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Un GRAIN de blé ! » |
Le capitaine Nemo venait de METTRE son appareil électrique en activité. |
Nous gravissions des rocs qui s’éboulaient ensuite par pans ÉNORMES avec un sourd grondement d’avalanche. |
La lampe électrique était combinée de manière à donner TOUT son pouvoir éclairant. |
Vers MIDI un bruit très éloigné se fait entendre. |
– Ils se BATTENT ou ils jouent. |
Bientôt l’île Keeling disparut SOUS l’horizon, et la route fut donnée au nord-ouest vers la pointe de la péninsule indienne. |
Le moulin et la basse-cour eurent particulièrement à SOUFFRIR. |
Cela SIMPLIFIERA à l’avenir les instructions que nous pourrons avoir à donner ou à suivre. |
Les chemins ne sont PAS très bien entretenus. |
Le capitaine Nemo donnait l’exemple et se soumettait le PREMIER à cette sévère discipline. |
Quelques-uns de ces carets, lorsqu’on les PRIT, dormaient encore dans leur carapace, à l’abri des animaux marins. |
« Et vous, Ayrton, lui demanda-t-il, QUE ferez-vous ? |
III |
Comme il plaira à Monsieur |
Trois secondes avant l’arrivée de la lettre de J.B. Hobson, je ne songeais pas plus à poursuivre la licorne qu’à tenter le passage du Nord-Ouest. Trois secondes après avoir lu la lettre de l’honorable secrétaire de la marine, je comprenais enfin que ma véritable vocation, l’unique but de ma vie, était de chasser ce monstre inquiétant et d’en purger le monde. |
Cependant, je revenais d’un pénible voyage, fatigué, avide de repos. Je n’aspirais plus qu’à revoir mon pays, mes amis, mon petit logement du Jardin des Plantes, mes chères et précieuses collections ! Mais rien ne put me retenir. J’oubliai tout, fatigues, amis, collections, et j’acceptai sans plus de réflexion l’offre du gouvernement américain. |
« D’ailleurs, pensai-je, tout chemin ramène en Europe, et la licorne sera assez aimable pour m’entraîner vers les côtes de France ! Ce digne animal se laissera prendre dans les mers d’Europe – pour mon agrément personnel – et je ne veux pas rapporter moins d’un demi-mètre de sa hallebarde d’ivoire au Muséum d’histoire naturelle. » |
Mais, en attendant, il me fallait chercher ce narval dans le nord de l’océan Pacifique ; ce qui, pour revenir en France, était prendre le chemin des antipodes. |
« Conseil ! » criai-je d’une voix impatiente. |
Conseil était mon domestique. Un garçon dévoué qui m’accompagnait dans tous mes voyages ; un brave Flamand que j’aimais et qui me le rendait bien ; un être flegmatique par nature, régulier par principe, zélé par habitude, s’étonnant peu des surprises de la vie, très adroit de ses mains, apte à tout service, et, en dépit de son nom, ne donnant jamais de conseils – même quand on ne lui en demandait pas. |
À se frotter aux savants de notre petit monde du Jardin des Plantes, Conseil en était venu à savoir quelque chose. J’avais en lui un spécialiste, très ferré sur la classification en histoire naturelle, parcourant avec une agilité d’acrobate toute l’échelle des embranchements, des groupes, des classes, des sous-classes, des ordres, des familles, des genres, des sous-genres, des espèces et des variétés. Mais sa science s’arrêtait là. Classer, c’était sa vie, et il n’en savait pas davantage. Très versé dans la théorie de la classification, peu dans la pratique, il n’eût pas distingué, je crois, un cachalot d’une baleine ! Et cependant, quel brave et digne garçon ! |
Conseil, jusqu’ici et depuis dix ans, m’avait suivi partout où m’entraînait la science. Jamais une réflexion de lui sur la longueur ou la fatigue d’un voyage. Nulle objection à boucler sa valise pour un pays quelconque, Chine ou Congo, si éloigné qu’il fût. Il allait là comme ici, sans en demander davantage. D’ailleurs d’une belle santé qui défiait toutes les maladies ; des muscles solides, mais pas de nerfs, pas l’apparence de nerfs – au moral, s’entend. |
