.\nNormandie, 27.\nNothus, 590.\nNotker, 703.\nNum\u00e9rien, 596.\nNursie, 184.\nOctave (voir _Auguste_).\nOctave (saint), 536.\nOdilon, abb\u00e9 de Cluny, 608.\n\u0152side, 185.\n\u0152th\u00e9e, 395.\nOllodius (saint), 211.\nOlybrius, 334 et suiv.\nOmer (saint), 151.\nOpiso, 247.\nOthon Ier, 705.\nOthon III, XIX, 705.\nOthon IV, 711.\nOurs (saint), 536.\nOurs, 22.\nPalerme, 413.\nPalladie, 542.\nPalmace, 582 et suiv.\nPalmaroli (\u00eeles), 45.\nPammaque, 556, 606.\nPampelune, 358.\nPancrace (saint), =274= et suiv.\nPanthar, 493.\nPantulus (saint), \u00e9v\u00eaque de B\u00e2le, 591.\nPaphnuce (saint), 575 et suiv.\nPaphos, 288.\nPapias, 233.\nPapin, 457.\nParme (ch. B. de), VI.\nParthenins, 421.\nPaschase, 28 et suiv.\nPaschase, 612.\nPasteur (saint), =682= et suiv.\nPatrice (saint), =181= et suiv., 611.\nPatrice, p\u00e8re de saint Augustin, 459.\nPatrocle, 324 et suiv.\nPatron, 523.\nPaul (saint), ermite, =83= et suiv.\nPaul (saint), martyr, =307= et suiv.\nPaul, moine, 576.\nPaul et Palladie, 48, 49.\nPaule (sainte), XIII.\nPaulin (saint), \u00e9v\u00eaque, 216, 386.\nPaulin, pr\u00eatre, 100.\nPaulin, officier de N\u00e9ron, 318.\nPaulin, juge, 248.\nP\u00e9lage (saint), pape, 168, 392, 397 et suiv., 549, =690= et suiv.\nP\u00e9lage (fr\u00e8re) (Voir sainte P\u00e9lagie).\nP\u00e9lage II, pape, 690.\nP\u00e9lagie (sainte), p\u00e9cheresse, =571= et suiv.\nP\u00e9lagie (sainte), 32.\nP\u00e8lerin (saint), 210.\nPentapole, 234.\nP\u00e9rigueux, 377 et suiv.\nPerp\u00e9tue (sainte), 370.\nPerp\u00e9tue (sainte), 679 et suiv.\nP\u00e9tronie, 48.\nP\u00e9tronille (sainte), 273, =282=, 701.\nPh\u00e9bus, 653.\nPhilippe (saint), ap\u00f4tre, =248= et suiv., 530.\nPhilippe (saint), diacre, 250.\nPhilippe (saint), p\u00e8re de sainte Eug\u00e9nie, 509 et suiv.\nPhilippe (saint), fils de sainte F\u00e9licit\u00e9, 329.\nPhilippe, \u00e9v\u00eaque, 479.\nPhilippe, chr\u00e9tien sous N\u00e9ron, 302.\nPhilippe, fils d\u2019H\u00e9rode, 58, 60, 476.\nPhilippe, empereur, 92, 419, 420.\nPhilippe-Auguste, 711.\nPhilippe, fr\u00e8re d\u2019Henri VI, 710.\nPhilippes, 324.\nPhilon le Juif, 233.\nPierre l\u2019Exorciste (saint), =283= et suiv.\nPierre (saint), diacre, 176 et suiv.\nPierre le Nouveau (saint), =241= et suiv.\nPierre Damien, 233, 537, 608.\nPierre de Cluny, 42, 612.\nPierre de Compostelle, 703.\nPierre Lombard, 710.\nPierre, bouvier, 429.\nPierre, 613.\nPinci, 82.\nPise, VII.\nPistole, 360.\nPlacide (saint), 187.\nPlacide (saint Eustache), 524 et suiv.\nPlacidie, 383.\nPlaisance, 371, 541.\nPlautille, 327.\nPline le Jeune, 145.\nPluton, 136.\nPoitou, 626.\nPol\u00e8me, 455 et suiv.\nPolycarpe (saint), 94.\nPomereto, 570.\nPonce (saint), 419.