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J'irai à Paris vers le 10, je ne vous porterai pas la pièce. Elle ne |
sera pas encore écrite. Le dialogue est pour moi la seconde façon; car, |
du gros manuscrit que j'ai là sous la main, il ne restera que ce qui |
doit rester. Je demanderai à M. Doucet de venir me voir. Je lui dirai |
comme quoi le manque de parole du ministère à propos de _Flaminio, |
autorisé_ en cinq actes et non toléré en quatre, puisqu'on m'a fait |
afficher un prologue et trois actes, m'est resté sur le coeur, non pas |
comme une rancune, je ne connais pas ça, mais comme une méfiance des |
gracieusetés qu'on appelle eau bénite de cour. |
Nous conviendrons de quelque chose sérieusement; car je ne veux pas |
faire un gros travail _ad hoc_ pour le Théâtre-Français pour _m'ouïr |
dire_ que l'on a changé d'idée. Rien n'est plus contrariant que d'écrire |
pour certains artistes, et d'être forcé d'adapter ensuite la forme aux |
qualités d'autres artistes, qui ne sont jamais les mêmes qualités. Je |
m'occuperai aussi de _Molière_, M. Doucet me dira par quoi l'on préfère |
commencer. Moi, je préfère que l'on commence par _Françoise_; c'est |
ainsi, jusqu'à nouvel ordre, que j'intitule mon nouvel essai. |
A vous de coeur, ma bien charmante héroïne. Aimez-moi comme je vous aime |
et comme je vous comprends. |
GEORGE SAND. |
CCCXCVI |
A M. PAULIN LIMAYRAC, A PARIS[1] |
Nohant, septembre 1855. |
Si mon _collaborateur_ se place à ce point de vue, il lui sera facile |
d'extraire, de tous les faits qu'il voudra bien me présenter, la moelle |
qui peut être mise sur mon pain. Il y a dix mille manières d'être |
impressionné. Je n'en ai qu'une, parce que, malgré moi, mon esprit est |
un peu plus absolu que mon caractère. Sera-ce un inconvénient dans un |
ouvrage de ce genre? Je ne le crois pas. Un petit exposé de principes |
bien simples et bien naïfs, mais invariables, une fois admis, notre |
travail doit s'en trouver éclairci et soutenu sans trop de défaillance |
d'un bout à l'autre. |
En partant de ces idées, nous avons, c'est-à-dire vous avez à chercher, |
dans chaque histoire d'amour illustre, d'abord le milieu social, |
intellectuel, moral, physique, etc., de notre couple. Puis le caractère |
particulier de chaque individu, puis la nature et les circonstances de |
leur amour, puis les faits, le but atteint ou manqué, le résultat bon |
ou mauvais; car nous ne nous gênerons pas trop avec eux, et nous |
raconterons peut-être de mauvaises amours, pour peu que cela soit utile |
à l'excellence de notre théorie, par la critique qu'il nous conviendra |
d'en faire. Vous avez à fouiller dans les bibliothèques, dans les écrits |
de ceux qui ont écrit, dans les lettres de mademoiselle Volland et de |
madame Duchâtelet, comme dans les sonnets de Pétrarque, et, là, vous ne |
prendrez que les points culminants qui éclaireront l'application de ma |
théorie. Exemple: Voltaire et madame Duchâtelet s'aimaient-ils par le |
coeur, par les sens et par l'intelligence? Je pense, moi, qu'ils ne |
s'aimaient que par l'intelligence. Voilà pourquoi leur amour était |
incomplet. Mais c'était encore quelque chose que de s'aimer sur le haut |
de ces belles régions, et le mariage de deux esprits supérieurs vaut |
bien la peine qu'on s'en occupe, qu'on l'analyse et qu'on en voie les |
résultats. |
Agnès Sorel, comment aima-t-elle son royal amant? Commença-t-elle comme |
une Jeanne d'Arc, par le patriotisme? ou bien les sens et le coeur (soit |
l'un ou l'autre seulement) furent-ils si émus et si possédés par le roi, |
que l'enthousiasme prit naissance dans l'âme de cette femme, comme une |
révélation? Honneur à _l'amour_, en ce cas! Je sais peu l'histoire |
d'Agnès, je ne sais rien, absolument rien, en fait d'histoire, j'ai la |
mémoire d'une linotte; mais, si vous la savez, ou si, ne la sachant plus |
bien, vous me la retrouvez, vous pourrez me dire: «C'est l'amour qui a |
révélé le patriotisme à Agnès;» ou bien: «C'est le patriotisme qui lui a |
inspiré l'amour.» |
Je me rappelle pourtant quatre jolis vers tourangeaux, autant vaut dire |
berrichons, sur la _Saurette_. C'est son nom, qui vient de _sauret_ (en |
berrichon: _sans oreilles_); on dit encore, chez nous, un chien _sauret_ |
(qui a les oreilles coupées). Voici les vers: |
Gentille Agnès, plus de los tu mérites, |
La cause étant de France recouvrer, |
Que ce que peut dedans un cloître ouvrer. |
Close nonain, ou bien dévot ermite. |
C'est là une digression. Revenons à notre histoire. |
Marie Stuart! vilaine et charmante dame sur laquelle nous aurons à |
moraliser. Et, dans l'antiquité, que de choses belles ou curieuses à |