Ce garçon avait trente ans, et son âge était à celui de son maître comme quinze est à vingt. Qu’on m’excuse de dire ainsi que j’avais quarante ans. |
Seulement, Conseil avait un défaut. Formaliste enragé, il ne me parlait jamais qu’à la troisième personne – au point d’en être agaçant. |
« Conseil ! » répétai-je, tout en commençant d’une main fébrile mes préparatifs de départ. |
Certainement, j’étais sûr de ce garçon si dévoué. D’ordinaire, je ne lui demandais jamais s’il lui convenait ou non de me suivre dans mes voyages ; mais cette fois, il s’agissait d’une expédition qui pouvait indéfiniment se prolonger, d’une entreprise hasardeuse, à la poursuite d’un animal capable de couler une frégate comme une coque de noix ! Il y avait là matière à réflexion, même pour l’homme le plus impassible du monde ! Qu’allait dire Conseil ? |
« Conseil ! » criai-je une troisième fois. |
Conseil parut. |
« Monsieur m’appelle ? dit-il en entrant. |
– Oui, mon garçon. Prépare-moi, prépare-toi. Nous partons dans deux heures. |
– Comme il plaira à monsieur, répondit tranquillement Conseil. |
– Pas un instant à perdre. Serre dans ma malle tous mes ustensiles de voyage, des habits, des chemises, des chaussettes, sans compter mais le plus que tu pourras, et hâte-toi ! |
– Et les collections de monsieur ? fit observer Conseil. |
– On s’en occupera plus tard. |
– Quoi ! les archiotherium, les hyracotherium, les oréodons, les chéropotamus et autres carcasses de monsieur ? |
– On les gardera à l’hôtel. |
– Et le babiroussa vivant de monsieur ? |
– On le nourrira pendant notre absence. D’ailleurs, je donnerai l’ordre de nous expédier en France notre ménagerie. |
– Nous ne retournons donc pas à Paris ? demanda Conseil. |
– Si... certainement..., répondis-je évasivement, mais en faisant un crochet. |
– Le crochet qui plaira à monsieur. |
– Oh ! ce sera peu de chose ! Un chemin un peu moins direct, voilà tout. Nous prenons passage sur l’Abraham Lincoln. |
– Comme il conviendra à monsieur, répondit paisiblement Conseil. |
– Tu sais, mon ami, il s’agit du monstre... du fameux narval... Nous allons en purger les mers !... L’auteur d’un ouvrage in-quarto en deux volumes sur les Mystères des grands fonds sous-marins ne peut se dispenser de s’embarquer avec le commandant Farragut. Mission glorieuse, mais... dangereuse aussi ! On ne sait pas où l’on va ! Ces bêtes-là peuvent être très capricieuses ! Mais nous irons quand même ! Nous avons un commandant qui n’a pas froid aux yeux !... |
– Comme fera monsieur, je ferai, répondit Conseil. |
– Et songes-y bien ! car je ne veux rien te cacher. C’est là un de ces voyages dont on ne revient pas toujours ! |
– Comme il plaira à monsieur. » |
Un quart d’heure après, nos malles étaient prêtes. Conseil les avait faites en un tour de main, et j’étais sûr que rien ne manquait, car ce garçon classait les chemises et les habits aussi bien que les oiseaux ou les mammifères. |
L’ascenseur de l’hôtel nous déposa au grand vestibule de l’entresol. Je descendis les quelques marches qui conduisaient au rez-de-chaussée. Je réglai ma note à ce vaste comptoir toujours assiégé par une foule considérable. Je donnai l’ordre d’expédier pour Paris (France) mes ballots d’animaux empaillés et de plantes desséchées. Je fis ouvrir un crédit suffisant au babiroussa, et, Conseil me suivant, je sautai dans une voiture. |
Le véhicule à vingt francs la course descendit Broadway jusqu’à Union Square, suivit Fourth Avenue jusqu’à sa jonction avec Bowery Street, prit Katrin Street et s’arrêta au trente-quatrième pier. Là, le Katrin ferry-boat nous transporta, hommes, chevaux et voiture, à Brooklyn, la grande annexe de New York, située sur la rive gauche de la rivière de l’Est, et en quelques minutes, nous arrivions au quai près duquel l’Abraham Lincoln vomissait par ses deux cheminées des torrents de fumée noire. |