\nPont (Asie), 598.\nPontien, 461.\nPontigny, 62.\nPorphyre (saint), 659 et suiv.\nPorphyre, 427, 428.\nPoussin, XIX.\nPrato, 360.\nPrax\u00e8de (sainte), =337= et suiv.\nPrieur (saint), solitaire, 686.\nPrime (saint), =286=.\nPriscus, juge, 519 et suiv.\nProc\u00e8s, 318.\nProclus, diacre, 538.\nProjet (saint), 424.\nProserpine, 136.\nProtais (saint), 240, =301= et suiv., 370.\nProtais, \u00e9v\u00eaque, 536.\nProthe (saint), =509= et suiv.\nProvence, 237.\nPrudence, 101, 104.\nPrudentienne, 337.\nPublius, pr\u00e9fet, 329.\nPublius, 43.\nPyla, 199.\nPythagore, 480.\nQuentin (saint), =602= et suiv.\nQuintien, 146 et suiv.\nQuirin, tribun, 390, 391.\nRachel, m\u00e8re de Simon le Magicien, 313.\nRachel, 495.\nRahab, 253.\nRaon, fr\u00e8re, 412.\nRaymond (saint), 408.\nReginald de Saint-Aignan, 405, 406.\nR\u00e9nier, fr\u00e8re, 403.\nRemi (saint), III, =76= et suiv., 583.\nRenarde, 78.\nR\u00e9vocat (saint), 680.\nRhin, 76.\nRichard de Saint-Victor, 715.\nRieul (saint), 581.\nRobert (saint), 708.\nRobert, roi de France, 703.\nRoboam, 716.\nRocharith, 307.\nRomain (saint), 185.\nRomain, soldat, 422.\nRome, Capitole, 317.\nRome, Champ de Mars, 96.\nRome, Eglise Ara-C\u0153li, 40.\nRome, Eglise Sainte-Agn\u00e8s, 424.\nRome, Eglise Saint-Boniface, 334.\nRome, Eglise Saint-Jean-de-Latran, 176.\nRome, Eglise Saint-Laurent-hors-les-Murs, 203, 710.\nRome, Eglise Sainte-Marie-ad-Passus, 318.\nRome, Eglise Sainte-Marie-la-Neuve, 39.\nRome, Eglise Sainte-Marie-la-Ronde, 605, 694.\nRome, Eglise Sainte-Marie-Majeure, 164, 168, 172, 310.\nRome, Eglise Saint-Pierre aux Liens, 97, 388, 391 et suiv., 397, 544.\nRome, Fort Saint-Ange, 169, 267, 547.\nRome, Panth\u00e9on (Voir _Sainte-Marie-la-Ronde_).\nRome, Porte Latine, 270.\nRome, Transt\u00e9v\u00e8re, 583.\nRomulus, 39.\nRosemonde, 692 et suiv.\nRouen, 662.\nRuben, 161.\nRubens, XIX.\nRufin, 367.\nRufin, pr\u00e9fet, 223.\nRusticana, 170.\nRustique (saint), =577= et suiv.\nSaba (reine de), 260.\nSabine (sainte), 487.\nSabine, 423.\nSaint-Denis, 580.\nSaint-Gall, 439, 703.\nSaint-Gilles (Gard), 492.\nSaint-Jean-de-Maurienne, 483.\nSaint-Maurice-en-Valais, 534 et suiv.\nSalamine, 288.\nSallustie (sainte), 523.\nSalom\u00e9, mari de sainte Anne, 494.\nSalom\u00e9, 60, 61.\nSamarie, 47, 352.\nSamos, XXIV, 363.\nSamuel, 495.\nSanctulus, 424.\nSaphir, 312.\nSapricius, 207 et suiv.\nSarah, 495.\nSarathin, 73.\nSardaigne, 468.\nSatire (saint), 680 et suiv.\nSaturnin (saint), 417 et suiv.\nSaturnin (saint), de Toulouse, =679= et suiv.\nSatyre (saint), 415.\nSavin (saint), d\u2019Auxerre, 210.\nSavin, 483.\nSavin, pape, 694.\nSavine (sainte), =483= et suiv.\nSavinien (saint), =483= et suiv.\nSavone, II, III, VII.\nSaxe, 710.\nScandinavie, 690.\nScholastique, (sainte), 193, 701.\nScot (Jean), 582.\nScythie, 8, 248.\nS\u00e9bastien (saint), =92= et suiv., 712.\nSecond (saint), =207= et suiv.\nSecond, 125.\nSegond, 536.\nSeine, 581.\nSelenne, 395.\nS\u00e9n\u00e8que, 320.\nSennaar, 666.\nSennen (saint), =379=.\nS\u00e9rapion (saint), abb\u00e9, X, 129.\nS\u00e9rapion (saint), =366= et suiv.\nSerena, 417.\nSerge, pape, 136, 704.\nSerge, fr\u00e8re de sainte Eug\u00e9nie, 509, 511.\nSerge, moine, 695 et suiv.\nServais (saint), 494.\nSeth, 205, 259 et suiv.\nS\u00e9v\u00e8re (saint), martyr, 616.\nS\u00e9v\u00e8re (Sulpice), 621, 623.\nS\u00e9verien (saint), martyr, 616.\nS\u00e9verien, \u00e9v\u00eaque, 128 et suiv.\nS\u00e9verin (saint), 626.\nSibylle, 39 et suiv., 658.\nSic\u00e9e, 130.\nSienne, XVIII.\nSigebert, 691.\nSil\u00e8ne, ville, 226.\nSil\u00e9on, 68.\nSilo (ma\u00eetre), 610, 611.\nSilon, 412.\nSim\u00e9on (saint), 58, 136 et suiv., 205.\nSimon (saint), fils de Cl\u00e9ophas, 602.\nSimon le L\u00e9preux, 114, 338.\nSimon, p\u00e8re de saint Cyriaque, 263.\nSimon le Magicien, 159, 313 et suiv., 646, 649, 650.\nSimon, pharisien, 339.\nSimon, p\u00e8re de Judas, 161.\nSimplice (saint), =374= et suiv.\nSimplice (saint), martyr, 617.\nSimplice (saint), martyr, 583.\nSimplicien (saint), 221, 245, 461.\nSimplicius, 276.\nSintice, 34.\nSisinnius (saint), 417 et suiv., 651 et suiv.\nSmaragde (saint), 418.\nSocrate, 509.\nSolime, 595.\nSolutor (saint), 536.\nSophie (sainte), =284= et suiv.\nSophie, imp\u00e9ratrice, 692.\nSosth\u00e8ne (saint), 520.\nSpinola, VII, IX.\nStridon, 553.\nSuamir, 601.\nSulpice (saint), \u00e9v\u00eaque de Ravenne, 593.\nSulpice, \u00e9v\u00eaque, 278.\nSuze, 570.\nSylvain (saint), 329.\nSylvestre (saint), =65= et suiv., 121, 194 et suiv., 261 et suiv., 322.\nSylvestre (fr\u00e8re), 564.\nSylvie, m\u00e8re de saint Gr\u00e9goire, 165.\nSymmaque, pape, 703.\nSymmaque, consul, 322.\nSymmaque, gendre de Bo\u00ebce, 699.\nSymmaque, pr\u00e9fet, 460.\nSymphorien (saint), =452= et suiv.\nSymphorien (saint), 617.\nSyracuse, 27, 30.\nSyro\u00efs, 515.\nTabite, 312.\nTanaro, 208.\nTarascon, 376, 378.\nTarquin, 65.\nTarquin, pr\u00e9fet, 195.\nTaurus, juge, 349.\nT\u00e9lesphore, pape, 122, 703.\nT\u00e9rentien, 310.\nThabor (mont), 204.\nThad\u00e9e (Voir _Saint Jude_, ap\u00f4tre).\nTha\u00efs (sainte), =575= et suiv.\nThara, 68.\nTh\u00e9ba\u00efde, 58.\nTh\u00e8cle (sainte), 482, 623.\nTh\u00e9obald (saint), 609 et suiv.\nTh\u00e9odard, 521.\nTh\u00e9odas, 673 et suiv.\nTh\u00e9odelinde, 483, 693.\nTh\u00e9odore (sainte), 472 et suiv.\nTh\u00e9odore (sainte), martyre, =472=.\nTh\u00e9odore (sainte), femme de Sisinnius, 651 et suiv.