Nos bagages furent immédiatement transbordés sur le pont de la frégate. Je me précipitai à bord. Je demandai le commandant Farragut. Un des matelots me conduisit sur la dunette, où je me trouvai en présence d’un officier de bonne mine qui me tendit la main. |
« Monsieur Pierre Aronnax ? me dit-il. |
– Lui-même, répondis-je. Le commandant Farragut ? |
– En personne. Soyez le bienvenu, monsieur le professeur. Votre cabine vous attend. » |
Je saluai, et laissant le commandant aux soins de son appareillage, je me fis conduire à la cabine qui m’était destinée. |
L’Abraham Lincoln avait été parfaitement choisi et aménagé pour sa destination nouvelle. C’était une frégate de grande marche, munie d’appareils surchauffeurs, qui permettaient de porter à sept atmosphères la tension de sa vapeur. Sous cette pression, l’Abraham Lincoln atteignait une vitesse moyenne de dix-huit milles et trois dixièmes à l’heure, vitesse considérable, mais cependant insuffisante pour lutter avec le gigantesque cétacé. |
Les aménagements intérieurs de la frégate répondaient à ses qualités nautiques. Je fus très satisfait de ma cabine, située à l’arrière, qui s’ouvrait sur le carré des officiers. |
« Nous serons bien ici, dis-je à Conseil. |
– Aussi bien, n’en déplaise à monsieur, répondit Conseil, qu’un bernard-l’hermite dans la coquille d’un buccin. » |
Je laissai Conseil arrimer convenablement nos malles, et je remontai sur le pont afin de suivre les préparatifs de l’appareillage. |
À ce moment, le commandant Farragut faisait larguer les dernières amarres qui retenaient l’Abraham Lincoln au pier de Brooklyn. Ainsi donc, un quart d’heure de retard, moins même, et la frégate partait sans moi, et je manquais cette expédition extraordinaire, surnaturelle, invraisemblable, dont le récit véridique pourra bien trouver cependant quelques incrédules. |
Mais le commandant Farragut ne voulait perdre ni un jour ni une heure pour rallier les mers dans lesquelles l’animal venait d’être signalé. Il fit venir son ingénieur. |
« Sommes-nous en pression ? lui demanda-t-il. |
– Oui, monsieur, répondit l’ingénieur. |
– Go ahead », cria le commandant Farragut. |
À cet ordre, qui fut transmis à la machine au moyen d’appareils à air comprimé, les mécaniciens firent agir la roue de la mise en train. La vapeur siffla en se précipitant dans les tiroirs entrouverts. Les longs pistons horizontaux gémirent et poussèrent les bielles de l’arbre. Les branches de l’hélice battirent les flots avec une rapidité croissante, et l’Abraham Lincoln s’avança majestueusement au milieu d’une centaine de ferry-boats et de tenders1 chargés de spectateurs, qui lui faisaient cortège. |
Les quais de Brooklyn et toute la partie de New York qui borde la rivière de l’Est étaient couverts de curieux. Trois hurrahs, partis de cinq cent mille poitrines, éclatèrent successivement. Des milliers de mouchoirs s’agitèrent au-dessus de la masse compacte et saluèrent l’Abraham Lincoln jusqu’à son arrivée dans les eaux de l’Hudson, à la pointe de cette presqu’île allongée qui forme la ville de New York. |
Alors, la frégate, suivant du côté de New Jersey l’admirable rive droite du fleuve toute chargée de villas, passa entre les forts qui la saluèrent de leurs plus gros canons. L’Abraham Lincoln répondit en amenant et en hissant trois fois le pavillon américain, dont les trente-neuf étoiles resplendissaient à sa corne d’artimon ; puis, modifiant sa marche pour prendre le chenal balisé qui s’arrondit dans la baie intérieure formée par la pointe de Sandy Hook, il rasa cette langue sablonneuse où quelques milliers de spectateurs l’acclamèrent encore une fois. |