\nTh\u00e9odore (sainte), Romaine, 45.\nTh\u00e9odore (saint), martyr, =617= et suiv.\nTh\u00e9odore (saint), abb\u00e9 et docteur, 457.\nTh\u00e9odore, pape, 703.\nTh\u00e9odore l\u2019Ancien, empereur, 104.\nTh\u00e9odore, chr\u00e9tien, 367.\nTh\u00e9odore, s\u0153ur de lait de sainte Domicille, 273.\nTh\u00e9odoric, \u00e9v\u00eaque de Metz, 392.\nTh\u00e9odoric, roi des Goths, 699.\nTh\u00e9odose, p\u00e8re de sainte Marguerite, 334.\nTh\u00e9odule, \u00e9v\u00eaque d\u2019Orl\u00e9ans, 704.\nTh\u00e9ophile, \u00e9v\u00eaque d\u2019Alexandrie, 126, 127, 129, 131, 132, 479.\nTh\u00e9ophile, vicaire, 501, 502.\nTh\u00e9ophile, pr\u00e9fet d\u2019Antioche, 157 et suiv.\nTh\u00e9one (sainte), 195.\nTh\u00e9os\u00e8be, 85.\nTh\u00e9ospit (saint), 525 et suiv.\nTh\u00e9ospite (sainte), 525 et suiv.\nTh\u00e9otine, 130.\nTh\u00e9otiste, 85.\nThessalonique, 218, 223, 324.\nThierry, 559.\nThomas (saint), \u00e9v\u00eaque de Cantorbery, =61=.\nThomas d\u2019Aquin (saint), V, XII.\nTiburce, 641 et suiv.\nTiel, 592.\nTimoth\u00e9e, =452=.\nTombelaine, 545.\nTortone, 207 et suiv., 468.\nTotila, 189.\nTouraine, 626.\nTours, XI, XVIII, 621 et suiv., 628 et suiv.\nTranquillin (saint), 94, 95.\nTriphonie, 428.\nTripoli, 590.\nTroie, 321.\nTurpin, archev\u00eaque, 703.\nTyriens, 701.\nTyrus, p\u00e8re de Pilate, 199.\nUrbain (saint), =280= et suiv., 537, 639 et suiv.\nUrbain, p\u00e8re de sainte Christine, 349 et suiv.\nUrcisin (saint), 240.\nUrsanie, 707.\nUrsule (sainte) et les onze mille Vierges, XIX, XX, =590= et suiv.\nValence (Espagne), 101, 399.\nValens, empereur, 290, 387, 482.\nValentin (saint), =153= et suiv.\nVal\u00e8re (saint), 101.\nVal\u00e8re, \u00e9v\u00eaque, 463.\nVal\u00e9rie (sainte), 240 et suiv., 301.\nVal\u00e9rien (saint), 224, 281, 639 et suiv.\nVal\u00e9rien, pr\u00e9fet, 296 et suiv., 421.\nVandales, 77, 466.\nVarage, I et suiv.\nVast (saint), =150= et suiv.\nVend\u00f4me, 414.\nVenise, 235 et suiv.\nVered\u00f4me, 490.\nVermandois, 603.\nV\u00e9ronique (sainte), 200 et suiv.\nVespasien, empereur, 254 et suiv., 349.\nV\u00e9tulana, 271.\nVibius, 581.\nVicera, 569.\nVictoire (sainte), l\u00e9gion th\u00e9baine, 534, 536.\nVictor (saint), 534.\nVictorin (saint), martyr, 617.\nVictorin (saint), 273.\nVictorin, orateur, 553.\nVienne (Dauphin\u00e9), 115, 202, 268.\nVincent (saint), martyr, =101= et suiv., 138.\nVincent (saint), cardinal, 592.\nVincent de Beauvais, 424.\nVintimille, III, 536.\nVit (saint), =296= et suiv.\nVital (saint), martyr, 329.\nVital (saint), p\u00e8re de saint Gervais, =240= et suiv., 301.\nVital (saint), abb\u00e9, 108 et suiv.\nViterbe, 353.\nViv\u00e8s, XIX et suiv.\nVivien (saint), 210.\nVoltri, II.\nVolusien, 200, 201.\nVoragine (Jacques de), I et suiv., 152, 301, 629, 690.\nZacharie (saint), 93, 304 et suiv.\nZacharie, pape, 698, 699.\nZacharie, patriarche, 515.\nZambri, 68, 69.\nZ\u00e8le, pr\u00eatre, 656.\nZ\u00e9nophile, 68.\nZo\u00e9 (sainte), 93, 95.\nZosime (saint), abb\u00e9, 212 et suiv.\nTABLE DES MATI\u00c8RES\n III.--Saint Nicolas, \u00e9v\u00eaque et confesseur (6 d\u00e9cembre) 18\n IV.--Sainte Lucie, vierge et martyre (13 d\u00e9cembre) 27\n VI.--La Nativit\u00e9 de Notre-Seigneur J\u00e9sus-Christ\n VII.--Sainte Anastasie, martyre (25 d\u00e9cembre) 43\n VIII.--Saint Etienne, premier martyr (26 d\u00e9cembre) 45\n IX.--Saint Jean, ap\u00f4tre et \u00e9vang\u00e9liste (27 d\u00e9cembre) 50\n XI.--Saint Thomas de Cantorbery, \u00e9v\u00eaque et martyr\n XII.--Saint Sylvestre, pape (31 d\u00e9cembre) 65\n XIII.--La Circoncision de Notre-Seigneur J\u00e9sus-Christ\n XV.--Saint Remi, \u00e9v\u00eaque et confesseur (14 janvier) 76\n XVI.--Saint Hilaire, \u00e9v\u00eaque et confesseur (14 janvier) 79\n XVII.--Saint F\u00e9lix, pr\u00eatre et confesseur (14 janvier) 81\n XXII.--Saint Fabien, pape et martyr (20 janvier) 91\n XXIII.--Saint S\u00e9bastien, martyr (20 janvier) 92\n XXIV.--Sainte Agn\u00e8s, vierge et martyre (21 janvier) 97\n XXVI.--Saint Jean l\u2019Aum\u00f4nier, confesseur (23 janvier) 105\n XXVII.--La Conversion de saint Paul (25 janvier) 113\n XXVIII.--Saint Julien, \u00e9v\u00eaque et confesseur (26 janvier) 114\n XXXIV.--Saint Jean Chrysostome, \u00e9v\u00eaque et confesseur\n XXXV.--La Purification de la Bienheureuse Vierge Marie\n XXXVI.--Saint Blaise, \u00e9v\u00eaque et martyr (3 f\u00e9vrier) 139\n XXXVII.--Saint Ignace, \u00e9v\u00eaque et martyr (4 f\u00e9vrier) 142\n XXXVIII.--Sainte Agathe, vierge et martyre (5 f\u00e9vrier) 146\n XXXIX.--Saint Vast, \u00e9v\u00eaque et confesseur (6 f\u00e9vrier) 150\n XL.--Saint Amand, \u00e9v\u00eaque et confesseur (6 f\u00e9vrier) 151\n XLI.--Sainte Apolline, vierge et martyre (9 f\u00e9vrier) 152\n XLII.--Saint Valentin, pr\u00eatre et martyr (14 f\u00e9vrier) 153\n XLIII.--Sainte Julienne, vierge et martyre (16 f\u00e9vrier) 155\n XLIV.--La Chaire de saint Pierre \u00e0 Antioche (22 f\u00e9vrier) 157\n XLVIII.--Saint Patrice, \u00e9v\u00eaque et confesseur (17 mars) 181\n L.--Saint Timoth\u00e9e, pr\u00eatre et martyr (24 mars) 194\n LIII.--La R\u00e9surrection de Notre-Seigneur 202\n LVI.--Sainte Marie l\u2019Egyptienne, p\u00e9cheresse (2 avril) 212\n LVII.--Saint Ambroise, \u00e9v\u00eaque et docteur (4 avril) 216\n LVIII.--Saint Sixte, pape et martyr (6 avril) 225\n LXIII.--Saint Pierre le Nouveau, martyr (29 avril) 241\n LXV.--Saint Jacques le Mineur, ap\u00f4tre (1er mai) 250\n LXVI.