Le cortège des boats et des tenders suivait toujours la frégate, et il ne la quitta qu’à la hauteur du light-boat dont les deux feux marquent l’entrée des passes de New York. |
Trois heures sonnaient alors. Le pilote descendit dans son canot, et rejoignit la petite goélette qui l’attendait sous le vent. Les feux furent poussés ; l’hélice battit plus rapidement les flots ; la frégate longea la côte jaune et basse de Long Island, et, à huit heures du soir, après avoir perdu dans le nord-ouest les feux de Fire Island, elle courut à toute vapeur sur les sombres eaux de l’Atlantique. |
Comme il plaira à Monsieur. |
Trois secondes avant l’arrivée de la lettre de J.B. Hobson, je ne songeais pas plus à poursuivre la licorne qu’à tenter le passage du Nord-Ouest. Trois secondes après avoir lu la lettre de l’honorable secrétaire de la marine, je comprenais enfin que ma véritable vocation, l’unique but de ma vie, était de chasser ce monstre inquiétant et d’en purger le monde. |
Cependant, je revenais d’un pénible voyage, fatigué, avide de repos. Je n’aspirais plus qu’à revoir mon pays, mes amis, mon petit logement du Jardin des Plantes, mes chères et précieuses collections ! Mais rien ne put me retenir. J’oubliai tout, fatigues, amis, collections, et j’acceptai sans plus de réflexion l’offre du gouvernement américain. |
« D’ailleurs, pensai-je, tout chemin ramène en Europe, et la licorne sera assez aimable pour m’entraîner vers les côtes de France! Ce digne animal se laissera prendre dans les mers d’Europe, pour mon agrément personnel, et je ne veux pas rapporter moins d’un demi-mètre de sa hallebarde d’ivoire au Muséum d’histoire naturelle. » |
Mais, en attendant, il me fallait chercher ce narval dans le nord de l’océan Pacifique ; ce qui, pour revenir en France, était prendre le chemin des antipodes. |
« Conseil ! » criai-je d’une voix impatiente. |
Conseil était mon domestique. Un garçon dévoué qui m’accompagnait dans tous mes voyages ; un brave Flamand que j’aimais et qui me le rendait bien ; un être flegmatique par nature, régulier par principe, zélé par habitude, s’étonnant peu des surprises de la vie, très adroit de ses mains, apte à tout service, et, en dépit de son nom, ne donnant jamais de conseils , même quand on ne lui en demandait pas. |
À se frotter aux savants de notre petit monde du Jardin des Plantes, Conseil en était venu à savoir quelque chose. J’avais en lui un spécialiste, très ferré sur la classification en histoire naturelle, parcourant avec une agilité d’acrobate toute l’échelle des embranchements, des groupes, des classes, des sous-classes, des ordres, des familles, des genres, des sous-genres, des espèces et des variétés. Mais sa science s’arrêtait là. Classer, c’était sa vie, et il n’en savait pas davantage. Très versé dans la théorie de la classification, peu dans la pratique, il n’eût pas distingué, je crois, un cachalot d’une baleine ! Et cependant, quel brave et digne garçon ! |
Conseil, jusqu’ici et depuis dix ans, m’avait suivi partout où m’entraînait la science. Jamais une réflexion de lui sur la longueur ou la fatigue d’un voyage. Nulle objection à boucler sa valise pour un pays quelconque, Chine ou Congo, si éloigné qu’il fût. Il allait là comme ici, sans en demander davantage. D’ailleurs d’une belle santé qui défiait toutes les maladies ; des muscles solides, mais pas de nerfs, pas l’apparence de nerfs, au moral, s’entend. |
Ce garçon avait trente ans, et son âge était à celui de son maître comme quinze est à vingt. Qu’on m’excuse de dire ainsi que j’avais quarante ans. |
Seulement, Conseil avait un défaut. Formaliste enragé, il ne me parlait jamais qu’à la troisième personne, au point d’en être agaçant. |
« Conseil ! » répétai-je, tout en commençant d’une main fébrile mes préparatifs de départ. |
Certainement, j’étais sûr de ce garçon si dévoué. |