--L\u2019invention de la sainte Croix (3 mai) 259\n LXVIII.--Saint Jean Porte-Latine (6 mai) 270\n LXX.--Saints N\u00e9r\u00e9e et Achill\u00e9e, martyrs (12 mai) 272\n LXXIII.--L\u2019ascension de Notre-Seigneur 277\n LXXV.--Saint Urbain, pape et martyr (25 mai) 280\n LXXVI.--Sainte P\u00e9tronille, vierge (31 mai) 282\n LXXVII.--Saint Pierre l\u2019Exorciste, martyr (2 juin) 283\n LXXVIII.--Sainte Sophie et ses trois filles, martyres (4 juin) 284\n LXXIX.--Saints Prime et F\u00e9licien, martyrs (9 juin) 286\n LXXXI.--Saint Basile, \u00e9v\u00eaque et docteur (14 juin) 289\n LXXXII.--Saints Vit et Modeste, martyrs (15 juin) 296\n LXXXIII.--Saint Cyr et sa m\u00e8re sainte Julite, martyrs (15 juin) 298\n LXXXV.--Saints Gervais et Protais, martyrs (19 juin) 301\n LXXXVI.--La Nativit\u00e9 de saint Jean-Baptiste (24 juin) 304\n LXXXVII.--Saints Jean et Paul, martyrs (26 juin) 307\n XCI.--Les sept fils de sainte F\u00e9licit\u00e9, martyrs\n XCII.--Saint Alexis, confesseur (17 juillet) 330\n XCIII.--Sainte Marguerite, vierge et martyre (20 juillet) 334\n XCIV.--Sainte Prax\u00e8de, vierge (21 juillet) 337\n XCV.--Sainte Marie-Madeleine, p\u00e9cheresse (22 juillet) 338\n XCVI.--Saint Apollinaire, martyr (23 juillet) 347\n XCVII.--Sainte Christine, vierge et martyre (24 juillet) 349\n XCVIII.--Saint Jacques le Majeur, ap\u00f4tre (25 juillet) 352\n XCIX.--Saint Christophe, martyr (28 juillet) 361\n CI.--Saint Nazaire et Celse, martyrs (28 juillet) 370\n CII.--Saint F\u00e9lix, pape et martyr (29 juillet) 374\n CIII.--Saints Simplice et Faustin, martyrs (29 juillet) 374\n CV.--Saints Abdon et Sennen, martyrs (30 juillet) 379\n CVI.--Saint Germain, \u00e9v\u00eaque et confesseur (31 juillet) 380\n CVII.--Saint Eus\u00e8be, \u00e9v\u00eaque et martyr (1er ao\u00fbt) 384\n CVIII.--Les saints Machab\u00e9es (1er ao\u00fbt) 387\n CX.--Saint Etienne, pape et martyr (2 ao\u00fbt) 393\n CXI.--L\u2019Invention de saint Etienne, premier martyr\n CXII.--Saint Dominique, confesseur (4 ao\u00fbt) 399\n CXIII.--Saint Donat, \u00e9v\u00eaque et martyr (7 ao\u00fbt) 415\n CXIV.--Saint Cyriaque et ses compagnons, martyrs (8 ao\u00fbt) 417\n CXVII.--L\u2019Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie\n CXVIII.--Saint Bernard, docteur (21 ao\u00fbt) 440\n CXXI.--Saint Barth\u00e9l\u00e9my, ap\u00f4tre (24 ao\u00fbt) 453\n CXXII.--Saint Augustin, docteur (28 ao\u00fbt) 459\n CXXIV.--La D\u00e9collation de saint Jean-baptiste (29 ao\u00fbt) 476\n CXXV.--Saint Savinien, martyr, et sainte Savine (29 ao\u00fbt) 483\n CXXVI.--Saints F\u00e9lix et Adauct, martyrs (30 ao\u00fbt) 487\n CXXVII.--Saint Loup, \u00e9v\u00eaque et confesseur (1er septembre) 488\n CXXVIII.--Saint Gilles, abb\u00e9 (1er septembre) 490\n CXXIX.--La Nativit\u00e9 de la Bienheureuse Vierge Marie\n CXXX.--Saint Adrien et ses compagnons, martyrs (9 septembre) 503\n CXXXI.--Saint Gorgon et saint Doroth\u00e9e, martyrs (9 septembre) 508\n CXXXII.--Saints Prothe et Hyacinthe, martyrs (11 septembre) 509\n CXXXIII.--L\u2019exaltation de la sainte Croix (14 septembre) 512\n CXXXIV.--Sainte Euph\u00e9mie, vierge et martyre (16 septembre) 519\n CXXXV.--Saint Lambert, \u00e9v\u00eaque et martyr (17 septembre) 521\n CXXXVI.--Saint Corneille, pape et martyr (18 septembre) 523\n CXXXVII.--Saint Eustache, martyr (20 septembre) 524\n CXXXVIII.--Saint Matthieu, ap\u00f4tre (21 septembre) 530\n CXXXIX.--Saint Maurice et ses compagnons, martyrs\n CXL.--Sainte Justine, vierge et martyre (26 septembre) 538\n CXLI.--Saints Come et Damien, martyrs (27 septembre) 541\n CXLII.--Saint Michel archange (29 septembre) 544\n CXLIII.--Saint Fursy, \u00e9v\u00eaque (29 septembre) 551\n CXLIV.--Saint J\u00e9r\u00f4me, docteur (30 septembre) 553\n CXLV.--La Translation de saint Remi (1er octobre) 557\n CXLVI.--Saint L\u00e9ger, \u00e9v\u00eaque et martyr (2 octobre) 559\n CXLVII.--Saint Fran\u00e7ois, confesseur (4 octobre) 561\n CXLVIII.--Sainte P\u00e9lagie, p\u00e9cheresse (8 octobre) 571\n CXLIX.--Sainte Marguerite, vierge (8 octobre) 573\n CL.--Sainte Tha\u00efs, courtisane (8 octobre) 575\n CLI.--Saints Denis, Rustique et Eleuth\u00e8re, martyrs\n CLII.--Saint Calixte, pape et martyr (14 octobre) 582\n CLIV.--Saint Luc, \u00e9vang\u00e9liste (18 octobre) 588\n CLV.--Les Onze Mille Vierges, martyres (21 octobre) 590\n CLVI.--Saint Crisant et sainte Daria, martyrs (25 octobre) 595\n CLVII.--Saints Simon et Jude, ap\u00f4tres (28 octobre) 596\n CLVIII.--Saint Quentin, martyr (31 octobre) 602\n CLXI.--Les Quatre Couronn\u00e9s, martyrs (8 novembre) 616\n CLXII.--Saint Th\u00e9odore, martyr (9 novembre) 617\n CLXIII.--Saint Martin, \u00e9v\u00eaque et confesseur (11 novembre) 618\n CLXIV.--Saint Brice, \u00e9v\u00eaque et confesseur (13 novembre) 627\n CLXV.--Sainte Elisabeth, veuve (20 novembre) 629\n CLXVI.--Sainte C\u00e9cile, vierge et martyre (22 novembre) 639\n CLXVII.--Saint Cl\u00e9ment, pape et martyr (23 novembre) 644\n CLXVIII.--Saint Chrysogone, martyr (24 novembre) 655\n CLXIX.--Sainte Catherine, vierge et martyre (25 novembre) 656\n CLXX.--Saints Barlaam et Josaphat, abb\u00e9s (27 novembre) 663\n CLXXI.--Saint Jacques l\u2019Intercis, martyr (27 novembre) 676\n CLXXII.--Saint Saturnin, sainte Perp\u00e9tue, sainte F\u00e9licit\u00e9 et\n leurs compagnons, martyrs (23 et 29 novembre) 679\nE. 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